
Richard, posté à la
mairie, se servait des talkies-walkies pour diffuser un
message. Claire, qui les croyait hors d’usage depuis la défection
d’Oliver, fut surprise de découvrir Michael, Eve et Shane réunis
autour d’une des radios dans le salon. Claire laissa aussitôt
tomber son sac à dos pour les rejoindre.
— Qu’est-ce que j’ai raté ?
— Chut ! soufflèrent-ils en chœur.
Assis autour de la table, ils observaient tous les
trois avec vénération le talkie-walkie placé au centre. Michael
tira une chaise pour Claire et elle s’y installa le plus
discrètement possible. Richard était en train de
parler :
— ... aucune information nous permettant de
savoir si cet ouragan nous frappera de front ou non, toutefois
dans l’immédiat les
prévisions météorologiques semblent aller dans ce sens. Il devrait
nous atteindre dans quelques heures, à la tombée du jour. La saison
des tornades est passée, mais les risques de dégâts importants sont
réels. Ce danger qui vient s’ajouter à tous les problèmes en cours
est loin d’être une bonne nouvelle. Je mets tous les services
d’urgence et les patrouilles en état d’alerte. Si une tornade
arrive sur Morganville, vous devrez tous gagner l’abri qui vous a
été assigné.
Claire tourna un regard interrogateur vers
Michael, qui haussa les épaules.
— Si vous vous trouvez plus près de la
mairie, venez ici, la cave fait office d’abri. Les pompiers
volontaires se chargeront de prévenir les résidents, zone par zone,
du risque imminent d’ouragan, et de leur transmettre les
instructions. Nous nous apprêtons à diffuser un message télévisé et
radiophonique. De son côté, l’université se prépare à faire
face.
— Richard, ici Hector, lança une voix
inconnue. Hector Miller. Des nouvelles du côté du
putsch ?
— Il s’agit de rumeurs, aucune information
n’a été confirmée. Nous avons entendu parler d’un coup d’État prévu
contre la mairie, cependant nous n’avons aucun détail sur
l’identité des comploteurs ni sur l’endroit où ils se réunissent.
Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous avons renforcé la
sécurité du bâtiment et que les barrières de sécurité sont toujours
présentes autour de la place de la Fondatrice, à supposer qu’elles
puissent servir à quelque chose. Je compte sur la vigilance de ceux
d’entre vous postés dans les
points stratégiques, jour comme nuit. Signalez toute attaque et
n’hésitez pas à vous manifester au moindre soupçon. Nous vous
enverrons des renforts.
Après avoir échangé un regard avec ses
colocataires Michael prit la radio.
— Michael Glass à l’appareil. Tu penses que
Bishop est derrière ce complot ?
— Je pense que Bishop se frotte les mains de
voir les humains se charger du sale boulot. Il attend son heure
pour faire son entrée. Rien ne l’arrangera autant qu’être couronné
sur un tas de cendres... Passe-moi Shane.
Michael tendit la radio à son ami, qui la
considéra avec méfiance, comme si elle risquait de le mordre, avant
de s’en emparer.
— Deux sources qui n’ont pas été confirmées
rapportent avoir vu ton père en ville. Je sais que ce n’est pas
facile pour toi, mais je dois savoir : Frank Collins est-il de
retour à Morganville ?
Après avoir plongé les yeux dans ceux de Claire,
Shane répondit :
— Si c’est le cas, il ne m’a pas
prévenu.
Mensonge. Claire ouvrit la bouche pour réagir,
seulement les mots lui manquaient.
— Shane, murmura-t-elle.
Il secoua la tête, puis poursuivit :
— Tu sais quoi, Richard ? Si vous
attrapez mon père, vous avez mon aval pour le jeter au trou, dans
la cellule la plus pourrie. S’il est à Morganville, c’est qu’il a
un plan. Par contre, il ne
s’associera jamais aux vampires. Pas de son plein gré en tout
cas.
— Entendu. S’il te contacte…
— Je vous préviens, pigé.
Shane reposa le talkie-walkie au centre de la
table. Claire continuait à le fixer dans l’espoir qu’il se
raviserait et dirait quelque chose, n’importe quoi. Il n’en fit
rien.
— Tu ne peux pas me mettre dans cette
situation, lui chuchota-t-elle. Je me retrouve coincée entre deux
camps.
— Pas du tout, rétorqua-t-il. Mes paroles ne
contenaient pas un seul mensonge. Mon père m’a prévenu de son
intention de venir, pas de son arrivée. Je ne l’ai pas vu et je
n’ai pas l’intention d’aller le chercher. J’étais très sérieux.
S’il est à Morganville, Richie et ses flics ont carte blanche. Je
n’ai plus rien à voir avec mon père.
Si elle demandait encore à être convaincue, Claire
savait que Shane ne lui mentait pas délibérément. Il était sans
doute sincère. Elle craignait simplement qu’en dépit de ses
protestations, il suffise d’un claquement de doigts de Frank
Collins pour qu’il accourre. Et ça ne la rassurait pas.
Richard répondait à d’autres questions, mais
Michael n’écoutait plus.
— Tu étais au courant ? demanda-t-il,
les yeux rivés sur Shane. Tu savais qu’il comptait débarquer et tu
ne m’as pas prévenu ?
Mal à l’aise, son colocataire s’agita sur sa
chaise.
— Non, toi, tu écoutes. C’est moi qui ai été
poignardé, décapité et enterré dans le jardin, entre autres
réjouissances ! Heureusement que j’étais un
fantôme !
Baissant les yeux, Shane rétorqua :
— Qui voulais-tu que j’alerte ? Les
vampires ? Sérieux, mec !
— Moi ! Tu aurais pu m’en parler à
moi !
— Tu es un vampire. Au cas où tu ne te serais
pas observé dans un miroir récemment.
Michael se leva brusquement et sa chaise glissa
sur près d’un mètre avant de s’immobiliser. Les mains posées à plat
sur la table, il se pencha d’un air menaçant vers son ami.
— Oh, je le fais tous les jours, figure-toi.
Et toi, Shane ? Depuis combien de temps tu ne t’es pas regardé
en face ? Parce que, en ce qui me concerne, je ne suis plus
sûr de te connaître.
Shane releva aussitôt la tête, visiblement blessé
par cette dernière remarque.
— Je ne voulais pas…
— Je pourrais très bien être le dernier
vampire du coin, l’interrompit Michael. Les autres sont peut-être
morts. En tout cas, ça nous pend au nez. Entre les humains prêts à
nous arracher la tête et Bishop qui attend de prendre le pouvoir,
il ne manquait plus que ton père pour que la fête soit plus
folle !
— Jamais il ne…
— Il m’a déjà tué une fois, ou plutôt il a
essayé. Il recommencerait sans hésiter, et tu le sais, Shane. Tu le
sais ! Il me considère
comme un traître à la race humaine. Je serai une de ses cibles
privilégiées.
Shane ne répondit rien cette fois. Michael
récupéra la radio qu’il fixa à la poche de son jean. Il fulminait,
sa chevelure blonde paraissait lancer des éclairs, et ses traits
d’albâtre s’étaient durcis. Son ami n’osait pas soutenir son
regard.
— Si tu as envie de filer un coup de main à
ton père dans sa croisade anti-vampires, tu sais où me trouver,
mec.
Michael disparut au premier. Soudain, il ne
semblait plus y avoir une once d’oxygène dans le salon. Claire
avait la respiration lourde. Les grands yeux sombres d’Eve,
écarquillés, étaient rivés sur Shane. Elle se leva lentement.
— Eve... lança-t-il en tendant la main vers
elle.
Elle s’écarta avant de rétorquer :
— Je n’y crois pas. Tu m’as déjà vue courir
lécher les bottes de ma mère ? Non. Et pourtant elle n’a pas
commis de meurtre, elle.
— Morganville doit changer.
— Réveille-toi, Shane ! Le changement a
déjà commencé ! Ça fait des mois qu’il se passe sous ton
nez ! Les vampires et les humains apprennent à vivre ensemble.
À avoir confiance les uns dans les autres. Ils essaient. Bien sûr,
c’est difficile, mais ils ont des raisons d’avoir peur de nous, de
bonnes raisons. Tu es prêt à bazarder tout ça pour aider ton père à
installer une guillotine sur la place de la Fondatrice ?
Le regard allumé d’un éclat amer, elle
conclut :
— Va te faire voir.
— Je n’ai pas…
Elle gagna d’un pas retentissant l’escalier,
laissant Shane et Claire seuls. La gorge nouée, il tenta de
détendre l’atmosphère.
— Ça aurait pu mieux se passer…
Quand il la vit se lever à son tour, il
ajouta :
— Oh, allez, Claire, pas toi aussi. Ne pars
pas, s’il te plaît.
— Tu aurais dû lui dire. Je n’en reviens pas
que tu ne l’aies pas fait. C’est ton ami... Du moins je le
croyais.
— Où vas-tu ?
Elle prit une profonde inspiration.
— Je vais préparer mes valises. J’ai décidé
de m’installer avec mes parents.
Elle n’en fit rien, cependant. Une fois dans sa
chambre, porte fermée, elle examina sa maigre garde-robe. Elle
consistait pour l’essentiel en linge sale. Assise sur son lit, sans
réussir à détacher ses yeux de ses quelques vêtements, elle fut
envahie par un sentiment d’abandon et de solitude. Cherchait-elle à
faire passer un message ou prenait-elle tout simplement la fuite
comme une gamine ? Elle se sentait idiote maintenant qu’elle
avait sorti toutes ses affaires, qui formaient un ensemble
pathétique.
Elle ne répondit pas immédiatement lorsqu’on
frappa à sa porte. Elle savait qu’il s’agissait de Shane.
« Laisse-moi », songea-t-elle bien même si elle savait
qu’il n’était pas doué pour
lire dans les pensées. Il frappa à nouveau.
— Ce n’est pas fermé à clé, dit-elle.
— Mais ce n’est pas non plus ouvert,
rétorqua-t-il sans animosité. J’ai quelques manières, quand
même.
— Des fois j’en doute.
— O.K., je le reconnais, je me suis conduit
comme un trouduc.
Elle entendit le parquet craquer – il devait
transférer son poids d’une jambe sur l’autre.
— Claire... hésita-t-il.
— Entre.
Il se figea sur le seuil en découvrant les
affaires entassées devant elle, prêtes à rejoindre l’unique valise
dont elle disposait.
— Tu es sérieuse, alors ?
— Oui.
— Tu vas tout remballer et
partir ?
— Tu sais bien que c’est ce que mes parents
veulent.
Il conserva le silence un long moment, puis
plongea la main dans la poche arrière de son jean et en sortit un
écrin noir, large comme sa paume.
— Tiens, alors. Je comptais te l’offrir plus
tard, mais il vaut sans doute mieux que je te le donne maintenant,
avant que tu nous laisses.
Il avait beau s’exprimer avec un détachement qui
paraissait n’avoir rien de forcé, Claire remarqua qu’il avait les
doigts gelés quand elle lui prit la boîte des mains. Elle ne lui
avait jamais vu une telle expression – de peur sans doute, comme s’il se préparait à
encaisser un coup douloureux.
Après avoir hésité l’espace d’une seconde, elle
entrouvrit le couvercle de l’écrin en cuir. Monté sur des ressorts,
il se souleva d’un coup sec.
Oh…
La croix en argent délicatement travaillé était
sublime ; des lianes s’enroulaient autour des branches. Elle
était passée sur une chaîne si fine que Claire eut l’impression de
pouvoir la faire fondre d’un souffle. Lorsqu’elle prit le collier
dans sa main, elle fut surprise de ne sentir aucun poids.
— Je…
Elle ne trouvait pas de mots pour exprimer ce
qu’elle éprouvait. Elle était comme en état de choc.
— C’est magnifique, finit-elle par
articuler.
— Je sais que les croix ne marchent pas
contre les vampires, expliqua-t-il. Bon, je le reconnais, je
croyais que si à l’époque où je te l’ai achetée. Mais c’est de
l’argent, et je crois que l’argent permet de les repousser, alors
j’espère que ça te servira.
Ce cadeau n’avait rien d’insignifiant. Shane ne
roulait pas sur l’or, il bossait de temps à autre et n’était pas
dépensier. Or il ne s’agissait pas d’un collier de pacotille, il
était en argent véritable.
— Je ne peux pas accepter… C’est trop.
Le cœur de Claire tambourinait si fort dans sa
poitrine qu’il l’empêchait de penser. Elle aurait aimé savoir ce
qu’elle était censée ressentir, comment elle était censée agir. Sur un coup de tête, elle
replaça la chaîne et la croix dans l’écrin, qu’elle referma d’un
bruit sec et lui tendit.
— Je ne peux pas, Shane.
Il lui adressa un sourire attristé.
— Ce n’est pas une bague ou un truc dans le
genre. Garde-le. De toute façon, ça n’irait pas avec mes
yeux.
Il enfonça les mains dans les poches et, épaules
baissées, quitta sa chambre. Toujours sous le coup de la surprise,
Claire serra la boîte dans sa paume moite avant d’en soulever à
nouveau le couvercle. Se détachant sur le velours noir, la croix
brillait de mille feux. Elle devint floue et Claire comprit qu’elle
avait les yeux embués de larmes. Elle éprouvait enfin quelque
chose, un sentiment qui prenait bien trop de place à l’intérieur de
son petit corps fragile.
— Oh... murmura-t-elle. Oh, mon
Dieu !
Il ne s’agissait pas d’un cadeau quelconque. Il
avait dû y consacrer beaucoup de temps et d’effort. C’était une
preuve d’amour. D’amour sincère.
Ses doigts tremblaient tellement qu’elle dut s’y
reprendre à deux fois pour attacher la chaîne autour de son cou.
Puis elle sortit dans le couloir et, sans se donner la peine de
frapper, pénétra dans la chambre de Shane. Posté à la fenêtre, il
avait le regard perdu dehors. Il lui parut différent. Plus vieux.
Plus triste. Lorsqu’il pivota vers elle, ses yeux tombèrent sur la
croix au creux de sa gorge.
Après avoir pris le temps de la réflexion, il
hocha la tête.
— Ouais, la plupart du temps, je suis même
pire que ça.
— Mais il t’arrive aussi de faire des trucs
absolument incroyables…
— Je sais. C’est pour ça que j’ai précisé
« la plupart du temps ».
— Tu as tes moments de gloire.
Son sourire se faisait encore hésitant quand il
demanda :
— Alors, elle te plaît ?
Caressant du bout des doigts les fines branches
d’argent, elle rétorqua :
— Je la porte, non ?
— Ça ne veut pas dire que nous…
— Tu m’as dit que tu m’aimais, l’interrompit
Claire. Tu l’as dit.
Réduit au silence, il la dévisagea avant
d’acquiescer. Il rougissait progressivement.
— Eh bien, je t’aime aussi, ce qui ne
t’empêche pas d’être un idiot. La plupart du temps.
— On ne se disputera pas à ce sujet.
Lorsqu’il croisa les bras, elle dut faire un
effort pour ne pas étudier la courbe de ses muscles saillants ou la
lueur de vulnérabilité dans ses yeux.
— Alors, tu déménages ? reprit-il.
— Claire, sois franche avec moi. Tu
déménages ?
Elle tenait la croix entre son pouce et son index
à présent, et celle-ci lui paraissait brûlante.
— Je ne peux pas, finit-elle par lâcher. Je
dois d’abord faire des lessives et j’en ai au moins pour un mois.
Tu as vu le tas de linge sale ?
Il partit d’un éclat de rire qui sembla le vider
de toutes ses forces ; il s’affala sur son lit défait. Claire
attendit quelques secondes pour venir s’asseoir à côté de lui. Il
lui passa un bras autour des épaules.
— La vie exige des efforts constants, dit-il.
C’est ce que ma mère répétait toujours. Je suis un peu
tire-au-flanc, je sais.
Dans un soupir, Claire s’autorisa à s’abandonner
contre lui.
— Heureusement pour toi que je suis
travailleuse.
Il s’apprêtait – enfin ! – à
l’embrasser quand un son attira leur attention au-dessus de leurs
têtes. Il provenait du grenier.
— Tu as entendu ? s’enquit Shane.
— Ouais, on aurait dit des bruits de
pas.
— Super, je croyais que ce portail ne devait
fonctionner que dans un sens…
Il plongea la main sous son lit et en ressortit un
pieu.
— Va chercher Michael et Eve, intima-t-il en
lui remettant un second pieu avec une pointe en argent. C’est la
Rolls des tueurs de vampires, ne l’abîme pas.
Elle fonça à sa chambre pour récupérer le petit
poignard qu’Amelie lui avait offert et le glissa dans sa poche.
Elle se précipita dans le couloir : la chambre d’Eve était
vide mais, quand elle frappa à la porte de Michael, le petit cri de
surprise qui retentit semblait bien sortir de la bouche de
celle-ci.
— Quoi ? lança-t-il.
— Des ennuis, répondit Claire. Enfin, sans
doute. Du bruit dans le grenier.
Cette nouvelle ne parut pas le réjouir davantage
que Shane.
— Super, lâcha-t-il, j’arrive dans une
seconde.
Une conversation étouffée, suivie d’un bruissement
de tissu, lui parvint. Claire se demanda s’il était en train de
s’habiller avant de chasser aussitôt cette image de son esprit
– ce n’était pas le moment d’avoir ce genre de pensées, au
sujet de Michael en plus : elle avait d’autres sujets de
préoccupation. Comme la présence d’un intrus dans leur
grenier.
La porte s’ouvrit à la volée, livrant passage à
une Eve rouge et échevelée, qui n’avait pas terminé de boutonner
son chemisier.
— Ce n’est pas ce que tu crois,
commença-t-elle, on était seulement... Oh, et puis mince, peu
importe, c’est exactement ce que tu crois. Alors, où est le
problème ?
Un objet tomba et roula sur le plancher au-dessus
de leurs têtes. Sans prononcer un mot, Claire pointa un index vers
le plafond et Eve suivit la trajectoire du regard, comme si elle
espérait voir quelque chose à travers le bois et le plâtre. Elle sursauta lorsque Michael,
qui avait enfilé une chemise à la hâte – sans la
fermer –, posa une main sur son épaule. Il pressa aussitôt un
doigt sur ses lèvres.
Shane sortit alors de sa chambre, un pieu dans
chaque main. Il en lança un à Michael.
« Et moi ? articula Eve en
silence.
— Débrouille-toi comme une grande
fille », répondit-il sur le même mode. Après avoir levé les
yeux au ciel, elle fila dans sa chambre, dont elle ressortit avec
une grande besace noire passée en bandoulière. Claire en déduisit
que le sac devait être plein d’armes. Eve farfouilla avant d’en
tirer un pieu, sur lequel étaient gravées ses initiales.
— Travaux manuels, murmura-t-elle. Vous voyez
bien que j’ai appris quelque chose au lycée !
Michael pressa l’interrupteur permettant d’ouvrir
la porte dissimulée dans le mur, qui coulissa sans un bruit. Aucune
lumière ne provenait du deuxième étage, l’escalier était plongé
dans l’obscurité la plus totale.
D’un accord commun, il s’y engagea le premier
– autant que sa vision accrue de vampire lui serve à quelque
chose. Shane était sur ses talons, puis Eve. Claire, qui fermait
donc la marche, s’efforça de se déplacer le plus silencieusement
possible (le poids de leurs quatre corps faisait malheureusement
craquer les marches). Arrivée au sommet de l’escalier, elle percuta
Eve.
— Quoi ? chuchota-t-elle.
— Michael a senti du sang.
Celui-ci allumait justement une lampe à l’autre
bout de la petite pièce silencieuse. Ils ne remarquèrent rien
d’étrange ; les meubles étaient à leur place habituelle. Aucun
signe ne trahissait la visite de quiconque depuis le départ des
Goldman et de Myrnin.
— Comment rejoint-on le grenier ?
demanda Shane.
Michael déplaça plusieurs clous sur le mur et une
autre porte, à peine visible, s’entrouvrit de l’autre côté de la
pièce. Claire s’en souvenait parfaitement : Myrnin la lui
avait montrée, lorsqu’ils étaient venus se préparer avant le bal en
l’honneur de Bishop.
— Restez ici, ordonna Michael en
s’engouffrant dans le petit boyau.
— C’est ça, observa Shane, qui lui emboîta le
pas tout en lançant par-dessus son épaule : Non, pas vous
deux. Ne bougez pas.
— Il ne se rend pas compte que c’est injuste
et sexiste ? s’emporta Eve. Les hommes, je te jure...
— Tu aurais vraiment préféré qu’ils te
laissent y aller en premier ?
— Bien sûr que non. Mais j’aurais voulu
pouvoir refuser d’y aller en premier.
Elles patientèrent dans un état de tension
extrême, aux aguets. Le silence succéda aux bruits de pas. Puis
Shane s’écria :
Si sa voix trahissait une certaine inquiétude, il
ne semblait pas prêt à se jeter dans un corps à corps farouche.
Après avoir échangé un regard avec Claire, Eve lança :
— Oh, tant pis !
Elle s’engouffra dans le couloir étroit menant au
grenier. Claire la suivit, les doigts crispés sur la Rolls des
pieux, priant en silence pour ne pas avoir à s’en servir. Shane
était accroupi derrière un entassement de valises poussiéreuses,
Michael à ses côtés. Eve étouffa un petit cri lorsqu’elle découvrit
la silhouette au-dessus de laquelle ils étaient penchés ; elle
tendit le bras pour stopper Claire, qui ne s’arrêta pas avant
d’avoir aperçu le corps gisant sur les planches en bois. Elle eut
du mal à le reconnaître. Sans la queue-de-cheval grise et le
manteau en cuir...
— Oliver… murmura-t-elle.
Eve se mordait la lèvre inférieure au point que
celle-ci était blanche.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? voulut
savoir Claire.
— De l’argent, expliqua Michael. En quantité.
Ce métal attaque la peau des vampires comme de l’acide, mais il
devrait s’en tirer. À moins que...
Il s’interrompit en voyant les paupières pâles et
brûlées papilloter.
— Il est en vie, conclut Michael.
— Les vampires sont durs à tuer, souffla
Oliver d’un filet de voix qui se brisa soudain. Doux Jésus, ça fait
mal.
— Emmenons-le en bas. Claire, va chercher du
sang dans le frigo. Il doit en rester quelques poches.
— Non, grommela Oliver en s’asseyant.
Des auréoles de sang ornaient sa chemise
blanche : il devait être écorché à vif en dessous.
— Pas le temps, ajouta-t-il. Il va y avoir
une attaque sur la mairie, ce soir. Bishop. Elle servira de
diversion pour…
Il ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes qui
roulèrent dans leurs orbites et perdit connaissance. Michael le
souleva par les aisselles. Avec l’aide de Shane, il le transporta
jusqu’au sofa, suivi d’Eve qui traînait les pieds. Claire
s’apprêtait à quitter le grenier à son tour lorsqu’un raclement
attira son attention. Oliver n’était pas venu seul.
Une ombre se détacha soudain de l’obscurité,
bondit sur elle et un objet lourd s’abattit sur son crâne. Claire
avait dû faire du bruit, peut-être renverser quelque chose, parce
qu’elle entendit Shane l’appeler. Elle aperçut même sa silhouette
dans l’embrasure de la porte avant que l’obscurité n’engloutisse
tout.