-Là encore j'ignore le principe du système. Pratiquement il suffit d'enclencher un interrupteur spécial placé sur le tableau de bord pour être à l'abri et voir les missiles exploser.
A ce moment, Grégory revint lourdement chargé.
-Va porter le désintégrateur dans l'hélijet, nous partons dans cinq minutes, dit Jess en consultant sa montre.
Un quart d'heure s'était écoulé depuis l'arrivée des « Merlans ». Désireux de profiter d'un effet de surprise, il tenait à décoller avant que la garnison s'inquiétât du silence de leurs camarades.
Il regarda Sheldon, hésitant. Le lieutenant ne pourrait guère lui apprendre quelque chose de plus, étant donné le compartimentage strict qui régnait dans l'organisation des « Merlans ». Pour être plus amplement renseigné, il lui faudrait interroger un haut responsable.
Hark s'avança et demanda en désignant Sheldon :
-Est-ce lui qui a trahi ses camarades et livré Omah aux étrangers ?
Jess approuva distraitement.
-Il a abusé de notre hospitalité, reprit l'humanoïde. Nous sommes peut-être des primitifs mais ici les lois de l'hospitalité sont sacrées !
Avant que Kan eût la possibilité d'esquisser un geste, Hark leva la sarbacane qu'il tenait à la main et souffla violemment. Une fléchette se planta dans le cou du lieutenant qui tressaillit sous la piqûre. Il voulut crier mais aucun son ne sortit de sa gorge paralysée. Ses membres devinrent inertes et son visage vira au violet.
Hark très digne regarda Jess qui haussa les épaules. Sheldon n'avait pas volé son châtiment.
-En route, dit-il, nous avons peut-être une chance de sauver Omah.
CHAPITRE XVII
Aux commandes de l'hélijet, Kan survola l'esplanade du camp.
-Il s'apprête à pendre Tyrel et Burk, s'écria Grégory qui avait saisi des jumelles électroniques qui traînaient dans un casier. Attaquez-vous immédiatement, Capitaine ?
Jess secoua la tête.
-Le désintégrateur est inutile dans un combat rapproché et il y a au moins dix gardes armés de pistolets thermiques. Nous n'avons aucune chance actuellement. Il faut d'abord semer un début de panique !
Kan poursuivit son chemin vers l'astroport où seul le « Sirius » et un peut aviso se dressaient.
-Parfait, jubila-t-il, il n'y a pas d'astronef de combat en état de prendre l'air. Grégory, lorsque je te le dirai, tire une salve avec le désintégrateur sur la Tour de contrôle. Si un aviso est en orbite autour de « Paal », il ne pourra être appelé à la rescousse. Ensuite vise la bâtisse principale, au niveau de la porte latérale.
Le désintégrateur devrait pouvoir atteindre le générateur qui n'est qu'au premier sous-sol. Ensuite nous plongerons sur l'esplanade! Hark, que tes guerriers soient prêts à sauter à terre.
L'hélijet arrivait à la verticale de l'astroport. Grégory ouvrit la porte et cala entre ses jambes le lourd tube qui bien évidemment n'était pas fait pout être monté sur un appareil aussi léger.
-Feu, ordonna Kan.
Il eut la satisfaction de voir la tour s'effondrer juste avant d'effectuer son virage. Grégory repéra aussitôt dans son viseur la porte signalée par Jess. Un deuxième éclair jaillit du tube, frappant le bâtiment au niveau du rez-de-chaussée. Un trou de dix mètres de diamètre apparut au milieu de tourbillons de poussière.
Les lampes de signalisation situées sur le toit s'éteignirent prouvant au moins l'arrêt de la distribution d'énergie. Sans perdre un instant, Kan plongea vers l'esplanade.
L'action avait été si brutale, si inattendue, qu'Alpha 5, sidéré, regardait encore sans comprendre le nuage de poussière sortir du bâtiment principal.
Avant même que l'hélijet fût posé, Grégory, qui avait lâché le désintégrateur, sauta à terre, pistolet thermique à la main. En deux bonds il atteignit Alpha 5 et lui enfonça le canon de son arme dans le ventre.
-Si tu ne veux pas être immédiatement transformé en charbon de bois, ordonne à tes sbires de jeter leurs armes.
La surprise autant que la douleur qui lui mordait les tripes fit capituler Alpha 5 !
-Obéissez, articula-t-il d'une voix tremblante.
Les gardes hésitèrent un instant mais la vue de plusieurs humanoïdes armés dirigés par Kan brisa net leur velléité de résistance. Seul Delta 7 voulut profiter de la confusion pour tenter de saisir son arme. Il n'acheva pas son geste. Une lueur mauve jaillit du cube porté par Jess, le frappa et il s'écroula inanimé. Cette démonstration acheva de convaincre les gardiens de l'inutilité de résister.
Précipitamment, ils débouclèrent leur ceinturon tandis que Brit s'empressait de couper les liens des condamnés. Les cosmatelots également pétrifiés par la rapidité des événements s'entendirent héler par la voix impérieuse de Kan.
-Ramassez les armes ! Enfermez les gardes dans la baraque qui vous servait de prison ! Enlevez leur casque et leur combinaison pour qu'ils ne puissent communiquer avec les autres.
Après quelques bousculades engendrées par la précipitation, les gardiens se retrouvèrent bouclés non sans avoir reçu un certain nombre de coups de pied aux fesses distribués généreusement par leurs anciens prisonniers.
Bientôt Alpha 5 maintenu par la poigne solide de Grégory se trouva seul face à Kan. Le cosmatelot avait arraché le casque protecteur du « Merlan » et ébloui par le soleil, il clignait comiquement des yeux.
-Combien d'hommes armés se trouvent encore dans le bâtiment principal ? demanda sèchement Kan.
Alpha 5 tenta de se rebeller.
-Lâchez-moi, vermine ! cria-t-il. Je vous ferai pendre pour avoir osé porter la main sur un Seigneur !
-Laissez-le-moi, ne serait-ce que cinq minutes, capitaine. J'en ai assez de leur philosophie de bazar !
Kan approuva et s'occupa de regrouper les hommes pour un nouvel assaut. Pendant ce temps, Grégory balança au « Merlan » une gifle aussi délicate que la caresse d'un bulldozer suivie aussitôt d'un revers non moins énergique.
La lèvre supérieure fendue, le nez aplati, Alpha 5 s'écria :
-Arrêtez, vous n'avez pas le droit...
Ce fut Burk qui intervint, le regard dur !
-N'avez-vous pas prétendu que c'était au plus fort de créer le droit ? Ayez au moins le courage de vos opinions !
Il regarda Grégory et ajouta :
-Allez-y, mon vieux ! Jamais fripouille n'a autant mérité son châtiment !
Une demi-douzaine de gifles plus tard, Alpha 5 s'effondra.
-Arrêtez, arrêtez ! Que voulez-vous savoir ?
Il saignait du nez et sa pommette droite avait doublé de volume. Kan reposa aussitôt sa question :
-La garnison comporte encore une vingtaine de gardes avec deux chars de combat. De plus, une centaine d'astronautes sont à l'entraînement mais n'hésiteront pas à prendre les armes ! Vous voyez que vous n'avez aucune chance, ajouta-t-il. Rendez-vous et je vous promets la vie sauve...
Une gifle de Grégory lui coupa la parole.
-Économise tes forces ! Moi, je promets de te tordre le cou avant que tes amis puissent te délivrer.
Tyrel accourut à ce moment. Il s'était avancé d'une centaine de mètres pour surveiller les réactions de l'adversaire.
-Deux chars viennent de sortir du bâtiment et se dirigent vers nous ! haleta-t-il.
Kan réagit aussitôt. Avisant un groupe de cosmatelots, anciens détenus reconnaissables à leur maigreur squelettique, il ordonna :
-Enfermez ce « Merlan » avec les autres ! Vous resterez pour les surveiller. Prenez deux pistolets thermiques. Si nous devions nous replier, mettez-les hors d'état de nuire, souvenez-vous de ce qu'ils vous ont fait !
Les astronautes acquiescèrent et saisirent Alpha 5. Ce dernier comprit en voyant les regards luisants de haine qu'il n'avait aucune chance d'être délivré vivant.
Pendant ce temps, Jess avait envoyé Grégory chercher le désintégrateur.
-Nous allons nous avancer de deux cents mètres. Dissimulez-vous dans les cabanes de droite ! Dispersez-vous ! Vite !
A cinq cents mètres, le premier char lança un jet thermique qui incendia deux masures. Les humanoïdes qui l'habitaient s'enfuirent en courant, léchés par les flammes. Les malheureux ne purent aller bien loin ! Une deuxième giclée de flammes s'abattit sur eux, les calcinant aussitôt.
Cette atroce diversion donna cependant le temps à Grégory d'avancer. Allongé à plat ventre derrière un repli de terrain, il mit le désintégrateur en batterie.
-Attends encore, recommanda Kan qui l'avait suivi. L'énergie est juste suffisante pour un nouveau tir. Il faut détruire les deux tanks d'un seul coup.
Le char de tête n'était plus qu'à une vingtaine de mètres. Sa tourelle pivotait lentement, les servants cherchant un objectif à détruire. Enfin le deuxième véhicule apparut dans le viseur.
Aussitôt Grégory enclencha le contact. Le premier char parut se volatiliser tandis que le second, simplement effleuré par l'éclair fut amputé de tout son côté gauche.
Théoriquement, il aurait encore pu tirer mais l'équipage fut surpris par l'utilisation d'une telle arme alors qu'il pensait seulement affronter une poignée d'humanoïdes désarmés. Plusieurs « Merlans » tentèrent de fuir mais ils tombèrent sous le feu des pistolets thermiques des cosmatelots. Une salve atteignit également le char qui s'embrasa.
Aussitôt Kan rassembla sa troupe.
-En avant ! Il faut profiter de l'effet de surprise pour pénétrer dans la bâtisse.
Devant la porte principale, la dizaine de gardes survivants avait hâtivement dressé une sorte de barricade. Ils commencèrent aussitôt à tirer, tuant un cosmatelot qui s'était témérairement avancé. Kan fit dissimuler ses hommes qui ripostèrent à leur tour au feu nourri des « Merlans ».
Les pistolets thermiques dégageaient une chaleur d'enfer. Jess rampa jusqu'au commandant Burk qui, le visage cramoisi, s'essuyait le front d'un revers de main.
-Prenez la direction des opérations, lui dit Kan. Faites un tir de couverture mais ne lancez pas une attaque frontale qui serait trop meurtrière. Pendant que vous les occuperez, je vais tenter avec Tyrel et Grégory de pénétrer par la brèche créée par le désintégrateur. Avec un peu de chance, nous pourrons les prendre à revers.
CHAPITRE XVIII
Le « grand maître » referma d'un geste rageur le dossier qui se trouvait sur son bureau. Alors que tous les plans qu'il avait échafaudés se déroulaient de manière satisfaisante, les incidents survenus en son absence à « Terre Nouvelle » l'irritaient. Décidément Alpha 5 n'était qu'un imbécile dont il lui faudrait se débarrasser rapidement. Il avait cru devoir utiliser ses tendances nettement sadiques pour imposer une discipline de fer mais cela s'avérait insuffisant. Il avait été incapable de surveiller correctement Kan alors qu'il avait été mis en garde contre l'astuce de ce pirate.
Un instant le « grand maître » regretta de ne pas avoir ordonné son exécution immédiate. Enfin puisqu'on venait de lui annoncer la capture de Kan, l'erreur serait vite réparée. Dès ce soir, il le ferait torturer ainsi que cette sauvage qui le suivait partout. Nul ne résiste à un interrogatoire bien conduit ! Il apprendrait ainsi les coordonnées de cette riche planète que Kan s'était toujours refusé à révéler.
Le « grand maître » marcha jusqu'à la vaste baie vitrée éclairant son bureau. La vue s'étendait sur l'astroport et bien au-delà jusqu'à la forêt.
Brusquement une brûlure au mollet le fit sursauter. Effaré, il vit le gros insecte grisâtre qui après avoir déchiré sa combinaison arrachait un fragment de peau. Surmontant son dégoût, il l'écrasa et le jeta sur son bureau. Un instant il regarda avec curiosité le cadavre de l'insecte, fasciné par la pince monstrueuse.
C'est sans doute un « tser » songea-t-il. Comment Kan a-t-il pu l'introduire ici ? Il nota dans un coin de sa mémoire de prévenir le responsable de l'entretien de recommencer la désinfection.
Certes les dégâts provoqués par Kan avaient été promptement réparés. Toutefois, la disparition de Gamma 2, mort dans la matinée, lui posait un problème. C'était pratiquement le seul technicien supérieur à avoir rejoint la « Grande Cause ». Heureusement dans quelques semaines, il aurait la possibilité d'obliger tous les savants de l'Union à travailler pour lui!
Perdu dans ses rêves de gloire, il posa un instant le front sur la vitre, le regard dans le vague. L'éclair qui frappa la tour de contrôle l'éblouit et sans comprendre il vit le sommet de la construction disparaître.
Peu après le bâtiment principal touché à son tour trembla et toutes les lumières s'éteignirent. Cette attaque imprévue bouleversa le « grand maître » qui fébrilement enfila son casque. Un nouveau coup d'oeil sur l'extérieur lui montra les deux chars de l'équipe de protection qui s'avançaient vers le camp des prisonniers. Était-ce une simple révolte? Comme dans un cauchemar, il perçut un nouvel éclair. Un char disparut et l'autre s'embrasa presque aussitôt. Nul doute que la base subissait une attaque avec des désintégrateurs lourds. Pourtant aucun astronef n'était visible dans le ciel. Sans chercher à comprendre, le « grand maître » bondit vers l'issue de secours et se hissa sur le toit terrasse qui surplombait son bureau. Il n'y avait aucun hélijet disponible, aussi enfila-t-il rapidement un harnachement antigravité individuel. Cela avait l'apparence d'un gros sac à dos contenant deux petits propulseurs.
Du côté de la porte principale, la bataille faisait rage comme en témoignaient les éclairs des pistolets thermiques. Du côté ouest un nuage de poussière s'élevait. Sans hésiter le « grand maître » s'élança vers le nord. Pas très familiarisé avec ce genre de locomotion, il eut beaucoup de mal à contrôler sa chute. Volant au ras du sol, il effectua un large crochet avant de se diriger vers son aviso personnel. Heureusement l'équipage était toujours consigné à bord et le commandant avait ordre d'être prêt à décoller à tout instant.
Il se posa directement sur le sas, sans utiliser l'échelle encore sortie. Fébrilement il déboucla son harnachement qui tomba sur le sol puis se précipita dans l'astronef.
Deux minutes plus tard les réacteurs grondèrent et l'aviso s'élança dans le ciel. Le « grand maître » n'avait aucun remords d'abandonner ainsi ses fidèles. Si ceux-ci rétablissaient la situation, il en serait rapidement avisé. Au contraire, s'ils succombaient, il lui fallait savoir avant tout d'où provenait cette attaque. Ne pouvant imaginer qu'elle avait une origine locale, il pensait que c'est sur Terre qu'il aurait la clef de l'énigme.
Il se consola de ce départ précipité en songeant que la base de Terre Nouvelle ne lui était plus indispensable. Dans quelques jours ses astronefs auraient conquis Terrania III et il pourrait installer une nouvelle base.
Le « grand maître » resta un long moment à réfléchir. Soudain une idée germa dans son esprit. Si l'attaque surprise n'était pas le fait du gouvernement terrien, se pourrait-il qu'il soit en présence d'une révolte de ses propres troupes ?
Inquiet, il décida d'en avoir le coeur net et se rendit dans le poste de pilotage. Dix minutes plus tard, il contactait le commandant de l'astronef A 11. Gamma 17 était un de ses plus fidèles partisans et le « grand maître » estima qu'il pouvait lui faire confiance. Dès que Gamma 17 apparut sur l'écran de la téléradio, il annonça :
-« Terre Nouvelle » vient d'être attaquée. J'ignore tout de l'agresseur. Retournez là-bas et voyez si vous pouvez rétablir la situation. En cas d'impossibilité, détruisez entièrement la base avec des missiles thermonucléaires. Nul ne doit pouvoir s'emparer des documents qui y sont entreposés ! Rendez compte de votre action heure par heure !
Jess s'approcha prudemment du cratère ouvert par le désintégrateur. La porte avait été volatilisée et une vaste brèche atteignait le sous-sol. En rampant, il distingua des silhouettes revêtues de combinaisons antiradiation qui s'affairaient autour de la carcasse du réacteur.
Il se faufila dans ce qui restait d'un couloir éventré. Arrivé dans une vaste pièce d'où partaient plusieurs boyaux, il tenta de s'orienter. Il s'engageait déjà dans une direction lorsqu'une exclamation le fit se retourner.
Un « Merlan » jailli d'une porte venait de heurter violemment Tyrel. Sous le choc, le malheureux lieutenant fut projeté au sol et lâcha son arme. Jess ne put intervenir car Brit et Grégory qui l'avaient suivi de près s'interposaient entre lui et le «Merlan». Déjà ce dernier levait son pistolet thermique.
Soudain il laissa retomber son bras en poussant une exclamation.
-Tyrel ! Que faites-vous ici ?
Médusé, le lieutenant saisit machinalement la main que l'autre lui tendait pour l'aider à se relever.
Jess et Grégory survinrent à ce moment braquant leurs armes sur le « Merlan » qui s'empressa d'enlever son casque. Revenu de sa surprise, Tyrel cria :
-Ne tirez pas, Capitaine, c'est l'aspirant Clark.
Ce dernier, un jeune homme pâle au visage amaigri, s'empressa d'expliquer :
-J'ai été fait prisonnier en même temps que Tyrel mais je n'ai pas eu son courage. Je me suis damné pour un peu de nourriture mais rassurez-vous ma conversion à leur cause n'était qu'alimentaire et j'espérais bien profiter de la première occasion pour m'évader.
-Que veniez-vous faire ici, avec votre arme? s'enquit rapidement Kan encore méfiant.
-Comme toutes les nouvelles recrues, nous étions confinés au deuxième sous-sol. Un « Merlan » est venu nous dire qu'un accident était arrivé au réacteur et que, profitant de la confusion, des humanoïdes sauvages nous attaquaient.
-Combien êtes-vous, là-dessous ?
-Une bonne centaine ! Il faut vous dépêcher car les « Merlans » distribuent des armes et certains prisonniers sont réellement convertis à leur cause. Ils n'hésiteront pas à tuer d'anciens camarades.
-Par où vont-ils sortir ?
Clark courut vers une porte donnant sur un large escalier que Kan dévala suivi de ses amis.
-Attention, souffla Clark, la première porte à droite. Mais vous n'êtes pas assez nombreux pour les désarmer. Ne pouvez-vous appeler des renforts ?
Grégory éclata d'un rire grinçant.
-Pourquoi pas l'appui de l'escadre spatiale ? Nous ne sommes pas dans une salle de l'état-major. Laissez agir le capitaine !
A ce moment la porte désignée s'ouvrit sur deux silhouettes casquées. Aussitôt Jess les paralysa et s'élança en avant. Arrivé sur le seuil, il eut la brève vision d'une vaste salle grouillante d'activité. Tous les cosmatelots s'armaient à la hâte.
Rapidement il balaya la pièce d'un flux tétanigène. Instantanément toutes les silhouettes se figèrent. Il avança de quelques pas pour s'assurer qu'aucun homme n'avait été épargné. C'était la première fois qu'il utilisait son cube sur une telle quantité de personnes et il craignait une trop grande dispersion.
A ce moment, un « Merlan » qui, dissimulé derrière le battant, avait été épargné par l'onde paralysante, leva son arme. Il n'eut pas le temps d'appuyer sur la détente, car il fut aussitôt arrosé par un jet de feu.
Brit ne participait pas au combat mais surveillait sans relâche Jess. Dès qu'elle aperçut derrière lui un mouvement suspect elle tira sans plus réfléchir.
Kan se retourna vivement et sourit à sa femme.
-Elle est diablement rapide, souffla Grégory. Avec elle dans les parages, mieux vaut ne pas tenter de vous attaquer !
Clark médusé, regarda la salle jonchée de corps immobiles. Jess le secoua aussitôt.
-Ils ne sont que paralysés ! Avec Tyler, désarmez-les et bouclez-les, nous trierons plus tard les convaincus des affamés, ricana-t-il. Par où a-t-on accès à la porte principale? Il nous faut soulager rapidement Burk car leurs munitions doivent s'épuiser !
-Remontez deux étages indiqua Clark et suivez les flèches rouges marquées « salle de réunions ». Mais attention je crois qu'Alpha 3 l'a transformée en poste de commandement !
Suivi de Grégory et de Brit, Jess partit au pas de course. Il s'arrêta brusquement en apercevant deux « Merlans » en combinaison noire qui gardaient une entrée. Heureusement la pensée est plus rapide que le mouvement et l'onde tétanigène les frappa avant qu'ils puissent tirer.
Grégory ramassa au passage un pistolet, désirant pouvoir, en cas d'affrontement, se servir de ses deux mains. Kan ouvrit doucement la porte et entendit :
-L'ennemi ne progresse plus, Alpha 3, et leur tir diminue d'intensité. Nous n'avons affaire qu'à un petit groupe, probablement un commando. Je me demande même s'il ne s'agit pas seulement d'une révolte de prisonniers ?
-Où se seraient-ils procuré un désintégrateur lourd ? Nous n'en possédons même pas à l'armurerie.
Sans plus attendre, Kan poussa le ventail et arrosa la salle d'ondes tétanigènes.
CHAPITRE XIX
Au soir de cette journée fertile en émotions Kan avait convoqué un petit conseil dans le bureau même du « grand maître ». Arrivé le premier avec Brit, il regarda un instant par la baie vitrée le ciel piqueté d'étoiles.
Deux maigres lampes fournies par le générateur de secours éclairaient la scène. Du doigt, Brit montra en souriant le cadavre du « tser » sur la table. Elle éclata d'un rire juvénile avant de dire :
-Ils ont réussi à pénétrer jusqu'ici.
Kan examina avec attention les pinces serrées qui tenaient encore quelques fibres de tissu noir et un petit morceau de peau.
-Celui-là a même eu l'honneur de goûter à l'épiderme du monstrueux « grand maître », ironisa-t-il.
Puis redevenant sérieux, il ajouta :
-Chérie, tu nous as sauvé la vie et il est probable que l'Union Terrienne te devra son salut. Grâce à toi, des milliers de vies auront été épargnées et nombre de mes compatriotes ignoreront toujours les souffrances et les armes que tu leur auras évitées.
Brit sourit et se colla contre Jess.
-Je n'ai fait que te suivre comme c'était mon devoir de jeune psarienne.
-Ton idée d'emporter des capsules de « rox » et un pot contenant des « tsers » était géniale ! Tes astuces de primitive ont complètement dérouté ceux qui se prenaient déjà pour les Seigneurs de la galaxie. Les détecteurs ordinaires découvrent toutes les armes cachées car elles sont métalliques mais sont impuissantes contre des pots de grès et des boules d'argile !
Paisiblement, il s'installa dans le fauteuil réservé au Seigneur des Seigneurs, allongea les jambes et ferma un instant les yeux. Après avoir paralysé l'état-major, les événements s'étaient déroulés avec une facilité déconcertante. Pris à revers, les gardes survivants n'avaient pu que se rendre. Le plus long avait été d'explorer le bâtiment pièce par pièce et de regrouper tous les « Merlans » dans les sous-sols transformés en prison improvisée.
Toutefois, Kan avait laissé l'équipe de sécurité achever de colmater les brèches ouvertes par le désintégrateur dans le réacteur. Celui-ci était totalement inutilisable et les techniciens s'étaient contentés de l'enrober d'un écran de plomb et de béton. Pour des centaines d'années, nul ne pourrait s'approcher des éléments radioactifs.
L'euphorie de la victoire à peine dissipée, Kan avait distribué les tâches pour tenter de s'organiser. Omah et
Hark, heureux de l'écrasement des envahisseurs, avaient remercié Jess mais avaient tenu à regagner leur village le plus vite possible avec les guerriers libérés. Nul doute qu'ils allaient organiser un grand festin où le « frag » servirait de plat de résistance.
Kan rouvrit les yeux en soupirant. Il allait avoir beaucoup de travail. Il ne pouvait se défendre d'un sentiment d'inquiétude. Si un astronef ennemi avait la mauvaise idée d'arriver maintenant, les terriens seraient dans l'impossibilité de se défendre.
Un épais dossier, oublié par le « grand maître » lors de sa fuite précipitée, traînait encore sur la table de travail. Jess l'ouvrit et commença à lire. Brit qui s'était éclipsée revint une demi-heure plus tard et lui tendit une boîte de ration alimentaire.
-C'est tout ce que j'ai pu trouver, dit-elle. Ces seigneurs n'avaient pas un goût prononcé pour la gastronomie !
Kan mangea distraitement tout en poursuivant sa lecture qui commençait à lui donner une vue d'ensemble du plan de la conquête de l'Union Terrienne par les « Merlans ».
Le commandant Burk arriva le premier, un peu essoufflé par l'escalade des dix étages. Il s'effondra dans un fauteuil en face de Jess, s'épongea le front et soupira :
-Comme vous me l'aviez demandé, j'ai inspecté le « Sirius ». Il est en parfait état et les réserves énergétiques sont satisfaisantes. Seules quelques réparations sont à effectuer au niveau de l'ordinateur de vol. 'Il est clair qu'un technicien a monté une de leur fameuse boîte noire qui a ensuite été enlevée. Par prudence, j'ai laissé sur place quelques hommes qui vérifieront tous les organes du vaisseau. Si nous n'étions pas perdus dans un univers parallèle, nous pourrions décoller dans une heure.
-Les détecteurs longue portée sont-ils branchés ? interrompit Kan.
-Je ne les ai pas oubliés. Un cosmatelot veille en permanence avec ordre de me prévenir au moindre signe anormal, dit-il en tapotant sur sa poche contenant un communicateur radio.
Il ajouta avec un petit rire :
-Dire qu'il y a six heures seulement, j'attendais d'être pendu. Pour moi, vous resterez l'homme miracle ! Où avez-vous déniché ce désintégrateur lourd ?
Jess n'eut pas l'occasion de répondre, car Tyrel arrivait, suivi de son ami Clark.
-Mission accomplie, capitaine, proclama-t-il fièrement. Clark m'a aidé à récupérer une quinzaine de prisonniers qui s'étaient enrôlés chez les « Merlans » uniquement pour ne pas périr de faim. Par prudence, toutefois, je les ai amalgamés avec les réfractaires comme moi. J'ai ainsi constitué trois équipes qui se relaieront pour surveiller les prisonniers. Cette nuit nous pourrons dormir tranquilles.
-Les provisions sont-elles suffisantes ?
-Voici l'inventaire. Nous pouvons tenir au moins quinze jours sans ravitaillement. Ensuite nous devrons demander assistance aux « Paaliens ».
Grégory arriva à ce moment poussant devant lui un « Merlan ». L'homme privé de son casque était grand, les cheveux blonds. Ses yeux bleus, très clairs, lui donnaient un regard dur. Il scruta les astronautes, affichant une mine dédaigneuse.
-Voilà Alpha 3, annonça Grégory en propulsant sans ménagement son prisonnier au milieu de la pièce. C'est lui qui commandait ici en l'absence du « grand maître » et de Alpha 2 parti pour Terrania III.
Jess réprima un sourire.
-Comment es-tu aussi bien documenté ?
Un rire énorme secoua le cosmatelot.
-Je suis retourné voir mon ami Alpha 5 qui avait si aimablement répondu à vos questions, Capitaine. Je n'ai eu aucun mal à le reconnaître. Il était le seul à avoir la figure de travers ! Nous avons gentiment discuté et il s'est empressé de me désigner celui-là comme le responsable de toute la base.
-Sans aucune difficulté ? ironisa Jess.
Grégory prit un air modeste, en regardant ses larges mains.
-Sa pommette gauche n'a même pas eu le temps d'atteindre le volume de la droite et il persiste encore une asymétrie du visage.
Kan se tourna vers Alpha 3.
-Parfait, dans ce cas nous allons pouvoir discuter sérieusement. Quel est votre nom?
-Cela ne vous regarde pas, rétorqua le blond avec morgue. Votre petite victoire due essentiellement à la surprise ne vous sera d'aucune utilité réelle. Dans quelques jours au plus tard, un de nos astronefs reviendra et nous verrons si votre fameux paralyseur peut résister aux torpilles thermonucléaires !
-Pour l'instant votre flotte est regroupée dans le système de Procyon où elle prépare l'attaque de Terrania III. Cela nous donne au moins quelques jours de répit ! De plus, si une menace apparaissait, nous pourrions toujours fuir avec le « Sirius » !
-Pour aller où ? ricana Alpha 3. Vous oubliez que vous êtes dans un univers parallèle. Moi seul connais la manière de regagner votre monde ! Et croyez-moi, je ne parlerai pas aussi facilement que ce pleutre d'Alpha 5. Votre gorille n'y changera rien.
Grégory se dressa aussitôt, le visage crispé, la main déjà levée.
-Un instant, je te prie, nous avons encore à discuter sérieusement, dit Jess.
Le cosmatelot regagna son siège non sans lancer un regard torve au « Merlan ».
-Effectivement il y a ce problème d'univers parallèle, reprit Kan avec un demi-sourire. Cela peut probablement s'arranger assez facilement.
-J'en doute, reprit Alpha 3, à moins que vous ne consentiez à capituler sans condition.
-Il ne manque pas d'estomac ! hurla Grégory. Je vous en prie Capitaine, laissez-nous en tête à tête cinq minutes. Je n'en demande pas plus !
Jess parut hésiter un instant. Devant la mine peu avenante de Grégory, Alpha 3 eut sa première réaction de crainte.
-Si ce sauvage me touche, je me suiciderai ! Nous possédons tous une capsule de poison !
La menace fut sans effet sur le capitaine qui ironisa :
-Je vous en prie, croquez votre bonbon si cela vous amuse. Cela vous évitera sans doute la chambre de désintégration !
-Ainsi vous condamneriez vos amis à ne jamais revoir la Terre, balbutia-t-il, effaré du peu d'intérêt que ce pirate lui portait.
Kan fixa soudain son prisonnier.
-Écoutez bien ! 22-25-39-82-34-33, récita-t-il.
A mesure qu'il énonçait un chiffre, le visage d'Alpha 3 parut se décomposer.
-Impossible, hoqueta-t-il, nul ne connaît...
Burk intervint, fort surpris de la réaction du
« Merlan ».
-Que signifie ce code, capitaine ?
Jess éclata du rire joyeux de celui qui vient de réussir une bonne blague.
-C'est le début des coordonnées galactiques de « Paal » !
-Mais l'univers parallèle ?
-Tout simplement un gigantesque bluff monté de main de maître, de « grand maître » gloussa-t-il. Paal est une planète de notre univers mais fort lointaine de la Terre, presque perdue dans un bras de la galaxie ! Mais cela, même les pilotes des astronefs ennemis l'ignorent! Ce qui prouve que ce ne sont que de médiocres navigateurs ! Leur fameuse boîte noire n'est qu'une simple adjonction à l'ordinateur de bord. Les commandants « Merlans » ont ordre de gagner le système des « Entamebs » car le cerveau électronique est programmé pour une plongée subspatiale à partir de là vers Paal.
Effondré, Alpha 3 voyait s'écrouler son dernier espoir. Burk le premier réalisa le côté comique de la situation.
-Quand avez-vous découvert cela ?
-Dès le premier jour de notre arrivée ici, en voyant les humanoïdes !
-Mais ce ne sont pas eux qui vous ont donné leurs coordonnées galactiques ! s'exclama Tyrel.
-Comment me suis-je donc procuré le désintégrateur lourd ? railla Kan. Je savais qu'il était caché dans ce vieux temple, tout simplement parce que j'avais aidé il y a huit ans environ le grand Prêtre à le dissimuler !
Devant ses auditeurs médusés, Kan poursuivit :
-A l'époque j'avais découvert « Paal » un peu par hasard. Un « Magström » subi dans le subespace m'avait expédié par ici et j'ai dû chercher une planète terramorphe pour réparer mes avaries. Vous auriez dû soupçonner la vérité, Tyrel, en me voyant prendre contact avec Hark. Vous me croyez très doué pour apprendre les langages extra-terrestres mais je n'aurais jamais pu assimiler le « paalien » si je n'avais pas déjà eu un long contact avec les humanoïdes !
-Mais pourquoi leur remettre un désintégrateur ? demanda Burk.
Kan eut un nouvel accès d'hilarité.
-Souvenez-vous, Commandant ! Il y a deux ans, un astronef de la « Compagnie d'exploitation galactique » a voulu imposer brutalement son autorité à une poignée d'indigènes. Vous-même avez ri de sa surprise quand le commandant a vu son vaisseau endommagé par un désintégrateur ! Ici aussi, j'avais mis les humanoïdes en garde contre les agissements de certains terriens. Malheureusement des querelles partisanes ont divisé les « paaliens » et le grand Prêtre, assassiné, n'a pu confier son secret à son successeur.
-Pourquoi les indigènes ne vous ont-ils pas reconnu ?
-En réalité, je m'étais posé une cinquantaine de kilomètres plus à l'est dans un autre village.
Le commandant Burk s'écria alors :
-Nous pouvons donc envoyer un message par ondes accélérées à la Terre. Dans quelques jours une escadre viendra à notre aide.
Kan ne tarda pas à doucher son optimisme.
-La situation est beaucoup plus compliquée que vous ne le pensez, Commandant. Lisez ce simple dossier et vous verrez que les « Merlans » ont noyauté toute l'armée. Qui sait si notre message ne sera pas bloqué par un de leur partisan. Non, croyez-moi, il faut prévenir directement le président mais auparavant nous devrons démasquer le « grand maître ».
Il se tourne vers Alpha 3 qui, livide, avait perdu toute sa morgue.
-Vous avez compris que vos petits secrets ne m'intéressaient guère mais vous pourriez, sans doute, nous révéler l'identité de votre chef.
Alpha 3 répondit aussitôt :
-Je l'ignore, notre réseau est très compartimenté et nous portons toujours nos casques réfléchissants pour pouvoir justement préserver notre incognito.
Kan le fixa un long moment et le « Merlan » gêné finit par détourner son regard.
-C'est votre premier gros mensonge, ironisa le capitaine, et vous n'êtes pas doué pour ce genre de sport. Il est impossible que le « grand maître » ait pu monter son organisation sans faire confiance à ses proches collaborateurs. Quand nous serons revenus sur Terre, nous vous soumettrons à un sondeur psychique.
-Jamais, hurla Alpha 3, en se levant brusquement. Jamais je ne trahirai ce que je crois être une cause juste.
Avant que Grégory ait pu intervenir, il porta la main à sa bouche puis serra les mâchoires. Aussitôt son corps se crispa et son visage devint violet. Lentement, comme dans un ralenti cinématographique, il glissa sur le sol.
Jess regarda un instant le cadavre puis murmura :
-Pour lui c'était la seule solution ! Il a au moins eu le courage de ses opinions. Un homme qui accepte de mourir pour un idéal, même détestable, est digne de notre estime.
Burk complètement dépassé par l'enchaînement rapide des événements, essaya de réagir.
-Dommage que nous n'ayons pas eu le temps de lui demander la nature de l'écran qui protège leurs astronefs contre nos torpilles.
-Nous envisagerons ce détail plus tard, dit Kan.
-Puisque vous connaissez les coordonnées de « Paal », reprit Burk, pourquoi ne partirions-nous pas immédiatement avec le « Sirius » ?
-Nous ne devrons envisager cette solution qu'en dernier ressort parce que nous ne pouvons emmener tous nos prisonniers. Si parmi eux se trouvent de fervents partisans du « grand maître », d'autres sont de simples cosmatelots qui, poussés par la faim et les mauvais traitements, se sont ralliés uniquement pour survivre comme Clark ! Nous ne pouvons pas les abandonner ainsi et pratiquement seul un sondeur psychique peut séparer le bon grain de l'ivraie !
-Mais en restant ici, insista le commandant, nous sommes à la merci du premier astronef ennemi ! Ne pensez-vous pas que le « grand-maître » s'empressera de lancer un vaisseau pour reconquérir cette base qu'il a dû fuir ?
-C'est probable, soupira Jess, mais je ne demande que vingt-quatre heures de répit. Passé ce délai, nous tenterons de fuir ! En attendant nous avons bien mérité d'aller nous coucher !
Cette suggestion fut approuvée à l'unanimité. Les émotions et les durs combats avaient épuisé les hommes. Tyrel en particulier ne tenait plus debout que par un immense effort de volonté. Burk avait l'impression que cette journée l'avait fait vieillir de dix ans. Même Jess avait peine à se remuer et commençait à sentir ses idées à s'embrouiller dans sa cervelle. Seul Grégory semblait inaccessible à la fatigue !
-Je retourne à l'astronef, décida Kan. En cas d'alerte je désire être sur place pour identifier l'ennemi.
-Je vous accompagne, dit le commandant. Mieux vaut que je sois aussi à bord.
Il confia son communicateur radio à Tyrel en précisant :
-A partir de maintenant, vous prendrez le commandement de l'unité qui occupe ce bâtiment !
Jess tenant Brit par la taille traversa lentement le terrain de l'astroport, respirant l'air frais et parfumé de la nuit. Burk désigna le ciel piqueté d'étoiles.
-Je suis tout de même heureux que notre bon vieux soleil se trouve quelque part là-haut. Cette histoire d'univers parallèle me flanquait la frousse.
Jess se rendit directement dans le poste de pilotage. Un cosmatelot surveillait attentivement les écrans.
-Rien à signaler Capitaine !
Puis il ajouta après un instant de silence :
-Mes camarades et moi n'avons pas très bien compris ce qui s'est passé cet après-midi, mais nous sommes bien persuadés que sans votre intervention, nous serions toujours prisonniers des « Merlans ». Avez-vous vu dans quel état se trouvaient les pauvres types restés plusieurs mois entre leurs mains ? Ce sont des fous !
-Tout au moins des fanatiques et c'est à peu près pareil !
-De toute façon, je suis content de pouvoir être le premier à vous remercier. J'avais beaucoup entendu parler de vous dans les tavernes des astroports, Capitaine ! Comptez sur moi pour affirmer que vous êtes encore plus fort que le dit votre légende.
-Merci, mais malheureusement nous ne sommes pas encore sur Terre !
Kan s'approcha de la radio et modifia le réglage de la gamme des fréquences.
-J'attends un appel par le canal 357. S'il arrive, prévenez-moi aussitôt dans ma cabine.
-Bien Capitaine, mais d'ordinaire cette fréquence n'est guère utilisée. Ne voulez-vous pas que j'explore également les autres ?
-Inutile ! Bonsoir !
Kan gagna sa cabine où Brit l'attendait avec impatience.
CHAPITRE XX
Le « grand maître » avait rejoint son domicile terrien non sans quelque appréhension. Toutefois, il retrouva rapidement sa sérénité après avoir pris contact avec les milieux officiels. Personne ne paraissait avoir connaissance d'une attaque contre « Terre Nouvelle ». Au contraire, tous ses interlocuteurs semblaient essentiellement préoccupés par la situation dans le système de Procyon. Depuis dix jours aucun astronef terrien n'avait pu s'approcher de Terrania III. Les navires ennemis interceptant et détruisant aussitôt les téméraires qui osaient encore se risquer dans les parages. De plus, les rares nouvelles de cette planète qui parvenaient encore par téléradio étaient catastrophiques. Des troubles éclataient de plus en plus souvent et la population exaspérée réclamait un pouvoir fort, dirigé par un militaire, pour rétablir l'ordre et entamer immédiatement des négociations avec ceux qu'on n'osait déjà plus appeler les « Merlans ».
Le « grand maître » se frotta les mains de satisfaction. Terrania III ne tarderait pas à tomber en son pouvoir. L'épisode de « Terre Nouvelle » l'humiliait d'autant plus.
« Je parie, songea-t-il, que c'est ce maudit Kan qui a de nouveau réussi à fomenter une révolte ! Si c'est bien le cas, Gamma 17 ne tardera pas à redresser la situation, même si pour cela il doit entièrement atomiser la région. »
A l'heure fixée, l'écran de la téléradio s'éclaira.
-Gamma 17 au rapport.
-Je vous écoute.
-Traversée sans problème. Nous émergerons dans vingt minutes à proximité de « Terre Nouvelle ».
Rassuré, le « grand maître » coupa la communication puis enleva son casque et sa combinaison noire. Il avait d'importants rendez-vous et pour quelques mois encore il devait jouer son rôle sans se trahir.
***
Un appel du poste de pilotage réveilla Kan en sursaut. Un coup d'oeil sur sa montre lui apprit que le soleil devait se lever sur l'astroport.
-Nous venons d'enregistrer une émergence à cinquante mille kilomètres au 212, annonça le cosmatelot de veille. Tous nos détecteurs sont branchés sur l'astronef pour l'identifier.
-J'arrive, répondit Jess qui enfilait déjà la combinaison de vol que Brit lui tendait.
Il boucla rapidement son ceinturon et passa à son cou la courroie supportant le cube paralyseur.
Dans la coursive, il se heurta à Burk réveillé en même temps que lui. Les deux hommes ne tardèrent pas à arriver au poste de pilotage.
-Voyez, Commandant, dit le cosmatelot en désignant l'écran central. Il n'y a aucun doute possible, c'est un « Merlan ».
Jess étouffa un juron et appuya sur l'interrupteur du communicateur. Tyrel répondit aussitôt d'une voix ensommeillée :
-A vos ordres, Capitaine !
-Alerte immédiate ! Bouclez vos prisonniers et dispersez-vous dans la forêt. N'oubliez ni les armes ni les provisions. Tâchez de gagner le village d'Omah. Grégory vous guidera. S'il y avait du nouveau, je vous avertirais sur cette même fréquence. Exécution !
-Que pouvons-nous faire? demanda Burk très pâle.
-Essayer de gagner du temps pour leur permettre de fuir, soupira Jess. Cramponnez-vous car nous allons être durement secoués.
Déjà il avait lancé les moteurs, attendant avec impatience qu'ils aient atteint leur régime maximum.
-Vous ne pensez pas combattre, s'écria Burk. Vous savez comme moi que nos torpilles sont inefficaces.
-Je veux simplement attirer l'attention de l'aviso ennemi pour qu'il ne songe pas immédiatement à bombarder la base.
Le « Sirius » s'éleva dans l'atmosphère de toute la puissance de ses moteurs malmenés. Collés sur leur siège par l'accélération, les hommes comptèrent les secondes.
Arrivés dans l'ionosphère, Kan obliqua sa trajectoire pour suivre une orbite très basse. La lampe témoin de la téléradio se mit à clignoter. Burk passa sur la position écoute. La silhouette familière d'un « Merlan » casqué apparut aussitôt :
-Astronef « Sirius » je vous donne l'ordre de vous poser immédiatement sur la base!
Kan s'installa d'autorité devant l'écran.
-Nous sommes maîtres de votre base, dit-il. Si vous nous attaquez, vous condamnez à mort tous vos compagnons que nous détenons prisonniers.
-Tant pis pour eux, répondit sèchement Gamma 17. S'ils n'ont pas su périr en combattant, ils sont indignes de vivre.
-Ce ne sont pas les bons sentiments qui l'étoufferont un jour, grogna Burk.
Jess reprit cependant, dans l'espoir de gagner quelques précieuses secondes :
-Alpha 3 et Alpha 5 sont pourtant vos supérieurs. Avant de les envoyer à la mort, vous devriez en référer au « grand maître ».
-Inutile ! trancha Gamma 17. J'ai déjà reçu mes ordres.
Kan parut hésiter et le « Merlan » s'amusait de voir de grosses rides apparaître sur son front.
-Quelles seraient les conditions d'une reddition ?
-Aucune condition ! Capitulation pure et simple. Vous avez une minute pour vous décider.
Depuis quelques secondes, une lumière clignotait mais personne n'y avait prêté attention car tous étaient fascinés par les propos de Gamma 17.
Lorsque l'écran s'éteignit, Jess aperçut le voyant lumineux, vivement il saisit un microphone.
-Jess réponds ! Jess je t'écoute ! répétait inlassablement une voix grave.
Le visage de Kan s'illumina et il s'exclama :
-Boris ! vieille branche. Je ne t'espérais plus !
-Dès que l' « Entameb » m'a transmis ton message, je me suis mis en route ! Il y a cinq minutes que j'ai émergé du subespace. Que se passe-t-il ?
-Nous sommes dans un beau pétrin ! Je suis sur une orbite basse avec le « Sirius » et j'ai un « Merlan » sur le dos. Fonce sur lui et expédie-lui une gerbe de torpilles. Je vais l'occuper le plus longtemps possible. Espérons qu'il ne te détectera pas immédiatement.
A ce moment, l'écran de la téléradio s'éclaira à nouveau.
-La minute est écoulée, annonça Gamma 17. Votre réponse ?
Jess appuya vivement sur plusieurs touches. Aussitôt quatre missiles jaillirent des flancs du « Sirius ».
-La voici, hurla-t-il. Nous préférons mourir libres dans l'espace plutôt que d'aller crever dans votre camp. Seul un esprit dément a pu concevoir une telle horreur. Étiez-vous fiers de vous lorsque vous passiez à proximité des baraquements où agonisaient des hommes transformés en squelettes vivants !
Gamma 17 réprima un haut-le-corps. Ce maudit
Kan venait de toucher un point sensible qu'il avait toujours évité approfondir.
-Je suis un soldat et j'obéis aux ordres, rétorqua-t-il d'une voix sourde. Jamais je ne me suis mêlé de l'administration terrestre.
-Il est bien commode de nier la réalité et de se cacher derrière les ordres reçus, ricana Kan.
Sans surprise, ce dernier vit sur les écrans de contrôle ses quatre torpilles exploser les unes après les autres dans une lueur insoutenable.
-Maintenant que vous êtes convaincu de notre supériorité, railla Gamma 17, vous rendrez-vous ? C'est mon dernier avertissement !
-Jamais ! grinça Kan. De toute façon votre entreprise est vouée à l'échec ! Nous nous retrouverons donc en enfer où votre ami Alpha 3 doit griller allègrement.
Ce fut avec un certain sentiment de regret que Gamma 17 libéra trois torpilles thermonucléaires. Ce capitaine Kan était un adversaire courageux et un excellent astronaute !
A ce moment, un cosmatelot, installé à droite de Gamma 17, annonça :
-Missiles au 220, Commandant.
Le « Merlan » sursauta et demanda sèchement :
-D'où sortent-ils ?
-Nos radars viennent de localiser un astronef inconnu.
Gamma 17 scruta l'écran central.
-Aucun doute possible, c'est un appareil terrien d'un assez vieux modèle. Comment a-t-il pu arriver jusqu'ici ?
Cette question devait rester à jamais sans réponse pour l'astronaute. Les missiles se rapprochaient dangereusement et machinalement Gamma 17 appuya sur le bouton destiné à protéger l'astronef. Il était tellement certain de son invulnérabilité qu'il détourna son regard de l'écran central pour le reporter sur un autre qui suivait la course de ses propres torpilles se rapprochant du « Sirius ».
Ce fut le cosmatelot qui hurla :
-Commandant, missiles ennemis à dix mille mètres !
Effaré, Gamma 17 regarda les silhouettes menaçantes qui se profilaient sur l'écran radar. Désespérément, il appuya de nouveau sur le bouton rouge mais rien ne se produisit.
-Cinq mille mètres, annonça le cosmatelot d'une voix blanche !
Saisissant les commandes manuelles, le commandant tenta de modifier sa trajectoire mais il était trop tard. Le premier missile heurta l'écran protecteur classique et explosa, amenant le générateur à la limite de saturation. Cinq secondes plus tard deux autres missiles explosèrent et l'astronef A 11 se transforma en un mini-soleil !
***
Lorsqu'il vit les torpilles jaillir des flancs de l'aviso ennemi, Kan saisit les commandes manuelles et accéléra de toute la puissance de ses moteurs. D'abord la distance séparant le « Sirius » des missiles parut rester constante puis diminua progressivement, les engins ayant acquis leur vitesse maximale.
L'accélération brutale ayant eu pour résultat de l'éloigner de « Paal », Kan corrigea la trajectoire et plongea de nouveau vers la planète, traversant l'ionosphère et la stratosphère. Les missiles autoguidés modifièrent également leur cap.
-Allez-vous tenter de recommencer la même manoeuvre qu'au retour de « Psar » ? demanda Burk très inquiet.
-Cela ne sera pas nécessaire, sourit Kan.
Pesant sur les commandes, il infléchit légèrement la course du « Sirius » pénétrant dans l'atmosphère. A cette vitesse, le frottement des molécules d'air contre la coque augmenta aussitôt la température. Malgré le revêtement antithermique et les aérateurs fonctionnant à plein régime, la température intérieure augmenta rapidement. Sans s'en soucier, Kan poursuivit sa course. Soudain Burk s'exclama :
-Regardez ! Les missiles viennent d'exploser loin derrière nous.
Jess reprit aussitôt de l'altitude et achevant de contourner « Paal », jaillit à nouveau dans l'espace.
L'écran de la téléradio s'éclaira et le visage balafré de Boris apparut.
-L'astronef ennemi a été pulvérisé, dit-il avec un large sourire. L'échec de tes torpilles lui a donné tellement confiance dans son système de défense qu'il n'a pas songé un instant à se protéger autrement. Mais toi, tu m'as flanqué une belle trouille ! Comment as-tu réussi à te débarrasser des missiles attachés à ta queue ?
-Depuis notre dernière rencontre, je me suis documenté sur les CY 19, ricana Jess. Ce sont d'excellents missiles pour les combats dans l'espace mais ils ne possèdent pas de bouclier antithermique. Un simple passage à grande vitesse dans l'atmosphère a suffi pour les calciner comme de vulgaires étoiles filantes !
Une petite grimace déforma le visage ridé du pirate.
-Bien joué, Jess ! J'avoue qu'en te voyant ainsi poursuivi, j'avais presque dit adieu aux cinquante millions de « dois » que tu m'as promis !
-Tu en as déjà encaissé la moitié, rétorqua Kan. Le reste t'attend sur « Paal ». Si j'ai bonne mémoire, au centre du continent nord il existe un vaste désert.
Sans perdre un instant, Boris dirigea un télescope sur la région indiquée tandis que Jess poursuivait :
-Dans la partie est, tu devrais trouver des collines rocheuses percées de grottes. Ce sont les restes d'anciens torrents taris depuis longtemps. Ils ont charrié des pépites d'or plus grosses que le poing. Dépêche-toi de ramasser tout ce que tu peux, car dans quelques jours les autorités vont se pointer et « Paal » sera régi par un traité d'association qui interdira aux astronefs étrangers de se poser.
-Ne t'en fais pas. D'ici-là j'aurai ramassé un joli petit magot qui me permettra de me retirer des affaires !
-Je n'en crois rien, ironisa Jess. Au bout d'un an, tu t'ennuieras tellement que tu lâcheras tout pour avoir le plaisir de naviguer à nouveau. Crois mon expérience ! Les espaces intersidéraux nous ont inoculé un virus dont il est difficile de se débarrasser.
-Peut-être, répondit Boris. Pour l'instant, excuse-moi mais j'ai un rendez-vous pressant avec la fortune.
-Laisse tes détecteurs branchés, recommanda Jess. Nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle attaque !
Une fois, la téléradio éteinte, Kan confia les commandes à Burk.
-Nous pouvons retourner à l'astroport, dit-il.
Tandis que le commandant effectuait les manoeuvres d'approche, Jess appela Tyrel.
-Alerte terminée ! Vous pouvez regagner la base. Prenez garde qu'aucun de vos prisonniers ne se soit échappé pendant votre absence.
-Heureux de vous entendre, Capitaine, souffla le lieutenant. Nous avons aperçu deux explosions dans la très haute atmosphère et nous avons cru que c'était le « Sirius » qui disparaissait à jamais.
-Nous avons reçu du secours au bon moment! Rendez-vous à la base.
Kan regagna sa cabine, car il voulait réfléchir sérieusement. Depuis deux jours un détail le tracassait mais il n'arrivait pas à le retrouver.
CHAPITRE XXI
Au soir de cette journée encore fertile en émotions, une nouvelle conférence réunit Burk, Tyrel et Grégory autour de Jess. La réunion se tenait dans le poste de pilotage du « Sirius ».
-Maintenant que Boris est arrivé en renfort, nous allons pouvoir rendre compte au Président, dit Jess.
Le commandant secoua la tête, intrigué.
-Nul doute que vous attendiez l'arrivée de ce pirate mais comment avez-vous réussi à le joindre pour lui donner les coordonnées de « Paal » ? Compte tenu des délais nécessaires à la plongée subspatiale, il a fallu que vous lanciez votre message en même temps que l'attaque contre la base !
Kan sourit en songeant aux « Entamebs » mais ne répondit pas. Comprenant que sa curiosité ne serait pas satisfaite sur ce point, Burk enchaîna :
-Pourquoi avoir appelé à votre secours ce vieux contrebandier et non un aviso de notre flotte ?
-D'abord, ricana Jess, parce que je fais plus confiance à mes amis qu'à tous vos amiraux réunis.
Ensuite, vous avez pu juger de l'efficacité de ses missiles alors que les vôtres se comportent comme de vulgaires pétards !
-Comment ont-ils franchi le système de protection des « Merlans » ? demanda Tyrel.
-J'ai une petite idée sur ce problème, soupira Kan. Mais auparavant essayons de contacter le Président.
Jess brancha la téléradio. Dix minutes furent nécessaires pour enfin accrocher un poste terrien.
-Qui êtes-vous et d'où appelez-vous? prononça l'opérateur.
Sans répondre, Kan dit :
-Mettez-moi immédiatement en contact avec le bureau du Président.
-Rien que cela, ricana le terrien. Écoutez mon vieux si c'est une plaisanterie, elle n'est pas drôle. Nous avons assez d'ennuis en ce moment avec les « Merlans » pour ne pas supporter les rigolos dans votre genre.
-Appelez votre officier ! ordonna Kan.
Le ton était si impérieux que l'opérateur n'osa pas répliquer. Rapidement son image fut remplacée par celle d'un colonel.
-Que voulez-vous ? aboya ce dernier.
Jess renouvela sa demande.
-Impossible, répondit le colonel. Seuls les messages urgents peuvent lui être transmis !
-Écoutez Colonel, reprit Kan d'une voix glaciale. Je suis l'envoyé spécial du Président auprès des « Entamebs ». Si vous ne me donnez pas immédiatement satisfaction, je vous jure que demain vous vous retrouverez simple cosmatelot !
La menace stimula la cervelle du colonel.
-Etes-vous le Capitaine Kan ? Nous vous croyions disparu ou prisonnier des « Merlans ».
-Je l'étais mais je me suis évadé et j'apporte des renseignements capitaux !
-Dans ce cas, je vais essayer de contacter le Pentagone. Patientez, car cela risque d'être long !
Philosophe, Jess assista au petit ballet des intermédiaires. Le colonel sut se montrer assez persuasif car un quart d'heure plus tard le visage du Président apparut sur l'écran. Il avait les traits tirés de quelqu'un qui depuis une semaine ne dormait pas plus de deux heures par nuit.
-Kan ! s'exclama-t-il. Je vous croyais disparu avec le « Sirius ».
-Vos soucis ne vont pas tarder à s'atténuer, Président.
-C'est peu probable, Capitaine. Des émeutes ont éclaté un peu partout et tous nos effectifs sont mobilisés pour rétablir l'ordre. Nous sommes à la merci de la première attaque des « Merlans ».
-La Terre ne craint rien pour l'instant. Leur offensive vise actuellement Terrania III.
-Comment le savez-vous ?
-Je vais vous l'expliquer mais j'aimerais savoir si le Président de la « Compagnie d'exploitation galactique » est avec vous.
-Hans Kilfer est assis en face de moi. Il revient d'une tournée d'inspection et me faisait son rapport.
-Parfait ! Voulez-vous lui demander si sa société a encore en sa possession des missiles BX 16 et 17.
L'image de Kilfer remplaça celle du Président.
-Nous n'avons plus que quelques vieux stocks. Comme vous le savez, ma compagnie a racheté tous les anciens missiles pour fournir des CY 19 plus modernes.
-Très bien ! Repassez-moi le Président.
Charkes demanda aussitôt :
-Où êtes-vous? Les opérateurs n'arrivent pas à situer l'origine de votre appel.
-C'est une longue histoire, mais je pense qu'elle vous intéressera.
Kan résuma l'odyssée de l'équipage du « Sirius » omettant seulement de mentionner l'aide apportée par la technologie des « Entamebs ». La stupéfaction qui se dessinait sur le visage du Président réjouit fort Jess.
-Monstrueux ! Dément ! souffla Charkes. Vous appelez donc de cette planète qui se nomme « Paal ».
-Dans quelques instants, je vous donnerai ses coordonnées galactiques.
Le Président réfléchit un instant et se passa la main sur son visage fatigué. Tout ce qu'il venait d'entendre était tellement extraordinaire qu'il en venait à douter de tout.
-Dommage, soupira-t-il, que vous n'ayez pu capturer ce « grand maître ». Libre, il peut ainsi poursuivre son oeuvre de destruction et nous sommes toujours désarmés contre ses astronefs.
Jess émit un rire bref.
-Je pense, Président, que la Terre sera débarrassée de ce « grand maître » dans quelques jours au plus tard.
-Comment ? Vous avez dit vous-même qu'il s'était enfui.
-J'ai tout lieu de croire qu'avant son départ précipité de « Paal », il a été piqué par un « tser ». En examinant le cadavre de l'insecte retrouvé dans son bureau, je me suis aperçu qu'il s'agissait d'une femelle.
-Quelle importance cela a-t-il ? s'étonna Charkes.
Un sourire cruel apparut sur les lèvres de Kan qui répondit d'une voix vibrante :
-Énorme, Président, lorsqu'on connaît les moeurs de ces charmants animaux. La femelle profite de la plaie créée par sa redoutable pince pour injecter ses oeufs microscopiques d'une taille voisine de celle des hématies. Rapidement ils passent dans la circulation sanguine. Dans quelques heures maintenant ils se fixeront dans les muscles et certains organes. Là il leur faut trois à quatre jours pour atteindre la taille d'une cerise. A ce moment, le jeune « tser » naît et se met à dévorer vivant l'organe qui l'a abrité, causant d'intolérables douleurs.
Le Président objecta :
-Dès qu'il sentira les premières atteintes du mal, il se fera traiter dans un centre médical.
-Il sera beaucoup trop tard ! Seuls certains extraits de plantes qui ne poussent que sur Psar pourraient en ce moment arrêter le cycle de la larve. Une fois enkysté, le tser est à l'abri de tous les antibiotiques ou anticorps que nous possédons. Croyez-moi, j'ai vu une fois ce phénomène se produire chez un psarien. Mrs Nils qui est médecin a essayé, mais en vain, toutes les médications y compris le sérum polyvalent. Le malheureux souffrait tellement qu'il s'est jeté sur un bûcher qu'il avait lui-même dressé et allumé. Même au monstrueux « grand maître », je n'aurais osé souhaiter une telle fin !
Un hurlement, jailli du micro, vrilla les tympans du capitaine. Le visage décomposé de Kilfer remplaça celui du Président. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front et ses yeux trahissaient l'affolement le plus complet.
-Ce n'est pas vrai, Kan, hurla-t-il, une telle horreur n'est pas possible. Il existe certainement un médicament ! Je ne veux pas être rongé vivant par ces monstres ! Quelles plantes faut-il faire venir de Psar ? Je vous en supplie, répondez !
Jess contempla d'un regard froid la figure livide de celui qui avait rêvé de devenir le maître de l'Union Terrienne et d'imposer aux hommes une odieuse dictature.
-Je pense que vous n'avez pas besoin d'explication supplémentaire, Monsieur le Président.
Charkes ne mit que cinq secondes pour réaliser la situation. D'un doigt rageur, il écrasa un signal d'alarme. Aussitôt quatre soldats firent irruption dans le bureau, armes au poing.
-Arrêtez cet homme, ordonna-t-il en désignant Kilfer. Placez-le au secret absolu, qu'il soit surveillé en permanence par six hommes. De plus, je décrète l'état d'urgence. Réunion du conseil de sécurité dans une demi-heure !
Épuisé, le Président retomba dans son fauteuil.
-Avez-vous entendu Kan ?
-Naturellement, Monsieur le Président. Maintenant que vous tenez la tête de la pieuvre, les tentacules ne sont plus guère dangereux. Méfiez-vous cependant des derniers soubresauts de la bête.
-Comment peut-on traiter Kilfer ? Je ne voudrais pas qu'il meure avant que le sondeur psychique lui ait arraché tous ses secrets.
Un rire puissant, incoercible, juvénile, secoua Jess.
-Excusez-moi, Président, hoqueta-t-il mais je ne pouvais plus garder mon sérieux. Faites-lui injecter simplement un tranquillisant ! Les tsers ne sont que des fourmis carnivores ! Seule la reine est capable de pondre des oeufs au fond de son nid et n'a jamais eu besoin d'organismes vivants pour les faire se développer.
-Mais, mais, balbutia Charkes, vous venez d'affirmer le contraire...
-Ce n'était qu'un gigantesque bluff ! Je pensais que Kilfer était le « grand maître » mais je n'avais pas la moindre preuve et j'ai voulu l'effrayer suffisamment pour qu'il se trahisse.
Un nouvel accès de rire saisit Jess avant qu'il puisse ajouter :
-Nous avons tous avalé son histoire d'univers parallèle. Bluff contre bluff, je n'ai fait que lui rendre la monnaie de sa pièce !
Gagné par l'hilarité de son interlocuteur, Charkes éclata de rire pour la première fois depuis des semaines. Quand il eut retrouvé son calme, il demanda :
-Comment avez-vous soupçonné Kilfer ?
-Un détail stupide m'est revenu à l'esprit. A partir de là, j'ai échafaudé une hypothèse qui m'a semblé fort cohérente.
-Quelle est donc cette faute commise par le « grand maître » ?
-Rappelez-vous notre première entrevue dans votre bureau en présence de Kilfer. J'ai toujours été hostile à la « Compagnie d'exploitation galactique »...
-C'est même pour cela que vous n'avez pas hésité à fournir aux humanoïdes des désintégrateurs lourds, coupa le Président, ce qui vous a permis de conquérir Paal!
Négligeant l'interruption, Jess poursuivit :
-Donc, par instinct, son président m'était antipathique. En un geste un peu puéril, je l'avoue, j'ai voulu l'impressionner et j'ai endommagé le mur de votre bureau en projetant une boulette de « rox » avec un faux fume-cigare.
-Je me souviens très bien de l'épisode, sourit Charkes. L'architecte du Pentagone m'a harcelé de questions à ce sujet. Il croyait que j'avais été victime d'un attentat.
-Lorsque nous avons été faits prisonniers à bord du « Sirius », le commandant de l'astronef ennemi m'a fait fouiller et s'est emparé de mon fume-cigare. Manifestement il avait reçu des ordres et n'ignorait pas qu'il s'agissait d'une arme camouflée. Or, en dehors de ma femme qui ne parle pas le terrien, deux personnes seulement connaissaient cette particularité : Kilfer et vous ! Il fallait donc que l'une d'elles m'ait dénoncé ! Parti de là, je me suis mis à réfléchir. Pour monter cette gigantesque organisation, il fallait d'énormes moyens, d'abord pour découvrir une planète inconnue comme Paal, puis pour y installer une base permanente. Ensuite il était indispensable de disposer de plusieurs astronefs aux performances encore inégalées. Poser ainsi le problème c'était presque le résoudre. La « Compagnie d'exploitation galactique » a pratiquement le monopole des explorations lointaines. De plus, c'est elle qui construit tous les astronefs, même ceux destinés à votre flotte de guerre et ses laboratoires de recherche sont les mieux équipés. Ajoutez à ceci qu'elle a l'exclusivité de la fabrication des armements et vous avez la solution en main.
Charkes fronça les sourcils.
-Les missiles fournis à nos unités étaient pourtant excellents ! J'ai moi-même ordonné qu'ils soient testés par des observateurs impartiaux.
-Là encore, ricana Kan, vos experts ont pris le problème à l'envers. Voyant les torpilles exploser à proximité des astronefs ennemis sans leur causer de tort, ils ont aussitôt conclu que ces derniers possédaient un écran protecteur particulièrement efficace. Or, moi je savais que ce n'était pas le cas ! Les anciens projectiles type BX 17 détruisaient les avisos ennemis. Mon ami Boris me l'avait affirmé et ce matin j'en ai encore eu la preuve.
-J'ignorais ce détail, dit le Président. Qu'en concluez-vous ?
-Tout simplement que certains ingénieurs de la Compagnie ont dû introduire dans les missiles un dispositif autodestructeur commandé par un émetteur installé sur les astronefs « Merlans ». Même les commandants d'astronefs ignoraient les modalités d'action de leur défense et croyaient également à un écran antimissile perfectionné. Par prudence, Kilfer a fait racheter toutes les anciennes torpilles par sa société. Seuls quelques indépendants comme Boris ont préféré garder leurs vieux missiles.
Kan s'interrompit un instant avant de poursuivre :
-Ce détail, appris de la bouche de Kilfer au début de notre entretien, n'a fait que me renforcer dans mon opinion : « Timeo Danaos et dona ferentes. »
-Que voulez-vous dire, demanda Charkes surpris de cette citation en langue étrangère.
-Un vieux souvenir, Président! Cela signifie qu'une Société n'a jamais racheté un armement périmé sans un motif très puissant. Faites autopsier un CY 19 par des experts de l'Université et vous verrez que j'ai raison.
-Vous m'avez convaincu, soupira Charkes. Que me conseillez-vous maintenant ?
Jess réprima un sourire.
-Je ne suis qu'un modeste capitaine, mais je crois que vous devez agir rapidement avant que la nouvelle de l'arrestation de Kilfer soit ébruitée. Un de ses lieutenants serait capable de reprendre l'opération pour son propre compte! Dans un premier temps, vous devriez occuper militairement tous les locaux de la « Compagnie » et arrêter le personnel de maîtrise. Ensuite dénoncez publiquement le complot dans une grande allocution radiotélévisée qui sera retransmise sur toutes les planètes de l'Union Terrienne. Sachant leurs principaux chefs arrêtés, les sous-fifres se terreront et vous verrez que les émeutes apparemment spontanées cesseront aussitôt.
-Ensuite?
-Envoyez des vaisseaux, armés d'anciens missiles récupérés dans les stocks de la Compagnie, au secours de Terrania III. Vous pourrez ainsi écraser la flotte du « grand maître » en un seul combat !
-Cela sera fait ! Selon vous, quel devrait être le devenir de la « Compagnie d'exploitation galactique » ?
-Nationalisez-la sans hésiter. Seuls quelques cadres ont participé au complot. Votre police aura vite fait de les découvrir en étudiant les données des sondeurs psychiques.
-Je ne vous savais pas partisan d'une étatisation forcenée, railla Charkes.
-Plus que tout autre, je reste attaché à l'initiative individuelle et j'en suis un vivant exemple, mais sur une petite échelle et parmi une libre concurrence. Si une société acquiert un monopole de fait dans un ou plusieurs domaines essentiels, mieux vaut qu'elle soit sous contrôle du gouvernement.
Le Président consulta la pendule placée sur son bureau.
-Le conseil de sécurité ne va plus tarder à se réunir et j'ai hâte de voir la tête que nos stratèges feront quand je leur révélerai d'où viennent les envahisseurs qui les ont tellement terrorisés.
-Méfiez-vous ! Certains d'entre eux ont été des partisans du « grand maître ». Par exemple, destituez immédiatement le commandant des forces de défense de Terrania III. J'ai lu dans un dossier qu'il devait neutraliser les batteries de désintégrateurs lourds ! Enfin n'oubliez pas d'envoyer sur « Paal » quelques avisos. Cela m'ennuierait de voir arriver les astronefs « Merlans » qui auront échappé à vos forces ! Voici les coordonnées de la planète...
CHAPITRE XXII
Le colonel Pearson pénétra dans le bureau où se tenait Kan et salua impeccablement.
-Le ravitaillement du « Sirius » est terminé, Capitaine !
Il n'avait pu s'empêcher d'insister sur le grade. Son orgueil de militaire de carrière se rebellait d'avoir été placé sous les ordres d'un inférieur. Toutefois, comme il avait reçu ses consignes de la bouche même du Président, il ne pouvait que s'incliner.
Depuis deux jours déjà les renforts terriens étaient arrivés. Les troupes débarquées avaient aussitôt occupé la base et pris en charge les prisonniers, soulageant ainsi Tyrel et l'équipage du. « Sirius » qui avaient mérité un peu de repos.
-Merci, Colonel, répondit Kan. N'avez-vous pas eu trop de travail ?
-Nous avons remplacé les missiles par d'autres CY 19 où le système autodestructeur a été neutralisé.
La pile atomique a été changée mais surtout nous avons dû refaire en partie le revêtement antithermique. Je ne sais pas quel est l'imbécile qui a piloté dernièrement mais il est entré beaucoup trop vite dans l'atmosphère. Il aurait mérité de griller comme une météorite.
Jess n'eut pas la cruauté de relever l'allusion.
-Fort bien, Colonel, je partirai donc ce soir. Comme vous le savez, vous devrez prendre le commandement de cette base. Une mission d'experts viendra éplucher toutes les archives et rapatriera les prisonniers. Beaucoup ne sont que de pauvres types qui n'ont pu résister aux traitements inhumains des séides du « grand maître ». A propos, avez-vous eu des nouvelles de Terrania III ?
-J'ai reçu un communiqué il y a moins d'une heure. C'est une victoire complète ! L'ennemi ne disposait que de dix appareils et les nôtres les ont attaqués alors qu'ils s'approchaient de la planète. L'utilisation d'anciens missiles les a tellement surpris que sept astronefs ont explosé dans les premières minutes du combat ! Deux se sont rendus sans problème. Seul le dernier a réussi à fuir mais l'amiral avait pensé qu'il tenterait de gagner Paal. Aussi avait-il dressé une embuscade dans le système des « Entamebs » et l'ennemi est tombé dans le piège.
-Le cauchemar est donc terminé, soupira Jess et l'Union Terrienne pourra refaire son unité.
Le colonel un peu gêné demanda :
-Je désirais avoir des consignes sur deux points particuliers. Quelle devra être notre attitude envers les humanoïdes ? Ne risquons-nous pas une attaque surprise ?
-Certainement pas ! Évitez simplement de vous ingérer dans leurs problèmes. J'ai reçu l'assurance du Président qu'ils seront classés en catégorie C ! Ensuite ?
-Nous avons repéré un vieil astronef posé dans une région désertique. Il appartient à une sorte de brigand de l'espace. Dois-je le faire appréhender ?
-Il n'en est pas question, dit sèchement Jess. Le capitaine Boris est actuellement sous mes ordres. N'oubliez pas qu'il a détruit deux astronefs ennemis, performance dont peu de militaires peuvent se vanter. Il décollera dans quelques jours lorsqu'il aura terminé la mission que je lui ai confiée. Tranquillisez-vous, il ne vous causera aucun souci !
Rassuré, Pearson s'éclipsa. Resté seul, Jess contempla un long moment la forêt puis appela par interphone le commandant Burk.
-Vous pouvez réunir votre équipage. Décollage à dix-huit heures, heure locale.
-Nous serons prêts ! Je vous avoue que je ne serai pas fâché de revoir la Terre. Quand je pense au nœud coulant qui se balançait autour de ma tête, j'en ai encore la gorge serrée. Je réalise que je n'ai même pas pensé à vous remercier ! Je vous promets de vous payer un verre au bar de l'astroport du Cap Kennedy !
-Entendu Burk, mais en attendant faites-moi préparer un hélijet, j'ai une visite à rendre.
Une heure plus tard, Jess posa son appareil près du · village indigène. Omah le reçut dans sa case avec solennité.
-Nous regrettons ton départ, dit-il. Si le hasard te conduisait à nouveau sur Paal, tu seras toujours le bienvenu dans ma maison.
Le vieux se tut un instant puis murmura :
-Autrefois quand le conseil des chefs existait encore, le grand Prêtre avait annoncé qu'un « messager des étoiles » veillait sur le sort de notre peuple! La prophétie s'est accomplie !
***
Le « Sirius » émergea dans le système des « Entamebs » car Jess avait demandé au commandant d'effectuer ce détour. Kan sortit de sa poche le médaillon, le contempla un instant puis l'appliqua sur son front.
-Bonjour Ami, émit aussitôt Nooz.
Rapidement, Jess lui conta la fin de son aventure.
-Je persiste à penser que les terriens sont bien étranges. Puisque tout danger est maintenant écarté pour l'Union Terrienne, dis à ton Président que notre peuple ne désire pas engager de relations permanentes. Nous préférons conserver notre tranquillité d'esprit.
-Je transmettrai ton message, Nooz. J'ai effectué ce détour pour te remettre l'amplificateur psychique.
-Garde-le ! Nous pourrons ainsi communiquer à travers la galaxie. Je serai toujours heureux d'avoir de tes nouvelles.
Kan regagna le poste de pilotage, frappa sur l'épaule de Burk.
-Cap sur la Terre, Commandant !
***
Depuis une heure déjà, les béquilles télescopiques du « Sirius » avaient pris contact avec l'astroport. Rêveur, Jess était installé dans le poste de pilotage.
-Je vous cherchais partout, dit Burk. Nous sommes les derniers, tout l'équipage est déjà à terre. Venez prendre ce verre que je vous ai promis !
-Allez devant, je vous rejoindrai au bar. Vous savez comment sont les femmes, elles n'en finissent pas d'empaqueter leurs affaires. La mienne n'échappe pas à la règle et il y a cinq minutes, elle n'était pas encore prête !
-Je vais commander une bouteille de véritable Old Crow. Dépêchez-vous d'arriver avant que je la liquide jusqu'à la dernière goutte !
Dix minutes s'écoulèrent sans que Jess esquissât un geste, puis il s'anima brusquement. Basculant une série d'interrupteurs, il alluma tous les circuits intérieurs de télévision. Le « Sirius » était désert à l'exception de Brit restée allongée sur sa couchette.
Kan résolument alluma les moteurs et il décolla sans même attendre qu'ils aient atteint leur régime de croisière. Le visage furieux de l'opérateur de la tour de contrôle ne tarda pas à apparaître sur l'écran de la téléradio.
-« Sirius », que se passe-t-il ? Vous n'êtes pas sur la liste d'envol ! Posez-vous immédiatement ! Trois astronefs sont déjà sur le circuit d'approche.
-Conseillez-leur de s'écarter, rétorqua Kan ! je quitte la Terre. Transmettez mes amitiés au Président !
L'astronef émergea dans l'ionosphère et Jess accéléra l'allure. A ce moment, le Président Charkes intervint personnellement.
-Vous êtes fou de vous enfuir ainsi Kan ! Je vous attendais pour vous confier la direction du service des explorations lointaines.
-Merci, mais je préfère retourner sur Psar ! La vie aventureuse ne me tente plus et je mourrais d'ennui dans un bureau. Désolé d'avoir été obligé de vous emprunter le « Sirius ».
Le Président sentant qu'il ne pourrait convaincre son interlocuteur, dit simplement:
-Merci d'être intervenu et bonne chance !
Kan sourit et ajouta :
-Programmez tout de même ma grâce dans vos ordinateurs. Peut-être reviendrai-je un jour sur Terre et cela m'ennuierait de me retrouver dans une chambre de désintégration !
-Si je suis encore en vie, n'hésitez pas à venir me voir, dit le Président. Désormais vous figurerez sur toutes les listes officielles avec le grade d'amiral.
Jess prépara la plongée dans le subespace. Il sentit une présence derrière lui mais ne se retourna pas, pensant que Brit venait le rejoindre. Ce n'est qu'en voyant la silhouette installée dans le siège du copilote qu'il poussa un juron.
-Grégory ! Pourquoi n'es-tu pas descendu avec les autres ?
-En vous voyant traîner à bord, j'ai compris que vous alliez immédiatement repartir et je me suis dissimulé dans une soute.
-Pourquoi? Tu étais déjà lieutenant et je suis certain que tu serais rapidement passé capitaine !
Le cosmatelot secoua la tête.
-Je crois au contraire que je n'aurais pas gardé longtemps mes galons ! Sur Paal j'ai trouvé le moyen de me disputer avec un commandant débarqué avec les renforts.
-Encore !
-Que voulez-vous, Capitaine, il soutenait que ce que vous aviez fait était fort simple et à la portée du premier venu ! J'ai naturellement affirmé le contraire et pour terminer, il a reçu ma main sur la figure. Mieux valait donc vous suivre ! De plus Yula a promis de m'attendre et j'avoue avoir conservé un excellent souvenir de cette petite !
Les deux hommes restèrent un long moment silencieux puis Grégory s'exclama en riant :
-Cette histoire d'univers parallèles, quelle plaisanterie !
-Qui sait, peut-être découvrirons-nous un jour qu'ils existent ? murmura Kan.
FIN