JUSTICE GALACTIQUE (SSPP 37)
JEAN-PIERRE GAREN
CHAPITRE PREMIER
-Monsieur Randal Gardner ?
Arraché à mon rêve par la voix du steward, je relève la tête.
-Monsieur Gardner, nous arrivons à destination ; dans vingt minutes nous émergerons du subespace. Il vous faut regagner le salon principal. Vos bagages doivent être déposés au point de rencontre Arcturus.
-J'arrive tout de suite !
Dans les coursives règne une certaine pagaille non dénuée d'anxiété. Ces gens qui en sont à leur premier voyage dans l'espace, s'émerveillent et s'inquiètent à l'approche de leur nouvelle terre d'asile.
Je jette ma valise sur l'étroite couchette et je commence à y empiler mes affaires. Il n'y a pas grand- chose, juste mon linge de rechange et mon nécessaire de toilette. Machinalement, j'appuie sur une saillie presque invisible du pan latéral et je tourne la poignée. Un minuscule déclic est perceptible et un double fond apparaît. Je retiens un sifflement en découvrant une boite de tablettes nutritives, des grenades anesthésiantes et un couteau. Je m'en veux presque de ne pas avoir vérifié ce compartiment avant de prendre le cargonef. J'aurais pu avoir de sérieux problèmes si la douane avait ouvert ma valise.
Je saisis machinalement l'arme ; elle est bien équilibrée. Un petit bouton près de la garde fait jaillir la lame et un faisceau laser vient doubler le fil. Curieux ! Je ne me souviens pas de l'avoir mis dans ma valise en quittant la terre, mais j'étais dans un état second après mon opération ! Ou alors, Marc m'aurait-il laissé un petit souvenir ?
Comme tout astronaute, nous avons souvent été mêlés à des bagarres dans les bars louches des astroports. Or, les poignards sont l'arme de prédilection des cosmatelots et la vue d'un couteau à fil laser m'a bien souvent sorti de mauvaises situations. Il faut toujours être très prévoyant dans ces bouges !
Je quitte la cabine qui m'a servi de refuge pendant près d'une semaine. Indifférent à l'agitation, je dépose ma mallette sur un tas de valises et longe la coursive, puis je traverse le salon jusqu'à mon siège antigravité. Mon voisin de gauche, un gros type adipeux, tremble de tous ses membres à l'annonce du compte à rebours pour le passage dans l'espace normal. Quatre... trois... deux... un... puis le voile noir familier.
J'ai la maigre satisfaction de voir que je suis le premier sur une vingtaine de colons à reprendre conscience. Il est vrai que j'ai un certain entraînement. J'effectuais jusqu'à dix missions par an pour le S.S.P.P., mais tout cela me semble loin maintenant. Il y a eu cette mission de trop, mon séjour à l'hôpital et la lettre de Diana, puis la visite de Marc, un agent comme moi. Cette journée par contre, je m'en souviens comme si c'était hier. J'étais sur mon lit d'hôpital et je lisais et relisais le quotidien holographique sur mon communicateur pour échapper à la triste réalité quand Marc est entré dans ma chambre.
***
-Salut, vieux frère !
Sa visite tombait à un mauvais moment mais elle me fit quand même sacrément plaisir.
-Marc ! Depuis quand es-tu rentré de mission ?
-Je viens d'arriver !
Il avait l'air ennuyé.
-J'ai appris ta suspension. Je suis navré. Ces bureaucrates ne comprendront jamais rien ! Le général Khov ne décolère pas.
Je haussai les épaules presque philosophe.
-Ils ont voulu faire un exemple et c'est tombé sur moi...
Ma voix chevrotait, je n'avais même plus la force de me mettre en rogne depuis la lettre de Diana. Nous avons discuté de choses et d'autres quand il me posa la question !
-Maintenant, Randal, que vas-tu faire ?
Je levai les bras au ciel, malgré ma perfusion. Je n'en savais fichtrement rien.
-J'ai reçu une proposition d'embauche de la compagnie d'exploitation minière. Tu sais qu'elle est toujours intéressée par des hommes qui ont l'expérience du terrain, mais j'hésite à accepter. C'est deux fois mieux payé qu'au S.S.P.R mais je n'ai pas envie de passer la barrière et d'avoir un patron continuellement sur mon dos.
Il me regardait, compatissant mais sans fausse pitié ; pour lui aussi ce travail représentait beaucoup.
-Tu sais qu'il y a deux ans, c'est moi qu'ils avaient suspendu. D'accord ce n'était pas définitif comme pour toi, mais j'avais sérieusement envisagé ma reconversion et j'avais acheté un bar-restaurant sur une planète en voie de colonisation.
Avant même qu'une protestation jaillisse de mes lèvres, il me coupa la parole.
-Ecoute, je te demande cela comme un service. Il y a deux semaines, le gérant que j'avais engagé est parti en emportant la caisse. Puisque tu n'as rien à faire pour le moment, tu pourrais t'en occuper. Pendant ce temps, avec Khov, nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que tu sois réintégré.
J'hésitais, je ne savais pas quoi lui répondre. Plus rien ne me retenant maintenant sur terre, m'éloigner me ferait peut-être du bien.
-Allez, accepte. II y ajustement un cargo qui part cette semaine. Tu verras, Terrania XXXVI est un monde magnifique.
***
Une sensation d'écrasement, les béquilles touchent le sol. Je descends avec le dernier groupe de colons. Je n'éprouve aucun besoin de jouer des coudes pour quitter l'astronef quelques minutes avant les autres. D'un pas tranquille, je suis la colonne qui se dirige vers les bâtiments de l'astroport. Ce ne sont que de simples baraques préfabriquées mais il y règne une intense activité et un désordre assez sympathique. Dans les nouveaux mondes, l'arrivée d'un cargonef est toujours un événement et de nombreux curieux se pressent au bord de la piste.
Après une demi-heure de bousculades, un service d'ordre assez débonnaire nous regroupe dans une vaste salle de conférence.
Un personnage monte sur une petite estrade. II est grand, mince, avec un visage aristocratique surmonté d'une chevelure ondulée. Son uniforme impeccable souligne une taille mince et un torse puissant. Sa voix est grave, bien timbrée, habituée au commandement.
-Je suis l'actuel gouverneur de Terrania XXXVI. D'abord je tiens à vous souhaiter la bienvenue. Nous ne sommes encore qu'une petite colonie, mais en pleine expansion. Vous allez participer à la tâche exaltante qu'est la construction d'un monde nouveau. Il vous sera distribué tout à l'heure des brochures détaillées qui vous permettront de mieux connaître votre planète mais je tiens à être le premier à vous la présenter.
Les lumières s'éteignent et un projecteur tridimensionnel envoie au-dessus de l'assemblée l'image d'une gigantesque sphère bleutée.
-Voici Terrania XXXVI, reprend le gouverneur. Masse 1,1 de celle de la Terre. Atmosphère de type terrestre avec un peu plus d'oxygène. C'est excellent pour effectuer des efforts mais le risque d'incendie est plus élevé. Rotation sur elle-même en 24 heures et dix minutes. Trajectoire elliptique mais presque circulaire autour d'un soleil de type G. L'axe de rotation est peu incliné et les saisons sont donc peu marquées. Nous sommes ici dans la zone tempérée vers le quarantième parallèle.
Une autre image tridimensionnelle remplace la précédente, elle est prise de plus près et montre certains détails.
-Les sept-huitièmes du globe sont occupés par les océans, poursuit le gouverneur. Les pôles sont surmontés de calottes glaciaires. Il existe un continent principal et de nombreux chapelets d'îles. Notre capitale est située un peu au nord de l'équateur. Elle a été baptisée « New Cork » selon le souhait du premier astronaute qui découvrit cette planète. « New Cork », sur Terre, était sa ville natale. Il existe quelques autres villages répartis sur le continent. A l'ouest de la ville, à environ vingt kilomètres se trouve l'océan. Tout autour, ce sont de grandes plaines mais la majeure partie du continent reste couverte de forêts. Faites très attention, les autorités n'ont pas eu le temps de faire une étude approfondie de la faune et de la flore. II y a un lexique détaillé de tout ce qui a été répertorié sur votre brochure. Une grande barrière montagneuse se situe à 2 000 km au nord. Nos rares exploitations minières se trouvent dans ce coin. Malheureusement, comme vous le savez sans doute déjà, Terrania XXXVI est pauvre en minerai.
Une vue plus précise montre la capitale en gros plan.
-Comme vous pouvez vous en apercevoir, New Cork est une petite ville, de 34 523 âmes exactement. Nous sommes fiers de posséder notre propre tribunal dans le centre ville avec un robot-juge du type « Hardwick ». Contrairement à d'autres nouveaux mondes qui doivent se partager un robot-juge itinérant, Hardwick réside sur notre planète. Derrière le palais de justice se trouve le poste de police dirigé par le capitaine Cartling. Au sud de la ville se trouve le New Cork News, notre chaîne d'information locale.
L'image d'un gros pachyderme apparaît sur nos têtes.
-Voici un « zelac » adulte. Malgré son air rébarbatif, c'est un herbivore totalement pacifique. Il est originaire d'une lointaine planète. Son intérêt est sa croissance très rapide. Six mois après sa naissance, il a atteint sa taille adulte. Il a juste besoin de grands espaces et d'herbe fraîche. Son élevage constitue l'essentiel de notre industrie.
Les lumières reviennent et l'image disparaît.
-Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne chance et...
Le reste de son discours me passe largement au- dessus de la tête. Je pars récupérer à l'entrepôt le ravitaillement dont m'avait chargé Marc. Entre deux trans de chargement, j'arrive à repérer le lot que je dois emporter. Une silhouette harmonieuse se tient devant.
-Bonjours, je m'appelle Laura, vous devez être monsieur Gardner !
Des cheveux blonds tombent en cascade. Ses yeux bleus éclairent un visage agréable mais aux traits fatigués. Elle doit approcher de la trentaine.
-Je vous en prie, appelez-moi Randal.
Elle donne quelques ordres et le ravitaillement s'empile dans un trans utilitaire.
-Je travaille donc pour vous, dit-elle. Je suis la serveuse du bar L'Émeraude.
Elle s'installe au volant, et me laisse le fauteuil du passager. Aussitôt le trans démarre.
-Le patron m'a vidéophoné votre arrivée, il m'a expliqué la situation. Je suis certaine que vous allez vous plaire ici.
J'en suis beaucoup moins sûr qu'elle ! Une question me brûle la langue.
-Laura, est-il vrai que le dernier gérant est parti avec la caisse ?
Elle me regarde, étonnée.
-Bien sûr que non ! Il a été renvoyé avec de grosses indemnités.
-J'en suis désolé.
-Je ne le regrette pas. C'était une brute !
Ses beaux yeux bleus brillent. Une larme peut- être ? Mais j'ai mes propres problèmes.
Sacré Marc, tu m'as encore bien eu !
CHAPITRE II
J'ai du mal à sortir de ma torpeur. L'alcool et le manque de sommeil pèsent sur mon équilibre. Un peu plus d'un an a passé depuis mon arrivée sur Terrania XXXVI et mes souvenirs sont toujours là. Les regrets aussi. Le mal du pays commence à se faire sentir et l'activité de gérant ne me distrait pas suffisamment. Les affaires trop calmes contribuent à me faire végéter. En plus, le bar roule parfaitement sans moi avec Laura aux commandes.
-Monsieur Gardner !
La voix sèche et métallique du robot-juge Hardwick me fait sursauter. Je m'avance et me présente. Les yeux de l'androïde me suivent sans que sa tête ne bouge. Il énonce pour la douzième fois la formule rituelle.
-Vous avez été tiré au sort pour représenter un jury populaire. Veuillez lever la main droite et lire le texte devant vous.
Posément, je prête serment et, résigné, attends les questions du procureur et de l'avocat. Après s'être assuré que je ne connaissais pas l'accusée, le procureur Jenkins, un grand homme sec et anguleux, avec des petits yeux bleus inquisiteurs dit :
-Terminé, Votre Honneur.
L'avocat de la défense, petit, très enveloppé, dont les yeux bridés et la peau mate trahissent ses origines asiatiques, prend la parole.
-Aucune question, Votre Honneur.
Je vais donc m'asseoir à côté d'une femme entre deux âges, à la mine rébarbative et regarde le robot- juge. Cet androïde est d'un modèle moins récent que celui qui m'accompagnait en mission, mais doté d'un cerveau électronique beaucoup plus évolué. Sur les planètes éloignées de Terre I, des robots assument les fonctions de juge. Néanmoins les hommes sont toujours jugés par leurs pairs et c'est à un jury de décider de la culpabilité des accusés en cour d'assises.
Je replonge dans mes souvenirs, encore surpris d'avoir été tiré au sort pour ce procès. Que m'importe de juger la meurtrière de Luiggi Stracchino, directeur de boîte de nuit officiellement et patron de la mafia locale officieusement ?
La voix de l'androïde s'élève de nouveau et fait taire le brouhaha de la salle pleine à craquer.
-Le jury est au complet. Planète Terrania XXXVI contre Mme Cory Vickers. Robot-greffier, lisez l'acte d'accusation.
Tout à coup, je la vois. Occupé à ressasser mes idées noires, je ne m'étais pas préoccupé de la responsable de ma présence ici. Elle doit avoir trente ans, mais en paraît à peine vingt-cinq. Des cheveux blonds encadrent un visage régulier, très pâle, non maquillé. Mais ce sont surtout ses yeux qui frappent, car la peur y transparaît. Son regard, à travers les larmes, se pose un instant sur moi. Elle doit trouver une certaine sympathie sur mon visage, car elle ébauche un timide sourire.
Le robot a fini d'égrener l'acte d'accusation. En bref, Cory Vickers est accusée du meurtre avec préméditation sur la personne de Luiggi Stracchino, crime commis au cours de la nuit du 23 au 24 septembre dans l'enceinte privée du Paradise Club.
-Madame Vickers, plaidez-vous coupable ou non coupable ? reprend le juge.
-Non coupable, Votre Honneur.
-Monsieur le procureur, appelez le premier témoin.
Je ne peux m'empêcher de sourire en songeant que ce rituel a très peu évolué depuis plusieurs siècles. Le juge a été remplacé par un robot, sa fonction s'étant transformée au cours des siècles en une simple traduction du nouveau code de justice galactique, qui était devenu nettement trop compliqué pour des humains. Les procureurs et avocats établissent les faits au cours du procès, et le jury se prononce sur la culpabilité ou non avec éventuellement des circonstances atténuantes. Le juge traduit ces éléments en une sentence. Ces robots sont tellement sophistiqués que même le facteur humain est pris en compte. Il a fallu des siècles de programmation pour arriver à un résultat frôlant la perfection.
Le procureur reprend :
-Nous entendrons d'abord le sergent Erikson qui a découvert le corps.
Un jeune homme, vêtu d'une combinaison impeccable des forces de police, s'avance et prête serment.
-J'étais, dans la nuit du 23 au 24 septembre, de patrouille avec mon coéquipier Sam Heggar, lorsque le central de police nous a ordonné de nous rendre au Paradise Club.
A notre arrivée, le maître d'hôtel nous a dit d'aller au premier étage, dans la partie privée du club. Une personne armée ayant tiré sur plusieurs personnes dans le bureau du patron, ils l'y avaient enfermée pour éviter qu'elle ne s'en prenne au reste du club.
Au fond du couloir, nous avons ouvert la porte avec la clef qu'on nous a remise et comme nous n'entendions aucune stridulation laser, nous sommes entrés suivant les règles de sécurité. M. Stracchino était effondré sur un fauteuil, au fond de la pièce, le visage couvert de sang.
-Qu'avez-vous fait alors ? demande Jenkins.
-Mme Vickers était seule dans un coin de la pièce, un pistolaser à ses pieds. Je me suis précipite pour le ramasser sans qu'elle réagisse. Puis, j'ai envoyé Sam vidéophoner au central pour nous envoyer du renfort et les gars de la section criminelle.
-Sergent, reprit le procureur, reconnaîtriez-vous cette arme ?
-Sûrement, monsieur, c'est un viperlaser 10-D, utilisant une réserve énergétique. Il porte une plaque gravée au nom du lieutenant Vickers.
-Ce sera tout, sergent, interrompit le procureur.
C'est à présent au tour de l'avocat de la défense.
-Y avait-il d'autres personnes présentes dans cette partie de club ?
-Oui, monsieur. D'abord un homme assez âgé, avec de grosses moustaches qui m'a dit s'appeler
Dave Hait. Il est un des employés du club qui se chargeait des courses de M. Stracchino.
-C'est tout ?
-Non, monsieur. J'ai aussi vu Jack Malcom, le gérant du club.
-Qui avait découvert le corps ?
-Dave Hart. Il a entendu les jets stridents d'un pistolaser et s'est précipité. Il a trouvé M. Stracchino mort et Mme Vickers une arme à la main. Comme elle faisait feu dans toutes les directions, il l'a enfermée dans la pièce et a appelé discrètement M. Malcom qui a prévenu la police.
-Personne d'autre en dehors des quatre cités ?
-Non, monsieur.
-Mais quelqu'un n'aurait-il pas pu quitter les lieux après le meurtre ?
-C'est possible, monsieur, nous ne sommes arrivés que douze minutes après l'appel, mais nous n'avons détecté personne dans les environs immédiats du club.
-Qu'avez-vous fait, sergent, en attendant les renforts ?
-Je suis retourné près de Mme Vickers et je crois que je ne l'ai pas quittée des yeux.
Le flic toussote, mal à l'aise.
-C'est-à-dire... enfin... Mme Vickers était assez peu vêtue et...
La salle éclate de rire, vite interrompue par un claquement sec émis par le synthétiseur du robot-juge.
-Je proteste, Votre Honneur, contre les insinuations du témoin, s'écrie l'avocat. Ma cliente était en costume de travail et ce n'est pas sa faute si, dans cet établissement, les serveuses sont aussi peu vêtues.
-Objection rejetée, mais le témoin doit s'abstenir de tout commentaire.
-Dernière question sergent, comment s'est comportée ma cliente quand vous avez ramassé le pistolaser ?
-Elle était comme absente, elle n'a pas bougé d'un pouce.
-Terminé, Votre Honneur.
Le juge enchaîne.
-Sergent, vous pouvez vous retirer. Monsieur le procureur, vous avez la parole.
-Le témoin suivant sera le médecin légiste. Docteur Pearson, s'il vous plaît.
Le témoin s'avance. Il a tout à fait le physique de l'emploi. Petit, avec un long nez crochu, il est vêtu de noir. Après avoir décliné ses titres, il commence.
-J'ai été appelé le 24 septembre à trois heures du matin, pour examiner le corps d'un homme qui a été identifié comme étant M. Stracchino. La mort remontait à une heure environ d'après la raideur du cadavre. L'analyse au scanner de la chaleur du corps et de la coagulation sanguine, donne une idée plus précise du moment du décès : soit entre une heure et demie et deux heures et quart.
Le docteur continue sa tirade.
-J'ai pratiqué l'autopsie le lendemain. La mort est due à un jet de laser, tiré à une certaine distance, plusieurs mètres, puisque aucune irradiation résiduelle ne subsistait autour de la plaie. La mort a été instantanée. Le rayon, ayant pénétré juste au-dessus de la racine du nez, a grillé le cerveau. J'ai spectrographié les contours de la plaie et la forme du trou, puis j'ai envoyé les résultats à la police.
Le procureur sort un certain nombre de clichés d'une enveloppe et les présente au médecin.
-Ce sont bien mes analyses scanner, je reconnais ma signature en dessous des diagrammes.
-Merci, docteur, j'ai terminé.
Puis se tournant vers le juge :
-Je demande que ces documents soient acceptés comme pièce à conviction numéro un.
-Accordé, dit le juge. La parole est à la défense.
-Aucune question, Votre Honneur.
Le juge se tourne vers le jury.
-Quelqu'un a-t-il une question à poser au témoin ?
Devant l'absence de réponse, le procureur reprend la parole.
-Votre Honneur, je ne sais si je dois appeler mon prochain témoin car il est déjà midi moins vingt-cinq et la séance va bientôt être suspendue.
-Vous pouvez continuer. Le rôle est très chargé et nous voulons perdre le moins de temps possible. L'avocat de la défense fera son contre-interrogatoire cet après-midi.
-Mon témoin sera le capitaine Shell Cartling, responsable de la sécurité de Terrania XXXVI, chef de notre police et aussi notre expert en armes lasers.
Le capitaine approche de la cinquantaine. Son visage paraît fatigué et les poches sous ses yeux indiquent qu'il ne doit pas toujours passer des nuits tranquilles.
-Capitaine Cartling, connaissez-vous cette arme ? demande Jenkins en lui montrant un viperlaser.
-Oui, monsieur. Je reconnais le pistolaser et les marques que j'ai faites sur le canon.
-Quand l'avez-vous vu pour la première fois ?
-Il me fut remis le 24 septembre à trois heures et demie par le sergent Erikson.
-Qu'avez-vous fait ensuite du pistolet ?
-Je l'ai amené dans mon petit laboratoire pour l'examiner. J'ai d'abord cherché le propriétaire de l'arme. Ce fut facile. Elle appartenait au lieutenant Vickers qui l'avait rapporté lors de sa dernière permission, il y a sept ans. Il avait fait graver son nom sur sa crosse.
-Qu'est devenu le lieutenant Vickers ?
-Il a été tué quelques semaines après en mission pour la Sécurité Galactique.
Je regarde l'accusée. Elle a baissé la tête et quelques larmes coulent sur ses joues.
Le procureur continue :
-Qu'avez-vous encore trouvé, capitaine ?
-J'ai tiré plusieurs fois avec l'arme. J'ai relevé la forme des trous au scanner et je l'ai comparée avec les résultats d'analyses que m'a remis le docteur Pearson et les impacts enregistrés sur les murs. Vous n'ignorez pas que le jet laser est généré par un cristal de puissance qui transforme l'énergie du chargeur en lumière cohérente. Or, ce cristal situé dans le canon d'un pistolaser présente toujours des micro-défauts caractéristiques, décelables uniquement avec un matériel sophistiqué. Ainsi, chaque arme a sa signature. Je peux donc certifier que c'est bien la même arme qui a tué M. Stracchino.
-Merci, capitaine, vous avez été très clair. Je demande à la Cour d'accepter ce pistolet comme pièce à conviction numéro deux.
-La Cour reçoit votre demande, dit le juge. Robot-greffier, prenez cette arme mais auparavant faites-la circuler parmi les membres du jury qui doivent examiner chaque pièce à conviction.
Le pistolaser passe de main en main. Ma voisine me le tend du bout des doigts comme s'il s'agissait d'un serpent venimeux.
C'est un viperlaser de l'armée. Il est bien entretenu et est encore plein de graisse isolante. J'enlève le chargeur. Le curseur énergétique indique qu'il est aux trois-quarts plein. J'essaye de démonter le tube laser mais il ne glisse pas facilement ; en tirant un peu plus fort j'arrive à l'éjecter. Le cristal apparaît en dessous d'une extrémité du cylindre noir. Je le remets en place. La détente est souple. Enfin sur le canon, je relève le numéro de fabrication. J'examine encore quelques secondes l'arme puis je la tends à mon voisin que les débats semblent médiocrement intéresser.
-La séance est maintenant suspendue, dit le robot-juge. Elle reprendra cet après-midi à deux heures et demie. Je fais aux jurés les recommandations d'usage. Ils ne doivent parler de l'affaire ni entre eux, ni avec les tiers. Ils ne doivent pas lire les journaux, ni regarder la télévision.
Le juge se lève et la salle se vide lentement. Les journalistes sont un peu déçus car il n'y a rien eu de bien sensationnel.
CHAPITRE III
En sortant du tribunal, je suis passablement de mauvais poil, et ce n'est pas la vue de cette austère bâtisse préfabriquée rendue encore plus triste par la pluie qui va me remonter le moral. Heureusement, mon bar n'est qu'à vingt minutes de marche du palais de justice. Je suis furieux d'avoir été embarqué dans cette affaire. Et, par-dessus le marché, j'ai la sensation que je me suis laissé avoir, que dans les témoignages de ce matin, j'ai manqué quelque chose d'important. Un petit détail tournicote dans ma cervelle mais je n'arrive pas à l'accrocher ; je laisse tomber... J'arrive devant L'Emeraude où il n'y a pas grand-monde. Quelques types sont assis aux tables, avalant rapidement leur steak de zelac avant de regagner leur travail.
Laura est derrière le bar toujours aussi bien roulée. Un sweater met en avant sa poitrine. Je me hisse sur un des tabourets.
-Salut beauté, les affaires ne marchent pas fort on dirait.
Elle me fusille du regard.
-Il serait temps que tu t'occupes un peu de ton bar ! Depuis deux jours nous tournons au ralenti !
-Qu'est-ce qui se passe ?
-Cela t'intéresse, maintenant? II est vrai que la dernière fois, quand je t'en ai parlé, tu étais rond comme une bille !
Je lui attrape le bras. Je n'ai vraiment pas envie d'entendre ses reproches et je ne suis pas d'humeur à me laisser disséquer les entonnoirs.
-Ça va Laura, je suis désolé pour la dernière fois. Maintenant, parle !
Elle se dégage d'un geste sec.
-Il y a deux jours, un type est venu me trouver. Il est resté au bar une demi-heure sans prononcer un mot, devant son verre. Puis, lorsque nous avons été seuls, il s'est approché et m'a dit :
« Jolie installation que vous avez là, ce serait dommage qu'une bagarre, un soir, mette tout en l'air. Si j'étais toi, je chercherais à avoir la paix. Et pour ça, ton patron n'a qu'à verser une plaque de mille dols par semaine et on te garantit qu'il n'arrivera rien. »
Elle reprend d'une voix qui s'était faite plus douce.
-J'ai naturellement envoyé le type se faire voir. Depuis, le bruit circule qu'il va y avoir du grabuge au bar. Les clients évitent de revenir, ils ont peur.
-Je vais prévenir la police !
Je me ravise. Je n'ai aucune preuve, ils ne feront rien. Je me souviens d'un collègue qui était dans la même situation. Il a prévenu les flics. Un soir, des salopards sont venus chercher la bagarre. Total : la moitié du mobilier en l'air et lui à l'hôpital pour trois mois. L'affaire a été classée, les flics n'ont rien trouvé. Il faut dire qu'ils n'avaient pas beaucoup cherché.
-Randal, il faut que tu fasses quelque chose. Moi aussi je commence à avoir peur.
Je baisse la tête, impuissant. J'ai eu mon compte de séjours à l'hôpital. Je ne sais quoi lui répondre. Je n'ai qu'une envie : prendre un en-cas et monter me reposer. Je me dirige vers la cuisine pour me faire un sandwich, j'ai toujours eu horreur des distributeurs de rations alimentaires. En marchant, je sens sur mon dos un regard méprisant.
***
Une heure plus tard, je sors de mon appartement, descends l'escalier de service et traverse le bar. Pour éviter de ressasser mes problèmes, j'ai repensé au procès. Je crois que j'ai trouvé le petit détail qui me démangeait la cervelle. La pluie a cessé. Un timide rayon de soleil perce la couche de nuages. Après tout, la vie n'est pas si moche que ça. Je saute dans mon trans et je me rends au centre de communication : j'ai besoin de vidéophoner à des amis sur Terre I. Après avoir obtenu à l'arraché une place de parking, je me précipite pour dénicher une cabine vide et bouscule au passage une dame entre deux âges qui m'asperge de réflexions désagréables. Je lui dis d'aller voir ailleurs en lui donnant le mode d'emploi avec un luxe de détails.
Enfin tranquille, je fais mon appel longue distance et j'ai la chance d'avoir rapidement la communication, après avoir vidé ma dernière plaque dans ce vorace appareil.
Cinq minutes plus tard, je sors muni de mes renseignements. Il est deux heures et quart et je dois me démener pour arriver à temps au tribunal.
CHAPITRE IV
-L'audience est reprise, dit le juge. Je demande au capitaine Shell Cartling de bien vouloir revenir s'asseoir dans le fauteuil des témoins. Monsieur le procureur, avez-vous terminé votre interrogatoire ?
-Oui, Votre Honneur.
-Parfait. Contre-interrogatoire !
L.'avocat se lève, visiblement soucieux. Il n'a pas dû trouver un seul défaut dans la déposition de Cartling.
-Capitaine, est-ce le sergent Erikson qui vous a remis le revolver ?
-Oui, Maître, dans le bureau même, il m'a confié un viperlaser qu'il tenait enveloppé dans un mouchoir.
-L'arme était imbibée de graisse isolante ?
-Effectivement. Les usagers de ce type d'arme utilisent ce produit pour éviter les micro-décharges qui peuvent perturber le tir.
L'avocat reprend, l'air inquisiteur.
-Pensez-vous que cette jeune femme ressemble à un professionnel de la gâchette qui soigneusement graisse une arme qu'elle utilise pour la première fois.
-Objection, hurle Jenkins.
-Objection accordée, dit le robot-juge. Cette remarque ne sera pas consignée dans le procès-verbal.
L'avocat bedonnant reprend aussitôt.
-A-t-on relevé des empreintes digitales ?
-Bien entendu. J'ai personnellement apporté le paquet à mon collègue.
-Procédez-vous ainsi à l'ordinaire ?
-Non, Maître, mais étant donné l'importance de l'affaire, j'ai tenu à prendre un maximum de précautions.
-Le spécialiste des empreintes digitales, M. Burdan, déposera après le capitaine Cartling. Il est donc inutile de questionner le témoin à ce sujet, interrompt le procureur.
-Juste une question, reprend l'avocat. Etes-vous sûr que l'arme appartient au lieutenant Vickers ?
-Oui. Mais vous savez, restant très peu de temps en permission, il a dû laisser l'arme dans un coin et ne plus y penser.
-Ce sera tout. Merci capitaine. Mais je me réserve le droit de rappeler M. Cartling comme témoin de la défense.
Le capitaine va se lever, lorsque le robot-juge lui dit :
-Un instant je vous prie, quelqu'un a-t-il encore une question à poser au témoin ?
-Votre Honneur, s'il vous plaît !
Tous les regards se tournent vers moi.
-La Cour pourrait-elle demander au témoin comment il a identifié l'arme comme étant celle du lieutenant Vickers ?
-Facile, reprend le capitaine, le nom était gravé sur la crosse.
Quelques rires jaillissent de la salle.
-Pardon, mais ainsi vous ne pouvez identifier que la crosse et non le canon, et sur ce modèle, il est aisément démontable.
Le silence se fait brusquement. Rapidement, j'enchaîne :
-Avez-vous remarqué le numéro gravé sur le canon ?
-Bien sûr.
-A quoi correspond-il ?
-Au numéro de fabrication je suppose ?
-Mais vous n'avez pas vérifié !
-Non, mais tout est si clair.
Le procureur bondit.
-Je proteste contre cet interrogatoire, Votre Honneur, c'est une pure perte de temps. Le juré cherche uniquement à se mettre en vedette.
L'avocat se lève aussi. Mais, avant qu'il ne puisse parler, la voix métallique du juge se fait entendre.
-Monsieur Gardner, où voulez-vous en venir ?
-A ceci, Votre Honneur. Je crois savoir que la série dont fait partie l'arme n'a été mise en fabrication qu'il y a trois ans, soit quatre ans après la mort du lieutenant Vickers ! De plus, le canon est visiblement mal adapté à ce pistolaser.
Tel un diable sorti de sa boîte, le procureur se dresse et hurle : « Objection, objection ! » Mais il a du mal à se faire entendre au milieu des exclamations provenant de la salle.
L'avocat intervient aussitôt.
-Votre honneur, j'aimerais, vu les circonstances, poser moi-même quelques questions au témoin.
Le robot-juge les interrompt. « L'objection du procureur est repoussée », et à l'avocat : « Maître, je voudrais personnellement éclaircir cette histoire ».
-Capitaine, aviez-vous noté ce numéro ?
-C'est-à-dire je l'ai vu mais je n'ai pas vérifié à quoi il correspondait.
-Pourriez-vous avoir des renseignements précis sur la date de fabrication du pistolaser ?
-Certainement. J'aurais toutes les données en moins d'une demi-heure, le temps d'une communication en ondes accélérées vers Terre I.
-Bien. La séance est donc suspendue.
A la reprise de l'audience, la salle est comble. Maintenant une vive animation règne dans le coin du procureur. La figure de l'avocat reste impénétrable. Il tapote fiévreusement sur son communicateur portable.
Les coups de marteau du robot-juge amènent le silence.
-Capitaine, avez-vous trouvé les renseignements ?
Cartling transpire abondamment sur son siège.
-Oui, Votre Honneur. J'ai pu vidéophoner au directeur de l'usine. M. Gardner avait raison, le pistolaser est exactement sorti quatre ans et trois mois après le décès du lieutenant Vickers. L'arme faisait partie d'une livraison sur Terrania XXV. Mais peu de temps après, l'armurerie de la capitale de cette planète a été dévalisée. Les auteurs n'ont jamais été arrêtés. Ensuite, l'arme disparaît de la circulation jusqu'à aujourd'hui. Actuellement, il ne me semble pas douteux que l'échange a eu lieu avant que l'arme ne tombe aux mains de la police.
-Ce sera tout, capitaine.
Le robot-juge se tourne vers l'avocat.
-Avez-vous quelque chose à ajouter ?
-Oui, Votre Honneur. Capitaine, après l'arrestation de Mme Vickers, lui a-t-on fait subir un test d'irradiation résiduelle ?
-C'était inutile, elle avait l'arme entre les mains.
-Mais, cela ne prouve pas qu'elle venait de tirer, seul ce test aurait pu l'affirmer. Tous les pistolasers émettent au moment du tir une gamme de rayonnements ionisants qui irradient de manière caractéristique l'utilisateur ! Une simple analyse de Kirshov aurait pu prouver l'innocence de ma cliente.
Devançant une protestation du capitaine, l'avocat reprend.
-Et a-t-on testé les autres personnes présentes ?
-Non.
-Dommage.
Ce simple mot claque comme un coup de fouet.
Le robot-juge rompant le silence, ordonne de sa voix métallique.
-Vous pouvez vous retirer, capitaine. Le témoin suivant.
Jenkins se lève.
-Mon prochain témoin sera M. Dick Burdan, notre spécialiste des empreintes digitales.
Burdan est un grand type, maigre, au visage en lame de couteau.
-Avez-vous examiné l'arme déposée comme pièce à conviction numéro deux ? demande le procureur.
-Le capitaine m'a remis cette arme. Par la technique habituelle, j'ai relevé les empreintes digitales.
Je les ai ensuite comparées à celles de l'accusée. Elles concordent parfaitement.
Avec un projecteur tridimensionnel, Burdan montre tour à tour les deux séries d'empreintes et les superpose. Puis, il fait passer à la défense et au jury un double des épreuves.
Les clichés circulent parmi les jurés.
Le procureur se retourne vers le juge.
-Terminé, Votre Honneur, le témoin est à la disposition de la défense.
L'avocat reste quelques instants à examiner les clichés, puis s'avance vers Burdan. Ses yeux ressemblent à ceux d'un dogue d'Arcturus qui va déterrer son os préféré.
-Monsieur, devant ces clichés je constate que vous avez retrouvé : une empreinte du pouce sur la crosse, une empreinte de la paume, une empreinte de l'index sur la détente. Enfin des traces des autres doigts sur la crosse. Ces empreintes sont très nettes. Toutes proviennent de la main droite. Apparemment ma cliente a tenu l'arme par la crosse, n'est-ce pas ?
-Tout à fait exact. Maître.
-Ï1 n'y avait aucune autre empreinte sur l'arme ?
-Non, je l'ai vérifié.
-Pourtant les techniques nouvelles permettent de détecter des empreintes très anciennes ou bien des traces organiques, même si elles ont été effacées avec un chiffon.
-Oui, Maître. Mais, l'utilisation de graisse isolante fait disparaître les autres empreintes.
-Donc quelqu'un a pu se servir de l'arme et ensuite la graisser pour faire disparaître toute trace.
-Oui, Maître.
-Bon, pour nettoyer son arme, il faut en principe se servir de ses deux mains. Or, vous n'avez pas retrouvé d'autres empreintes ?
-Non, je vous l'avais déjà signalé.
-Ainsi celui qui a nettoyé l'arme devait porter des gants. Car si on l'avait posée puis reprise, il y aurait eu deux séries d'empreintes.
-Heu... cette question est un peu tendancieuse et...
-Pas du tout, répondez clairement. Si on avait touché cette arme une seconde fois, il y aurait eu une nouvelle série d'empreintes. Oui, ou non ?
-Oui, certainement.
-Donc, cette arme n'a été touchée à mains nues qu'une fois par ma cliente après avoir été nettoyée par quelqu'un qui portait des gants.
-Oui, apparemment.
-Merci, monsieur Burdan, mais je ne comprends pas bien comment ma cliente a pu pénétrer dans le bureau de M. Stracchino, sortir un énorme pistolaser, le graisser soigneusement avec des gants, le reprendre en main et tirer.
-Objection ! s'écrie le procureur.
-Objection retenue, dit le robot-juge. Maître, vous ne plaidez pas en ce moment, vous devez vous borner à poser des questions au témoin.
L'avocat incline la tête.
-Encore une question, monsieur Burdan. A-t-on relevé des empreintes sur le chargeur ?
-Non, c'est-à-dire je n'en ai pas recherché.
-Pourquoi ? Bien souvent, ceux qui nettoient soigneusement une arme oublient de mettre des gants pour la charger.
-Oui, quelques fois, mais... enfin...
L'avocat conclut, avec un large sourire.
-Il me semble qu'il y a beaucoup de fausses notes dans la mélodie de l'accusation. Trop de détails paraissent avoir été négligés.
Et il retourne s'asseoir.
-Pas du tout, s'exclame le procureur rouge de colère, on déforme à plaisir les faits et...
-Silence ! aboie le robot-juge. Je ne tolérerai pas ici des joutes entre les deux parties. Cela est néfaste au raisonnement des jurés. Encore une fois, Maître, vous ne devez qu'interroger le témoin.
-Ce sera tout. Votre Honneur.
Ainsi, l'acte d'accusation se déchire en lambeaux. Avant l'audition des témoins oculaires, les spécialistes ont été mis en échec. La théorie de l'avocat se défend très bien. Pour moi, il n'y a plus de doutes. Cory n'a probablement pas tué son patron ! Mais qui essaye de lui coller le meurtre sur le dos ?
Le juge lève alors la séance, après avoir fait les recommandations au jury. Je regarde encore une fois Cory. Au lieu d'avoir un air réjoui, une grosse ride lui barre le front. Cette fille est un mystère ; on jurerait qu'elle veut être condamnée !
CHAPITRE V
La pluie s'est remise à tomber et mon moral est au plus bas. Je monte dans mon trans et roule un peu au hasard pour me détendre les nerfs. En passant devant un des bars de l'avenue principale, l'envie d'une biture carabinée me taraude mais je sais bien que l'alcool ne me fera oublier ni le S.S.P.P. ni Diana.
La seule solution est de continuer à avancer. J'atterris près de mon logement de fonction qui se situe derrière L'Émeraude. L'air est frais, je rentre en évitant le bar.
Ce soir, je n'ai aucune envie de jouer les gérants. Laura va devoir se débrouiller sans moi... Comme d'habitude.
-Auriez-vous l'heure exacte, s'il vous plaît.
Je jette un coup d'oeil au chronographe de ma combinaison lorsque je sens une présence dans mon dos. Un grand type au front bas, bâti comme un ours de Véga, se tient derrière moi tandis qu'un homme très jeune, de taille moyenne avec un nez légèrement crochu me barre le chemin.
-Ecoute, mon vieux, tes remarques incessantes au tribunal font beaucoup de peine à quelqu'un. Cette affaire est pourtant simple.
Je sens les deux présences se rapprocher imperceptiblement.
-Dégagez, je ne suis pas d'humeur à subir un sermon.
-Allons, ne nous énervons pas, nous pouvons très bien nous entendre.
Bec d'aigle plonge sa main dans la poche de son grand manteau. Je réprime un soupir de soulagement lorsque je vois une dizaine de plaques dorées dans ses mains.
-Tu vois, on peut toujours s'arranger, reprend-il.
-Je vais y réfléchir, dis-je en essayant d'avancer.
Ce n'est pas que l'argent ne m'intéresse pas. Ces
10 000 dols peuvent me payer le voyage le plus indécent sur Vénusia. Mais je n'ai qu'une envie : retourner chez moi et mettre en route mon inducteur de sommeil.
-Je crois que monsieur ne veut pas se montrer raisonnable, grommelle l'ours dans mon dos.
Je tente de forcer le passage lorsque je sens un objet dur qui s'enfonce dans mes côtes. Avec une vivacité surprenante, Bec d'Aigle m'agrippe le bras et m'entraîne vers un trans en stationnement, dont la porte glisse automatiquement.
-Monte là-dedans. Un mot en trop et tu dégustes.
Ils grimpent rapidement à l'arrière et le trans décolle à un mètre du sol, puis s'élance dans la circulation.
-Qu'est-ce qui vous prend ? Vous vous êtes échappés d'un asile ou quoi ?
Le tube froid d'un pistolaser s'abat brutalement sur ma nuque.
Le chauffeur, un grand noiraud très fin aboie :
-Ferme-la, ça te changera ! On trouve que tu as vraiment une trop grande gueule ! De quoi te mêles- tu au tribunal ? Si tu crois qu'un abruti de ton espèce va foutre en l'air une combine aussi bien ficelée.
-Tu parles trop, Sylvio, dit Bec d'Aigle derrière moi.
Le silence retombe. Le chauffeur conduit rapidement mais s'infiltre parfaitement dans la circulation assez dense, encombrée par des poids lourds frigorifiques des transporteurs de viande. Un cargonef spécialisé doit partir demain. Serais-je encore vivant pour voir le jour se lever ?
J'essaie de retourner un peu la tête pour accrocher le regard d'un passant, lorsque je reçois un coup derrière l'oreille. C'est avec le canon de son flingue que l'ours m'a fait ce cadeau. Toute une constellation d'étoiles me passe devant les yeux, puis la douleur vient, lancinante. Je souffle bruyamment, luttant contre la soudaine torpeur qui m'envahit. Lointaine, la voix de l'ours me parvient. « Je t'avais dit de ne pas bouger. »
Au bout de quelques instants, la douleur diminue.
-Où allons-nous ?
-Dans un coin tranquille où l'on peut se débarrasser des petits curieux de ton genre.
Un frisson me parcourt l'échiné, puis je me mets à transpirer abondamment.
-Mais pourquoi ? Qu'est-ce que je vous ai fait ?
Sylvio se met à rire.
-Tu entends, Micky, il a les foies. Il n'avait qu'à gentiment accepter ton offre généreuse. Déjà que le patron était furax, ce soir.
Nous sommes sortis de la ville et le trans roule beaucoup plus vite. Il n'y a pas de doute : ces gars-là sont sérieux et ce soir, c'est mon tour. Au moins, comme cela, plus la peine de me donner du mal à essayer d'oublier. Tout à coup, quelque chose se rebelle en moi. Un éclair me traverse la cervelle : Cory. Elle risque la chambre de désintégration, elle a besoin d'aide. Son avocat n'arrivera jamais à la sortir de là, surtout si des jurés acceptent des propositions aussi tentantes. Non, je ne veux pas qu'elle meure ! Cette idée s'impose à mon esprit, chassant toutes les autres.
Un ressort joue en moi, qui raidit mes muscles. J'ai vu en huit ans de carrière au S.S.P.P. tous les massacres, tous les carnages. Pour les besoins du service, j'ai été mêlé de près aux pires génocides, aux plus atroces pillages. J'ai vu trop de femmes mourir...
Pour sauver sa peau dans ce genre de situation, un agent subit un entraînement extrêmement poussé. J'ai appris à maîtriser toutes sortes d'armes, du simple canif au désintégrateur lourd. Les techniques de combat au corps à corps les plus efficaces m'ont été enseignées et je crois ne pas avoir été un mauvais élève.
Le petit colon gérant de bar, tremblant de peur, vient de mourir. A sa place, le lieutenant Gardner du Service Action vient de renaître. Je m'oblige à respirer profondément plusieurs fois et examine froidement la situation. Le trans suit maintenant les bornes radio balisant la piste qui mène à la mer. Les projecteurs ont du mal à percer la nuit sans lune, rendue encore plus opaque par la pluie fine.
Soudain, le pilotage assisté prend fin avec la dernière balise. Le conducteur se crispe sur le volant, les yeux rivés devant lui. Derrière, Micky fume, imperturbable, un mélange d'herbes de Terrania XV. Pas nerveux, froid, c'est sans doute le plus dangereux des trois.
Je romps le silence, essayant de donner à ma voix la même intonation chevrotante que tout à l'heure.
-Est-ce que je peux fumer aussi ?
Micky hésite et me lance son étui sur les genoux.
-La dernière ! s'esclaffe-t-il.
Je prends une cigarette et l'allume avec le briquet du tableau de bord, pour qu'ils s'habituent à voir remuer mes mains. J'aspire voluptueusement la fumée apaisante, puis avale les dernières bouffées rapidement.
La piste est de plus en plus imprécise, et le paysage désertique. De chaque côté, des petits rochers alternent avec des arbustes et des joncs. Fameux décor pour la partie de cache-cache que je prévois. J'écrase ma cigarette ; il est temps d'agir. Je prends une nouvelle cigarette dans l'étui et me penche en avant pour l'allumer. Brutalement, je balance un coup de pied dans les jambes du chauffeur, puis écrase la pédale de décélération, en braquant le volant. Le trans glisse sur le côté, en ralentissant au maximum, et s'immobilise contre un rocher. Avant même qu'il soit arrêté, j'ai ouvert la portière et je me catapulte au-dehors, roule sur le côté, me relève et file droit sur une trentaine de mètres. J'oblique un peu et me planque derrière un rocher. Micky sort le premier du trans, et tire deux fois au jugé dans ma direction. L'ours s'extrait à son tour, jurant tout ce qu'il sait. Le chauffeur, Sylvio, sort en se tenant le ventre des deux mains, le volant ayant dû lui fracturer une ou deux côtes.
Presque inconsciemment, je ramasse un peu de boue et l'applique sur mon visage, et les parties claires de ma combinaison de sortie. Là-bas, Micky engueule ses acolytes.
-Bande d'abrutis, vous l'avez laissé filer. Des amateurs n'auraient pas fait mieux ! Il faut le rattraper en vitesse ! Il ne peut pas être loin, sûrement planqué derrière un rocher, tremblant de tous ses membres.
Erreur Micky, je ne tremble pas, et je verrai ta tête lorsque je serrerai lentement mes mains autour de ton cou, à la manière primitive, pour que tu sentes bien la mort venir.
-Attention, on va se déployer. Sylvio, tu cherches devant ; Tom, tu prends à droite et moi à gauche. Tirez sans sommation, on n'a plus besoin d'être discret.
Ainsi, l'ours s'appelle Tom. Tant pis Tom, c'est toi qui vas mourir, puisque tu te diriges dans ma direction. Je ne le vois pas encore, car il fait sacrément noir, mais je l'entends marcher, heurter les obstacles et jurer à chaque faux pas. Mauvais, Tom, un bon combattant doit être beaucoup plus silencieux que cela. Tu ne feras qu'un bon cadavre !
Je distingue maintenant sa silhouette, main crispée sur son laser Cobra 18. Il m'a dépassé sans me voir et me tourne le dos.
C'est fini, Tom, plus que quelques secondes.
J'attaque férocement et, avant qu'il ait pu crier, mon poing s'abat sur sa nuque, puis mon bras le cravate, lui écrasant le larynx, mon genou se cale au creux de ses reins. Une traction, la colonne vertébrale résiste, puis craque brutalement. Peu de bruit, pas un cri, du travail sans bavure. Je ramasse à tâtons le pistolaser.
Un frémissement joyeux me parcourt l'échiné lorsque je sens la crosse dans ma main. Le calibre de près de deux centimètres est impressionnant et l'arme est un peu lourde, mais d'une puissance effrayante.
Rapidement, je fouille le type, j'empoche son étui porte-plaques et ses clés magnétiques car j'aurai besoin d'indices pour poursuivre mon enquête. Puis, je m'éloigne de quelques pas et me mets à l'affût derrière un rocher.
Un pas lourd se rapproche, Sylvio sans doute. Il tient dans sa main un mini projecteur qu'il allume par intermittence.
Très dangereux, Sylvio, tu es une cible parfaite.
Brusquement, le faisceau lumineux éclaire un corps.
-Le voilà, je l'ai retrouvé ce salaud, s'écrie-t-il en s'approchant à grandes enjambées.
Je ne tire qu'une seule fois, avant qu'il n'ait le temps de s'apercevoir de son erreur. Il s'écroule sans bruit, le cerveau percé d'un trou net et fumant. Je m'approche, ramasse son pistolaser, un modèle extra- plat, et vide ses poches dans les miennes.
Reste encore Micky, le plus dangereux. J'ai beau ouvrir grandes mes oreilles, je n'entends rien, en dehors du bruit de la pluie. Il sait marcher silencieusement !
-Tom ! Sylvio !
L'appel tout proche me fait sursauter. Instinctivement, je me retourne, je tire, et me jette à plat ventre. Quel crétin j'ai été de me dévoiler ! La riposte vient immédiatement. Deux jets rouges et stridents passent tout près. Il sait aussi tirer !
Je reste immobile. A ce jeu-là, le premier qui bouge a toutes les chances de perdre. Les minutes s'écoulent lentement. Je sens la pluie pénétrer lentement ma combinaison par le cou. Il fait toujours aussi noir. Très lentement, ma main gauche explore le sol jusqu'à ce qu'elle rencontre une pierre. Avec d'infinies précautions, je l'arrache du sol et la lance à une dizaine de mètres sur ma gauche.
Au bruit qu'elle fait en retombant, Micky, sans doute trop tendu, lâche trois jets dans cette direction. Instinctivement, je tire une dizaine de fois là où j'ai aperçu le début du jet rouge. Un hurlement, puis le silence.
Cette fois, je suis sûr de l'avoir touché. Je m'approche avec précaution, mais c'est inutile ; je bute contre son corps et le retourne. Pour un habitué des armes primitives, ce n'est pas si mal. Quatre gros trous au moins lui décorent la poitrine, et une des mains est arrachée.
A tâtons, je retrouve les deux autres corps. Je redonne son gros calibre à Tom, l'autre pistolaser à Sylvio, après les avoir soigneusement essuyées. A la police locale d'expliquer l'histoire à sa façon !
Je siffle une chanson de cosmatelots en retournant vers le trans. Il n'a pas souffert de l'accident et accepte de redécoller.
Je me regarde dans le miroir intérieur. Mon visage n'est pas trop marqué, à l'exception d'une bosse de la taille d'un oeuf de pigeon derrière l'oreille gauche. Bien joué, lieutenant Gardner !
CHAPITRE VI
Il est neuf heures passées lorsque je regagne mon appartement. J'ai abandonné la voiture après avoir effacé mes empreintes.
Je suis sous la douche depuis dix minutes lorsque le vidéophone sonne.
-Bonsoir, monsieur Gardner.
Je reconnais la figure de l'avocat de Cory.
-Bonsoir.
-Je m'appelle Pat Yung. Vous savez que je suis le défenseur de Mme Vickers. J'ai pas mal réfléchi et j'aimerais vous voir. Oui, je sais, ce désir peut vous paraître insolite. Si le Conseil de l'Ordre Galactique l'apprenait, j'aurais de graves ennuis. Cependant, après avoir hésité jusqu'à maintenant, je me suis décidé à faire cette démarche. A l'audience, vous êtes intervenu et j'ai l'impression que le sort de cette pauvre fille ne vous est pas indifférent. Dans l'intérêt de ma cliente, j'aurais peut-être quelque chose à vous confier.
Il parait sincère et vraiment désireux de me voir.
-Ecoutez, lui dis-je, nous ne pouvons nous rencontrer dans un lieu public, un journaliste risquerait de nous reconnaître. Le plus simple est de venir chez moi.-Je serai là dans une petite demi-heure.
-Attention, vérifiez bien que personne ne vous suit. Il faut tout prévoir : arrêtez-vous à une certaine distance de mon immeuble.
Je lui rappelle mon adresse puis raccroche.
Bizarre, tout de même, et totalement illégal. Cette idée me plaît. Si le procès tourne mal pour Cory, collusion avocat-juré, un beau cas de cassation. En attendant cet avocat de malheur, j'enfile une combinaison et me rue vers le distributeur automatique car je n'ai pas encore eu le temps de dîner. J'absorbe rapidement la pâte insipide qu'il me crache dans une assiette en plastique. Immédiatement, l'impression de faim cesse. Je préfère nettement les sandwiches qui sont vendus à mon bar juste en dessous de l'appartement mais je n'ai pas le temps d'y descendre, d'autant que Laura risque de m'obliger à faire mon travail de gérant. Je prépare whisky, glace et verres et les dépose dans la salle de séjour.
Puis, fouillant dans le compartiment de ma valise, je sors mon couteau et j'attache l'étui sur mon avant- bras gauche. Après mon aventure de ce soir, je veux éviter de nouvelles surprises. Mais j'ai franchement intérêt à chercher un équipement plus sérieux car je doute que ma lame impressionne une bande de malfrats.
Il me reste du temps avant l'arrivée de mon invité. J'en profite pour vider les poches de mon ancienne combinaison et en retire une foule d'objets. Ce que j'avais ramassé sur Tom, Micky et Sylvio. Un radio- écouteur, un mince briquet plaqué or. Dans les affaires de Sylvio, je trouve un trousseau de clefs magnétiques que je mets de côté. Restent les portefeuilles que je vide de leur contenu. En tout, je retire 14 000 dols en plaques, une sacrée somme, mais aucun papier, excepté une petite feuille où est écrit : « Jenny Moon, 185 rue Tupolev ». Je note l'adresse dans un coin de ma cervelle.
Je planque le magot sous le canapé relaxant, lorsque la sonnette retentit.
-Bonsoir, monsieur Gardner, j'espère ne pas vous avoir fait trop attendre.
-Non, ça va, entrez.
L'avocat bedonnant me suit dans la salle de séjour. Il paraît assez jeune, les yeux bridés et les cheveux collés sur son front par la pluie. Son visage est encore plus inexpressif qu'au tribunal. Seul son regard vif contraste avec sa bonhomie apparente.
-Votre whisky, avec ou sans eau ?
-Avec, puisque vous en avez sur la table.
Je prépare deux verres bien tassés car j'ai aussi besoin d'un remontant.
-Monsieur Gardner, ma situation est assez délicate. J'aimerais d'abord vous poser quelques questions. J'espère que vous n'y verrez pas d'inconvénient.
-Envoyez les questions, je déciderai ensuite.
-Actuellement, vous travaillez comme gérant du bar L'Émeraude. Je me suis un peu renseigné sur vous. Je sais que vous étiez membre du Service Action du S.S.P.P., que vous avez été grièvement blessé en mission et que la commission de non-immixtion vous a suspendu ; pourquoi ?
Les souvenirs sont durs à remuer, mais aujourd'hui, je me suis fixé une tâche et plus rien ne compte en dehors d'elle. Je hausse les épaules et commence mon récit.
-J'effectuais une mission de routine sur une planète primitive du type fin de renaissance ; là-bas j'ai découvert le véritable sens du mot génocide. Un roi exterminait avec la plus grande cruauté les peuplades du Nord de son royaume. Las de ces tueries, j'ai accepté de suivre un petit groupe de rebelles que j'avais rencontré.
« Au cours d'une embuscade qu'ils tentaient contre le despote, je me suis retrouvé face à lui. C'était un redoutable escrimeur et mon champ protecteur avait shunté. Contre toute logique je n'ai pas fui. La fierté, peut-être, comme l'a démontré mon accusateur devant la commission disciplinaire, ou le trop grand nombre de cadavres d'hommes, de femmes et d'enfants torturés. Toujours est-il que je me suis précipité sur lui. Un tel monstre n'avait pas le droit de vivre ! Occupé ailleurs, mon androïde ne pouvait intervenir.
« Longtemps, l'issue du combat fut incertaine, de nombreuses estafilades me striaient le corps. Parades, feintes, ripostes, je réagissais par réflexe, comme une machine bien huilée par des années de service. Après une dernière botte, le roi s'est jeté sur moi et nous nous embrochâmes. Mon épée lui avait traversé le coeur, il mourut sur le coup.
« L'annonce de sa fin donna la victoire aux rebelles. Mon androïde me transporta aussi vite que possible au bloc médical de l'aviso mais le sabre du souverain avait transpercé le poumon et abîmé l'aorte. Un nouveau combat m'attendait. Rapatrié sur terre, je suis resté trois mois dans le coma. A mon réveil, j'ai appris que la commission m'avait suspendu pour avoir volontairement changé le cours de l'histoire de la planète. Observer, participer à la vie quotidienne mais ne jamais intervenir, telle est la devise de ces technocrates qui n'ont jamais mis un pied en dehors d'un bureau.
«Trois jours plus tard, une lettre de ma femme m'annonçait qu'elle voulait divorcer et qu'elle avait tout réglé pendant mon hospitalisation. Voilà comment je suis devenu gérant d'un bar dans ce trou paumé. Etes-vous satisfait maintenant ? »
-Entièrement. Puisque vous avez répondu spontanément, je serais franc avec vous : j'ai besoin d'aide. Je suis comme vous originaire de Terre I. Après un procès difficile, la mafia m'a pris dans le collimateur et un contrat sur ma tête m'a vite fait comprendre qu'il valait mieux pour moi émigrer dans les nouveaux mondes. Je viens juste de débarquer et l'affaire Vickers, pour laquelle j'ai été commis d'office, est ma première grosse affaire. Si je réussis, ma position est assurée, si j'échoue, je n'ai plus grande chance de faire carrière sur cette planète. Vous comprenez ma position ?
-Bien sûr, mais continuez.
-Comme je vous l'ai dit, je viens à peine d'arriver et je ne connais personne dans cette ville. J'ai alors essayé d'engager un détective privé pour me seconder, mais aucun n'a daigné me répondre. Ensuite, je me suis rendu compte que je suis toujours suivi et, d'après ce que j'ai compris, un mot d'ordre a été donné par la mafia ; personne ne doit me donner le moindre renseignement sous peine d'avoir de graves embêtements.
Comme mon physique est assez caractéristique, j'ai du mal à mener une enquête discrète. Voilà pourquoi j'ai besoin de vous.
-Je ne vois pas très bien ce que je peux faire pour vous, mais je vais tâcher de vous aider, monsieur Yung.
-Merci. Au fait, je m'appelle Pat.
-O.K. Pat, on va se mettre tout de suite au travail. Avant, dites-moi, avez-vous encore été suivi ?
Pat a un petit air amusé.
-Naturellement, et j'ai même eu beaucoup de mal pour le semer. Après un véritable slalom dans la ville, il a décroché à un carrefour pour s'abîmer dans un trans frigorifique. Par sécurité, j'ai fait plusieurs détours, mais personne n'était plus accroché à mon arrière-train. Je me suis garé à deux blocs d'ici ; j'ai fait le reste du chemin à pied.
-Beau travail, Pat. Je voudrais vous poser encore une question. Croyez-vous à l'innocence de Mme Vickers ?
-Franchement, Randal, je ne le sais pas. Au début, et jusqu'à votre intervention, elle me semblait coupable. Mais après l'histoire du pistolet trafiqué et des empreintes, je suis sûr que non. De plus, la mafia est mêlée de trop près à cette histoire pour que l'affaire soit simple. J'ai l'impression que nous avons mis les dents sur un sacré morceau et beaucoup trop de personnes voudraient qu'on le lâche.
-Mais elle, que dit-elle ?
-Rien, strictement rien, c'est ce qui est le plus agaçant. Un mur, que dis-je, je me heurte à une véritable barrière de plasto-titane ! Malgré mes supplications, mes menaces, je n'ai pu tirer un seul mot de cette fille. Elle reste muette, les yeux baissés et elle pleure.
-Mais pourquoi ?
-Je l'ignore totalement.
-Commençons par le début et racontez-moi tous les détails. Jusqu'à ce matin, j'ignorais tout de l'affaire.
-Je n'ai guère eu plus de temps. Au début du procès mon dossier était aussi mince que la cervelle d'un agent du fisc.
-Allez-y pendant que je remplis les verres.
Pat réfléchit quelques instants.
-Voilà d'abord les renseignements que j'ai pu recueillir sur Cory Vickers, O'Neil de son nom de jeune fille. Elle a vingt-six ans. Son père est mort il y a huit ans, sa mère un an plus tard, ne laissant pratiquement rien à ses enfants. Cory dut interrompre ses études et travailler pour pouvoir élever sa soeur Shirley qui n'avait qu'un an et demi à cette époque.
L'avocat porte le verre à ses lèvres puis poursuit :
-Elle fut d'abord serveuse dans un snack-bar. Quelques mois plus tard, elle fit la connaissance du lieutenant Vickers et l'épousa. Il l'installa ici avec sa soeur, louant pour elles un deux-pièces. Il revenait quand il le pouvait pendant ses permissions. Six mois plus tard, il partit pour une mission dont il ne revint pas. Cory en fut très affectée. Mais comme la pension du gouvernement ne pouvait suffire pour elle et Shirley, elle recommença à travailler. Comme il est assez dur de trouver un emploi dans notre ville, elle dut se résigner à être serveuse au Paradise Club malgré sa mauvaise réputation. Comme elle était très jolie, on l'embaucha aussitôt. Elle occupait toujours leur appartement avec Shirley et rentrait tous les soirs. L'accusation a fait courir le brait qu'elle était la maîtresse de Luiggi Stracchino mais il n'y a aucune preuve. Enfin aucune histoire jusqu'au 23 septembre dernier.
Il s'arrête et boit une nouvelle gorgée.
-Venons-en à la soirée du meurtre. L'après-midi, Cory s'est comportée normalement. Elle est allée promener Shirley et elles sont revenues toutes les deux à cinq heures. Cory a préparé le dîner et a ensuite couché sa soeur, puis elle est partie au Paradise comme chaque soir. Personne n'a rien signalé d'insolite dans la boîte, la loi du silence doit être une de leur règle d'or. Dès que j'apparaissais, je faisais le vide. Plus personne ne voulait m'approcher. Donc, à partir de l'entrée de Cory au club jusqu'à trois heures du matin, au moment où elle pénètre dans le bureau de M. Stracchino, c'est le trou noir. Voilà, c'est tout.
-Non, que s'est-il passé ensuite ?
-Eh bien... Les flics ont appelé du renfort. Toute l'équipe est arrivée, Cory a été emmenée et écrouée, puis le procureur l'a inculpée de meurtre après avoir entendu les dépositions de Jack Malcom et de Dave Hart. Les mobiles sont la jalousie et la vengeance, car des bruits persistants font de Cory la maîtresse de Stracchino. Comme il allait la larguer, elle s'est mise en rogne et elle a tiré. Je n'ai pu avoir aucun tuyau. Cory refusant de prendre un avocat, j'ai été commis d'office.
-A-t-elle fait une déclaration à la police ?
-Non, aucune. C'est d'ailleurs son mutisme qui a décidé le capitaine Cartling à la croire coupable et à bâcler son enquête ; d'ordinaire, il paraît que c'est un bon flic.
-Qui s'est occupé de Shirley ?
-Cory a daigné déclarer qu'une amie l'avait conduite dans une pension, aux environs. Elle ne voulait pas que sa soeur assiste à son procès, et a préféré l'éloigner.
-Maintenant, pourriez-vous me parler un peu du Paradise.
-C'est la boîte la plus chic du coin. La cuisine est excellente avec du véritable steak de zelac, le groupe de musiciens qui anime les soirées est bon et les attractions toujours de premier choix. De plus, si vous êtes seul, vous pouvez toujours trouver une âme soeur, mais tout ceci avec beaucoup de discrétion. Enfin, si vous êtes honorablement connu au club, vous pouvez pénétrer dans la partie privée, pour avoir accès aux tables de jeu. Bien sûr, le jeu est interdit dans la ville, mais la police ferme les yeux. Personne n'a jamais pu prouver qu'il existe d'autres combines. Des bruits circulent sur la drogue et le racket mais sans l'ombre d'une preuve.
Je le coupe.
-D'une façon générale, j'ai des tuyaux plus sérieux que les vôtres. Je peux affirmer qu'il existe un racket rançonnant de nombreux établissements de la ville et notamment les bars, dont le mien. Lorsqu'un membre de la pègre se fait descendre, il y a toujours du flottement avant qu'un autre ne prenne sa place. Ici, tout s'est fait en douceur comme si la mort de
Stracchino était prévue. Ce crime passionnel tombant aussi à propos est une drôle de coïncidence.
Je reprends ma respiration.
-Mais pour moi, la preuve formelle est dans la balade que j'ai faite ce soir.
-Vous avez enquêté après l'audience ?
-Non, les preuves sont venues à moi. Vous avez pris des risques en venant tout me raconter, je vais vous tranquilliser en me mettant aussi à votre merci.
Je lui fais le récit de mon enlèvement, il en reste bouche bée.
J'en profite pour remplir les verres.
-Mince vous n'y allez pas de main morte. Trois cadavres, ça va faire du raffut. Le problème se complique maintenant car on ne peut plus s'en remettre aux jurés, s'ils sont tous corrompus. Il faut que l'accusation abandonne les charges ou Mme Vickers est perdue.
Il se lève, tourne autour du canapé relaxant pour réfléchir.
-Je commence à croire que j'ai bien fait de venir vous trouver. Au téléphone, je vous ai dit que j'avais besoin de quelqu'un. Etes-vous toujours d'accord pour m'aider ?
-Bien sûr.
Il se rassoit, visiblement soulagé.
-Le témoin principal de l'accusation est le dénommé Dave Hart. Il a vu Mme Vickers entrer dans le bureau de son patron quelques instants avant le déluge de feu. Il affirme que son patron était seul et que personne d'autre n'est entré. Mais ce personnage ne m'inspire aucune confiance. J'ai cherché à en savoir plus sur lui et je n'ai rien trouvé, absolument rien.
-Un type comme lui a sûrement dû être accusé de broutilles comme des voies de faits et violences, dis-je narquois.
-Je vous le certifie, son casier judiciaire est vierge. Tout ce que je sais, c'est qu'il est arrivé sur Terrania XXXVI il y a un peu moins d'un an, mais auparavant, le vide total. Un véritable citoyen modèle. Il me faut absolument en savoir plus, sinon je ne pour- tai jamais mettre sa parole en doute. J'ai malgré tout réussi à avoir une information. Hart va régulièrement au Flamenco, un cabaret, rencontrer sa maîtresse. C’est tout ce que je sais et cela m'a même coûté une plaque de cent dols. Voilà où vous intervenez : vous allez vous rendre au Flamenco et obtenir un maximum de renseignements. Si j'y vais, on me reconnaîtra immédiatement et les bouches se fermeront.
-Pas de problèmes, je connais ce cabaret, il a mauvaise réputation comme tous ceux qui se situent près de l'astroport. J'y suis déjà allé, la boisson est correcte et sur une estrade s'enchaînent chansons et stripteases. Je connais quelqu'un qui pourrait même me filer des tuyaux : un ancien contrebandier, Tex Harper, avec lequel j'ai pris quelques cuites. Il y est quasiment tous les soirs.
Tout était dit. Je lui serre la main et il me rappelle son numéro de vidéophone et son adresse.
CHAPITRE VII
J'arrête mon trans à deux rues du cabaret. Il est onze heures, Tex est sûrement déjà arrivé. Il s'ennuie comme un rat mort depuis qu'il a quitté son dangereux métier. L'espace est sa seule véritable passion, je crois qu'il aurait mille fois préféré mourir dans les étoiles au lieu de prendre sa retraite dans ce trou. II y a dix ans, j'étais jeune promu, tout juste sorti de l'école astronautique et j'ai été affecté à la première escadre d'intervention galactique alors chargée de la chasse aux pirates. Lors de ma seconde mission, nous avons traqué pendant des semaines un astronef contrebandier. Il nous a entraîné à travers les coins les plus dangereux de la nébuleuse d'Orion, entre les ceintures d'astéroïdes, les trous noirs et les nuages ionisés. A la fin, notre aviso était dans un si piteux état que nous avons dû abandonner la poursuite. Tex était ce contrebandier et il paraît que c'est l'un de ses meilleurs souvenirs, alors forcément, cela crée des liens. Depuis que nous nous sommes rencontrés et avons pris cette cuite mémorable, il m'a à la bonne.
Je pénètre dans une vaste salle en gradins entourant une scène sur laquelle se déroulent les attractions et fonce vers le bar m'installer sur un tabouret. Je commande du kwa à un barman pas trop accommodant. C'est une sorte de bière peu alcoolisée. En buvant tranquillement, j'observe discrètement la salle. Tex, un petit type aux cheveux grisonnants, se tient à une table du fond. Il y a déjà deux cadavres de bouteilles sur sa table. Le connaissant, il n'a pratiquement encore rien bu, c'est même la première fois depuis longtemps que je le vois aussi sobre. Son regard est encore alerte. Il n'a pas choisi cette place par hasard. De là où il est, il peut observer toute la salle. Je prends mon verre et je vais m'affaler sur le siège qui fait face au contrebandier.
-Bonsoir Tex.
-Salut petit, tu as bien fait de passer, je voulais justement te parler.
Il appelle la serveuse et lui commande une bouteille.
-Aujourd'hui, tu as fait un drôle de gâchis, au tribunal. Ton intervention a quasiment relancé le procès. Ce qui est beaucoup plus grave, ce sont les bruits qui commencent à circuler à ton sujet. « Ils » t'en veulent drôlement et j'ai même entendu dire que tu étais marqué pour l'abattoir. C'est mauvais, lorsque de telles rumeurs se propagent, il est bien rare que le gars en question vive longtemps.
-Mais peux-tu me dire qui sont ces « ils », Malcom et sa bande ?
-Pire, gamin, des gens de Terre I sont arrivés avec le cargo d'hier. Ce sont des durs, leur venue est pour le moins inhabituelle.
-Pourtant, je n'ai pas fait grand-chose, et leur venue était déjà prévue deux semaines auparavant.
-C'est ce qui m'inquiète, fiston, cette affaire m'a paru louche dès le début, « Ils » veulent que cela se termine très rapidement, va savoir pourquoi ! Tu devrais te mettre au vert pour quelque temps.
Mon regard se perd dans le vide, je réponds d'une voix ferme.
-Non, je ne peux pas.
-Tu as tort, mais si tu as besoin d'anges gardiens, passe chez moi demain midi. Il me reste quelques caisses du chargement que j'ai transporté sur Albiréo, pendant la révolte des mineurs.
Il prend un air rêveur, et repense sûrement à ses bons vieux souvenirs de contrebandier. Puis, il relève la tête.
-Maintenant petit, dis-moi pourquoi tu es venu me voir. Ce n'est pas pour te saouler, tu n'as pratiquement pas touché à ton verre.
-J'étais venu chercher certains renseignements.
Il émet un triste sourire.
-Tu sais que personne ne doit te parler sous peine d'avoir de sérieux ennuis.
Son regard se durcit, il observe les alentours d'un air de défi.
-Mais personne ne dit au vieux Tex Harper ce qu'il doit faire, personne ! Je serais heureux si je pouvais t'aider.
-Tu connais un certain Dave Hart ?
-Oui, il vient de temps en temps ici. C'est un des hommes de main de Malcom. Méfie-toi, c'est un homme dangereux. Je crois même qu'une des chanteuses du Flamenco est sa maîtresse, ils sont venus ensemble de Terre I.
-Tu pourrais savoir laquelle et me passer son adresse ?
-Pas de problème, mais cela risque de coûter un max.
Je sors de ma poche quatre plaques de cent dols qui étaient dans les portefeuilles des malfrats qui m'ont attaqué. Tex émet un sifflement.
-Je crois que cela va suffire. Attends-moi, j'en ai pour cinq minutes.
Il se lève et se dirige vers les coulisses. Le temps de recommander du kwa et de vider mon verre, il est déjà de retour. Il me glisse un bout de papier. « Polly Moor, 12 rue Colombia, troisième étage ».
-Pas la peine de me remercier, mais grouille-toi de partir avant qu'on se fasse trop remarquer.
J'empoche l'adresse et file sans demander mon reste. Mon trans m'attend bien sagement, un coup d'oeil à la carte vidéo et je me dépêche d'atteindre l'immeuble qui m'intéresse. Un bref appel sur mon terminal d'information touristique m'informe que Polly est sur scène entre minuit et une heure. J'ai peu de temps pour enquêter. J'arrive enfin devant le palier. La porte d'entrée est verrouillée et j'essaye toutes les clefs magnétiques que j'ai piquées sur le cadavre de Sylvio. Par chance, une d'elles semble être la bonne, je l'insère, un déclic et la porte s'ouvre sur un petit appartement. Il est déjà une heure moins dix et Polly risque de revenir d'un instant à l'autre. Il y a deux pièces, la salle de séjour et la chambre, qui sont décorées sans trop de mauvais goût. Dans la chambre à coucher, un gigantesque lit prend les trois-quarts de la pièce. Quelques photos d'une très jolie fille, probablement Polly elle-même, sont accrochées au mur. Je fouille pendant un quart d'heure dans ses papiers sans trouver quoi que ce soit d'intéressant. Je suis sur le point d'abandonner quand une photo de Polly, située sur la table de nuit, attire mon attention. L'image est remarquable et il me semble reconnaître l'arrière-plan. Je la sors de son cadre. Le petit caractère en bas me confirme que la photo a été faite sur Terre I. Au dos, une dédicace : A mon amour, signé Bud Delani. Ce nom me dit quelque chose ! Enfin un début de piste. Delani ne peut être que Hart, car je l'imagine mal conserver une dédicace d'un autre soupirant. Dave aurait donc changé de nom et sûrement de visage. Il faut que je contacte Marc, qui a de nombreux amis à la Sécurité Galactique. Il me donnera de plus amples renseignements. Vu l'heure et compte tenu de la fenêtre horaire entre les deux planètes, je vais devoir attendre cinq heures avant de pouvoir le contacter. Je remets rapidement l'appartement en ordre et referme la porte derrière moi.
CHAPITRE VIII
Un visage apparaît sur l'écran du vidéophone.
-Marc, enfin ! J'ai eu un mal fou pour te joindre.
Son sourire ironique étire ses lèvres.
-Oui, j'essaye de nouveaux propulseurs sur le Mercure. Ils sont réellement fantastiques. Pas étonnant qu'à la vitesse où nous naviguions, la balise ait eu du mal à se caler sur notre émetteur. Je suis heureux d'avoir de tes nouvelles. Comment vas-tu ?
-Depuis que tu m'as procuré cette sinécure sur Terrania XXXVI, j'ai eu quelques problèmes : je suis juré dans un procès et j'ai l'impression que quelqu'un veut truquer la partie. Toi qui as des relations à la Sécurité Galactique, pourrais-tu m'obtenir des informations ?
-Dis toujours ce que tu veux savoir !
-J'ai besoin d'avoir le casier judiciaire et tous les dossiers concernant un certain Bud Delani.
-Je devrais obtenir tes renseignements sans trop de problèmes, l'amiral Neuman me doit un service. Rappelle-moi dans cinq minutes. Je vais stabiliser mon astronef pour que tu arrives à me contacter plus facilement.
***
Quelques minutes plus tard, je sors comme un fou du centre de communication galactique. Il est déjà huit heures et demie, je n'ai plus le temps d'appeler Pat, il va avoir une belle surprise au tribunal.
J'arrive juste à l'heure au Palais, et rejoins les autres membres du jury que je salue d'une inclinaison de la tête. Je souris en imaginant la tête que ferait la vieille dame tri-implantée à côté de moi si elle savait que j'ai liquidé trois tueurs hier soir. La salle me paraît moins triste. Le procureur déjà assis à sa table, sourit aux journalistes ; il a l'air sûr de lui. Je lui réserve une sacrée surprise. Pourvu que j'aie vu juste, sinon Cory est perdue !
Pat est de l'autre côté ; les traits tirés, son regard se perd dans le jury. Je lève furtivement mon pouce et cligne des yeux. Il doit avoir compris puisqu'il détourne aussitôt le regard. Il semble légèrement plus décontracté. Cory, non loin de lui, est toujours aussi pâle, aussi belle... Elle semble résignée, indifférente, lointaine.
-Messieurs, la Cour.
Nous nous levons, pendant que le robot-juge gagne sa place en glissant doucement sur le parquet. Sa voix métallique résonne dans toute la salle.
-L'audience est reprise. Monsieur le procureur, vous pouvez appeler vos témoins.
-Monsieur Dave Hart, voulez-vous avancer ? annonce Jenkins.
Dave s'approche, décline son identité et prête serment. Il a un faciès de bouledogue, les pommettes saillantes et les yeux bridés. Il a sûrement dû avoir recours à la chirurgie esthétique, mais le laser qui a tailladé son visage a bien travaillé. Je suis beaucoup moins sûr de moi. Bud Delani est peut-être quelqu'un d'autre ?
Le procureur s'approche de lui :
-Monsieur Hart, vous souvenez-vous de la soirée du 23 septembre ?
-Et comment ! C'est le jour où la môme a descendu...
-Silence, je vous prie de répondre exactement à mes questions.
-Bon, bon, j'ai compris.
-Où étiez-vous ce soir-là ?
-Au Paradise Club, assis dans le couloir qui menait au bureau de M. Stracchino. C'est pas difficile, j'y suis tous les soirs.
-Que s'est-il passé à deux heures du matin ?
-Je regardais mon projecteur holographique de poche lorsque, vers deux heures vingt, Mme Vickers est venue apporter un casse-croûte au patron et elle est passée devant moi. Puis elle a pénétré dans le bureau.
-Mme Vickers venait-elle souvent dans cette pièce ?
-Non, pas très, mais connaissant les liens qui l'unissaient au patron, je l'ai laissée passer.
Ces dernières paroles sont accompagnées d'un sourire plein de sous-entendus ; de plus en plus, on sent qu'il essaye de soigner son vocabulaire, et un tel langage ne lui va pas.
-Quelle expression avait-elle en pénétrant dans cette pièce ?
-Elle semblait furieuse et...
-Objection, bondit Pat, c'est demander au témoin d'interpréter un fait.
-Objection retenue, dit le robot-juge.
Le procureur reprend :
-Qu'avez-vous entendu alors ?
-Quelques instants après la fermeture de la porte, j'ai entendu un jet de laser, je me suis précipité et j'ai vu Mme Vickers un viperlaser encore fumant à la main et M. Stracchino effondré dans un fauteuil. Elle semblait dans un état second, elle a recommencé à tirer un peu au hasard et j'ai jugé plus prudent de fermer la porte à clef et de laisser passer l'orage. M. Stracchino était mort, je ne pouvais plus rien faire pour lui. J'ai ensuite appelé M. Malcom, qui avait aussi entendu les jets stridents. Pendant que je surveillais la porte, il a appelé la police.
-Merci, monsieur Hart. Ce sera tout. Contre- interrogatoire.
Hart se tourne vers Pat, un sourire goguenard aux lèvres.
-Quelles étaient exactement vos fonctions au club?
-Je suis chargé de la sécurité.
-Portez-vous une arme ?
-Oui, et j'ai un permis : de grosses sommes étaient souvent réunies dans le bureau.
-Comment avez-vous remarqué l'arrivée de Mme Vickers, puisque vous regardiez votre mini-projecteur ?
-J'ai entendu des pas et j'ai levé la tête.
-Vous lui avez jeté un simple regard, alors ?
-Non, je l'ai longuement regardée. C'est toujours agréable de fixer une belle fille à peu près à poil, ajoute-t-il avec un rire ignoble.
Pat enchaîne :
-Vous avez déclaré que M. Stracchino était seul dans son bureau avant l'arrivée de Mme Vickers. Comment pouvez-vous l'affirmer ?
-Parce que je n'ai pas quitté ma place une seule seconde et que personne n'est passé devant moi. Or, cette porte est la seule issue du bureau.
-Combien de temps s'est écoulé entre le moment où la porte s'est refermée sur Mme Vickers et la détonation ?
-J'ai déjà dit : quelques instants.
-Pourriez-vous être plus précis : quelques secondes ou quelques minutes.
-Quelques secondes, juste le temps de mettre un nouveau disque dans mon mini-projecteur.
-Alors, comment en quelques secondes, l'accusée a-t-elle pu refermer la porte, se procurer le viperlaser, car elle ne l'avait pas en main en entrant et ne pouvait l'avoir dissimulé sur elle, vu son costume succinct, viser et tirer avec précision, ce pistolaser de douze millimètres étant une arme difficile à manier ?
-Objection, hurle le procureur. Votre Honneur, les insinuations de la défense sont inacceptables.
-Objection valable. Maître, la Cour vous adresse un avertissement. Avez-vous terminé ?
-Oui, Votre Honneur. Je vous prie d'ignorer ma précédente question, mais je suivais un raisonnement et je ne me suis pas rendu compte que ma question pouvait gêner M. le procureur !
-L'incident est clos. D'autres questions ?
Et cette fois, le robot-juge me regarde.
-Oui, Votre Honneur.
Je fixe Hart.
-La Cour pourrait-elle demander au témoin s'il connaît un nommé Bud Delani ?
Hart tressaille violemment. Je me retiens de hurler de joie : j'ai vu juste. Il regarde vivement le procureur.
-Objection, Votre Honneur ! Le juré recommence ses insinuations.
-Monsieur Gardner, expliquez immédiatement le bien-fondé de cette requête ou nous vous condamnons pour outrage envers la Cour.
Je me lève la gorge sèche ; si je n'arrive pas à convaincre le robot-juge, mon intervention aura été plus nuisible qu'utile.
-Quand j'ai quitté New York sur Terre I, il y a un an, un homme recherché pour meurtre défrayait la chronique, le nommé Bud Delani justement. Son signalement était partout, et en outre, il avait une cicatrice en forme de Z sur l'avant-bras. Or, quand le témoin s'est assis, j'ai vu le même type de blessure près de sa manche. Depuis le début de l'audience, je constate de nombreuses ressemblances entre les deux hommes. La chirurgie esthétique ne l'a pas entièrement changé. Un simple test génétique pourrait me donner confirmation. Si je me suis trompé, je suis prêt à assumer toutes les conséquences de mon intervention.
Le silence retombe. Le robot-juge fait marcher ses micro-processeurs à la recherche d'une solution juridique. Il prend la parole.
-Monsieur Hart...
Il n'a pas le temps d'achever que Dave bondit hors de son fauteuil :
-Salaud, tu me le paieras !
Il tente aussitôt de regagner la sortie, pistolaser en main. Malheureusement pour lui, le robot-greffier est aussi chargé de la protection dans l'enceinte du tribunal. Sur une simple impulsion électronique du robot- juge, il tend son bras droit et de son index sort un mince rayon laser qui atteint l'arme de Hart avec une précision remarquable. Désarmé, Dave est rejoint par les policiers présents dans la salle. Quelques secondes après, il est traîné hors du tribunal.
-Votre Honneur, intervient Pat, devant ces nouveaux événements, je demande que les déclarations du pseudo Dave Hart soient rayées du procès-verbal. Quel crédit pouvons-nous accorder aux propos d'un meurtrier recherché par la police ?
-Mais, Votre Honneur, vous ne pouvez récuser un témoin capital ?
-Je suis obligé de donner raison à la défense. Tout ce qui a trait à la déposition de Dave Hart est supprimé. Le témoin suivant.
Le procureur se lève, très embarrassé :
-Votre Honneur, je..., heu..., vu les circonstances..., la Cour pourrait-elle ajourner la séance ? J'ai besoin d'un petit délai pour pouvoir continuer à soutenir l'accusation.
-Soit. L'audience reprendra demain matin à neuf heures.
Je regarde Cory. Mais, nom d'un chien, pourquoi a-t-elle toujours cet air apeuré et résigné ? Que risque-t-elle maintenant ? Aucun jury ne peut la condamner après ce qui vient de se passer !
CHAPITRE IX
A la sortie du tribunal, une meute de reporters armés de caméras vidéo se précipite sur moi.
-Vos impressions, monsieur Gardner ? Mme Vickers sera-t-elle acquittée ? Craignez-vous la vengeance de Bud Delani ?
-Ecoutez, vous avez entendu le robot-juge : les membres du jury ne doivent pas communiquer avec des tiers. Je ne peux rien dire. Allez plutôt demander au procureur s'il a d'autres meurtriers à faire témoigner.
Ma vacherie en déride quelques-uns, et je peux, en jouant des coudes, me faufiler dehors. Dans l'ensemble, je ne suis pas mécontent. Seul le regard angoissé de Cory ne cesse de m'inquiéter. Notre victoire à Pat et à moi est trop facile, nous avons dû négliger un détail important, mais je ne vois pas lequel.
J'ai tout l'après-midi de libre et comme je n'ai aucune envie de retourner à L'Emeraude, je décide d'éclaircir l'histoire Jenny Moon, le nom que j'ai trouvé dans le portefeuille de Sylvio. Mais avant, je vais passer chez Tex prendre cette fameuse caisse. Je ne sais pas ce qu'il va me refourguer, mais avec lui, je peux m'attendre au pire. Ce dont je suis sûr, c'est que ça ne sera pas gratuit.
***
Une heure plus tard et trois mille dols en moins, j'arrête mon trans à deux pâtés de maisons de la rue Tupolev. Je n'ai pas encore osé ouvrir mon petit cadeau, et je l'ai juste planqué derrière la banquette arrière. Tex était assez pressé de me voir partir : ce n'est pas bon pour sa retraite d'accueillir une viande marquée pour l'abattoir. Même s'il ne voudra jamais l'avouer, ces types de Terre I l'impressionnent fortement.
Le 185 est une bâtisse en préfabriqué construite un peu en retrait. La liste des locataires m'apprend qu'il existe effectivement une Jenny Moon au troisième. Je sonne au vidéophone de l'entrée, mais sans résultat. Il semble n'y avoir personne. En m'appuyant sur la porte, je manque de m'étaler. Le mécanisme d'ouverture a été trafiqué !
Au troisième, je repère facilement la porte qui m'intéresse ; je frappe par sécurité ; toujours sans résultat. Il me vient une idée : je prends le minuscule trousseau de clefs magnétiques de Sylvio, la troisième est la bonne !
Fichu travail ! Jenny avait dû être très belle. Mais maintenant elle gît sur son lit, le visage convulsé, violacé.
Elle a été étranglée dans son sommeil, mais elle a trouvé la force de se débattre, comme en témoigne le lit saccagé. Elle est morte la veille, sûrement le travail de Sylvio et compagnie.
Je n'ai plus qu'à partir en vitesse.
Auparavant, je fouille rapidement l'appartement et je sors mon mouchoir, pour éviter de laisser des empreintes. Un placard bondé de robes, de manteaux. Sur le bureau, l'ordinateur a été pulvérisé. Les tiroirs contiennent des papiers sans importance et tous les cristaux mémoriels ont disparu. Un petit malin a dû tout embarquer. Je retourne dans la salle de séjour, pas de cachettes possibles. Un bar minuscule, bien garni : gin, kwa, liqueur d'Andromède. Près du vidéophone, je manque de me blesser sur un rebord tranchant de la commode. Je me penche et trouve entre la plinthe et le pied de la commode une micro-disquette qui a été oubliée par l'assassin.
A ce moment, un trans s'arrête brutalement devant l'immeuble. Enfer, les flics ! Ils arrivent toujours au mauvais moment, ceux-là. Déjà, leurs pas résonnent dans l'escalier. Je file vers la cuisine. Heureusement qu'il existe une porte de sortie par là. Je dévale l'escalier en trombe. Je m'arrête au premier. Si les policiers ont mis un gars pour surveiller l'issue de secours, je suis fichu. Même si on ne m'arrête pas immédiatement, le flic reconnaîtra ma bobine demain à la télévision. Il faut agir en douceur. Je descends à pas de loup. J'aperçois la tête d'un jeune flic en uniforme. Je m'aplatis contre le mur, cherchant désespérément un moyen de m'en sortir. Je lève la tête, et aperçois deux tuyaux qui longent le plafond. Ils n'ont pas l'air solides mais je pense qu'ils pourront supporter mon poids. De toute façon, je n'ai pas le choix.
Je prends appui sur la balustrade, et me hisse sans un bruit. Par chance, les tuyaux ne grincent pas. J'avance lentement comme un fauve s'approchant de sa proie. Brusquement je me laisse tomber et avant que le jeunot n'esquisse le moindre geste, il prend mon poing qu'accompagnent mes quatre-vingt-dix kilos derrière l'oreille. Il s'effondre tranquillement. Décidément, je suis bon pour rempiler au S.S.P.P., je n'ai rien perdu de mon entraînement.
Je me retrouve dans une petite cour déserte, limitée par un mur d'environ deux mètres de haut que je franchis en voltige et je retombe de l'autre côté, évitant de justesse un tas d'ordures. Je reste immobile, à la recherche de mon souffle, essayant de dominer le tremblement convulsif de mes jambes. Peu après, je sors par la grande porte de l'immeuble.
Je ne m'attarde pas dans le coin et je vais récupérer mon trans d'un pas aussi rapide que possible. Pour me remettre de mes émotions, je retourne chez moi m'offrir un bon verre de stem, et prendre une douche. Même si quelqu'un m'attend là-bas, il ne prendra pas le risque de m'attaquer en plein jour.
Avec délice, je sens les jets parfumés ruisseler sur mon corps. La bosse derrière ma tête a bien dégonflé et ne me fait plus souffrir. Je me sers une bonne rasade de liqueur et bois d'un trait. L'alcool explose dans l'estomac et me donne une sensation de bien-être. Le stern fabriqué sur Procyon est décidément la meilleure découverte depuis des siècles. Je m'installe dans mon fauteuil relaxant et sirote mon verre.
Soudain, un bruit lointain de bagarre vient interrompre ma rêverie. Mon bar ! Ils sont en train de se battre dans mon bar ! S'ils abîment quelque chose, Marc va m'inoculer la peste de Vulcain, et avec une antique seringue ! J'enfile rapidement ma combinaison et je me précipite comme une fusée à L'Émeraude. J'aurais dû faire plus attention aux menaces et fermer le bar, au moins pour un temps.
Je descends en trombe l'escalier, bouscule deux clients qui cherchent à s'enfuir par la cuisine et défonce presque la porte de service. La moitié du mobilier est déjà en petits morceaux. Près du comptoir, trois malfrats ont coincé Laura, qui tente vainement de se débattre. Un grand brun, maigre, lui maintient les poignets, tandis qu'un petit excité au visage boutonneux la déshabille avec son couteau. Le troisième, un gros type aux cheveux roux, les regarde, bras croisés en rigolant, une barre de fer à la main.
Grand brun arrache les derniers lambeaux de vêtement de Laura, et lui écarte les jambes. Trop occupé à profiter du spectacle, les autres ne m'ont même pas entendu arriver.
Je ramasse un de mes derniers tabourets en état et le jette sur la tête de gros roux qui s'effondre comme une masse. D'un même élan, je bondis pied en avant, position karatéka, dans les reins de celui qui tient Laura. Un hurlement de douleur retentit et Grand brun reçoit dans la fraction de seconde qui suit une manchette sur la nuque. Il tombe instantanément dans un merveilleux néant. Petit boutonneux n'a pas esquissé un geste, surpris par la rapidité de l'action. Je lui balance un coup de pied dans l'estomac qui l'envoie bouler à trois mètres mais il accompagne bien le coup. Il se relève aussitôt, poignard en main. Rendu méfiant par la mise hors de combat de ses acolytes, il me tourne autour, pointe haute.
-Je vais te piquer, salaud !
Je ne lui réponds pas et me tourne vers Laura, sans pour autant le quitter du regard.
-Ça va ?
-Oui, tu es arrivé juste à temps.
Boutonneux vitupère de plus belle.
-Allez, viens, je vais te tailler un costard.
Laura me prend le bras.
-Attention, je le connais, c'est un vicieux et il sait se servir de son couteau.
Je souris et sors de mon avant-bras ma lame. Cela ne semble pas l'impressionner puisqu'il lance son bras en avant. Je bloque facilement sa lame de mon arme mais il se dégage. Un bruit mat, il regarde incrédule son jouet coupé en deux par le fil laser de mon couteau. Juste le temps de lui placer un coup de pied entre les deux jambes et Boutonneux couine de douleur. J'ajuste alors un direct à la face qui lui fait exploser le nez en une gerbe de sang. Il s'effondre assommé net.
Un bref tour d'horizon, j'aperçois Gros roux qui essaye de se relever. Toi mon vieux, tu ne vas pas t'en tirer aussi bien ! Je ramasse la barre de fer à côté de lui et lui assène un violent coup sur le bras droit. Gros roux hurle de douleur et regarde, effrayé, son avant- bras plié en équerre. Un coup à la base du crâne le renvoie dans le néant qu'il n'aurait pas dû quitter.
Je me retourne vers Laura qui met un peu d'ordre dans sa tenue. Elle semble ne pas trop avoir souffert. Elle relève la tête et me regarde avec ses grands yeux bleus.
-Merci, murmure-t-elle.
-Laura, je suis désolé, je n'aurais pas dû te laisser seule au bar. Prends quelques jours de congé, je vais fermer en attendant de tout remettre en ordre. Viens, je te raccompagne chez toi. La police ne va pas tarder à venir pour les embarquer.
Effectivement, probablement alertés par un voisin, les flics arrivent, toutes sirènes dehors. Je glisse deux mots au Sergent et promets de venir au poste faire ma déposition plus tard. Je rejoins Laura et lui demande d'aller prendre ses affaires.
Elle hoche la tête et va chercher sa cape isotherme, le mécanisme intégré au tissu régule automatiquement l'air autour, la sensation apaisante lui fait rosir les joues. Je passe amicalement mon bras sur ses épaules et la conduis à mon trans. Une fois dehors, elle me glisse :
-Pour la première fois en un an, c'est toi qui me ramènes et non l'inverse.
Elle me regarde et sourit timidement.
-Je suis heureuse de rencontrer enfin le véritable Randal Gardner !
Je gare sans peine le trans devant la coquette résidence et la guide, le bras autour de ses épaules, jusqu'à son appartement, au premier étage. Laura est encore secouée car ses fines épaules tremblent. Elle ouvre sa porte et m'invite à entrer. L'intérieur est bien décoré, très féminin. Un canapé et deux fauteuils relaxant entourent le bloc de télé tridimensionnelle. Au mur, d'authentiques tableaux représentent des paysages de Terre I en peinture sous verre.
-Randal, prends un verre et mets-toi à l'aise, je vais passer quelque chose de plus confortable.
Je déniche tant bien que mal le bar dans un coin de la pièce. Je choisis une bouteille de liqueur d'Andromède et sors deux verres. Après m'être versé une rasade totalement indécente, je m'installe dans le fauteuil qui épouse immédiatement la forme de mon corps. J'actionne le système de massage et de légères vibrations, quasiment imperceptibles, agitent mon siège. Je sirote mon breuvage en attendant son retour.
Deux verres plus tard, Laura réapparaît dans un magnifique déshabillé.
-Reste dîner, Randal, s'il te plaît.
J'hésite un peu, ou plutôt je fais semblant d'hésiter. Je suis sûr qu'un peu de compagnie féminine me fera le plus grand bien.
Le repas est fort gai et Laura sait à merveille accommoder les steaks de zelac avec les insipides rations du centre commercial. Depuis que je mange seul ou avec quelques attardés au bar, j'avais oublié comme il était agréable d'entendre ce rire léger et pétillant. Le décolleté me trouble plus que je ne l'aurais cru.
Après avoir débarrassé, elle s'allonge sur le sofa et s'étire langoureusement. L'alcool absorbé enflamme mes sens et je ne peux empêcher mes yeux de courir sur ses formes harmonieuses mal dissimulées. Ses cheveux longs éparpillés sur ses épaules, ses lèvres pulpeuses sont un appel digne des légendaires sirènes.
-Randy, peux-tu m'aider à régler ce maudit canapé.
Je m'approche pour pianoter un programme sur la console sous l'accoudoir. Laura se retourne, ses bras m'enserrent le cou et ses lèvres touchent les miennes. Un long baiser nous unit.
-Pourquoi ? soufflé-je enfin.
-Parfois tu poses des questions réellement stupides, me dit-elle en riant.
Je réalise alors que je suis à côté d'elle dans un canapé transformé en lit. Jolie programmation, le piège est bien rodé mais qui serait assez bête pour chercher à s'en échapper ? Mes doigts touchent une poitrine altière, suivent la courbe des reins, ouvrent la robe.
Des lèvres fraîches s'écrasent sur les miennes et des mains habiles cherchent les agrafes de ma combinaison...
CHAPITRE X
A l'arrivée du jury, la salle est archicomble. Le procureur dans son coin semble avoir surmonté son désarroi. Quant à Cory, elle a la même expression figée que la veille. Ses yeux sont rouges comme si elle avait de nouveau pleuré. Lorsque le robot-juge ouvre la séance, le silence se fait immédiatement.
-Monsieur le procureur, êtes-vous en mesure maintenant de poursuivre l'accusation ?
La réponse vient, nette, tranchante.
-Bien sûr, Votre Honneur. Les différents incidents regrettables qui se sont produits ne nous empêcheront pas de démontrer la culpabilité de l'accusée.
Pat se lève à son tour :
-La défense est également prête, dit-il avec un aimable sourire à l'adresse du procureur.
Je suis loin de partager son optimisme. Le ton assuré du procureur confirme mon idée : il a gardé un atout maître dans son jeu.
-Monsieur le procureur, vous avez la parole.
Celui-ci se lève, souriant.
-Mesdames et messieurs, mon prochain témoin sera l'accusée elle-même. Madame Vickers, si vous voulez vous asseoir ici.
Cory se lève, son désespoir la rend encore plus belle. D'une voix tremblante, elle prête serment, puis se tasse dans son fauteuil.
Le procureur attaque immédiatement, mais d'une voix calme, presque douce.
-Nous comprenons la douleur que vous ressentez. Pour que cette déposition soit moins pénible, aimez- vous mieux faire une déclaration tout de suite, ou préférez-vous que je vous pose des questions ?
-Je désirerais faire immédiatement une déposition. Vos questions seront probablement inutiles ensuite.
Elle commence d'une voix monocorde pendant que de grosses larmes coulent sur ses joues.
-Je travaille depuis dix-huit mois environ au Paradise Club comme serveuse. Ayant perdu mon mari, je fus bien obligée de prendre le seul travail que j'avais pu trouver pour continuer à élever ma soeur Shirley. Il y a six à huit mois, M. Stracchino commença à me faire la cour. Oh, très discrètement. Bien qu'il fût président du Club, il se conduisait toujours très correctement avec ses employées.
C'est curieux, je n'aurais jamais imaginé Stracchino en gentleman amoureux.
Et Cory continue :
-Après deux mois environ, je me suis prise au jeu et je devins sa maîtresse. Discrètement car je ne voulais pas que cela se sache. Tout marchait très bien et j'avais fini par devenir réellement amoureuse de Luiggi qui, quoique beaucoup plus âgé que moi, était très séduisant.
Au fur et à mesure de la déposition de Cory, je prévois une catastrophe imminente. Pat doit ressentir la même chose, car son sourire a disparu de son visage. Il reprend un masque impénétrable, fermé. Il ne la quitte pas des yeux.
-II y a six semaines maintenant, Luiggi m'annonça son intention de rompre. Il était lassé, disait-il. Il a même ajouté que rien ne serait changé et que je pourrais toujours travailler au club. Il voulait même faire un gros cadeau à Shirley, mais je connaissais la véritable raison de sa rupture. Il était maintenant amoureux d'une autre femme, une espèce de petite traînée brune, à l'air vicieux, qui avait su lentement faire sa conquête.
« La veille du jour fatal, nous avons eu une discussion orageuse. J'ai essayé de lui ouvrir les yeux sur cette fille, je me suis mise en colère. J'ai tempêté, hurlé, puis je l'ai supplié, mais il n'a rien voulu entendre. Le lendemain fut pour moi un cauchemar. Je réussis à m'occuper de Shirley comme chaque jour. Mais le soir, j'agissais presque inconsciemment. Sans me rendre compte de mes actes, j'ai pris le pistolaser de mon mari. Je l'ai dissimulé dans mon casier. Je n'ai plus aucun souvenir de la soirée sauf qu'elle semblait ne jamais finir.
« Lorsque j'ai pu quitter mon travail sans attirer l'attention, je suis allée récupérer mon arme et je l'ai cachée sur mon plateau sous un chiffon. Je suis montée au premier. Dave regardait son mini-projecteur holographique et m'a laissée passer. Il ne devait pas encore être au courant de notre séparation. A peine entrée dans le bureau, Luiggi s'est mis à crier, à me traiter de tous les noms. Comme dans un rêve, j'ai saisi mon pistolaser et j'ai tiré.
« Le jet strident m'a réveillée. J'ai vu Luiggi s'écrouler, puis Dave est entré et j'ai fait feu de nouveau. Il a fermé la porte, mais je ne pouvais m'arrêter de presser la détente. Je me suis ensuite écroulée et des policiers sont entrés. Ils m'ont posé des questions, toujours des questions, que je n'arrivais pas à comprendre. Je me suis tue jusqu'à présent, mais maintenant je dois parler, expliquer ce qui s'est passé. »
Elle s'arrête enfin et reste immobile sur son fauteuil.
-Ce sera tout pour moi, Mme Vickers, merci, dit le procureur.
J'ai la tête qui tourne. Elle a tué et le reconnaît publiquement. J'ai envie de hurler, de mordre. Je n'ai plus rien à faire ici. La rage me soulève contre cette petite putain qui s'est si bien dissimulée sous sa frimousse de petite fille malheureuse.
Autour de moi, les gens sont étonnés ou consternés. Seul le procureur a un sourire satisfait. Brusquement mon regard croise celui de Pat. Une lueur brille au fond de ses yeux. La colère n'a pas l'air de l'avoir atteint. Ce visage serein me rend un peu de calme. Et si malgré tout, elle était innocente ? Sitôt lancée dans ma cervelle, cette idée germe à une vitesse prodigieuse, écartant toutes les objections. Sa culpabilité n'explique rien, le pistolaser, les empreintes, les attentats contre moi, la mort de Jenny Moon. Mais il reste à le prouver. Et pourquoi a-t-elle fait cette confession ? Rien. Nous ne disposons d'aucun argument. Il faut gagner du temps !
-Monsieur le procureur, avez-vous fini ? reprend le robot-juge.
-Oui, Votre Honneur. Si mon confrère de la défense veut encore poser quelques questions...
-Maître Yung, vous avez la parole.
Pat se lève. Sa voix est étonnamment calme.
-Votre Honneur, j'ai été tellement surpris par ces révélations que tous mes plans sont bouleversés. Toutefois, dans les cas où un accusé a plaidé non coupable, que le procès s'est déroulé normalement, et que brusquement l'accusé fait une déclaration et se reconnaît coupable sans qu'aucune question ne lui ait été posée, ce qui est le cas ici, la loi autorise la Cour à s'ajourner. Je citerais comme référence, entre autres, Etat de Terrania VI contre Suck O'Hara en 4996, Etat de Californie de Terre I contre June Daysan en 5010.
Le robot-juge n'a besoin que de quelques secondes pour vérifier ce point de droit pur.
-La jurisprudence citée par l'avocat s'étant révélée exacte, en conséquence, l'audience ne reprendra que demain à neuf heures.
Pat a remporté un maigre succès. Le verdict n'est que repoussé, et il n'en sera que plus sévère, ayant renoncé à la vague de pitié qui a déferlé sur le jury. J'ai exactement vingt heures pour me procurer les preuves nécessaires.
CHAPITRE XI
Je tourne et retourne dans la salle dévastée de mon bar. Les mêmes idées tourbillonnent sans cesse dans ma tête.
-La sauver... Plus que dix-huit heures....
Je n'arrive pas à joindre les éléments dont je dispose. Ma main heurte dans la poche de ma combinaison le petit disque de cristal que j'ai trouvé chez Jenny. Aucune inscription sur sa face opaque. Mon ordinateur personnel arrivera peut-être à lire les informations.
Comme prévu, les données sont codées par l'identificateur de l'ordinateur de Jenny. Sur le mien, il s'agit tout bêtement de mon nom. Je n'ai jamais été imaginatif pour les mots de passe. En changeant mon propre identificateur, je dois pouvoir lire le disque. Le tout est de trouver le bon et si le code est un peu plus évolué, je peux facilement y passer la nuit.
J'essaie en premier Moon, qui m'est refusé. Réfléchissons... Jenny a été assassinée par Sylvio, probablement sous les ordres de la bande du Paradise. Spectres de Procyon ! Paradise est refusé également. Qu'avait-elle donc à faire d'un disque informatique ? Je n'utilise des supports-mémoire similaires que pour la sauvegarde de ma comptabilité.
Comptabilité pour qui ? Stracchino ? Non, refusé ! Malcom peut-être ? L'écran s'illumine subitement. Gagné !
Les fichiers sont à présent lisibles. Il y a bien un tableau de comptabilité, accompagné de plusieurs textes. L'un d'entre eux est une commande signée de Malcom datée d'il y a deux ans pour du matériel d'exploitation minière.
Je me connecte rapidement sur la base de données des exploitants miniers de la planète. Malcom en est bien membre et c'est une affaire tout ce qu'il y a de plus légale. Il s'est associé avec deux investisseurs privés pour l'exploitation d'une mine de titane située au pied des montagnes à environs 2 200 km au nord de la ville.
Son bilan est excellent, alors que Terrania XXXVI est réputée pour sa pauvreté en matières premières. J'ai bien l'impression que sa mine doit lui permettre de blanchir de l'argent douteux.
Je parierais ma dernière donation à la banque du sperme qu'un des deux autres investisseurs est Stracchino, mais qui peut bien être le troisième ?
Parmi les commandes minières de la disquette, je finis par dénicher mon bonheur : une demande de livraison d'un abattoir automatique de zelac, pour un ranch situé au pied de la montagne où se trouve la mine.
Trente secondes pour me connecter au service du cadastre et j'aurai le nom du propriétaire. Hélas ! Pas de nom, mais un sigle : la compagnie Glaive.
Je me redresse sur ma chaise. Je ne trouverai rien de plus sur cette disquette. Et rien qui puisse me mettre sur une piste sérieuse. J'ai malgré tout l'impression d'avoir négligé un fait important depuis le début. Pour la mémoire, rien de tel que ma liqueur de Banti et je ne vais pas m'en priver ! Un bruit de verre brisé me fait sursauter.
Mes réflexes jouent immédiatement, mais j'ai à peine le temps de me jeter derrière mon comptoir qu'un petit cylindre noir déclenche l'enfer autour de moi. Un torrent de flammes déferle sur le peu de mobilier qui me restait et vient me lécher la jambe droite. Une douleur intolérable irradie de mon pied. L'air de la salle me brûle les poumons
Heureusement, le système anti-incendie n'a pas été endommagé et une véritable mousson se déchaîne du plafond.
Je me redresse à toute vitesse pour apercevoir pardessus le comptoir deux types bâtis comme des grizzlis d'Altaïr franchir le seuil de la porte calcinée. Les tubes polis de leurs fusil-lasers reflètent les dernières flammes.
-Amène-toi Bill, je l'ai vu bouger ! On finit le travail en vitesse et on se tire !
La caisse ! Où est la caisse de Tex ? Je l'avais débarquée au bar après l'agression sur Laura. Je plonge sur la gauche malgré la douleur, et me précipite vers l'arrière-boutique. Les deux gorilles ne m'ont pas encore remarqué grâce à la fumée opaque qui obscurcit toute la pièce. Elle est là ! D'un coup de talon rageur, je fais sauter les attaches et retiens un hoquet de surprise.
-Un fusil à plasma !
Un bruit derrière moi. J'ai déjà l'arme en main et me retourne en un instant. Une détonation ! La rafale de plasma a bien porté et il ne reste du type que trente centimètres de jambes et le haut du torse. La puissance de l'arme est telle qu'un trou d'un bon mètre de diamètre orne maintenant le mur de la pièce, le mur de la salle derrière et celui de la façade.
« L'autre, je le veux vivant ! »
Il était derrière le seuil de la porte lorsque j'ai tiré. Il doit être de l'autre côté de la cloison. Donc très vulnérable.
Il le sait et j'entends une course précipitée. Je m'élance vers le seuil, et le repère au milieu du bar, se ruant vers la sortie. Mon poignard est dans ma main en une demi-seconde, et dans la cuisse du type la demi-seconde d'après.
Le lancer a toujours été ma spécialité... Malheureusement, mon agresseur fait volte-face et n'a pas lâché son fusil. Je n'ai pas le choix ! Une deuxième rafale de plasma lui emporte la moitié supérieure du corps, ainsi que mon mur et un bout du toit de mon voisin. Je comprends mieux pourquoi les armes à plasma ont été interdites dans la confédération galactique. Les dégâts qu'elles provoquent sont vraiment effroyables. Alors qu'un jet laser, limité à une décharge de quelques millisecondes était arrêté par dix centimètres de béton, une rafale de plasma a quasiment la même puissance qu'un désintégrateur lourd.
Malheureusement, je n'ai que quatre coups dans ce fusil, car les cartouches sont assez imposantes.
« Décidément, les événements se précipitent... Je ne sais pas si j'aurai assez des seize heures qui me restent pour sauver ma propre peau ».
Je tremble encore de surexcitation et ma jambe se rappelle alors à mon bon souvenir. Je me traîne jusqu'au comptoir où se trouve mon kit médical.
La botte renforcée a résisté, mais pas ma combinaison de ville. La brûlure au troisième degré ne serait pas grave si j'avais le temps de me faire hospitaliser. Malheureusement, je devrais me contenter d'une mixture anesthésiante et antiseptique pulvérisée à même la peau calcinée et d'une mousse protectrice qui devraient me protéger de l'infection pendant quelques temps.
La sonnerie de mon vidéophone me fait rater un battement de coeur. Le visage surexcité de Pat apparaît à l'écran. Il ne prête aucune attention à mon visage noir de suie et lance :
-Randal, ça y est ! Je suis chez Cory, j'ai enfin compris !
Ma vue se brouille tout à coup. Je lutte contre un vertige.
-Randal, qu'est-ce qui ne va pas ?
-Ça ira Pat. Juste un petit accrochage avec deux abrutis. Qu'as-tu découvert ?
-Ce n'est pas le moment de flancher, tout est clair maint...
Pat s'écroule devant l'écran et la communication est coupée. J'ai cru entrevoir une silhouette dans le champ de la caméra. Il a dû se faire surprendre.
Je n'ai pas de temps à perdre. Je prélève de ma boîte magique un tube de cachets antalgiques et tonifiants. J'en avale trois et fourre le tube dans ma poche. Je ramasse mon poignard sur un reste de jambe et recharge le fusil. Un viperlaser chargé à bloc que je mets dans ma combinaison, vient compléter mon équipement. Je fourre aussi une boîte de pastilles nutritives dans ma poche. Ces petites capsules ont un goût désagréable mais l'apport en calories équivaut à un repas. Avec ce qui arrive, je ne sais quand je pourrai prendre un déjeuner normal.
Je sors en tirant la jambe du bar et me mets au volant. Une course éperdue en ville m'amène en moins de trois minutes chez Cory.
La porte de l'appartement est ouverte. Je repère le vidéophone encore intact. Tous les tiroirs sont renversés et leur contenu jonche le sol. Au fond du living, une petite chambre est un peu mieux rangée. Une poupée est à plat ventre sur une table miniature et dans un petit lit défait, un ours brun en peluche me fixe de son unique oeil.