Saint-André-de-Cubzac.
Au moment où, dans son exil de Touraine, leur fille affrontait seule la colère de François Ier, ses parents, loin d’imaginer de telles scènes, s’étaient mis en route de leur côté. Le roi de France leur avait donné rendez-vous à Châtellerault pour les noces de Jeanne, dont il avait fixé la date au 14 juin.
« C’est la meilleure saison, lui avait fait répondre Henri d’Albret ; il faut que les cérémonies soient belles ! » Ce changement soudain d’attitude avait un peu surpris son beau-frère ; mais puisque les choses avançaient dans le bon sens – autrement dit : le sien – il n’avait pas cherché plus outre.
En vérité, ce revirement brutal obéissait à un basculement de la situation ; il était lié, naturellement, à la maladie de Marguerite. Longtemps restée entre la vie et la mort, la reine de Navarre demeurait fragile, en effet. Peu à peu, sa santé s’était en partie rétablie. Mais si la reine avait recouvré, progressivement, l’usage de ses membres gauches, puis celui de la parole, ainsi que ses facultés auditives et gustatives, la vue tardait à lui revenir. Son œil gauche demeurait presque aveugle.
Forcément, un tel accident avait donné à réfléchir aux Albret. Ils s’étaient dit que si Marguerite, d’un jour à l’autre, venait à disparaître, Henri aurait tout loisir de se remarier et que, probablement, sa nouvelle épouse lui donnerait des enfants mâles. Ainsi, Jeanne perdrait son statut d’héritière du petit royaume ; et dans ce cas, la prestigieuse alliance d’un duc de Clèves ne serait plus à mépriser.

Voyageant lentement, afin de ménager la convalescente, les souverains navarrais entraient dans Saint-André-de-Cubzac, aux confins nord du Bordelais, quand ils eurent la surprise de trouver, à l’entrée du relais, le gendre d’Aimée de Lafayette.
M. de Lavedan, visiblement ému, les attendait depuis la veille pour leur communiquer une nouvelle importante. La litière de la reine était vaste, et le roi le pria d’y monter avec eux.
— Que s’est-il donc passé ? s’inquiéta Marguerite.
— Ne vous agitez pas, la supplia son mari en lui caressant le front ; il ne vous faut point d’émotion...
Car il pouvait se montrer aussi doux, aussi prévenant, qu’il était parfois brusque et emporté.
— Sachez que votre fille est digne de ses parents ! déclara Lavedan. Elle a, toute seule du haut de ses treize ans, tenu tête au roi l’autre matin.
Henri et Marguerite étaient partagés entre leur fierté amusée de parents et leur embarras politique de souverains. Ils décidèrent de mettre le gendre d’Aimée dans la confidence.
— La dégradation si rapide de mon état nous oblige à tout reconsidérer, expliqua Marguerite. Car tout peut changer très vite ! De deux choses l’une : ou bien je meurs incessamment et, dans ce cas, je préfère savoir ma fille mariée, et mariée richement ; ou bien je dois vivre, et alors, il sera toujours temps de faire annuler cette union allemande...
Le messager opina poliment du chef. Ainsi donc, se dit-il, l’objectif des parents de Jeanne avait changé ; il ne s’agissait plus, pour eux, d’empêcher ce mariage, mais plutôt de multiplier les ouvertures en faveur de son annulation éventuelle.
La litière était arrivée dans la cour du relais, mais ses occupants étaient trop affairés pour songer à en descendre.
— Voici une copie de la lettre que j’ai moi-même adressée au roi de France, dit Henri en tendant une missive au vicomte. Celui-ci devait y lire des phrases surprenantes. « Jeanne est bien jeune, avait ainsi argumenté le roi de Navarre, et vous savez comme moi combien sa santé est fragile. Il me paraîtrait dangereux pour elle, et délicat pour cette alliance, que l’union fût trop tôt consommée. » Ce dont François Ier avait convenu sans peine.
— Je crains seulement que votre fille ne comprenne pas cette stratégie, jugea Lavedan.
— Nous ne la mettrons pas dans la confidence, précisa Henri.
— C’est plus sûr, approuva Marguerite.
Elle était encore affreusement pâle.
Ces noces de Châtellerault, décidément, s’annonçaient semées de périls.