XI
Le soir ce fut pire. Ils devaient éviter de se déplacer trop rapidement sinon ils frisaient le malaise, eux aussi. Vasor avait été redressé pour pouvoir respirer plus facilement. La position assise lui était pénible mais pas moyen de l'aider autrement.
Marda eut une crise de nerfs et il fallut lui donner un calmant puissant qui l'endormit.
Halloy prit Jon à part :
- Vous avez une idée de ce qui se passe ?
- Vous connaissez mieux Pogra 2 que moi. Je suppose qu'on était auparavant dans une zone de hautes pressions, c'est pourquoi on n'a ressenti aucun des symptômes dont Fater avait parlé. On respirait pratiquement normalement, en atmosphère standard. En fait ça devait être une situation anormale... Comme maintenant, d'ailleurs, dans l'autre extrême. Du moins je l'espère.
- Il faut prendre une décision.
- Laquelle ? La situation n'a pas changé. La radio n'a rien révélé, les Taves ne se sont pas montrés. On est au point mort.
- Les passagers ne vont pas tenir le coup.
Jon fit une petite grimace.
- Ils vont s'habituer. Il faut se baigner plus souvent mais éviter de nager et de faire des efforts inutiles. Je sais que ce n'est pas marrant mais il faut garder son calme. Tant qu'il y a de l'air on peut respirer. Et l'air ne manquera pas. Il est plus rare mais suffisant pour survivre.
- Pour un homme comme vous, peut-être, mais...
- Quoi, un homme comme moi. Vous pensez que la Spatiale ne recrute que des surhommes ? Merde, laissez tomber ces conneries ! Tout le monde subit la même chose et tout le monde peut se contrôler.
Halloy le fixa.
- Là vous êtes injuste... et je crois que vous le savez.
Jon eut un geste de colère de la main.
- Bon Dieu... Bon, d'accord, mettons qu'on est limite. Vous avez quelque chose à proposer ?
- Le sark. Son système de climatisation doit nous donner de l'air à une pression normale.
- Bien sûr, qu'est-ce que vous croyez, j'y ai pensé aussi. Mais si on s'y enferme, l'ambiance va être invivable. Et il faudrait garder ça pour plus tard... Et puis si on ne tente pas de s'accoutumer, on ne pourra plus sortir. Pas même pour se baigner, et ça c'est vital.
Le convoyeur ne répondit pas. Au bout d'un moment il s'éloigna. Jon dut se forcer pour aller inspecter ses pièges. Pourtant il renonça à visiter ceux qu'il avait creusés loin de la rivière.
Chargé de trois bêtes il rentra épuisé et dut se reposer avant de faire cuire deux d'entre elles.
La nuit fut terrible. Il faisait très chaud et pas le moindre courant d'air ne soufflait dans les failles. La pression barométrique dut descendre encore parce que Brita et Kreis eurent des malaises à leur tour.
Tous dormirent adossés aux rochers, les jambes tendues... Au matin personne ne bougea pour préparer à manger. Personne n'avait faim.
Plusieurs heures après le lever du soleil Jorgul se glissa jusqu'à Halloy.
- On va crever ici... Une connerie, votre idée... Il faut partir.
Il s'exprimait lentement pour conserver ses forces.
Le convoyeur ferma les yeux. Puis répondit d'une voix lasse :
- Partir où ?
- Votre putain de relais... là-bas on respirera.
- On y trouvera peut-être les Taves, vous y avez pensé ?
- De toute façon, crever ici ou ailleurs... et puis ils nous épargneront si...
Halloy secoua la tête. Il était à bout, lui aussi. Plus la force morale de réfléchir. Il regarda autour de lui et aperçut Jon, assis plus loin, le visage fermé, près de Fater.
- Venez, dit-il en arrivant péniblement près d'eux, on va discuter dans le sark.
Ils le suivirent lentement et allèrent machinalement s'installer dans le poste. Bel était de garde à la radio, pâle. Halloy mit le contact général et sélectionna la fermeture de la porte de la cabine puis il brancha la pressurisation.
L'air arriva tout de suite. Chaud, tellement chaud, mais c'était de l'air et ils jouirent du plaisir de respirer normalement.
Après quelques minutes Halloy se redressa :
- On ne peut pas rester. Jorgul m'a demandé d'aller au relais et les autres vont l'imiter.
Bel ne dit rien. Il assistait par hasard à ce conseil et en était conscient. Fater changea de position sur son siège mais ne fit aucun commentaire.
- Le relais c'est de la folie. Mais on peut essayer d'aller ailleurs. S'il y a une dépression ici il y a forcément une zone de haute pression plus loin. La difficulté c'est de trouver où. S'il n'y avait pas le problème de l'eau on pourrait aller vers l'est. Et pour trouver du gibier, il faut rester près de la rivière.
- Alors suivons-la vers sa source par exemple.
- Surtout pas de ce côté. Elle se trouve forcément à un niveau plus élevé pour que l'eau coule. Plus on montera plus on respirera mal.
- Alors de l'autre côté.
Jon se mordit légèrement les lèvres.
- Là c'est le risque de tomber sur les Taves.
- Qu'est-ce que vous voulez, alors ? Il faut bien trouver une solution. Vasor ne tiendra pas une journée de plus. Et si on le met ici, les autres voudront venir aussi. Il faut partir.
Jon s'en rendait bien compte et enrageait que les circonstances favorisent encore les Taves. Si la chance était aussi dans leur camp... Il redressa les épaules, essayant de se détendre. Mal partout.
- Bon, d'accord. Mais il va falloir avancer avec prudence et ça n'ira pas vite.
Personne n'ajouta un mot. Fater n'avait pas ouvert la bouche mais était visiblement de l'avis de son convoyeur.
En apprenant qu'ils allaient pouvoir respirer dans le sark, les autres trouvèrent la force de ramasser tout le matériel et les vivres en train de sécher au soleil, avant d'embarquer.
Fater manquera doucement pour quitter la faille et le sark se mit en route. Il avait sélectionné la détection minimale. Ça suffirait pour déceler un engin en route à plusieurs kilomètres sans révéler leur présence. Les autres n'étaient peut-être pas aussi prudents.
La chaleur était écrasante, dans la cabine, et les passagers n'en avaient plus l'habitude, depuis dix jours qu'ils vivaient dehors, se rafraîchissant dans la rivière plusieurs fois par heure. On avait rempli tous les récipients mais ça ne tiendrait pas longtemps.
Fater se guidait sur la rivière qu'il suivait de loin. Au milieu de l'après-midi ils stoppèrent, allèrent se baigner et reconstituèrent les provisions d'eau. Ils continuèrent toute la nuit. La rivière s'élargissait. Au jour ils s'arrêtèrent encore. Les rives étaient couvertes de buissons fournis mais une bande de sable permettait d'accéder à l'eau, juste avant un nouveau coude. Le terrain, sur l'autre rive, était vallonné.
Corsine aida Marda à marcher jusqu'à la rivière. Les autres la dépassèrent pour s'y jeter. Ils revivaient ! Peu à peu ils se dispersèrent. Jon alla d'abord en amont et but longuement avant de s'immerger à plusieurs reprises. Le bain était merveilleux mais c'était encore meilleur la tête sous la surface...
Au bout d'un moment il revint au bord, regardant autour de lui. Halloy et Fater s'occupaient de Vasor à qui ils faisaient prendre un bain en évitant de mettre sa plaie dans l'eau. Jon n'était pas sûr que ce soit une mène idée mais ne dit rien.
Il s'éloigna lentement le long du bord, vers le Sud-Ouest. Trois cents mètres plus loin il tomba sur Ker qui se baignait seule. Elle n'avait gardé qu'une culotte légère et faisait la planche dans trente centimètres d'eau à peine. Il allait partir quand elle tourna la tête et le vit.
Aussitôt elle donna un coup de reins pour passer sur le ventre et eut un rire gêné.
- J'avais envie d'un vrai bain... Oh ! et puis je suis vraiment bête avec mes pudeurs de gamine. Vous n'allez sûrement pas me sauter dessus, n'est-ce pas ?
C'est lui qui était le plus gêné. Il ne savait que répondre et se dandinant d'un pied sur l'autre. Elle s'en aperçut et fut visiblement ravie. Il lui en voulait toujours d'être aussi à l'aise devant lui, quand il était pris au dépourvu.
- Allons, Jon, ne faites pas la tête. Vous êtes adorable mais je n'aime pas vous savoir malheureux.
C'était la première fois qu'elle lui parlait de cette façon depuis leur conversation de l'arrivée au promontoire. Pendant les dix jours passés là-bas elle s'était comportée avec amitié mais sans ajouter une note personnelle à leurs relations. Peut-être parce que Bel était souvent avec eux ? Ils dormaient tous les trois dans la même faille et mangeaient ensemble, formant un clan à part. Il y avait d'ailleurs eu des sourires.
- Vous en tout cas vous n'êtes pas prudente. Je vous ai dit qu'il y avait des sortes de serpents et vous vous baladez ici, seule et sans arme.
- Les serpents et les femmes font bon ménage, c'est bien connu.
Elle s'amusait de lui et il se sentait de plus en plus idiot. Il devait passer à ses yeux pour une espèce de voyeur et ça ne lui plaisait pas. La mauvaise humeur montait et, par provocation, il commença à déboucler son ceinturon et enleva sa demi-combinaison supérieure.
Il se dirigeait vers l'eau quand il y eut un hurlement quelque part à gauche, suivi d'une rafale de sonique. Tout sembla se figer pendant une seconde. Puis, comme un film qui repart, l'action démarra.
Jon fonça au moment où les coups de soniques reprenaient. Il arriva en bolide et plongea vers Ker qui se relevait. Il l'attrapa par le bras et la précipita dans l'eau. Puis il se coucha sur elle !
Ça claquait de plus en plus fort du côté du sark. Quelqu'un tirait systématiquement en rafales. Les autres coups se succédaient rapidement mais détachés. Le cerveau de Jon enregistrait tout cela, essayant de deviner ce qui se passait.
Puis il prit conscience de leur position. Il sentait les seins de Ker sur sa propre poitrine nue. Il avait la bouche près de sa joue et l'odeur de ses cheveux mouillés lui parvenait. Elle l'avait entouré de ses bras, s'accrochant à lui pour garder le visage hors de l'eau.
Il dut faire un effort pour quitter le contact de sa joue et tourner la tête. C'est ainsi qu'il vit les buissons bouger, sur l'autre rive...
Il réagit immédiatement. Reprenant le poignet de Ker il se releva d'un coup de reins et la traîna derrière lui vers ses vêtements.
- Planquez-vous derrière les buissons, eut-il le temps de jeter pendant qu'il saisissait son ceinturon de la main gauche, sortait son sonique de poing et roulait sur le côté.
Dans le même mouvement il amenait son bras dans le prolongement de son corps et ouvrait le feu vers les buissons en face.
Il n'y eut pas de riposte et il en profita pour rejoindre la jeune fille. Elle était très pâle mais semblait calme.
- Vous ne bougez pas d'ici avant que je revienne vous chercher. Et n'allez pas toucher à vos vêtements non plus, compris ?
Elle hocha la tête. Il la regarda un instant et s'éloigna, courbé à demi, vers la droite, s'éloignant du combat. Plus loin il se redressa et cavala comme un fou. Quand il s'estima assez loin il se jeta à l'eau et traversa la rivière.
Ça pétait toujours autant, vers le sark. Ils avaient été pris au dépourvu... Au début il avait espéré qu'il s'agissait d'un animal. Mais il y avait eu trop de coups. Les Taves étaient là !
De l'autre côté il fixa le ceinturon à sa taille, revint sur ses pas, courant d'abord puis à nouveau courbé. Il savait qu'il formait une belle cible pour un tireur moyen mais il fallait faire vite.
A la hauteur de Ker, toujours dissimulée, il tomba sur un corps. Le gars avait encaissé en pleine tête. Le vrai hasard, il n'avait rien vu en tirant.
Il continua en obliquant vers la rive. Au moment où il arrivait au coude de la rivière, il aperçut Bel à quelques mètres du bord. Il était entouré d'impacts de brûleur... Son sonique au-dessus de la tête.
- Balance-moi ton arme !
Le jeune homme le vit et lança le sonique qui atterrit près de Jon. Celui-ci glissa le sien dans l'étui, sur sa cuisse.
- Plonge, maintenant, plonge !
Il ramassa l'arme et ne s'occupa plus de Bel. Pivotant sur lui-même, le sonique à la hanche il lâcha une série de coups en balayant l'espace des buissons sur 180°.
Un type se redressa, à une trentaine de mètres et bascula en arrière.
Jon épaula le sonique et resta figé, les yeux demi fermés, guettant le moindre mouvement. Si un Tave voulait l'allumer, il devrait se montrer et ce serait à celui qui tirerait le plus vite... Dangereux mais pas le choix !
Sur la rive où se trouvait le sark les coups de soniques s'interrompirent. Ce fut le silence, brutal.
Il y eut un bruit d'eau, derrière lui. Bel grimpait sur la rive. Jon posa un genou au sol et attendit qu'il l'ait rejoint puis il lui tendit son arme, dégainant à nouveau son propre son sonique.
Toujours aucun mouvement.
- Retraverse et fais remonter tout le monde dans le sark. Ker est plus loin, là-bas, va la chercher et attendez-moi.
- Corsine a été touché.
Jon tourna la tête.
- Grave ?
- Sais pas. Je l'ai vu tomber, la poussière volait autour de lui.
L'un des types sur lesquels on pouvait compter, vacherie !
- Allez, va.
- Qu'est-ce que tu veux faire ?
- Il faut surveiller d'ici, discute pas !
Il avait parlé sèchement et Bel fit demi-tour. Jon se déplaça un peu et recommença à surveiller. Manifestement les Taves étaient morts ou avaient décroché. Il fallait en être sûr. Dès que les passagers seraient à l'abri, il irait fouiller le coin. Il jetait des regards rapides de l'autre côté. Quand il aperçut Ker cavalant vers le sark, il fit signe et s'enfonça dans les buissons.
Ils étaient parfois si serrés qu'il devait reculer pour contourner sous peine de révéler sa présence. Même si rien ne bougeait il se méfiait terriblement. Tous les dix mètres il s'arrêtait pour écouter longuement.
Trois corps gisaient, un peu en arrière, sur une petite butte. C'est de là qu'ils avaient dû ouvrir le feu au début. Surpris par la riposte de Halloy au lourd. Jon l'avait vu, assis à l'ombre d'un buisson, l'arme à la main, quand il était parti le long de la rivière. Il avait sûrement riposté rapidement; il était bien placé. Ou même avait tiré le premier ? Plutôt ça ! Voilà pourquoi ils s'en tiraient bien...
Il fouilla les corps à la recherche de documents quelconques. Rien. Ils portaient plusieurs traits de peinture bleue sur l'épaule gauche de leur combinaison dégueulasse.
Jon réfléchit un moment. Il avait l'impression que tous les agresseurs avaient été descendus. Il fallait trouver leur engin. Si c'était un module comme les autres, ils étaient sauvés... En remontant leurs traces on tomberait forcément sur l'engin.
Le sol était couvert d'herbes dures qui ne s'écrasaient pas sous les pieds mais se couchaient. Ce serait facile de suivre ça. Il se redressa et commença à avancer, les yeux vers le sol.
Les traces partaient vers la gauche avant de revenir franc Sud.
Un léger coup de sifflet retentit à sa droite. Jon pivota, amenant le sonique en position de tir...
C'était Bel, dont seule la tête s'élevait au-dessus des buissons. Il leva une main, trois doigts tendus puis désigna les buissons plus à gauche.
Il restait trois Taves ? Jon eut un moment d'hésitation. Bel recommença son manège et il décida de lui faire confiance. Si vraiment trois Taves étaient planqués par là, il venait de l'échapper belle !
De la main Jon indiqua au jeune homme d'entamer un mouvement tournant par le Sud et le Nord. Bel hocha la tête et disparut. Tout de suite Jon se mit à ramper doucement. Il voulait arriver sur place le premier.
Un peu plus loin il tomba sur de nouvelles traces et les suivit prudemment. Il écartait de la main gauche les branches basses et progressait sur les coudes, se déhanchant pour faire suivre les jambes. Il gardait le sonique dans la droite, dirigé vers le ciel, prêt à tirer.
Un énorme buisson inextricable l'obligea à un détour. Il arrivait de l'autre côté quand un coup violent dans son poignet fit sauter le sonique...
Les réflexes jouèrent et il roula sur le côté opposé, remontant les jambes pour ruer et se propulser en avant. Pas le temps, un type surgit...
Jon comprit dans la même fraction de seconde que ce ne pouvait pas être celui qui l'avait désarmé. Il avait affaire à deux mecs !
Sa jambe gauche faucha l'air, trouvant celle du Tave qui poussa un grondement en s'effondrant. De l'autre jambe, encore pliée, Jon donna une poussée sur le sol.
Son pied n'était pas dans une position verticale et ripa sur le sol. Au lieu de pouvoir plonger sur le gars il se poussa dans sa direction.
Ne pas se relever. La vieille règle sellée par les entraîneurs, autrefois, remonta à sa mémoire. Il faut une solide expérience pour savoir combattre au sol. La plupart du temps on a tendance à se relever pour continuer. Ici ce serait offrir une cible en or à l'autre ! Il roula encore sur le côté, balançant ses jambes pour changer d'axe de déplacement. Son adversaire, lui, commençait à prendre appui sur son bras gauche pour se mettre debout. Jon fouetta du pied droit qui vint heurter le bras à la hauteur du coude. Il y eut un craquement, tout de suite suivi d'un hurlement de douleur.
Jon avait suivi. Sa main s'éleva et vint frapper sèchement derrière la nuque. L'autre tomba brutalement, face contre le sol. Sans attendre Jon pivota. Il savait que son coup avait porté dans les meilleures conditions. Le gars était mort...
Juste à temps. Le premier, celui qui l'avait désarmé, fonçait, un couteau à la main. Jon ramena une jambe sous lui et se redressa dans le même mouvement.
Il vit immédiatement que ce gars était un vrai combattant et fit rapidement deux pas sur le côté. C'était un de trop.
En pied heurta quelque chose et il perdit l'équilibre, se souvenant avec retard du mort. Il s'était déplacé du mauvais côté !
Ses bras battirent et il commit la faute. Il tenta de reprendre son équilibre au lieu de se laisser tomber en arrière. Il perdit ainsi une bonne seconde et son adversaire se fendit.
Jon donna un coup de reins désespéré... La lame glissa sur le tissu de sa combinaison inférieure, à la hauteur de sa cuisse droite, et vint entailler son flanc, à bout de course. Il était toujours torse nu, sous la protection de sa vieille combinaison militaire !
Il comprit qu'il fallait en terminer très vite. La douleur ne se faisait pas encore sentir, c'était normal, mais il savait par expérience que dans une vingtaine de secondes elle surgirait. Brutalement. Il serait mis en infériorité...
Quand il toucha le sol il poursuivit le mouvement par un roulé-boulé arrière et se retrouva en face de l'autre. Sa main gauche s'éleva rapidement vers le couteau.
Tout se passa très vite. Le grand gaillard écarta par réflexe son poignet armé, vers l'extérieur, avant d'avoir anticipé sur les gestes de Jon. Celui-ci avait avancé le pied droit et mis le genou au sol. Sa main droite fila et empoigna le sexe du type, tordant violemment, à travers la combinaison.
Le Tave ouvrit une bouche immense pour hurler. Sans lâcher sa prise, Jon se releva, tirant de toutes ses forces, pendant que sa main gauche pouvait bloquer maintenant le couteau.
Il rabattit violemment le poignet du mec sur son genou gauche relevé et la lame tomba. Jon lâcha tout et fit un pas pour ramasser l'arme qu'il plongea dans la poitrine du Tave.
C'était fini...
Il souffla longuement pour se décontracter... et entendit du bruit sur la droite. Un Tave se tenait là et montait un brûleur à l'épaule...
Il y eut une explosion de sonique et l'homme parut décoller du sol, projeté sur le coté.
- Je le suivais, fit la voix de Bel dans les buissons.
Jon secoua la tête. Cette fois c'était pas passé loin ! Il était rouillé. D'abord l'erreur en pensant que les agresseurs étaient partis, ensuite ce combat...
Bel apparut, courbé en deux et s'agenouilla près de lui.
- Tu es blessé ?
- Rien. Juste une coupure. Il faut trouver leur module. Je suis leurs traces, toi reste à dix mètres derrière, tu me couvres.
- Tu ne veux pas que...
- Fais ce que je te dis, merde !
Il ramassa le couteau, le glissa à sa ceinture et trouva un sonique, dans un buisson, qu'il vérifia. Il récupéra les charges sur les corps. Les autres avaient voulu les avoir en silence pour attaquer de nouveau, probablement.
Il reprit les traces, nettement visibles.
Cette fois il n'y eut pas de nouvelle surprise. Si ce n'est la plus mauvaise. Il y avait un survivant... parce que le module avait disparu !
On voyait distinctement l'endroit où il était posé, dans un petit vallon.
- Bordel de merde !
Jon était furieux. Cette fois les Taves allaient savoir dans quel coin ils se cachaient... Il fallait partir et rapidement. Ils revinrent sans se cacher, ne s'arrêtant que pour récupérer un brûleur et ses piles et un autre sonique.
En traversant la rivière, Jon se rendit brusquement compte qu'il respirait beaucoup plus facilement... Ils avaient atteint une zone de haute pression sans le deviner, à l'intérieur du sark. Comme la pression n'était quand même pas au niveau standard, ils ne s'en étaient pas aperçus en allant-à la rivière, au sortir du sark.
Tout le monde était à bord, à l'exception de Halloy, le sonique lourd à la main, agenouillé près d'un buisson, et Fater qui tournait autour de son engin. Jon allait lui demander ce qu'il faisait quand il vit les trous dans la coque, au niveau supérieur. Vacherie. Finie l'étanchéité...
- On n'a rien pour réparer ? fit-il en désignant les dégâts.
Halloy se leva et vint vers lui, sa vieille combine à la main. Il l'enfila tout de suite.
- On pourra bricoler quelque chose mais plus loin. Vous avez trouvé leur module ?
- Non. Il en restait un au moins. Taillé !
Le convoyeur jura longuement.
- Des blessés ?
- Corsine a pris une onde de choc secondaire sur le crâne. Il est dans les vapes. Embarquez, on part. Fater... allez, on y va.
Dans le sark les passagers se taisaient, encore traumatisés. Jon passa rapidement à côté des femmes et Se dirigea vers l'arrière,
- On a refait les pleins d'eau ? demanda-t-il à la cantonade.
Apparemment pas et il dut redescendre avec Bel et Kreis qui tremblait de tous ses membres mais ne dit lien. Il remonta un peu dans l'estime de Jon.
En repassant devant Ker la jeune fille lui attrapa le bras.
- Mais... vous saignez !
- Ce n'est rien, je vais me soigner.
Elle se leva vivement et le suivit. Pendant que le sark redémarrait, elle le força à ôter sa demi-combinaison et désinfecta la plaie. Ses mains se mirent à trembler quand elle vit l'entaille qui mesurait huit bons centimètres sur un de profondeur. Au milieu. Une chance, sinon les côtes auraient été apparentes...
Avec un aérosol cicatrisant elle rapprocha les bords de la plaie et elles se soudèrent artificiellement en attendant de le faire naturellement.
Quand elle eut fini elle rangea le matériel dans la trousse, se tourna vers Jon et lui prit le visage à deux mains. Il fut tellement surpris qu'il ne réagit pas.
- Je vous interdis de vous faire blesser, Jon, vous m'avez compris ?
Elle parlait d'un ton furieux et il ne sut quoi répondre, se bornant à hocher la tête. Il était encore muet quand elle retourna à sa place.
Paradoxalement l'impression de chaleur était moins grande maintenant. Avec la vitesse, les trous dans les parois du sark laissaient passer de l'air. Pourtant c'était une impression trompeuse et il faudrait bien les boucher.
Ker revenait.
- Et ça sert à quoi que je vous fasse une casquette si vous ne la mettez pas ! Vous l'aviez laissée à la rivière !
Elle commençait à l'énerver avec ses reproches. Sans réfléchir il se leva, l'attrapa par les épaules et l'embrassa sur les deux Joues !... Puis il resta comme un idiot, les bras ballants. Quand il rencontra son regard elle ouvrait des yeux immenses.
- Vous... espèce de soldat lubrique.
Elle fit demi-tour en souriant et il se laissa tomber dans son siège, stupéfait de ce qui venait de se passer. Rétrospectivement il se demandait par quel miracle il n'avait pas récolté de gifle...
Le sark fonçait, maintenant, et il se mit à regarder à l'extérieur. On quittait la région de végétation. Une demi-heure plus tard un désert apparut, loin devant. Halloy sortit du poste et vint s'asseoir un moment à l'arrière.
- On se dirige vers le ciel bleu. Je suppose que ce sont les zones de haute pression... Enfin je l'espère.
Il fallut encore une heure pour déboucher sur le désert qui s'étendait à perte de vue, désespérément plat. Pas une dune, rien.
C'est au moment où disparaissaient les derniers signes de végétation qu'ils débouchèrent d'un creux. Deux transports miniers.
Il y eut une explosion qui fit trembler le sark et résonna longuement à l'intérieur.
Et puis il y eut ce terrible cri.
Un cri de femme...