016
Richard, posté à la mairie, se servait des talkies-walkies   pour diffuser un message. Claire, qui les croyait hors d’usage depuis la défection d’Oliver, fut surprise de découvrir Michael, Eve et Shane réunis autour d’une des radios dans le salon. Claire laissa aussitôt tomber son sac à dos pour les rejoindre.
— Qu’est-ce que j’ai raté ?
— Chut ! soufflèrent-ils en chœur.
Assis autour de la table, ils observaient tous les trois avec vénération le talkie-walkie placé au centre. Michael tira une chaise pour Claire et elle s’y installa le plus discrètement possible. Richard était en train de parler :
— ... aucune information nous permettant de savoir si cet ouragan nous frappera de front ou non, toutefois dans l’immédiat les prévisions météorologiques semblent aller dans ce sens. Il devrait nous atteindre dans quelques heures, à la tombée du jour. La saison des tornades est passée, mais les risques de dégâts importants sont réels. Ce danger qui vient s’ajouter à tous les problèmes en cours est loin d’être une bonne nouvelle. Je mets tous les services d’urgence et les patrouilles en état d’alerte. Si une tornade arrive sur Morganville, vous devrez tous gagner l’abri qui vous a été assigné.
Claire tourna un regard interrogateur vers Michael, qui haussa les épaules.
— Si vous vous trouvez plus près de la mairie, venez ici, la cave fait office d’abri. Les pompiers volontaires se chargeront de prévenir les résidents, zone par zone, du risque imminent d’ouragan, et de leur transmettre les instructions. Nous nous apprêtons à diffuser un message télévisé et radiophonique. De son côté, l’université se prépare à faire face.
— Richard, ici Hector, lança une voix inconnue. Hector Miller. Des nouvelles du côté du putsch ?
— Il s’agit de rumeurs, aucune information n’a été confirmée. Nous avons entendu parler d’un coup d’État prévu contre la mairie, cependant nous n’avons aucun détail sur l’identité des comploteurs ni sur l’endroit où ils se réunissent. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous avons renforcé la sécurité du bâtiment et que les barrières de sécurité sont toujours présentes autour de la place de la Fondatrice, à supposer qu’elles puissent servir à quelque chose. Je compte sur la vigilance de ceux d’entre vous postés dans les points stratégiques, jour comme nuit. Signalez toute attaque et n’hésitez pas à vous manifester au moindre soupçon. Nous vous enverrons des renforts.
Après avoir échangé un regard avec ses colocataires Michael prit la radio.
— Michael Glass à l’appareil. Tu penses que Bishop est derrière ce complot ?
— Je pense que Bishop se frotte les mains de voir les humains se charger du sale boulot. Il attend son heure pour faire son entrée. Rien ne l’arrangera autant qu’être couronné sur un tas de cendres... Passe-moi Shane.
Michael tendit la radio à son ami, qui la considéra avec méfiance, comme si elle risquait de le mordre, avant de s’en emparer.
— Deux sources qui n’ont pas été confirmées rapportent avoir vu ton père en ville. Je sais que ce n’est pas facile pour toi, mais je dois savoir : Frank Collins est-il de retour à Morganville ?
Après avoir plongé les yeux dans ceux de Claire, Shane répondit :
— Si c’est le cas, il ne m’a pas prévenu.
Mensonge. Claire ouvrit la bouche pour réagir, seulement les mots lui manquaient.
— Shane, murmura-t-elle.
Il secoua la tête, puis poursuivit :
— Tu sais quoi, Richard ? Si vous attrapez mon père, vous avez mon aval pour le jeter au trou, dans la cellule la plus pourrie. S’il est à Morganville, c’est qu’il a un plan. Par contre, il ne s’associera jamais aux vampires. Pas de son plein gré en tout cas.
— Entendu. S’il te contacte…
— Je vous préviens, pigé.
Shane reposa le talkie-walkie au centre de la table. Claire continuait à le fixer dans l’espoir qu’il se raviserait et dirait quelque chose, n’importe quoi. Il n’en fit rien.
— Tu ne peux pas me mettre dans cette situation, lui chuchota-t-elle. Je me retrouve coincée entre deux camps.
— Pas du tout, rétorqua-t-il. Mes paroles ne contenaient pas un seul mensonge. Mon père m’a prévenu de son intention de venir, pas de son arrivée. Je ne l’ai pas vu et je n’ai pas l’intention d’aller le chercher. J’étais très sérieux. S’il est à Morganville, Richie et ses flics ont carte blanche. Je n’ai plus rien à voir avec mon père.
Si elle demandait encore à être convaincue, Claire savait que Shane ne lui mentait pas délibérément. Il était sans doute sincère. Elle craignait simplement qu’en dépit de ses protestations, il suffise d’un claquement de doigts de Frank Collins pour qu’il accourre. Et ça ne la rassurait pas.
Richard répondait à d’autres questions, mais Michael n’écoutait plus.
— Tu étais au courant ? demanda-t-il, les yeux rivés sur Shane. Tu savais qu’il comptait débarquer et tu ne m’as pas prévenu ?
Mal à l’aise, son colocataire s’agita sur sa chaise.
— Écoute...
— Non, toi, tu écoutes. C’est moi qui ai été poignardé, décapité et enterré dans le jardin, entre autres réjouissances ! Heureusement que j’étais un fantôme !
Baissant les yeux, Shane rétorqua :
— Qui voulais-tu que j’alerte ? Les vampires ? Sérieux, mec !
— Moi ! Tu aurais pu m’en parler à moi !
— Tu es un vampire. Au cas où tu ne te serais pas observé dans un miroir récemment.
Michael se leva brusquement et sa chaise glissa sur près d’un mètre avant de s’immobiliser. Les mains posées à plat sur la table, il se pencha d’un air menaçant vers son ami.
— Oh, je le fais tous les jours, figure-toi. Et toi, Shane ? Depuis combien de temps tu ne t’es pas regardé en face ? Parce que, en ce qui me concerne, je ne suis plus sûr de te connaître.
Shane releva aussitôt la tête, visiblement blessé par cette dernière remarque.
— Je ne voulais pas…
— Je pourrais très bien être le dernier vampire du coin, l’interrompit Michael. Les autres sont peut-être morts. En tout cas, ça nous pend au nez. Entre les humains prêts à nous arracher la tête et Bishop qui attend de prendre le pouvoir, il ne manquait plus que ton père pour que la fête soit plus folle !
— Jamais il ne…
— Il m’a déjà tué une fois, ou plutôt il a essayé. Il recommencerait sans hésiter, et tu le sais, Shane. Tu le sais ! Il me considère comme un traître à la race humaine. Je serai une de ses cibles privilégiées.
Shane ne répondit rien cette fois. Michael récupéra la radio qu’il fixa à la poche de son jean. Il fulminait, sa chevelure blonde paraissait lancer des éclairs, et ses traits d’albâtre s’étaient durcis. Son ami n’osait pas soutenir son regard.
— Si tu as envie de filer un coup de main à ton père dans sa croisade anti-vampires, tu sais où me trouver, mec.
Michael disparut au premier. Soudain, il ne semblait plus y avoir une once d’oxygène dans le salon. Claire avait la respiration lourde. Les grands yeux sombres d’Eve, écarquillés, étaient rivés sur Shane. Elle se leva lentement.
— Eve... lança-t-il en tendant la main vers elle.
Elle s’écarta avant de rétorquer :
— Je n’y crois pas. Tu m’as déjà vue courir lécher les bottes de ma mère ? Non. Et pourtant elle n’a pas commis de meurtre, elle.
— Morganville doit changer.
— Réveille-toi, Shane ! Le changement a déjà commencé ! Ça fait des mois qu’il se passe sous ton nez ! Les vampires et les humains apprennent à vivre ensemble. À avoir confiance les uns dans les autres. Ils essaient. Bien sûr, c’est difficile, mais ils ont des raisons d’avoir peur de nous, de bonnes raisons. Tu es prêt à bazarder tout ça pour aider ton père à installer une guillotine sur la place de la Fondatrice ?
Le regard allumé d’un éclat amer, elle conclut :
— Va te faire voir.
— Je n’ai pas…
Elle gagna d’un pas retentissant l’escalier, laissant Shane et Claire seuls. La gorge nouée, il tenta de détendre l’atmosphère.
— Ça aurait pu mieux se passer…
Quand il la vit se lever à son tour, il ajouta :
— Oh, allez, Claire, pas toi aussi. Ne pars pas, s’il te plaît.
— Tu aurais dû lui dire. Je n’en reviens pas que tu ne l’aies pas fait. C’est ton ami... Du moins je le croyais.
— Où vas-tu ?
Elle prit une profonde inspiration.
— Je vais préparer mes valises. J’ai décidé de m’installer avec mes parents.
 
Elle n’en fit rien, cependant. Une fois dans sa chambre, porte fermée, elle examina sa maigre garde-robe. Elle consistait pour l’essentiel en linge sale. Assise sur son lit, sans réussir à détacher ses yeux de ses quelques vêtements, elle fut envahie par un sentiment d’abandon et de solitude. Cherchait-elle à faire passer un message ou prenait-elle tout simplement la fuite comme une gamine ? Elle se sentait idiote maintenant qu’elle avait sorti toutes ses affaires, qui formaient un ensemble pathétique.
Elle ne répondit pas immédiatement lorsqu’on frappa à sa porte. Elle savait qu’il s’agissait de Shane. « Laisse-moi », songea-t-elle bien même si elle savait qu’il n’était pas doué pour lire dans les pensées. Il frappa à nouveau.
— Ce n’est pas fermé à clé, dit-elle.
— Mais ce n’est pas non plus ouvert, rétorqua-t-il sans animosité. J’ai quelques manières, quand même.
— Des fois j’en doute.
— O.K., je le reconnais, je me suis conduit comme un trouduc.
Elle entendit le parquet craquer – il devait transférer son poids d’une jambe sur l’autre.
— Claire... hésita-t-il.
— Entre.
Il se figea sur le seuil en découvrant les affaires entassées devant elle, prêtes à rejoindre l’unique valise dont elle disposait.
— Tu es sérieuse, alors ?
— Oui.
— Tu vas tout remballer et partir ?
— Tu sais bien que c’est ce que mes parents veulent.
Il conserva le silence un long moment, puis plongea la main dans la poche arrière de son jean et en sortit un écrin noir, large comme sa paume.
— Tiens, alors. Je comptais te l’offrir plus tard, mais il vaut sans doute mieux que je te le donne maintenant, avant que tu nous laisses.
Il avait beau s’exprimer avec un détachement qui paraissait n’avoir rien de forcé, Claire remarqua qu’il avait les doigts gelés quand elle lui prit la boîte des mains. Elle ne lui avait jamais vu une telle expression – de peur sans doute, comme s’il se préparait à encaisser un coup douloureux.
Après avoir hésité l’espace d’une seconde, elle entrouvrit le couvercle de l’écrin en cuir. Monté sur des ressorts, il se souleva d’un coup sec.
Oh…
La croix en argent délicatement travaillé était sublime ; des lianes s’enroulaient autour des branches. Elle était passée sur une chaîne si fine que Claire eut l’impression de pouvoir la faire fondre d’un souffle. Lorsqu’elle prit le collier dans sa main, elle fut surprise de ne sentir aucun poids.
— Je…
Elle ne trouvait pas de mots pour exprimer ce qu’elle éprouvait. Elle était comme en état de choc.
— C’est magnifique, finit-elle par articuler.
— Je sais que les croix ne marchent pas contre les vampires, expliqua-t-il. Bon, je le reconnais, je croyais que si à l’époque où je te l’ai achetée. Mais c’est de l’argent, et je crois que l’argent permet de les repousser, alors j’espère que ça te servira.
Ce cadeau n’avait rien d’insignifiant. Shane ne roulait pas sur l’or, il bossait de temps à autre et n’était pas dépensier. Or il ne s’agissait pas d’un collier de pacotille, il était en argent véritable.
— Je ne peux pas accepter… C’est trop.
Le cœur de Claire tambourinait si fort dans sa poitrine qu’il l’empêchait de penser. Elle aurait aimé savoir ce qu’elle était censée ressentir, comment elle était censée agir. Sur un coup de tête, elle replaça la chaîne et la croix dans l’écrin, qu’elle referma d’un bruit sec et lui tendit.
— Je ne peux pas, Shane.
Il lui adressa un sourire attristé.
— Ce n’est pas une bague ou un truc dans le genre. Garde-le. De toute façon, ça n’irait pas avec mes yeux.
Il enfonça les mains dans les poches et, épaules baissées, quitta sa chambre. Toujours sous le coup de la surprise, Claire serra la boîte dans sa paume moite avant d’en soulever à nouveau le couvercle. Se détachant sur le velours noir, la croix brillait de mille feux. Elle devint floue et Claire comprit qu’elle avait les yeux embués de larmes. Elle éprouvait enfin quelque chose, un sentiment qui prenait bien trop de place à l’intérieur de son petit corps fragile.
— Oh... murmura-t-elle. Oh, mon Dieu !
Il ne s’agissait pas d’un cadeau quelconque. Il avait dû y consacrer beaucoup de temps et d’effort. C’était une preuve d’amour. D’amour sincère.
Ses doigts tremblaient tellement qu’elle dut s’y reprendre à deux fois pour attacher la chaîne autour de son cou. Puis elle sortit dans le couloir et, sans se donner la peine de frapper, pénétra dans la chambre de Shane. Posté à la fenêtre, il avait le regard perdu dehors. Il lui parut différent. Plus vieux. Plus triste. Lorsqu’il pivota vers elle, ses yeux tombèrent sur la croix au creux de sa gorge.
— Tu es un vrai idiot, dit-elle.
Après avoir pris le temps de la réflexion, il hocha la tête.
— Ouais, la plupart du temps, je suis même pire que ça.
— Mais il t’arrive aussi de faire des trucs absolument incroyables…
— Je sais. C’est pour ça que j’ai précisé « la plupart du temps ».
— Tu as tes moments de gloire.
Son sourire se faisait encore hésitant quand il demanda :
— Alors, elle te plaît ?
Caressant du bout des doigts les fines branches d’argent, elle rétorqua :
— Je la porte, non ?
— Ça ne veut pas dire que nous…
— Tu m’as dit que tu m’aimais, l’interrompit Claire. Tu l’as dit.
Réduit au silence, il la dévisagea avant d’acquiescer. Il rougissait progressivement.
— Eh bien, je t’aime aussi, ce qui ne t’empêche pas d’être un idiot. La plupart du temps.
— On ne se disputera pas à ce sujet.
Lorsqu’il croisa les bras, elle dut faire un effort pour ne pas étudier la courbe de ses muscles saillants ou la lueur de vulnérabilité dans ses yeux.
— Alors, tu déménages ? reprit-il.
— Ce serait plus raisonnable, répondit-elle tout bas. L’autre nuit...
— Claire, sois franche avec moi. Tu déménages ?
Elle tenait la croix entre son pouce et son index à présent, et celle-ci lui paraissait brûlante.
— Je ne peux pas, finit-elle par lâcher. Je dois d’abord faire des lessives et j’en ai au moins pour un mois. Tu as vu le tas de linge sale ?
Il partit d’un éclat de rire qui sembla le vider de toutes ses forces ; il s’affala sur son lit défait. Claire attendit quelques secondes pour venir s’asseoir à côté de lui. Il lui passa un bras autour des épaules.
— La vie exige des efforts constants, dit-il. C’est ce que ma mère répétait toujours. Je suis un peu tire-au-flanc, je sais.
Dans un soupir, Claire s’autorisa à s’abandonner contre lui.
— Heureusement pour toi que je suis travailleuse.
Il s’apprêtait – enfin ! – à l’embrasser quand un son attira leur attention au-dessus de leurs têtes. Il provenait du grenier.
— Tu as entendu ? s’enquit Shane.
— Ouais, on aurait dit des bruits de pas.
— Super, je croyais que ce portail ne devait fonctionner que dans un sens…
Il plongea la main sous son lit et en ressortit un pieu.
— Va chercher Michael et Eve, intima-t-il en lui remettant un second pieu avec une pointe en argent. C’est la Rolls des tueurs de vampires, ne l’abîme pas.
— T’es vraiment zarbi, remarqua-t-elle en l’acceptant malgré tout.
Elle fonça à sa chambre pour récupérer le petit poignard qu’Amelie lui avait offert et le glissa dans sa poche. Elle se précipita dans le couloir : la chambre d’Eve était vide mais, quand elle frappa à la porte de Michael, le petit cri de surprise qui retentit semblait bien sortir de la bouche de celle-ci.
— Quoi ? lança-t-il.
— Des ennuis, répondit Claire. Enfin, sans doute. Du bruit dans le grenier.
Cette nouvelle ne parut pas le réjouir davantage que Shane.
— Super, lâcha-t-il, j’arrive dans une seconde.
Une conversation étouffée, suivie d’un bruissement de tissu, lui parvint. Claire se demanda s’il était en train de s’habiller avant de chasser aussitôt cette image de son esprit – ce n’était pas le moment d’avoir ce genre de pensées, au sujet de Michael en plus : elle avait d’autres sujets de préoccupation. Comme la présence d’un intrus dans leur grenier.
La porte s’ouvrit à la volée, livrant passage à une Eve rouge et échevelée, qui n’avait pas terminé de boutonner son chemisier.
— Ce n’est pas ce que tu crois, commença-t-elle, on était seulement... Oh, et puis mince, peu importe, c’est exactement ce que tu crois. Alors, où est le problème ?
Un objet tomba et roula sur le plancher au-dessus de leurs têtes. Sans prononcer un mot, Claire pointa un index vers le plafond et Eve suivit la trajectoire du regard, comme si elle espérait voir quelque chose à travers le bois et le plâtre. Elle sursauta lorsque Michael, qui avait enfilé une chemise à la hâte – sans la fermer –, posa une main sur son épaule. Il pressa aussitôt un doigt sur ses lèvres.
Shane sortit alors de sa chambre, un pieu dans chaque main. Il en lança un à Michael.
« Et moi ? articula Eve en silence.
— Débrouille-toi comme une grande fille », répondit-il sur le même mode. Après avoir levé les yeux au ciel, elle fila dans sa chambre, dont elle ressortit avec une grande besace noire passée en bandoulière. Claire en déduisit que le sac devait être plein d’armes. Eve farfouilla avant d’en tirer un pieu, sur lequel étaient gravées ses initiales.
— Travaux manuels, murmura-t-elle. Vous voyez bien que j’ai appris quelque chose au lycée !
Michael pressa l’interrupteur permettant d’ouvrir la porte dissimulée dans le mur, qui coulissa sans un bruit. Aucune lumière ne provenait du deuxième étage, l’escalier était plongé dans l’obscurité la plus totale.
D’un accord commun, il s’y engagea le premier – autant que sa vision accrue de vampire lui serve à quelque chose. Shane était sur ses talons, puis Eve. Claire, qui fermait donc la marche, s’efforça de se déplacer le plus silencieusement possible (le poids de leurs quatre corps faisait malheureusement craquer les marches). Arrivée au sommet de l’escalier, elle percuta Eve.
— Quoi ? chuchota-t-elle.
Eve lui serra la main et répondit :
— Michael a senti du sang.
Celui-ci allumait justement une lampe à l’autre bout de la petite pièce silencieuse. Ils ne remarquèrent rien d’étrange ; les meubles étaient à leur place habituelle. Aucun signe ne trahissait la visite de quiconque depuis le départ des Goldman et de Myrnin.
— Comment rejoint-on le grenier ? demanda Shane.
Michael déplaça plusieurs clous sur le mur et une autre porte, à peine visible, s’entrouvrit de l’autre côté de la pièce. Claire s’en souvenait parfaitement : Myrnin la lui avait montrée, lorsqu’ils étaient venus se préparer avant le bal en l’honneur de Bishop.
— Restez ici, ordonna Michael en s’engouffrant dans le petit boyau.
— C’est ça, observa Shane, qui lui emboîta le pas tout en lançant par-dessus son épaule : Non, pas vous deux. Ne bougez pas.
— Il ne se rend pas compte que c’est injuste et sexiste ? s’emporta Eve. Les hommes, je te jure...
— Tu aurais vraiment préféré qu’ils te laissent y aller en premier ?
— Bien sûr que non. Mais j’aurais voulu pouvoir refuser d’y aller en premier.
Elles patientèrent dans un état de tension extrême, aux aguets. Le silence succéda aux bruits de pas. Puis Shane s’écria :
— Michael, mec… par ici.
Si sa voix trahissait une certaine inquiétude, il ne semblait pas prêt à se jeter dans un corps à corps farouche. Après avoir échangé un regard avec Claire, Eve lança :
— Oh, tant pis !
Elle s’engouffra dans le couloir étroit menant au grenier. Claire la suivit, les doigts crispés sur la Rolls des pieux, priant en silence pour ne pas avoir à s’en servir. Shane était accroupi derrière un entassement de valises poussiéreuses, Michael à ses côtés. Eve étouffa un petit cri lorsqu’elle découvrit la silhouette au-dessus de laquelle ils étaient penchés ; elle tendit le bras pour stopper Claire, qui ne s’arrêta pas avant d’avoir aperçu le corps gisant sur les planches en bois. Elle eut du mal à le reconnaître. Sans la queue-de-cheval grise et le manteau en cuir...
— Oliver… murmura-t-elle.
Eve se mordait la lèvre inférieure au point que celle-ci était blanche.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? voulut savoir Claire.
— De l’argent, expliqua Michael. En quantité. Ce métal attaque la peau des vampires comme de l’acide, mais il devrait s’en tirer. À moins que...
Il s’interrompit en voyant les paupières pâles et brûlées papilloter.
— Il est en vie, conclut Michael.
— Les vampires sont durs à tuer, souffla Oliver d’un filet de voix qui se brisa soudain. Doux Jésus, ça fait mal.
Michael consulta Shane du regard, puis lança :
— Emmenons-le en bas. Claire, va chercher du sang dans le frigo. Il doit en rester quelques poches.
— Non, grommela Oliver en s’asseyant.
Des auréoles de sang ornaient sa chemise blanche : il devait être écorché à vif en dessous.
— Pas le temps, ajouta-t-il. Il va y avoir une attaque sur la mairie, ce soir. Bishop. Elle servira de diversion pour…
Il ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes qui roulèrent dans leurs orbites et perdit connaissance. Michael le souleva par les aisselles. Avec l’aide de Shane, il le transporta jusqu’au sofa, suivi d’Eve qui traînait les pieds. Claire s’apprêtait à quitter le grenier à son tour lorsqu’un raclement attira son attention. Oliver n’était pas venu seul.
Une ombre se détacha soudain de l’obscurité, bondit sur elle et un objet lourd s’abattit sur son crâne. Claire avait dû faire du bruit, peut-être renverser quelque chose, parce qu’elle entendit Shane l’appeler. Elle aperçut même sa silhouette dans l’embrasure de la porte avant que l’obscurité n’engloutisse tout.