-Curieux, émit So. Un nouvel individu est arrivé dans le village des exilés.

-Occupe-toi plutôt de notre partie! Mes troupes approchent de ta capitale.

-Il faut encore attendre pour que tous les pions soient en place... Ces créatures-là ont des habitudes bizarres: elles ont établi des règles qu'elles respectent spontanément.

-C'est bien ce que je pensais, des rameaux qui dégénèrent.

-A moins qu'au contraire, ils n'élaborent une nouvelle forme de civilisation! Tiens, le dernier exilé repart déjà.

Ox rejoignit la pensée de son camarade.

-Je le connais! C'est un de ceux qui ont permis la chute de ta ville. Dommage qu'il se soit retiré du jeu, il ne pourra plus combattre ! J'espérais qu'avec son camarade qui est en train de guérir, ils occuperaient une place éminente. A eux deux, ils ont éliminé beaucoup de tes pions.

-Je vais sonder son esprit, décida So. (Quelques secondes plus tard, il reprit :) Pour l'instant, il songe au passé. Cela confirme bien ce que je t'affirmais: dans leur union avec les femelles, les mâles ne pensent pas seulement à la reproduction, mais surtout au plaisir. Celui-ci en est une parfaite illustration.

-Curieux plaisir, je ne le comprends pas, rétorqua Ox.

-Moi non plus, mais cela tient à nos constitutions fondamentalement différentes.

Ox eut une pensée fataliste.

-Qu'importe, nous aurons des détails sur tout cela plus tard, lorsque nous étudierons nos banques mémorielles ! Ah, il se produit une petite escarmouche entre certains de nos pions. Voilà qui va nous distraire, en attendant la prochaine grande bataille.

***

Le module survolait la forêt à basse altitude.

-Je ne localise rien, soupira Ray. Il nous est impossible de savoir si Mac Donald est passé par là. Il a tout aussi bien pu se promener à n'importe quel endroit de la planète.

-Je pense que nous approchons de la solution, murmura Marc. Poursuis ton balayage avec tous les détecteurs.

Soudain, Ray poussa une exclamation.

-Là, un écho!

Il modifia le cap de la navette. Les images, sur l'écran, ne tardèrent pas à se préciser.

-Regarde, juste au pied de la plus haute montagne.

-Un module! s'écria Marc. Pose-toi à côté!

Dix minutes plus tard, le jeune homme sautait à terre.

-C'est bien le module de Mac Donald, confirma Ray. Nous avons donc la certitude qu'il n'a pas quitté Ourka.

Marc inspecta longuement l'engin. Il était en parfait état de marche.

-Si Duck ne l'a pas renvoyé, dit-il doucement, c'est qu'il ne comptait rester que quelques heures.

-Ou qu'il voulait disposer d'un moyen de fuite rapide, fit remarquer Ray.

-Nous sommes obligés d'attendre le jour pour nous repérer. Renvoie notre navette au Neptune, nous nous installerons dans celle de Duck, en attendant l'aube.

Lorsque les premiers rayons du soleil illuminèrent le flanc de la montagne, Marc examina la paroi rocheuse. Au pied de la fente, la forêt s'arrêtait, remplacée par une herbe drue. Un peu plus haut, le roc apparaissait à nu.

-Je connais bien Duck. Ce n'est pas un partisan de la marche forcée, sourit-il. S'il a posé son module ici, cela signifie que son objectif n'était pas bien éloigné.

Ray, qui balayait la colline de ses détecteurs, tendit l'index.

-Là, juste à la limite de l'herbe et de la roche, il y a une caverne. Il m'est impossible de déterminer sa taille.

Marc n'hésita pas.

-Un peu d'exercice matinal me fera le plus grand bien...

La pente étant rude, ils progressèrent lentement. Au bout d'un moment, se retournant, le jeune homme contempla la forêt, qui s'étendait à ses pieds comme un océan de verdure. Très très loin, à l'horizon, il lui sembla distinguer la forteresse de Kora. Il songea avec amusement à la surprise qu'avait certainement eue Kast à son réveil. Deux de ses prisonniers s'étaient évadés! Le malheureux n'avait guère eu le temps de profiter des faveurs de l'aimable servante. Par association d'idée, il pensa à Risa, dont la mère avait tenu à le récompenser de si agréable manière. A cet instant, il sentit une onde psychique tenter de s'infiltrer en lui. Cette fois, aucun doute n'était possible. La pensée était impérieuse, plus forte que ses maigres défenses. Il eut recours au même stratagème que la veille et évoqua sa nuit avec la jeune fille, les craintes de celle-ci, son éveil au plaisir jusqu'à l'éblouissement final. L'attaque cessa aussi brusquement qu'elle avait commencé.

-Je n'aime pas du tout ça, grogna Ray. Je me demande si la sagesse ne commanderait pas de regagner immédiatement le Neptune, tant que nous le pouvons encore. Tu as correctement exécuté ta mission et scrupuleusement obéi aux ordres écrits du général.

-C'est exact, mais tu sais bien que si je fais ça, je ne pourrai plus jamais me regarder dans une glace. Il y a un mystère sur cette planète, et je ne repartirai pas sans l'avoir élucidé!

-C'est la conclusion à laquelle j'étais arrivé, admit Ray avec une moue comique. Puisque tu le désires, avançons donc.

Une demi-heure plus tard, ils atteignirent la caverne. L'entrée en mesurait à peine deux mètres sur un.

-Allume ton projecteur, ordonna Marc.

Un faisceau lumineux jaillit de la base du cou de l'androïde. Ils virent que la faille s'enfonçait d'une bonne cinquantaine de mètres dans les entrailles de la montagne.

-Avançons, décida Ray. Il ne semble pas y avoir d'hôtes indésirables.

Ils eurent un instant de déception en arrivant au fond du boyau: la grotte se terminait par un éboulis rocheux.

-Il y a une galerie latérale, remarqua Ray.

-Elle est bien étroite... enfin, voyons où elle mène.

Le petit tunnel sinueux pénétrait toujours plus profondément sous la montagne. Après un dernier détour, les deux spéléologues amateurs s'immobilisèrent fascinés par le spectacle. Ils venaient de déboucher dans une caverne aux proportions gigantesques, au centre de laquelle flottaient deux sphères lumineuses d'un rouge orangé. Leur lueur éclairait les stalactites et stalagmites qui, depuis des siècles, tentaient de se rejoindre.

Soudain, Marc se sentit entouré par un filet aussi résistant qu'invisible.

-Attention, émit Ray, n'essaie pas de t'échapper. C'est un champ de force d'une formidable intensité....

Les ondes psychiques de l'androïde étaient faibles, lointaines. Le Terrien s'efforça de rester strictement immobile. La pression qui s'exerçait sur tout son corps se relâcha légèrement, puis il décolla lentement du sol. Un instant, il resta suspendu dans les airs, avant d'être doucement poussé vers le fond de l'excavation. Les deux sphères avaient pris une teinte rouge très vive. Marc se demanda s'il n'allait heurter le roc, mais il s'immobilisa à deux mètres de la paroi. Le champ de force qui l'entourait disparut subitement. Comme il était encore à cinquante centimètres du sol, il trébucha et se serait effondré si Ray, qui avait subi le même transfert, ne l'avait fermement retenu.

Son équilibre retrouvé, il voulut se diriger vers les globes mais se cogna alors à un mur invisible. Il tenta de pousser, sans succès : l'obstacle était particulièrement résistant.

-Inutile d'insister! Même un missile n'en viendrait pas à bout.

La voix toute proche fit tressaillir le jeune homme, qui se retourna. Une silhouette était adossée contre la paroi rocheuse.

-Qui êtes-vous?

-Sam II, l'androïde du capitaine Mac Donald !

-Bon Dieu ! Je vous cherche depuis des jours ! Où est Duck?

L'ombre désigna une forme allongée sur le sol. Marc se pencha aussitôt. A la lueur du projecteur de Ray, il reconnut son camarade de promotion, très amaigri et visiblement dans un état semi-comateux. Cependant, lorsqu'il le secoua énergiquement, Mac Donald ouvrit les yeux.

-Marc, murmura-t-il, toi aussi tu es prisonnier. Tu n'aurais jamais dû tenter de me retrouver...

Il retomba aussitôt dans sa léthargie. Levant les yeux vers l'androïde, son ami murmura:

-Pourquoi est-il dans cet état?

-Il meurt de faim ! répondit calmement Sam. Nous sommes captifs depuis vingt-six jours et n'avons jamais reçu de vivres. J'ai épuisé ma provision de tablettes nutritives depuis une semaine ! Il ne survit que grâce à l'eau que je parviens à recueillir sur les parois. (Il désigna plusieurs petits trous percés dans la roche et d'où sourdaient des gouttelettes d'eau.)

« Je les ai faits avec mon laser digital, pour augmenter le filtrage de la pierre. Malheureusement, le débit est minime, tout juste suffisant pour une personne. Il va falloir en creuser d'autres, si vous voulez boire. »

-Depuis notre arrivée sur Ourka, nous essayons sans arrêt de te contacter. Pourquoi n'as-tu pas répondu?

L'androïde désigna le mur invisible.

-Ce champ de force arrête toutes les ondes électromagnétiques.

Marc se tourna vers Ray, immobile derrière lui.

-Peux-tu ranimer Duck?

La réponse vint après une imperceptible hésitation:

-Ma provision de tablettes nutritives a déjà été entamée. A deux, vous ne pourrez tenir que six jours.

-Aucune importance. D'ici là, ou nous aurons trouvé un moyen de filer, ou il importera peu de vivre quelques jours de plus !

Ray sortit de la cavité aménagée dans sa cuisse droite une seringue, qu'il emplit avec le contenu de deux ampoules.

-Ce sont un tonicardiaque et un concentré vitaminé. C'est tout ce dont je dispose.

Relevant la manche de Mac Donald, il injecta son mélange directement dans une veine. Peu après, Duck rouvrit les yeux. Son médecin improvisé lui glissa une tablette nutritive sous la langue.

-Sucez-la lentement, recommanda-t-il en lui soutenant la tête. (Le malheureux acquiesça d'un battement de paupières. S'adressant à Sam, Ray reprit:) Maintenant, donne-lui à boire.

L'androïde récupéra un petit sac de matière plastique empli d'un quart de litre d'eau environ, qui était attaché à la muraille.

-C'est ma récolte des quatre dernières heures !

Doucement, il Versa le liquide entre les lèvres de Duck. Dix minutes plus tard, ce dernier parvint à s'asseoir, il grimaça un sourire, en murmurant:

-Je suis sacrément content de te voir, Marc, mais j'aurais préféré que ce soit dans d'autres circonstances! (Tendant la main, il ajouta:) Tu as vu ces trucs-là? D'après Sam, c'est bourré d'énergie à l'état pur, et il y aurait même de l'intelligence.

-N'en doute pas! On dirait des bziks.

-Ne me dis pas que tu as déjà rencontré ces concentrés de pile atomique, ricana Duck.

-Tout au moins quelque chose de très voisin. Il y a environ six mois, j'ai vu une créature identique. Par contre, elle était sympathique, généreuse et douée d'un solide sens de l'humour.

-Ce n'est pas le cas de celles-ci! Il m'a été totalement impossible de communiquer. J'ai crié à m'en arracher les cordes vocales, sans obtenir la moindre réaction.

-Les bziks ne voient ni n'entendent comme nous. Toutes leurs « sensations » sont mentales.

Le visage émacié de Mac Donald se figea.

-Depuis mon passage chez les exilés, et encore ici, j'ai l'impression qu'une voix intérieure me répète à intervalles réguliers: «Tricheur.. Tricheur. » Crois-tu que ce soit une de leurs manifestations?

-C'est possible, bien que je ne comprenne pas ce que cela signifie.

-Que comptes-tu faire?

Marc éluda la question. Il n'aimait pas exhiber les capacités psychiques que l'entité végétale lui avait procurées.

-Je te l'expliquerai plus tard. Laisse-moi réfléchir.

Il ferma les yeux, concentrant sa pensée. Se souvenant de sa rencontre avec le bzik, il ne tarda pas à obtenir un contact mental. Il sentit un certain étonnement dans l'esprit de ses interlocuteurs.

-Qui êtes-vous? D'où appelez-vous?

-Je suis le malheureux que vous venez d'enfermer dans un champ de force.

-Impossible, ces créatures ne sont pas télépathes.

-Je suis une des rares exceptions parmi les humains. Ainsi, vous êtes bien des bziks.

La surprise des créatures fut manifeste.

-Comment connaissez-vous notre race?

-J'ai rencontré un de vos coreligionnaires; mais lui n'était pas un assassin.

Le qualificatif indigna Ox et So.

-Nous non plus, nous ne voulons détruire personne.

-C'est pourtant ce que vous faites ! rétorqua Marc. Vous avez laissé mon ami mourir de faim !

-Lui, c'est un tricheur! s'indigna Ox. Il est puni. Par sa faute, nous avons été obligés d'annuler une partie et de la recommencer.

Marc songea aussitôt aux confidences du baron. La guerre ébauchée le mois précédent, arrêtée par une trêve bien vite rompue. Se pouvait-il que les bziks interviennent directement dans les affaires des royaumes?

-Même si c'est vrai, vous n'avez pas le droit de le laisser mourir d'inanition !

-Nous pensions le libérer, une fois notre partie terminée. De plus, il a voulu nous faire du mal en appelant un engin que nous avons été obligés de détruire.

-Si vous vouliez vous venger, il aurait été plus honnête de le tuer immédiatement que de lui infliger cette agonie lente et douloureuse.

Une des entités protesta encore:

-S'il avait faim, il n'avait qu'à se manifester!

-Comment l'aurait-il pu? Vous ne percevez pas les sons! Avez-vous tenté de sonder son esprit?

Après une brève pause, une des sphères émit:

-Cette petite créature a raison, Ox, nous avons été négligents.

-Tu ne veux pas les relâcher, So?

-Non, mais il faut les nourrir. Je pense avoir une idée.

-Dépêche-toi! Il va bientôt être l'heure des punitions, et je ne veux pas manquer le spectacle.

Le contact rompu, Marc rouvrit les yeux.

-Alors? demanda Mac Donald.

-Ce sont effectivement des bziks, mais ils ont le psychisme de très jeunes enfants !

A cet instant, l'air parut grésiller. Deux masses sombres traversèrent la caverne, pour venir s'arrêter juste devant les Terriens. L'instant de stupeur passé, ces derniers reconnurent un énorme quartier de viande rôtie et un tonneau de cervoise. Duck se leva difficilement.

-Bon Dieu, Marc, dis-moi que je ne rêve pas !

Ray découpa une tranche de viande à l'aide de son poignard.

-Elle semble excellente et cuite à point, annonça-t-il.

Les deux amis mangèrent de bon appétit. Duck semblait ne pas pouvoir s'arrêter.

-Vas-y doucement, recommanda Marc. N'oublie pas que tu sors d'un jeûne prolongé. Mieux vaut fractionner ton repas, le rôti ne s'envolera pas!

-Oui sait? ironisa son camarade. Mais tu as raison... (A regret, il interrompit son festin, s'exclamant :) Je ne comprends pas comment tu as pu obtenir ça en quelques minutes, alors que je suis resté un mois à crever la bouche ouverte!

-Il suffisait de leur demander bien poliment. L'incompréhension entre races provient souvent d'un manque de communication.

-Il est bien agréable de voyager avec des gens instruits, ironisa Duck. Maintenant, je ne serais pas opposé à ce que tu utilises ton merveilleux sens de la diplomatie pour nous sortir d'ici!

-Cela risque d'être beaucoup plus difficile, soupira Marc. J'aurais besoin que tu me fournisses certains renseignements. Pourquoi te traitent-ils de tricheur? (Duck plissa le front. Son regard avait retrouvé un certain éclat, et il ne pouvait s'empêcher de grappiller quelques fibres de viande.) Raconte-moi ce que tu as fait depuis ton arrivée.

-Probablement les mêmes choses que toi. J'ai débarqué au château d'un baron de Rosta, puis nous avons rejoint le roi Olak qui rassemblait ses troupes. Deux jours plus tard s'est produit un petit engagement, auquel j'ai participé. Je ne suis pas maladroit à la lance, aussi ai-je réussi quelques jolis coups. Comme l'escarmouche se déroulait sous les yeux du roi, il m'a nommé baron et attaché à sa suite. Nous avons ensuite mis le siège devant un gros bourg, Henon. En chemin, je m'étais lié d'amitié avec un nobliau, un grand type très sympathique. Après l'escalade d'une muraille, nous nous sommes trouvés isolés sur le chemin de ronde et pressés par plus de vingt gardes. Logiquement, nous aurions dû être tués et balancés par-dessus les remparts. (Il grignota un bout de rôti puis grimaça) Tu sais que dans nos missions, il est impossible de rester réellement neutre. En plus, je suis d'un naturel assez emporté. L'idée de voir mourir ce type qui me considérait comme son ami m'a été insupportable. J'ai donc demandé à Sam de nous soutenir. A vrai dire, pendant plusieurs minutes, c'est lui qui a contenu les gardes. Ce qui a donné aux renforts le temps d'arriver et de prendre la place.

-Si je comprends bien, interrompit Marc,, c'est l'action de Sam qui a fait basculer le cours de la bataille.

-Je dois bien admettre que oui. Logiquement, il aurait fallu plusieurs attaques pour venir à bout de cette forteresse.

Marc réprima un juron.

-C'est à ce moment-là que les bziks t'ont repéré ; ils ont considéré que tu avais fait un usage indu de tes pouvoirs.

Haussant ses épaules amaigries, Mac Donald poursuivit :

-Sur le coup, je ne me suis rendu compte de rien. Le roi m'a félicité pour ma conduite, et les soldats se sont répandus dans la ville pour ce qu'ils appellent une nuit de grande violence.

En songeant à la petite Risa, Marc ne put s'empêcher de sourire.

-Nous aussi, nous avons pris une ville.

Eclatant de rire, Duck assena une grande claque sur l'épaule de son compagnon.

-Tel que je te connais, tu n'as pas dût laisser échapper une aussi belle occasion !

Marc prit un air pincé parfaitement imité.

-J'ai seulement protégé une famille des assauts de la soldatesque!

Peu convaincu, son ami reprit:

-Mes ennuis ont commencé dès le lendemain. Le roi m'a convoqué, pour m'annoncer que j'avais désobéi à ses ordres et que je devais être exilé.

Mon copain était catastrophé. Il a bien essayé de prendre ma défense, mais le souverain l'a rabroué sèchement. Sur le moment, cette sanction m'arrangeait, car je n'avais plus rien à apprendre sur leur civilisation. En découvrant l'existence d'un groupement d'exilés, j'ai pensé qu'une petite visite me permettrait de compléter mon rapport. (Après avoir avalé un peu de bière, bue à même le tonneau, il continua:) Tu sais que je n'ai pas un amour immodéré pour les longues courses à cheval. Dès que possible, j'ai abandonné les montures et appelé le module. C'est alors que j'ai subi les premiers assauts psychiques. Tricheur... tricheur... C'était très éprouvant.

Marc poussa une exclamation!

-C'est donc ça ! Les deux souverains sont sous le contrôle des bziks, qui profitent de la nuit pour leur imposer leur volonté. Olak t'a félicité spontanément, mais les bziks lui ont ordonné de t'exiler.

-Où veulent-ils en venir?

-Je l'ignore encore, soupira Marc. Continue, Duck.

-J'ai passé deux jours chez les indépendants. Le chef, un vieux sympa, m'avait fort bien accueilli. Seulement les attaques mentales devenaient de plus en plus intenses, associées par instants à l'image de cette montagne, alors j'ai décidé de remonter à la source. Dès que je suis arrivé dans la caverne, j'ai été pris comme toi dans un champ de force. Je reconnais que je me suis affolé et que j'ai ordonné à Sam d'appeler l'astronef, pour tirer un missile au besoin.

-Cela explique qu'ils aient détruit ton vaisseau. Je commence à comprendre ce qui s'est passé. Maintenant, dormons quelques heures. J'aurai besoin de toutes mes forces pour renouer la discussion.

CHAPITRE XII

Après un rapide déjeuner auquel Mac Donald fit honneur, Marc s'assit aussi confortablement que possible et ferma les yeux. Il obtint rapidement le contact mental avec une des deux entités.

-Que veux-tu encore? interrogea-t-elle. Tu as mangé! Désires-tu une femme? Cette petite Risa, que tu sembles regretter?

-Non! Je souhaite simplement comprendre. Normalement, vous êtes des créatures des espaces intersidéraux. Quand êtes-vous arrivées ici?

-Il y a très peu de temps. A peine deux siècles !

Marc savait que les bziks vivaient des centaines de milliers d'années. Naturellement, ils ne pouvaient avoir la même notion du temps que les humains.

-Ainsi, vous vous êtes rendus maîtres de cette planète !

-Nullement ! Nous influençons seulement un peu les deux souverains.

-Vous avez une conduite ignoble! Vous détruisez des milliers de vies humaines ! De quel droit faites-vous cela?

Le Terrien sentit une profonde stupéfaction dans l'esprit de son interlocuteur.

-Nous ne tuons personne!

-Chaque combat entraîne des morts!

-Quelle importance? Ils revivent à travers leurs descendants. Nous avons toujours pris soin de favoriser la procréation, le patrimoine génétique est donc conservé.

-Ce n'est pas entièrement exact! objecta Marc. Il y a des millions de combinaisons chromosomiques possibles. C'est ce qui fait que pour nous, chaque être humain est unique et irremplaçable.

L'argument parut toucher la créature. Marc perçut un instant une seconde pensée.

-Il dit vrai, Ox. Mathématiquement, la probabilité pour que deux humains soient semblables est infime.

-Cependant, à travers deux ou trois générations, les principaux caractères sont conservés. Et nous avons toujours veillé à ce que le nombre de nos pions soit constant.

-C'est pour cela que vous avez encouragé la polygamie ?

-Naturellement ! La fécondité des femelles étant assez limitée, il est logique qu'un mâle dont la vie sera brève puisse en avoir un certain nombre. Comme cela, l'équilibre est conservé, malgré les pertes!

-Pourquoi instituer le viol systématique dans les cités conquises?

-Toujours dans le même but! Une nuit de grande violence compense en partie les pertes du vaincu. De plus, cela entraîne un brassage entre les gènes du nord et du sud.

-L'idée des punitions quotidiennes est-elle aussi de vous?

Une vague, d'hilarité déferla sur les neurones du jeune homme.

-Nous avons trouvé amusant de voir les femelles se tortiller et couiner comiquement.

-Mais c'est ignoble, vous les faites souffrir!

Une certaine surprise fut perceptible chez le bzik.

-il n'y a jamais eu de mort. Le sang des femelles circule plus vite, il ne coule pas.

-Mais elles souffrent!

-C'est possible, concéda l'être après un instant de réflexion. Toutefois, nous avons constaté que nombre de mâles prennent plaisir à ces châtiments. Cela augmente leurs pulsions sexuelles et, partant, les probabilités de procréation.

À court d'arguments, Marc lança:

-Vous n'avez pas le droit d'imposer ainsi vos fantaisies à d'autres créatures. Je croyais que les bziks disposaient d'une mémoire atavique qui leur avait apporté la sagesse.

Les sphères devinrent rouge vif, tandis que Marc sentait une vive colère s'imprimer douloureusement à l'intérieur de son crâne. Il dut puiser dans ses dernières forces pour établir un barrage mental capable de résister, mais parvint; tout de même à saisir une pensée furieuse.

-Tu nous ennuies ! Nous sommes jeunes, nous n'avons encore que mille ans. Nous voulons nous amuser avant de commencer à étudier. Maintenant, laisse-nous, nous sommes occupés!

La seconde sphère émit:

-Tu vois, Ox, tes troupes tentent de donner l'assaut à ma capitale...

À partir de cet instant, Marc ne saisit plus que des bribes de pensées multiples, fugitives, mélange contradictoire de joies, de déceptions, de regrets, de plaisir.

-Regarde celui-là, comme il escalade l'échelle... il s'arrête... il tombe... Dommage...

-Là, l'homme à l'écu bleu... il pourfend son quatrième adversaire... Cette échelle renversée, avec sa grappe de soldats...

Epuisé, le jeune homme se laissa glisser sur le sol. De grosses gouttes de sueur perlaient à son front ; des élancements douloureux traversaient son cerveau, tandis que des stries multicolores dansaient devant ses rétines.

Inquiet, Ray se pencha sur son ami et lui glissa une tablette dans la bouche.

-As-tu tout enregistré?

-Aucune pensée ne m'a échappé.

Devant le regard interrogateur de Mac Donald,

Marc murmura:

-Dément ! Des gosses... ce sont des gosses qui regardent la télévision... Mais ils sont capables de voir dix mille... cent mille écrans à la fois... Et surtout, ils composent leur programme et influent, en fonction de leurs caprices, sur le déroulement du film... Pire, ils jouent, comme aux dames ou aux échecs...

Duck poussa un grognement.

-Je comprends maintenant pourquoi, lorsqu'une trêve est conclue, chacun retourne derrière sa frontière, sans chercher à consolider les positions acquises!

-Des joueurs qui remettent les pions en place sur un échiquier géant! Puis ils recommencent la partie !

-Ont-ils l'intention de nous libérer?

-Je l'ignore, mais c'est peu probable dans l'immédiat. Et comme ils n'ont pas la même échelle de temps... Pour eux, deux siècles, c'est hier pour nous!

-Pénible perspective, ricana Duck. Jamais ma petite amie ne m'attendra aussi longtemps.

Marc s'essuya le front, avant d'ajouter:

-Il y a plus grave ! Nous sommes des gêneurs qui troublent leur jeu. Dans un mouvement de colère, ils peuvent nous anéantir, comme un enfant écrase une fourmi ! (Un élancement douloureux plus intense que les autres traversa son crâne, lui arrachant une grimace.) J'ai besoin de me reposer une heure ou deux.

Il ferma les yeux et, malgré sa situation inconfortable, s'endormit presque aussitôt.

***

La première vision de Marc en se réveillant fut celle de Duck avalant une tranche de viande. Ce dernier, voyant son ami ouvrir les yeux, affirma :

-Je suis ton conseil : je prends des repas fractionnés !

Marc se redressa, se frictionnant les côtes.

-Moi aussi, je crois que je vais grignoter un morceau. (Comme Ray se précipitait pour le servir, il lui demanda:) As-tu une idée pour nous sortir d'ici?

Ce fut l’androïde de Mac Donald qui répondit :

-Le champ de force est infranchissable ! (Désignant un angle de leur prison, il ajouta:) Dans cette direction, il y a cent mètres de roche entre nous et l'air libre. En effectuant des sondages pour essayer de trouver de l'eau, j'ai noté que c'était l'endroit où le roc était le moins épais...

-Pourrions-nous creuser un tunnel? interrogea Marc.

-Avec nos seuls lasers digitaux, cela prendra des semaines, répondit Sam. Il faudrait un désintégrateur.

Mac Donald éructa quelques jurons bien sentis.

-Nous pouvons remercier les imbéciles qui ont ordonné de désarmer les androïdes. Je donnerais un an de solde pour en avoir un en face de moi ! Je prendrais vraiment plaisir à lui aplatir la figure.

Marc fronça les sourcils en découvrant que le visage de Ray se modifiait, prenant un air gêné.

-Je pourrais peut-être vous être utile... (Pressé de questions, il expliqua, visiblement très mal à l'aise:) Tu sais, Marc, que notre départ a été précipité. Je n'ai pas eu le temps de passer à l'usine pour faire démonter mon désintégrateur. J'ai pensé que si je le débranchais, les nouvelles consignes seraient tout de même respectées.

-De sorte que..., débuta Marc.

-Je pense qu'il est possible de rétablir les connexions, surtout si Sam m'aide, compléta Ray.

-Génial! s'exclama Mac Donald. Vite, j'ai hâte de sortir d'ici !

Marc tempéra leur enthousiasme. Du menton, il désigna discrètement les deux sphères qui brillaient toujours du même éclat.

-Je ne crois pas qu'ils accepteront facilement que nous leur faussions compagnie. Il faut être très prudent. Pour l'instant, Ray, contente-toi de remettre ton désintégrateur en état de marche.

-Comment envisages-tu le problème? s'inquiéta Duck.

-Nous agirons lorsque les bziks seront très occupés. Quelle heure est-il?

-Six heures du matin, dit aussitôt Ray.

Marc ferma les yeux, se concentrant. Il perçut

vite la pensée d'un bzik. La créature semblait très irritée.

-Pourquoi nous déranges-tu encore?

-J'étais curieux de savoir où en était votre partie.

Ce fut le deuxième bzik qui répondit. Lui était de bien meilleure humeur:

-L'assaut des troupes d'Ox contre ma capitale a échoué. Maintenant, mon armée est revenue à marche forcée. Une grande bataille se prépare. Elle se déroulera devant les murs de la ville, et elle décidera de l'issue de la partie.

Le premier reprit, empli d'une certaine jubilation :

-Les armées sont rangées face à face, le combat va commencer. A présent, fiche-nous la paix. Tu connaîtras le résultat ce soir!

Le contact fut brutalement rompu. Marc rouvrit les yeux et s'ébroua comme un boxeur au cours d'un match difficile.

-Maintenant, Ray, au travail ! Vite ! (Se tournant vers Duck, il ajouta:) As-tu toujours pour amie la rousse Marion ? Elle a une très jolie poitrine.

Mac Donald, rougissant, grommela:

-Crois-tu que ce soit le moment...

-Oui, rétorqua sèchement Marc. Bien qu'occupé par le spectacle de la bataille, un bzik peut à tout moment sonder ton esprit. Il faut qu'il ne puisse y lire que des pensées érotiques, et non la progression de Ray. Alors, parle-moi de ses seins, de ses fesses, de la dernière fois où vous avez fait l'amour. Evoque des images très précises!

Duck obéit aussitôt. Il raconta plusieurs anecdotes piquantes. Lorsqu'il sembla à court d'imagination, Marc prit le relais, contant sa première nuit avec ses trois épouses, ne manquant pas d'évoquer les scènes les plus osées. Duck enchaîna avec ses souvenirs de la ville prise d'assaut.

Marc, l'esprit concentré, avait perdu toute notion du temps. Il se retourna en sentant une main se poser sur son épaule. La voix de Ray chuchota à son oreille:

-Le tunnel est percé. La pente est rude, car j'ai voulu aller au plus court. Nous vous hisserons, avec nos anti-grav. Viens!

Mac Donald se levait déjà, le visage réjoui.

-Duck! s'exclama Marc. Concentre tes pensées sur Marion... les fesses de Marion... l'amour avec Marion...

Il agit de même, songeant à Elsa, la seule femme qu'il aimât vraiment et vers laquelle il revenait toujours ! Ray le souleva par les aisselles. Le tunnel, rectiligne, faisait à peine un mètre de diamètre. A son extrémité, on discernait un minuscule point lumineux. La liberté!

Marc se sentit emporté. Dans le boyau régnait une chaleur lourde, suffocante.

-Evite de toucher les parois, recommanda Ray. La roche est encore brûlante.

Une sueur abondante commença très vite à couler sur la peau du jeune homme, qui pensa à un sauna déréglé. Il ne sut jamais combien de temps dura cette plongée en enfer. Enfin, il se retrouva à l'air libre, ébloui par la lumière du soleil. En face de lui, Duck clignait comiquement des yeux, secoué de quelques frissons dus à l'air frais du matin.

Un module se posa près d'eux.

-Embarquez, leur dit Ray! Pour gagner du temps, j'ai demandé à Sam d'appeler son engin du pied de la montagne.

La porte s'était à peine refermée, que Ray, installé aux commandes, décollait. Les passagers eurent soudain l'impression d'être écrasés sur leur siège.

-Désolé, commenta l'androïde, mais je crois que nous avons intérêt à nous éloigner le plus possible avant la fin de la bataille. Les bziks risquent de nous faire payer cher notre escapade.

-Nous sommes hors de danger, maintenant, fit Duck, euphorique.

Marc le détrompa aussitôt:

-Tu oublies qu'ils ont pu détruire ton astronef! Je ne me sentirai en sécurité que lorsque nous aurons plongé dans le subespace!

Le visage déformé par une douloureuse grimace, à cause de l'accélération, Mac Donald approuva de la tête. Crispé, son camarade égrenait les secondes.

-Ne peux-tu accélérer, Ray?

L'interpellé lui montra du doigt un cadran qui

virait au rouge.

-Je suis à l'extrême limite de poussée des moteurs. Voici le Neptune, nous aborderons dans une minute.

Avec sa précision coutumière, il conduisit le module dans la soute. La pression rétablie, il sauta immédiatement à terre et courut vers le poste de pilotage.

Les autres le suivirent. Ils étaient encore dans la coursive quand ils entendirent le bruit des propulseurs se mettant en marche. Les effets de l'accélération se firent aussitôt sentir, malgré les anti-g fonctionnant à plein régime.

Péniblement, les humains finirent par atteindre les fauteuils du poste, sur lesquels ils s'effondrèrent.

-Bouclez vos sangles magnétiques. Plongée dans le subespace d'ici quatre minutes, annonça Ray.

Anxieusement, Marc consultait la pendule de bord.

Trois minutes... Deux minutes... Une minute.

Ce fut avec un formidable soulagement qu'il ressentit le malaise traduisant la plongée dans le subespace. Lorsque ce fut fini, il déboucla sa ceinture et se leva en éclatant de rire.

-Mon vieux Duck, je crois que nous avons bien mérité de boire un verre.

Dans la cabine-salon, il ouvrit le bar et servit deux scotch bien tassés.

-A ta santé!

Mac Donald goûta avec une mimique approbatrice.

-Ce n'est pas une marchandise fournie par le Service... Ah, c'est vrai ! J'oubliais que tu possèdes une jolie fortune personnelle. (Il examina un instant le fond de son verre, comme s'il voulait y puiser une idée nouvelle.) Je voudrais te dire, Marc... (Il s'interrompit puis lança très vite :) Merci! Sans toi, à cette heure, je pense que je serais mort.

-N'importe qui aurait fait la même chose !

Duck secoua la tête.

-Inutile de bluffer. J'ai parfaitement deviné que tes ordres t'interdisaient de me rechercher.

-Nous dirons que je t'ai retrouvé par hasard ! Nous avons fait une telle découverte que les administratifs n'iront pas chercher plus loin.

-Je l'espère pour toi, soupira Duck.

-Inutile de nous mettre martel en tête. Viens, nous allons faire notre rapport au général.

Marc s'installa devant la vidéo-radio. Duck consulta l'ordinateur, et une ride barra son front.

-Il est deux heures du matin, à New York. Ne penses-tu pas qu'il vaudrait mieux attendre? (Il ajouta avec un petit rire :) Remarque, j'oublie que tu as la réputation d'être l'agent qui a réveillé le plus souvent le général. Chaque fois que tu pars en mission, je sais que des paris sont ouverts.

-le suis très flatté de cette réputation, rétorqua Marc, les lèvres pincées. (L'écran de la vidéo-radio s'éclaira, montrant le visage de l'opérateur de permanence au S.S.P.P.) Capitaine Stone, au rapport.

L'homme le dévisagea un instant.

-Le général Khov a quitté son bureau depuis longtemps. Je sais que vous êtes un de ses familiers, voulez-vous que j'appelle son domicile?

-N'en faites rien, s'écria précipitamment Marc. Il ne s'agit que d'un rapport de routine ! Il suffit que le général le trouve demain matin sur sa table.

L'opérateur ne put masquer son étonnement.

-Prêt pour l'enregistrement, dit-il, fataliste.

Manifestement, il avait perdu son pari! Ray et Sam effectuèrent successivement une transmission accélérée de leurs enregistrements. Lorsque ce fut achevé, Marc conclut :

-Dites au général que nous attendons ses instructions.

De retour dans la cabine-salon, Duck se laissa tomber sur un fauteuil-relax.

-Notre mission est terminée, et j'avoue que je ne serai pas mécontent de retrouver notre bonne vieille Terre.

-L'est-elle réellement? murmura Marc.

Mac Donald poussa un. vigoureux soupir.

-Je comprends ce que tu ressens, probablement parce que j'éprouve le même sentiment. Il est pénible d'abandonner une planète aux fantaisies de ces deux bziks. Mais qu'y pouvons-nous? Il faudrait une escadre entière pour les chasser, et cela n'irait pas sans pertes énormes pour nous. Et puis si l'énergie contenue dans ces créatures était libérée d'un seul coup, le continent entier serait ravagé ! Loin d'apporter la liberté à nos amis, nous les entraînerions dans la mort.

Marc but une petite gorgée de scotch. D'une voix sérieuse, il lança à son ami:

-Connais-tu la vieille devinette: « Qu'est-ce qui est plus fort qu'un Turc? » (Duck, surpris, secoua la tête.) Deux Turcs! (Son vis-à-vis le regarda comme s'il doutait de ses facultés mentales.) Je ne délire pas! Applique ce principe à notre problème : seul un bzik peut lutter contre un autre bzik. Or, je pense savoir où en trouver un! (Il lança, un peu plus haut:) Ray, cap sur la planète Armina ! C'est là-bas que j'ai rencontré le bzik.

L'androïde n'esquissa pas un geste. Avant que Marc ne puisse protester, il expliqua, ironique:

-il était évident que tu arriverais à cette conclusion. Aussi, dès notre départ, j'ai programmé notre plongée pour Armina. Nous avons donc gagné quelques heures!

Mac Donald éclata de rire.

-Voilà ce qui s'appelle obéir avant l'ordre. Je commence à comprendre pourquoi tu effectues tes missions mieux et plus vite que les autres. Le mérite en revient à Ray!

-C'est parfaitement exact, sourit Marc. Sans lui, il y a longtemps que je ne serais plus qu'un nom gravé sur une plaque dans le hall du S.S.P.P. !

-Si tu le permets, reprit Duck, je me sers un autre verre et je vais déjeuner ! N'oublie pas que j'ai quinze jours de jeûne à rattraper. Si elle me voyait maintenant, Marion ne reconnaîtrait pas le beau et fringant capitaine que j'étais !

Resté seul, Marc sirota lentement son verre. Un détail le tracassait.

-Ray, appela-t-il mentalement, est-il exact que tu n'aies pas eu le temps de faire démonter ton désintégrateur?

-Mettons que j'ai préféré occuper ce temps à autre chose, répondit l'androïde. Je n'aime pas t'accompagner en mission sans mes petits gadgets : j'ai l'impression d'être tout nu ! L'expérience a montré que mon initiative n'avait pas été inutile... (Il conclut, ironique:) La providence divine est une excellente chose mais je préfère l'aider un peu.

CHAPITRE XIII

La sonnerie d'appel de la vidéo-radio tira Marc de sa rêverie. Il avait dormi douze heures d'affilée et se sentait détendu. Derrière lui, Mac Donald, toujours affamé, grignotait un en-cas. Se redressant, Stone effleura un contact. Aussitôt, le visage de Khov s'imprima sur l'écran. Ses traits étaient figés, mais son regard pétillait de malice. Il s'exprima d'une voix autoritaire et officielle:

-Capitaine Stone, j'ai pris connaissance de votre rapport et de celui de Mac Donald. A première vue, ils paraissent satisfaisants. Je les transmettrai demain aux services techniques qui établiront un compte rendu détaillé, lequel sera envoyé à la commission compétente. Mais comme j'exigerai un travail parfait, cela prendra au moins dix jours. En conséquence, vous et le capitaine Mac Donald pouvez vous considérer dès maintenant comme étant en permission. Si vous le désirez, vous pouvez même effectuer un détour avant de revenir sur Terre, à vos frais naturellement! Bonnes vacances, messieurs. Surtout, ne vous laissez pas distraire par des sorcières !

La vidéo-radio éteinte, Duck fulmina :

-La vache ! Il ne manque pas de culot ! Pas un mot de félicitation ! Et il décompte le trajet de nos jours de permission!

Marc éclata de rire.

-Tu n'as rien compris! En réalité, il nous donne carte blanche pour agir, mais il doit se couvrir vis-à-vis de la commission. Il nous procure même un délai supplémentaire en exigeant que les techniciens exécutent un travail minutieux. Compte sur lui pour leur faire recommencer plusieurs fois leur rapport.

Interloqué, son ami fronça les sourcils.

-Tu crois qu'il sait où nous allons?

-Il me l'a parfaitement fait comprendre. Au cours de la mission où j'ai rencontré le bzik, j'ai aussi fait la connaissance d'une fille qui se disait la sorcière du marais. Je lui ai même sauvé la vie, parce qu'un prêtre un peu trop zélé voulait la mener au bûcher. L'allusion de Khov était très explicite.

-Je pensais à une boutade de sa part!

-Si tu t'imagines que le général plaisante pendant le service, mieux vaut demander ta retraite anticipée!

-Alors, il a eu la même idée que toi!

-C'est-à-dire qu'il a tenu à s'assurer que j'y avais pensé, voire à me donner cet ordre.

-Je n'aime pas cette allusion aux frais, bougonna Duck. Les administratifs y puiseront un motif pour rogner ma solde.

-Pas de danger! Là encore, c'est à moi qu'il s'adressait. Il sait que mon compte bancaire est suffisant pour supporter les frais d'un détour par Armina. Si nous réussissons, je ne crois pas que tu aies à régler la facture !

-Voilà Armina, dit Marc en désignant une sphère verdâtre qui grossissait sur l'écran. C'est une planète terramorphe. Sur ce continent-là s'est développée une civilisation médiévale.

-Heureux pays, qui n'a pas encore découvert les vertus des armes à feu, ricana Mac Donald.

-Ils savent très bien s'entre-tuer à l'arme blanche, crois-moi. J'ai récolté bon nombre d'hématomes durant mon séjour.

-Où se trouve ton bzik?

Marc modifia les réglages, faisant apparaître une éminence qui émergeait d'un marais.

-Quand nous nous sommes rencontrés, il se cachait dans cette montagne.

-Ils ont une prédilection pour les cavernes, se moqua Duck. Pourquoi ne le contactes-tu pas mentalement?

-J'ai essayé, mais sans aucun résultat! Ray, dès que nous serons en orbite, prépare le module.

Mac Donald se leva vivement.

-Je viens avec toi, Marc, je commence à me rouiller, un peu d'exercice me fera du bien. Sam restera à bord pour nous attendre.

-O.K., mais il va falloir réendosser nos défroques moyenâgeuses. Heureusement, elles seront aussi adaptées sur Armina que sur Ourka. Si nous rencontrons un autochtone, tu joueras les muets. Il doit me rester en mémoire quelques bribes de leur langage, et Ray nous servira d'interprète. Lui, il n'oublie jamais rien.

Une fois équipés, ils s'installèrent dans le module.

-Amusant, fit remarquer Duck; deux preux chevaliers dans un engin aussi sophistiqué ! Aucun metteur en scène ne pourrait rêver plus bel anachronisme !

La navette fut éjectée du sas dans un joli nuage irisé. Peu pressé, Ray la pilota en douceur, se freinant sur les couches denses de l'atmosphère.

-Nous atterrirons sur la montagne, à quelques mètres de la caverne, lorsque la nuit sera tombée. Comme ça, personne ne nous verra arriver.

Quand l'engin se fut posé, ils attendirent les résultats des analyses confirmant que l'air extérieur n'avait subi aucune modification dangereuse.

-Nous pouvons descendre, décida alors Marc. L'entrée de la grotte est ici.

Ils avancèrent d'une cinquantaine de mètres, éclairés par le projecteur de l'androïde.

-Cela semble bien désert, grogna Duck.

-Patience, regarde! (Après un coude, une lueur rougeâtre venait d'apparaître à l'extrémité du boyau.) Nous approchons du but, souffla Marc, et...

Le reste de la phrase resta coincé dans sa gorge. Six hommes étaient installés dans la caverne, éclairée par quelques torches fumeuses. Ils entouraient un feu, sur lequel rôtissait une volaille.

Ces locataires imprévus se levèrent brusquement en apercevant les Terriens, ils étaient dépenaillés, crasseux, le visage mangé par la barbe, mais les armes qu'ils brandissaient étaient bien luisantes.

Un colosse, qui paraissait être le chef, s'avança :

-Soyez les bienvenus dans mon repaire, sires chevaliers, se moqua-t-il. Il a dû vous falloir beaucoup de courage pour traverser ce marais. Je gage que vous ne vous attendiez pas à trouver ici d'autres créatures humaines. Sans doute visiez-vous un plus noble but. Le graal, par exemple. Mais vous allez être mes hôtes; des hôtes tellement précieux que nous ne les libérerons que contre une très riche rançon.

L'instant de surprise passé, Marc porta la main à la garde de son arme.

-Je ne paie pas en or mais en acier, gronda-t-il.

Les yeux de l'hercule brillèrent, ironiques.

-Je n'en attendais pas moins d'un preux chevalier.

Tirant son épée, il marcha sur Marc et frappa d'un puissant coup de revers. Le Terrien para en tierce puis riposta d'un coup de pointe qui effleura la poitrine de son adversaire, lui égratignant la peau.

Furieux, le brigand lança une nouvelle attaque, immédiatement parée. Il n'évita la botte qui suivit qu'en reculant d'un pas. Le duel se poursuivit quelques minutes, la superbe du colosse s'effaçant peu à peu tandis que son visage se crispait. Deux sillons rougeâtres sur sa poitrine, témoignaient de réactions trop tardives. Faisant taire son orgueil, il lança enfin d'une voix rauque:

-Allez, vous autres, liquidez-les tous!

Les cinq bandits s'élancèrent au secours de leur chef en poussant de grandes clameurs. Mac Donald se trouva confronté à un type long, maigre, mais qui maniait sa lourde épée avec dextérité. Marc, lui, dut faire face à un nouvel opposant qui arrivait opportunément à la rescousse de son chef, lui permettant de souffler un instant.

Il lui fallut esquiver une attaque de pointe, qu'il contra d'un solide revers sur le sommet du crâne, envoyant son adversaire rouler à terre. Déjà, le colosse revenait à l'assaut, l'obligeant à parer en quinte un coup destiné à lui fendre la tête.

Ray se trouvait devant trois brigands. Il ne tira même pas son arme, mais le combat fut aussi bref que brutal : évitant les coups d'épée par de petits sauts de côté, l'androïde assomma d'un uppercut foudroyant ses deux plus proches agresseurs, qui s'effondrèrent; il envoya alors le corps de l'un d'eux dans les jambes du troisième, lequel trébucha ; une lourde manchette sur la nuque mit aussitôt fin à la bagarre.

Le vainqueur examina la scène. Mac Donald malmenait son adversaire et, d'un dernier coup vigoureusement assené, l'envoya à terre sans connaissance. Seul Marc et le chef poursuivaient leur explication. Néanmoins, le bandit reculait sans cesse et se trouva bientôt acculé contre la paroi rocheuse. Après une dernière feinte, son ennemi lui appuya la pointe de l'épée sur la gorge.

-Parle vite, gronda-t-il. Que fais-tu ici?

-Pitié, messire, larmoya la brute. Nous étions poursuivis par tous les hommes d'armes des environs. Nous avons été obligés de nous réfugier dans le marais. Puisque vous l'avez traversé, vous savez que c'est pire que l'enfer. La moitié de mes hommes sont morts en chemin. Finalement, nous avons réussi à atteindre cette montagne, et nous avons trouvé refuge dans cette caverne.

-N'y avait-il pas un occupant?

-Absolument personne, je vous le jure sur ma part de salut éternel.

-Quand êtes-vous arrivés?

-Il y a environ trois mois!

L'excitation du combat retombait, et Marc sentit une immense déception l'envahir. Il fit un signe à Ray, qui attrapa le colosse par le bras. L'homme, trop surpris par sa défaite, ne tenta pas de résister. Il suivit l'androïde et s'écroula, assommé par une vigoureuse manchette sur le crâne.

Après s'être assuré d'un regard que tous les brigands étaient encore inanimés, Marc grogna:

-Filons, nous n'avons plus rien à faire ici. Ils auront une migraine carabinée en se réveillant, et ils se demanderont longtemps comment nous avons bien pu partir.

Dans le module, Mac Donald s'exclama:

-Je ne t'avais jamais vu combattre en dehors de la salle d'entraînement ! Je pense que tu pourrais me donner quelques leçons ! Tu as une vitesse et une force de frappe redoutables!

Le compliment ne dérida pas son camarade, qui ne desserra pas les dents jusqu'à leur arrivée dans la soute du Neptune. Sans même prendre le temps de se changer, il gagna le poste de pilotage.

-Je comprends ta déception, reprit Duck, qui l'avait suivi. Je pense qu'un verre de ton vrai scotch te ferait du bien. (Tendant un gobelet à son ami, il ajouta :) Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, et môme un peu plus. Il faut savoir se résigner devant l'inéluctable!

-Non et non! lança Marc. Le bzik a quitté Armina il y a trois mois au plus tard, puisque ces brigands ont trouvé la caverne vide, et six mois au plus tôt, puisque c'est la date à laquelle nous nous sommes rencontrés. Or, il ne se déplace pas à une vitesse supérieure à celle de la lumière. (De ses mains en conque, il dessina un globe.) Donc, il se trouve encore dans cette région.

Mac Donald poussa un petit sifflement.

-Une sphère de six mois-lumière, c'est un joli morceau d'espace à fouiller. Je pense que ça s'apparente à la recherche d'une aiguille dans une meule de foin.

Ray intervint, tout en consultant l'ordinateur de vol:

-Peut-être pas! Du fait de la position assez excentrique du système solaire d'Armina, il n'y en a pas d'autre à moins de six mois-lumière de distance. Dans l'espace interstellaire, la masse d'énergie que constitue le bzik peut être repérée à une assez grande distance. Pour explorer la totalité de la sphère, il suffit donc d'émerger successivement en vingt-quatre points. Le seul problème est le facteur temps.

Marc consulta fiévreusement les données sorties de l'ordinateur.

-C'est réalisable, en effectuant à chaque fois une brève plongée dans le subespace, dit-il enfin.

-Effectivement ; mais les distances sont très courtes, ce qui fait que les malaises des plongées et des émergences se succéderont sans vous laisser le temps de récupérer. Vos organismes seront sérieusement malmenés, et je ne sais s'ils résisteront à deux douzaines de sauts aussi rapprochés.

-Ne t'inquiète pas, grogna Marc. Nous avons un bon entraînement.

-Il y a encore un détail. Nous allons consommer beaucoup d'énergie. Si, au cours de notre voyage de retour, nous faisons de mauvaises rencontres, un vaisseau pirate par exemple, notre écran protecteur ne résistera pas à plus de quelques torpilles.

-Ce serait vraiment la poisse ! Il n'y a pas tant de pirates galactiques, et ils préfèrent écumer les lignes régulières de cargo-nefs, ironisa Marc.

-Méfie-toi quand-même. D'autant que si le service te présente la facture, tu auras une note faramineuse à régler !

-Fiche-moi la paix et programme la première plongée !

CHAPITRE XIV

Marc ouvrit péniblement un oeil. Une douloureuse nausée tordait son estomac, et il se sentait aussi courbatu que s'il avait été le sparring-partner du champion du monde de boxe. Dès que sa vision se fut éclaircie, il questionna Ray, qui étudiait les données sorties de l'ordinateur.

-Alors?

-Toujours rien! Mais nous ne savons pas grand-chose des bziks. Qui sait s'ils n'arrivent pas à dissimuler leur formidable énergie, ce qui les rendrait invisibles à nos détecteurs?

-C'est peu probable. Continuons!

-Attends ! Les instruments n'ont pas terminé le balayage de ce secteur. En outre, c'est notre quatorzième émergence, et ton organisme a besoin de repos.

A cet instant, quelques jurons bien sentis annoncèrent l'arrivée de Mac Donald dans le poste de pilotage. Il y avait un verre dans sa main agitée d'un léger tremblement.

-Bon Dieu! Je ne tiens pratiquement plus debout. Ray nous secoue comme des pépins de citron dans un shaker ! S'il pilotait un astronef de croisière, les passagers débarqueraient à la première escale! (Levant son verre, il le vida d'un trait.) Tu sais que j'ai pris goût à ton vénérable scotch. Fais-moi penser à t'en envoyer une caisse! A ce régime, je crois que je ne tarderai pas à liquider ton bar.

-Il y a des réserves dans la soute. Comment te sens-tu, après cette succession de plongées?

-Aussi frais qu'une ration militaire datant de la Troisième Guerre mondiale! J'ai l'impression d'être passé par inadvertance dans un broyeur-concasseur géant !

-Tu peux encore tenir?

Duck éclata de rire.

-Ne t'inquiète pas! La carcasse résistera. Je n'ai jamais passé une permission aussi amusante ! (Avec une grimace comique, il ajouta:) Réflexion faite, j'aime encore mieux être ici à boire ton scotch qu'en train d'agoniser au fond d'une caverne. Mourir de faim est très désagréable. Ce seul souvenir m'ouvre l'appétit, tiens! Pendant que les analyses se poursuivent, j'ai le temps d'avaler une ration repas. Prévenez-moi lorsque nous replongerons, ça ne facilite pas la digestion!

Fatigué, Marc ferma les yeux. Aussi ne vit-il pas immédiatement une lampe témoin se mettre à clignoter.

-Un contact au 120, annonça Ray.

Le jeune homme se redressa brusquement, vérifiant fébrilement les données de l'analyseur.

-Aucun écho radar, l'objet est de petite dimension pour sa charge énergétique. De plus, il se déplace à une vitesse voisine de celle de la lumière. Ce pourrait être notre oiseau rare.

-Vite, calcule une trajectoire d'interception ! Nous devons nous en approcher le plus possible.

Ray pianota rapidement sur les touches de l'ordinateur, qui ne tarda pas à afficher une série de coordonnées. L'androïde relança les propulseurs, et l'accélération cloua Marc à son siège. La voix enrouée de Mac Donald résonna dans le haut-parleur.

-Vous auriez pu m'avertir! J'ai avalé de travers toute une cuillerée de steak lyophilisé reconstitué !

-Laisse tomber ton festin, Lucullus, et rejoins-nous au poste de pilotage. Nous avons peut-être gagné le gros lot!

Lorsqu'il arriva, Duck trouva Marc les yeux fermés. Ray lui ordonna de se taire d'un geste impérieux et lui montra sur l'écran un minuscule point lumineux vers lequel le Neptune se dirigeait.

-Interception dans six minutes, annonça l'ordinateur.

Stone s'efforçait de mobiliser toute sa puissance mentale. Les secondes s'écoulaient, rapides, inexorables, sans qu'il obtienne le moindre résultat.

-Contact dans une minute, annonça Ray. Il faut modifier notre trajectoire, si nous voulons éviter une collision catastrophique.

-Vire légèrement, que nous puissions rester à sa hauteur le plus longtemps possible, répondit Marc.

-Ce sera bref, il est beaucoup plus rapide que nous.

Marc s'allongea à demi, les mains sur les yeux, tentant de faire le vide dans son esprit.

Sur l'écran de visibilité extérieure, une sphère flamboyante était maintenant visible, filant à une vitesse quasi luminique.

-Comment peut-il être si rapide? murmura Duck. Il nous dépasse... Dans quelques secondes, il sera à nouveau hors de portée visuelle.

-Curieux, intervint Ray, il ralentit, comme s'il voulait nous laisser la possibilité de le rejoindre.

A cet instant, une onde psychique atteignit les neurones de Marc.

-Bonjour, ami, je n'espérais pas te retrouver si tôt. Excuse-moi, j'étais en phase de méditation, c'est pourquoi je n'ai pas pris garde à ton appel, pourtant très intense. Je suis ravi de ce hasard, qui nous fait nous revoir. Mathématiquement, il n'y avait pas une chance sur plusieurs milliards que nos routes se croisent à nouveau.

-J'ai beaucoup aidé le hasard, ironisa Marc. Je voulais absolument te contacter. Je me suis d'abord rendu sur Armina, mais tu étais parti depuis plus de trois mois.

-Cent dix-huit de vos jours, exactement.

-Il faut que tu nous viennes en aide, je t'en prie.

Marc perçut aussitôt une vive réticence dans l'esprit de son interlocuteur. La réponse vint, immédiate, sèche:

-Impossible ! C'est un de nos principes : tout au plus, après avoir longtemps observé des humanoïdes, leur suggérons-nous quelques idées pour ce que nous croyons être leur bien ; mais nous ne nous mêlons jamais de leurs querelles.

-Et de celles des bziks?

-Je t'ai déjà expliqué que nous sommes très indépendants.

-N'existe-t-il pas une sorte de police, pour le cas où l'un de vous deviendrait un danger?

-C'est inutile, puisque nous respectons tous les mêmes règles. Explique-moi ton problème, ce sera plus simple.

Marc fit un exposé complet de ses découvertes sur Ourka. Un grand trouble envahissait l'esprit du bzik.

-Je sais que tu ne peux mentir, mais j'ai du mal à accepter un tel récit. Des bziks qui se servent d'humanoïdes comme de marionnettes, de pions... Il doit y avoir une erreur... une monstrueuse confusion. Je vais me rendre sur cette planète. Adieu, ami, et merci...

Après avoir effectué un rapide calcul, Marc objecta :

-Ourka est située dans un autre secteur de la Galaxie. Il s'écoulera un siècle avant que tu y parviennes. Pour les humains, c'est long, très long. Cela représente encore trois générations d'hommes et de femmes, qui souffriront et mourront inutilement.

-C'est vrai, ami, j'oubliais que nous n'avons pas la même notion du temps. Que proposes-tu?

-Je pourrais t'emmener sur Ourka avec mon vaisseau. En utilisant les propriétés du subespace, nous y serions en trois jours.

L'idée sembla amuser le bzik.

-C'est possible, si ton appareil possède une soute assez grande. Il suffit que je ne touche pas les parois. Ce sera une expérience nouvelle...

-Parfait, je donne les ordres nécessaires.

Marc se redressa, le visage joyeux. Après avoir commandé la manoeuvre d'ouverture du sas de soute, il résuma sa conversation à Duck. En effet, le malheureux n'avait pu saisir aucune bribe de pensée.

-Si je comprends bien, nous allons voyager au-dessus d'un super-concentré d'énergie! Espérons qu'il n'éprouvera pas le besoin d'éternuer!

-Je suis parfaitement installé, émit le bzik. Tu peux refermer le sas !

D'une voix claironnante, Marc lança:

-Ray, cap sur Ourka, et ne traîne pas en route !

Pour toute réponse, l'androïde désigna un écran de contrôle, grognant:

-Nous avons un pépin, et il est de taille!

CHAPITRE XV

Quatre astronefs venant d'émerger du subespace se dirigeaient à grande vitesse vers le Neptune.

-Ce sont des vaisseaux pirates, ils ne portent aucun signe distinctif, nota Ray.

La sonnerie d'appel de la vidéo-radio retentit. Machinalement, Marc effleura le contact. Le visage qui s'imprima sur l'écran était étroit, avec des yeux bridés, des lèvres minces et un nez fin. L'homme déclara d'une voix doucereuse:

-Je suis le commandant Li-Ho. (Marc ne put masquer sa contrariété. Li-Ho était le criminel le plus recherché de l'Union Terrienne. La liste de ses méfaits remplissait à elle seule une mémoire d'ordinateur! Le pirate esquissa un sourire glacé.) Je constate avec satisfaction que mon nom ne vous est pas inconnu. Cela facilitera la discussion. Vous êtes seul contre quatre bâtiments fortement armés, vous n'avez pas l'ombre d'une chance.

-Que voulez-vous? Les astronefs du S.S.P.P. ne transportent pas de marchandises!

-Je me contenterai donc de votre aviso. J'ai entendu dire que ceux de votre Service étaient de véritables merveilles, et il me plairait d'en avoir enfin un à disposition. Si vous vous rendez immédiatement, vous pourrez partir dans un canot de survie.

-Quelle garantie me proposez-vous?

-Ma parole.

Marc éclata d'un rire grinçant.

-Il n'y a pas un astronaute dans toute la Galaxie qui risquerait un quart de dols sur elle ! Nous aimons mieux mourir en combattant que de tomber entre vos mains!

L'insulte fit frémir le pirate.

-j'aurai votre aviso, gronda-t-il, et je vous promets une mort très désagréable!

Marc coupa la communication d'un geste sec.

-Duck, dit-il, contacte la Sécurité Galactique et lance un appel à l'aide.

-Attention, intervint Ray, il vient de tirer une salve de huit missiles.

Le jeune homme regarda l'écran où se profilaient des ombres menaçantes.

-Ils sont diablement rapides, constata-t-il. Vire de 80 degrés et accélère. Ensuite, tu changeras de cap en lançant un cisée. (C'était un leurre perfectionné donnant une image volumique, thermique et électromagnétique du Neptune, destinée à tromper les têtes chercheuses des missiles.) N'oublie pas de riposter à chaque changement de cap. Deux plus deux, notre technique habituelle.

L'androïde obéit aussitôt, et l'accélération brutale amena un voile noir devant les yeux des deux humains. Lorsqu'il émergea du brouillard, Marc entendit Ray annoncer d'une voix calme :

-Les missiles ont été trompés, et un des bâtiments ennemis est détruit.

Mac Donald laissa poindre son étonnement.

-Je croyais qu'un écran protecteur pouvait encaisser douze projectiles sans dommage.

-Sauf si deux d'entre eux explosent simultanément. Le générateur arrive à saturation, et les suivants peuvent parvenir à proximité de la coque.

-Mais ça demande une précision diabolique !

-C'est une spécialité de Ray, sourit Marc. Il nous a fallu plusieurs combats pour roder cette technique.

L'androïde les interrompit :

-Malheureusement, le pirate a ordonné un nouveau tir. Seize missiles, cette fois-ci.

Marc consulta l'écran de visibilité extérieure.

-Nous avons une chance de leur échapper. Regarde, ils n'ont pas tous été tirés en même temps, ils se sont disposés sur trois rangs. En zigzaguant bien, on devrait pouvoir les dérouter.

Ray eut une mimique désabusée très humaine.

-Ce sera tangent ! Bouclez bien vos ceintures, vous allez être sérieusement secoués ! La Sécurité Galactique a-t-elle répondu?

Mac Donald eut un regard désespéré.

-L'opérateur a noté mon appel au secours mais n'a pu préciser quand un croiseur serait disponible.

-En termes diplomatiques, gronda son camarade, cela signifie qu'il ne faut espérer aucune aide extérieure !

Le Neptune effectua un changement de cap. Malgré les anti-g fonctionnant au maximum de leur puissance, Marc perdit connaissance. Il ne devait conserver qu'un souvenir partiel et confus des instants qui suivirent. A peine sortait-il de l'inconscience qu'une force irrésistible l'y replongeait. Enfin, il parvint à retrouver un peu de lucidité. La voix chaude de Ray expliquait:

-Le danger est temporairement écarté. Un deuxième astronef pirate a été anéanti. Mais j'ai épuisé notre provision de cisées, et notre écran a encaissé trois torpillons. Comme notre réserve d'énergie était déjà basse... (Il s'interrompit, puis reprit avec hésitation :) Je ne comprends pas ! L'indicateur d'énergie ne montre aucune variation. Il doit être déréglé. Je procède à un contrôle.

L'androïde effleura rapidement plusieurs touches. Deux secondes plus tard, le cerveau électronique affichait son verdict:

-« Réserves inchangées. »

A cet instant, Mac Donald, revenu à lui, poussa un hurlement en pointant le doigt vers l'écran de visibilité extérieure. Fou de rage devant la perte de deux de ses bâtiments, Li-Ho avait ordonné un tir accéléré de tous ses missiles. Maintenant, c'était plus d'une trentaine d'engins qui s'avançaient à grande vitesse vers le Neptune.

-Cette fois, nous sommes perdus, murmura Duck d'une voix blanche.

Marc chercha désespérément un moyen de salut. il savait que son vaisseau ne disposait pas encore d'une vitesse suffisante pour plonger dans le subespace. Ray, suivant ses pensées, confirma:

-Il manquerait deux minutes trente-sept secondes. Et comme il n'y a aucune planète à proximité, il est inutile d'essayer de nous enfuir à bord d'un canot de survie.

Le bzik se manifesta alors mentalement:

-Ami, j'ai suivi dans ton esprit les péripéties de ce combat. Je constate qu'en quelques milliers d'années, les humains n'ont guère progressé en sagesse. Peux-tu entrouvrir la porte du sas?

-Oui, puisque la pression n'a pas été rétablie dans la soute. Je ne vois pas pourquoi nous devrions t'entraîner dans la destruction de notre appareil.

L'idée parut amuser la créature.

-Tu sais, moi, je ne crains rien ; je pense à toi. Ouvre vite.

Marc enfonça une touche puis reporta son attention sur l'écran. Hypnotisé, Duck fixait les missiles, tout proches maintenant. Malgré lui, il comptait les secondes qui lui restaient à vivre. Sept... Six... Cinq...

-Adieu, Ray, émit Marc. Tu étais mon ami...

Un point lumineux naquit brusquement sur l'écran, suivi de beaucoup d'autres. Lorsqu'ils s'effacèrent, les missiles avaient disparu!

Doutant de ses sens, Marc modifia plusieurs réglages, pendant que Duck dévidait encore machinalement :

-Deux... Un... (Etonné d'être toujours vivant, réalisant ce qui s'était passé, il lança:) Qu'arrive-t-il ? Où sont les missiles?

-Je ne comprends pas plus que toi, mais il faut bien reconnaître qu'ils ont explosé loin de nous.

Le bzik se manifesta, ironique:

-J'ai pensé, ami, qu'il te serait agréable de voir disparaître ces engins. Je peux envoyer à bonne distance des grains d'énergie, qui ont suffi à les faire exploser. Ça a été amusant et très agréable. J'en ai aussi profité pour absorber toute cette énergie, qu'il était inutile de laisser perdre. Si tu le souhaites, je peux encore en fournir à ton générateur.

-C'est donc à toi que nous devons l'anomalie qui a tant intrigué Ray! Je te remercie de nous avoir sauvés.

-Tu es un des rares humains qui semble avoir l'âme généreuse ; il m'a semblé absurde que tu disparaisses à cause d'une fripouille.

L'échange mental n'ayant duré que quelques secondes, Duck s'exclamait:

-Regarde, Li-Ho n'a pas renoncé, il tente de nous poursuivre ! Pourquoi ne lance-t-il pas d'autres missiles?

-Même si ses soutes étaient pleines au départ, il ne doit plus guère lui en rester, et il ne veut sans doute pas les gaspiller. Que fait-on, Marc? Maintenant, on peut plonger dans le subespace ; il ne pourra pas nous y localiser.

Marc hésita un instant. La sagesse lui commandait de fuir, et il n'entrait pas dans ses attributions de remplacer la Sécurité Galactique. Toutefois, il répugnait à laisser un pirate aussi féroce que Li-Ho écumer l'espace. Il ne sut jamais quelle aurait été sa décision, car Ray annonça juste à cet instant:

-Emergence au 270 ! C'est un croiseur de la Sécurité Galactique.

Les deux astronefs pirates durent aussi identifier le nouvel arrivant, car ils modifièrent leur trajectoire dans le but manifeste de prendre la fuite. Trop tard ! déjà, le croiseur expédiait ses premiers missiles.

Dans les secondes qui suivirent, l'écran protecteur des pirates fut constamment illuminé sous l'effet des impacts. Les brigands ne lancèrent que trois missiles en guise de riposte.

-Leurs dernières cartouches, ironisa Marc.

Le combat ne dura guère, le croiseur imposant rapidement sa puissance de feu. Les deux autres appareils se transformèrent presque simultanément en un nuage irisé.

-Message vidéo-radio, annonça Duck.

Marc sourit en reconnaissant le colonel Parker.

Ils avaient accompli plusieurs missions ensemble. Parker était un officier austère, rigide, et leurs relations étaient toujours empreintes d'une courtoisie glacée. Mais pour une fois, le colonel souriait.

-Capitaine Stone, je suis heureux de constater que nous sommes arrivés au bon moment ! Lorsque la direction m'a transmis votre appel, je reconnais avoir été très inquiet. Pour que vous demandiez du secours, il fallait réellement que vous fussiez en fâcheuse posture. D'ordinaire, vous me soufflez sous le nez toutes les victoires.

-Je vous remercie pour la haute estime en laquelle vous tenez mes capacités, mais à quatre contre un, j'ai trouvé la partie un peu inégale. Pourquoi n'avez-vous pas annoncé votre arrivée imminente ? Cela m'aurait évité des sueurs froides.

Un sourire rusé étira les lèvres du colonel.

-Je craignais que Li-Ho, que je pourchassais depuis des semaines, fût à l'écoute de nos communications. Il était inutile de l'avertir, d'autant que cela n'aurait rien changé à votre situation. Par chance, j'étais dans un système solaire voisin, ce qui m'a permis d'arriver aussi rapidement. (Il détourna le regard pour consulter son ordinateur.)

« A voir les débris qui sillonnent encore l'espace, je pense que vous vous êtes bien occupé en m'attendant. Deux à deux; cette fois, nous sommes à égalité ! »

-En fait, vous avez eu la meilleure part, et votre intervention a été aussi décisive qu'efficace. Je ne manquerai pas de le souligner dans mon rapport. (L'idée plut à Parker, dont le regard brilla de satisfaction.) J'ajoute que, personnellement, je serais heureux de vous offrir un verre, lorsque nous nous rencontrerons sur Terre.

-Merci! Avez-vous besoin que je complète votre armement?

-Cette fois, ce ne sera pas nécessaire. J'effectue une mission urgente pour le Service, et ce damné pirate m'a beaucoup retardé. Vous savez que le général Khov n'apprécie pas que ses agents traînent en route...

Ce rappel à l'ordre fut admis sans difficulté par Parker.

-Bon voyage! Si vous avez des difficultés, n'hésitez pas à me rappeler.

Marc allongea les jambes avec un soupir.

-Ray, cap sur Ourka! Duck, je pense que nous avons mérité un verre de remontant. Ensuite, un passage au bloc sanitaire s'impose. J'ai rarement autant transpiré dans toute mon existence !

Mac Donald secoua la tête.

-Je constate que tu maîtrises aussi bien les batailles galactiques que les duels à l'épée. Moi, j'aurais été éliminé dès la première salve.

-Tu oublies qu'à ma sortie de l'école, j'ai été affecté à la première escadre galactique. Là, nous avons combattu les pirates. De rudes gaillards! En un an, j'en ai plus appris qu'en dix dans un état-major. Et puis c'est Ray qui fait tout le travail. Moi, je me contente de crever de frousse! Si tu veux, il fournira quelques tuyaux à Sam.

Peu convaincu, Duck leva son verre.

-A ta santé ! Quand je pense que Marion a bien failli être veuve avant même d'être mariée!

CHAPITRE XVI

Le Neptune était en orbite autour d'Ourka. Marc discutait avec le bzik de la meilleure manière d'agir.

-Je ne connais pas cette planète, et il m'est difficile de l'explorer d'une manière discrète. Lorsque nous décidons de nous poser sur une terre inconnue, nous cherchons d'abord une excavation où nous dissimuler. C'est ensuite que nous procédons à un sondage des cerveaux des êtres vivants.

-Comment faites-vous pour passer inaperçus ?

-Nous gagnons rapidement notre abri, de sorte que les indigènes croient seulement avoir vu ce qu'ils appellent une étoile filante.

-Que vas-tu faire, alors?

-Le plus simple serait que tu ailles en module jusqu'à l'entrée de la caverne. Je pourrais ensuite te rejoindre rapidement en me basant sur tes ondes psychiques.

Marc ne se sentit pas envahi par un enthousiasme délirant. L'idée du bzik était logique, simple, et permettait de respecter au mieux la loi de non-immixtion. Mais il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine réticence.

-Je ne sais si Ox et So ont apprécié la manière cavalière dont nous leur avons faussé compagnie. Ne risquent-ils pas d'avoir une réaction assez brutale?

-Ne crains rien, ami, je veillerai sur toi en permanence.

-Dans ces conditions, j'accepte. Il me faut juste le temps de me préparer.

Informé des intentions de son camarade, Duck se renfrogna.

-Tu te jettes dans la gueule du loup! Rien qu'à l'évocation de cette maudite caverne, je sens mon estomac se contracter, et cela me donne une faim à dévorer trois steaks de synthèse!

-Toi, tu restes sur le Neptune, déclara Marc d'un ton sans réplique. Comme ça, s'il m'arrive un accident, tu pourras informer Khov et éventuellement venir à mon aide, s'il t'y autorise.

-Que ça lui plaise ou non, je ne te laisserai pas tomber, même si je dois mettre cette planète à feu et à sang pour te récupérer ! rétorqua Mac Donald avec fougue. Dis à Ray de rester en communication radio avec Sam. Ça me rassurera.

Dix minutes plus tard, Stone bouclait sa ceinture protectrice. Le bzik renoua alors la « conversation ».

-Après ton départ d'Armina, j'ai observé la petite sorcière du marais. Elle a suivi ton conseil et s'est installée dans la capitale. Abandonnant toute pratique médicale, elle y a ouvert un commerce d'épices pour la cuisine. Tu avais raison, la gastronomie est moins dangereuse et plus rentable que la médecine. Ses affaires sont très prospères. Les ménagères se battent pour acheter à prix d'or les aromates, inconnus jusqu'alors, qu'on trouve chez elle. Le fils d'un riche marchand à même commencé à la courtiser, mais je sais que son coeur est encore plein du souvenir d'un certain chevalier à l'étoile qui l'a sauvée du bûcher.

-Espérons qu'elle l'oubliera vite pour fonder une vraie famille, soupira Marc. (Il s'installa dans le module, où Ray se tenait déjà aux commandes, puis reprit:) Je pars le premier. J'ai demandé à Duck d'ouvrir le sas de ta soute dans cinq minutes !

Pendant qu'ils approchaient de la planète, le jeune homme songea aux amis qu'il y avait laissés. De Rosta s'était-il remis de sa blessure ? Il sourit en pensant à la jeune Risa. Avait-elle épousé son marchand ? La voix de Ray le tira de sa rêverie :

-Nous nous posons dans deux minutes. J'avoue que je ne suis pas très rassuré. Dès que tu quitteras le module, mets ton écran à pleine puissance.

Les tests terminés, Marc sauta à terre. Dans l'ombre, il distingua l'entrée de la caverne, à moins de cinquante mètres. Une sphère brillante traversa le ciel comme une comète pour venir atterrir près de lui.

-Avant de pénétrer dans la grotte, je voudrais avoir confirmation de ce que tu m'as raconté. Je doute encore que des bziks puissent s'être rendu coupables d'une telle faute. Contacte-les !

Marc ferma les yeux. En moins d'une minute, il accrocha l'esprit de So.

-Tiens, la créature qui s'était échappée. Pourquoi es-tu revenue?

Il y avait plus d'étonnement que de colère dans sa pensée.

-Je voulais savoir qui avait gagné la partie.

-Nous avons fait match nul. La dernière bataille a été de toute beauté. Un très grand combat! Après deux jours d'affrontements, les armées étaient tellement épuisées qu'elles ne pouvaient plus attaquer. Nous avons donc décidé d'arrêter. Nous recommencerons, mais plus tard, car nous avons perdu un grand nombre de pions, et il faut attendre que les effectifs se reconstituent. Pour l'instant, nous cherchons une autre distraction. Aurais-tu une idée?

-Je crois que oui, ironisa Marc. Je vous ai amené un nouveau camarade ; j'espère qu'il vous plaira.

Le sentiment de curiosité fut balayé par une pensée furieuse, aussi sauvage qu'une vague se lançant à l'assaut d'un rocher.

-Honte... honte... Misérables...

Le troisième bzik pénétra en trombe dans la caverne. Marc, perplexe avança prudemment, s'attendant à chaque instant à heurter un champ de force. Toutefois, il ne perçut aucun obstacle. Dans l'immense nef souterraine, les trois sphères brillaient d'une vive lueur, donnant un relief particulier aux multiples concrétions alentour. Le jeune homme ne put percevoir que des bribes de pensées:

-Etude... mémoire atavique... ennui... temps... s'amuser... Honte... respect de la personnalité... partir immédiatement... chasser... aussi forts que toi...

Les échanges étaient si rapides qu'un vertige le saisit. Il tomba à genoux, la cervelle vrillée d'élancements douloureux.

L'éclat des sphères devenait insoutenable. Elles avaient viré à un rouge si lumineux qu'il en devenait presque blanc. La situation resta figée de longues minutes. Puis, lentement, insensiblement, les deux plus petits globes perdirent de leur brillant. Quand Marc put enfin rouvrir les yeux, ils étaient d'un rouge très sombre, éclairant à peine les roches les plus proches. Il perçut alors la pensée de son ami bzik :

-L'affaire a été rude. Ces deux vauriens étaient très forts.

-Que s'est-il passé?

-Comme ils ne voulaient pas quitter Ourka, nous nous sommes affrontés. Il est heureux pour moi qu'au cours du voyage, j'aie pris des forces en détruisant les missiles de tes pirates.

-Que leur as-tu fait?

-J'ai seulement absorbé une grande partie de leur énergie. Maintenant, s'ils veulent retrouver leur force, il leur faut s'exposer pendant plusieurs milliers d'années aux rayons cosmiques. Cela leur donnera le temps d'étudier les données de notre mémoire atavique.

-Ne risquent-ils pas de revenir?

-Je le pense pas; avec le temps, ils auront acquis la sagesse qui est la caractéristique principale de notre race... Tu avais raison, ce ne sont encore que de très jeunes enfants.

-Mais des enfants très doués, ironisa Marc.

-Ils se sont conduits comme des gamins plus bêtes que méchants. Tu sais, il a vraiment fallu un singulier hasard pour qu'ils éclosent à la vie presque simultanément et à si peu de distance l'un de l'autre. Il n'y avait pas non plus une chance sur des millions qu'ils découvrent aussi rapidement une planète terramorphe...

Domptés, Ox et So se dirigeaient vers la sortie de la grotte.

-Un instant, supplia Marc. Ne peux-tu leur demander de réparer en partie le mal qu'ils ont fait?

-Comment?

-Qu'ils suggèrent aux deux monarques locaux de signer un traité de paix, d'abolir la règle des châtiments et d'amnistier les exilés. En revenant parmi les leurs, ces gens pourront importer les lois saines qu'ils ont édictées dans leur communauté. Je sais que ce sera long, mais ces règles finiront certainement par s'imposer.

-Ta requête est juste et raisonnable, admit le bzik.

Une minute plus tard, So émit :

-C'est fait, Marc. Tu sais, j'ai beaucoup admiré ton évasion. Je n'avais pas lu dans ton esprit que l'androïde possédait un désintégrateur.

-Je l'ignorais également, sourit le jeune homme.

-Et pendant le combat, j'ai sondé tes pensées, mais je n'y ai trouvé que de visions érotiques. Tu as su magistralement déguiser ton projet. Adieu, et ne nous garde pas rancune.

Les deux sphères sortirent de la grotte; il les suivit. Arrivées à l'air libre, elles s'immobilisèrent un instant puis s'élancèrent brusquement vers le ciel. En cinq secondes, elles ne furent plus qu'un seul minuscule point brillant qui s'éteignit rapidement.

-Voilà, émit le bzik, tout rentre dans l'ordre, grâce à ton courage. Les habitants de cette planète ne sauront jamais qu'ils te doivent la liberté. Cependant, crois-tu leur avoir apporté une vraie paix?

Marc eut un sourire désabusé.

-Je fais confiance à l'imagination des hommes pour retrouver rapidement des motifs de querelle. J'espère seulement qu'ils mettront quelques décennies à déclencher de nouveaux conflits! Ne veux-tu pas profiter de mon astronef pour aller sur Terre rendre visite à notre président?

-Non, merci. Nous sommes des solitaires et aimons la discrétion. Peut-être, beaucoup plus tard, irai-je voir ce que les hommes sont devenus? Pour l'instant, je vais consacrer quelque temps à la surveillance de mes deux garnements! (Le bzik s'éleva dans l'atmosphère à grande vitesse. Marc perçut encore:) J'ai été heureux de te revoir... Adieu...

L'humain resta un long moment à contempler le ciel.

-Appelle le module, Ray, soupira-t-il enfin. Nous devons regagner notre monde.

CHAPITRE XVII

-Communication prioritaire avec le général Khov, demanda Marc à l'opérateur des transmissions du S.S.P.P.

C'était le même que la fois précédente.

-Vous n'avez pas de chance, capitaine. Il est neuf heures du soir, à New York, et le général a regagné son domicile. Voulez-vous enregistrer votre rapport?

-Non, je désire parler à Khov en personne. (Devançant la protestation de son interlocuteur, il ajouta:) Rassurez-vous, j'en assume le risque.

Le visage de Khov apparut bientôt sur l'écran.

-Je suis désolé de vous déranger, mon général, mais avant de faire un rapport officiel, je préférais vous rendre compte de certains développements inattendus survenus au cours de ma... euh... permission.

Il résuma fidèlement ses tribulations, jusqu'à la disparition des bziks dans l'espace. Le regard de Khov brillait de satisfaction.

-Excellent, marmonna-t-il. Justement, je voulais vous informer que j'avais modifié mes derniers ordres ! ils sont rédigés mais, je ne sais par quelle négligence, ne vous ont pas été transmis. Je vous disais d'aller sur Armina, vous assurer que ce bzik l'avait bien quittée. Vous étiez donc toujours en service. C'est ce que j'ai affirmé à Neumann quand il m'a informé que Parker vous avait secouru dans un secteur où il n'y a aucune planète. (Après un temps de silence, il murmura :) Evidemment, le fait que vous ayez transporté une créature étrangère à l'Union Terrienne dans un aviso du Service sans en avoir demandé l'autorisation pose un problème. Je vais y réfléchir. En attendant, il vous faut terminer votre mission. (Devant l'étonnement de Marc, il précisa :) Je veux que vous vous assuriez que ces bziks ont bien suivi vos conseils et qu'ils n'ont pas encore joué un de ces tours dont ils semblent avoir le secret. Vous allez donc retourner sur Ourka. Deux à trois jours devraient suffire. Faites-vous accompagner par Mac Donald. A deux, vous irez plus vite, et de plus, l'inaction ne lui vaut rien ! Rappelez-moi avant de quitter définitivement l'orbite d'Ourka.

Une fois l'écran éteint, Duck explosa:

-Notre général a un humour décapant ! Pas un mot de félicitation ! Il se fiche bien de nous !

-Ne crois pas cela! Il se démène pour nous protéger dans une situation très délicate. N'oublie pas qu'à l'origine, c'est pour te récupérer qu'il a monté cette affaire. S'il avait obéi strictement aux ordres de la commission, il aurait envoyé sur Ourka un jeune agent qui aurait rendu un rapport anodin, et tu serais toujours au fond de ta caverne. Il m'a choisi parce qu'il savait que je saurais interpréter ses directives dans un sens très... euh... libéral.

-O.K. J'ai compris. Où débarquons-nous?

Marc répondit sans réfléchir :

-A Kora, c'est un assez gros bourg, les nouvelles doivent y circuler très vite.

Ils convinrent qu'un androïde suffirait pour assurer leur sécurité. La garde du Neptune fut donc confiée à Sam. Deux heures après le lever du jour, le petit groupe parvenait aux portes de la ville, le module qui l'avait déposé dans une forêt proche ayant déjà regagné le Neptune.

Quelques paysans retardataires se pressaient encore devant la poterne. Marc songea que c'était à cette même place qu'il avait combattu, moins de deux semaines auparavant. Pourtant, la sentinelle somnolente appuyée sur sa pique ne lui jeta pas même un coup d'oeil.

Les Terriens remontèrent la rue principale, frappés par le caractère joyeux de la foule. Marc désigna du pouce l'auberge où il s'était arrêté la fois précédente, couvert de sueur et de sang.

-Ne penses-tu pas qu'un repas correct serait le bienvenu?

Duck approuva aussitôt, non sans remarquer ironiquement :

-Dans ce genre de lieu public, nous avons de grandes chances d'obtenir tous les renseignements désirés. Il faut savoir consentir des sacrifices, quand on est en mission. Je grignoterai quelque chose, juste pour te tenir compagnie.

Ce jour-là, la salle était bondée. Ils restèrent un instant sur le seuil, cherchant des yeux une table libre.

-Messire Marc ! Quel bonheur de vous revoir !

Installé dans un coin, de Rosta leur faisait de grands signes. Il était pâle, amaigri, portant le bras en écharpe, mais son regard brillait de joie. Il sourit en reconnaissant Ray et Duck.

Marc commanda à la serveuse une des énormes volailles qui rôtissait dans la cheminée et plusieurs pichets de vin. Puis levant son gobelet, il lança:

-A votre santé, comte. Je constate avec plaisir que vous vous rétablissez.

-Ma blessure cicatrise doucement, et le médecin éclate d'orgueil. Je suis, paraît-il, son plus beau cas. (Tout en buvant, de Rosta poursuivit, très volubile :) Lorsque la trêve a été conclue entre nos souverains, on m'a libéré. Je suis encore trop faible pour entreprendre un long voyage. Aussi, n'étant plus emprisonné, il m'a fallu chercher un toit. Je l'ai trouvé en louant une chambre chez une veuve charmante. Mais je viens souvent ici. (Désignant du pouce la jeune blonde qui assurait le service, il ajouta avec un clin d'oeil complice:) Ulna m'aide à prendre patience! Elle est très accueillante, surtout qu'elle avait gardé un bon souvenir de la nuit de grande violence.

Il découpa la volaille avec dextérité, avant de reprendre :

-Naturellement, vous connaissez les nouvelles. Un traité de paix éternelle doit être signé prochainement. De plus, les exilés sont graciés.

Marc répondit très sérieusement:

-Nous l'avions entendu dire, mais nous sommes heureux de l'apprendre de votre bouche.

-Une mesure me laisse perplexe, soupira de

Rosta. Les femmes ne doivent plus être punies systématiquement. Je me demande si c'est un bien raisonnable. Croyez-moi, si nous n'y prenons garde, elles finiront par exiger l'égalité!

-Je pense que cela demandera encore beaucoup de temps. Ne vous inquiétez donc pas !

Le repas se poursuivit longtemps. Seul Duck parvint à manger autant que le comte. Les agapes terminées, celui-ci les guida à travers la cité grouillante d'animation.

-Quels sont vos projets, messire Marc? Et vous, Duck?

-La guerre étant terminée, nous avons résolu de regagner notre pays, répondit Marc. Les batailles ont entraîné la disparition de beaucoup de braves, nous trouverons sans doute un domaine à exploiter.

-Attendez ma guérison ! Nous voyagerons ensemble, et si vous le souhaitez, vous pourrez rester sur mes terres.

-Je vous remercie de cette gracieuse invitation, mais nous avons décidé de partir dès demain matin.

-Acceptez au moins mon hospitalité pour cette nuit, insista le comte. Ma logeuse vous trouvera des chambres. Venez, la nuit tombe déjà.

Les Terriens le suivirent à travers une succession de ruelles étroites. En pénétrant dans une maison à sa suite, Marc fut surpris d'éprouver une impression de déjà vu. Un cri le fit sursauter:

-Messire Marc!

La jeune Risa se précipitait vers lui, avec l'intention évidente de l'embrasser. En découvrant d'autres visiteurs, elle réfréna de justesse son élan et termina sa course par une petite révérence. Sa mère arriva, souriante. L'accord fut vite conclu, et elle s'engagea à loger tout le monde. En attendant que les préparatifs fussent terminés, elle ordonna à sa fille d'apporter à boire!

Ils bavardèrent longuement. Marc laissa parler de Rosta, qui lui apportait sans le savoir toutes les précisions qu'il désirait. Enfin, le comte déclara avec un sourire malicieux:

-Je retourne à l'auberge. Ne voulez-vous pas m'accompagner? Ulna a des amies très compréhensives.

Duck accepta aussitôt.

-Pour une fois que j'échappe à la surveillance de Sam, je vais en profiter. Viens-tu ? murmura-t-il à l'oreille de Marc.

Sous le regard perplexe de son ami, ce dernier répondit :

-Je me sens fatigué, je crois que je vais me coucher, maintenant. Ray t'escortera car, ici, je suis en sécurité. Tranquillise-toi, il s'éloignera vite pour ne pas avoir à enregistrer tes actes de débauche.

Resté seul, le jeune homme acheva doucement de vider son verre. Dans un coin de la pièce, la mère et la fille rangeaient de la vaisselle en discutant à voix basse. Leur conversation était émaillée de petits rires étouffés.

-Voulez-vous que je vous montre votre chambre, messire Marc ? demanda la mère au bout d'un moment.

Il acquiesça et la suivit au premier étage. Poussant la porte, elle s'effaça pour le laisser entrer. La pièce n'était éclairée que par une simple chandelle mais le lit paraissait vaste et confortable. Il entendit l'huis se refermer puis, avec de grands éclats de rire, Risa et sa mère se précipitèrent sur lui pour le déshabiller.

Marc étouffa un bâillement. Il était assis sur un tronc d'arbre abattu, dans la forêt. Duck somnolait un peu plus loin. Sa nuit précédente avait aussi été très fatigante! Pour ne pas attirer l'attention, ils avaient quitté l'hospitalière demeure en milieu de matinée, sous les regards navrés des deux femmes. De Rosta leur avait fait promettre de passer à son castel. Ils s'étaient enfoncés dans les bois, et maintenant, ils attendaient la nuit pour appeler le module.

Marc allait de nouveau plonger dans un sommeil réparateur, car il n'avait pratiquement pas fermé l'oeil de la nuit, mère et fille se relayant pour ranimer ses forces défaillantes.

-Attention, prévint Ray, je perçois des présences, à peu de distance.

Effectivement, une dizaine d'hommes arrivèrent. Ils étaient vêtus de lambeaux d'uniformes, mais tous armés. A leur tête marchait un colosse. Marc reconnut aussitôt le soudard que Ray avait sèchement éjecté de la maison de Risa. Il les reconnut également, car un mauvais sourire fleurit sur son visage simiesque.

-Voilà une occasion que je n'espérais plus, gronda-t-il. Nous avons un vieux compte à régler.

Le jeune homme se leva paresseusement.

-La guerre est finie, dit-il d'un ton conciliant.

-Je sais, c'est pour ça que nous sommes ici. Plutôt que de travailler, nous préférons plumer les pigeons de passage. Pour moi, ce sera un plaisir de vous tuer! En avant, vous autres.

Les Terriens avaient tiré leur épée. Marc para un coup du chef, destiné à son crâne, et riposta d'un revers fouetté qui zébra le torse de son adversaire. Fou de colère, ce dernier repartit à l'attaque, abattant son épée avec un « han ! » de bûcheron. La lame heurta le sol, sa cible ayant esquivé d'un pas de côté.

Il jaugea rapidement la situation. Ray, ayant déjà assommé deux brigands, se démenait contre trois autres. Duck ferraillait avec deux opposants. Les derniers accouraient à la rescousse de leur chef.

Une nouvelle fois, le colosse leva son arme. Marc le devança en portant un coup de pointe à la poitrine. Le bandit tituba puis s'écroula comme une masse faisant trébucher ses deux séides. La mort de leur chef diminua d'ailleurs l'ardeur des assaillants. Un nouveau cri de douleur annonça que Ray venait de se débarrasser d'un nouveau bandit.

Les survivants hésitèrent puis, brusquement, détalèrent au pas de course. Marc grommela, en s'essuyant le front:

-Ces imbéciles nous obligent à une heure de marche supplémentaire, pour appeler le module à l'abri des regards indiscrets.

Dès qu'ils eurent regagné le Neptune, Marc s'installa devant la vidéo-radio et appela Khov, à qui il fit son rapport.

-Parfait, mon garçon. Voilà une conclusion heureuse qui devrait influencer favorablement la commission. Elle doit se réunir le lendemain de votre retour.

Avec un sourire narquois, il ajouta:

-Votre permission a commencé dès la fin de l'engagement avec les pirates. Seul maître à bord, vous pouviez donc accueillir des amis, même un bzik, sans autorisation particulière. Ce qui s'est déroulé ensuite entre ces créatures ne nous concerne pas. C'est une affaire intérieure à leur race, et vous avez bien fait de ne pas vous en mêler!

-J'ai compris, mon général. Je l'expliquerai à Mac Donald.

Khov ajouta, avec une grimace:

-Les services techniques ont chiffré le coût de la location du Neptune à 20.000 dols. Ils seront retenus sur votre solde!

Eteignant la vidéo-radio, Marc éclata de rire devant l'air furieux de Duck.

-Ne te tracasse pas ! Le général sait très bien que cela ne me gêne aucunement. Direction, la Terre. Cette fois, nous rentrons au bercail.

CHAPITRE XVIII

La commission de non-immixtion siégeait dans un bureau du ministère des Affaires galactiques. Depuis plus d'une heure, Marc, en grand uniforme, arpentait le corridor, attendant qu'on l'appelle pour effectuer sa déposition. En ce moment, c'était Mac Donald qui témoignait.

Enfin, la porte s'ouvrit et Duck sortit, le visage congestionné. Il s'essuya le front avec un mouchoir.

-Comment cela a-t-il été? s'inquiéta Marc.

-Très désagréable! Il y a un petit type plus teigneux qu'un roquet qui n'a pas cessé de me harceler de questions. Je m'en suis tenu à notre version des événements, mais j'étouffe de rage. C'est toi qui prends sur les épaules toutes les responsabilités. J'aurais voulu leur crier que tu as fait tout ça par amitié et que tu es mon meilleur copain.

-Ne t'inquiète pas, ils s'en doutent. En attendant le verdict, va boire un verre. Tu as revu Marion ?

La mine de Mac Donald s'allongea.

-Je suis arrivé juste à temps... pour son mariage. Elle épouse un fonctionnaire du ministère qui, lui, rentre tous les soirs à la maison! A vous dégoûter des femmes!

-On ne peut lui donner entièrement tort. Ecoute, va au bar du toit-terrasse du Galaxie Building. Il y a une serveuse qui s'appelle Cora. C'est une chic fille qui aime bien les astronautes.

-Je me recommande de toi?

-Il vaut mieux pas ! Je l'ai un peu négligée ces temps derniers, et elle doit m'en garder rancune. Son rêve est de passer tout un week-end à Acapulco. Si tu le lui promets, je pense qu'elle t'écoutera avec intérêt.

Cette perspective rasséréna Mac Donald. Il n'eut pas le temps de remercier, car la porte s'ouvrit à nouveau tandis qu'un huissier appelait :

-Capitaine Stone.

Il conduisit Marc jusqu'à un fauteuil. En face de lui, derrière une longue table, se tenaient les huit membres de la commission.

« Un jury d'examen, ou un tribunal », songea Marc.

A droite du président se tenait Neuman, le visage toujours aussi austère, Khov et le sénateur Cartney. Ce dernier était trapu, massif, avec une tête carrée surmontée de cheveux grisonnants. Les autres personnes étaient inconnues de Marc.

Ce fut un type petit, le visage étroit, le teint blafard qui attaqua en le dévisageant de ses yeux bleus très froids:

-Je suis le sénateur Crayton. Quels ordres avez-vous reçus du général Khov?

-J'ai versé au dossier une copie de ces documents.

Le questionneur eut un mouvement agacé.

-Nous sommes au courant, mais je veux savoir ce qu'il vous a dit dans son bureau.

-Il m'a annoncé mon départ en mission et m'a donné lecture de ses ordres.

-N'en a-t-il pas ajouté d'autres?

-Il m'a simplement offert un whisky et souhaité bonne chance.

-Ainsi, pour protéger votre supérieur, vous n'hésitez pas à sacrifier non seulement votre carrière, mais aussi votre existence. Si, comme je l'espère, vous êtes chassé du S.S.P.P., vous ne retrouverez aucun travail, pas même une place de balayeur! Croyez que j'y veillerai personnellement! Réfléchissez, c'est votre dernière chance!

Les traits de Marc se figèrent de colère.

-Monsieur, j'ai répondu à vos questions. J'ai toujours agi dans l'intérêt du Service et continuerai à le faire, tant que j'y appartiendrai. Si je dois le quitter, ne vous inquiétez pas pour mon avenir: il est inutile de brandir de mystérieuses menaces ; nous ne vivons pas sous un régime dictatorial, et je sais quelles possibilités s'ouvrent à moi.

-Vraiment? ricana le maigrichon.

-Je pourrais prendre la direction d'une société. Depuis un an Miss Elsa Swenson insiste pour que j'accepte son offre. Je ne crois pas que le femme la plus riche de la Galaxie soit très sensible à vos arguments... Il me serait également loisible de vivre paisiblement de mes revenus. Seule une décision de l'ordinateur judiciaire pourrait bloquer mon compte.

Crayton lança, l'air ironique:

-Vous remarquerez, messieurs, que le témoin fabule. Mais nous ne nous laisserons pas abuser par un diagnostic de folie temporaire qui excuserait ses actes.

Le président hocha la tête.

-Nous prenons note, sénateur Crayton. Votre avis, amiral?

Neuman esquissa un sourire.

-Il est de notoriété publique que le capitaine Stone a sauvé la vie de Miss Swenson et qu'il est régulièrement invité dans sa propriété privée. Il est également vrai qu'il dispose de revenus personnels lui permettant de vivre confortablement le reste de ses jours. Ses déclarations sont donc exactes. En outre, il a omis par modestie une autre possibilité. S'il venait à quitter le S.S.P.P. il sait qu'il y aurait toujours une place pour lui dans mes services.

Crayton se dressa d'un bond, s'exclamant:

-Je vous l'interdis!

Le visage de Neuman devint de marbre, tandis qu'il rétorquait sèchement:

-Je ne reçois d'ordre que du président, et je recrute mes agents comme je l'entends. Ils sont sous ma seule responsabilité. Stone serait une recrue d'une qualité exceptionnelle.

Crayton retrouva un peu de calme.

-Venons-en à votre inadmissible conduite, reprit-il, à l'adresse de Marc. Par exemple, nierez-vous qu'après la prise de la citadelle de Kora, vous vous êtes roulé dans le stupre et la débauche en abusant pendant plusieurs jours de trois veuves éplorées? L'enregistrement était tellement scandaleux que je n'ai pu le suivre jusqu'au bout.

-Vous auriez dû, intervint Cartney. Les veuves remerciaient le capitaine.

Négligeant l'interruption, le sénateur s'obstina:

-Répondez, capitaine!

-Je n'ai fait que me conformer à l'article 4 de notre règlement!

Le visage de l'autre se colora de rouge.

-Prétendriez-vous que votre Service recommande la fornication forcenée?

-Il est précisé qu'un agent en mission doit scrupuleusement respecter les usages locaux et éviter toute action qui pourrait intriguer les indigènes. Me dérober aurait amené le comte à se poser beaucoup de questions. Maintenant, si vous estimez que les agents doivent se comporter en missionnaires, il faut nous fournir des bibles ; mais je pense que ce serait en contradiction avec la loi de non-immixtion, que vous êtes justement chargé de faire respecter.

Quelques sourires fleurirent sur les visages des membres de la commission.

-Passons! Pourquoi, après avoir quitté te village des exilés, n'êtes-vous pas retourné directement à votre vaisseau ? N'était-ce pas pour tenter de retrouver votre camarade, en désobéissant aux ordres reçus?

Marc fixa son interlocuteur droit dans les yeux.

-Je sentais que ma mission n'était pas terminée. Deux siècles d'un tel immobilisme étaient trop suspects. Comme je disposais encore de quelques jours, j'ai décidé de poursuivre mon enquête ! Puisque le capitaine Mac Donald avait fait le même raisonnement, j'ai naturellement suivi ses traces !

Crayton masqua son embarras en feuilletant son dossier.

-Voilà maintenant un exemple de désobéissance caractérisée. Pourquoi votre androïde avait-il conservé son désintégrateur?

-Il n'avait pas eu le temps de passer à l'usine pour le faire démonter. Vous noterez toutefois qu'il l'avait débranché et qu'il lui a fallu du temps plus l'aide d'un autre androïde pour le rendre fonctionnel.

-Cet exemple serait à méditer, intervint le président. Je pense que nous avons pris une décision hâtive, en désarmant les robots après un accident malheureux. Cela aggrave les risques courus par nos agents. Il faudrait étudier un système de sécurité qui empêcherait un emploi intempestif du désintégrateur mais permettrait son utilisation après un délai raisonnable.

N'osant pas heurter de front le président, le petit homme changea de sujet:

-Quelles preuves apportez-vous de l'existence de ces bziks?

-Les enregistrements des androïdes.

-Ils peuvent avoir été truqués, et je suis en droit de me demander si tout cela n'est pas une comédie habilement montée pour justifier la récupération du capitaine Mac Donald. Il n'y a pas d'autre témoin que lui pour confirmer vos dires.

-Il en existe un, intervint sèchement le président.

-Encore un astronaute paillard et menteur!

-C'est ma fille ! (Crayton vira au pourpre en réalisant sa bévue, tandis que le président poursuivait d'un ton mordant :) Je ne sais si ces qualificatifs peuvent lui être appliqués ! Elle a effectué une mission sur Armina en compagnie du capitaine Stone et a remis un mémoire à la faculté. Il confirme bien l'existence de ces étranges créatures.

-Loin... loin de moi l'idée de mettre en doute la parole de votre fille, bafouilla Crayton. Si nous admettons que ces bziks étaient bien là, pourquoi Stone...

Le sénateur Cartney intervint alors d'une voix forte. Il était réputé pour son entêtement, son intégrité et sa puissance de travail, aussi les autres membres de la commission, qui semblaient s'assoupir, se redressèrent-ils.

-Monsieur le président, je désire déposer une motion.

-C'est impossible, se rebiffa Crayton. L'audition du témoin débute à peine, et j'ai encore beaucoup de fautes à lui reprocher. J'exige donc…

-Je maintiens ma demande, le coupa Cartney. Comme le faisait remarquer le capitaine, nous sommes en démocratie, c'est-à-dire que nous devons obéir aux lois et règlements approuvés par Se parlement. Or, l'article 17 de nos statuts stipule que tout membre de la commission peut déposer une motion à n'importe quel moment. Si elle est appuyée par un autre membre, elle est ensuite mise aux voix par le président,

Blême de colère, le petit sénateur dut s'incliner.

-Nous sommes tous des gens très occupés, et j'estime que nous avons assez perdu de temps. Voici donc ma motion:

« Après avoir pris connaissances des documents relatifs à l'affaire et entendu les capitaines Mac Donald et Stone, la commission :

1°) Décide qu'aucune faute ne peut être retenue contre les officiers susnommés.

2°) Se réjouit de l'heureuse récupération du capitaine Mac Donald.

3°) Félicite le capitaine Stone pour son obéissance intelligente aux ordres reçus et ses excellentes initiatives, preuves d'un dévouement à sa mission dans le respect des lois existantes.

4°) Propose qu'il soit nommé dès que possible au grade supérieur. » (Crayton furieux, tenta de protester, mais Cartney poursuivit en regardant Khov:) Qui appuie ma motion? »

Avant que le général puisse répondre, le président lança:

-Moi ! Et aux félicitations de la commission, j'ajouterai les miennes. le considère le capitaine Stone comme un excellent officier, qui honore le S.S.P.P. Je mets maintenant la motion aux voix. Qui vote pour?

L'engagement personnel du président acheva de convaincre deux indécis, et six bras se levèrent. Seul Crayton s'obstina dans un vote hostile, tandis que Se dernier participant se réfugiait dans une prudente abstention.

-La motion étant adoptée, conclut le président, il est inutile de poursuivre la séance. Elle est donc suspendue. Je vous remercie, messieurs.

Un peu désorienté par ce rapide dénouement, Marc se retrouva dans le couloir. Une secousse le fit se retourner. Khov manifestait sa présence d'une vigoureuse claque sur l'épaule.

-Vous avez été remarquable, mon garçon ! Je ne pensais pas que le président prendrait votre parti aussi nettement et aussi rapidement.

Il dut s'interrompre, car le sénateur Cartney approchait. Abrégeant les remerciements de Marc, il décréta:

-Crayton est un imbécile, qui veut se faire de la publicité avant les prochaines élections en se posant en strict défenseur de la loi de non-immixtion. Il ne se rend même pas compte qu'en agissant aussi stupidement, il aide ses adversaires. J'espère que nous en serons bientôt débarrassés! Encore toutes mes félicitations. Vous avez bien mérité une longue permission. A votre retour, je vous invite à dîner.

Neuman lui succéda, un demi-sourire aux lèvres.

-Mon offre de travail est toujours valable, songez-y, Stone.

Khov saisit le bras de Marc. Il n'appréciait guère les tentatives de l'amiral pour enrôler son agent.

-Je l'ai, je le garde, grogna-t-il. Vous l'enverriez se faire tuer! Avec moi, ses missions sont paisibles et sans danger!

il dut s'interrompre car, avec un bel ensemble, Marc et l'amiral avaient éclaté de rire.

Dans l'ascenseur qui les conduisait au rez-de-chaussée, Khov marmonna :

-Vous savez, Stone, pour votre grade, je crains qu'il ne vous faille attendre. Je connais déjà la réponse de l'ordinateur du service: Pas assez d'ancienneté dans le grade de capitaine. Que voulez-vous? Si les promotions s'obtenaient au mérite, les bureaucrates n'y auraient guère accès. Et comme ce sont eux qui rédigent les règlements... (La nuit était tombée, et l'avenue ruisselait de publicités lumineuses. Le général s'immobilisa un instant.) Après toutes ces émotions, vous avez bien mérité un petit remontant. Venez prendre un verre à la maison. J'ai reçu une caisse d'excellent scotch, et ma femme sera ravie de vous revoir. Depuis que vous avez dissipé ses soupçons sur ma conduite, lors de notre expédition sur Wilk, elle ne jure que par vous. Cette histoire de commission l'inquiétait beaucoup, et nous allons la rassurer.

Le général habitait un coquet appartement au dernier étage d'un building. Dès qu'il eut claqué la porte d'entrée, sa femme apparut et s'immobilisa de surprise en apercevant Marc. Mme Khov était grande, élancée. Des cheveux blonds entouraient son visage aux traits réguliers, aux yeux très bleus. De fines rides autour des paupières trahissaient sa cinquantaine, mais elle en paraissait allègrement dix de moins. Son corps fuselé dessinait une ligne irréprochable. C'était d'autant plus visible qu'elle ne portait qu'une chemise de nuit plus qu'arachnéenne. L'instant de stupeur passé, elle éclata d'un rire léger, joyeux.

-Capitaine Stone, quel plaisir de vous voir ! Je sais que vous êtes trop intelligent pour vous formaliser de ma tenue, d'autant que je ne pense pas être la première femme que vous voyez en déshabillé!" C'est ma dernière acquisition, comment la trouvez-vous?

Sur ces dernières paroles, elle virevolta gracieusement, ce qui leur permit de l'admirer sous tous les angles.

-Ravissante, balbutia Marc, très gêné, et fort bien portée.

-Je voulais en faire la surprise au général.

-Pour une surprise, c'est une surprise, Tania, grogna Khov.

Sa femme eut un petit rire ironique.

-Allez au salon boire un verre, pendant que je passe une toilette plus classique. Je demanderai également à mon robot de confectionner un repas amélioré. Naturellement, vous dînez avec nous, capitaine. (Avant que Marc puisse se récuser, elle ajouta:) Je vous en prie, j'insiste. C'est un ordre, comme dirait mon mari.

-Je m'incline de très grand coeur, sourit le jeune homme.

Khov sortit deux verres dans lesquels il versa de sérieuses rations de scotch.

-Il est heureux que vous soyez avec moi, soupira-t-il, sinon ma femme me traînait au lit sans même manger.

-Ne vous plaignez pas, mon général. Un proverbe indigène dit qu'il vaut mieux avoir un volcan qu'un iceberg, dans sa maison!

-Et vous êtes un spécialiste, ricana Khov. Mais c'est parfois très fatigant!

Tania ne tarda pas à les rejoindre. Elle avait enfilé une tunique émeraude, largement décolletée, et un pantalon noir moulant qui épousait parfaitement ses formes.

Le dîner fut très gai, et Marc dut conter les épisodes marquants de sa dernière mission. Il insistait sur les batailles et sur le caractère des bziks, mais la générale le questionnait plus volontiers sur les après-combats.

-Ainsi, ils sont polygames. (Elle regarda son mari, l'air sévère.) J'espère, mon ami, que tu ne trouveras pas une excuse pour effectuer une mission d'inspection sur Ourka!

Khov leva les yeux au ciel.

-Mon Dieu, non! Trois épouses ! Il faut avoir la robuste santé de Stone pour résister à un pareil traitement. Crois-moi, une femme me suffit largement, et je préfère rester ici.

Désireux de changer de sujet, le général raconta ensuite les démêlés de Marc avec Crayton.

-Missionnaire ! gloussa Tania. Je ne vous vois guère dans ce rôle, ou alors le paradis n'est pas ce que l'on m'a enseigné... Parlez-moi des nuits de grande violence. C'est vraiment terrible?

-Pour beaucoup, certainement, mais nos ancêtres commettaient également ce genre d'exaction. La paix étant conclue, on peut espérer que les habitants d'Ourka n'auront plus à les subir.

-Inutile d'insister, se moqua Khov. Notre invité est toujours discret sur ce sujet, comme les enregistrements de son androïde, qui s'évertue à filmer les paysages dès qu'une créature féminine traverse le champ de vision de Stone. Même le plus borné des techniciens commence à avoir des soupçons.

-Mon général, protesta Marc, vous savez que je sais m'intégrer parfaitement aux populations locales. Toutefois, j'évite toujours les débordements.

-Bientôt, vous allez affirmer que c'est vous qu'on a violé!

-Presque, sourit Marc, songeant à la petite Risa et à sa mère.

L'idée sembla amuser Tania, qui s'exclama :

-Je demanderai à voir cette scène ! (Redevenant sérieuse, elle continua :) Dire que ces pauvres femmes étaient fouettées tous les soirs ! C'est horrible !

-J'ai fait en sorte que la loi soit abolie, mais il faudra du temps pour que l'habitude se perde complètement !

Khov hocha gravement la tête.

-Peut-être est-ce dommage? Ce serait très salutaire à certaines femelles...

Sa femme eut un haut-le-corps, puis son regard brilla:

-Je devine tes arrières pensées, espèce de mâle stupide!

La sonnerie de la vidéo-radio interrompit heureusement la conversation. Khov se leva pour répondre. Il revint trois minutes plus tard, l'air rêveur.

-Vous donnez de mauvaises habitudes à mes agents, Stone. Bientôt, chacun appellera ici pour le motif le plus futile! C'était Mac Donald. Il semblait terriblement pressé et m'a demandé l'autorisation de passer quelques jours à Acapulco ! Comme si cela ne pouvait attendre demain !

Marc réprima un sourire. Sacré Duck ! Il n'avait pas perdu son temps, avec Cora ! Elle allait enfin réaliser un rêve tant de fois brisé!

FIN