ATTAQUE PARALLELE
JEAN-PIERRE GAREN
CHAPITRE PREMIER
L'astronef « Sirius » émergea brusquement du subespace. Aussitôt les rétrofusées entrèrent en action pour diminuer la vitesse qui était proche de celle de la lumière. Quelques minutes plus tard le bâtiment se satellisa autour de la planète qui était son objectif.
Dans le poste de pilotage, le commandant Burk, solide quinquagénaire au visage énergique, se tourna vers son second.
-Vous voyez, Sheldon, la planète est bien au rendez-vous. J'avoue qu'avant cet instant j'avais encore des doutes. Aucun aviso de l'Union Terrienne ne s'est aventuré aussi loin dans ce bras de la galaxie.
L'officier en second, âgé d'une trentaine d'années, approuva aussitôt. Il était mince avec une figure émaciée, des yeux noirs brillants. C'était le bon élève appliqué qui désirait arriver rapidement.
-Comment avons-nous eu les coordonnées de cette planète et que venons-nous y faire, Commandant ? Je sais seulement que notre mission est secrète et que le Président Charkes vous a personnellement donné ses ordres.
Burk étouffa un soupir.
-Je ne connais moi-même qu'une partie de la vérité ! Uniquement ce qui est nécessaire à l'accomplissement de notre travail. Actuellement je suis en droit de vous révéler ce que je sais. Au cas où il m'arriverait un accident, vous pourriez prendre la suite.
Sheldon eut un geste de protestation mais le commandant l'interrompit aussitôt :
-Nous avons été expédiés vers ce monde inconnu pour tenter de récupérer un homme, un terrien comme vous et moi.
Le lieutenant sursauta :
-Toute cette expédition pour secourir un seul homme, s'exclama-t-il. Avec les attaques que subit actuellement l'Union Terrienne, je pensais que le Président avait d'autres soucis que de jouer les terre-neuve.
-Je crains qu'il n'y ait rien d'humanitaire dans notre aventure. Nous devons retrouver un certain capitaine Jess Kan s'il est encore en vie.
Vince Sheldon fronça les sourcils.
-Ce nom me dit quelque chose. Je l'ai entendu mentionner dans des tavernes d'astroport mais je pensais qu'il s'agissait d'un mythe.
-Vous n'êtes pas le seul ! Moi aussi je croyais à une légende un peu enjolivée par les conteurs au fil des ans.
Le commandant se tut un instant pour vérifier si les détecteurs dirigés sur la planète inconnue effectuaient correctement leur besogne. Puis il reprit :
-Je crois qu'il vaut mieux vous narrer la genèse de notre mission telle qu'elle m'a été présentée. Vous savez que depuis six mois, des vaisseaux et des planètes de l'Union Terrienne subissent les attaques d'astronefs inconnus.
-Effectivement ! Ils sont plus rapides que nos propres bâtiments et leur écran protecteur résiste à toutes nos torpilles atomiques.
Burk hocha la tête :
-D'après les dernières estimations de nos distingués savants, il semble que ces agresseurs ne proviennent pas de notre univers mais d'un univers parallèle, ce qui explique qu'ils peuvent disparaître quand ils le veulent sans risque d'être poursuivis. Quoi qu'il en soit, l'ordinateur du quartier général de la flotte a remarqué que les astronefs ennemis émergeaient pratiquement toujours dans la même zone galactique, plus précisément dans la nébuleuse d'Orion. Aussitôt l'État-major a envoyé une expédition pour rechercher s'il n'existait pas à proximité une planète où nous poumons installer une base permanente. Cela serait du plus grand intérêt de pouvoir détecter les vaisseaux ennemis dès leur arrivée dans notre galaxie. Une expédition fut donc aussitôt montée. Après beaucoup de difficultés dues à la présence d'étoiles très chaudes qui ionisent la zone et donnent à la nébuleuse cette couleur verdâtre caractéristique, un astronef finit par découvrir une planète intéressante. Ce n'était pas le paradis terrestre ! Imaginez un immense marais couvert en permanence de nuages bas qui filtrent les rayons solaires.
-N'existait-il pas mieux dans la région ?
-Non, c'était la seule planète habitable à plusieurs parsecs à la ronde. Aussi l'état-major ordonna-t-il au commandant de la mission de l'explorer. Dès que le bâtiment se fut satellisé, les analyseurs découvrirent de nombreuses émissions d'infrarouge prouvant l'existence de sources d'énergie. Le commandant n'eut pas le loisir d'examiner plus longtemps sa découverte, car un astronef de fabrication inconnue le prit en chasse.
-Était-ce encore un envahisseur ?
-Non ! C'était les habitants de la planète qui se manifestaient. Après nombre de difficultés, le commandant parvint à entrer en contact avec eux. Ce sont des êtres totalement différents de nous, unicellulaires, c'est-à-dire qu'ils ressemblent à une gigantesque amibe. Sur terre les premiers êtres vivants étaient des cellules minuscules. Lors de l'évolution, les cellules se sont multipliées et spécialisées pour aboutir à des créatures de plus en plus complexes jusqu'à l'homme. Là-bas, au contraire, la cellule est restée unique mais a augmenté considérablement de volume. Quoi qu'il en soit, ces créatures ont acquis un haut degré de civilisation et ont même découvert les voyages dans l'espace.
-Ont-elles accepté de nous laisser construire une base sur leur planète ?
-C'est là tout le problème ! Quand le commandant expliqua le but de sa mission et proposa un traité d'alliance avec l'Union Terrienne, il eut la surprise de s'entendre répondre :
-Nous connaissions votre existence, Terriens. Peut-être pourrons-nous arriver à un accord mais nous n'accepterons de négocier qu'avec le capitaine Jess Kan que vous voudrez bien nommer ici comme ambassadeur ! Nous le considérons comme un ami fidèle et nous suivrons ses conseils !
Le message, une fois parvenu sur Terre, jeta un vent de panique dans l'entourage du Président. Qui était ce Terrien qui avait déjà pris contact avec les « Entamebs », puisque c'est ainsi que se nomment ces créatures ?
Le commandant Burk alluma un long cigare noir et reprit :
-Si vous ouvrez un annuaire des astronautes, vous trouverez effectivement qu'un certain Jess Kan est sorti de l'école d'astronautique trente-huit ans auparavant. A la ligne suivante, vous lirez qu'il a été radié de l'armée pour abandon de poste devant l'ennemi et condamné à trois ans de forteresse.
-Belle référence, ricana le lieutenant. Ce n'est pas avec cela qu'il a pu acquérir une telle réputation.
-La vérité était beaucoup plus complexe comme le montra l'enquête ordonnée par le Président, dit le commandant avec un sourire. Les événements se sont déroulés il y a exactement trente-deux ans sur la 3e planète du système de Polaris où la « Société d'Exploitation Galactique » avait installé une colonie.
Un jour les humanoïdes autochtones, pourtant encore à un stade très primitif de leur développement, se sont révoltés et les Terriens ont dû embarquer en catastrophe non sans avoir subi de lourdes pertes. Acte de pure sauvagerie, obscurantisme barbare, ont aussitôt clamé les dirigeants, en exigeant une expédition punitive. En fait, il fut prouvé par la suite que c'étaient les exactions et les mauvais traitements pratiqués par les colons qui avaient déclenché cette insurrection. Quoi qu'il en soit, le gouvernement de l'Union Terrienne envoya un aviso de combat pour effectuer des représailles. Il était commandé par le capitaine Kan, brillant officier de la flotte, sous les ordres d'un colonel chargé des opérations.
Sheldon consulta machinalement l'écran de contrôle pour s'assurer de la bonne trajectoire tandis que Burk poursuivait :
-Craignant à juste titre pour ses hommes les aléas d'un combat dans la forêt dense qui recouvrait en grande partie la planète, le colonel imagina de détruire par des projectiles atomiques tous les villages des indigènes.
-Un peu somm
-Le capitaine Kan refusa catégoriquement de se prêter à une action aussi barbare qu'inutile. Devant l'insistance et les menaces du colonel, il lui mit son poing sur la figure et retourna immédiatement sur Terre.
-C'était idiot, s'exclama Vince ! Je comprends pourquoi il a été condamné à trois ans de prison. L'armée n'a plus eu qu'à envoyer un autre aviso.
-Effectivement quelques jours plus tard, la planète était bombardée, interdite à la colonisation et abandonnée à son sort. Ce n'est que de nombreuses années plus tard que le ministère des affaires galactiques envoya une mission pour voir ce qui restait des populations. Les ethnologues pensaient seulement retrouver de rares tribus rongées par les séquelles d'irradiation. En fait, en voyant revenir un astronef, les indigènes avaient compris qu'on voulait les détruire. Le geste de Kan avait eu pour effet de leur donner le temps d'évacuer leurs villages et de se disperser dans les vastes forêts. Ainsi ce n'avait été que de misérables huttes vides qui avaient été détruites.
Un sourire étira les lèvres minces du lieutenant.
-Ce n'est certainement pas parce que Kan a sauvé de la destruction quelques centaines de sauvages que les « Entamebs » veulent discuter avec lui.
Burk secoua la tête.
-Je ne le pense pas, en effet, mais je vous rapportais cet épisode pour vous situer l'origine du personnage. Après sa sortie de forteresse, Kan réussit à acheter un vieil astronef et se lança hardiment dans la contrebande, découvrant des planètes inexplorées et ramenant des pierres précieuses, des minerais rares et même des oeuvres d'art que des amateurs fortunés se sont arrachés à coups de millions de « Dol ». Naturellement il a été très difficile d'obtenir des renseignements précis sur cette époque de son existence car il se gardait bien de parler de ses découvertes, d'une surtout, qui recèlerait des richesses fabuleuses. C'est en fait cette dernière qui l'aura perdu, mais n'anticipons pas.
-Comme vous, j'avais entendu cette histoire colportée dans des bouges par des cosmatelots plus ou moins ivres.
-Deux épisodes inexpliqués jusque-là sont venus enrichir l'enquête. Il y a deux ans, un aviso dé la flotte en mission d'exploration découvrit une planète terramorphe. Les analyses effectuées sur orbite basse révélèrent l'existence -d'une population humanoïde. C'était une civilisation primitive, type pastoral avec un minimum d'artisanat. Les prélèvements bactériens étant satisfaisants, le commandant décida de prendre un premier contact car les analyseurs avaient découvert un important gisement de titane. Il posa donc son astronef à quelque distance du plus important village repéré. Les indigènes, loin de fuir, envoyèrent aussitôt une importante délégation et grâce au traducteur automatique dont s'était muni le commandant, la conversation put s'engager. C'est alors que l'astronaute éprouva une des plus grandes surprises de son existence. L'indigène qui paraissait être le chef ou le grand prêtre déclara aussitôt après les souhaits de bienvenue r
-Nous acceptons de nouer des relations avec l'Union Terrienne mais nous exigeons d'être classés en catégorie C et de traiter uniquement avec le ministère des affaires galactiques.
-Naturellement vous connaissez les problèmes de classification des races humanoïdes.
-Oui, commandant. Selon leur degré de civilisation, les peuples sont cotés de A à E. Les plus évolués, A, B, C, nouent des relations officielles et signent des traités de commerce avec le gouvernement. Les plus primitifs, D et E, sont abandonnés à leur sort et c'est la « Compagnie d'Exploitation Galactique » qui est chargée d'exploiter les éventuelles ressources minières et de développer des colonies humaines, charge à elle de distribuer quelques avantages aux autochtones.
Le front du commandant se rembrunit :
-Nous savons tous qu'elle n'en fait rien mais nous la laissons agir car la Terre a un besoin vital de matières premières !
Il se tut brusquement craignant d'avoir trop parlé. Sheldon lui était sympathique mais ce genre de propos, s'il venait aux oreilles des officiels, pouvait nuire à son avancement. Comme s'il n'avait rien remarqué, le second demanda :
-Que se passa-t-il ensuite ?
-Le commandant de la mission intrigué et amusé accepta l'offre et revint le mois suivant avec un envoyé officiel du ministère. Il fut rapidement question de l'exploitation du gisement de titane. Le chef local en accepta le principe mais quand vint le moment de parler des redevances dues par la société minière, il sortit un projet de contrat rédigé sur une peau de bête. L'ambassadeur voulut apporter quelques modifications au texte mais se heurta à un refus obstiné. En réalité, comme le contrat était correct pour les deux parties, l'ambassadeur finit par accepter. Il demanda alors au chef qui avait pu ainsi l'instruire des notions de classe et surtout l'avertir de l'intérêt du titane alors que sa civilisation n'avait même pas découvert le bronze et l'acier ! Il s'entendit répondre :
-Le « messager des étoiles » nous a prévenus de votre arrivée et de ce qu'il fallait demander !
-Patiemment l'ambassadeur poursuivit son enquête et apprit ainsi qu'un astronef s'était déjà posé sur cette planète plusieurs années auparavant. Le chef de l'expédition avait su s'entendre avec les humanoïdes et les avait mis en garde contre les risques d'exploitation abusive. Toutes les données de l'aventure furent emmagasinées dans l'ordinateur géant mais à l'époque, il ne put conclure, faute de précision.
-C'est en effet un peu mince pour affirmer la venue de Kan sur ce monde, sourit Sheldon.
-Attendez la suite ! Six mois plus tard, un cargonef, cette fois de la « Compagnie d'Exploitation Galactique » découvrit à son tour une nouvelle planète, également peuplée d'humanoïdes pacifiques et primitifs. Lorsqu'il se posa, le même scénario se répéta. En entendant la prétention du chef d'être classé en catégorie C, le commandant devint furieux. Il avait, en effet, repéré de grands gisements de platine. Il espérait bien que la « Compagnie » pourrait l'exploiter à sa guise, ce qui lui vaudrait une bonne commission comme à tout « inventeur » d'un filon ! Il ordonna aussitôt d'ouvrir le feu avec des pistolets thermiques.
Surpris par cette avalanche de flammes, les humanoïdes s'enfuirent en hurlant non sans laisser plusieurs morts sur le terrain. Cette déroute égaya le commandant. Il riait encore en faisant débarquer deux chars de combat, car il était bien décidé à détruire le village et à disperser les habitants dans la forêt. Soudain un éclair zébra le ciel et les chars se volatilisèrent. Deux secondes plus tard, un nouvel éclair frappa le cargonef au niveau des propulseurs et des béquilles télescopiques. Déséquilibré, le bâtiment se coucha sur le côté au milieu d'un nuage de poussière. Ces sauvages possédaient un désintégrateur lourd et venaient d'immobiliser à jamais la fusée.
Contus et meurtris, les membres de l'équipage parvinrent à s'extraire de l'astronef. A ce moment, ils virent sortir de la forêt une nouvelle délégation des humanoïdes. Cette fois le commandant évita tout geste agressif, sachant qu'une nouvelle décharge du désintégrateur anéantirait bâtiment et équipage.
Par l'intermédiaire du traducteur automatique, le chef de la tribu leur demanda si leur radio fonctionnait encore. Sur une réponse affirmative, il leur ordonna d'envoyer au Quartier Général de la flotte un long message qui était tout préparé. Le commandant se reconnaissait coupable d'agression et de tentative de piraterie mais la vie sauve lui serait accordée si un astronef officiel amenait un ambassadeur chargé de négocier. Le commandant essaya bien de modifier quelques phrases mais là encore le primitif ne voulut aucun changement au texte original. Quinze jours plus tard, un aviso de la flotte vint récupérer les terriens fort penauds de leur échec et débarqua un envoyé du ministère des affaires galactiques.
Là encore l'ambassadeur apprit qu'un mystérieux « messager des étoiles » avait mis en garde les populations. Le signalement du personnage correspondait à celui de Kan.
-N'était-ce pas dément de confier à des sauvages un désintégrateur lourd. Ils auraient pu s'en servir dans des luttes tribales et s'anéantir du même coup.
-Le risque était minime du fait même de l'extraordinaire puissance de l'arme. De plus, Kan n'avait pas fourni de recharges énergétiques, ce qui limitait l'usage du désintégrateur.
-Cela n'explique toujours pas l'intérêt des « Entamebs » pour Kan.
-Non, mais cela nous permet de cerner la physionomie du personnage. Nous n'avons pu retrouver sa trace nulle part ailleurs. Il y a cinq ans maintenant, Kan a eu des démêlés avec la police sur la 3e planète de Polaris. Il parvint à s'enfuir mais les policiers le traquèrent. La trahison de son second permit son arrestation sur Terrania III dans le système de Procyon.
-Comment se fait-il qu'il n'ait pas été exécuté immédiatement après son arrestation?
-Il semble que la « Compagnie d'Exploitation Galactique » ait réussi à obtenir son transfert sur Terre pour l'interroger sur la découverte éventuelle d'une très riche planète. Escorté d'un policier, il fut embarqué sur un cargonef, l' « Andromède ». A partir de ce moment, nous avons les rapports minutieux du commandant Torf pour nous renseigner. Dès sa plongée dans le subespace, le cargonef fut pris dans un «Magström»
-Dans ce cas, il aurait dû disparaître à jamais. Aucun bâtiment ne peut traverser un tel phénomène magnétique !
-Torf, à bout de force allait s'évanouir quand il eut l'idée d'appeler Kan aux commandes. Celui-ci réussit le prodige de sauver le cargonef.
Burk interrompit d'un geste la protestation qui allait jaillir des lèvres de son second.
-Les données de l'ordinateur de bord ont été retrouvées. Nul ne-saura jamais comment Kan a pu tenir aussi longtemps dans un tel enfer. Quand ils émergèrent dans l'espace normal, ils constatèrent que le « Magström » les avait entraînés hors de toute route connue. Ils eurent la chance de découvrir une planète terramorphe pour pouvoir se poser et réparer les détecteurs complètement détruits par le flux magnétique. Kan faussa alors compagnie à son geôlier et s'enfuit en compagnie d'une charmante indigène. C'est à ce moment qu'il rencontra un astronef « Entamé-bien » qui avait été également dérouté par un « Magström ». Nous n'avons aucun détail sur cet épisode mais il semble bien que Kan ait réussi à s'entendre avec eux puisque des années plus tard ces derniers ne veulent que traiter avec lui.
-Comment se nomme cette planète ?
-Les indigènes l'appellent « Psar ». Après avoir réussi à retrouver les coordonnées du système solaire, une fois encore grâce à Kan, Torf put quitter la planète mais Kan, peu désireux de retrouver une geôle terrienne, décida de s'installer dans le village indigène.
-Et le policier chargé de le convoquer n'a pas protesté ? demanda Vince intrigué.
-L'équipage terrien a eu des difficultés avec la population locale et Kan est le seul à s'être fait adopter. Aussi quand le policier, un nommé Corn, a voulu l'embarquer, il a péri dans une révolte indigène.
-Effectivement, ce Kan semble très doué pour les « public-relations » ! ricana le lieutenant. C'est d'autant plus curieux que d'ordinaire les contrebandiers ne songent qu'à piller rapidement les richesses des mondes nouveaux.
-Les enquêteurs nommés par le président espéraient enfin pouvoir présenter un rapport complet. Malheureusement ils n'étaient pas au bout de leurs peines. Torf et son second avaient disparu dans un accrochage avec les envahisseurs et ils n'ont pu retrouver qu'un cosmatelot nommé Grégory qui avait participé à l'expédition sur « Psar ». Naturellement, il n'a pu fournir les coordonnées astronomiques de ce système.
-L'ordinateur de l'astronef ne les avait-il pas transmis comme il se doit au cerveau électronique du quartier général de la flotte ?
-Sur le chemin du retour, il s'est produit un accident et les cristaux mémoriels ont été détruits. Il n'est pas impossible que Kan, sachant que la police le pourchassait, ait piégé l'ordinateur pour effacer définitivement sa trace. Quoi qu'il en soit, un envoyé extraordinaire du Président est retourné chez les « Entamebs » en annonçant que Kan était perdu sur une planète inconnue. Cela n'a pas paru les étonner et ce sont eux qui nous ont fourni les coordonnées de « Psar ».
Les analyseurs, leur besogne achevée, commencèrent à livrer leurs résultats. Pendant dix minutes, les deux hommes étudièrent les chiffres fournis.
-Je crois que cela correspond aux renseignements que nous possédons, soupira Burk. Récapitulons : Masse de la planète ?
-0,9 de celle de la terre, répondit Vince. Révolution autour du soleil en 288 jours sur orbite presque circulaire. Rotation sur elle-même en 21 heures 12 minutes.
-Atmosphère?
-Type terrestre, un peu plus riche en oxygène.
-Rayonnement infrarouge ?
-Aucun ! Les populations ne disposent donc pas de sources d'énergie, précisa Sheldon.
-Température extérieure ?
-Vingt-cinq degrés au sol dans la zone tropicale. Les pôles sont recouverts de glace.
-Tout est conforme au rapport du commandant Torf, reprit Burk. D'après lui, deux continents émergent de vastes océans, un dans l'hémisphère nord, l'autre dans l'hémisphère sud.
-C'est exact, commandant. Malheureusement de vastes forêts recouvrent la majeure partie des continents. Comment voulez-vous retrouver un homme, à supposer qu'il soit encore en vie, dans ce fatras végétal.
Le commandant sourit un instant.
-Nous disposons d'un dernier atout.
Il enclencha une touche de l'interphone.
-Grégory, voulez-vous monter au poste de pilotage?
-A vos ordres, Commandant !
Vince demanda alors :
-Est-ce le même Grégory qui est déjà venu sur Psar?
-Oui, il a été affecté sur le « Sirius » juste avant notre départ, mais comme tous les membres de l'équipage, il ignore notre destination.
CHAPITRE II
Grégory était un colosse blond d'origine slave, âgé d'une quarantaine d'années. Il avait un visage rond, placide et des yeux très bleus.
-Grégory, dit le commandant, veuillez regarder l'écran panoramique. Cette planète ne vous rappelle-t-elle rien ?
L'astronaute tressaillit en voyant l'image du continent qui se dessinait sur l'écran.
-Un vague souvenir tout au plus, répondit-il prudemment. Moi, j'ai toujours été confiné dans le compartiment des machines.
-Vous étiez bien embarqué sur le cargonef « Andromède » quand le commandant Ian Torf découvrit la planète « Psar », insista le second.
-Oui, Monsieur, une sacrée aventure !
-N'est-ce pas cette même planète ?
-C'est possible mais pour moi tous les continents se ressemblent, rétorqua-t-il, le visage fermé.
Sentant qu'il n'obtiendrait rien de plus, le commandant demanda avec un sourire :
-Avez-vous connu le capitaine Jess Kan ?
-C'est un remarquable astronaute.
-Vous l'aimez bien !
-Certainement Monsieur. Il nous a sauvé la vie à deux reprises. D'abord en traversant un « Magström », ensuite sur Psar, en empêchant les indigènes de nous jeter en pâture à une monstrueuse plante Carnivore.
-Vous n'hésiteriez donc pas à lui rendre service ?
-Si jamais il avait besoin de mon aide, je serais fier de la lui apporter.
Le commandant réfléchit un instant puis se décida brusquement :
-Je suis chargé de retrouver le capitaine Kan pour lui remettre un message personnel du Président Charkes.
Cette révélation n'entama pas la placidité de Grégory.
-J'ignore si le capitaine souhaite recevoir ce message, dit-il lentement.
Burk étouffa un mouvement de colère.
-Grégory, je vous donne ma parole d'officier. Ma mission consiste uniquement à transmettre mon message. Il ne saurait être question d'arrestation ou d'acte de guerre.
Un large sourire éclaira le visage du cosmatelot.
-Franchement j'aime mieux cela, Commandant. Cela m'aurait ennuyé de vous voir vous lancer dans une aventure impossible qui aurait certainement coûté la vie à beaucoup de camarades, car on ne peut arrêter un homme de la classe de Kan sans gros risques.
-La question étant réglée, pouvez-vous nous aider à le retrouver ?
Grégory contempla l'écran un long moment, le front plissé par l'effort de mémoire. Finalement, il désigna un point.
-Je pense que le commandant Torf avait posé l'« Andromède » dans cette région.
-Sur le continent nord ?
-Oui, c'est celui qui s'approche le plus de la zone tropicale. Nous étions sur une plaine côtière, à moins d'un kilomètre de l'océan. Le village indigène était à une heure de marche. Je pense qu'avec un hélijet de reconnaissance nous pourrons le localiser assez facilement. Je me souviens parfaitement de l'espèce de château fort qui servait de palais.
-Allons-y sans plus attendre, ordonna Burk.
Saisissant les commandes manuelles, il débuta les manoeuvres d'atterrissage. Après deux révolutions destinées à freiner l'astronef sur les couches hautes de l'atmosphère, le commandant actionna les rétrofusées et descendit lentement vers la zone choisie. En douceur, les béquilles télescopiques prirent contact avec le sol. Quand le grondement des moteurs se fut éteint, Burk demanda :
-Nous sommes environ à la mi-journée, ce qui nous laisse plusieurs heures de jour. Pensez-vous pouvoir effectuer une première reconnaissance en hélijet ?
Grégory secoua la tête.
-Si je ne me suis pas trompé et si le capitaine est toujours dans ce même village, nul doute qu'il sera informé rapidement de notre arrivée et c'est lui qui viendra nous observer. Le plus simple est de me laisser sortir et d'attendre. S'il me voit seul, il désirera certainement prendre contact.
-Pourquoi ne pas envoyer une escouade à sa recherche ? s'étonna Sheldon.
-La forêt recèle de nombreux dangers, croyez-moi, lieutenant. De plus, le capitaine Kan est méfiant. S'il a l'impression qu'on le chasse, il est capable d'attaquer le premier et je ne parierais pas un « Dol » sur les chances de survie de vos hommes.
-Ce n'est tout de même pas le Diable, ricana Sheldon et nul n'est à l'abri d'une décharge de pistolet thermique.
-Je l'ignore, répondit froidement Grégory, mais à votre place, je ne tenterais pas l'expérience.
Puis se tournant vers Burk, il ajouta :
-Quels sont vos ordres ? Commandant.
-Si cela vous amuse de jouer les appâts, allez-y mais emportez une radio et restez en communication permanente avec l'aviso.
Dix minutes plus tard, Grégory franchit le sas de l'astronef et descendit l'échelle métallique. Il avança d'une centaine de mètres en direction de la forêt respirant à plein poumon l'air chaud et parfumé. Puis il s'immobilisa et attendit, certain d'être observé par des psariens dissimulés dans la forêt.
Deux heures s'écoulèrent sans que rien ne se manifestât. En lisière de forêt de gros herbivores paissaient tranquillement. Ils avaient un corps allongé soutenu par six pattes. Deux cornes situées l'une derrière l'autre surmontaient une grosse tête carrée. Ils donnaient un aspect de puissance tranquille et devaient peser plus de cinq cents kilos.
-Ce sont des « zellacs » expliqua Grégory dans la radio, à l'intention du commandant. Ils sont élevés par les psariens pour la viande mais servent également de montures et d'animaux de trait. J'ai d'excellents souvenirs de rôtis cuits sur un feu de bois !
Soudain un psarien apparut à la lisière de la forêt. Il était monté sur un « zellac » et avançait au petit trot. Grégory admirait sa peau dorée et ses cheveux encore plus blonds que les siens. Il était torse nu et un pagne d'étoffe grossière lui serrait les reins.
Le cavalier s'arrêta à un mètre de Grégory et lui remit un morceau d'écorce roulée puis s'éloigna aussitôt.
-Que se passe-t-il ? demanda Burk qui surveillait le cosmatelot à la jumelle.
-C'est un message du capitaine Kan. Voici ce qu'il écrit :
« Bienvenue sur Psar, Grégory. Si tu es libre de tes mouvements avance jusqu'à la forêt mais viens seul ! Tu sais que j'ai quelques raisons de me méfier des délégations officielles ». Signé : « Jess Kan ».
-Que dois-je faire Commandant ?
Burk répondit sans hésiter :
-La prise de contact est plus rapide que je l'espérais. Partez immédiatement et dites-lui que je désire le rencontrer le plus vite possible, quelles que soient ses conditions.
Satisfait, Grégory marcha d'un bon pas. A l'orée de la forêt, il hésita un instant à s'engager sous les arbres. Une voix le héla :
-Avance d'une vingtaine de mètres sur ta gauche.
Sans hésiter, il obéit, traversa un buisson touffu et se retrouva dans une petite clairière.
-Du diable si je m'attendais à te revoir un jour, s'exclama Kan.
Les deux hommes s'étreignirent un instant.
-Il y a trois heures, j'ignorais encore notre destination, Capitaine.
Grégory observa un instant Kan. Ce dernier était grand, mince mais ses muscles effilés semblaient plus durs que de l'acier. Bien qu'il eût plus de cinquante-cinq ans, pas un lobule de graisse déformait sa silhouette. Il avait un visage mince aux traits réguliers, à la peau burinée par le soleil. De lointains ancêtres mongols, il avait hérité de pommettes saillantes et d'yeux légèrement bridés. Ses prunelles étaient d'un gris métallique glacé qui mettaient mal à l'aise ceux qui les fixaient trop longtemps. Ses cheveux noirs striés de gris étaient coupés très court. Bien que vêtu d'une vieille combinaison d'astronaute délavée, il avait une élégance naturelle qui en imposait à Grégory.
-Vous n'avez pas changé, Capitaine ! s'exclama le cosmatelot.
Un sourire étira les lèvres de Kan découvrant ses dents de loup très blanches.
-Interromps d'abord ta liaison radio, nous pourrons ensuite discuter tranquillement.
Grégory éclata de rire et sortit de sa poche son communicateur qu'il tendit à Kan.
-Voilà Capitaine. Je vous le remets. S'il n'avait tenu qu'à moi, je ne me serais pas embarrassé de cet engin mais c'était un ordre.
En parlant, il ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil admiratif à la jeune psarienne qui se tenait derrière Kan. Elle était, comme ses congénères, vêtue d'un pagne et sa poitrine ferme et ronde ne pouvait qu'attirer le regard.
Kan s'esclaffa.
-J'espère que tu reconnais Brit, dit-il. Je me souviens que déjà à ton premier séjour sa beauté t'attirait. Malheureusement pour toi, elle est toujours ma femme !
Grégory rougit jusqu'à la racine des cheveux ne sachant quelle contenance adopter. Heureusement Jess reprit aussitôt :
-Comment un astronef terrien a-t-il pu retrouver Psar ? Je croyais pourtant avoir piégé l'ordinateur de ce vieil Andromède.
-Je l'ignore, Capitaine, mais c'est vous que l'on cherche. Le commandant désire vous remettre un message du Président de l'Union Terrienne.
Les traits de Kan se figèrent.
-Cela ne dissimule-t-il pas un piège de la police ou de la Compagnie d'Exploitation Galactique ?
-Sincèrement, je ne peux rien affirmer. Toutefois, le commandant Burk m'a donné sa parole qu'il voulait seulement vous remettre un message. C'est un bon soldat et je pense que vous pouvez lui faire confiance.
Le capitaine réfléchit un moment. Autour de lui une dizaine de psariens attendaient des ordres. Ils possédaient pour arme des frondes projetant de curieuses boules de terre cuite.
-Le plus simple est de rencontrer ce commandant Burk. Mais gare à lui s'il tente de me tendre un piège ! grogna Kan.
-Si c'était le cas, vous me trouveriez à vos côtés, Capitaine, s'écria aussitôt Grégory.
Dès que la liaison radio fut établie, Kan annonça :
-Commandant, je vous invite à souper dans ma modeste demeure. Venez avec un cosmatelot en plus de Grégory. Vous pouvez conserver vos armes et naturellement vos communicateurs radios mais consignez à bord le reste de votre équipage. Je ne veux pas les voir se répandre dans la plaine.
-Pourquoi perdre du temps ? plaida Burk. Je vous donne ma parole de ne rien tenter contre vous.
-Et moi je vous donne ma parole qu'il ne vous sera fait aucun mal si vous respectez mes consignes, rétorqua sèchement Kan. Mes hommes vous conduiront. N'ayez crainte, les « zellacs » sont plus faciles à monter que des chevaux !
-Entendu ! J'accepte vos conditions, soupira le commandant.
CHAPITRE III
La radio coupée, Sheldon s'exclama :
-Ce Kan est d'une impudence folle. Croit-il nous en imposer avec sa poignée de sauvages ! Si vous m'en donnez l'ordre, je me fais fort de vous le ramener avant une heure !
-Calmez-vous, Lieutenant. Nous ne sommes pas ici pour déclencher une bataille. De plus, vous savez l'importance qu'attache le Président à une entente avec les « Entamebs ». Or Kan en est l'élément indispensable. En mon absence, vous prendrez le commandement et mettrez l'aviso en état de défense. Je ne voudrais pas que Kan s'en empare par surprise et file à l'autre bout de la galaxie. Pour le reste, interdiction de bouger sans mon ordre. Nous resterons en liaison radio permanente.
Le commandant boucla son ceinturon et vérifia la charge de son pistolet thermique. Puis il se tourna vers un cosmatelot.
-Vous m'accompagnerez, Stuart, mais souvenez-vous, interdiction de se servir de votre arme sans mon ordre.
Les deux hommes franchirent le sas qui se referma aussitôt après. Sheldon appliquait les consignes à la lettre. A moins de cent mètres de l'astronef se tenait un groupe de psariens juchés sur des « zellacs ». Grégory était parmi eux. Burk esquissa une grimace.
-Montez, Commandant, encouragea Grégory, vous verrez que cela n'est pas trop pénible.
Dès que Burk se fut hissé sur sa monture, la petite troupe s'éloigna au galop. Un chemin assez bien entretenu traversait la forêt. Une fois habitué au rythme de sa monture, le commandant dit à Grégory qui chevauchait à ses côtés :
-J'espère que nous ne ferons pas de mauvaises rencontres, car je ne vois pas comment ces malheureux pourraient se défendre.
-Ne vous y fiez pas ! Je ne sais pas ce qu'ils mettent dans leurs projectiles mais je vous promets que c'est sacrement corrosif ! J'ai vu lors de mon premier séjour des fauves s'enfuir pour avoir été touchés par une seule goutte de liquide.
Burk acquiesça avec une moue sceptique. Quand il parlait de Psar ou du capitaine Kan, Grégory semblait perdre tout sens des réalités.
Après trois quarts d'heure de course, ils atteignirent la ville. C'était un bien grand mot pour qualifier un rassemblement de huttes de terre et de branchages réparties sans ordre de chaque côté du chemin. Cependant çà et là émergeait une maison plus importante construite en pierre. A l'extrémité, sur un petit promontoire se dressait le palais entouré d'un mur d'enceinte.
Le vantail de bois franchi, la troupe s'arrêta sur une esplanade. La construction principale, massive, à trois étages semblait dominer le village.
Un psarien se précipita à leur rencontre et les conduisit dans une grande salle voûtée où une table chargée de victuailles était préparée.
Le capitaine Kan se tenait au milieu d'un groupe d'une dizaine de psariens. Ce fut Grégory qui effectua les présentations. Burk dévisagea celui qui l'avait ainsi obligé à effectuer un très long voyage. Il fut surpris de la prestance de son interlocuteur alors qu'il s'attendait à trouver un pirate adipeux et suant la cupidité. Kan s'inclina légèrement et dit :
-Sur Psar, la coutume veut que les hôtes de marque acceptent un repas avant de parler affaire. Je vous serais donc obligé de prendre place à ma droite.
Bien que pressé, le commandant n'osa refuser. Son interlocuteur ne l'écouterait qu'à l'heure qu'il choisirait. Les convives s'installèrent donc à table. Grégory se trouva placé à côté d'une jeune psarienne qui sans fausse pudeur exhibait une fort belle poitrine.
-Elle s'appelle Yula, sourit Kan. C'est une cousine de ma femme et est encore célibataire. Elle se fera un plaisir de te tenir compagnie.
Une fois de plus, Grégory piqua un fard mais retrouva son sourire quand la jeune femme lui tendit une énorme tranche de viande qu'elle venait de découper. Kan se tourna vers le commandant et désigna successivement plusieurs psariens.
-Voici Xol qui préside actuellement le conseil de gouvernement et Hor qui est notre médecin, notre sorcier et notre grand prêtre.
Burk salua de la tête ne pouvant comprendre les phrases qui lui étaient lancées. Tout en goûtant les mets offerts, le regard du commandant fut attiré par une femme âgée d'une bonne quarantaine d'années. Elle portait le pagne classique mais sa peau, bien que bronzée par le soleil, n'avait pas la couleur dorée des autres psariennes. Kan intervint :
-J'ai oublié de vous présenter Mrs Maud Nils qui a choisi de rester sur Psar.
Burk fronça les sourcils.
-J'ai un peu connu autrefois un Nils qui était spécialiste des civilisations primitives extra-terriennes.
-C'était mon mari, mon premier mari devrais-je dire. Il a été assassiné sur Terrania III par des sbires de la « Compagnie d'Exploitation Galactique » avec la complicité du gouverneur pour avoir voulu défendre les populations locales.
-C'est impossible, riposta Burk. Le rapport officiel a conclu à un accident.
Maud eut un sourire ironique.
-Ayant voulu clamer la vérité, j'ai fait l'objet d'un arrêté d'expulsion. Le hasard m'ayant conduit sur cette planète, j'ai préféré mettre mes modestes connaissances médicales au service des populations locales plutôt que de retourner sur votre terre.
Le commandant eut un geste de protestation mais la femme poursuivit :
-Vous ne tarderez certainement pas à repartir et j'aimerais vous charger d'un message.
-Très volontiers, à qui est-il destiné ?
-A l'ordinateur de la « Société d'Exploitation Galactique ». Si jamais un seul membre de cette corporation met les pieds sur Psar, je jure de le faire jeter dans un nid de « Tsers ».
Le visage de Maud trahissait une telle résolution et une telle férocité que Burk frissonna. Il se pencha vers Kan pour demander :
-Que sont les « Tsers » ?
-De charmants insectes, répondit son interlocuteur d'un ton léger. Ils ressemblent à des fourmis géantes avec des pinces cent fois plus tranchantes. En moins d'une heure, ils dévorent un homme sans même laisser un fragment d'os ! Je vous conseille cependant de transmettre cet avertissement. Ni Maud ni moi ne tolérerons de voir les psariens exploités comme cela se pratique sur d'autres planètes. Il faudra une armée entière pour réduire ce peuple s'il est bien conseillé. Croyez-moi, les pertes en vies humaines seront terribles car nous disposons de quelques atouts que vous ignorez.
Le commandant hocha la tête.
-J'effectuerai un rapport en ce sens. Acceptez-vous maintenant de recevoir le message du président ?
Sur un signe affirmatif de Kan, il sortit d'une poche de sa combinaison une enveloppe plastifiée portant le sceau personnel du Président Charkes.
-Veuillez vérifier que les cachets sont intacts et me signer cette décharge dit Burk en tendant les documents.
Lentement Jess ouvrit l'enveloppe et prit connaissance de la lettre. Pas un muscle de son visage ne bougea pendant la lecture. Lorsqu'il eut terminé, il replia le message et ironisa :
-Ainsi vous avez fini par découvrir la planète des « Entamebs ». Ces charmantes créatures désirent donc que je sois l'ambassadeur de l'Union Terrienne !
-C'est ce que j'ai cru comprendre, capitaine, dit Birk. Si vous acceptez, nous pouvons repartir immédiatement.
-J'ai besoin de réfléchir! Je vous donnerai ma réponse demain matin. Ainsi avec ou sans moi, vous pouvez annoncer votre décollage pour 8 heures !
Burk sentit qu'il était inutile d'insister et reporta son attention sur son assiette où une charmante psarienne venait de déposer des fruits mauves qui paraissaient succulents.
Kan héla Grégory dont une main explorait vigoureusement le bas du dos de sa voisine.
-Ainsi tu es resté simple cosmatelot ! Après ton aventure sur Psar, tu aurais dû obtenir de l'avancement !
-J'ai failli passer officier mécanicien, mais ma promotion a été refusée, en partie à cause de vous, Capitaine.
Kan haussa les sourcils.
-Explique-toi!
-C'était il y a trois ans sur Terrania IV dans le système de Polaris. Mon brevet m'était promis et j'avais invité quelques amis à arroser l'événement dans une taverne de l'astroport. Naturellement nous avons parlé métier et j'ai affirmé que vous étiez le seul pilote à pouvoir traverser un « Magström ». A ce moment un consommateur de la table voisine m'a apostrophé en prétendant que c'était impossible. Il a ajouté quelques réflexions désagréables sur votre compte. Bref un mot en entraînant un autre, il a pris ma main sur la figure et le robot dentiste a dû lui changer dans la nuit cinq ou six dents. Malheureusement pour moi, c'était le colonel qui devait signer le lendemain ma nomination. Quand, après sa nuit mouvementée, il a vu mon dossier, il s'est empressé de le balancer dans la plus proche corbeille à papiers !
Jess éclata de rire, puis redevenant sérieux, il se leva.
-Si vous acceptez mon hospitalité, Commandant, des chambres sont à votre disposition. De toute façon, retrouvons-nous ici à sept heures et je vous ferai connaître ma décision.
CHAPITRE IV
Le commandant Burk arpentait nerveusement la grande salle du château. La veille, il avait accepté l'hospitalité de Kan mais peu habitué aux lits durs, il avait fort mal dormi. De plus, son estomac l'avait tracassé car il avait un peu abusé des mets qui le changeaient agréablement de la nourriture des rations standards.
Stuart restait immobile ne sachant quelle attitude adopter. Seul Grégory s'était installé sur un siège et arborait une mine réjouie. Après le repas, il n'avait pas eu trop de mal à convaincre la charmante Yula de l'accompagner dans sa chambre.
Burk consulta sa montre pour la dixième fois.
-Croyez-vous Grégory que Kan nous fera encore attendre longtemps sa réponse ?
-Il n'est pas sept heures, Commandant. Je suis persuadé que le capitaine sera ponctuel !
Les pas de Burk résonnaient sur le dallage de pierre. Il regarda un instant la salle voûtée. Hier, à la lumière des torches fumeuses, elle lui avait semblé beaucoup plus vaste. Avec les rayons du soleil pénétrant par plusieurs fenêtres, elle reprenait des dimensions normales.
Kan arriva à cet instant dans la salle. Il était suivi de sa compagne et escorté de deux psariens.
-Après en avoir discuté avec mes amis, j'ai décidé de retourner avec vous sur terre, faisant ainsi confiance à la parole du Président. Là-bas, j'aurai plusieurs conditions à poser mais elles ne sont pas de votre compétence, Commandant, sauf une.
-Je vous écoute.
-Sur Psar, la coutume veut qu'une épouse suive toujours son mari. Aussi Brit a-t-elle manifesté le désir de m'accompagner. Vous devrez donc prévoir une place pour elle dans ma cabine.
Burk sursauta :
-Une femme primitive sur un aviso de guerre ! s'écria-t-il. Je ne peux accepter !
-Vous repartirez donc seul ! trancha Kan d'un ton sec.
Le commandant eut l'intelligence de se raviser aussitôt.
-Dans ce cas, elle sera la bienvenue à mon bord mais ne pourrait-elle se vêtir un peu plus. Je crains les réactions de mon équipage !
-N'ayez crainte, sourit Kan. Sur Psar, nous respectons les coutumes locales mais dans l'espace et sur Terre, Brit s'adaptera aux nôtres.
Il se tourna vers sa femme et murmura une longue phrase incompréhensible pour les terriens. Aussitôt Brit se précipita à l'extérieur avec un cri joyeux.
Dans la cour une dizaine de psariens attendaient avec des montures. Ils avaient le visage grave car le départ de celui qu'ils considéraient tous comme leur ami et leur protecteur les inquiétait. Brit reparut à ce moment. Elle portait un sac de joncs tressés. Sans être plus vêtue, elle avait enroulé sur ses avant-bras des bracelets de cuir et un curieux cube de métal d'une vingtaine de centimètres de côté, maintenu par une sorte de filet de liane, pendait à son cou.
Burk intrigué demanda :
-Quel est ce curieux morceau de métal ?
-C'est un cadeau destiné aux « Entamebs » rétorqua Kan avec un demi-sourire.
Puis il se hissa sur un « zellac » et donna le signal du départ.
A huit heures moins le quart exactement, la troupe arriva près de la forêt.
-Vous pourrez décoller à huit heures comme je vous l'avais annoncé, dit Jess.
Le commandant hocha la tête et par l'intermédiaire de sa radio ordonna l'ouverture du sas. Kan grimpa le premier sur l'échelle, suivi aussitôt de Brit.
Ils furent accueillis par Sheldon et deux cosmatelots qui tenaient leur pistolet thermique à la main.
-Ne bougez pas, ordonna sèchement le second avant de se tourner vers Burk qui arrivait.
-Tout est-il en ordre, Commandant ?
-Oui, vous pouvez ranger votre artillerie !
-Je tenais à prendre mes précautions au cas où vous n'auriez pas été libre de vos mouvements, expliqua le second.
-C'est parfait. Je vous présente le capitaine Kan et son épouse. Vous leur donnerez votre cabine pour le voyage.
Puis se tournant vers Jess, il ajouta :
-Lorsque vous serez installé, vous pourrez me rejoindre dans le poste de pilotage.
Ses ordres distribués, il s'éclipsa, laissant à son second la charge de guider les passagers. Un des deux cosmatelots, un colosse brun au front bas, murmura à son compagnon :
-C'est honteux de mettre une sauvage dans la cabine du lieutenant ! Sûr, il faudra tout désinfecter ensuite ! Enfin, si j'ai une occasion, je me taperai bien cette mousmé.
Il ne put achever sa phrase car une main s'abattit sur son épaule. Bien qu'occupé à l'autre bout de la cale par Sheldon, Kan avait entendu la réflexion désobligeante du cosmatelot. Ce dernier voulut regimber mais il avait l'impression qu'un étau lui broyait les muscles du bras. Jess le fixa un instant. Son regard avait pris une teinte métallique inquiétante.
-Cette psarienne, siffla-t-il, est mon épouse. Lui manquer de respect équivaut à m'injurier et je ne laisse jamais une offense impunie. Ne l'oublie pas si tu veux rester vivant !
Plantant là son interlocuteur médusé, Kan rejoignit le lieutenant qui regardait la scène sans comprendre.
Ils quittèrent la cale mais avant que la porte fût complètement refermée, Jess entendit un bruit mat. Deux minutes plus tard, Grégory reparaissait en se frottant le dos de la main droite. Il cligna de l'oeil et murmura :
-Je me suis permis, Capitaine, de compléter votre leçon de savoir-vivre !
***
Un quart d'heure après le décollage, Kan pénétra dans le poste de pilotage. Il avait installé Brit dans la cabine de Sheldon et avait tenu à rester auprès d'elle pour atténuer par sa présence l'angoisse du départ. La jeune femme avait vaillamment supporté l'épreuve et maintenant dormait aidée par un léger sédatif que Jess lui avait administré pour éviter le malaise du passage dans le subespace.
-Entrez Capitaine, dit Burk d'un ton jovial. Voulez-vous prendre ma place quelques instants ?
-Volontiers, Commandant, répondit Jess.
En cinq ans, les astronefs n'avaient pas été notablement modifiés et il se retrouva plongé dans un univers familier.
Fermant les yeux, il percevait la moindre vibration du bâtiment comme si tous les cadrans étaient directement reliés à son cerveau. Il savoura un long moment le plaisir de piloter. Jusqu'à sa dernière aventure, il avait passé les meilleurs moments de son existence aux commandes de son vieux « Pluton », parcourant la galaxie plus loin qu'aucun autre astronaute. Il pensait terminer ses jours sur Psar mais le destin avec son ironie coutumière en avait décidé autrement.
Il se croyait guéri du besoin des espaces intersidéraux mais il avait suffi d'une occasion pour renouer immédiatement avec son passé. La prudence lui avait conseillé de refuser l'offre du Président qui cachait peut-être un piège, mais le désir de piloter avait estompé tout sentiment de défiance. Une réflexion de Burk interrompit sa rêverie.
-Que pensez-vous de nos nouveaux propulseurs ?
-Ils sont corrects. Je vois que la post-combustion a été améliorée.
Sheldon sursauta, le regard inquisiteur.
-Comment pouvez-vous le savoir ? Ils ne sont en service que depuis un an !
Kan émit un rire grinçant.
-Cela prouve seulement que la société qui les fabrique, filiale de la « Compagnie d'Exploitation Galactique » avait des stocks de modèles anciens à écouler auparavant. Le principe en était connu depuis longtemps et je l'avais adapté sur mon astronef. Cela me permettait de semer tous les avisos de guerre !
Malgré la mine maussade de ses interlocuteurs, Jess poursuivit :
-Vous avez un excellent bâtiment, Commandant. Dommage que le moteur 3 soit mal réglé. En cas d'urgence il manquera de puissance.
Burk plaisanta :
-Vous allez vexer Sheldon. Les moteurs sont de sa compétence et ils fonctionnent parfaitement.
-Je maintiens mon jugement, rétorqua paisiblement Kan.
Les lèvres pincées, Vince enclencha un interrupteur.
-Ordre de vérifier le moteur 3, dit-il.
La réponse vint presque immédiatement :
-Tout est correct, Lieutenant.
-Je répète, examinez le moteur 3.
-Commencez par démonter le panneau de protection C, précisa Kan.
-Vous avez entendu, Stuart, exécution.
Une dizaine de minutes s'écoulèrent en silence. Kan placidement préparait la plongée dans le subespace. Un appel vint du compartiment des machines.
-Vous aviez raison Lieutenant! Un câble d'alimentation est en mauvais état.
-Réparez ! jeta sèchement Sheldon.
A regret, Kan abandonna les commandes.
-Je vous rends votre place, Burk. Voyagerons-nous en permanence dans le subespace ?
-Je pense qu'il est plus sage d'émerger une fois dans l'espace réel pour recharger nos batteries photoniques.
Rapidement, il enfonça une série de touches et annonça :
-Attention ! Plongée dans trente secondes.
Kan s'allongea sur son siège et ferma les yeux. Dès que l'habituelle sensation de malaise se fut dissipée, il tourna la tête. Avec un sourire, il constata qu'il était le premier à avoir retrouvé ses esprits. Il n'avait rien perdu de son entraînement. Toutefois, un sentiment de prudence l'obligea à rester immobile. Il était inutile qu'on sache, qu'en fait, il pouvait profiter d'une transition pour se rendre maître de l'astronef.
Il supporta même le sourire narquois du lieutenant qui lui tendait un verre pour l'aider à retrouver ses esprits.
-Merci, murmura-t-il, j'avais oublié les désagréments des plongées.
Quand il parut avoir récupéré, Kan demanda :
-Commandant, pouvez-vous vous passer d'un de vos hommes d'équipage ?
-Certainement ! Pourquoi ?
-J'aimerais que vous en détachiez un à mon service. J'aurais besoin qu'il me procure des vêtements neufs pour moi et ma femme ainsi qu'un certain nombre d'objets indispensables en pays civilisé.
-Facile ! Qui voulez-vous ?
-Grégory, naturellement ! Nous nous connaissons déjà et je crois qu'il acceptera sans trop de difficultés ce rôle un peu ingrat de valet de chambre.
Sheldon objecta, les lèvres pincées.
-Vous pourriez mieux choisir ! Il n'est pas très bien noté et ses réactions risquent d'être imprévisibles.
-Je sais, trancha Kan goguenard. Il a poché l'oeil d'un colonel ! Ce détail ne m'effraie pas et me rappelle ma jeunesse !
CHAPITRE V
Un appel de Burk réveilla Jess en sursaut. Il se redressa, immédiatement lucide, repoussant doucement Brit qui dormait pelotonnée contre lui.
-Capitaine Kan, veuillez me rejoindre immédiatement dans le poste de pilotage.
Jess enfila la combinaison noire que Grégory lui avait apportée sans fournir d'explication sur la manière dont il se l'était procurée.
Le commandant arborait une mine soucieuse.
-Il y a une heure, expliqua-t-il, nous avons émergé comme prévu dans l'espace réel pour recharger nos batteries.
Effectivement un gros soleil rougeâtre éclairait les hublots.
-Peu après, poursuivit Burk, les détecteurs signalaient la présence d'un astronef. Je crains bien qu'il s'agisse d'un de ces maudits envahisseurs. Regardez !
L'écran du radar principal donnait l'image d'un vaisseau spatial.-Il ressemble étrangement à un aviso de notre propre flotte.
-Effectivement, mais remarquez sa vitesse nettement supérieure à la nôtre.
A ce moment, une lampe témoin rouge se mit à clignoter. Sheldon abaissa aussitôt un interrupteur et l'écran de la téléradio s'éclaira, révélant une silhouette humanoïde. L'individu était vêtu d'une combinaison grise métallisée. Sa tête était entièrement dissimulée par un casque cylindrique argenté qui reflétait la lumière empêchant de discerner les traits du visage.
-Nous vous ordonnons de stopper vos propulseurs et de vous rendre, dit l'inconnu d'une voix métallique déformée par les haut-parleurs. En cas de désobéissance, votre astronef sera détruit ! Vous avez deux minutes pour prendre votre décision.
La téléradio s'éteignit tandis que Burk demandait :
-Que dois-je faire ? Ma mission est de vous ramener sur Terre et de refuser tout combat. Malheureusement, nous n'aurons jamais le temps de plonger dans le subespace, car leurs fusées sont plus rapides qu'un astronef.
-Nous ne pouvons que nous rendre, Commandant ! Vous savez que nos missiles sont sans effet sur les vaisseaux ennemis, maugréa Sheldon.
Kan intervint aussitôt, le visage fermé.
-Est-ce votre avis, Commandant ?
Burk secoua la tête, accablé.
-Sheldon a malheureusement raison. De toute façon, ma mission est un échec ! Prisonnier ou disparu dans l'espace, vous ne rejoindrez jamais la Terre !
Kan prit brusquement sa décision.
-Laissez-moi votre place, Burk.
Il émanait de cet homme une telle autorité que le commandant ne songea même pas à discuter ! Aussitôt installé, Jess enfonça plusieurs touches sur le tableau de bord. Six missiles thermonucléaires jaillirent du « Sirius ».
La téléradio s'illumina et la même silhouette argentée apparut sur l'écran.
-Votre manœuvre est puérile! J'en déduis que vous avez choisi la mort. Adieu donc !
Kan n'écouta même pas son interlocuteur, suivant sur le radar la progression de ses missiles. Ceux-ci fort bien dirigés ne tardèrent pas à arriver à proximité de l'astronef ennemi. Ils explosèrent soudain bien qu'encore à distance respectable de leur objectif, ne lui causant aucun dommage.
-Il n'y a pas de doute, grimaça Kan, ou ils ont un écran protecteur particulièrement efficace ou ils disposent d'antimissiles inconnus !
-Hélas ! Il n'en est pas de même pour nous, geignit Sheldon. Voyez, ils viennent de nous en lancer deux. Jamais nous ne pourrons les éviter !
Jess saisit résolument les commandes manuelles.
-Il est des circonstances, grinça-t-il où la fuite este la seule solution.
-C'est trop tard, constata Burk d'un ton calme.
L'approche de la mort lui rendait maintenant une grande sérénité. Sans répondre, Jess concentra toute son attention sur l'écran radar. Une gigantesque planète glacée tournait autour de ce soleil rougeâtre et le « Sirius » n'en était pas très éloigné.
-Si nous parvenons à l'atteindre, dit Kan, nous avons une chance d'échapper aux missiles.
-D'après les analyseurs, ce n'est qu'un bloc d'ammoniaque glacé, nous n'avons aucune chance de pouvoir nous y poser et même si nous y arrivions, l'astronef ennemi aura beau jeu de nous détruire au sol!
Progressivement, Kan amena les propulseurs à leur maximum de puissance. Déjà l'attraction de la planète se faisait sentir augmentant encore la vitesse.
-Missile à 1 000 km, annonça Burk.
Kan modifia légèrement la trajectoire. Aussitôt les missiles autoguidés l'imitèrent.
-Distance 500 km ! 300 km ! 100 km ! égrena le commandant d'une voix monocorde.
Sheldon livide ne pouvait détacher ses yeux de la planète qui occupait maintenant tout l'écran.
-50000 mètres, 10000, 5000 mètres, poursuivit Burk.
Les mâchoires serrées, Kan augmenta encore le régime des moteurs, franchissant largement la marge de sécurité.
-Ralentissez, supplia Sheldon, nous ne sommes plus qu'à 20000 km d'altitude.
Leur vitesse était telle qu'il ne leur restait pas dix secondes à vivre.
-Missiles à 1000 mètres, 500 mètres, 100 mètres...
-Altitude 10 000 mètres, hoqueta Sheldon.
Brusquement Kan modifia la trajectoire, virant pratiquement à angle droit. Toute la carcasse métallique vibra et malgré les anti-G marchant à pleine puissance, Burk et Sheldon se sentirent écrasés par un poids énorme. Un voile noir les enveloppa et ils perdirent connaissance.
Lorsqu'il revint à lui, la première pensée de Sheldon fut de s'étonner d'être encore vivant. A sa droite, Burk était étendu, inerte. Kan tenait toujours les commandes. Seul un filet de sang coulant de sa narine droite témoignait de l'effort subi. Anxieusement, Vince regarda l'écran où nul missile n'était visible.
-Qu'est-il arrivé ? balbutia-t-il.
-Emportés par leur vitesse, les missiles n'ont pu virer aussi brutalement que nous et ils ont percuté le sol. On distingue encore les deux champignons nuageux caractéristiques des explosions nucléaires.
-Et l'astronef ennemi ?
-Trop confiant en ses missiles, il a omis de nous poursuivre. Il tente maintenant de nous rattraper mais malgré sa vitesse supérieure, je pense que nous aurons le temps de basculer dans le subespace avant qu'il arrive à portée de tir. Espérons que nos moteurs supporteront le régime que je leur impose encore quelques minutes !
Tremblant, Sheldon se leva pour aider le commandant qui retrouvait lentement ses sens.
-Attention, prévint Kan, plongée dans dix secondes...
Cette nouvelle épreuve fut cependant accueillie avec soulagement par Burk et Sheldon. Quand ils ouvrirent les yeux, ils virent Kan paisiblement installé effectuant les contrôles de routine.
-Je vous rends votre place, Commandant. Nous devrions maintenant arriver sans incident sur Terre. Votre appareil ne semble pas avoir trop souffert de mes manoeuvres mais je vous conseille de faire réviser vos moteurs et de changer vos batteries atomiques qui ont anormalement chauffé. Moi, je vais rassurer ma femme. La pauvre doit penser que nos moyens de transport sont bien inconfortables !
Comme un somnambule, Burk s'écroula sur son siège, essuyant d'une main tremblante son front couvert de sueur.
« Cet homme est le Diable ! songea-t-il. Il faut être dément pour arriver à se débarrasser de missiles par une manoeuvre aussi dangereuse ! »
CHAPITRE VI
En voyant disparaître dans le subespace le « Sirius », le commandant de l'astronef inconnu étouffa un juron. Il n'arrivait pas à comprendre comment ses missiles avaient pu manquer leur cible. Pourtant jusqu'à la dernière seconde, il s'était amusé de cette tentative de fuite qu'il croyait sans espoir.
Ce fut avec inquiétude qu'il composa son message car ses supérieurs lui feraient certainement payer cher cette faute.
-Échec de l'interception de l'astronef « Sirius ». Je répète, échec de l'interception de l'astronef « Sirius »...
Portée par ondes accélérées, la phrase traversa d'immenses espaces intersidéraux avant d'être captée par une antenne dominant un imposant bâtiment. L'opérateur de garde dès qu'il eut transcrit le texte le porta lui-même dans le bureau de son chef. Ce dernier était vêtu d'une combinaison noire et portait également un casque réfléchissant.
-Excusez-moi de vous déranger, Monsieur, mais je viens de recevoir un message de notre astronef Ail.
-Merci, vous pouvez disposer, se contenta de répondre le chef après avoir pris connaissance du texte. Le commandant est un imbécile indigne de la confiance que nous lui avons témoignée !
Resté seul, il réfléchit un long moment puis se dirigea vers un coffre-fort défendu par une imposante serrure magnétique. Il appliqua la paume de la main droite bien à plat sur la serrure et attendit. Dix secondes plus tard un déclic annonça l'ouverture de la porte. Seuls cinq initiés pouvaient avoir accès à son contenu. Si un autre tentait l'expérience, il était immédiatement foudroyé !
Le coffre ne contenait qu'une téléradio par onde accélérée. Après avoir soigneusement vérifié l'heure, l'initié enclencha un interrupteur. L'écran s'éclaira et une silhouette apparut, coiffée du même casque réfléchissant.
-Que voulez-vous Alpha 3 ? Ce poste est réservé aux communications urgentes !
Le ton était sec, presque menaçant.
-Je vous prie de m'excuser, « grand maître », mais je voulais vous avertir que l'astronef Ail avait laissé échapper le « Sirius ». Le capitaine Kan poursuit donc son voyage vers la Terre.
-C'est fâcheux mais non dramatique, rétorqua le « grand maître » et ne justifiait pas cet appel. Vous punirez cependant le commandant !
-Les terriens vont ainsi pouvoir installer une base sur la planète des « Entamebs » !
-Ce Kan n'est pas au bout de ses peines et même s'il réussissait, cela nous donnerait l'occasion d'étriller un peu la flotte de l'Union. Au pire nous changerions de point d'émergence !
Le « grand maître » coupa brutalement la liaison, laissant Alpha 3 perplexe et vaguement inquiet.
***
Les béquilles télescopiques du « Sirius » prirent contact avec le sol du gigantesque astroport qui occupait pratiquement tout le cap de l'ancienne Floride. Aussitôt un hélijet se posa à une centaine de mètres et un colonel en descendit.
Le sas de l'astronef s'ouvrit et Kan sortit suivi de sa femme et de Grégory. Brit avait consenti à enfiler une combinaison d'astronaute qui n'arrivait cependant pas à masquer ses formes agréables. Elle tenait toujours à la main son sac d'osier et le tube métallique pendait sur sa poitrine.
-Colonel Spike, se présenta l'officier. Le Président m'a chargé de vous conduire aussitôt à son bureau. Un appartement a été retenu pour la durée de votre séjour !
-Un instant, Colonel. Voici ma femme et le cosmatelot Grégory. Je désire qu'il me soit attaché en qualité d'aide de camp.
Pressé, Spike expédia les formalités et embarqua tout le monde dans l'hélijet qui s'envola aussitôt. A vitesse largement supersonique, ils remontèrent la côte est du continent américain et parvinrent à la gigantesque métropole dont certains quartiers s'appelaient encore New York et Washington.
L'hélijet se posa sur le toit d'un immense building de deux cents étages et de forme pentagonale.
-Votre épouse peut gagner directement votre appartement sous la conduite de Grégory, Capitaine.
Kan adressa quelques mots rassurants à Brit qui se laissa conduire à regret. Puis il suivit le colonel qui l'entraîna à travers un dédale d'ascenseurs et de couloirs jusqu'au bureau du Président.
Charkes était grand, maigre avec un visage étroit et un front large. Ses yeux noirs et vifs dévisagèrent aussitôt l'arrivant. A sa droite se tenait un homme d'une cinquantaine d'années, massif, au teint rose et aux cheveux blonds.
-Heureux de vous rencontrer, Capitaine Kan, dit le Président. Je vous présente Hans Kilfer, président de la « Compagnie d'Exploitation Galactique » qui, en ces circonstances pénibles, a accepté de devenir mon conseiller personnel.
Jess salua froidement et s'installa dans le fauteuil que lui désignait Charkes. Depuis son arrivée dans le building, il mâchonnait un fume-cigare taillé dans un roseau et long d'une dizaine de centimètres. Le Président ouvrit une boîte qu'il poussa devant son visiteur.
-Si vous désirez un cigare, servez-vous !
-Plus tard si vous le permettez, Monsieur le Président.
-Savez-vous pourquoi je vous ai demandé de venir ?
-D'après ce que j'ai compris, vous désirez installer une base militaire sur la planète des « Entamebs » mais ceux-ci exigent que je mène les négociations.
-Exactement ! J'ajoute que cette base présente un intérêt vital pour l'Union Terrienne !
-Pourrai-je avoir quelques explications, ne serait-ce que pour convaincre mes futurs interlocuteurs. Vous n'ignorez pas que j'ai passé ces cinq dernières années loin de toute civilisation !
Charkes soupira.
-C'est juste ! Il y a six mois maintenant, des astronefs inconnus sont apparus dans notre galaxie et ont aussitôt attaqué nos bâtiments. Vous avez pu vous rendre compte que nous sommes pratiquement désarmés devant eux !
-Effectivement nous n'avons dû notre salut qu’a la fuite !
Un pâle sourire éclaira le visage du Président.
-Ne soyez pas modeste Kan. Le commandant Burk nous a honnêtement fait son rapport par radio. Sans votre intervention d'une audace inouïe, le « Sirius » aurait été pulvérisé !
-Qui sont ces agresseurs ?
-Nous ignorons tout d'eux, jusqu'à leur aspect, puisqu'ils portent toujours ce casque réfléchissant qui empêche de discerner leur visage. Les équipages leur ont donné le sobriquet de « Merlan » par comparaison avec les écailles argentées de ces poissons.
-D'où viennent ces « Merlans » ?
-Nous avons emmagasiné dans notre ordinateur géant tous leurs messages. Par recoupements, on peut déduire qu'ils sont étrangers à notre galaxie et proviennent d'un univers parallèle.
-La théorie des mondes parallèles a été émise depuis longtemps mais sans aucune preuve jusqu'ici.
-Dans le cas des « Merlans », il ne s'agit encore que d'une hypothèse. Toutefois, il semble que la « Fenêtre » de communication entre les deux univers se situe justement dans le système solaire des « Entamebs », d'où l'intérêt d'une base pour être averti de leur arrivée !
-De meilleures fusées seraient plus utiles, grogna Kan.
Hans Kilfer intervint à ce moment :
-Ce problème ne nous a pas échappé et tous les arsenaux de ma Compagnie travaillent à le résoudre. Malheureusement nous ne disposons d'aucun renseignement sur la nature de l'écran qui protège les vaisseaux ennemis.
Charkes poursuivit, en homme pressé :
-Acceptez-vous de négocier avec les « Entamebs », Kan ? Je ne vous cache pas que notre situation est très grave. Depuis deux mois les « Merlans » font des incursions sur les planètes périphériques qu'ils pillent. Toutes nos colonies nous assaillent de demandes de renfort que nous ne pouvons satisfaire. Partout se développe un vent de panique qui engendre de graves désordres. Comme toujours lorsqu'une situation est désespérée, le gouvernement est rendu responsable. Divers mouvements se sont créés, demandant l'instauration de la loi martiale et d'un gouvernement militaire !
-Je me demande ce qu'il ferait de plus, ricana Jess.
-Moi aussi, soupira Charkes mais la peur fait resurgir les vieux démons qui autrefois ont ensanglanté la Terre. On rend les étrangers, les humanoïdes d'autres mondes, responsables de nos malheurs. Déjà la police a dû réprimer plusieurs émeutes sociales.
Kan réfléchit un instant.
-Avant de donner ma réponse, Monsieur le Président, je dois poser un certain nombre de conditions.
-Lesquelles? demanda Charkes les sourcils froncés.
-Je veux l'assurance que Psar ne sera jamais terre de colonisation et surtout que la « Compagnie d'Exploitation Galactique » n'obtiendra jamais aucune concession !
-C'est d'autant plus facile, sourit Kilfer, que les détecteurs n'ont pas révélé de gisements intéressants.
-Je vois que même les avisos militaires travaillent pour vous, rétorqua Kan d'une voix glaciale.
-Ne nous fâchons pas, répondit Kilfer d'un ton conciliant. Aucun de nos bâtiments ne se posera sur votre planète. Je vous en donne ma parole. J'espère que cela vous suffit.
-Non!
La réponse de Kan, sèche, nette, sidéra Kilfer.
-Que voulez-vous de plus? demanda-t-il d'une voix sourde trahissant l'effort qu'il faisait pour ne pas exploser de colère.
-L'engagement écrit du Président.
-Vous l'aurez, intervint Charkes. Est-ce tout ?
Kan secoua la tête.
-Je désire encore que vous renvoyiez immédiatement le commandant Burk sur Psar pour apporter dix désintégrateurs lourds avec des recharges énergétiques!
-Donner de telles armes à des sauvages est une folie, s'insurgea Kilfer. Ce type est une canaille qui se moque de nous, Charkes. Il est toujours condamné à mort et il suffit de l'expédier à la chambre de désintégration après l'avoir soumis à un sondeur psychique. Tant pis pour les « Entamebs » ! Je suis persuadé que la vue d'une forte escadre ramènera ces amibes ramollies à ce qui leur sert de raison et nous pourrons rapidement construire la base que réclame l'état-major !
Kan impassible attendit la réponse du Président. Seules ses mâchoires étaient crispées et il semblait retenir son souffle.
-Non Hans, c'est impossible. Je leur ai donné ma parole. Quoi qu'il arrive, il pourra repartir librement d'ici. Ces désintégrateurs sont-ils votre dernière condition, Kan ?
-Oui, Président. Dès que j'aurai la preuve qu'ils sont parvenus sur Psar, je négocierai avec les « Entamebs ».
-Cela va nous faire perdre beaucoup de temps !
-Je ne le pense pas. J'ai besoin de vingt-quatre heures pour m'entretenir avec vos techniciens sur la nature de la base qu'ils désirent. Ensuite nous partirons pour la planète des « Entamebs ». Vous voyez, je vous fais confiance. Un simple message radio me suffira.
-Dans ces conditions, j'accepte, dit aussitôt le Président qui s'empressa de distribuer des ordres par interphone.
Kan se tourna vers Kilfer.
-N'essayez pas de nous refiler de vieux engins hors d'usage. Quelqu'un là-bas est chargé de les tester !
-Sans doute cette Mrs Nils qui nous a fait tenir un message curieux. Que sont les « Tsers » ?
-Je souhaite seulement que ni vous ni vos hommes ne fassent un jour leur connaissance, grinça Jess.
Kilfer éclata de rire :
-Aucun danger, je vous ai dit que ma Compagnie ne s'installerait pas sur Psar !
Le Président intervint :
-Tout est réglé, Capitaine Kan. Vous allez pouvoir regagner votre appartement. Le colonel Spike prépare déjà une conférence avec l'état-major !
Au moment où il allait se retirer, Kilfer ajouta avec un gros rire :
-Que serait-il arrivé si le Président avait suivi mon conseil et vous avait fait arrêter ?
Kan eut un sourire cruel.
-Actuellement vous seriez sur un lit d'hôpital luttant sans espoir contre une mort horrible et le conseil d'administration de votre société se réunirait pour choisir un autre président !
Devant la mine interrogative des deux terriens, Kan se tourna vers le mur et souffla fortement dans son fume-cigarette. Une petite bille en jaillit et s'écrasa sur le revêtement.
-Pensiez-vous pouvoir nous intimider avec ce genre de jouet ? ricana Kilfer.
-Regardez mieux, répondit doucement Jess.
Le mur parut bouillir et une fumée blanchâtre apparut. La tache s'élargit lentement et avait maintenant la taille d'une paume de main. Bientôt la cloison fut transpercée, laissant voir la tête ébahie d'une secrétaire travaillant dans le bureau voisin. Le trou ne cessait de s'agrandir et mesurait cinquante centimètres. Le Président voulut s'approcher mais Kan le retint par le bras.
-Attendez ! Sans être réellement dangereuses, les vapeurs peuvent être toxiques.
-D'où sortez-vous cette saleté? souffla Kilfer, blanc de peur rétrospective.
-Les psariens l'appellent « Rox » et l'extraient d'un fruit. C'est certainement un très puissant acide organique mais j'ignore sa composition.
-La réaction va-t-elle s'arrêter ? demanda le Président inquiet pour son bâtiment.
-Dans quelques minutes tout sera terminé et vous pourrez faire réparer les dégâts ! Vous mettrez les frais sur ma note.
Le Président sourit :
-Voilà une façon élégante de me rappeler que nous n'avons pas parlé de votre solde.
-Laissons ce détail ! Je choisirai en temps utile la récompense que je désire. Toutefois je souhaiterais dans l'immédiat un ordre de mission signé de votre main. Je compte me promener un peu ce soir et cela m'ennuierait qu'un policier zélé veuille m'arrêter !
Le Président prit dans un tiroir une carte magnétique.
-Voici votre passeport ! Non seulement on vous laissera en paix mais il vous permet de réquisitionner sur-le-champ toute autorité civile ou militaire. Vous voyez, moi aussi je vous fais confiance. J'ai bien étudié votre dossier et je reste persuadé que vos diverses arrestations et condamnations furent de monstrueuses erreurs que j'aimerais avoir l'occasion de réparer.
Les deux hommes se serrèrent la main puis le colonel Spike apparut.
-Venez d'abord rassurer votre épouse et cet énergumène de Grégory ! Il a un pistolet thermique à la main et refuse de laisser entrer quiconque tant que vous n'aurez pas réapparu.
-Il ne fait que suivre mes ordres, Colonel. A ce propos, je n'ai pas voulu ennuyer le Président avec des détails mais j'aimerais que Grégory soit nommé lieutenant et détaché officiellement à mon service.
-C'est impossible, Capitaine, jamais je n'aurai le temps...
-Débrouillez-vous pour secouer l'inertie des bureaux sinon demain je refuserai de me rendre à la réunion de l'état-major. Je ne pense pas que le Président apprécie ce genre de retard.
Vaincu, le Colonel s'inclina non sans pester intérieurement.
CHAPITRE VII
-Il est sept heures du soir, désirez-vous dîner ici ? demanda Grégory qui, avec le retour de Kan, avait retrouvé toute sa sérénité.
-Non, je veux d'abord faire visiter un peu notre ville à Brit puis nous irons au restaurant !
Une demi-heure plus tard, ils prirent place dans un hélijet de location. Ils se promenèrent lentement au-dessus de la métropole tentaculaire. Brit émerveillée et inquiète regardait cet immense rassemblement de blocs de béton. Kan posa l'hélijet sur un toit-parking au milieu d'une cinquantaine d'appareils soigneusement rangés.
-Si j'ai bonne mémoire, le « Eat-Club » était un excellent restaurant.
Ils trouvèrent sans peine une table dans une salle demi-pleine. Il régnait une atmosphère lugubre. Les consommateurs paraissaient anxieux et moroses.
Un robot trottina jusqu'à eux et Kan composa le menu en enfonçant différentes touches. Moins de cinq minutes plus tard, ils étaient servis. Intimidée, Brit manipulait maladroitement sa fourchette, cet instrument n'ayant pas encore été inventé sur Psar.
Ses premiers essais ne furent pas trop catastrophiques et elle apprécia fort les différents plats. Kan se leva soudainement.
-Finissez de dîner, dit-il, j'ai quelques coups de téléphone à donner.
Dix minutes plus tard, il reparut, souriant et reprit son repas. Il terminait à peine lorsqu'un portier plus galonné qu'un grand amiral parut et tendit une lourde enveloppe à Kan.
-Un messager vient de déposer cela pour vous, Monsieur.
Dès qu'il se fut éloigné, Jess déchira l'enveloppe et en sortit une épaisse liasse de billets de banque.
-Mince, siffla Grégory, vous avez de bonnes relations. J'avoue que j'étais un peu inquiet car je n'avais pas assez d'argent sur moi pour régler l'addition.
-Avant d'être arrêté, expliqua Kan, je possédais une assez jolie fortune que j'avais pris soin de confier à des amis sûrs. Il paraît même qu'ils ont réussi à la faire fructifier ! Allons effectuer quelques achats car je n'aime guère me promener ainsi les poches vides.
Les deux tiers de l'immeuble étaient occupés par un gigantesque magasin self-service ouvert en permanence. Brit observa avec ravissement les étalages et Jess lui offrit une trousse à maquillage mais en femme pratique, elle réclama également un fort couteau à lames multiples. Kan parcourut rapidement divers rayons, s'attarda un peu plus au niveau de la droguerie et termina par l'armurerie. Grâce à la carte magnétique donnée par le Président, il put acquérir un pistolet thermique dont il boucla aussitôt le ceinturon autour de sa taille et un petit pistolaser qu'il glissa dans sa poche.
-En route, dit-il, je vous offre une virée dans les cabarets.
Le premier établissement fort luxueux ne comptait qu'une vingtaine de clients. Aussitôt deux entraîneuses entourèrent Grégory. Un peu gêné par la présence de Brit, il voulut refuser mais Kan insista :
-Invite tes nouvelles amies à notre table. Je veux que vous vous amusiez le plus bruyamment possible. Cela contrastera avec la mine sinistre des autres consommateurs.
Un maître d'hôtel, pensant avoir affaire à des astronautes en bordée, accourut aussitôt. Kan repoussa d'un geste méprisant la carte qu'il lui tendait et exigea une bouteille de vrai Bourbon Old Crow. Le serveur se plia en deux car en cette époque troublée, un client capable de dépenser une petite fortune pour une soirée méritait d'être salué.
Ils restèrent une heure à boire et à regarder le spectacle de qualité puis Kan donna le signal du départ au grand dépit des filles. Dans l'hélijet, Grégory marmonna :
-J'ai l'impression que depuis le début de la soirée, nous sommes suivis.
Jess resta imperturbable.
-Ne t'inquiète pas de ce détail.
Kan posa l'hélijet sur un vaste parking et annonça :
-Poursuivons à pied car le bar où je vous emmène ne dispose pas de terrasse-parking.
Empruntant les trottoirs roulants, ils parcoururent deux à trois kilomètres, s'enfonçant dans des rues de plus en plus étroites de la vieille ville. Ils pénétrèrent dans une vaste salle enfumée où régnait une odeur lourde de mauvais alcool. Ici presque toutes les tables étaient occupées mais les consommateurs arboraient des mines patibulaires. C'était un des pires bouges de la ville où même la police ne s'aventurait qu'avec une extrême prudence.
Le patron, un colosse au crâne rasé et balafré, regarda d'un oeil torve les nouveaux arrivants s'installer à une table. Quelques minutes plus tard, Kan se leva et s'approcha du comptoir :
-Un verre de « Kirn », dit-il.
C'était un alcool lourd de fabrication vénusienne. Le patron le servit sans un mot. Kan murmura alors, pratiquement sans remuer les lèvres :
-Salut Joë. J'ai deux types à mes trousses dont j'aimerais que tu me débarrasses en douceur.
-Facile, émit le colosse. Content de te revoir Jess.
-Attention, pas de mort inutile. Ce sont peut-être des flics, mais plus probablement des agents de la « Compagnie ».
Sans se retourner, Kan poursuivit :
-D'abord le grand maigre qui est entré juste derrière nous, puis le type qui s'est installé dans l'angle pour pouvoir surveiller toute la salle. Évacue-les en douceur car il y en a sûrement d'autres à l'extérieur.
-Je fais le nécessaire !
Il tendit une bouteille et des gobelets à Kan,
-Va boire un verre avec tes amis ! Dans dix minutes, nous serons tranquilles.
Les deux suiveurs ne comprirent jamais ce qui leur était arrivé. Ils surveillaient tranquillement ce capitaine qui ne pensait qu'à s'offrir du bon temps. Soudain ils sentirent une présence derrière eux, un grand choc et ils plongèrent dans un trou obscur.
Aucun consommateur ne prêta attention aux deux petits groupes titubants qui emportaient leur camarade ivre. De plus, ici personne ne se mêlait des affaires des autres.
Satisfait, le patron vint s'installer à la table de Kan, apportant une nouvelle bouteille.
-Laissez cette saleté, dit-il, voilà du ravitaillement de meilleure qualité ! Tu parles d'une surprise, Jess, quand j'ai reçu ton appel. Je n'en croyais pas mes yeux ! On te disait mort ou perdu à jamais sur une planète déserte.
-J'ai fait une petite cure d'isolement, ricana Kan. Que penses-tu de la situation ? Joë.
-Très mauvaise ! Ces maudits « Merlans » ont fichu la trouille à tout le monde ! Le trafic commercial est paralysé et plusieurs planètes ont pratiquement fait sécession. Si cela continue, l'Union Terrienne se sera désagrégée avant les premiers affrontements sérieux !
Ils bavardèrent un long moment évoquant de vieux souvenirs. Un consommateur qui buvait solitaire à une table voisine s'approcha en titubant. Son visage était sillonné de cicatrices. Il fixa un long moment Kan et s'écria :
-Ou je suis complètement ivre, ou c'est Jess qui est de retour !
-Boris ! vieille fripouille ! Les policiers ne t'ont donc pas encore coffré !
-En ce moment, il n'y a guère de danger, ricana le pirate. Ils sont trop contents que quelques indépendants comme nous osent s'aventurer dans l'espace pour ravitailler les planètes lointaines !
-Les « Merlans » ne te gênent-ils pas ?
-Pour l'instant, je n'en ai pas encore rencontré !
Il se pencha vers Kan et ajouta à voix basse :
-Plus exactement je n'ai rencontré qu'une fois un de leurs astronefs !
-Et tu as pu fuir ?
Boris eut un sourire rusé.
-Selon leur tactique habituelle, ils m'ont sommé de me rendre. D'ordinaire, je ne suis pas belliqueux mais je leur ai expédié deux torpilles avant même que le commandant ait terminé sa phrase. Le « Merlan » a été tellement surpris qu'il n'a même pas tenté de les éviter.
-Et alors ?
-Crois-moi, si tu veux, mais l'astronef a explosé comme une vulgaire grenade. Ils n'ont même pas eu le temps de gagner des canots de survie !
-Quels projectiles as-tu utilisés ?
-De vieilles torpilles que j'avais à bord depuis au moins cinq ans ! Tu me connais, dans l'espace je ne cherche jamais la bagarre et dès que je vois un aviso militaire je préfère filer. Aussi quand il y a deux ans environ sont apparus les nouveaux modèles de missiles, plus rapides et plus puissants, j'ai jugé que c'était une dépense inutile.
-Ce ne sont plus les B X 16 ?
-Je ne sais où tu as passé ces dernières années, ricana Boris, mais tu retardes. Mes torpilles étaient déjà des B X 17 et les plus modernes sont des C Y 19.
-As-tu parlé de cette victoire aux autorités ?
-Je ne suis pas cinglé ! Je naviguais dans une zone interdite et revenais d'une planète que je suis seul à connaître en dehors de toi qui m'en as donné les coordonnées.
Kan se souvenait avoir autrefois découvert un monde torride et il en avait fait profiter Boris qui, aux abois, allait se laisser entraîner dans la contrebande de drogue !
-Les diamants sont-ils toujours aussi gros ?
-Si les conditions climatiques n'étaient pas aussi pénibles, j'y retournerais plus souvent! Mais même avec un bon scaphandre, trois cents degrés, ce n'est pas le paradis !
Kan réfléchit un long moment, écoutant d'une oreille distraite le bavardage de son collègue. Soudain il se décida :
-Veux-tu travailler pour moi ?
CHAPITRE VIII
Le « Sirius » émergea du subespace et aussitôt ses détecteurs entrèrent en action. Dans le poste de pilotage, le commandant Burk se tourna vers Kan.
-Nous avons de la chance ! Il n'y a pas d'appareils ennemis à l'horizon. J'espère que nous allons pouvoir rattraper le temps perdu sur Terre.
Jess hocha la tête, en songeant à la première réunion de l'état-major à laquelle il avait assisté. Une vraie catastrophe ! Personne n'était d'accord sur les caractéristiques de la base à installer! Certains même en niaient l'utilité !
Malgré les sollicitations pressantes du Président, trois journées furent nécessaires pour commencer à travailler sérieusement. En fait les hautes autorités donnaient l'image du plus parfait affolement. L'inefficacité complète de l'armement terrien contre les « Merlans » en était la cause principale ! Des chefs d'escadre refusaient d'engager leurs astronefs dans une lutte sans espoir et demandaient l'ouverture de négociations, même au prix d'une capitulation infamante.
Ainsi de réunions en comité de travail sans oublier les séances plénières, dix jours furent indispensables pour donner à Kan des directives pourtant très vagues.
Le « Sirius » avait ainsi eu largement le temps d'effectuer son deuxième voyage sur Psar et de revenir. Burk avait remis à Kan un message de Mrs Nils. Kan avait à peine jeté un coup d'oeil sur le texte mais s'était vivement intéressé aux dessins figurant au dos du parchemin.
-Tout est en ordre, avait-il déclaré au commandant assez surpris. Nous étions convenus d'un certain code et j'ai ainsi la preuve que votre livraison a été correctement effectuée !
Chaque soir, Kan était sorti mais s'était bien gardé de retourner dans la taverne de Joë. De nouveaux suiveurs le prirent en charge sans qu'il s'en souciât. Il put ainsi se rendre compte des progrès de la décomposition de la société. Plusieurs émeutes éclatèrent. Des groupes exigeaient la concentration de tous les moyens de défense sur Terre et l'abandon des planètes périphériques. D'autres réclamaient avant tout le rétablissement de l'ordre et pour ce faire n'hésitaient pas à créer les pires désordres. Logique terrienne !
Ce fut presque avec soulagement que Kan et son épouse embarquèrent sur le « Sirius ».
-Nous allons nous satelliser autour de la planète et attendre que les « Entamebs » nous contactent.
Kan acquiesça et Sheldon effectua les manoeuvres ordonnées par Burk. Après deux révolutions, la téléradio s'alluma mais nulle image apparut sur l'écran. Les « Entamebs » utilisaient seulement le canal son. Jess saisit aussitôt le microphone.
-Ici le capitaine Kan, envoyé spécial du Président de l'Union Terrienne. Je demande l'autorisation de me poser sur votre planète.
-Bienvenue, ami, dit une voix métallique. Prenez une vedette de liaison et venez seul!
Tandis que Sheldon s'affairait aux préparatifs, Burk demanda :
-Ne craignez-vous pas un piège ?
-Non, les « Entamebs » sont très pacifiques quand on ne leur cherche pas querelle !
e commandant lui tendit une boîte cubique hérissée d'antennes paraboliques.
-Emportez ce traducteur ! Nous l'avons construit selon leurs indications. Vous savez que ces créatures émettent des pensées et non des sons. Cet appareil capte l'influx mental et le transforme en parole.
Kan hésita un instant puis accepta. Il était inutile de révéler qu'il était un assez bon télépathe et pouvait communiquer directement avec les « Entamebs ».
-Resterons-nous en communication radio-permanente ?
-C'est inutile, Commandant. Je vous appellerai quand j'aurai quelque chose d'utile à vous dire !
Jess s'installa aux commandes de la vedette. Elle avait la forme d'un cigare et pouvait contenir deux personnes. Elle était équipée d'un propulseur nucléaire lui permettant d'atteindre une vitesse maximale du 1/3 de celle de la lumière et naturellement ne pouvait utiliser le subespace.
Un voyant vert s'alluma et aussitôt la vedette fut éjectée. En douceur Jess plongea dans l'atmosphère opaque de la planète. La traversée de la couche nuageuse lui parut interminable ! Suivant les indications données par radio, il se posa sur un espace un peu dégagé, sorte d'îlot au milieu d'un marais. Le moteur coupé, Kan s'extraya de son véhicule et fit quelques pas. Le ciel roulait de gros nuages noirs et par instants des rafales de pluie lui fouettaient le visage.
Toute la planète ressemblait à un gigantesque marécage uniquement peuplé de monstres. Nul ne pouvait imaginer qu'il dissimulait une civilisation évoluée. Pour les « Entamebs » ce marais glauque était un jardin d'agrément et ils avaient pris soin de construire leurs usines et habitations sous l'eau et dans les entrailles du sol.
Quelques mètres devant Jess, l'eau parut agitée de frémissements et une créature apparut. Il fallait avoir les nerfs solides pour ne pas s'enfuir d'épouvante à sa vue. C'était une énorme cellule, haute d'un mètre et de trois mètres de diamètre. Au centre apparaissait la masse sombre d'un gigantesque noyau piqueté de nucléoles. Dans le cytoplasme en permanente agitation, des vacuoles se dessinaient comme d'énormes bulles. Du noyau rayonnaient de minces filaments qui allaient jusqu'à la membrane. La cellule rampait en lançant en avant des pseudopodes.
Elle s'arrêta devant Kan et les nucléoles parurent palpiter. Détendu, Jess sentit une pensée pénétrer son cerveau, comme une palpation très douce.
-Bonjour ami. Je suis Nooz, le commandant de l'astronef que vous avez autrefois aidé.
-Je suis heureux de voir que votre retour s'est effectué sans incident. Je vous ai même ramené le paralyseur que vous m'aviez autrefois confié.
-Garde-le encore puisque toi seul peux en faire usage ! Ainsi les terriens t'ont désigné comme ambassadeur !
-Pourquoi avoir exigé ma présence? Tu aurais fort bien pu discuter avec n'importe lequel de mes compatriotes !
Jess perçut que l'« Entameb » s'amusait.
-Certes, mais j'ai songé qu'après cinq années passées sur Psar tu devais commencer à t'ennuyer malgré la présence d'une charmante compagne. Aussi j'ai profité de cette occasion pour obliger tes compatriotes, non à te rendre justice, mais à te donner la possibilité de changer de planète si tu le désirais. Je crois que mon calcul était exact !
-Je t'en remercie, Nooz. Peut-on maintenant discuter de mon ambassade ?
-Si tu le souhaites...
Pendant une heure, Kan entreprit de raconter ce qu'il savait des « Merlans ».
Toute dissimulation était impossible puisque les deux esprits étaient en contact direct.
-Il est heureux pour nous, émit Nooz, qu'ils ne nous aient pas attaqués. Ils ignorent sans doute notre existence. Pour en revenir à la demande de ton Président, mes concitoyens n'accepteront jamais l'installation d'une base au sol qui détruirait l'harmonie de notre monde et risquerait de polluer de vastes étendues d'eau qui nous sont vitales. Toutefois, nous pouvons vous autoriser à monter un satellite artificiel autour de notre planète.
Kan approuva aussitôt :
-C'était la solution que j'avais proposée à l'origine avant qu'elle soit noyée dans un flot de discussions stériles.
Après avoir remercié son interlocuteur, Kan s'apprêtait à regagner sa vedette lorsque l'esprit de Nooz ajouta :
-J'ignore ce que nous réserve l'avenir. Peut-être devrons-nous combattre ces envahisseurs d'un autre univers. C'est pourquoi j'aimerais pouvoir rester en contact avec toi. En prévision de ton arrivée, mes amis et moi avons prépare un amplificateur psychique que nous avons camouflé dans ce pendentif d'allure primitive que tu pourras toujours porter autour de ton cou.
Nooz étira un pseudopode et présenta à Jess une chaîne argentée où était suspendue une plaque gracieusement sculptée.
-Lorsque tu désireras me joindre, applique le métal sur ton front et concentre ton esprit. Tes pensées devraient nous parvenir quelle que soit la distance.
N'hésite pas à t'en servir si tu es menacé. Si c'est en mon pouvoir, je tenterai de t'aider.
Après avoir pris place dans la vedette, Jess enclencha les propulseurs.
Le commandant Burk l'attendait dans le poste de pilotage. Kan lui fit un résumé de la proposition des « Entamebs ».
-Je vais transmettre immédiatement mon rapport au Président. Normalement une semaine sera suffisante pour installer un satellite.
Une fois de plus, Kan dut subir les objections tatillonnes de l'état-major. Le grand Amiral de la flotte prit enfin sa décision.
-Commandant Burk, le « Sirius » restera en observation autour de cette planète. Dans une semaine, vous serez relevé par une escadre qui montera le satellite et regagnera la Terre après avoir laissé un équipage restreint. Ce dernier sera relevé tous les mois !
Kan rassuré regagna sa cabine où Brit l'attendait avec impatience. La jeune femme ne vivait que pour lui et supportait très mal les longues séparations. Après avoir sacrifié aux charmes des retrouvailles, Kan tenta une expérience. Appliquant le pendentif sur son front, il pensa fortement à Nooz. Il fut presque surpris d'obtenir immédiatement un contact psychique beaucoup plus intense que lorsqu'il était en face de l'« Entameb ».
-Désires-tu quelque chose, Ami ? dit Nooz.
-C'était une simple vérification ! Merci.
Kan resta un long moment songeur faisant sauter doucement la plaque dans sa main puis décida de la suspendre autour du cou de Brit ravie. Sur elle, un bijou primitif attirerait moins l'attention.
CHAPITRE IX
Alpha 3 consulta minutieusement le tableau des effectifs disponibles. Le « grand maître » venait de lui donner l'ordre d'agir immédiatement et il grimaça en voyant qu'il ne possédait en réserve qu'un seul astronef. Malgré ses demandes réitérées, le « grand maître » refusait d'augmenter rapidement le nombre des bâtiments, prétextant que les équipages de réserve n'étaient pas encore assez sûrs et qu'une désertion risquerait de compromettre irrémédiablement la « Grande Cause ». Sans doute avait-il raison comme toujours, mais lui, Alpha 3 devait imposer à ses hommes un travail écrasant. Heureusement c'étaient des militants de la première heure entièrement dévoués à la Cause. Il enfonça une touche sur l'interphone géant qui se tenait sur sa table de travail.
-Gamma 17 à vos ordres, répondit aussitôt une voix.
-Mettez l'astronef A 11 en état d'alerte. Décollage dans une demi-heure ! Votre mission est d'arraisonner le « Sirius ». Nous désirons que l'équipage soit capturé vivant. Vous serez aidé dans votre besogne par Delta 21 qui a pris place à bord.
Alpha 3 donna des consignes minutieuses et ajouta en terminant :
-C'est votre dernière chance de vous réhabiliter. Une nouvelle erreur ne vous serait pas pardonnée. Exécution !
***
Le bruit de la porte de sa cabine brutalement enfoncée réveilla Kan en sursaut. Le canon d'un pistolet thermique s'appuya sur son front le dissuadant d'effectuer tout mouvement intempestif ! Deux « Merlans » se tenaient devant lui, vêtus de combinaisons grises et la tête enveloppée de leur casque réfléchissant.
-Habillez-vous, ordonna l'un d'eux. Au premier geste suspect nous grillons la fille !
Lentement, Jess se leva et enfila son vêtement, imité par Brit qui, avant de sortir, saisit son sac de jonc qu'elle serra contre sa poitrine.
Vivement un des agresseurs palpa Kan et s'empara des pistolasers qu'il glissa dans la poche de sa combinaison.
-Cela vous évitera toute tentation, ricana-t-il avant de pousser Jess du canon de son arme !
Dans la coursive, Kan heurta Burk également surveillé par un « Merlan ». Ils furent guidés jusqu'au sas d'évacuation où un tunnel étanche avait été monté entre le « Sirius » et l'astronef ennemi. A ce moment, Sheldon apparut, bientôt suivi de Grégory. Ce dernier portait une entaille au front qu'il tamponnait maladroitement.
-J'ai essayé de me défendre, Capitaine, mais un de ces maudits « Merlans » m'a assommé du canon de son arme.
-Pour l'instant ne tente rien, conseilla Jess, nous n'avons aucune chance.
Tout en avançant dans le tunnel de communication, Burk maugréa :
-Que s'est-il passé, Sheldon? Vous étiez de garde !
-Ils ont émergé du subespace à moins d'un millier de kilomètres, expliqua le lieutenant livide. Avant que j'aie pu donner l'alarme je recevais un ultimatum.
-Il fallait me prévenir ! grogna Burk.
-Je n'en ai pas eu le temps, Commandant. C'était la reddition ou la destruction immédiate. J'ai dû me décider en une fraction de seconde. Notre mort n'aurait servi à rien !
-Dans ces conditions, vous avez agi sagement, concéda Burk.
Les prisonniers furent poussés vers une soute mal aérée. Sur le seuil se tenait un « Merlan » en combinaison noire qui semblait commander. Il regarda un instant les captifs défiler devant lui et désigna Kan du doigt.
-Fouillez-le, ordonna-t-il.
Deux « Merlans » entreprirent aussitôt de vider les poches de Jess. Bientôt ils exhumèrent son fume-cigare. Le chef s'en empara aussitôt.
-Où sont les projectiles ? demanda-t-il sèchement.
Kan désigna une petite boîte que tenait un de ses fouilleurs.
-Parfait, maintenant qu'il est inoffensif, rendez-lui ses affaires, ricana Gamma 17 qui ajouta :
-Le voyage ne sera pas très confortable mais vous survivrez. Quand j'en donnerai l'ordre, allongez-vous car le passage dans notre univers est assez brutal.
La porte se referma et les prisonniers purent explorer leur nouveau domaine. C'était une cale destinée au transport des marchandises. Actuellement elle était totalement vide, même pas un siège pour s'asseoir.
-Pensez-vous que nous puissions essayer d'enfoncer la porte ? demanda Burk.
Kan secoua la tête.
-Impossible, elle est en plasto-titane ! De plus, l'aération nous est fournie par cette grille. A la moindre alerte, les « Merlans » ont la possibilité de nous asphyxier comme des rats! Pour l'instant nous ne pouvons qu'attendre.
Donnant l'exemple, il s'étendit sur le sol, aussitôt imité par Brit qui se serra contre lui. La jeune femme ne parlait pas le terrien mais arrivait cependant à le comprendre. De plus, avec l'instinct exacerbé des primitifs, elle avait immédiatement saisi la gravité de la situation.
Un frémissement de la coque annonça que les propulseurs venaient d'être mis en marche.
Dans le poste de pilotage, Gamma 17 brancha la téléradio.
-Message pour Alpha 3. Mission exécutée avec succès. Un équipage de prise a été laissé sur le « Sirius ». Un technicien est chargé de monter une « boîte noire » pour la transition.
-Excellent, jubila Alpha 3. Revenez comme convenu !
Le commandant, après avoir vérifié que son astronef avait atteint une vitesse suffisante, appuya sur le bouton rouge qui surmontait un petit coffre noir scellé sur le tableau de bord. Le mécanisme de la plongée était en route et Gamma 17 n'avait plus à intervenir. D'ailleurs il ignorait complètement le principe du passage dans l'univers parallèle !
Dans la soute, les prisonniers ressentirent brusquement une impression de malaise et ils perdirent connaissance.
***
Alpha 3 traversa en courant le terrain de l'astroport. L'aviso personnel du « grand maître » venait d'arriver et il voulait être le premier à le saluer. A bout de souffle, le « Merlan » arriva au bas de la passerelle.
« Pourquoi, songea-t-il, le « grand maître » n'annonce-t-il pas ses visites? Tout serait alors prêt pour l'accueillir et je ne serais pas obligé d'improviser ! »
Quatre dignitaires de la classe Alpha étaient maintenant alignés sur le terrain, lorsque le « grand maître » parut. Satisfait, il regarda ses subordonnés puis l'astroport où nul autre vaisseau n'était visible.
-Où est l'astronef A 11 ? demanda-t-il sèchement.
Alpha 3 s'empressa de répondre en s'inclinant :
-La tour de contrôle a pris contact avec lui et il doit se poser dans dix minutes.
-Parfait! Nous nous réunirons dans la grande salle du Conseil et les prisonniers me seront alors présentés. Auparavant je veux entendre vos rapports personnels dans mon bureau.
Le « grand maître » s'éloigna d'un pas vif tandis que les dignitaires s'inclinaient respectueusement.
Moins de dix minutes plus tard, l'astronef A 11 se posait et ses soutes s'ouvrirent. Deux gardiens armés firent descendre les prisonniers qui furent bientôt regroupés sur le terrain, éblouis par la lumière d'un gros soleil rouge qui paraissait tout proche. Le ciel était d'un bleu très foncé. L'air était frais mais parfaitement respirable.
Par habitude, Jess examina les alentours, gravant dans sa mémoire les moindres détails. L'astroport était de petite dimension comportant une tour de contrôle et quatre hangars préfabriqués.
-On jurerait une installation terrienne, murmura Burk.
Kan approuva de la tête avec un demi-sourire, tout en poursuivant son inspection. Non loin se dressait, au milieu de misérables habitations, une vaste construction d'une dizaine d'étages surmontée d'un toit plat hérissé d'antennes. Tout autour une forêt dense cernait le terrain.
D'autres gardiens arrivèrent et poussèrent sans ménagement les prisonniers devant eux. Le lamentable cortège des vaincus traversa ainsi le terrain, dépassa la tour de contrôle et parvint devant le grand bâtiment. Deux sentinelles en armes gardaient l'entrée principale.
Après une attente de près d'une demi-heure, les portes s'ouvrirent et ils pénétrèrent dans une vaste salle. Au fond, sur une sorte de trône se tenait le « grand maître ». Sa combinaison noire portait un emblème doré représentant un soleil stylisé avec ses rayons. A ses côtés, se tenaient dix dignitaires également de noir vêtus. Le long des murs latéraux une cinquantaine de « Merlans », ceux-là vêtus de combinaisons grises, étaient alignés en un garde-à-vous impeccable. Une lumière assez violente fournie par plusieurs projecteurs suspendus au plafond faisait briller les casques, éblouissant les terriens intimidés par la mise en scène.
-A quoi rime cette comédie, grommela Grégory. Moi, je préfère les spectacles érotiques.
Burk et Kan, malgré le tragique de leur situation éclatèrent de rire.
-Silence, vermine, hurla le personnage assis à la droite du chef. Notre « grand maître » daigne s'adresser à vous.
Ce dernier se leva, jeta un regard sur tous ses fidèles et commença :
-Vous êtes ici dans un univers totalement différent de celui que vous avez connu. Ainsi, quoi qu'il arrive, vous ne pourrez jamais regagner le vôtre sans notre consentement. Nous avons appelé cette planète « Terre Nouvelle » car elle est et sera l'origine d'un monde débarrassé de toute souillure, d'un monde pur. En effet, nous ne sommes pas des créatures immondes venues du fond des espaces intersidéraux mais de vrais terriens.
Le « grand maître » se tut un instant pour juger de l'effet de ses paroles. Tous les prisonniers arboraient une mine étonnée sauf Kan dont pas un trait du visage n'avait bougé.
-Je briserai cet homme, songea le chef. Je veux le voir se traîner à mes genoux.
Il poursuivit cependant :
-Ecœuré de voir la Terre, berceau de toute civilisation, s'avilir, se mélanger à des hommes encore sauvages, j'ai décidé de rénover notre monde. Préserver la race terrienne, lui redonner sa pureté originelle, ici est notre but. Après avoir découvert « Terre Nouvelle » et le moyen d'y parvenir, nous avons créé notre confrérie. Déjà nos invincibles astronefs sillonnent la galaxie, semant l'épouvante. Sur chaque planète nos camarades qui représentent l'élite de la race terrienne, se préparent à renverser les gouvernements corrompus qui se complaisent dans la débauche la plus ignoble. Si nous n'y apportons pas remède, toute l'Union Terrienne ne serait plus dirigée que par des humanoïdes dégénérés !
Des clameurs enthousiastes jaillirent des poitrines des « Merlans ». Quand elles se furent calmées, le « grand maître » poursuivait :
-Dans quelques mois au plus tard, nous prendrons le pouvoir sur Terre et réorganiserons l'Union Terrienne. La race des Seigneurs retrouvera enfin les privilèges qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Nous établirons un ordre nouveau et durable sur toutes les planètes extérieures. Vous commanderez et les humanoïdes devront obéir. Puis, lorsque notre autorité sera indiscutable et indiscutée, nous nous élancerons à la conquête de mondes nouveaux que nous soumettrons à notre loi.
Cette perspective guerrière souleva une nouvelle salve d'acclamations. D'un geste, le « grand maître » ramena le silence et se tourna vers les prisonniers :
-Vous qui venez d'arriver, vous aurez la possibilité de collaborer à notre oeuvre. Il suffit que les analyses prouvent que tous vos aïeux étaient de purs terriens. A cette seule condition et après un stage d'éducation politique indispensable, vous serez admis dans nos rangs.
Comme cette proposition n'éveillait aucun écho parmi les captifs, il ajouta :
-N'existe-t-il pas parmi vous un vrai et bon terrien qui veuille quitter le clan des futurs esclaves pour rejoindre enfin celui des Seigneurs ?
-Moi, je veux en être, lança soudain une voix.
-Approchez ! ordonna le « grand maître ».
Le cosmatelot au front bas que Grégory avait rossé après son altercation avec Kan, s'avança.
-Pensez-vous pouvoir appartenir à la race des Seigneurs ? demanda le « grand maître ».
-Je le crois, je n'ai jamais pu souffrir les métèques ou les étrangers.
-Parfait, vous suivrez donc un stage d'initiation pour que nous puissions juger de la sincérité de votre adhésion. Les autres seront conduits avec les esclaves jusqu'à ce qu'ils comprennent la justesse de nos vues !
Aussitôt une dizaine de gardiens entourèrent les prisonniers et les poussèrent vers la sortie. Le soleil très bas sur l'horizon colorait de pourpre la façade de l'immeuble. Ils descendirent une rue mal pavée, bordée de misérables cabanes. Quelques habitants les regardèrent passer. C'étaient des humanoïdes à la peau verdâtre. Ils avaient un corps harmonieusement développé, surmonté d'une grosse tête au visage curieusement aplati avec un nez minuscule et une très large bouche garnie de dents acérées.
Le triste cortège parvint à une esplanade où il s'arrêta. Au centre de la place se dressait une potence primitive à laquelle deux corps se balançaient doucement. L'un était un humanoïde, l'autre un terrien comme en témoignait sa combinaison d'astronaute. Tous les deux avaient les mains attachées derrière le dos.
Le « Merlan » fit aligner les prisonniers devant le gibet et dit :
-Voici comment nous punissons ceux qui tentent de se rebeller contre leurs maîtres!
Puis satisfait de l'horreur qu'il devinait dans les regards des captifs, il ajouta :
-Désormais commence votre stage de rééducation par le travail. Chaque matin, les gardiens vous conduiront à une carrière de pierres que nous exploitons pour construire de nouvelles habitations. Des robots effectueraient mieux et plus vite cette besogne mais l'effort physique est indispensable à votre mise en condition. Vous serez mélangés aux esclaves humanoïdes car vous ne valez pas mieux qu'eux ! Perdez immédiatement tout espoir de vous évader ! D'abord parce qu'il vous faudrait franchir une barrière électrifiée que nous avons dressée tout autour de la ville. Ensuite si par un miraculeux hasard vous y parveniez, la forêt qui nous entoure est particulièrement inhospitalière. En plus des fauves, de petits groupes d'humanoïdes sauvages rôdent alentour, ne songeant qu'à vous massacrer ! Chaque jour, vous aurez une heure de cours d'éducation politique. A la fin de chaque semaine, vous passez un test qui nous permettra de juger de vos progrès. S'ils sont satisfaisants, vous serez transférés, sinon vous continuerez à pourrir parmi les esclaves.
Son discours terminé, le « Merlan » fit signe à ses subordonnés de diriger les captifs vers un grand baraquement sans fenêtres, dont la seule issue était une porte massive. Les terriens s'arrêtèrent sur le seuil car il régnait une atmosphère chaude, lourde, nauséabonde. Leur hésitation ne put être que de courte durée, car les gardiens les poussèrent brutalement à l'intérieur avant de verrouiller la porte.
CHAPITRE X
Lorsque ses yeux furent accoutumés à la pénombre ambiante, Kan distingua les détails de leur prison. Le sol en terre battue était jonché de feuilles à demi pourries qui servaient de litière. L'aération était chichement fournie par deux petits interstices entre le mur et le toit.
Dans le fond se tenaient une vingtaine de prisonniers affalés sur le sol. Ils n'esquissèrent même pas un geste pour s'approcher des nouveaux arrivants.
Les terriens brisés par l'émotion restèrent un long moment debout puis se laissèrent glisser à terre. Certains, pourtant cosmatelots endurcis, éclatèrent en sanglots. Kan refusa de se laisser aller au désespoir et résolument s'approcha du groupe des anciens. Il voulait obtenir immédiatement le maximum de renseignements.
Une silhouette se redressa et poussa une exclamation :
-Capitaine Kan ! Comment êtes-vous arrivé ici ?
Jess se pencha et vit un jeune homme en tenue d'astronaute. Il était d'une maigreur effrayante. Dans son visage émacié, les yeux paraissaient immenses.
-J'étais second à bord de l' « Andromède » lorsque nous avons échoué sur Psar
-Bud Tyrel ! s'écria Kan, que vous est-il arrivé ?
-J'ai été fait prisonnier il y a six mois par les « Merlans ». Vous verrez, ici c'est pire que l'enfer. Nous travaillons douze heures par jour à casser des cailloux et il n'est distribué qu'un maigre repas vers midi !
-Combien êtes-vous ?
-Sept astronautes seulement. Les autres sont morts ou se sont laissés attirés par la propagande des « Merlans ». Ils sont diaboliques ! Chaque jour ils nous obligent à répéter des slogans simplistes. Quand vous êtes épuisé, l'estomac tiraillé par des crampes, la tête bourdonnante, il faut une sacrée résistance pour ne pas succomber. Arrive un moment où vous renieriez tout pour une seule ration alimentaire !
-Je vous crois Bud. La méthode du lavage de cerveau n'est pas nouvelle mais reste terriblement efficace ! Et eux, pourquoi sont-ils ici ? ajouta Kan en désignant les humanoïdes.
-Ils refusent de se soumettre aux « Merlans ».
A ce moment un humanoïde s'approcha de Kan. Il était aussi cachectique que Bud mais ses yeux jaunes brillaient d'intelligence.
-Voici Hark, dit Tyrel. C'est maintenant le chef du groupe depuis que son compagnon a été pendu. Nous arrivons difficilement à nous comprendre par gestes. Peut-être serez-vous plus doué que moi pour deviner leur langage ?
-Nous examinerons ce problème plus tard. Avez-vous envisagé les possibilités d'évasion ?
-C'est malheureusement impossible, Capitaine. Le jour nous sommes constamment surveillés par des gardiens et la nuit nous sommes enfermés. Croyez-moi, la porte est solide !
-Les gardiens effectuent-ils des rondes ?
-C'est peu probable car ils n'ont rien à craindre de nous. Même si nous sortions de cette bauge, la barrière électrifiée nous empêcherait de quitter la ville.
-Où se trouve la centrale électrique ?
-D'après ce que j'ai cru comprendre, ils ont installé un générateur atomique dans les sous-sols de leur construction principale.
Brit qui s'était approchée, suivait depuis un moment la conversation. Elle avait une telle confiance en Kan que sa seule présence suffisait à dominer sa peur. Elle serrait contre elle son sac de joncs tressés comme un trésor.
-Même si à la faveur d'un court-circuit improbable, nous arrivions à nous enfuir, où irions-nous ?
-Cela, nous allons le demander à votre ami Hark, murmura Kan songeur.
Il s'éloigna de quelques pas et fit signe à l'humanoïde de le rejoindre. Étonné, Tyrel regarda les deux hommes. Kan s'était approché et fixait Hark. Ce dernier se prêtait de bonne grâce à l'expérience. Une heure s'écoula sans qu'une parole fût échangée mais Bud ne perdait pas espoir. Il se souvenait que sur Psar, Jess avait réussi à se faire comprendre des indigènes sans utiliser de traducteur automatique.
Soudain, il vit remuer les lèvres des deux interlocuteurs, d'abord lentement puis de plus en plus rapidement. Finalement Kan revint.
-Hark est d'accord pour tenter de fuir. Des groupes de ses compatriotes vivent librement dans la forêt et ils pourront nous aider. Reste maintenant à trouver un moyen de sortir de ce trou puant !
A ce moment, Brit lança plusieurs phrases en psarien. Tyrel n'en comprit pas le sens mais perçut à plusieurs reprises la syllabe « rox ». De plus en plus volubile, Brit ouvrit son panier. Elle sortit d'abord le curieux cube métallique qu'elle suspendit fièrement au cou de Kan puis elle montra divers objets qu'il ne put voir.
Jess éclata d'un rire tonitruant et embrassa Brit à pleine bouche. L'incongruité d'une telle manifestation dans leur situation fit redresser la tête à l'équipage du « Sirius ». Ils étaient dix-huit, officiers compris.
-Contrôlez vos nerfs, bougonna Burk. Hélas ! rien ne justifie cette hilarité !
Kan s'approcha d'eux et leur présenta Tyrel. En voyant l'aspect du jeune lieutenant, les hommes ne purent masquer un sursaut d'horreur.
-Voilà, expliqua Jess, d'un ton tranquille, j'ai décidé de m'évader cette nuit même.
-C'est de la folie! s'exclama aussitôt Sheldon. Jamais nous n'y parviendrons et vous allez déclencher des représailles terribles !
Négligeant l'intervention, le capitaine poursuivit :
-Libre à vous de vous laisser séduire par l'idéologie démente de celui qu'ils appellent le « grand maître » ! A moins que vous préfériez vous laisser pendre ou transformer en squelettes ambulants comme Tyrel. Moi je choisis la liberté et vous conseille de me suivre. Naturellement l'opération est hasardeuse et nous risquons tous notre peau, mais je préfère la mort à une détention dégradante.
-Ne pouvons-nous attendre quelques jours? hasarda Burk. Nous serions plus à même de repérer les lieux et les habitudes de nos geôliers.
-Non, Commandant ! C'est aujourd'hui même qu'il faut agir ! Nous ne devons pas nous laisser engager dans le processus de l'univers concentrationnaire. Vous avez tous faim, moi aussi ! Mais nos forces sont encore intactes. Si nous hésitons, nous nous affaiblirons de jour en jour. Croyez Tyrel, les rations distribuées sont à peine suffisantes pour ne pas périr immédiatement d'inanition !
Les hommes se regardaient encore hésitants. Grégory se leva le premier. Avec un mouchoir il s'était confectionné un pansement mais n'avait pu essuyer le sang séché qui maculait son visage. Dans l'obscurité, il avait une mine effrayante.
-Assez parlé, Capitaine. Moi je vous suis sans hésiter. J'aimerais même m'offrir la peau d'un de ces « Merlans », rien que pour lui montrer que ma race vaut bien la sienne. Mon père était de vieille souche russe et ma mère originaire de Terrania III. Je suis fier d'elle et j'affirme qu'elle valait toutes les terriennes.
Chacun eut la sagesse de comprendre qu'il valait mieux ne pas le contrarier. Son adhésion inconditionnelle entraîna celle de cinq ou six cosmatelots. Burk soupira :
-Je crois que vous avez raison, Kan, mais avez-vous un plan ?
-Tout est réglé avec mon ami Hark, sourit Jess.
-Quoi? s'exclama Sheldon, vous ne pensez pas sérieusement emmener ce sauvage avec nous !
D'un geste vif, Jess agrippa le lieutenant par le tissu de sa combinaison et l'attira contre lui, vrillant son regard dans le sien.
-Je vous ordonne, articula-t-il d'une voix blanche de colère, de modérer votre langage. Hark est notre seul atout pour survivre sur cette planète si nous arrivons à sortir d'ici. J'ai conclu une alliance avec lui et il commandera en second que cela vous plaise ou non. Si vous désirez abandonner, faites-le maintenant. En cas d'acceptation, vous vous conformerez à mes directives.
Sheldon à demi étouffé, murmura :
-Entendu, Capitaine. Je vous présente mes excuses.
Voyant l'incident clos, Burk précisa :
-Il est évident que nous nous plaçons sous votre commandement. Comment envisagez-vous l'opération ?
Jess sortit une petite lampe électrique de sa poche et dessina un plan sur le sol, faisant signe à Hark de se joindre à eux.
-Dès que nous serons sortis d'ici, vous vous dirigerez tous dans cette direction. D'après Hark, la barrière électrifiée se trouve à moins d'un kilomètre. Vous vous dissimulerez à proximité. Il existe quelques maisons abandonnées, ce qui devrait vous faciliter la tâche. Pendant ce temps, Tyrel et moi tenterons de nous introduire dans la bâtisse des « Merlans » pour saboter la centrale électrique.
-Jamais vous n'y arriverez, objecta Sheldon.
-C'est mon affaire, trancha Kan sans explication. Si j'échoue, vous n'aurez qu'à regagner votre prison et vous expliquerez aux gardiens que je suis le seul responsable.
-Comment saurons-nous que vous avez réussi ? demanda Grégory plus optimiste.
-Normalement toutes les lumières devraient s'éteindre. Dans ce cas foncez et franchissez la barrière. Ensuite Hark vous conduira.
-Mais comment pourrez-vous nous rejoindre ? s'inquiéta Burk.
-Hark laissera un de ses hommes pour nous guider.
Tyrel intervint et tira Kan un peu à l'écart. Il lui murmura à l'oreille :
-Je crains d'être trop faible pour vous accompagner. Choisissez quelqu'un de plus valide, Grégory par exemple, et abandonnez-nous ici.
-Il n'en est pas question, Bud. De plus, vous connaissez un peu les lieux.
-Je n'ai pénétré qu'une fois dans le bâtiment avec une corvée de nettoyage. Je peux vous faire un plan.
Kan secoua la tête. Plongeant la main dans sa poche, il sortit une boîte de pilules nutritives.
-Sucez-en deux pour vous stimuler un peu. Donnez-en également à Hark. Malheureusement, je n'en ai pas assez pour en distribuer à tous vos compagnons !
Kan retourna près des cosmatelots.
-Êtes-vous tous d'accord pour tenter l'aventure ?
Cette fois, il obtint une adhésion unanime. Les plus chauds partisans étaient les sept malheureux prisonniers depuis des mois. Il était émouvant de voir ces êtres décharnés tenter de se relever, les yeux enfin brillants d'espoir.
-Votre plan est certainement parfait, intervint Sheldon, mais comment sortirons-nous d'ici ? Je viens d'examiner la porte et croyez-moi elle est solide. Même en nous jetant tous dessus, nous ne parviendrons pas à l'ébranler.
Sans relever le ton légèrement ironique du lieutenant, Kan fit dégager les abords de la porte puis éclaira de sa lampe le ventail à la hauteur de la serrure. Il marmonna une phrase en psarien à l'intention de Brit. La jeune femme hocha la tête en souriant. Elle releva la manche gauche de sa combinaison et entreprit de défaire le bracelet de cuir qui enserrait son avant-bras. Rapidement elle obtint une longue lanière qu'elle fit tournoyer. Grégory reconnut aussitôt une fronde qu'utilisaient les guerriers de Psar.
Brit ouvrit son sac et sortit une petite boîte d'écorce qui contenait six boules d'argile soigneusement emballées dans de la mousse. Elle en préleva une qu'elle posa précautionneusement sur le sol puis referma l'étui qu'elle glissa à nouveau dans son sac.
Elle se releva, regarda un instant le point lumineux qui constituait son objectif et fit tournoyer sa fronde. Le projectile partit en sifflant et vint s'écraser juste sur l'énorme serrure la constellant de liquide caustique.
Sidérés, les cosmatelots virent le métal frémir puis se dissoudre lentement. Moins de cinq minutes plus tard, la porte rongée sur plus de cinquante centimètres s'ouvrait sans résistance.
Un large sourire éclaira le visage de Hark qui lança une phrase à l'intention de Jess. Ce dernier répondit brièvement calmant l'impétuosité de son allié qui voulait se ruer à l'extérieur.
-Quel est ce charabia ? s'étonna Sheldon à voix basse. Vous parlez leur langue ?
-Je suis assez doué, éluda Kan, en imposant le silence d'un geste.
Il sortit le premier et examina les environs. La nuit assez sombre favorisait les évadés et il n'aperçut nulle ombre suspecte. Seuls les deux pendus étaient là pour rappeler la précarité de leur situation.
Kan frappa doucement l'épaule de Hark et lui fit signe de sortir. Un à un les prisonniers se glissèrent à l'extérieur. Grégory chuchota alors :
-Je préférerais vous accompagner, Capitaine.
-Non, tu seras plus utile pour seconder Hark. En cas de coup dur, Burk et Sheldon ne m'inspirent pas grande confiance. Ce sont des soldats, mais sortis de leur poste de pilotage, ils sont perdus.
Suivi de Tyrel et de Brit, Jess remonta la rue qu'ils venaient descendre quelques heures plus tôt.
Par chance, aucune lumière n'était allumée. Rapidement ils parvinrent près du vaste bâtiment. Deux sentinelles gardaient toujours l'entrée principale.
-Sur le côté, il existe une autre porte, murmura Tyrel. C'est par là que les gardiens nous ont fait pénétrer. Elle donne accès directement aux sous-sols.
Selon les indications de Tyrel, Jess effectua un détour et réprima une grimace. Là également une sentinelle veillait. Il allait falloir utiliser la manière forte.
Avec surprise, le lieutenant vit soudain sortir du cube métallique une lueur mauve très brève. Il se demandait encore s'il n'avait pas rêvé quand Jess lui chuchota :
-La voie est libre, en avant.
La sentinelle était immobile, comme figée. Au passage, Kan la délesta de son pistolet thermique qu'il tendit à Tyler.
-Ne vous en servez que sur mon ordre. Nous n'avons pas intérêt à attirer l'attention.
Comme le pensait Kan, la porte était fermée. Du doigt, il désigna à Brit la serrure. Aussitôt la jeune femme qui tenait sa fronde à la main expédia un projectile.
Tandis que l'acide rongeait l'acier spécial, Tyrel demanda en désignant la sentinelle:
-Que lui est-il arrivé ?
-Ce cube émet une onde tétanigène, expliqua Jess. A faible intensité son action est de courte durée et réversible. Mais ici j'ai dû utiliser une dose maximale qui entraîne la mort par paralysie des muscles respiratoires et du coeur.
La porte s'ouvrit doucement. Le coeur battant à se rompre car il craignait l'existence d'un signal d'alarme, Kan s'avança, pénétrant dans un couloir éclairé par des rampes fluorescentes.
Tyrel désigna une porte.
-Là se trouvent les réserves de vivres que nous avions été chercher pour les gardiens. A partir de maintenant, je ne puis plus vous être d'aucune utilité.
Kan réfléchit un instant.
-Le plus simple est d'avancer, dit-il, nous finirons bien par trouver une porte qui donne accès aux sous-sols.
Le hasard leur vint en aide sous forme d'un écriteau placardé sur une porte « Générateur Nucléaire ». « Défense d'entrer sans motif de service. »
Après avoir descendu une vingtaine de marches, ils parvinrent dans une vaste pièce aux murs couverts d'instruments de mesure. Derrière un large pupitre hérissé de leviers de commande, un technicien surveillait le fonctionnement de la pile atomique visible derrière un écran plombé.
Foudroyé par l'onde tétanigène, le « Merlan » s'effondra sur son siège. Rapidement, Kan inspecta l'installation. De gros câbles sortaient d'une armoire métallique qu'il ouvrit aussitôt.
-Ce sont les bornes d'arrivée du générateur. Nous allons organiser un joli court-circuit. Tyrel, dénudez les fils pendant que je vais jeter un coup d'oeil sur le générateur.
Escorté de Brit, il suivit le circuit qu'empruntaient généralement les ouvriers de l'entretien. Ils arrivèrent à une plate-forme qui surplombait directement le coeur du réacteur.
-Brit, une capsule de « rox », juste au milieu.
Rapidement ils rebroussèrent chemin. Kan espérait que l'acide parviendrait jusqu'au combustible nucléaire occasionnant ainsi des fuites radioactives. Le réacteur serait alors indisponible pendant plusieurs semaines.
-Voilà Capitaine, dit Tyrel, les câbles sont à nu, mais comment allons-nous les faire entrer en contact ?
D'un coup de talon rageur, Kan brisa un siège et s'empara d'un pied métallique.
-Écartez-vous, dit-il, avant de lancer adroitement le morceau de ferraille.
Un immense éclair jaillit et toutes les lumières s'éteignirent à l'exception de deux veilleuses probablement branchées sur un circuit de secours.
-Commencez à remonter, ordonna Kan mais prêtez-moi votre pistolet thermique.
Jess arrosa de plusieurs jets de feu le pupitre des commandes et de nombreux instruments de contrôle puis il rejoignit ses amis.
Ils eurent la chance de parvenir à la porte sans rencontrer personne. Cela n'allait certainement pas durer car des exclamations multiples jaillissaient de l'obscurité.
Avant de sortir, Kan ricana :
-Nous allons un peu compliquer la tâche des techniciens.
Sans comprendre, Tyrel vit le capitaine saisir un peut vase d'argile, hermétiquement clos que Brit avait extrait de son sac.
Jess prit son élan et le lança le plus loin possible dans le couloir. A la lueur faible de l'éclairage de secours, Bud vit le vase se briser et des centaines d'insectes grisâtres s'en échapper.
-Ce sont des « Tsers » expliqua brièvement Kan. Ils ont jeûné depuis vingt jours et vont se répandre dans l'immeuble à la recherche de proies possibles ! Maintenant filons !
Ils longèrent la rue principale au pas de course. A deux cents mètres du bâtiment maintenant plongé dans l'obscurité, Kan ralentit car il avait observé que Tyrel n'arrivait pas à suivre. Le jeune homme, hors d'haleine, trébucha et se serait affalé sur le sol si Jess ne l'avait soutenu d'une poigne énergique.
-Laissez-moi mourir ici, haleta le malheureux, je n'aurai jamais la force de vous suivre.
-Sucez une nouvelle tablette nutritive, ordonna Kan. Désormais nous avancerons plus lentement. Appuyez-vous sur moi.
Avec un sens très sûr de l'orientation, Jess abandonna la rue principale pour s'engager entre deux masures. Un bruit de pas les fit soudain s'immobiliser. Une patrouille de quatre hommes avançait à une vingtaine de mètres. Un instant, Kan espéra qu'elle passerait sans les voir. Malheureusement celui qui marchait en tête tenait en laisse un molosse qui huma l'air et se mit à aboyer. Sans plus hésiter, Kan avança d'un pas et balaya le groupe d'un puissant flux tétanigène.
-Espérons qu'ils ne sont pas en communication radio permanente avec leur quartier général, grommela Kan.
Rapidement il s'empara des pistolets thermiques. Il en donna un à Brit et en glissa un autre dans son étui vide qu'il portait encore à sa ceinture.
Cette halte forcée avait permis à Tyrel de récupérer quelques forces et ils purent repartir d'un pas plus rapide.
Vingt minutes plus tard, ils atteignirent la clôture métallique qu'ils durent longer une centaine de mètres avant de découvrir un trou. Un poteau avait été arraché et le grillage pendait sur dix mètres. Une tache claire attira l'attention de Jess. Un « Merlan » était allongé sur le sol, son casque arraché. L'inclinaison curieuse de son cou prouvait qu'il avait les vertèbres brisées.
L'absence de toute lumière indiquait qu'aucun générateur de secours avait pu être mis en marche. Sans hésiter, Kan franchit la clôture, entraînant Brit et Tyrel dans son sillage. Ils durent marcher cinq cents mètres environ en terrain découvert avant d'atteindre l'orée de la forêt. La masse sombre des arbres absorba les fugitifs.
Kan hésitait à s'engager plus en avant quand un frémissement de branche le fit se retourner. Il retint juste à temps l'impulsion psychique en reconnaissant un humanoïde. Après avoir échangé quelques mots, l'indigène leur fit signe de le suivre.
La progression se poursuivit plusieurs heures, entrecoupée de haltes de plus en plus fréquentes nécessitées par l'état de Tyrel. Ce dernier, accroché au cou de Jess, ne tenait pratiquement plus sur ses jambes.
Lorsque les premiers rayons de soleil ensanglantèrent l'horizon, les fugitifs parvinrent enfin dans une clairière où se dressaient quelques huttes de branchage.
Tous les fugitifs dormaient sauf Grégory qui attendait anxieusement l'arrivée de Kan. Quand il le vit, il se précipita pour l'aider à porter Tyrel.
-Notre évasion a failli tourner à la catastrophe, expliqua Grégory. Nous étions dissimulés dans une bicoque vide lorsqu'un gardien probablement insomniaque est passé. Il a fallu à ce moment qu'un imbécile se mette à tousser, attirant l'attention du « Merlan ».
Heureusement j'avais prévu un incident de ce genre et je m'étais glissé à l'extérieur. Quand l'autre intrigué par le bruit s'est avancé, je lui suis tombé sur le dos.
-Et alors ?
Grégory étouffa un rire tonitruant.
-Cette race des seigneurs n'a pas les vertèbres plus solides que les autres. Avant qu'il ait eu la possibilité de pousser un cri, je lui ai tordu le cou. J'en ai profité pour le soulager de son pistolet thermique, ajouta Grégory en tapotant l'arme passée à sa ceinture.
CHAPITRE XI
Alpha 5 dormait paisiblement, rêvant du jour où le « grand maître » en remerciement des services rendus à la cause, lui donnerait la direction d'une importante planète. Il saurait bien réduire les opposants et les humanoïdes dégénérés. Il voyait l'installation de gigantesques camps d'extermination où seraient regroupés tous les êtres inférieurs.
Des coups violemment frappés à sa porte le réveillèrent en sursaut. Il manoeuvra l'interrupteur placé à la tête de son lit mais aucune lumière ne jaillit. Ce fut à tâtons qu'il dut enfiler sa combinaison et boucler son casque. Encore un ordre du « grand maître » qui tenait à ce qu'aucun de ses subordonnés puisse se reconnaître en dehors de « Terre Nouvelle ». Enfin bientôt ces précautions seraient inutiles et ils pourraient tous montrer leur visage au grand jour.
-Alpha 5, un accident vient de se produire dans la salle du générateur atomique.
-Comment est-ce possible ?
-Nous l'ignorons ! C'est l'opérateur de veille à la tour de contrôle qui a donné l'alarme en voyant tous ses appareils privés d'énergie. J'ai immédiatement envoyé sur place le piquet de sécurité et mis la garnison en état d'alerte. Un sabotage n'est pas à exclure.
A la lueur des torches électriques, ils se hâtèrent vers les escaliers de secours car naturellement les ascenseurs ne fonctionnaient plus. Essoufflés, ils atteignirent le rez-de-chaussée et enfilèrent le couloir menant au réacteur. Brusquement ils perçurent des hurlements et se heurtèrent à une dizaine de techniciens qui s'enfuyaient.
Alpha 5 ne tarda pas à avoir l'explication de ce phénomène. Il ressentit une atroce brûlure au mollet et instinctivement porta la main à ce niveau. Réprimant une nausée, il vit qu'il avait écrasé un insecte grisâtre de la taille d'un pouce dont le céphalothorax était prolongé d'une pince impressionnante à laquelle adhéraient encore des fragments de chair.
-D'où proviennent ces bestioles ? murmura-t-il.
Il n'eut pas le loisir de réfléchir plus longtemps car un autre « tsers » lui mordit le bras gauche.
Alpha 5 prit rapidement sa décision.
-Ordre d'évacuer les sous-sols ! Envoyez l'équipe de désinfection. Calfeutrez toutes les issues qui mènent aux étages !
Le « Merlan » gagna au pas de course son bureau. En tant que responsable de la sécurité sur la base, il devait rassembler tous ses subordonnés.
Après deux heures de confusion, il put commencer à dresser un bilan. Une équipe vêtue de lourds scaphandres spatiaux avait réussi à chasser les tsers en utilisant des gaz toxiques. Toutefois, les techniciens ne s'aperçurent pas que nombre d'insectes avaient trouvé refuge dans les gaines d'aération et se répandaient dans tout l'immeuble. Toutefois, isolés, ils constituaient plus un désagrément qu'un danger.
En ce moment, Alpha 5 écoutait le rapport de l'ingénieur en chef.
-Nous avons été victimes d'un sabotage ! Les câbles d'alimentation ont fondu et le pupitre de surveillance a été incendié.
-Réparez ! ordonna-t-il sèchement.
-Cela demandera au moins deux jours et encore cela ne sera qu'une intervention provisoire. Il faudra au moins une semaine pour effacer toute trace de cette agression.
Un autre technicien apparut et tendit une feuille à l'ingénieur qui blêmit sous son casque.
-Il y a beaucoup plus grave, Alpha 5 ! dit-il d'une voix enrouée par l'émotion. Je ne sais comment les saboteurs ont opéré mais ils ont réussi à percer une gaine de protection du combustible nucléaire. Tout le système de refroidissement est pollué de particules radioactives !
-Vous n'avez qu'à colmater la brèche et purger vos canalisations.
-C'est impossible ! Il faut démonter entièrement le générateur et nous ne disposons pas d’équipements antiradiations suffisants.
-Inutile ! Envoyez simplement deux hommes dans le coeur du réacteur pour réparer les dégâts.
-C'est les condamner à une mon certaine ! Ils seront irradiés au-delà de toute possibilité thérapeutique.
-En s'engageant dans nos rangs, chacun a fait le sacrifice de sa vie, rétorqua Alpha 5 d'un ton glacial. Je vous donne quarante-huit heures pour que l'installation fonctionne à nouveau. Passé ce délai, je vous considérerai comme un traître à notre cause.
Un filet de sueur glacée coula sur l'échiné du malheureux ingénieur qui sortit du bureau en titubant.
Alpha. 5 convoqua le chef du détachement de sécurité.
-Delta 7, j'attends votre rapport, dit-il sèchement.
-Le commando ennemi a pénétré par l'entrée ouest en tuant la sentinelle. Nous ignorons l'arme utilisée car le corps ne porte aucune blessure.
-D'ordinaire cette porte n'est-elle pas verrouillée ?
-Elle l'était mais ils ont attaqué la serrure avec un acide. Je vous ferai respectueusement remarquer que j'avais demandé à deux reprises l'installation de signaux d'alarme, ajouta Delta 7 désireux de dégager sa responsabilité.
Alpha 5 balaya l'objection d'un geste nerveux de la main.
-Il fallait multiplier les patrouilles en attendant leur installation.
-Avec quels effectifs? Je ne dispose que de quarante hommes pour assurer la sécurité. De plus, quinze sont affectés en permanence à la surveillance de détenus qui ne risquent guère de s'évader.
Cette affirmation fut démentie une heure plus tard. La tête basse, tremblant imperceptiblement, Delta 7 retourna aux premières lueurs de l'aube dans le bureau de son chef. Ce dernier était de fort méchante humeur car il venait de recevoir les récriminations de l'ingénieur des transmissions. Privée d'énergie, la téléradio demeurait muette et toutes les communications avec les astronefs étaient coupées. Aucune nouvelle n'arrivait et aucun ordre ne pouvait être donné.
-Que voulez-vous? aboya Alpha 5.
-Les prisonniers se sont évadés, hoqueta le malheureux.
-Quoi ?
-En prenant leur service ce matin, les gardiens ont trouvé la porte ouverte et le baraquement vide. Là encore la serrure était rongée par un acide. Il est hors de doute que ce sont les prisonniers qui ont saboté le réacteur pour pouvoir ensuite franchir la clôture électrifiée. Nous avons trouvé la trace de leur passage. Ils se sont dirigés vers la forêt après avoir assassiné un gardien qui avait dû les surprendre.
-Pourquoi n'a-t-il pas donné l'alarme ?
-Il est probable qu'il n'en a pas eu le temps. Il a eu la nuque brisée. Il y a plus grave encore. Une patrouille de quatre hommes a également été assassinée.
-Félicitations ! ricana Alpha 5. Vos troupes sont bien mal entraînées. Six morts en quelques heures, sans l'ombre d'un combat ! Des gamins se seraient mieux défendus ! Comment les prisonniers ont-ils pu se procurer cet acide ?
-Peut-être ont-ils bénéficié de complicités extérieures ?
-Ridicule! Les indigènes sont terrorisés et la clôture empêchait toute attaque de l'extérieur. Qui a reçu les prisonniers ?
-Gamma 17 ! Le commandant de l'astronef Ail les a désarmés et a même fait fouiller Kan selon les ordres reçus.
-Mais pas les autres captifs, en particulier cette sauvageonne qu'il appelle sa femme! C'est elle qui a dissimulé les armes, conclut Alpha 5 enchanté de pouvoir enfin faire retomber la responsabilité du sabotage sur quelqu'un.
-Quels sont vos ordres ? demanda Delta 7 toujours inquiet.
-J'exige que les évadés soient rattrapés dans le plus bref délai! Expédiez une patrouille sur leurs traces.
-N'est-il pas dangereux de les envoyer dans la jungle ? Ils seront à la merci d'une embuscade !
-Si vos guerriers ne sont pas capables de vaincre une poignée de sous-hommes dégénérés, ils sont indignes de vivre !
Cet argument raciste ne parut pas convaincre Delta 7 qui objecta :
-Certains reptiles sont plus dangereux qu'un lion noble et généreux. Puis-je disposer de deux hélijets ? Cela facilitera les recherches.
-Utilisez ce qu'il vous plaira mais je veux des résultats positifs dans les vingt-quatre heures. A propos, avez-vous des nouvelles de Delta 21 ?
-Aucune! Il est probable que n'ayant pu nous prévenir de la tentative d'évasion, il a suivi les autres prisonniers. Il se manifestera certainement dès qu'il en aura la possibilité.
-Vous disposez ainsi d'un atout supplémentaire ! Je veux voir les meneurs pendus avant quarante-huit heures.
Après la sortie de son subordonné, Alpha 5 réfléchit un long moment puis se leva avec un soupir. Il lui fallait maintenant rendre compte des événements à Alpha 3 qui, en l'absence du numéro 2 reparti avec le grand maître, commandait l'ensemble de la base. Il frissonna en songeant à l'accueil qui l'attendait et se jura de faire payer très cher aux prisonniers les minutes désagréables qu'il allait devoir vivre.
CHAPITRE XII
Lorsque Kan s'éveilla, le soleil commençait déjà à décliner. Il sortit doucement de la hutte de branchage qui l'avait abrité, prenant soin de ne pas déranger Brit qui, épuisée par les émotions de la veille, dormait encore.
Les astronautes étaient rassemblés autour d'un feu où rôtissait un quartier de viande. Hark, un peu à l'écart, le salua et lui fit signe de se servir.
Jess mâchait paisiblement une viande un peu dure lorsque Sheldon se manifesta :
-Pourquoi avez-vous donné à ces sauvages deux pistolets thermiques alors que ni le commandant ni moi n'en possédons ?
Sans se troubler, Kan répondit :
-Je vous ai déjà expliqué que dans cette expédition, Hark était mon second. Il était donc naturel de partager équitablement notre butin.
-C'est de la folie de vous mettre ainsi à leur merci !
-Nous le sommes déjà, car sans leur aide nous ne pourrions guère survivre dans cette jungle. J'ai conclu un traité avec Hark, donc vous pouvez être rassuré.
-Mais que vaut la parole d'un primitif ?
-Certainement autant que celle des Terriens, conclut Kan sèchement !
Burk intervint à ce moment :
-Comment avez-vous pu atteindre la centrale ?
Jess résuma brièvement leur action mais se garda de parler de l'onde tétanigène et des « Tsers », car il aimait à garder ses secrets. Cette ligne de conduite lui avait souvent permis de surprendre ses adversaires !
-Quels sont vos projets ? demanda le commandant quand il eut terminé.
-Pour l'instant essayer de survivre et éviter les patrouilles que les « Merlans » ne manqueront pas de nous envoyer. Ce n'est qu'ultérieurement que nous pourrons envisager des actions de harcèlement. Quelles que soient nos conditions d'existence ici, elles sont certainement meilleures que dans le camp !
Les cosmatelots qui avaient été longtemps prisonniers approuvèrent aussitôt. Burk hocha la tête.
-Je pense que votre décision est sage, soupira-t-il. J'avais craint un moment qu'emporté par votre premier succès, vous vouliez monter immédiatement une nouvelle offensive.
Un bruit de turbine d'hélijet se fit entendre dans le lointain. Hark se dressa d'un bond et fit signe aux terriens de se dissimuler sous les arbres, tandis qu'il éteignait le feu en le recouvrant de terre.
L'hélijet avançait lentement pour permettre à ses occupants de scruter la forêt. Heureusement les branches denses constituaient un excellent camouflage naturel. L'attente parut interminable aux cosmatelots. Enfin l'appareil s'éloigna et ils purent reprendre leur repas.
Hark prononça quelques mots, désignant une hutte un peu plus grande que les autres.
-Que veut-il ? s'inquiéta Burk.
-Il désire me présenter au chef de cette communauté. J'ai cru comprendre qu'il est un de ses parents. Malheureusement mon vocabulaire est fort restreint et je ne sais si c'est un oncle ou un vague cousin.
Le commandant éclata de rire.
-Je trouve au contraire que vous vous débrouillez remarquablement bien. Je n'imaginais pas qu'il soit possible d'apprendre aussi vite une langue étrangère. Avant de partir pour Psar, j'ai lu le rapport du commandant Torf. Je me souviens qu'il avait mentionné la facilité avec laquelle vous contactez les humanoïdes. Regardez, ceux-ci semblent déjà vous avoir adopté !
-Je m'entends effectivement très bien avec les primitifs. Leur instinct encore développé, perçoit très vite que je viens en ami et ne cherche ni à leur nuire ni à les voler, ce qui n'est pas le cas de beaucoup de nos compatriotes.
-Nous leur apportons la civilisation, protesta Sheldon.
-Un bien grand mot qui recouvre le plus souvent l'exploitation forcenée des richesses naturelles !
Kan se leva et suivit Hark jusqu'à la hutte. Le chef du village avait un visage tout ridé, un thorax maigre et des épaules voûtées. Il dévisagea le terrien de ses yeux
vifs et lui désigna une pierre plate pour s'asseoir.
***
-Que peuvent-ils se raconter ? grogna Sheldon en consultant sa montre. Cela fait plus de deux heures qu'ils discutent.
-L'arrivée d'un groupe de vingt-sept personnes dans une communauté aussi petite que celle-ci doit poser des problèmes, ne serait-ce que pour assurer le ravitaillement, remarqua Grégory. Apparemment ils vivent essentiellement de chasse et je pense qu'il va falloir les aider si nous voulons manger à notre faim.
-Pourquoi ne pas vous entraîner à manipuler les sarbacanes qui semblent constituer leur seul armement ? ironisa Sheldon.
-C'est certainement plus utile pour la chasse que les pistolets thermiques qui ont l'inconvénient de calciner le gibier !
Sheldon s'abstint de répondre. Depuis que Grégory avait été élevé au même grade que lui, il ne pouvait plus le rabrouer comme un simple cosmatelot !
Enfin Kan reparut. Il paraissait songeur en s'installant près des Terriens.
-Quelles sont les nouvelles ? demanda Burk.
-Le chef Omah nous accorde l'hospitalité pour le temps que nous désirerons rester ici. A ce propos, je tiens à vous signaler un détail. Ils sont monogames et surveillent leurs épouses et leurs filles. Vous avez pu voir qu'elles ne sortent pas et restent dans les cases.
Jess regarda lentement tous les cosmatelots le regard dur.
-J'ai répondu de votre conduite! Si jamais la solitude pesait trop à l'un de vous, qu'il se souvienne de ma promesse avant de tenter de violenter une indigène. Le châtiment habituel dans ces tribus est le bannissement en forêt. Comme je ne pourrai pas prendre le risque de vous voir capturer par les « Merlans », je serai donc obligé d'abattre le fautif. Compris ?
Les cosmatelots acquiescèrent dans un murmure, car le regard métallique du capitaine prouvait qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie.
-Maintenant si l'histoire vous intéresse, j'ai appris quelques détails. Les indigènes nomment leur planète « Paal ». Dans cette région, car je n'ai pu avoir de précisions sur ce qui se passe au loin, il existe quelques dizaines de tribus identiques à celle-ci. Autrefois, leur civilisation était un peu moins précaire et certains villages étaient même assez importants. Chacun était dirigé par un chef et il existait un grand prêtre qui périodiquement réunissait tous les chefs en une sorte de conseil, arbitrant ainsi les différends qui surgissaient entre les tribus. Malheureusement pour eux, le dernier grand prêtre à avoir une autorité certaine est mort, assassiné par un chef ambitieux, ce qui a déclenché des luttes fratricides. Quelques mois plus tard, alors qu'une grande anarchie régnait dans cette région, les « Merlans » sont arrivés. Ils ont occupé le village le plus important réduisant en esclavage ses habitants. Sans essayer de rentrer en contact avec les autres villages, ils ont organisé des expéditions punitives qui avaient pour but de disséminer les habitants dans la forêt. Demain une dizaine de guerriers vont organiser une grande chasse car notre arrivée impromptue a pratiquement épuisé leurs maigres stocks de vivres. Je les accompagnerai car au passage j'aimerais visiter les ruines du temple du grand prêtre.
-Quel intérêt peut-il présenter ? s'étonna Sheldon.
Kan esquissa un sourire.
-J'aime me documenter sur les croyances et le mode de vie des civilisations primitives. Cela évite souvent de commettre des maladresses qui choquent profondément les autochtones.
Grégory intervint alors :
-Puis-je vous accompagner, capitaine ? Une promenade me fera du bien car je me rouille dans l'inaction !
-Entendu ! le départ est fixé à l'aube.
D'autres volontaires se proposèrent mais Jess dut refuser.
-Nous ne partons pas en excursion mais à la chasse ! Une troupe trop nombreuse risquerait de faire fuir un gibier qui devient de plus en plus rare ! Comme nous sommes peut-être ici pour longtemps, vous devriez construire quelques huttes pour vous abriter.
Les « Paaliens » vous conseilleront. N'oubliez pas que nous sommes recherchés et vos bâtisses doivent être invisibles du ciel.
Brit rejoignit à ce moment le groupe. Elle était reposée et vint naturellement s'installer à côté de Jess. Le soleil disparut lentement derrière l'horizon et les premières étoiles se levèrent. « Paal » ne possédait pas de lune, ce qui rendait les nuits particulièrement sombres. Burk s'approcha de Kan et soupira en désignant le ciel :
-Il est difficile d'imaginer que nous sommes dans un univers différent du nôtre. Depuis un moment, je cherche à identifier une constellation familière mais j'ai dû y renoncer. Croyez-vous que dans cet univers parallèle il existe un équivalent de notre Terre ?
-D'après les savants, c'est probable, intervint Sheldon, mais comme il n'existe pas de synchronisme temporel, notre planète peut n'être qu'à l'ère primaire ou au contraire plus vieille de millions d'années.
-La perspective de finir vos jours sur Paal ne semble pas vous affecter outre mesure, Kan, reprit Burk.
Jess haussa philosophiquement les épaules.
-Il y a cinq ans, je devais être expédié dans une chambre de désintégration ! Le destin m'a conduit sur Psar où cette fois je devais terminer mon existence. Un nouvel hasard me mène ici. Qui sait ce que nous réserve encore l'avenir ?
-Ne me dites pas que vous renoncez à combattre, s'exclama Grégory !
-J'ai accepté une mission du Président et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour lutter contre les « Merlans ». Ce que j'ai découvert ici me renforce dans ma détermination.
-Que peut espérer une poignée d'hommes désarmés contre une organisation aussi efficace, ricana Sheldon.
-De toute façon, leur oeuvre est vouée à l'échec, trancha Kan. Une cause basée sur la haine, la violence et un racisme primaire ne peut que s'effondrer un jour. Malheureusement elle risque auparavant d'entraîner la mort de beaucoup d'innocents. C'est pourquoi il est préférable d'écraser la bête quand elle est encore au nid!
Mettant un terme à la discussion, Kan se leva et gagna sa hutte. Brit reposée par sa longue sieste n'avait aucune envie de dormir. Aussi se lova-t-elle contre Jess et n'arrêta son manège que quand elle eut obtenu ce qu'elle désirait !
CHAPITRE XIII
Kan, Brit et Grégory, escortés du groupe des chasseurs dirigé par Hark, partirent dès l'aube après avoir absorbé un morceau de viande froide. Un à un les cosmatelots se levèrent assez courbatus par leur nuit passée à la belle étoile.
Suivant les conseils de Kan, Burk essaya de faire construire des cabanes. Dépourvus de tout outil, les cosmatelots ne parvinrent qu'à arracher de petites branches. Devant le résultat pitoyable de leurs efforts, Burk prit le parti de consulter le chef du village. Le vieil Omah le reçut cérémonieusement. L'absence de Kan ne favorisait guère la conversation mais en utilisant force gestes et des dessins, il parvint à faire comprendre ce qu'il désirait. Finalement ce fut sous la conduite de deux humanoïdes primitifs que les cosmatelots se mirent au travail. Les « Paaliens » utilisaient des haches de pierre taillée pour couper les branches. Ils oeuvraient rapidement trouvant instinctivement le sens des veines du bois, ce qui permettait de le trancher plus rapidement.
A midi, les cosmatelots fourbus s'arrêtèrent et prirent un repas en commun avec les humanoïdes. Le travail les ayant rapprochés, une certaine fraternité s'ébauchait. La pause terminée, ils se remirent à la tâche avec ardeur. Soit par fatigue, soit par distraction, personne n'entendit un léger sifflement.
Cinq minutes plus tard, une dizaine de « Merlans », pistolet thermique au poing, encerclaient le village, regroupant sur la place les cosmatelots sidérés par la rapidité de l'action. Privé d'arme, Burk eut la sagesse d'ordonner la reddition.
Deux hélijets se posèrent et commencèrent à embarquer les prisonniers par groupes de dix.
Moins de deux heures plus tard, les cosmatelots et tous les humanoïdes mâles étaient regroupés sur l'esplanade du camp face au sinistre gibet où les deux cadavres étaient encore suspendus.
Delta 7 passa en revue les prisonniers avec une satisfaction non déguisée. Trois lui échappaient encore mais il avait laissé en place un piège où ils se prendraient inévitablement.
Quand l'appel fut terminé, il ordonna :
-Faites-les déshabiller et fouillez-les minutieusement. Confisquez tous les objets personnels.
Instruit par l'expérience, il ne voulait prendre aucun risque ! La fouille brutale provoqua quelques protestations aussitôt réprimées à coups de cravache.
-Ils sont encore bien nerveux, dit Delta 7 à un de ses subordonnés. Exercices physiques ininterrompus pendant quatre heures ! Ne distribuez ni eau, ni vivres jusqu'à nouvel ordre de ma part. Enfermez-les pour la nuit et deux gardiens patrouilleront en permanence. Si jamais un prisonnier manquait demain à l'appel, vous remplaceriez aussitôt une de ces charognes au gibet.
Le « Merlan » salua son supérieur et partit au pas de course distribuer ses ordres. Aussitôt les captifs furent contraints de courir au pas de gymnastique autour de la cour. Dès que l'un d'eux ralentissait, le fouet d'un gardien s'abattait sur son dos.
Satisfait, Delta 7 regagna le bâtiment pour rendre compte à Alpha 5. En maugréant, il gravit à pied six étages car le réacteur n'était toujours pas en service et toute l'énergie des générateurs de secours était réservée en priorité aux télécommunications.
Sur le seuil du bureau, il croisa l'ingénieur en chef qui avançait péniblement en titubant.
-Gamma 2 ne semble guère en forme, remarqua-t-il après avoir salué Alpha 5. Un excès de travail, sans doute?
-L'imbécile a voulu faire du zèle et est descendu lui-même dans le coeur du réacteur. Il a été tellement irradié qu'il n'a plus que quelques heures à vivre. Il venait m'annoncer que la fuite radioactive était colmatée et qu'il fallait lui désigner un remplaçant.
-Cela ne devrait pas être difficile ! Son équipe est nombreuse.
-Moins que vous le croyez ! De plus, trois autres de ses collaborateurs, également irradiés, vont crever dans les jours prochains. Quatre morts qui s'ajoutent aux sept lors de l'attaque. Le « grand maître » ne va certainement pas nous féliciter. Où en êtes-vous dans vos recherches ?
-Je venais vous annoncer que nous avons récupéré les prisonniers.
-Tous?
-Non, Kan et deux autres courent encore mais leur capture n'est plus qu'une question d'heure. La souricière ne tardera pas à fonctionner.
-Comment avez-vous procédé ?
-Delta 21 nous a puissamment aidés. Vous avez été bien inspiré de le laisser encore avec les autres. Comme vous le pensiez, il n'a pas eu la possibilité de nous prévenir de l'évasion. Il a eu un moment d'espoir quand un gardien s'est approché du groupe des fugitifs mais un cosmatelot du nom de Grégory l'a aussitôt assassiné.
-Il aura le droit à un châtiment exemplaire, promit Alpha 5.
-Il a donc suivi le groupe jusqu'à ce village indigène. Hier il n'a pu nous prévenir car naturellement il était dépourvu de communicateur radio. Heureusement pendant la nuit, il a eu l'idée d'attacher un linge à la cime d'un arbre, ce qui n'a pas manqué d'attirer l'attention du pilote de l'hélijet de reconnaissance que j'avais envoyé pour surveiller la zone forestière où devaient se terrer les fugitifs. Nous n'avons eu alors aucune peine à les encercler.
-J'espère que vous aurez autant de chance pour la capture de Kan. C'est le plus dangereux et il convient de le neutraliser rapidement. De plus, le « grand maître » tient essentiellement à ce qu'il reste en vie. Il m'a précisé qu'il désirait l'interroger personnellement lors de son prochain passage.
-Espérons qu'il nous laissera encore un jour ou deux, soupira Delta 7.
-Ne comptez guère sur plus de vingt-quatre heures ! Avant son départ, le « grand maître » ne nous a pas caché son intention de revenir très rapidement !
-Cela devrait être suffisant ! Quand désirez-vous que nous effectuions les premières représailles sur les prisonniers, reprit Delta 7 qui n'ignorait pas que son supérieur était friand de ce genre de spectacle.
Alpha 5 réfléchit un instant.
-Demain je crains de n'avoir guère le temps car nous avons une importante conférence au stade le plus élevé qui risque de se poursuivre tard dans l'après-midi. Mettez les premières exécutions à après-demain en fin de journée ! Qu'envisagez-vous comme programme ?
-Nous devons d'abord punir un humanoïde. Je pense que le chef du village qui a abrité les fugitifs est tout indiqué. C'est un vieux du nom de Omah. Sa mort frappera les esprits et de toute façon il est incapable de travailler.
-Qui d'autre parmi les terriens ?
-J'hésite entre le commandant Burk, responsable de ses hommes et un nommé Tyrel. Prisonnier depuis plusieurs mois, il a apporté à Kan des renseignements précieux et a directement participé au sabotage de notre réacteur.
-Pourquoi pas les trois, puisqu'ils sont tous coupables. Faites construire une potence supplémentaire par les captifs mais n'annoncez les noms des condamnés qu'au dernier moment. Il faut que tous craignent pour leur misérable vie jusqu'au dernier instant, cela... Aïe!...
Un gémissement de douleur interrompit la phrase d'Alpha 5. Il se pencha et écrasa un « tsers » qui venait de le mordre.
-Ces bestioles sont immondes, jura-t-il. Les équipes de désinfection ont mal travaillé et il en traîne encore quelques-unes dans l'immeuble. Espérons qu'elles auront le bon goût de ne pas attaquer le « grand maître » !
La morsure l'ayant mis de mauvaise humeur, il congédia sèchement son subordonné.
***
Les prisonniers passèrent une fort mauvaise nuit, tiraillés par la faim et la soif et surtout par la peur. Plusieurs cosmatelots interrogèrent anxieusement Burk qui ne sut que répondre. Paradoxalement ce fut Tyrel qui supporta le mieux les privations.
-J'ai eu six mois pour m'entraîner, ricana-t-il. Ce n'est pas la première fois que je reste sans manger plus de vingt-quatre heures. C'est un mauvais moment à passer mais les « Merlans » seront bien obligés de nous donner quelque chose demain, car ils ne désirent pas que nous périssions tous.
-Vont-ils exercer des représailles? chuchota Burk.
-C'est probable, Commandant. Quelques-uns d'entre nous mourront dans les jours prochains mais les autres ne doivent pas perdre espoir.
-Que voulez-vous dire ?
-Le capitaine Kan est encore en liberté et je suis persuadé qu'il trouvera un moyen de nous porter secours.
-Que peut-il faire, seul ou presque contre une base bien défendue ? Il sera certainement capturé un jour prochain.
Tyrel secoua la tête les yeux emplis d'espoir.
-Nous nous sommes conduits comme des imbéciles en omettant de placer des sentinelles autour du village. A notre place, Kan ne se serait certainement pas laissé piéger. Vous verrez, les « Merlans » ne sont pas au bout de leur peine !
La foi de Tyrel était si profonde, si poignante, que Burk n'eut pas le courage d'insister.
Dès l'aube ils furent réveillés par les cris des gardiens. Bousculés, frappés, ils furent alignés sur la place. Commença alors un long et minutieux appel qu'ils durent subir, debout, immobiles, en un garde-à-vous épuisant.
Lorsque le « Merlan » qui procédait à l'opération fut enfin satisfait, il annonça :
-Misérables vermines, déchets d'humanité, vous avez voulu abuser de notre grande bonté. Vous avez cru pouvoir vous échapper mais vous avez pu mesurer notre puissance. Normalement vous devriez être tous exécutés sur-le-champ. Toutefois, certains seront graciés s'ils se montrent dignes de notre clémence.
Après un quart d'heure de discours sur le même thème, il annonça :
-Vous allez construire une nouvelle potence que l'un de vous étrennera bientôt ! Je veux que la besogne soit achevée à midi, sinon la distribution de nourriture sera supprimée !
Les malheureux travaillèrent avec précipitation des heures durant. Seul Tyrel conservait une certaine dignité, oeuvrant lentement et seulement quand un gardien le regardait. Le commandant Burk ne tarda pas à l'imiter car il avait deviné qu'en l'absence de Kan, il serait tenu pour responsable de l'évasion même manquée.
A l'heure fixée, le gibet fut terminé mais avant de pouvoir souffler un instant, les astronautes durent dépendre et enterrer les malheureux qui se balançaient toujours au bout de leur corde.
Enfin il leur fut accordé quelques minutes de repos. Deux humanoïdes squelettiques apportèrent une vaste bassine emplie d'une eau graisseuse où nageaient çà et là quelques bribes de viande. Ne disposant ni de cuillers ni de gobelets, les prisonniers durent plonger les bras pour essayer de boire dans le creux de leurs mains. Naturellement il y eut quelques scènes de bousculades et même de disputes sous les regards ironiques des gardiens.
-Immonde, murmura Burk à l'oreille de Tyrel qui malgré sa faiblesse avait réussi à avaler un peu de ce brouet. Là encore son entraînement lui avait servi.
-Les « Merlans » sont indignes de vivre et j'ai honte de penser qu'ils sont terriens !
Le commandant n'eut pas le temps de philosopher bien longtemps. Déjà les gardiens appelaient au travail et ils conduisirent leurs prisonniers à une carrière de pierres distante d'un kilomètre environ.
Burk, épuisé, titubant, à la limite de la syncope, n'entendait plus, ne voyait plus, travaillant comme un automate. Il avait complètement perdu la notion du temps et fut presque étonné de se retrouver dans le baraquement. A dire vrai, il ne l'aurait jamais atteint vivant sans l'aide de Tyrel.
L'estomac tiraillé par des crampes, la langue sèche, il s'enfonça dans un lourd sommeil peuplé de cauchemars.
CHAPITRE XIV
Alpha 5 se hâtait dans les couloirs de l'immeuble aussi rapidement que ses courtes jambes pouvaient le remuer. Le « grand maître » avait naturellement choisi pour arriver, le jour où ii allait s'amuser un peu à regarder pendre les prisonniers. Un cafouillage dans les communications radios ne l'avait pas averti de l'atterrissage de l'astronef et il n'avait pu être présent à la descente. Maintenant ii se précipitait vers le bureau de son chef qui occupait tout le dernier étage. Heureusement depuis le matin le générateur atomique avait été remis en service et les ascenseurs fonctionnaient. Il n'osait imaginer la réaction du « grand maître » s'il avait dû grimper à pied les dix étages qui conduisaient à ses appartements.
En pénétrant dans la salle réservée aux conférences d'état-major, Alpha 5 grimaça. Plusieurs responsables étaient déjà là attendant le « grand maître ». Il n'aurait ainsi pas la possibilité de s'entretenir seul avec lui.
Bientôt tous les sièges furent occupés à l'exception d'un seul. Le « grand maître » arriva et, abrégeant les saluts, s'assit aussitôt.
-L'émetteur de « Terre Nouvelle » est resté trente-six heures sans fonctionner. Pourquoi ?
La voix était sèche, impérative. Alpha 5 sentit des rigoles de sueur lui couler sur les joues. Heureusement le casque réfléchissant empêchait les autres de deviner son état. Il se leva et d'une voix étranglée, il entreprit de résumer la révolte des prisonniers et le sabotage du générateur.
Il aurait volontiers minimisé l'incident mais il savait qu'Alpha 3 ne laisserait pas passer la moindre inexactitude. Il tenta toutefois de terminer sur une note optimiste.
-Les mutins ont été repris, à l'exception de trois, dont la capture n'est plus qu'une question de minutes. Dès aujourd'hui des châtiments exemplaires seront mis en oeuvre !
-Le capitaine Kan est-il toujours en fuite ?
Alpha 5 ne put qu'acquiescer.
-J'espère pour vous qu'il sera rapidement retrouvé. Je veux être immédiatement informé de son arrestation !
Le « grand maître » entendit ensuite les rapports de ses différents collaborateurs avant de conclure :
-La situation sur Terre se dégrade encore plus rapidement que nous l'espérions. Il est fâcheux que nos astronefs soient restés ainsi deux jours sans directives. Toutefois nous allons pouvoir les regrouper et les lancer à l'attaque de Terrania III dans le système de
Procyon. L'A 11 partira immédiatement rejoindre notre escadre.
-L'occupation d'une planète aussi importante n'est-elle pas prématurée, risqua Alpha 3.
-Nullement ! Cette planète coupée par nos soins de tout ravitaillement a déjà pratiquement fait sécession. De plus nous avons là-bas des partisans très actifs.
-Nos astronefs peuvent neutraliser toutes les torpilles mais il n'en est pas de même des désintégrateurs lourds qu'utilise la défense terrestre. Ne risquent-ils pas de nous causer des pertes sensibles ?
-Le commandant des forces de Terrania III est rallié à notre cause. Non seulement il ne combattra pas nos astronefs mais il nous aidera à rétablir l'ordre. Alpha 2 est déjà sur place pour coordonner la marche des forces d'invasion. Je compte beaucoup sur le choc psychologique créé par la perte de Terrania III pour achever de désorganiser la Terre. Ce sont les populations qui souhaiteront notre venue pour rétablir enfin l'ordre, notre ordre !
Après un instant de silence le « grand maître » ajouta :
-Messieurs, dans moins de six mois, l'Union Terrienne sera en notre pouvoir et commencera pour des millénaires le règne de la race des seigneurs !
Satisfait, il se retira sous les acclamations de ses partisans. Dans son bureau personnel, il verrouilla électriquement toutes les entrées et retira son casque. Encore quelques semaines de patience et il pourrait supprimer cet accoutrement ridicule destiné seulement à frapper les imaginations et à protéger l'incognito des membres de la confrérie. Grâce à cette précaution, la police n'avait jamais soupçonné qu'elle avait affaire à des terriens et non à une mystérieuse race extragalactique !
***
Les prisonniers étaient alignés sur l'esplanade depuis plus d'une heure lorsqu'Alpha 5 arriva, escorté de Delta 7.
-Vous méritez tous la mort, dit-il mais dans notre grande clémence, nous avons décidé de ne punir pour l'instant que trois d'entre vous.
Lentement il passa une première inspection avant de désigner le vieil Omah. Aussitôt deux gardiens se jetèrent sur lui, attachèrent ses poignets derrière le dos et le traînèrent sous une potence.
Alpha 5 se remit en marche, toisant chaque cosmatelot. Son plaisir était de voir la peur dans les regards. Il avisa un homme dont le visage couvert de sueur trahissait l'angoisse. Pour s'amuser, il le désigna aux gardiens. L'astronaute tenta de se débattre, hurlant :
-Non, non, pas moi... Je ne voulais pas m'enfuir... Je n'ai fait qu'obéir aux ordres... Pitié...
Il tomba à genoux, suppliant, et se traîna ainsi vers son bourreau. Alpha 5 le repoussa d'un coup de pied et désigna Tyrel. Avec dépit il constata que le jeune lieutenant conservait toute sa dignité. Rageusement il fit immédiatement appréhender le commandant Burk.
Lorsque les trois hommes furent placés sous leurs potences respectives, Alpha 5 s'avança :
-Avez-vous quelque chose à dire avant votre exécution ?
Burk intervint d'une voix étonnamment forte.
-Nous sommes des soldats, prisonniers de guerre ! Nous exigeons d'être traités selon les lois en vigueur, et...
Un éclat de rire coupa la phrase du malheureux commandant.
-Taisez-vous, vermine ! C'est nous qui, désormais, faisons les lois ! Nous n'avons pas à respecter vos codes de dégénérés !
Tyrel s'écria alors :
-Vous pouvez nous assassiner mais je suis persuadé que le capitaine Kan nous vengera !
-Ce bandit ne tardera pas à se balancer à cette même corde, ricana Alpha 5.
A ce moment un appel radio parvint à Delta 7. Sortant son communicateur de sa poche, il bascula l'interrupteur :
-Delta 21 appelle Delta 7 ! dit une voix lointaine.
-Delta 7 écoute.
-Je tiens sous la menace de mon arme Kan et ses complices. Envoyez-moi d'urgence un hélijet.
-Excellent, jubila Delta 7. Dans dix minutes l'appareil sera sur place. Amenez directement les prisonniers au camp !
Alpha 5 qui avait entendu la nouvelle exulta :
-Félicitations ! Le « grand maître » sera satisfait. Attendons l'arrivée de ce Kan. Je veux qu'il assiste à la pendaison de ses amis !
Il se retourna et apostropha Tyrel.
-Pensez-vous toujours que ce pirate puisse vous aider ?
Malgré le tragique de la situation, le lieutenant refusa de céder au désespoir.
-Je me souviens avoir vu le capitaine, des menottes magnétiques aux poignets et surveillé sans cesse par un policier. Celui-ci est mort et Kan toujours en vie ! Lorsqu'il le voudra, il vous écrasera comme des cloportes que vous êtes !
Furieux, Alpha 5 gifla son prisonnier à toute volée. Le nez et la bouche ensanglantée, Tyrel reprit cependant :
-Profitez-en, car vous n'avez plus longtemps à vivre !
Renonçant à convaincre son interlocuteur, Alpha 5 recula d'un pas. Il sortit sa propre radio et appela Alpha 3.
-Delta 21 a capturé Kan, vous pouvez l'annoncer au « grand maître ».
-Parfait, je l'avertis immédiatement. Cette fois, surveillez-le continuellement, car une nouvelle évasion vous coûterait votre poste !
Alpha 5 marcha de long en large pour calmer son impatience. Un coup d'oeil à sa montre lui apprit que vingt-cinq minutes s'étaient écoulées depuis l'appel de
Delta 21. Il lança un regard sur l'humanoïde qui immobile attendait son sort avec résignation. Il se demanda s'il n'allait pas le faire exécuter immédiatement pour occuper le temps. « Non, songea-t-il, je veux les voir gigoter tous les trois ensemble au bout de leur corde. Pour savourer le spectacle, je dois avoir l'esprit en repos. »
Trente-cinq minutes ! Alpha 5 devenait de plus en plus nerveux. Un filet de sueur coula sur son dos à l'idée que Kan pouvait s'être échappé à nouveau. Il aurait dû attendre avant de faire avertir le « grand maître ». Le sifflement de la turbine d'un hélijet le soulagea. Ce fut comme si on lui ôtait un grand poids de la poitrine. L'appareil survola rapidement le camp et alla effectuer un virage presque au-dessus du bâtiment principal.
Tyrel suivait aussi l'évolution de l'hélijet. Jusqu'au dernier instant, il avait conservé l'espoir, mais maintenant il devait se rendre à l'évidence. Pour courageux qu'il fût, Kan n'était qu'un homme et ne pouvait accomplir des miracles. Le lieutenant sentit deux larmes lui brouiller la vue. Aussi crut-il à une illusion d'optique quand brusquement un éclair jaillit de l'hélijet et frappa la tour de contrôle qui se volatilisa. Immédiatement après un second éclair atteignit le bâtiment principal !
CHAPITRE XV
Après une demi-journée de marche, Hark ordonna une pause. La matinée avait été assez décevante. Les chasseurs n'avaient aperçu qu'une sorte d'antilope, mais hors de portée des longues sarbacanes qui projetaient des fléchettes enduites d'une substance analogue au curare.
-Le temple est-il encore loin ? demanda Kan.
-Nous y serons bien avant le coucher du soleil. Je me suis écarté du chemin espérant trouver du gibier mais les Dieux ne nous ont pas été favorables.
Soudain il s'interrompit, humant l'air. D'un geste impérieux, il ordonna le silence puis se glissa dans un fourré suivi de Kan. Après quelques minutes de marche silencieuse, il s'aplatit sur le sol. Péniblement Kan arriva à sa hauteur. Hark lui désigna du doigt une silhouette entre les troncs. C'était un énorme pachyderme ressemblant vaguement à un mammouth terrestre.
-Un « Frag », chuchota Hark. Si nous parvenions à l'approcher, nous aurions une provision de viande pour plusieurs semaines.
-Comment pouvez-vous le tuer, s'étonna Jess. Vos fléchettes ne doivent pas pouvoir percer son cuir épais.
-Il faut viser l'oeil, c'est le seul point sensible.
Kan admira le courage de ces humanoïdes qui n'hésitaient pas à attaquer un pareil mastodonte. L'animal ne semblait pas particulièrement affectueux et donnait une impression de force brutale.
-Attention, je crains qu'il nous ait éventés, dit Hark.
Effectivement le monstre agita la tête, poussa un barrissement qui résonna longuement dans le sous-bois et il avança d'une dizaine de mètres, déracinant un arbre sur son passage.
Bravement Hark leva son arme primitive.
-Fuyez, conseilla-t-il à Jess. Moi, je dois attendre qu'il soit tout proche pour lancer ma flèche.
Kan secoua la tête et désigna le cube métallique suspendu à son cou.
-Laisse-moi t'aider, dit-il.
Il n'eut pas le temps de donner plus d'explication car l'animal chargeait à une vitesse extraordinaire pour son poids. L'onde tétanigène jaillit à pleine puissance, foudroyant le monstre. Entraîné par son élan, il s'écroula dans un bruit de branches brisées.
Jess s'essuya le front car, un instant, il avait craint que la puissance fût insuffisante pour arrêter une pareille masse. D'abord sidéré par la chute brutale de l'animal, Hark poussa ensuite un cri de joie et appela tous les autres chasseurs.
Rapidement ils s'approchèrent de la bête et entreprirent de la dépecer.
-Je me demande, sourit Grégory, comment ils vont la transporter. Elle doit peser près de deux tonnes.
-D'après ce que m'a expliqué Hark, ils découpent la viande sur place et la fument. Ce n'est qu'ultérieurement qu'elle sera amenée au village.
-Ils en ont pour plusieurs jours! Allons-nous devoir attendre ici ?
Hark s'approcha l'air radieux.
-C'est le plus gros « Frag » que nous ayons jamais vu ! Dès notre retour au village, nous organiserons un grand festin.
-Peux-tu laisser tes compagnons travailler et m'accompagner jusqu'au temple ?
-C'est facile ! Nous avancerons beaucoup plus vite puisque nous n'avons plus le souci de la chasse.
La petite colonne se remit aussitôt en route. Hark ouvrait le chemin, suivi de Brit et Jess, tandis que Grégory fermait la marche. Ils avancèrent ainsi une bonne heure. Soudain Grégory poussa un juron. Ayant trébuché sur un rocher, il était tombé à genoux. Machinalement il voulut s'accrocher à une liane pendant d'un arbre.
Kan qui s'était retourné, hurla soudain :
-Attention, couche-toi !
Avec une rapidité fulgurante, il dégaina son pistolet thermique et fit feu.
Les réflexes de Grégory avaient joué aussitôt et il s'était aplati sur le sol. Il sentit cependant le jet lui roussir les cheveux. Quand il se retourna, il vit au-dessus de lui un immonde grouillement se rétracter dans les flammes.
-Qu'est-il arrivé ? demanda-t-il en se relevant, très pâle.
Hark qui était revenu sur ses pas, marmonna :
-« Camar », très dangereux ! Habituellement ils se tiennent beaucoup plus loin dans la forêt.
-Quelle est cette saleté, Capitaine ? A voir la tête de Hark vous venez de me sauver la vie !
-Ce que tu prenais pour une liane était en réalité une patte d'une sorte de pieuvre végétale. Elles parasitent les arbres et attendent des proies animales. Leurs membres sont garnis de piquants vénéneux qui paralysent rapidement leurs victimes.
Interloqué, Grégory demanda :
-Comment connaissiez-vous ces bestioles ?
-Hark m'avait averti, éluda Kan, maintenant reprenons notre marche.
Le cosmatelot secoua la tête, peu satisfait de l'explication mais il ajouta :
-De toute façon, merci, Capitaine !
Peu après ils parvinrent aux ruines du temple. C'était un bien grand mot pour désigner une assise de pierres de quinze mètres de long sur dix de large, surmontée de quelques colonnes. Des poutres calcinées étaient effondrées et la végétation commençait déjà à recouvrir l'ensemble.
-Je me demande pourquoi ces pierres vous intéressent tellement, dit Grégory en s'asseyant sur une colonne renversée.
Sans répondre, Kan fit lentement le tour des ruines, les sourcils froncés, puis il grimpa sur la plate-forme, repoussant les végétaux, rejetant quelques rochers.
Après un quart d'heure de labeur, il appela Grégory.
-Viens m'aider, je n'arrive pas à remuer cette poutre.
Bien que ne comprenant pas l'utilité de ces efforts, le cosmatelot n'hésita pas un instant. Grâce à sa force peu commune, le travail avança rapidement. Bientôt une surface d'une dizaine de mètres carrés fut dégagée.
Kan s'interrompit, réfléchit un moment, puis se mit à cogner sur les dalles de pierre. L'une d'elles rendit enfin un son différent. Avec son couteau, il nettoya le pourtour mais l'interstice était trop étroit pour pouvoir y engager la main.
-Elle doit pourtant se soulever, grogna Jess.
-Prêtez-moi votre couteau, Capitaine. Je vais tailler des coins de bois.
Il reparut cinq minutes plus tard avec plusieurs branches. Le premier essai fut infructueux mais Grégory persévéra et réussit à engager une cale sous la pierre. L'espace libéré lui permit d'y glisser les doigts. En un dernier effort, il souleva la dalle découvrant un trou noir.
Kan sortit de sa poche une torche électrique et éclaira l'excavation. C'était une petite cave creusée en partie dans le roc, profonde de deux mètres et s'étendant sur quelques mètres carrés.
-Le coffre-fort du grand prêtre, ricana Grégory.
-Visitons-le, dit Kan en sautant dans le trou sans hésiter.
Dans un angle, des peaux de bêtes entouraient une sorte de caisse. Jess la saisit et malgré son poids la souleva. Aidé de Grégory, il la hissa hors de la cave. Le cosmatelot se pencha, tendit la main au capitaine et sans effort apparent le sortit de l'excavation.
-Voyons ce que pouvait dissimuler ce brave prêtre, dit Grégory en souriant. Peut-être cachait-il là les produits des quêtes et sommes-nous en train de nous transformer en pilleurs de troncs d'église ?
Kan examina un moment le coffre de bois grossièrement taillé. Sur une face quelques dessins avaient été gravés.
-On dirait un astronef stylisé, commenta Grégory. Pourtant d'après ce que vous a dit Hark, il était mort avant l'arrivée des « Merlans ».
Avec son couteau, Jess fit sauter les attaches qui tenaient lieu de serrures et souleva le couvercle. Grégory poussa une exclamation sourde.
-Par le Dieu du Cosmos, jura-t-il, un désintégrateur lourd !
Kan sortit vivement un long tube, son support et une petite caisse contenant les réserves d'énergie. Un coup d'oeil sur le cadran lui apprit qu'elles étaient intactes. Tapotant le tube, il s'écria :
-Voilà de quoi étriller les « Merlans ». Ils ne s'attendent pas à la surprise que je leur réserve. Nous pouvons maintenant regagner notre camp.
Machinalement Grégory saisit le lourd tube tandis que Jess portait la caissette. Hark surpris de les voir ainsi chargés voulut les aider mais le capitaine lui fit signe de se mettre en route. A la tombée de la nuit, ils arrivèrent au campement où les chasseurs continuaient à dépecer le « Frag ».
Ils avaient allumé un grand feu d'où s'élevait une forte odeur de grillade. Les astronautes s'assirent sur le sol et aussitôt un guerrier s'avança vers Kan, tenant un gros morceau de viande enfilé sur une baguette.
-Ils vous font hommage du trophée de l'animal, expliqua Hark. Ils vous ont donc réservé le meilleur morceau, la trompe.
Kan saisit la baguette et mordit à même le rôti. Comme il l'avait craint, la viande était filandreuse et particulièrement ferme. Toutefois n'ayant rien pris depuis le matin, il fut content d'absorber une nourriture solide. Grégory comme toujours fit honneur au repas, ce qui lui attira la sympathie des humanoïdes.
L'estomac plein, Brit s'allongea contre Kan et s'endormit. Jess resta un long moment à regarder le feu qui mourait, essayant de combiner un plan d'attaque. La possession d'un désintégrateur lourd était un élément important mais non décisif car Jess n'ignorait pas que les réserves énergétiques ne permettraient qu'une utilisation très limitée. Grégory s'avança et resta un instant à se dandiner d'un pied sur l'autre.
-Tu ne dors pas? demanda Jess. Tu as l'air préoccupé.
-Effectivement, Capitaine. Je sais que vous êtes infiniment plus perspicace que moi, mais la découverte de ce désintégrateur ne peut être le fruit du hasard. Nous sommes perdus sur une planète d'un univers parallèle au nôtre et pourtant vous avez insisté pour visiter ce temple détruit comme si vous saviez ce qu'il cachait.
-C'est exact, Grégory mais il serait trop long de te donner les explications nécessaires. Contente-toi de me faire confiance. Plus tard, tu apprendras toute la vérité !
Le cosmatelot, soulagé, acquiesça, avec un gros rire.
-Vous savez Capitaine que je vous suivrais à travers n'importe quelle galaxie, même parallèle !
Kan attendit que tous ses amis fussent endormis puis il ôta doucement le médaillon que Brit portait toujours à son cou. Il appliqua la plaque sur son front et s'efforça de se concentrer. Presque immédiatement il fut en contact avec l'esprit de Nooz. La pensée était lointaine, mais parfaitement perceptible.
-Bonjour ami. Je suis heureux d'avoir de tes nouvelles. Lorsque j'ai appris que votre astronef avait été capturé par vos ennemis j'ai craint pour ta vie.
Jess résuma brièvement ses démêlés avec les « Merlans », sans rien dissimuler de ses découvertes.-Les terriens sont de curieuses créatures, émit Nooz. Pourquoi ne te ressemblent-ils donc pas tous?
-La vie serait trop monotone ! ironisa le capitaine et quoi que tu en penses, moi aussi j'ai beaucoup de défauts !
-Je préfère cependant t'avoir rencontré sur Psar plutôt qu'un de tes compatriotes. Abrégeons, cependant, car je crains que ces échanges psychiques t'épuisent. As-tu besoin de mon aide ?
-Je suis dépourvu de moyens de transmission. Il faudrait que tu puisses contacter un certain capitaine Boris. Son astronef doit orbiter dans ton système solaire depuis plusieurs jours. Connais-tu les émetteurs terriens ?
-Nous avons appris à émettre des signaux radioélectriques dans vos gammes de fréquence.
-Parfait ! utilise le canal 357. Voici le message que tu devras transmettre de ma part...
CHAPITRE XVI
Il était environ trois heures de l'après-midi quand la colonne arriva à proximité du village. Chaque chasseur portait un lourd quartier de viande. Deux guerriers seulement étaient restés près du cadavre du « Frag » pour le protéger contre les fauves en attendant la venue de tous les hommes pour achever le transport de la viande. Soudain Hark s'arrêta, inquiet.
-Que se passe-t-il ? interrogea Kan.
-Je l'ignore mais j'ai l'impression qu'il se déroule quelque chose d'anormal dans le village.
Jess se tourna vers Grégory.
-Laisse le désintégrateur, nous allons effectuer une reconnaissance.
Ils se glissèrent lentement entre les herbes jusqu'aux premières huttes ! Tout était étrangement calme. Leurs armes à la main ils atteignirent la place sans rencontrer âme qui vive. A ce moment Sheldon se précipita vers eux en agitant les mains.
-Capitaine, c'est effrayant ! Les « Merlans » nous ont surpris peu après votre départ. Ils ont encerclé le village et ont emmené tous les hommes valides.
-Comment leur avez-vous échappé ?
-Par chance, j'étais un peu à l'écart quand ils ont déclenché leur attaque. Je me suis aussitôt caché dans un arbre d'où j'ai pu les observer. Ils ont fait venir deux hélijets et ont embarqué leurs prisonniers par petits groupes.
Kan réfléchit rapidement tandis que Hark s'entretenait avec quelques femmes qui osaient enfin sortir de leurs huttes.
-Avez-vous trouvé quelque chose d'intéressant dans la jungle? demanda Sheldon.
Avant que Grégory ouvre la bouche, Kan lança :
-Nous avons de la viande pour plusieurs semaines.
Sheldon grimaça un sourire et sortit vivement de sa poche un pistolet thermique qu'il dirigea sur Brit.
-Pas un geste, Kan, ou je la tue. Conseillez également à votre gorille de rester tranquille !
Jess s'immobilisa, le regard brillant.
-Maintenant, reprit Sheldon, mettez lentement vos mains sur la tête et ne touchez pas à ce cube. J'ignore ce qu'il contient mais je ne veux prendre aucun risque.
-Vous commettez une grave erreur en menaçant Brit, articula Kan, d'une voix glacée. Je ne pardonne jamais ce genre de lâcheté !
-Inutile de bluffer, ricana Sheldon. Dans quelques minutes vous serez à nouveau bouclé.
De sa main libre il saisit un communicateur radio qu'il approcha de sa bouche sans quitter ses prisonniers du regard.
-Delta 21 appelle Delta 7.
-Delta 7 écoute.
La communication terminée, Sheldon rangea sa radio.
-Vous avez entendu ! Dans dix minutes, mes amis arriveront à la rescousse. D'ici là je vous conseille de rester sage si vous tenez à la vie de votre femme.
Un discret sourire étira les lèvres de Jess.
-C'est bien joué, Sheldon. Je pensais qu'il y avait un traître à bord du « Sirius » mais je n'étais pas certain de votre culpabilité. Naturellement c'est vous qui au retour de Psar avez averti l'astronef qui a tenté de nous intercepter. N'avez-vous pas eu peur quand il nous a expédiés les torpilles ?
-C'était un risque calculé. L'écran protecteur du « Sirius » pouvait encaisser deux projectiles, ce qui aurait épuisé les réserves énergétiques. Normalement le commandant aurait ensuite capitulé.
-C'est également vous qui avez profité de la période où vous étiez seul aux commandes pour laisser arraisonner le Sirius ?
-J'avais débranché les détecteurs. Ainsi mes amis ont pu s'emparer du vaisseau sans incident.
Grégory intervint d'un ton rogue.
-C'est donc également vous qui avez toussé pour attirer l'attention du garde lors de notre évasion.
-J'espérais qu'il donnerait aussitôt l'alarme mais vous l'avez assassiné avant qu'il puisse crier. Vous aurez à répondre de ce crime et ne tarderez pas à vous balancer au bout d'une corde.
-Depuis combien de temps trahissez-vous? demanda Jess.
-Il y a six mois que j'ai rallié la grande cause ! Dans moins d'un an nous serons les maîtres du monde mais vous ne serez plus en vie pour assister à notre triomphe !
Le sifflement d'un hélijet fut bientôt perceptible. L'appareil survola la clairière. Satisfait de la scène qu'il observait, le garde commandant le détachement ordonna au pilote de se poser à une dizaine de mètres du groupe. Il sauta à terre suivi de trois hommes, le pilote seul restant aux commandes.
-Félicitations, Delta 21, s'écria-t-il. Nous allons embarquer ces dégénérés !
Sheldon commit alors la faute qu'espérait Kan. Rassuré par la présence de ses amis, il abaissa son arme. Aussitôt Jess le paralysa d'une décharge tétanigène. Avant que les gardiens, sûrs de leur force, comprennent que l'immobilité de Sheldon n'était pas naturelle, Kan se tourna vers eux et ordonna mentalement un tir à pleine puissance. Fauchés dans leur élan, les trois hommes s'écroulèrent.
Grégory baissa les bras et s'essuya le front couvert de sueur.
-Pourquoi n'avez-vous pas agi plus tôt ? souffla le cosmatelot. J'avoue avoir eu une belle frousse, car je ne me souvenais plus comment vous commandiez votre paralyseur.
-Sheldon avait le doigt sur la détente de son pistolet, expliqua Jess. Au membre supérieur, les muscles fléchisseurs sont plus puissants que les extenseurs et une paralysie brutale aurait pu entraîner une crispation de son index. J'ai dû attendre qu'il détourne son arme de Brit. Occupe-toi de lui car il n'est qu'engourdi. Les autres doivent être morts car j'ai utilisé la puissance maximale pour être certain d'atteindre également le pilote.
Hark accourut et vint aider Jess à sortir le corps de l'hélijet et à le traîner auprès des autres.
-Ramasse les pistolets thermiques, conseilla Kan, et distribue-les à quatre guerriers courageux, nous aurons besoin de leur aide pour délivrer Omah et tes camarades.
Hark approuva aussitôt et Jess lui montra rapidement comment ôter le cran de sécurité et viser. Puis il retourna vers Sheldon.
-Il se réveille déjà, annonça Grégory. Qu'allons-nous faire de lui ?
-Je veux qu'il réponde à quelques questions !
Le lieutenant secoua la tête.
-Jamais je ne parlerai, articula-t-il péniblement les mâchoires encore crispées par la paralysie. Dans vingt minutes au plus tard mes chefs se préoccuperont de notre silence et enverront des renforts. Malgré vos astuces diaboliques, vous ne pourrez pas anéantir toute une garnison !
Grégory saisit Sheldon par sa combinaison et le secoua en hurlant :
-Je me charge de te rendre loquace !
A l'instant où il allait balancer une gifle monumentale, Kan l'arrêta.
-Nous ne disposons que de quelques minutes. Va récupérer le désintégrateur pendant que j'interroge Sheldon. Mon paralyseur sera plus efficace que tes poings.
Grégory lâcha à regret le lieutenant et partit au pas de course. Froidement, Kan approcha le cube des jambes de Sheldon. L'onde tétanigène le frappa à puissance faible, occasionnant d'insupportables crampes.
Sheldon gémit, puis hurla. Moins d'une minute plus tard, couvert de sueurs aigrelettes, il capitula :
-Que voulez-vous savoir? haleta-t-il.
-Avez-vous déjà piloté un de vos vaisseaux ?
-Oui!
-Comment s'effectue le passage vers cette planète ?
-Je l'ignore ! Les commandants de bord ont ordre de gagner le système des « Entamebs ». Là il faut prendre une vitesse proche de celle de la lumière et appuyer sur un bouton surmontant une boîte noire montée sur tous nos astronefs. Nous émergeons à proximité de cette planète.
-N'avez-vous jamais eu la curiosité d'ouvrir une de ces boîtes ?
-C'est impossible ! Elles sont verrouillées et piégées. Seul un initié de la classe Alpha peut y avoir accès.
Kan hocha la tête et se contenta de murmurer :
-Astucieux comme système. Comment vous protégez-vous des torpilles atomiques ?