En voiture avec des savants, en dilettante avec
des comtes
Monsieur MacDougall arriva, ponctuel, à onze
heures et demie le lendemain matin pour emmener mademoiselle
Tarabotti en promenade. Son apparition provoqua un affolement
certain dans la maisonnée. Bien entendu, Alexia attendait le
gentleman. Elle était tranquillement assise dans le salon de
devant, vêtue d’une robe de promenade vert forêt ornée de boutons
en filigrane d’or, avec sur la tête un élégant chapeau de paille
neuf à large bord et sur le visage une expression modeste. La
famille avait déduit que son départ était imminent grâce à son
chapeau et ses gants, mais n’avait pas la moindre idée de qui
allait bien pouvoir passer la chercher. Alexia ne recevait pas
souvent de visiteurs en dehors de mademoiselle Hisselpenny et tous
savaient que les Hisselpenny n’avaient qu’un seul attelage, et
qu’il n’était pas d’assez bonne qualité pour mériter des boutons en
filigrane d’or. Les Loontwill ne pouvaient donc que supposer
qu’Alexia attendait un homme. Peu de
choses au monde pouvaient en cet instant les surprendre plus.
L’éventuelle réintroduction de la crinoline les aurait moins
choqués. Ils l’avaient interrogée au cours de toutes les activités
de la matinée pour qu’elle révèle le nom de ce gentleman, mais en
vain. Aussi les Loontwill avaient-ils fini par se résoudre à
attendre avec elle, dévorés de curiosité. Lorsque le toc-toc tant
attendu arriva, l’attente les avait plongés dans un émoi
frénétique.
Monsieur MacDougall sourit timidement aux quatre
femmes qui semblaient avoir tenté d’ouvrir la porte d’entrée en même temps. Il présenta ses
salutations à madame Loontwill, mademoiselle Évyline Loontwill et
mademoiselle Félicité Loontwill. Mademoiselle Tarabotti fit les
présentations avec un minimum de bonne grâce et un air embarrassé,
avant de saisir le bras qu’il lui offrait avec détermination et une
expression non dissimulée de désespoir. Sans plus attendre, il
l’aida à descendre les escaliers et à monter dans son véhicule,
puis s’installa à côté d’elle sur le siège. Alexia déploya sa
fidèle ombrelle et la pencha de manière à ne plus avoir à regarder
sa famille.
Monsieur MacDougall conduisait une paire d’alezans
à l’allure élégante : des animaux paisibles, mais à la couleur
bien assortie, et d’un tempérament fougueux, même si leur regard
manquait de feu. La voiture était tout aussi peu prétentieuse. Ce
n’était pas un phaéton, mais un petit buggy bien pimpant et pourvu
de tout le confort moderne. Le savant rondouillard menait les trois
comme s’ils lui appartenaient, et Alexia révisa l’opinion qu’elle
avait de lui. Tout dans cet équipage était en excellent état, et il
était clair qu’il n’avait pas regardé à la dépense alors qu’il
n’était en Angleterre que pour peu de temps. La voiture comportait
une bouilloire à manivelle permettant de prendre le thé en marche,
un appareil de vue monoculaire à longue distance pour mieux
apprécier le paysage, et même un petit moteur à vapeur relié à un
système hydraulique complexe dont Alexia ne savait absolument pas à
quoi il était destiné. Monsieur MacDougall était un scientifique,
c’était certain, et un Américain sans le moindre doute, mais il
semblait aussi avoir bon goût et les moyens de le démontrer de
manière inventive et appropriée. Mademoiselle Tarabotti fut dûment
impressionnée. En ce qui la concernait, c’était une chose d’avoir
des moyens financiers et une autre de savoir l’afficher comme il
convenait.
Derrière eux, la famille d’Alexia se pelotonna en
une masse ravie et caquetante. Enthousiasmés de constater que
c’était effectivement un homme qui était venu chercher la fille
aînée, ses membres étaient encore plus ravis de découvrir qu’il
s’agissait du jeune scientifique respectable de la veille. Les
Loontwill atteignirent de nouveaux sommets d’euphorie (surtout
monsieur Loontwill) une fois qu’ils eurent déduit qu’il semblait posséder plus de capital
qu’on pouvait l’espérer d’un membre ordinaire des cercles
intellectuels (même s’il était américain).
« Il est possible qu’il soit vraiment une
bonne prise, dit Évyline à sa sœur tandis qu’elles agitaient la
main sur le seuil pour dire au revoir à Alexia. Un peu trop dodu à
mon goût, mais elle ne peut pas se permettre d’être difficile. Pas
avec son âge et son physique. » Évyline rejeta négligemment
l’une de ses boucles blondes derrière son épaule.
« Et nous qui pensions qu’elle n’avait plus
aucune chance de se marier. » Félicité secoua la tête devant
les merveilles de l’Univers.
« Ils sont assortis, dit leur mère. C’est un
rat de bibliothèque, à l’évidence. Je n’ai pas suivi un seul mot de
leur conversation pendant le dîner d’hier soir, pas une syllabe. Il
doit s’agir d’un intellectuel.
— Et vous savez ce qui est le mieux dans cette
situation ? » ajouta Félicité, rosse jusqu’au bout.
« Tout cet argent », murmura son père, mais elle
n’entendit pas, ou ignora sa remarque et répondit à sa propre
question : « S’ils se marient, il l’emmènera là-bas, dans
les colonies.
— Oui, mais nous devrons vivre avec le fait que
tous les gens qui comptent sauront qu’il y a un Américain dans la
famille, fit remarquer Évyline, en plissant les yeux.
— Nécessité fait loi, mes chéries, nécessité fait
loi », dit leur mère en les faisant rentrer et en refermant la
porte avec fermeté derrière elles. Elle se demandait comment ils
pourraient se débrouiller pour dépenser aussi peu que possible pour
le futur mariage d’Alexia et elle se retira dans le bureau pour en
discuter avec son mari.
Bien entendu, la famille de mademoiselle Tarabotti
s’emballait beaucoup trop vite. Les intentions d’Alexia envers
monsieur MacDougall étaient de nature entièrement platonique. Tout
ce qu’elle voulait, c’était sortir de la maison et parler avec
quelqu’un, n’importe qui possédant un véritable cerveau en bon état
de marche, pour changer. Les intentions de monsieur MacDougall
étaient peut-être moins pures, mais il était assez timide pour que
mademoiselle Tarabotti pût ignorer toute incursion verbale dans des contrées
romantiques. Elle commença par s’enquérir de ses recherches
scientifiques.
« Comment en êtes-vous venu à vous intéresser
à la mesure de l’âme ? » demanda-t-elle aimablement,
ravie d’être dehors et disposée à se montrer agréable envers celui
qui contribuait à sa libération.
La journée était exceptionnellement belle, d’une
tiédeur agréable avec une brise légère et amicale. L’ombrelle de
mademoiselle Tarabotti était de fait utilisée pour sa fonction
première, car la capote du buggy de monsieur MacDougall était
baissée et Alexia n’avait certes pas besoin de plus de soleil que
strictement nécessaire. Le moindre contact avec la lumière du jour
faisait passer son bronzage à la couleur moka, rendant sa mère
hystérique. Avec un chapeau et une ombrelle bien en place, ses
nerfs étaient en totale sécurité – dans ce domaine en tout
cas.
Monsieur MacDougall fit claquer sa langue, et ses
chevaux se mirent à avancer au pas. Un gentleman aux cheveux
châtains et au visage de renard rusé portant un grand imperméable
quitta son poste sous le lampadaire devant la porte d’entrée des
Loontwill et les suivit discrètement à distance.
Monsieur MacDougall regarda sa compagne de
promenade. On ne pouvait considérer qu’elle avait une beauté à la
mode, mais il aima la ligne forte de sa mâchoire et la lueur
déterminée dans ses yeux sombres. Il avait un penchant marqué pour
les dames dotées d’une forte personnalité, surtout si elles avaient
une jolie mâchoire, de grands yeux noirs et une belle silhouette
pour couronner le tout. Il décida qu’elle semblait assez solide
pour qu’il lui fasse part de la vraie raison pour laquelle il
désirait mesurer les âmes, ce qui lui donnait de toute façon
l’occasion de relater une anecdote dramatique. « Ce n’est pas
un problème d’en parler ici, j’imagine, dit-il en guise
d’introduction, mais vous devez comprendre que dans mon pays je
n’en ferais rien. » Bien caché derrière sa calvitie et ses
lunettes, monsieur MacDougall avait un certain penchant pour le
théâtre.
Mademoiselle Tarabotti posa une main compréhensive
sur son bras. « Mon cher monsieur, je n’avais pas l’intention
d’être indiscrète ! Se
pourrait-il que ma question vous ait paru
indiscrète ? »
Le gentleman rougit et remonta nerveusement ses
lunettes sur son nez. « Oh, non, bien sûr que non ! Rien
de tel. C’est juste que mon frère a été transformé. En vampire,
vous voyez. Mon frère aîné. »
La réaction d’Alexia fut typiquement britannique.
« Félicitation pour cette métamorphose réussie. Qu’il laisse
sa marque dans l’histoire. »
L’Américain secoua la tête avec tristesse.
« Ici, ainsi que l’implique votre commentaire, on considère
généralement cela comme une bonne chose. Dans ce pays, je veux
dire.
— L’immortalité est l’immortalité. » Alexia
ne voulait pas se montrer froide, mais c’était un fait.
« Pas quand elle vous coûte votre âme.
— Les membres de votre famille sont de vieux
croyants ? » Alexia était surprise. Monsieur MacDougall
était un scientifique, après tout. Ils provenaient peu souvent d’un
environnement très religieux.
Il hocha la tête. « Des puritains complets.
Pas un seul progressiste dans leurs rangs. Pour eux, surnaturel
signifie “mort-vivant”. John a survécu à la morsure, mais ils l’ont
quand même répudié et déshérité. La famille lui a donné trois jours
avant de le chasser comme un chien enragé. »
Mademoiselle Tarabotti secoua la tête avec
chagrin. Quelle étroitesse d’esprit ! Elle connaissait bien
l’histoire de son pays. Les puritains avaient quitté l’Angleterre
de la reine Élisabeth pour le Nouveau Monde parce qu’elle avait
reconnu la présence des êtres surnaturels dans les îles
Britanniques. Les colonies étaient demeurées complètement arriérées
depuis : les religieux fourraient leur nez dans toutes les
relations avec les vampires, les loups-garous et les fantômes. Cela
faisait de l’Amérique un endroit profondément superstitieux. Qui
pouvait savoir ce qu’ils auraient pensé de quelqu’un comme
elle !
La curiosité piquée par le fait qu’un homme venant
d’une famille conservatrice décide de tenter la métamorphose, elle
demanda : « Mais pourquoi diable votre frère a-t-il été
transformé ?
— Ça s’est
fait contre sa volonté. Je crois que la reine a voulu démontrer
quelque chose. Nous autres, MacDougall, avons toujours voté contre
le changement – antiprogrès jusqu’à notre dernier souffle,
avec de l’influence au gouvernement là où cela compte le
plus. »
Mademoiselle Tarabotti hocha la tête. Elle avait
déduit que sa famille était influente grâce à l’argent qu’il
possédait de façon évidente. D’une main, elle toucha le cuir fin du
siège du buggy. Voilà un scientifique qui n’avait pas besoin de
mécène. Quel étrange endroit que ce pays de l’autre côté de l’océan
où la religion et la richesse faisaient autorité et où l’histoire
et l’ancienneté avaient si peu d’influence.
« Je crois que la ruche a pensé que
transformer l’aîné de la famille pourrait nous amener, nous autres
les MacDougall, à penser différemment.
— Et cela a fonctionné ?
— Pas du tout, sauf pour moi. J’adorais mon frère
aîné, voyez-vous. Je l’ai vu une fois après sa métamorphose. Il
était toujours le même : plus fort, plus pâle, nocturne, oui,
mais inchangé pour l’essentiel. Il aurait probablement encore voté
conservateur s’ils l’avaient laissé voter. » Il eut un petit
sourire, après quoi son visage retrouva sa rondeur insipide de
pudding. « Alors je suis passé de la banque à la biologie, et
depuis j’étudie le surnaturel. »
Mademoiselle Tarabotti secoua la tête, dépitée.
Quel triste début. Elle contempla la journée ensoleillée : le
beau vert d’Hyde Park, les chapeaux et les robes aux couleurs vives
des dames marchant bras dessus bras dessous dans l’herbe, les deux
dirigeables grassouillets glissant tranquillement au-dessus d’eux.
« Le BUR n’aurait jamais autorisé un tel comportement de la
part d’un vampire – mordre sans permission ! Et il aurait
encore moins laissé une reine mordre quelqu’un qui ne le désirait
pas pour le transformer ! C’est un comportement très
choquant. »
Monsieur MacDougall soupira. « Votre monde
est très différent, ma chère mademoiselle Tarabotti. Vraiment très
différent. Mon pays est encore en guerre avec lui-même. On n’a
toujours pas pardonné aux vampires de s’être ralliés aux
Confédérés. »
Alexia ne
voulait pas insulter son nouvel ami, aussi se retint-elle de
critiquer son gouvernement. Mais à quoi les Américains
s’attendaient-ils en refusant d’intégrer les surnaturels à leur
société de quelque façon que ce soit ? Et quand ils
contraignaient les vampires et les loups-garous à se cacher et à
rôder en une imitation de mauvaise qualité des Âges Sombres de
l’Europe ?
« Avez-vous renoncé aux croyances puritaines
de votre famille ? »
Mademoiselle Tarabotti jeta un regard
interrogateur à son compagnon. Du coin de l’œil, elle aperçut un
imperméable ocre. Cela devait être dur pour le professeur Lyall
d’être dehors avec tout ce soleil, surtout si près de la pleine
lune. Elle ressentit un instant de pitié mais fut satisfaite de
savoir que c’était lui qui avait pris la relève du garde de nuit.
Cela signifiait que lord Maccon pensait encore à elle. Il pensait à
elle comme à un problème, certes… mais c’était mieux que ne pas
penser à elle du tout, non ? Alexia porta doucement la main à
ses lèvres et se força à cesser toute rumination sur l’état mental
du comte de Woolsey.
Monsieur MacDougall répondit à sa question.
« Vous voulez savoir si j’ai cessé de croire que les êtres
surnaturels ont vendu leur âme à Satan ? »
Mademoiselle Tarabotti hocha la tête.
« Oui. Mais pas nécessairement à cause du
malheur qui a frappé mon frère. Cette idée n’a jamais été assez
scientifique pour moi. Mes parents ne savaient pas ce qu’ils
risquaient en m’envoyant à Oxford. Vous savez que j’ai étudié dans
ce pays pendant un temps ? Plusieurs des professeurs sont des
vampires. J’ai fini par adopter le point de vue de la Royal
Society, qui est que l’âme doit constituer une entité quantifiable.
Certains individus possèdent cette matière-âme en moindre quantité
et d’autres en ont plus. Et ceux-là peuvent être transformés en
immortels. Ainsi, ce n’est pas le manque d’âme, mais sa
surabondance qui effraie les puritains. Ce concept même est une
hérésie dans ma famille. »
Alexia était d’accord. Elle suivait les
publications de la Royal Society. Ils n’avaient pas encore
découvert l’existence des paranaturels et de ceux qui n’avaient
véritablement pas d’âme. Le
BUR se contentait de laisser les scientifiques diurnes tâtonner
sans aucun succès en direction de ce domaine particulier de la
connaissance. Mais en cette époque moderne, mademoiselle Tarabotti
sentait que ses semblables finiraient par être analysés et
disséqués : ce n’était qu’une question de temps.
« Avez-vous inventé un moyen de mesurer l’âme
depuis ? » Elle chercha discrètement son ombre
surnaturelle. Le professeur Lyall les suivait à quelques mètres,
soulevant son chapeau en direction des dames qui passaient par
là : un gentleman ordinaire de la classe moyenne qui n’avait
apparemment aucune conscience de la présence proche de leur buggy.
Mais Alexia avait la certitude qu’il la regardait en permanence. Le
professeur Lyall savait où était son devoir.
Monsieur MacDougall hocha la tête.
« N’aimeriez-vous pas savoir ? Surtout en tant que
femme ? Je veux dire, les femmes risquent beaucoup plus de ne
pas survivre à la métamorphose. »
Mademoiselle Tarabotti sourit. « Je sais
précisément quelle quantité d’âme je possède, merci, monsieur. Je
n’ai nul besoin qu’un scientifique me le dise. »
Monsieur MacDougall rit, prenant sa confidence
pour une plaisanterie.
Un troupeau de jeunes dandys passa près d’eux. Ils
étaient tous attifés à la pointe de la mode : queues-de-pie à
trois boutons au lieu de redingotes, cravates en soie nouées autour
du cou et cols montants. Alexia était certaine d’en avoir vu
certains quelque part, mais elle ne les reconnut pas assez pour
trouver leur nom. Ceux-là soulevèrent leur chapeau dans sa
direction. Un spécimen plutôt grand et portant des culottes de
satin myrtille ralentit pour regarder monsieur MacDougall avec un
intérêt inexplicable avant d’être entraîné par ses compagnons. Sur
leur flanc, le professeur Lyall prit note de leurs singeries avec
intérêt.
Alexia jeta un coup d’œil à son compagnon.
« Si vous réussissez à mesurer les âmes, monsieur MacDougall,
ne devriez-vous pas vous inquiéter que de telles connaissances
soient mal utilisées ?
— Par les scientifiques ?
— Par les
scientifiques, les ruches, les meutes, les gouvernements. En ce
moment, c’est leur petit nombre qui limite les êtres surnaturels.
S’ils savaient à l’avance qui recruter, ils pourraient transformer
plus de femmes et augmenter sensiblement leur population. Le tissu
même de notre société en serait transformé.
— Pourtant, le fait qu’ils aient besoin de nous
pour procréer nous donne à nous, gens normaux, un petit
avantage », objecta-t-il.
Mademoiselle Tarabotti songea soudain que les
ruches et les meutes devaient déjà travailler depuis des centaines
d’années pour découvrir un moyen de mesurer l’âme humaine. Ce jeune
homme avait peu de chance de réussir là où des générations de
chercheurs surnaturels à la pointe de la science avaient échoué.
Mais elle tint sa langue. Qui était-elle pour détruire les rêves
d’un homme ?
Elle feignit de s’intéresser à un groupe de cygnes
flottant sur une mare d’un côté de l’allée. En vérité, c’était le
professeur Lyall qui avait attiré son attention. Avait-il
trébuché ? On eût dit que c’était le cas, et qu’il avait
heurté un autre gentleman, lui faisant lâcher une sorte d’appareil
en métal.
« Alors, de quel sujet allez-vous parler à
l’inauguration de l’Hypocras ? » demanda mademoiselle
Tarabotti.
Monsieur MacDougall toussa. « Eh bien (il
parut gêné), surtout de ma découverte que l’âme n’est pas. Mes
recherches initiales semblent indiquer que ce n’est pas une aura ou
une pigmentation de la peau de quelque sorte que ce soit. Il existe
plusieurs théories : certains pensent qu’elle pourrait résider
en partie dans le cerveau, d’autres qu’elle est un élément fluide
dans les yeux ou peut-être de nature électrique.
— Qu’en pensez-vous ? » Alexia
prétendait toujours s’intéresser aux cygnes. Le professeur Lyall
sembla reprendre ses esprits. C’était difficile à dire à cette
distance, mais son visage anguleux semblait étrangement pâle sous
son tuyau-de-poêle disproportionné.
« D’après ce que je sais de la métamorphose
– et je n’ai jamais eu le privilège de l’observer de près,
bien évidemment –, je crois que la conversion provient d’un
agent pathogène présent dans le sang. Le même genre que celui dont
le docteur Snow suggère qu’il
est responsable de la dernière épidémie de choléra.
— Vous vous opposez à l’hypothèse des miasmes dans
le transfert des maladies ? »
Le scientifique inclina la tête, ravi de converser
avec une femme si au fait des théories médicales modernes.
« Le docteur Snow suggère que la transmission
du choléra s’est produite par l’ingestion d’eau contaminée, dit
mademoiselle Tarabotti. Comment diriez-vous que se produit la
transmission surnaturelle ?
— Cela reste un mystère. Comme la raison pour
laquelle certains réagissent positivement et d’autres non.
— Un état auquel nous faisons à présent référence
en parlant de présence ou d’absence d’excès d’âme ? suggéra
Alexia.
— Exactement. » Les yeux du scientifique
brillèrent d’enthousiasme. « Identifier un agent pathogène
nous montrera simplement ce qui produit la métamorphose. Cela ne
nous dira pas pourquoi elle se produit,
ni comment. Jusqu’à présent, j’ai
concentré mes recherches sur l’hématologie, mais je commence à me
dire que je n’ai pas adopté le bon angle théorique.
— Vous devez déduire en quoi ceux qui meurent et
ceux qui survivent sont différents ? » Alexia tapota le
manche de cuivre de son ombrelle du bout des doigts.
« Et à quoi ressemblent les survivants avant
et après la métamorphose. » Monsieur MacDougall arrêta les
chevaux de manière à pouvoir se tourner pour faire face à Alexia,
enthousiasmé. « Si l’âme possède une substance, si c’est un
organe ou une partie d’un organe que certains possèdent et d’autres
non… Le cœur, peut-être, ou les poumons… »
Mademoiselle Tarabotti était tout aussi
enthousiaste ; elle acheva de formuler son hypothèse pour lui.
« Alors, elle devrait être quantifiable ! »
Ses yeux sombres étincelèrent à cette simple idée.
Le concept était brillant, mais il allait nécessiter des études
bien plus poussées. Elle comprenait à présent pourquoi il avait
pensé que ses recherches ne constituaient pas un sujet de
conversation convenable à la table d’un dîner la veille au
soir.
Monsieur MacDougall hocha la tête ; dans son
excitation, il avait oublié sa sensibilité féminine. « Mais
j’ai de grandes difficultés à me procurer des loups-garous et des
vampires morts pour effectuer des comparaisons. Surtout aux
États-Unis. »
Mademoiselle Tarabotti frémit. Inutile de demander
pourquoi. Tout le monde savait que les Américains brûlaient toute
personne accusée d’être une créature surnaturelle, ce qui laissait
fort peu de matériel à étudier aux scientifiques. « Vous
pensez vous procurer des spécimens ici et les ramener
là-bas ? »
Le scientifique hocha la tête. « J’espère que
l’on considérera que mener ce genre d’investigation sert les plus
hauts intérêts de la science.
— Eh bien, dit Alexia, votre discours au club
Hypocras devrait vous ouvrir la voie, surtout s’il aborde ne
serait-ce qu’un peu les sujets dont nous parlons en ce moment. Vous
avez certaines des idées les plus nouvelles et les meilleures que
j’ai jamais entendues sur le sujet. Si j’étais autorisée à être
membre du club, vous auriez mon vote de confiance. »
Le jeune homme sourit à ce compliment et commença
à penser avec plus d’affection encore à mademoiselle Tarabotti, qui
possédait assez d’intelligence non seulement pour comprendre ses
idées, mais aussi pour en percevoir la valeur. Il claqua de nouveau
la langue pour faire repartir les chevaux et les guida sur le côté
de l’allée. « Vous ai-je dit que vous êtes très en beauté
aujourd’hui, mademoiselle Tarabotti ? » Il arrêta
complètement le véhicule.
Alexia ne pouvait à l’évidence pas relever les
nombreux défauts que comportaient ses théories après un tel
compliment. À la place, elle orienta la conversation vers des
sujets plus généraux. Monsieur MacDougall remonta la bouilloire
mécanique et prépara le thé. Pendant ce temps, Alexia utilisa
l’instrument monoculaire de vision à distance et commenta les
plaisirs d’une journée ensoleillée et la grâce sculpturale des
lointains dirigeables qui flottaient au-dessus du parc. Elle le
pointa aussi sur le professeur Lyall, qui se reposait un peu plus
loin à l’ombre d’un arbre ; il avait chaussé ses verribles et
l’observait à travers. Elle
se dépêcha de poser l’appareil d’agrandissement et se tourna
aimablement vers son hôte et son thé.
Tandis qu’elle prenait une gorgée prudente dans la
tasse en laiton, surprise de découvrir un Assam délicieux, il
alluma le petit moteur hydraulique qu’elle avait remarqué à
l’arrière du véhicule. Dans une débauche de grincements et de
gémissements, une énorme ombrelle se dressa, puis se déplia pour
donner de l’ombre à la voiture ouverte. Alexia referma sa petite
ombrelle avec un claquement, tout en la regardant d’un air furieux
et avec un sentiment parfaitement injustifié d’insuffisance.
C’était une bonne petite ombrelle qui ne méritait pas du tout qu’on
lui lance un regard aussi noir.
Ils passèrent ensemble encore une heure des plus
plaisantes, buvant du thé et grignotant le contenu d’une boîte de
loukoums à la rose et au citron que monsieur MacDougall s’était
procurée spécialement pour cette occasion. Peu de temps après,
sembla-t-il à Alexia, il repliait l’ombrelle géante et la
reconduisait chez elle.
Le jeune gentleman l’aida à descendre du véhicule
devant le seuil des Loontwill en se sentant, avec raison, satisfait
du succès de leur sortie, mais Alexia l’arrêta lorsqu’il tenta de
l’accompagner jusqu’à la porte.
« S’il vous plaît, ne prenez pas mon refus
pour de l’impolitesse, expliqua-t-elle avec délicatesse. Mais vous
ne pouvez pas rencontrer ma famille maintenant. Ils ne sont pas du
même calibre intellectuel que vous, j’ai honte de devoir le
dire. » Elle soupçonnait sa mère et ses sœurs d’être allées
faire des courses, mais elle avait besoin d’une excuse. Vu le
regard qu’il avait à présent, il pouvait être tenté de lui faire
une déclaration, et où en serait-elle alors ?
Le scientifique hocha gravement la tête. « Je
comprends tout à fait, ma chère mademoiselle Tarabotti. Ma propre
famille est affligée du même défaut. Pourrai-je vous rendre une
autre visite ? »
Alexia ne sourit pas. Il aurait été inconvenant de
jouer les coquettes alors qu’elle n’avait pas l’intention de
répondre à ses avances. « Vous le pourrez, mais pas demain,
monsieur MacDougall. Vous allez vous préparer à prononcer votre
discours.
— Le
lendemain ? » Il était obstiné. « Comme cela, je
pourrai vous dire comment s’est déroulée l’ouverture. »
Ces Américains sont vraiment
très insolents. Alexia soupira intérieurement mais acquiesça
d’un mouvement de tête.
Monsieur MacDougall remonta sur le siège du
conducteur, souleva son chapeau et fit posément battre en retraite
ses beautés alezanes.
Mademoiselle Tarabotti fit semblant de rester sur
le seuil pour lui dire au revoir de la main, mais dès qu’il fut
hors de vue, elle descendit furtivement les marches pour se rendre
sur le côté de la maison.
« On peut dire que vous me surveillez de
près ! accusa-t-elle l’homme qui était tapi là.
— Bonjour, mademoiselle Tarabotti », dit-il
d’une voix polie mais grave – plus que d’ordinaire, même pour
le professeur Lyall. Elle semblait presque affaiblie.
Inquiète, Alexia fronça les sourcils. Elle tenta
de mieux voir son visage sous son chapeau ostentatoire.
« Comment se fait-il que vous soyez de service aujourd’hui,
monsieur ? J’aurais cru que lord Maccon avait besoin de vos
talents ailleurs. »
Le professeur avait les traits tirés et paraissait
pâle, ce qui était normal chez un vampire, mais pas chez un
loup-garou. La tension creusait les traits de son visage et ses
yeux étaient injectés de sang. « Mademoiselle Tarabotti, la
pleine lune approche, monsieur le comte ne peut pas poster
n’importe qui pour monter la garde pendant la journée. Les jeunes
ne sont pas très stables à cette période du mois. »
Alexia renifla. « J’apprécie son intérêt pour
mon bien-être. Mais j’aurais cru qu’il y aurait au BUR d’autres
personnes pour qui le travail de jour ne serait pas si éprouvant.
Quand la lune sera-t-elle pleine ?
— Demain soir. »
Mademoiselle Tarabotti fronça les sourcils.
« Le jour du discours de monsieur MacDougall au club Hypocras,
murmura-t-elle pour elle-même.
— Quoi ? » Le professeur semblait trop
las pour être intéressé.
Alexia agita une main dans les airs. « Oh,
rien d’important. Vous devriez rentrer chez vous, professeur, et
vous reposer. Vous avez une
mine absolument épouvantable. Il ne devrait pas vous faire
travailler si dur. »
Le Bêta sourit. « C’est en partie à quoi je
sers.
— À vous épuiser à me protéger ?
— À protéger ses intérêts. »
Mademoiselle Tarabotti lui jeta un regard
horrifié. « Je ne considère pas du tout cela comme une
description appropriée. »
Lyall, qui avait vu le véhicule et ses armoiries
garé de l’autre côté de la demeure des Loontwill, ne répliqua
pas.
Il y eut une pause.
« Qu’avait-il fait ? demanda
Alexia.
— Qui ? répliqua le professeur Lyall, bien
qu’il sût parfaitement sur quoi portait sa question.
— L’homme sur qui vous avez fait semblant de
trébucher.
— Hmmm, fit le loup-garou, évasif. Il s’agissait
plutôt de ce qu’il avait. »
Mademoiselle Tarabotti pencha la tête et prit un
air curieux.
« Je vous souhaite une bonne soirée,
mademoiselle Tarabotti », dit le professeur Lyall.
Alexia lui lança un regard exaspéré puis remonta
les marches du perron et rentra chez elle.
Il était évident que la famille était sortie, mais
Floote l’attendait dans l’entrée avec une expression embarrassée
très peu flootesque. La porte du salon de devant était ouverte, un
signe certain qu’il y avait des visiteurs. Alexia fut choquée. Les
Loontwill ne pouvaient pas avoir attendu de la compagnie, sinon ils
n’auraient pas quitté les lieux.
« Qui est là, Floote ? »
demanda-t-elle, en triturant son épingle à cheveux.
Le majordome leva les deux sourcils.
Alexia avala sa salive et se sentit tout à coup
nerveuse. Elle ôta son chapeau et ses gants, qu’elle posa avec
précaution sur la table du vestibule.
Elle prit un instant pour se donner une
contenance, vérifiant sa coiffure dans le miroir au cadre doré de
l’entrée. Sa masse sombre était coiffée un peu long pour la
journée, mais elle avait une marque de morsure à dissimuler, et il
faisait trop chaud pour porter un col haut. Elle remit quelques
boucles en place d’une
chiquenaude pour mieux couvrir le bleu. Son visage lui rendit son
regard : un menton ferme, des yeux noirs, une expression
combative. Alexia toucha son nez. Monsieur
MacDougall pense que tu es très jolie, dit-elle à son
reflet.
Se tenant le plus droit possible, elle entra dans
le salon de devant.
Lord Conall Maccon pivota sur lui-même. Il faisait
face aux rideaux de velours fermés de la fenêtre, les fixant comme
s’il avait été capable de voir à travers le lourd tissu. Dans le
faible éclairage de la pièce, son regard paraissait
accusateur.
Mademoiselle Tarabotti s’arrêta sur le seuil. Sans
un mot, elle se retourna, tendit les bras et referma la porte du
salon derrière elle avec fermeté.
Floote jeta un long regard sévère à la porte
close.
Au-dehors, dans la rue, le professeur Lyall
dirigea sa personne exténuée vers les bureaux du BUR – il ne
lui restait plus que quelques dossiers à vérifier avant d’aller se
coucher. De sa main libre, il tapota la nouvelle bosse de son gilet
aux multiples poches. Pourquoi, se demanda-t-il, un homme se
promenait-il dans Hyde Park avec une seringue ? Il se retourna
une fois pour jeter un coup d’œil à la demeure des Loontwill. Un
sourire subit plissa les traits anguleux de son visage tandis qu’il
notait que l’équipage du château de Woolsey attendait non loin de
là. Ses armoiries brillaient dans le soleil de fin
d’après-midi : un écu écartelé, montrant sur deux quartiers un
château au clair de lune, et sur deux autres une nuit étoilée sans
lune. Il se demanda si son seigneur et maître allait vraiment
ramper.
Le comte de Woolsey portait un costume chocolat
foncé, une cravate de soie caramel et une expression d’impatience
mal dissimulée. Il tenait d’une main ses gants de chevreau dont il
frappait l’autre en rythme lorsque mademoiselle Tarabotti entra
dans le salon. Il s’interrompit aussitôt mais elle avait remarqué
sa nervosité.
« Mais quelle mouche vous a donc
piqué ? » demanda-t-elle sans tenter de le saluer dans
les formes. Respecter les formes était une perte de temps avec lord
Maccon. Elle se mit en position, les bras écartés, debout sur le tapis
jaune primevère qui se trouvait devant lui.
Le comte répliqua par un « Et où étiez-vous
donc passée toute la journée ? » bourru.
Mademoiselle Tarabotti était d’humeur
fuyante.
« Dehors. »
Le comte n’était pas disposé à se contenter d’une
telle réponse. « Avec qui ? »
Alexia haussa les deux sourcils. Il finirait par
l’apprendre par le professeur Lyall, aussi répondit-elle
malicieusement : « Un jeune scientifique très
gentil.
— Pas ce patapouf avec qui vous jacassiez au dîner
d’hier soir ? » Lord Maccon la regardait avec une
expression horrifiée.
Mademoiselle Tarabotti le toisa d’un air vicieux.
Intérieurement, elle était ravie. Il avait remarqué !
« Il se trouve que monsieur MacDougall a des théories tout à
fait fascinantes sur un éventail très large de sujets, et qu’il
s’intéresse à mon opinion. Ce qui est bien plus que ce que je peux
dire de certains autres gentlemen de ma connaissance. La journée
était belle et la promenade délicieuse, et il fait un partenaire
tout à fait plaisant pour la conversation. Une situation qui vous
est parfaitement inconnue, j’en suis convaincue. »
Lord Maccon parut tout à coup très soupçonneux.
Ses yeux s’étrécirent, et leur couleur pâlit jusqu’à devenir de la
même teinte caramel que sa cravate. « De quoi lui avez-vous
parlé, mademoiselle Tarabotti ? Devrais-je être au
courant ? »
Il utilisait sa voix du BUR.
Mademoiselle Tarabotti regarda autour d’eux,
s’attendant à tout instant à voir le professeur Lyall sortir avec
un bloc-notes ou une plaque en métal et un stylet. Elle poussa un
soupir résigné. Il était clair que le comte n’était venu que pour
une visite officielle. Il était idiot de sa part d’espérer, se
morigéna-t-elle. Puis elle se demanda ce qu’elle avait espéré
exactement. Des excuses ? De lord Maccon ? Ah. Elle s’assit sur une petite chaise en osier
près du sofa en prenant bien garde de conserver une certaine
distance entre eux deux. « C’est plus ce qu’il m’a dit
lui, qui est intéressant, dit-elle. Il
pense que l’état surnaturel est un genre de maladie. »
Lord Maccon,
qui était un loup-garou et donc « maudit », avait déjà
entendu cette description. Il croisa les bras, la dominant de toute
sa taille.
« Oh, pour l’amour du ciel, dit mademoiselle
Tarabotti en faisant claquer sa langue, asseyez-vous, je vous en
prie. »
Lord Maccon s’assit.
Mademoiselle Tarabotti poursuivit son récit.
« Monsieur MacDougall… c’est son nom, vous savez ?
Monsieur MacDougall. Enfin bref, monsieur MacDougall croit que
l’état de créature surnaturelle est provoqué par un agent pathogène
transporté par le sang qui affecte certains êtres humains mais pas
d’autres parce que certains d’entre eux possèdent des
caractéristiques physiques particulières et d’autres pas. Selon sa
théorie, il semblerait que les hommes soient plus susceptibles que
les femmes de posséder lesdites caractéristiques, et que ce soit la
raison pour laquelle ils survivent plus fréquemment à la
métamorphose. »
Lord Maccon se laissa aller en arrière ; le
petit sofa grinça sous son poids. Il exprima ce que lui inspirait
cette idée en reniflant de mépris.
« Il y a bien entendu un problème essentiel
dans ses conjectures, poursuivit Alexia en ignorant le
reniflement.
— Vous.
— Hmmm. » Elle hocha la tête. La théorie de
monsieur MacDougall ne laissait pas de place à ceux qui étaient
totalement dépourvus d’âme et annulaient les pouvoirs de ceux qui
en avaient trop. Que penserait donc monsieur MacDougall d’une
créature paranaturelle ? La considérerait-il comme une sorte
d’antidote de courte portée à la maladie surnaturelle ?
« C’est pourtant une théorie élégante, si l’on songe qu’elle
repose sur peu de chose. » Elle n’avait pas besoin de dire
qu’elle respectait le jeune homme qui l’avait conçue. Lord Maccon
le voyait à son expression.
« Dans ce cas, souhaitez-lui de profiter de
ses illusions et tenez-vous-en là », dit le comte avec
détermination. On commençait à voir ses canines, et la couleur de
ses yeux se rapprochait d’un brun de plus en plus jaune.
Mademoiselle Tarabotti haussa les épaules.
« Il s’intéresse à moi. Il est intelligent. Il a de l’argent
et des relations, si j’ai bien compris. » Il pense que je
suis adorable. Elle ne prononça pas cette phrase à voix
haute. « Qui suis-je pour me plaindre de ses attentions, ou
pour les décourager, d’ailleurs ? »
Lord Maccon avait de bonnes raisons de regretter
ce qu’il avait dit au professeur Lyall la nuit où Alexia avait tué
le vampire. Apparemment, elle pensait bel et bien à se marier. Et
elle semblait avoir trouvé quelqu’un qui voulait bien l’épouser, en
dépit du fait qu’elle était à demi italienne. « Il vous
emmènera en Amérique, et vous êtes paranaturelle. S’il est aussi
intelligent que vous le suggérez, il va finir par deviner ce petit
détail. »
Mademoiselle Tarabotti rit. « Oh, je ne songe
pas à me marier avec lui, monsieur le comte. Ni à rien d’aussi
téméraire. Mais j’apprécie sa compagnie. Elle rend mes journées
moins monotones, et empêche les membres de ma famille de se montrer
grossiers. »
Lord Maccon sentit une vague palpable de
soulagement l’envahir lorsqu’il entendit cette affirmation
insouciante et de l’agacement envers lui-même parce qu’il la
ressentait. Pourquoi cela lui importait-il autant ? Ses
canines se rétractèrent un peu. Puis il prit conscience qu’elle
avait bien parlé de se marier et que,
s’il en croyait son expérience, elle avait une sensibilité plutôt
moderne pour une vieille fille. « Vous songez peut-être à
quelque chose de non conjugal avec lui ? » Il grondait
pour ainsi dire en parlant.
« Oh, pour l’amour de dieu. Cela vous
dérangerait-il si c’était le cas ? »
Lord Maccon postillonna carrément en entendant
cela.
Et Alexia se rendit soudain compte de ce qu’elle
était en train de faire. Elle était assise et avait une
conversation polie avec lord Conall Maccon, comte de Woolsey
– qu’elle n’aimait pas et envers qui elle était censée être
extrêmement fâchée –, au sujet de la relation sentimentale
qu’elle entretenait (ou pas). C’était juste que la présence du
comte lui brouillait complètement les esprits.
Elle ferma les yeux et prit une profonde
inspiration. « Un instant. Pourquoi suis-je en train de vous
parler ? Monsieur le comte, votre conduite de l’autre
soir ! » Elle se leva et se mit à arpenter la petite
pièce encombrée dans un bruissement de jupes, ses yeux lançant de féroces étincelles. Elle
pointa un doigt accusateur sur lui. « Vous n’êtes pas qu’un
loup-garou ; vous, monsieur le comte, êtes un débauché. Voilà
ce que vous êtes ! Vous avez abusé de moi l’autre soir, lord
Maccon. Admettez-le ! Je ne vois absolument pas pourquoi vous
avez jugé nécessaire de (elle s’interrompit, embarrassée) faire ce
que vous avez fait, le soir où l’on m’a presque enlevée. Mais il
est clair que vous avez changé d’avis depuis. Enfin, si vous ne
vous intéressiez à moi que comme à (elle hésita, tentant de trouver
le terme correct) un amusement passager, vous pouviez au minimum me
le dire franchement tout de suite après. » Elle croisa les
bras et le regarda avec mépris. « Pourquoi ne l’avez-vous pas
fait ? Vous croyez que je ne suis pas assez forte pour digérer
cela sans faire une scène ? Je puis vous assurer, monsieur le
comte, que personne n’a plus l’habitude que moi d’être rejetée.
C’est très grossier de votre part de ne pas m’informer que votre
manquement aux bonnes manières n’était qu’une malheureuse impulsion
du moment. Je mérite un peu de respect.
Nous nous connaissons depuis suffisamment longtemps pour cela, à
tout le moins. » Et avec cette remarque, elle perdit tout son
élan, sentit comme une chaleur derrière ses yeux, et refusa de
croire qu’il pouvait s’agir de larmes.
À présent, lord Maccon commençait à ressentir
de la colère, mais pour des raisons différentes. « Vous avez
donc tout compris, n’est-ce pas ? Et pourquoi, dites-moi donc,
aurais-je soudain changé d’avis quant à ma… comment l’avez-vous
appelée ? Malheureuse impulsion du moment ? » Son
accent écossais était particulièrement audible. Alexia aurait pu
être amusée de constater que plus le comte était en colère, plus il
grasseyait. Mais elle était trop furieuse pour le remarquer. Toutes
ses larmes avaient reflué.
Elle cessa de marcher de long en large et leva les
mains au ciel. « Je n’en ai pas la moindre idée ! C’est
vous qui avez commencé. Et fini. Vous m’avez traitée toute la
soirée d’hier comme une connaissance lointaine et pas très
appréciée. Et aujourd’hui vous apparaissez dans mon salon. C’est à
vous de me dire à quoi vous pensiez hier au cours du dîner. Car,
aussi vrai que je suis debout
ici, je n’ai pas la moindre idée de ce que vous voulez, lord
Maccon. C’est la pure et honnête vérité. »
Le comte ouvrit la bouche, puis la referma. En
vérité, il ne savait pas non plus ce qu’il faisait là, et ne
pouvait donc pas vraiment l’expliquer. Ramper, avait dit Lyall. Il
n’avait aucune idée de la façon dont on s’y prenait. Les Alphas ne
rampaient pas, voilà tout. L’arrogance faisait partie des qualités
requises pour occuper la fonction. Lord Maccon n’avait peut-être
pris que récemment la tête de la meute du château de Woolsey, mais
il avait toujours été un Alpha.
Mademoiselle Tarabotti ne put refouler ses
sentiments. Il était rare que quiconque parvînt à clouer le bec au
comte de Woolsey. Elle se sentit à la fois triomphante et troublée.
Elle n’avait cessé de se retourner dans son lit pendant la plus
grande partie de la nuit à cause du dédain qu’il lui avait
témoigné. Elle avait même songé à aller voir Ivy pour lui demander
son opinion sur sa conduite. Ivy,
quelle idée ! Elle devait être désespérée. Et pourtant,
l’origine de son trouble était assise devant elle, apparemment à sa
merci verbale.
Et bien entendu, étant Alexia Tarabotti, elle
entra aussitôt dans le vif du sujet. Elle baissa les yeux sur le
tapis jaune pâle car, aussi courageuse qu’elle fût, elle ne
parvenait pas vraiment à affronter le regard jaune du comte.
« Je n’ai pas beaucoup (elle laissa sa phrase en suspens en
songeant aux images scandaleuses des livres de son père)
d’expérience. Si j’ai fait quelque chose de travers, vous savez
(elle agita une main dans les airs, encore plus gênée à présent,
mais à la fois obligée et déterminée à en finir avec la question),
en baisers, vous devez excuser mon ignorance. Je… »
Elle s’interrompit, car lord Maccon s’était levé
du minuscule sofa, qui grinça en étant soulagé de son poids, et
avança délibérément vers elle. Il était vraiment doué pour dominer
les gens de toute sa taille. Alexia n’avait pas l’habitude de se
sentir si petite.
« Ce n’était pas pour ça, marmotta le comte
d’une voix bourrue.
— Peut-être, proposa mademoiselle Tarabotti en
levant les mains en un geste de défense, avez-vous changé d’avis
parce que vous avez compris à
quel point ce serait ignoble : le comte de Woolsey et une
vieille fille de vingt-six ans ?
— C’est votre âge véritable ? »
murmura-t-il, l’air peu intéressé et sans cesser de s’approcher
d’elle. Il se déplaçait d’une façon menaçante et avide, et sous le
brun chocolat de son veston à la coupe sophistiquée, des muscles
solides remuaient, tout en énergie retenue dont elle était la
cible.
Mademoiselle Tarabotti recula et fut arrêtée par
une grande bergère à oreilles. « Mon père était italien ;
vous en êtes-vous souvenu tout à coup ? »
Lord Maccon se rapprocha, lentement, prêt à bondir
si elle décidait de s’échapper. Ses yeux étaient presque
entièrement jaunes à présent, avec un anneau orange autour de
l’iris. Alexia n’avait jamais remarqué combien ses cils étaient
noirs et épais auparavant.
« Et j’ai des origines écossaises. Qu’est-ce
qui est pire aux yeux de la bonne société de Londres, d’après
vous ? » dit-il.
Alexia toucha son nez et songea à son teint mat.
« J’ai… d’autres… défauts. Peut-être vous sont-ils apparus
lorsque vous y avez réfléchi ? »
Lord Maccon tendit le bras et éloigna avec douceur
la main d’Alexia de son visage. Il la fit descendre avec précaution
vers son autre main puis les emprisonna toutes deux dans sa grosse
patte.
Mademoiselle Tarabotti cligna des yeux à quelques
centimètres de son visage. Elle osait à peine respirer ; elle
ne savait pas s’il allait réellement la manger. Elle tenta de
détourner le regard, mais c’était presque impossible. Ses yeux
étaient redevenus d’un brun fauve dès qu’il l’avait touchée
– ils étaient humains. Mais au lieu de la rassurer, cette
couleur l’effraya encore plus ; aucune menace ne masquait la
faim qu’ils contenaient.
« Heu, monsieur le comte, je ne suis pas
vraiment de la nourriture. Vous vous en rendez compte, n’est-ce
pas ? »
Lord Maccon se pencha en avant.
Alexia le regarda jusqu’à se retrouver presque en
train de loucher. De si près, elle se sentait enveloppée par le
parfum de grandes prairies et de nuits sombres et fraîches.
Oh non, se dit-elle.
Ça recommence.
Surprise, elle recula, puis ouvrit une bouche
généreuse, un peu comme un poisson. « Quoi ? »
Il l’attira contre lui.
Sa voix était grave et chaude contre la joue
d’Alexia. « Votre âge n’est pas un problème. Je m’en moque, et
je me moque aussi que vous soyez une vieille fille depuis je ne
sais combien de temps. Avez-vous la moindre idée de mon âge,
savez-vous depuis combien de temps je suis
célibataire ? » Il lui embrassa la tempe. « Et
j’adore l’Italie. La campagne est belle et la nourriture
fabuleuse. » Il embrassa son autre tempe. « Et je trouve
la beauté parfaite excessivement ennuyeuse, pas vous ? »
Il lui embrassa à nouveau le nez.
Alexia ne put s’en empêcher ; elle recula et
le regarda de haut en bas. « C’est clair. »
Il tressaillit. « Touché. »
Alexia n’était pas femme à laisser tomber.
« Alors pourquoi ? »
Lord Maccon rampa. « Parce que je suis un
vieil idiot de loup qui a trop fréquenté sa meute et pas assez le
reste du monde. »
Ce n’était pas une explication, mais Alexia décida
qu’elle devrait s’en contenter. « C’étaient des excuses,
n’est-ce pas ? » demanda-t-elle, juste pour en être tout
à fait certaine.
Les formuler semblait avoir ôté toute énergie au
comte. Au lieu de lui répondre par l’affirmative, il lui caressa le
visage de sa main libre, comme si elle était un animal qui avait
besoin d’être apaisé. Alexia se demanda comment il la voyait
– comme un chat, peut-être ? D’après son expérience, les
chats n’avaient pas beaucoup d’âme. C’étaient en général de petites
créatures prosaïques et pleines de sens pratique. Être comparée à
un chat lui convenait parfaitement.
« La pleine lune, dit lord Maccon, comme s’il
s’agissait là d’une sorte de clarification, est imminente. (Une
pause.) Vous comprenez ? »
Mademoiselle Tarabotti n’avait pas la moindre idée
de ce dont il parlait. « Euh… »
Il baissa la voix et prit un ton presque honteux.
« Pas beaucoup de contrôle. »
Mademoiselle
Tarabotti écarquilla ses yeux brun sombre et battit des cils pour
tenter de cacher son expression perplexe. C’était une manœuvre à la
Ivy.
Et puis il l’embrassa vraiment, comme il faut et
profondément. Ce qui n’était pas tout à fait ce qu’elle avait
désiré en utilisant la technique du battement de cils, mais elle
n’allait pas se plaindre des conséquences. Ivy avait peut-être mis
le doigt sur quelque chose.
Comme auparavant, il commença avec lenteur, la
berçant de baisers narcotiques. Sa bouche était étonnamment
fraîche. Il déposa une série de petits baisers sur sa lèvre
inférieure, après quoi il appliqua le même traitement à la lèvre
supérieure. C’était délicieux mais cela la rendait folle. Le
phénomène de la langue se reproduisit. Cette fois, Alexia ne trouva
pas la chose aussi déconcertante. En fait, elle se dit qu’elle
pourrait même en arriver à l’apprécier. Mais, comme le caviar, elle
soupçonnait qu’elle allait devoir y goûter plus d’une fois pour
avoir confiance en son plaisir. Lord Maccon semblait bien être
volontaire pour l’y aider. Il semblait également conserver un calme
et un sang-froid des plus exaspérants. Alexia commençait à trouver
bien oppressant le salon encombré de devant. Cette polarité
l’agaçait.
Lord Maccon cessa de la mordiller et reprit les
baisers longs et doux. Alexia, qui n’avait jamais eu beaucoup de
patience, les trouvait à présent tout à fait insatisfaisants. Une
toute nouvelle source d’agacement. Il était clair qu’elle allait
devoir prendre les choses en main – si elle pouvait s’exprimer
ainsi. À titre expérimental, elle pointa sa langue contre les
lèvres du comte. Cela provoqua une réaction nouvelle et agréable de
la part de lord Maccon. Il approfondit son baiser, presque avec
rudesse, inclinant sa bouche au-dessus de celle d’Alexia.
Lord Maccon changea de position, l’attirant plus
près de lui. Il lui lâcha les mains et incurva l’une des siennes
dans ses cheveux, mêlant ses doigts à ses lourdes boucles. Alexia
était convaincue, non sans que sa sensibilité en fût un peu
offensée, qu’il était probablement en train de la dépeigner
horriblement. Il utilisait la manœuvre pour lui incliner la tête
comme il le souhaitait. Et ses souhaits semblaient impliquer encore
plus de baisers. Alexia
décida de le laisser faire comme bon lui semblait.
Il se mit à faire courir son autre main de haut en
bas dans son dos en longues caresses. Un chat,
sans le moindre doute, songea Alexia groggy. Son esprit se
troublait. Les bizarres picotements ensoleillés que semblait
inévitablement provoquer la proximité de lord Maccon parcouraient
son corps avec une intensité alarmante.
Le comte les fit pivoter tous deux sur place.
Alexia n’était pas certaine de la raison pour laquelle il faisait
cela, mais du moment qu’il n’arrêtait pas de l’embrasser, elle
était d’humeur à coopérer. Il ne s’interrompit pas. Il se
débrouilla pour pouvoir lentement descendre vers la bergère en
entraînant Alexia avec lui.
C’était une situation tout à fait inconvenante,
mais mademoiselle Alexia Tarabotti se retrouva inexplicablement
– sa tournure remontée et toutes ses strates de jupe de
travers –, assise dans le giron élégant de lord Maccon.
Il abandonna ses lèvres, ce qui était décevant,
mais se mit à lui mordiller le cou, ce qui était gratifiant. Il
souleva une boucle de cheveux sombres de l’endroit de l’épaule où
elles étaient disposées avec soin. Il fit courir la mèche entre le
bout de ses doigts puis écarta la masse soyeuse.
Alexia se tendit, anticipant la suite, et retint
son souffle.
Il s’interrompit soudain et fit un bond en
arrière. La bergère, déjà mise à rude contribution par ses deux
occupants – dont aucun ne pouvait être décrit comme de
constitution fragile –, vacilla de manière alarmante.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » s’écria lord
Maccon.
Il était passé si rapidement à la colère qu’Alexia
ne put que le dévisager, ébahie et muette.
Elle relâcha son souffle en un énorme soupir. Son
cœur courait un marathon quelque part dans le voisinage de sa
gorge, sa peau était chaude et tendue sur ses os et elle était
mouillée à des endroits où elle était relativement certaine que des
dames de bonne famille célibataires n’étaient pas censées
l’être.
Lord Maccon fixait sa peau couleur café, qui était
décolorée entre le cou et l’épaule par une marque violette très
laide de la forme et de la taille d’une mâchoire d’homme.
Alexia fit
cligner ses yeux bruns, lesquels perdirent leur expression trouble.
Un petit pli préoccupé apparut entre ses sourcils.
« C’est une marque de morsure, monsieur le
comte, dit-elle, satisfaite d’entendre que sa voix ne tremblait
pas, même si elle était un peu plus grave que d’ordinaire.
Lord Maccon enragea encore plus. « Qui vous a
mordue ? » rugit-il.
Alexia pencha la tête sur le côté, complètement
éberluée.
« Vous. » Elle fut alors récompensée par
le spectacle extraordinaire d’un loup-garou Alpha avec un air de
chien battu.
« Moi ? »
Elle leva les deux sourcils dans sa
direction.
« Moi. »
Elle hocha la tête, une fois, avec fermeté.
Lord Maccon passa une main égarée dans ses cheveux
déjà en désordre. Ses mèches brun sombre formèrent des épis.
« Quel bougre d’âne je fais, dit-il. Pire qu’un louveteau dans
sa première saison. Je suis désolé, Alexia. C’est la lune et le
manque de sommeil. »
Alexia hocha la tête en se demandant si elle
devait lui faire remarquer qu’il avait manqué aux règles de la
politesse et utilisé son prénom. Cela lui parut cependant un peu
idiot étant donné leurs récentes activités. « Oui, je vois.
Euh. C’est-à-dire ?
— Le contrôle. »
Elle se dit qu’elle finirait à un moment ou à un
autre des opérations par comprendre ce qui se passait, mais il ne
semblait pas que ce fût le bon. « Quel contrôle ?
— Précisément ! »
Mademoiselle Tarabotti plissa les yeux puis dit
quelque chose de très hardi. « Vous pourriez embrasser le bleu
et l’améliorer. » Enfin, peut-être pas si osé que ça pour
quelqu’un qui était installé de manière aussi intime qu’elle
l’était dans le giron de lord Maccon. Après tout, elle avait lu
suffisamment de livres de son père pour savoir exactement ce qui
était bien dur et faisait pression au même niveau que ses régions
inférieures.
— Vous ne le pensez pas ? » Embarrassée
par son audace, Alexia se tortilla contre lui en tentant de se
dégager.
Le comte jura et ferma les yeux. Une pellicule de
transpiration luisante apparut sur son front.
Prudemment, Alexia se tortilla à nouveau.
Lord Maccon gémit et posa la tête contre la
clavicule d’Alexia en plaquant ses deux mains sur ses hanches pour
arrêter son mouvement.
La curiosité scientifique d’Alexia était éveillée.
Était-il devenu plus gros là, en bas ? Était-ce là le taux
d’expansion maximum que l’on pouvait obtenir ? se
demanda-t-elle. Elle sourit avec un brin de malice. Il ne lui était
pas venu à l’idée qu’elle pouvait avoir une quelconque influence
sur cette rencontre. Elle décida sur-le-champ qu’étant une vieille
fille confirmée et qui ne désirait pas laisser monsieur MacDougall
n’en faire qu’à sa tête, il s’agissait peut-être là de l’unique
occasion qu’elle aurait jamais de tester des théories qu’elle
entretenait depuis longtemps et qui étaient plutôt
intéressantes.
« Lord Maccon », murmura-t-elle en se
tortillant à nouveau malgré la fermeté de sa poigne.
Il renifla et dit d’une voix étranglée :
« J’imagine que vous pouvez vous permettre de m’appeler par
mon prénom étant donné les circonstances.
— Hem ? fit Alexia.
— Hem, Conall, suggéra lord Maccon.
— Conall », répéta-t-elle en abandonnant les
derniers de ses scrupules – l’œuf étant cassé, autant faire
une omelette avec. Et puis elle se laissa distraire par la
sensation des muscles du dos de lord Maccon sous ses mains. Ses
mains qui avaient rencontré son manteau et s’étaient débrouillées
pour le lui enlever sans cérémonie et sans qu’elle s’en
aperçût.
« Oui, Alexia ? » Il leva les yeux
vers elle. Était-ce de la peur dans ses yeux couleur
caramel ?
« Je vais profiter de vous », dit-elle,
et sans lui donner l’occasion de répondre, elle commença à dénouer
sa cravate.