- Allons-y. Il ne nous reste pas longtemps avant que le jour se lève.

Ils restèrent dans l'ombre derrière la haie et les arbres bien soignés plantés le long de l'accotement de la route. De hauts lampadaires s'élevaient tous les cinquante mètres, comme dans la plupart des villes. A part le doux bruissement de l'herbe et des feuilles éparpillées sous leurs pieds, aucun bruit ne trahit leur avancée rapide vers la maison grise, au coin de l'enceinte.

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quand ils atteignirent un massif de buissons devant la porte arrière, Pitt murmura à l'oreille de Maeve :

- Etes-vous déjà entrée dans cette maison?

- Une fois ou deux, quand j'étais petite et que Papa m'envoyait porter un message à l'homme qui, à l'époque, dirigeait le service de sécurité, répondit-elle dans un murmure.

- Savez-vous s'il y a une alarme? Maeve fit non de la tête.

- Je ne vois pas qui voudrait entrer par effraction chez le responsable de la sécurité!

- A-t-il des domestiques sur place?

- Ils habitent une autre zone.

- Alors on entre par-derrière, murmura Pitt.

- J'espère qu'on trouvera une cuisine bien fournie, ajouta Giordino. Je ne me sens pas à mon aise pour farfouiller dans le noir quand j'ai l'estomac vide.

- Tu seras le premier à ouvrir le frigo, promis.

Pitt sortit de l'ombre, s'approcha du mur arrière et jeta un coup d'oeil par la fenêtre. Une lumière assez faible brillait dans le hall d'o˘ partait un escalier menant aux étages. Avec précaution, il actionna la poignée de la porte. Il y eut un clic à peine audible quand le pêne sortit de son compartiment. Il respira profondément et poussa tout doucement. La porte s'ouvrit sans un grincement. Pitt l'ouvrit complètement et entra dans une petite cuisine. Il la traversa et referma sans bruit une porte coulissante donnant sur un vestibule. Ensuite il alluma la lumière. A son signal, Giordino et Maeve entrèrent à leur tour.

- Oh! Merci, Seigneur! dit Giordino en extase à la vue de la très belle cuisine pleine d'ustensiles de luxe dignes d'un grand chef.

- De l'air chaud! murmura Maeve avec ravissement. Il y a des semaines que je n'ai pas senti l'air chaud.

- Je sens déjà le go˚t des oufs au jambon! rêva Giordino.

- Parons au plus pressé, dit calmement Pitt.

Il coupa la lumière, ouvrit la porte donnant sur le hall et, le fusil en position de tir, entra dans le vestibule. Aplati contre le mur, il avança jusqu'à l'escalier recouvert d'un tapis.

Là, il monta les marches avec précaution après avoir vérifié qu'elles ne craqueraient pas sous son poids.

Sur le palier en haut de l'escalier, il trouva deux portes closes, une de chaque côté. Il essaya celle de droite. La pièce était meublée en bureau privé, avec ordinateur, téléphones et meubles à dossiers. Le bureau était parfaitement en ordre, sans un papier, comme ça avait été le cas dans la cuisine. Pitt sourit. Il ne s'attendait pas à autre chose de la part du locataire. S˚r de lui maintenant, il s'approcha de l'autre porte, l'ouvrit d'un coup de pied et alluma la lumière.

Une très belle Asiatique de dix-huit ans au plus, avec de longs cheveux noirs soyeux tombant sur le côté du lit jusqu'au plancher, regarda avec effroi la silhouette qui se découpait dans l'embrasure de la porte, un fusil d'assaut à la main. Elle ouvrit la bouche pour crier mais n'émit qu'un gargouillement étouffé.

L'homme allongé près d'elle était nettement plus calme. Couché sur le côté, les yeux fermés, il ne chercha ni à se tourner ni à regarder Pitt. Celui-ci faillit se laisser prendre à son apparente indifférence. Il pressa doucement la détente et envoya deux balles rapides dans l'oreiller. Le bruit du canon fut étouffé par le silencieux. On n'entendit rien de plus que deux claquements de mains. Alors seulement l'homme se redressa et regarda sa main qu'une balle avait couverte de sang.

La fille se mit à hurler mais l'homme parut s'en moquer. Tous deux attendaient la suite des événements jusqu'à ce qu'elle se taise enfin.

- Bonjour, chef, dit aimablement Pitt. Désolé de vous déranger. John Merchant cligna des yeux dans la lumière et concentra son regard sur l'intrus.

- Mes gardes ont d˚ entendre crier et vont rappliquer à toute vitesse, dit-il calmement.

- J'en doute. Vous connaissant, je suppose qu'une femme qui hurle dans votre chambre n'étonnera pas les voisins.

- qui êtes-vous? que voulez-vous?

- Mon Dieu, comme ils oublient vite!

Merchant le regarda mieux et soudain, bouche bée, le reconnut. Son visage refléta une pitoyable incrédulité.

- Vous ne pouvez pas... Vous ne pouvez pas être... Dirk Pitt!

Comme appelés par un souffleur, Giordino et Maeve entrèrent à leur tour.

Ils se tinrent derrière Pitt, sans rien dire, regardant les deux occupants du lit comme s'ils étaient au thé‚tre.

- C'est un cauchemar! S˚rement! s'écria Merchant en suffoquant.

- Est-ce que vous saignez dans vos rêves ? demanda Pitt en glissant une main sous l'oreiller de Merchant et en ramenant un 9 mm automatique qu'il lança à Giordino.

Il pensa que le petit homme visqueux finirait par accepter la situation mais Merchant était trop secoué par la vue de ces fantômes qu'il avait crus morts.

- Je vous ai vu dériver de mes propres yeux, avant que l'orage éclate !

dit-il d'un ton borné. Comment est-il possible que vous ayez tous survécu?

- Une baleine nous a avalés, dit Giordino en fermant les rideaux. Son estomac n'a pas apprécié et tu peux deviner ce qui est arrivé ensuite.

- Vous êtes fous ! Posez vos armes. Vous ne quitterez pas cette île vivants. Pitt mit le canon du fusil sur le front de Merchant.

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- Les seules paroles que je veuille entendre de toi c'est l'endroit o˘ sont les fils de Miss Fletcher. O˘ sont-ils? Une lueur de défi s'alluma dans les yeux de Merchant.

- Je ne vous dirai rien!

- Alors tu vas s˚rement mourir, expliqua froidement Pitt.

- Curieuses paroles de la bouche d'un ingénieur océanographe, d'un homme qui met les femmes et les enfants sur un piédestal et dont on respecte la parole et l'intégrité.

- J'applaudis au mal que tu t'es donné !

- Vous ne me tuerez pas, dit Merchant en reprenant la maîtrise de ses émotions. Vous n'êtes pas un tueur professionnel et vous n'avez pas le sang-froid nécessaire.

Pitt haussa les épaules.

- Je crois que l'un de tes gardes, que j'ai jeté au bas de la falaise il y a une demi-heure, ne serait pas d'accord avec toi. Merchant regarda Pitt sans ciller, se demandant s'il devait le croire.

- J'ignore ce que M. Dorsett a fait de ses petits-fils.

Pitt fit passer le canon du M16 du front au genou de Merchant.

- Maeve, comptez jusqu'à trois.

- Un, commença-t-elle, aussi détachée que si elle comptait des morceaux de sucre. Deux... Trois.

Pitt appuya sur la détente et une balle fracassa le genou de Merchant. La jeune Asiatique se remit à hurler jusqu'à ce que Giordino la fasse taire en écrasant une main sur sa bouche.

- Pourrait-on avoir un peu de silence, s'il vous plaît ? Vous allez faire éclater les vitres.

Merchant était complètement transformé. La méchanceté maligne du répugnant petit homme avait fait place à une attitude de douleur et de terreur. Sa bouche se tordit quand il parla.

- Mon genou ! Vous m'avez pété le genou ! cria-t-il d'une voix grinçante.

Pitt plaça le nez de l'arme contre l'une des épaules de Merchant.

- Je ne suis pas pressé. A moins que tu ne veuilles être doublement estropié, je te conseille de parler et de dire la vérité ou tu auras du mal à te laver les dents.

- Les fils de Mme Fletcher travaillent dans les mines comme les autres ouvriers. Ils sont gardés avec eux dans le camp. Pitt se tourna vers Maeve.

- A vous de parler.

Maeve regarda Merchant dans les yeux, le visage tendu par l'émotion.

- Il ment. C'est Jack Ferguson, le contremaître de mon père qui est chargé

de surveiller les enfants. Il ne doit jamais les quitter des yeux.

- Et o˘ crèche-t-il? demanda Giordino.

- Ferguson habite une maison d'hôte à côté du manoir, pour pouvoir répondre au moindre appel de mon père, dit Maeve.

Pitt adressa un sourire glacé à Merchant.

- Désolé, John. Mauvaise réponse. «a va te co˚ter une épaule.

- Non ! Je vous en prie, non ! cria Merchant malgré ses dents serrées par la douleur. D'accord, vous avez gagné. Les jumeaux sont dans les quartiers de Ferguson quand ils ne travaillent pas à la mine.

Maeve s'approcha jusqu'à se trouver au-dessus de Merchant, éperdue et désespérée d'imaginer les souffrances qu'enduraient ses enfants. Elle perdit son sang-froid et le gifla de toutes ses forces, plusieurs fois.

- Des enfants de six ans obligés de travailler dans la mine ! quel genre de monstres sadiques êtes-vous tous?

Giordino passa doucement le bras autour de la taille de Maeve et la tira vers le centre de la chambre o˘ elle éclata en sanglots.

Le visage de Pitt reflétait le chagrin et la colère. Il mit le nez du fusil à un millimètre de l'oil gauche de Merchant.

- Encore une question, mon petit John. O˘ dort le pilote de l'hélicoptère?

- Dans la clinique de la mine, avec un bras cassé, répondit Merchant d'un ton maussade. Abandonnez l'espoir de l'obliger à vous conduire quelque part.

Pitt hocha la tête et sourit à Giordino d'un air entendu.

- On n'a pas besoin de lui. Bon. On les laisse là, dit-il en regardant le placard.

- Allez-vous nous tuer? demanda Merchant d'une voix blanche.

- Je préférerais tirer sur un putois, dit Pitt. Mais puisque vous en parlez, nous allons vous ficeler, vous et votre petite amie, vous b

‚illonner et vous enfermer dans ce placard.

La peur de Merchant se lisait au tic qui lui tirait le coin de la bouche.

- Nous allons mourir étouffés, là-dedans!

- Je peux vous tuer maintenant, si tu préfères.

Merchant cessa de protester. La fille et lui furent attachés avec les draps déchirés en bandes et enfermés dans le placard sans cérémonie. Giordino poussa devant tous les meubles de la pièce pour les empêcher de l'ouvrir de l'intérieur.

- Nous avons ce que nous sommes venus chercher, dit Pitt. Allons à la propriété, maintenant.

- Tu as dit que je pourrais vider le frigo ! protesta Giordino. Mon estomac est plein de crampes.

- Pas le temps pour le moment, dit Pitt. Tu te goinfreras plus tard.

Giordino secoua tristement la tête et enfonça le 9 mm de Merchant dans sa ceinture.

- Pourquoi ai-je le sentiment qu'il y a une conspiration contre moi pour dépouiller mon corps de tout son sucre?

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Sept heures du matin. Un ciel bleu, une visibilité parfaite et une mer de vagues basses roulant comme des démons silencieux vers des plages invisibles o˘ elles allaient s'écraser et mourir.

C'était un jour comme les autres dans les eaux tropicales des îles HawaÔ, chaudes et humides, avec un vent léger qu'on appelle ici les alizés.

Un samedi, un jour o˘ les plages de Waikiki et de la côte sous le vent de l'île reprenaient vie, avec les oiseaux matinaux allant vers leur premier bain. Très tôt, des milliers de résidents et de vacanciers venaient y passer des heures paresseuses, nager dans les vagues soumises par les récifs du large, dormir au soleil sur le sable chaud de la fin d'après-midi. Apaisés par l'atmosphère détendue, nul ne s'imaginait que peut-être c'était là le dernier jour pour presque tous ces gens.

Le Glomar Explorer, poussé par une seule de ses hélices géantes, s'approchait sans à-coups de l'endroit o˘ devait avoir lieu la convergence acoustique mortelle, les ondes de choc qui déjà traversaient les mers depuis leurs quatre sources. Le navire aurait d˚ avoir une bonne demi-heure de retard mais le chef mécanicien Toft avait poussé son équipe jusqu'aux limites de l'épuisement, comme il poussait aussi ses moteurs, les suppliant et les injuriant. Et les moteurs avaient fourni des efforts supplémentaires, malgré leur arbre unique, et se débrouillaient pour fournir un demi-noud de plus. Toft s'était juré d'amener le navire au point de rendez-vous en avance sur l'horaire et, par Dieu, il avait réussi. Là-haut, sur le pont latéral b‚bord, Sandecker scrutait à la jumelle une version commerciale de l'hélicoptère de la Marine SH-60B, aux couleurs de la NUMA, qui approchait le navire par l'avant, tournait, virait et venait se poser sur l'aire d'atterrissage du gros navire. Deux hommes en descendirent et pénétrèrent dans la superstructure avant. Une minute plus tard, ils rejoignaient Sandecker sur le pont.

- «a s'est bien passé? demanda anxieusement Sandecker. Le Dr Sanford Adgate Ames hocha la tête en souriant.

- quatre ensembles d'instruments de détection acoustique actuellement déployés sous la surface, aux endroits prévus, à trente kilomètres de la zone de convergence.

- Nous les avons installés directement sur les quatre routes estimées des canaux sonores, ajouta Gunn qui avait accompagné Ames.

- Ils vont mesurer l'approche finale et l'intensité du son? demanda Sandecker. Ames fit signe que oui.

- Les données télémétriques des modems sous-marins seront relayées à leur satellite flottant en surface, relié au processeur du bord et au terminal d'analyse qui est ici, sur l'Explorer. Le système travaille de la même façon pour les programmes de repérage d'acoustique sous-marine.

- Heureusement, le temps et le courant nous sont favorables, dit Gunn. Tout bien considéré, les ondes de choc devraient arriver ensemble, comme prévu.

- De combien de temps disposons-nous?

- Le son voyage sous l'eau à une vitesse moyenne de 1500 mètres par seconde, répondit Ames. Je dirais vingt secondes entre le moment o˘ les ondes sonores passent les modems et le moment o˘ elles frappent l'antenne sous le navire.

- Vingt secondes, répéta Sandecker. C'est rudement court pour se préparer mentalement à l'inconnu!

- Etant donné que personne n'a survécu pour décrire toute l'intensité de la convergence, je ne peux qu'estimer le temps nécessaire pour qu'elles soient complètement réfléchies vers l'île du Gladiateur. Poui moi, il faudra approximativement quatre minutes et demie. Toute personne à bord du bateau qui n'aurait pas atteint l'abri phonique mourrait s˚rement de façon horrible.

Sandecker se tourna et montra d'un geste les montagnes verdoyantes d'Oahu, à seulement quinze kilomètres du navire.

- Est-ce que les gens sur les plages, là-bas, risquent quelque chose ?

- Ils ressentiront peut-être une douleur aiguÎ mais brève à la tête. Rien de permanent, de toute façon.

Sandecker regarda par les fenêtres du pont l'immense masse des équipements pointés vers le ciel, au centre du navire, les kilomètres de c‚bles et de lignes électriques pendant des derricks et des grues. Des équipes d'hommes et de femmes, sur les plates-formes suspendues, comme les laveurs de carreaux des gratte-ciel, travaillaient à remettre ensemble les morceaux de l'énorme antenne parabolique. Un derrick géant soutenait le ch‚ssis principal tandis que les grues tout autour soulevaient les pièces plus petites et les encastraient dans les encoches correspondantes o˘ on les ressoudait. Gr‚ce à l'initiative de Rudi Gunn, qui avait fait nettoyer et huiler toutes les connexions, les pièces s'emboîtaient sans difficulté et rapidement. L'opération tournait comme une horloge. Il ne restait que deux pièces à installer.

L'amiral tourna son regard vers le joyau du Pacifique, distinguant aisément les détails de la Tête de Diamant, les hôtels tout au long de la plage de Waikiki, la tour Aloha, à Honolulu, les maisons un peu cachées dans les nuages et qui semblaient planer sur le mont Tantale, les avions de 406

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ligne atterrissant à l'aéroport international, les installations de Pearl Har-bor. Il n'avait pas droit à l'erreur. Si par malheur l'opération ne se déroulait pas comme prévu, cette île magnifique ne serait plus qu'un vaste champ de mort.

Enfin, il regarda l'homme qui suivait le défilement des chiffres affichés sur l'écran de l'ordinateur de navigation du navire.

- Capitaine quick?

Le commandant du Glomar Explorer leva les yeux.

- Amiral Sandecker?

- A quelle distance sommes-nous du site?

quick sourit. C'était seulement la vingtième fois que l'amiral lui posait la même question depuis qu'ils avaient quitté la baie d'Halawa.

- Moins de cinq cents mètres et vingt minutes avant que nous ne commencions à positionner le navire à l'endroit exact que vos collègues ont calculé, sur le système de positionnement global.

- Ce qui nous laisse seulement quarante minutes pour déployer le réflecteur.

- Gr‚ce au chef Toft et à son équipe, autrement nous ne serions jamais arrivés à temps.

- Oui, reconnut Sandecker, nous lui devons beaucoup.

* *

De longues minutes passèrent. Dans la timonerie, chacun avait un oil sur la pendule et l'autre sur les chiffres rouges du Système de Positionnement Global. Une série de zéros s'affichèrent bientôt, indiquant que le navire était très précisément à l'endroit o˘ les ondes de choc devaient converger et exploser avec une intensité sans précédent. Ensuite, il allait falloir maintenir le navire exactement au même endroit. Le capitaine quick concentra son attention sur la programmation des coordonnées dans le système de contrôle automatisé du navire, qui analysa l'état de la mer et de la météo et contrôla les propulseurs avant et arrière. En un temps incroyablement court, le Glomar Explorer était en place et immobilisé, résistant au vent et au courant, avec moins d'un mètre de facteur de déviation.

Plusieurs autres systèmes, chacun essentiel à l'opération, entraient aussi en jeu. Le tangage était fébrile. Des équipes d'ingénieurs et de techniciens, des experts en électronique et des scientifiques travaillaient la main dans la main pour installer l'antenne réfractrice exactement sur le chemin des ondes sonores. L'équipe de la NUMA, sur les plates-formes tout en haut du pont, réalisait les derniers raccords et attachait l'énorme écran aux crochets pendant du derrick.

Tout en bas, une des parties essentielles du navire reprenait vie. Occupant le tiers central du bateau, les 1 367 mètres carrés du Bassin Lunaire, comme on l'appelait, furent remplis d'eau tandis que deux parties de la coque centrale, une à l'avant, l'autre à l'arrière, se rétractaient dans des cylindres spécialement installés à cet effet. Véritable cour du système de dragage du fond de la mer qui avait servi à récupérer le sous-

marin russe, le Bassin Lunaire était l'endroit o˘ tout s'articulait, o˘ le tuyau de la drague devait être déroulé à des milliers de mètres de profondeur jusqu'au tapis minéral du fond de l'océan, o˘ le vaste réflecteur allait être descendu.

Les systèmes mécaniques à bord du Glomer Explorer avaient été étudiés, à

l'origine, pour soulever de lourds objets reposant sur le fond marin et non pour en descendre d'autres, même plus légers et plus chers. On dut modifier à la h‚te le processus pour cette opération complexe. On dut surmonter des petits pépins mineurs. Chaque mouvement fut coordonné et réalisé avec précision. L'opérateur du derrick augmenta la tension du c‚ble d'abaissement jusqu'à ce que l'antenne pende en l'air sans contrainte. Les gens de la NUMA donnèrent le signal attendu, indiquant que le montage de l'antenne était terminé. L'ensemble fut alors abaissé dans la mer en diagonale par le Bassin Lunaire rectangulaire. Celui-ci n'avait que quelques centimètres de plus. «a passait tout juste ! L'immersion se fit à

raison de dix mètres par minute. Il en fallut vingt pour déployer, gr‚ce aux c‚bles, l'antenne à l'angle précis et à la profondeur qui devaient permettre de renvoyer les ondes sonores jusqu'à l'île du Gladiateur.

- Six minutes et dix secondes avant la convergence, annonça la voix du capitaine quick par les haut-parleurs du navire. Tout le personnel de bord doit se rendre dans la salle d'emmagasinage à l'avant et y entrer suivant les instructions qui ont été données. Allez-y immédiatement. Je répète, immédiatement. En courant, pas en marchant.

D'un coup, chacun l‚cha les échelles et les échafaudages et se h‚ta comme pour un marathon vers la salle de propulsion et des pompes, dans les entrailles du bateau. Là, vingt membres de l'équipage avaient travaillé

pour isoler phoniquement la salle avec tout le matériel d'isolation disponible. Des serviettes, des couvertures, la literie et les matelas aussi bien que les coussins des fauteuils du salon et tous les morceaux de bois susceptibles d'être cloués au plafond, au sol et sur les écoutilles pour arrêter les sons meurtriers.

Sandecker et Ames coururent, eux aussi, vers la salle protégée.

- C'est la partie la plus angoissante de l'opération, avoua l'amiral.

- Je sais ce que vous voulez dire, répondit Ames en descendant l'escalier deux marches à la fois. Vous vous demandez si vous n'avez pas fait une petite erreur de calcul qui nous mettrait au mauvais endroit au mauvais moment. Vous avez peur de ne pas savoir si nous avons réussi au cas o˘ nous ne survivrions pas à la convergence. Les facteurs ignorés sont les plus terribles pour l'esprit.

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Ils atteignirent la salle d'entreposage choisie pour les protéger de la convergence à cause de ses portes étanches à l'eau et du fait qu'aucun conduit d'aération ne s'y ouvrait. Deux officiers les firent entrer et notèrent leurs noms. Ils leur tendirent un casque antibruit à chacun. -

Amiral Sandecker, docteur Ames, veuillez placer ces appareils sur vos oreilles et essayer de ne pas bouger.

Sandecker et Ames trouvèrent les membres de la NUMA installés dans un coin de la salle et se joignirent à eux avec Rudi Gunn et Molly Faraday qui les y avaient précédés. Ils se groupèrent immédiatement autour du système de surveillance intégré, avec les alarmes et tous les détecteurs. Seuls l'amiral, Ames et Gunn cessèrent un moment d'utiliser les casques antibruit afin de discuter jusqu'à la dernière seconde. La salle fut rapidement plongée dans un étrange silence. Incapables d'entendre, tous se taisaient.

Le capitaine quick était monté sur une caisse pour être vu de chacun. Il leva deux doigts pour signifier qu'il restait deux minutes avant l'événement. L'opérateur du derrick, qui avait d˚ parcourir la plus longue distance, entra le dernier. Satisfait de constater que tous les gens du bord étaient bien réunis là, le capitaine ordonna que l'on ferme les portes. On dressa plusieurs matelas devant la sortie pour étouffer tous les sons qui auraient pu entrer par là. quick leva un doigt et la tension se fit presque tangible, comme un manteau qui se serait abattu sur tous les gens enfermés là. Tous étaient debout. Il n'y avait pas assez de place pour s'asseoir ou pour s'allonger.

Gunn avait calculé que les quatre-vingt-seize hommes et femmes disposeraient de moins de quinze minutes dans cette salle fermée avant de manquer d'air et de commencer à ressentir les effets de l'asphyxie. Déjà

l'atmosphère était confinée. Le seul autre danger immédiat serait la claustrophobie. Ils n'auraient vraiment pas besoin d'une crise d'hystérie !

Il fit un clin d'oeil d'encouragement à Molly et commença le compte à

rebours, tandis que tous les yeux suivaient le capitaine comme un chef d'orchestre, la baguette levée.

quick leva les deux mains et serra les poings. Le moment de vérité était arrivé. Tout reposait maintenant sur les données analysées par les ordinateurs d'Hiram Yaeger. Le navire était exactement à l'endroit o˘ on lui avait demandé d'être, l'antenne parabolique exactement dans la position calculée par Yaeger et confirmée par le Dr Ames et son équipe. Toute l'opération, jusqu'au plus petit détail, était telle que préparée. Seul un changement soudain et improbable de la température de l'eau ou une secousse sismique imprévue altérant le courant océanique pourrait entraîner un désastre. Chaque membre de la NUMA ne pouvait s'empêcher de penser aux énormes conséquences d'un échec.

Cinq secondes passèrent, puis dix. Sandecker commença à ressentir le frisson glacé du désastre sur sa nuque. Puis soudain, d'une façon très inquiétante, les capteurs acoustiques, à trente kilomètres de là, commencèrent à enregistrer l'avancée des ondes de choc sur leurs chemins calculés.

- Seigneur! murmura Ames. Les capteurs ont dépassé les graduations.

L'intensité est plus forte que je ne l'avais estimé.

- Vingt secondes à compter de maintenant ! aboya Sandecker. Mettez vos oreillettes!

La première manifestation de la convergence fut une légère résonance qui augmenta rapidement d'amplitude. Les couloirs insonorisés vibrèrent à

l'unisson avec un bourdonnement qui réussit à pénétrer les casques de protection des oreilles. Les gens entassés dans la pièce ressentirent une forme atténuée de vertige et de perte d'équilibre. Mais personne n'eut de nausée et il n'y eut aucune panique. Sandecker et Ames échangèrent un long regard, commençant à croire, par petites vagues tremblantes, à la satisfaction de la réussite. Cinq longues minutes plus tard, tout était terminé. La résonance avait disparu, laissant derrière elle un silence presque surnaturel.

Gunn fut le premier à réagir. Il enleva le casque de ses oreilles, agita les bras et cria à quick :

- La porte! Ouvrez la porte, qu'on respire!

quick comprit le message. On enleva les matelas et l'on ouvrit grandes les portes. L'air qui entra était chargé de remugles d'huile mais n'en fut pas moins apprécié par tous. Soulagés de savon: la menace passée, ils crièrent et rirent comme des supporters célébrant la victoire de leur équipe favorite. Puis lentement, en bon ordre, tous sortirent de la salle et montèrent respirer l'air frais sur les ponts.

La réaction de Sandecker fut inattendue. Il courut jusqu'à la timonerie à

une vitesse sans doute jamais égalée sur ce navire. Il saisit une paire de jumelles et se précipita sur la passerelle. Nerveusement, il régla les lentilles vers l'île, à quinze kilomètres seulement.

Des voitures roulaient dans les rues, une foule de touristes se promenait tranquillement sur les plages. Alors seulement l'amiral exhala un long soupir de soulagement, appuyé au bastingage, vidé de toute émotion.

- Un triomphe total, amiral, dit Ames en lui serrant vigoureusement la main. Vous avez rivé leur clou aux meilleurs experts scientifiques de ce pays.

- Gr‚ce à votre expertise et à votre soutien, docteur, répondit Sandecker, comme si on l'avait soulagé d'un grand poids. Je n'aurais rien pu faire sans votre aide et celle de votre équipe.

Débordants de joie, Gunn et Molly embrassèrent Sandecker, ce qu'ils n'auraient jamais osé faire en toute autre occasion.

- Vous avez réussi ! s'écria Gunn. Presque deux millions de vies sauvées gr

‚ce à votre entêtement!

- Nous avons réussi, corrigea l'amiral. Du début à la fin, ce fut un travail d'équipe.

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Le visage de Gunn redevint sérieux.

- Dommage que Dirk et Al n'aient pas été là pour voir ça. Sandecker hocha tristement la tête.

- Son idée a été l'étincelle qui a fait partir le projet. Ames étudiait l'ensemble des instruments qu'il avait mis au point pendant le voyage depuis Molokai.

- Le positionnement de l'antenne a été parfait, dit-il joyeusement.

L'énergie acoustique a été inversée exactement comme prévu.

- O˘ est-elle, maintenant? demanda Molly.

- Combinée à celles venant des trois autres exploitations minières. Les ondes de choc retournent à l'île du Gladiateur plus vite qu'un avion à

réaction. Leurs forces unies devraient frapper la base submergée dans environ quatre-vingt-dix-sept minutes.

- J'aimerais voir sa tête!

- La tête de qui? demanda innocemment Ames.

- Celle d'Arthur Dorsett, dit Molly, quand son île privée commencera à

tanguer et à rouler.

52

Les deux hommes et la femme étaient accroupis dans un massif, d'un côté de la grande vo˚te, au centre du mur de roche volcanique entourant toute la propriété des Dorsett. Au-delà du porche, une allée de briques faisait le tour d'une large pelouse bien entretenue, donnant sur une véranda qui offrait sa protection jusqu'à la porte d'entrée, quand on descendait de voiture. Toute l'allée et la maison étaient éclairées par de fortes lampes disposées un peu partout sur les terrains aménagés alentour. Une grille épaisse, paraissant sortir d'un ch‚teau moyen‚geux protégeait l'entrée proprement dite. Le porche, épais de près de cinq mètres, abritait lui-même un petit bureau pour les gardes.

- Y a-t-il une autre entrée? demanda Pitt.

- Le porche est le seul passage pour entrer ou sortir.

- Pas de gouttières ou de petit ravin sous les murs?

- Croyez-moi, quand je pense à toutes les fois o˘ j'ai eu envie de fuir mon père lorsque j'étais gamine, s'il y en avait eu un, je l'aurais trouvé !

- Des systèmes de détection?

- Des rayons laser en haut des murs avec des capteurs de chaleur humaine infrarouges installés un peu partout sur le terrain. Tout ce qui est plus gros qu'un chat déclenche une alarme sonore dans le bureau des gardes. Des caméras de télévision se mettent automatiquement en marche et se braquent sur l'intrus.

- Combien de gardes?

- Deux la nuit, quatre le jour.

- Pas de chien?

Elle secoua la tête dans l'ombre.

- Père déteste les animaux. Je ne lui ai jamais pardonné d'avoir écrasé à

coups de pied un petit oiseau qui avait une aile cassée et que j'essayais de soigner.

- Ce vieil Arthur fait de son mieux pour créer une image de barbarie et de méchanceté, dit Giordino. Est-il aussi cannibale?

- Il est capable de tout, comme vous avez pu le constater, dit Maeve.

Pitt considéra pensivement la grille, jaugeant avec soin l'activité visible des gardes. Ils paraissaient se contenter de rester à l'intérieur et de surveiller leurs écrans de contrôle. Finalement il se leva, chiffonna son uniforme et se tourna vers Giordino.

- Je vais entrer au bluff. Soyez discrets jusqu'à ce que j'aie ouvert la grille.

Il passa le fusil d'assaut sur son épaule et sortit le couteau suisse de sa poche. Il sortit une petite lame et se fit une entaille au pouce, pressa le sang et l'étala sur son visage. En atteignant la grille, il se laissa tomber à genoux et s'agrippa des deux mains aux barreaux. Puis il commença à crier avec des gémissements de souffrance.

- Au secours! Aidez-moi!

Un visage apparut à la porte puis disparut. quelques secondes plus tard, les deux gardes sortirent du bureau et ouvrirent la grille. Pitt tomba en avant dans leurs bras.

- qu'est-il arrivé? demanda un des gardes? qui t'a fait ça?

- Un groupe de Chinois sortis du camp par un tunnel. Je remontais la route en venant des docks quand ils m'ont sauté dessus par-derrière. Je crois que j'en ai tué deux avant de m'échapper.

- On ferait mieux d'alerter le poste de garde principal, l‚cha l'un des deux hommes.

- Aidez-moi d'abord à entrer, grogna Pitt. Je crois qu'ils m'ont fracassé

le cr‚ne.

Les gardes aidèrent Pitt à se mettre debout et passèrent ses bras sur leurs épaules. Mi-porté, mi-tiré, il entra avec eux dans le bureau. Là, il bougea ses bras jusqu'à ce que les cous des gardes soient dans le creux de ses coudes. Lorsqu'ils se serrèrent pour passer la porte, Pitt fit un pas énergique en arrière, serra le cou des gardes en mettant toutes ses forces dans ses biceps et les muscles de ses épaules. Leurs têtes se heurtèrent avec un bruit sourd. Tous deux s'écrasèrent au sol, inconscients pour les deux heures à venir.

Rassurés quant à la détection, Giordino et Maeve se h‚tèrent de pas-412

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ser la grille ouverte et rejoignirent Pitt dans le bureau. Giordino ramassa les gardes comme s'ils n'étaient que des épouvantails de paille et les posa sur les chaises autour de la table, face à une rangée d'écrans de surveillance vidéo.

- Pour quiconque passe par ici, ils auront l'air de s'être endormis pendant le film.

Un examen rapide du système de sécurité puis Pitt coupa les alarmes tandis que Giordino attachait les gardes avec leurs cravates et leurs ceintures.

Pitt regarda Maeve.

- O˘ sont les quartiers de Ferguson?

- Il y a deux maisons d'hôtes dans un bosquet d'arbres, derrière le manoir.

Il habite l'une d'elles.

- Je suppose que vous ne savez pas laquelle ? Elle haussa les épaules.

- C'est la première fois que je reviens ici depuis ma fuite à Melbourne et à l'université. Si j'ai bonne mémoire, il habite la plus proche du manoir.

- C'est le moment de répéter notre entrée, dit Pitt. Espérons que nous n'avons pas perdu la main.

Ils remontèrent l'allée d'un bon pas mais sans se presser. Ils étaient trop affaiblis par leurs deux semaines de régime et toutes les épreuves qu'ils avaient d˚ affronter. Ils atteignirent la maison qui, selon Maeve, devait être celle de Jack Ferguson, directeur des mines de Dorsett sur l'île du Gladiateur.

Le ciel p‚lissait à l'est quand ils atteignirent la porte d'entrée.

L'opération était trop lente. Avec le lever du jour, leur présence allait s˚rement être découverte. Il fallait se dépêcher s'ils voulaient trouver les garçons, retourner au yacht et s'échapper dans l'hélicoptère d'Arthur Dorsett avant que toute l'obscurité ait disparu. Ils ne firent preuve d'aucune discrétion, cette fois, et ne cherchèrent pas à entrer sur la pointe des pieds. Un rapide coup d'oil autour de lui, à la lueur de la lampe prise au garde de la falaise lui apprit tout ce qu'il voulait savoir.

Ferguson habitait bien là. Il y avait un paquet de courrier à son nom sur un bureau et un calendrier annoté. Dans un placard, Pitt trouva des pantalons d'homme, bien repassés, et des vestes.

- Il n'y a personne, dit-il. Jack Ferguson est parti. Je ne vois pas de valises et la moitié des cintres sont vides.

- Il doit être là! dit Maeve, l'esprit confus.

- D'après les dates marquées sur son calendrier, il est parti faire une inspection des propriétés minières de votre père.

Elle regarda la pièce vide, envahie par le désespoir et l'inutilité de leurs efforts.

- Mes garçons sont partis ! Nous arrivons trop tard ! Oh ! Mon Dieu ! Nous arrivons trop tard! Ils sont morts!

Pitt lui passa un bras autour des épaules.

- Ils sont aussi vivants que vous et moi.

- Mais John Merchant...

Giordino se tenait dans l'embrasure de la porte.

- Il ne faut jamais se fier à un homme qui a des yeux de fouine.

- Inutile de perdre notre temps ici, dit Pitt en poussant Giordino dehors.

Les garçons sont dans le manoir, ils y ont d'ailleurs toujours été.

- Vous ne pouviez pas savoir que Merchant mentait ! lui dit Maeve d'un ton de défi.

- Mais il ne mentait pas, répondit Pitt en souriant. C'est vous qui lui avez dit que les garçons étaient avec Jack Ferguson, chez lui. Il a deviné

que nous étions assez bêtes pour le croire. On l'a peut-être cru, mais seulement quelques secondes.

- Vous saviez?

- Il va sans dire que votre père ne ferait pas de mal à vos fils. Il peut menacer, mais je parie dix contre un qu'il les a installés dans votre ancienne chambre et qu'ils y sont depuis le début, avec plein de jouets offerts par leur vieux grand-papa.

Maeve le regarda sans plus comprendre.

- Il ne les a pas obligés à travailler dans la mine?

- S˚rement pas. Il a fait ce qu'il a pu pour forcer votre instinct maternel, pour vous faire croire que vos fils souffraient, afin de vous faire souffrir vous-même. Ce salopard voulait que vous mourriez en croyant qu'il avait réduit les jumeaux en esclavage, qu'il les avait confiés à un contremaître sadique qui les tuerait au travail. Mais regardez les choses en face. Boudicca et Deirdre n'ont pas d'enfant. Vos fils sont les seuls héritiers qu'il ait. Il pensait pouvoir les élever et les former à sa propre image une fois que vous auriez disparu. Ce qui, à vos yeux, serait pire que la mort.

Maeve regarda longuement Pitt. L'incrédulité fit peu à peu place à la compréhension. Elle frissonna.

- Ce que je suis bête!

- Air connu, dit Giordino. Désolé de jouer les rabat-joie, mais je crois que, cette fois-ci, ça commence à bouger à côté. Il montra les fenêtres allumées du manoir.

- Mon père se lève toujours avant l'aube, dit Maeve. Il ne permet à

personne de dormir après le lever du soleil.

- que ne donnerais-je pour partager leur petit déjeuner, soupira Giordino.

- Je ne voudrais pas me répéter, dit Pitt, mais nous devons trouver le moyen d'entrer sans provoquer tout le monde.

- Toutes les pièces de la maison donnent sur des vérandas intérieures sauf une. Le bureau de Papa a une porte latérale, ouvrant sur un court de squash.

- qu'est-ce que c'est qu'un court de squash? demanda Giordino.

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- Un court o˘ on joue au squash, dit Pitt. Par o˘ est votre ancienne chambre ?

- De l'autre côté du jardin et au-delà de la piscine, dans l'aile est, la deuxième porte à droite.

- C'est bien. Vous deux, allez chercher les enfants.

- qu'allez-vous faire?

- Moi ? Je vais emprunter le téléphone de Papa et m'offrir un appel longue distance à ses frais.

53

L'ambiance à bord du Glomar Explorer était détendue et conviviale. L'équipe de la NUMA et le personnel de bord, rassemblés dans le vaste salon près des cuisines, célébraient leur réussite. L'amiral Sandecker et le Dr Ames étaient assis l'un en face de l'autre et buvaient le Champagne que le capitaine quick leur avait offert sur sa réserve personnelle.

Après maintes considérations, on avait décidé de réclamer l'antenne réfractrice et de la garder après démontage, au cas o˘ les désastreuses opérations de la Dorsett Consolidated ne seraient pas terminées et qu'il serait nécessaire d'arrêter une nouvelle convergence acoustique pour sauver d'autres vies. On avait remonté l'antenne, refermé le Bassin Lunaire au fond de la coque après l'avoir vidé. Une heure plus tard, le navire historique avait repris le chemin de Molokai.

Sandecker se leva quand l'officier de communication l'informa qu'il avait un appel important de Charlie Bakewell, son géologue en chef. Il gagna un coin calme du salon et sortit de sa poche son téléphone portable.

- Oui, Charlie?

- On m'a dit que l'on pouvait vous féliciter, dit la voix claire de Bakewell.

- On a réussi à un cheveu. Nous nous sommes contentés de mettre le navire en position et de baisser l'antenne avant la convergence. O˘ êtes-vous en ce moment?

- Je suis à l'observatoire volcanique Joseph Marmon, à Auckland, en Nouvelle-Zélande. J'ai pour vous le rapport de leurs géologues. Leur plus récente analyse de l'impact de l'onde de choc sur l'île du Gladiateur n'est pas très encourageante.

- Peuvent-ils calculer les répercussions?

- J'ai le regret de vous dire que la magnitude prévue est pire que ce que nous pensions à l'origine, répondit Bakewell. Les deux volcans de l'île, d'après ce que j'ai appris, s'appellent le mont Scaggs et le mont Winkleman, du nom des deux survivants du radeau du Gladiateur. Ils font partie d'une chaîne de volcans potentiellement explosifs, qui entourent l'océan Pacifique et qu'on appelle " l'Anneau de Feu ". Ils s'élèvent non loin d'une plaque tectonique semblable à celles qui séparent les failles de San Andréas, en Californie. La plupart des tremblements de terre et des activités volcaniques sont causés par les mouvements de ces plaques. Des études indiquent que la dernière activité importante des volcans a eu lieu entre 1225 et 1275 après J.-C, quand ils sont entrés en éruption ensemble.

- Si je me rappelle bien, vous avez dit qu'il y aurait une chance sur cinq pour que la convergence entraîne une éruption.

- Après avoir discuté avec les experts, ici, à l'observatoire Marmon, je dirais qu'il y a une chance sur deux.

- Je n'arrive pas à croire que l'onde sonore qui est renvoyée vers l'île a assez de force pour déclencher une éruption volcanique, dit Sandecker.

- Pas par elle-même, répondit Bakewell, mais ce que nous avons omis de prendre en compte, c'est que les opérations minières de Dorsett ont rendu les volcans plus sensibles aux secousses extérieures. Même une secousse sismique mineure pourrait entraîner un réveil des monts Scaggs et Winkleman, parce que des années d'extraction ont enlevé la plus grande partie des anciens sédiments retenant la pression gazeuse en dessous. En bref, si Dorsett n'arrête pas de creuser, il ne faudra pas longtemps pour que ses mineurs percent le conduit central et ouvrent la voie à une explosion de lave en fusion.

- Une explosion de lave en fusion? répéta machinalement Sandecker. Mon Dieu ! qu'avons-nous fait ! Il y aura des centaines de morts !

- Ne commencez pas à battre votre coulpe, dit sérieusement Bakewell. Il n'y a ni femmes ni enfants sur l'île du Gladiateur. Vous avez déjà sauvé la vie à un nombre incalculable de familles sur Oahu. Votre action devrait faire réagir la Maison-Blanche et le ministère des Affaires étrangères à la menace. On va lancer des sanctions et des poursuites légales contre la Dorsett Consolidated Mining, je vous le garantis. Sans votre intervention, la peste acoustique aurait continué et qui sait quelle autre cité portuaire aurait été au centre de convergence des ondes la prochaine fois?

- quand même... ! J'aurais pu ordonner qu'on envoie l'onde en retour vers une zone inhabitée, dit lentement Sandecker.

- Et la laisser frapper une autre flotte de pêche ou des navires de croisière ? Nous avons tous admis que c'était la seule chose à faire.

Laissez tomber, Jim, vous n'avez rien à vous reprocher.

- Vous voulez dire que je vais devoir vivre avec ça!

- que pense le Dr Ames de l'arrivée de l'onde de choc sur l'île du 416

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Gladiateur? demanda Bakewell pour que Sandecker pense à autre chose.

Celui-ci regarda sa montre.

- L'impact est prévu dans vingt et une minutes.

- Nous avons encore le temps de prévenir les habitants qu'il faut évacuer l'île.

- Mes collègues de Washington ont déjà essayé d'alerter la direction de la Dorsett Consolidated à propos du danger potentiel, dit l'amiral. Mais sur ordre d'Arthur Dorsett, toutes les communications entre les mines et l'extérieur sont coupées.

- On dirait qu'Arthur souhaite qu'il se passe quelque chose.

- Il ne veut pas risquer d'être empêché avant sa date limite.

- Il est toujours possible qu'il n'y ait pas d'éruption, l'énergie de l'onde de choc peut se dissiper avant l'impact.

- D'après les calculs du Dr Ames, je n'y compte guère, dit Sandecker.

D'après vous, quel est le pire scénario!

- Les monts Scaggs et Winkleman sont des volcans écrans, qui se sont formés en pentes douces pendant leurs anciennes activités. Ce type de volcan est rarement aussi explosif que les cônes de cendres. Cependant, Scaggs et Winkleman ne sont pas des volcans écrans ordinaires. Leur dernière éruption a été assez violente. Les experts, ici, à l'observatoire, s'attendent à des explosions à la base ou sur les flancs des tertres, ce qui produirait des fleuves de lave.

- Peut-on survivre à un tel cataclysme, sur l'île?

- «a dépend de quel côté l'éruption est la plus violente. Pas de survivants si les volcans explosent à l'ouest, du côté habité.

- Et s'il explose à l'est?

- Alors il y aurait un peu plus de chances de survie, même si les répercussions de l'activité sismique risquent de faire s'écrouler presque toutes les constructions de l'île.

- Y a-t-il un risque de raz de marée?

- Nos analyses n'indiquent rien d'assez fort pour déclencher une réaction sur la marée, expliqua Bakewell. En tout cas, rien de l'amplitude de l'holocauste du Krakatoa, près de Java, en 1883. Les vagues sur les rives de Tasmanie, d'Australie et de Nouvelle-Zélande ne devraient pas dépasser un mètre cinquante.

- C'est une bonne chose, soupira Sandecker.

- Je vous rappellerai quand j'en saurai davantage, dit Bakewell. J'espère vous avoir rapporté le pire et n'avoir plus à vous donner que de bonnes nouvelles.

- Merci, Charlie. Je l'espère aussi.

Sandecker coupa le téléphone et resta immobile, pensivement. Son visage ne portait aucun signe de son anxiété. Pas un clignement de paupière, pas même une tension des lèvres. Mais au fond de lui, il se sentait affolé. Il ne vit pas Rudi Gunn s'approcher de lui.

- Amiral, il y a un autre appel pour vous. «a vient de votre bureau à

Washington. Sandecker reprit le téléphone.

- Ici Sandecker.

- Amiral, dit la voix familière de sa secrétaire Martha Shermann. (Elle paraissait tout excitée.) Ne quittez pas, je vous passe un appel.

- Est-ce important? demanda-t-il, irrité. Je n'ai pas la tête aux affaires officielles.

- Croyez-moi, cet appel vous fera plaisir! assura-t-elle d'une voix joyeuse. Un instant, je vous le passe. Il y eut un silence.

- Allô! dit Sandecker. qui est à l'appareil?

- Je vous salue depuis le royaume des Morts, amiral. qu'est-ce qu'on me dit? Vous fl‚nez du côté des eaux bleues d'HawaÔ?

Sandecker n'avait pas l'habitude de trembler. Pourtant, il trembla et sentit le pont s'ouvrir sous ses pieds.

- Dirk! Mon Dieu! C'est vous?

- Ce qui reste de moi. Je suis avec Al et Maeve Fletcher.

- Je n'arrive pas à croire que vous êtes vivants, dit Sandecker comme si une décharge électrique parcourait ses veines.

- Al vous demande de lui garder un cigare.

- Comment va ce petit démon?

- Il fait la tête parce que je ne le laisse pas manger.

- quand nous avons appris qu'Arthur Dorsett vous avait l‚chés en mer sur le chemin d'un typhon, j'ai remué ciel et terre pour déclencher une recherche sur une grande échelle, mais Dorsett a le bras long et a court-circuité mes efforts. Après trois semaines sans nouvelles, nous vous avons crus morts.

Dites-moi comment vous avez fait pour survivre si longtemps.

- C'est une longue histoire, dit Pitt. J'aimerais mieux que vous me donniez les dernières nouvelles de la peste acoustique.

- Une histoire plus compliquée que la vôtre. Je vous raconterai ça quand nous nous verrons. O˘ êtes-vous tous les trois?

- On a réussi à rejoindre l'île du Gladiateur. Je suis en ce moment dans le bureau d'Arthur Dorsett, à qui j'ai emprunté son téléphone. Sandecker fut paralysé par la surprise.

- Vous ne parlez pas sérieusement?

- Croix de bois, croix de fer. Nous allons enlever les fils de Maeve et filer en Australie en traversant la mer de Tasmanie.

Il dit cela aussi calmement que s'il expliquait qu'il allait traverser la rue pour acheter du pain.

Une terreur glacée s'empara de Sandecker, choqué d'être à ce point impuissant. La nouvelle l'avait pris par surprise, si soudainement qu'il fut un moment incapable de dire un mot. Enfin il entendit la voix de Pitt.

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- Amiral, vous êtes toujours là?

- Pitt, écoutez-moi, dit Sandecker d'une voix pressante. Vos vies sont en grand danger. quittez l'île tout de suite. Il y eut un court silence.

- Désolé, monsieur, je ne vous entends pas...

- Je n'ai pas le temps de vous expliquer. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'une onde d'une incroyable intensité va frapper l'île du Gladiateur dans moins de vingt minutes. L'impact va entraîner une résonance sismique et faire exploser les volcans aux deux extrémités de l'île. Si ça se passe sur la partie ouest, il n'y aura pas de survivants. Vous devez tous les trois filer en mer aussi vite que possible. Ne dites plus rien. Je coupe la communication.

Sandecker interrompit la ligne. Il ne put penser à rien d'autre qu'au fait que, sans le savoir, en toute innocence, il avait signé l'arrêt de mort de ses meilleurs amis.

54

L'affreuse nouvelle frappa Pitt comme un coup de poignard. Il regarda par la grande fenêtre l'hélicoptère posé sur le yacht amarré à la jetée du lagon. Il estima qu'il était à un peu moins d'un kilomètre. Ralenti par les deux jeunes enfants, il lui faudrait quinze bonnes minutes pour atteindre le quai. Sans moyen de transport, voiture ou camion, ça allait se jouer à

la minute. Il n'était plus temps de faire attention, maintenant. Giordino et Maeve avaient d˚ trouver les garçons. Il fallait qu'ils les aient trouvés. Autrement, il s'était probablement produit quelque chose de très grave.

Il regarda le mont Winkleman d'abord, puis le centre de l'île et enfin le mont Scaggs. Tous deux paraissaient pacifiques. En voyant la luxuriance des arbres sur les pentes ravinées des volcans, il eut du mal à les imaginer menaçants. Ces deux géants endormis étaient-ils vraiment sur le point de semer la mort et le désastre dans une explosion de vapeur gazeuse et de lave en fusion?

Rapidement mais sans panique, il quitta le fauteuil directorial en cuir de Dorsett et contourna le bureau. Au même moment, il s'arrêta brusquement au centre de la pièce. Les doubles portes de la pièce centrale venaient de s'ouvrir. Arthur Dorsett entra.

Il portait une tasse de café d'une main et un dossier sous le bras. Vêtu d'un pantalon froissé et d'une chemise jaunie avec une lavallière, il paraissait perdu dans ses pensées. Sentant une présence dans son bureau, il leva les yeux, plus curieux que surpris. Voyant que l'intrus portait un uniforme, il pensa d'abord avoir affaire à un garde. Il ouvrit la bouche pour lui demander ce qu'il faisait là et soudain se raidit, pétrifié de surprise. Son visage ne fut plus qu'un masque p‚le, choqué et abasourdi. Le dossier qu'il tenait tomba par terre, les papiers s'éparpillant comme un jeu de cartes. Sa main l‚cha la tasse de café qui se répandit sur son pantalon et sur le tapis.

- Vous êtes mort! dit-il, le souffle coupé par la surprise.

- Vous n'imaginez pas le plaisir que je vais prendre à vous montrer que vous vous trompez, répondit Pitt, ravi de voir le pansement que Dorsett portait sur l'oil. Mais en y réfléchissant, c'est vrai que vous avez l'air de voir un fantôme.

- L'orage... vous n'aviez aucun moyen de survivre à une mer en furie.

Comment avez-vous fait?

Dans son oil noir, Pitt put voir en un éclair qu'il reprenait les rênes de son émotion.

- Beaucoup de pensées positives et mon couteau suisse. " Seigneur, qu'il est grand, ce type ! " se dit Pitt, heureux d'être celui des deux qui tenait le fusil.

- Et Maeve... est-elle morte?

Il parlait par saccades, l'oil fixé sur le fusil d'assaut dont le canon visait son cour.

- Sachant à quel point ça va vous embêter, je suis heureux de vous annoncer qu'elle est vivante, qu'elle se porte bien et qu'elle est en ce moment même sur le point de partir avec vos petits-fils. (Leurs regards liés ne se quittaient pas.) Dites-moi, Dorsett, comment justifiez-vous le meurtre de votre propre fille ? Est-ce qu'une femme seule, essayant simplement de trouver sa personnalité, est vraiment une menace pour vos biens ? Ou bien était-ce ses fils que vous vouliez garder pour vous tout seul?

- Il est essentiel que mon empire soit repris après ma mort par mes descendants directs. Maeve refuse de comprendre.

- Je vais vous apprendre quelque chose, mon vieux. Votre empire est sur le point de tomber en poussière autour de vous. Dorsett ne comprit pas le sens de ces paroles.

- Vous avez l'intention de me tuer? Pitt fit non de la tête.

- Je ne serai pas votre bourreau. Les volcans de cette île sont sur le point d'exploser. C'est une belle mort pour vous, Arthur, d'être enterré

par de la lave br˚lante.

Dorsett eut un petit sourire et reprit son sang-froid.

- qu'est-ce que c'est que cette ‚nerie?

- Trop compliqué pour que je vous l'explique. J'ignore moi-même les détails techniques mais je le tiens d'une source plus que s˚re. Et il va falloir me croire sur parole.

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- Vous êtes complètement fou!

- ‘, homme de peu de foi!

- Si vous devez tirer, dit Dorsett dont la colère froide faisait briller le seul oil visible, faites-le maintenant, et vite!

Pitt lui adressa un sourire impassible. Il attendait que Maeve et Gior-dino reviennent. Pour le moment, il avait besoin d'Arthur Dorsett vivant, au cas o˘ ils auraient été capturés par les gardes.

- Désolé, je n'ai pas le temps. Maintenant, faites demi-tour et montez vers les chambres.

- Mes petits-fils, vous ne pouvez pas emmener mes petits-fils, marmonna-t-il comme s'il énonçait une loi divine.

- Rectification. Les fils de Maeve.

- Vous ne pourrez pas passer mes gardes.

- Les deux types qui gardent la porte sont - comment devrais-je dire? - empêchés.

- Alors il faudra m'assassiner de sang-froid et je parierais tout ce que je possède que vous n'avez pas le cran de faire ça.

- Pourquoi les gens pensent-ils toujours que je ne supporte pas la vue du sang? Pitt posa le doigt sur la détente du fusil d'assaut.

- Allez, bouge-toi, Arthur, ou je t'arrache les oreilles.

- Vas-y, espèce de sale trouillard, l‚cha Dorsett avec un accent vulgaire.

Tu m'as déjà arraché un oil!

- Tu n'as rien compris, hein?

Une sainte colère s'empara de Pitt devant l'arrogance belliqueuse de Dorsett. Il leva le fusil et appuya doucement sur la détente. Le fusil cracha avec un bruit sec et un morceau de l'oreille gauche de Dorsett tomba sur le tapis.

- Maintenant, tu montes l'escalier. Et bouge-toi si tu ne veux pas prendre une balle dans la colonne vertébrale.

L'oil de la brute ne montra pas le moindre signe de douleur. Son sourire menaçant fit frissonner Pitt involontairement. Ensuite, lentement, Dorsett leva la main vers son oreille coupée et se tourna vers la porte.

Au même instant, Boudicca entra dans le bureau, l'allure majestueuse, magnifiquement proportionnée dans une robe de chambre en soie s'arrêtant quelques centimètres au-dessus de ses genoux. Elle ne reconnut pas Pitt sous l'uniforme du garde.

- que se passe-t-il, Papa? J'ai cru entendre tirer... Elle remarqua alors le sang qui passait entre les doigts de son père, pressés contre son oreille.

- Tu es blessé?

- Nous avons des visiteurs indésirables, ma fille, dit Dorsett. Comme s'il avait des yeux derrière la tête, il comprit que l'attention de Pitt était brièvement retenue par Boudicca. Involontairement, elle lui rendait service. Comme elle se précipitait vers lui pour constater la blessure, elle aperçut du coin de l'oil le visage de Pitt. Une fraction de seconde, son visage refléta la confusion, puis ses yeux indiquèrent qu'elle le reconnaissait.

- Non... non, ce n'est pas possible!

C'était cette seconde même qu'avait attendue Dorsett. D'un mouvement violent, il se retourna et frappa d'un bras le canon du fusil qu'il fit tomber sur le côté.

Pitt appuya instinctivement sur la détente. Une volée de balles perça le tableau représentant Charles Dorsett, au-dessus de la cheminée.

Physiquement affaibli et mort de fatigue à cause du manque de sommeil, Pitt réagit une fraction de seconde trop tard. Le stress et l'épuisement des trois dernières semaines venaient de prendre leur tribut. Il regarda, comme sur un film au ralenti, le fusil lui sauter des mains et voler à travers la pièce avant de passer par une fenêtre qu'il fracassa au passage.

Dorsett tomba sur Pitt comme un rhinocéros fou. Pitt le saisit, luttant pour rester sur ses pieds. Mais l'Australien, plus lourd, agitait ses poings énormes comme des marteaux-piqueurs, les pouces essayant de lui crever les yeux. Pitt tourna la tête de justesse mais un poing s'abattit sur le côté de sa tête, au-dessus de l'oreille. Un feu d'artifice éclata dans son cerveau et il fut envahi par une vague de vertige. Désespérément, il se baissa et roula sur le côté pour échapper à la pluie de coups.

Il sauta dans la direction opposée lorsque Dorsett se jeta sur lui. Le vieux diamantaire avait envoyé plus d'un homme à l'hôpital rien qu'avec ses mains nues, animées de bras et d'épaules pleins de muscles. Pendant sa jeunesse agitée dans les mines, il se vantait de n'avoir jamais eu recours aux armes blanches ni à aucune arme à feu. Il n'avait besoin que de sa force et de sa corpulence pour se débarrasser de quiconque avait l'impudence de se mesurer à lui. Même à l'‚ge o˘ la plupart des hommes se ramollissent, Dorsett gardait un corps dur comme le granit.

Pitt secoua la tête pour y voir plus clair. Il se sentait comme un boxeur battu qui s'accroche désespérément aux cordes en attendant qu'on sonne la fin du round, luttant pour remettre ses idées en place. Il n'y avait guère d'experts en arts martiaux capables de mettre à terre l'énorme tas de muscles qu'était Arthur Dorsett. Pitt commençait à croire que seul un fusil à éléphant pourrait venir à bout de ce monstre furieux. Si seulement Giordino apparaissait! Lui au moins avait un pistolet automatique. L'esprit de Pitt tournait à toute vitesse, révisant les mouvements efficaces, repoussant ceux qui ne pourraient entraîner que des os cassés. Il fit le tour du bureau, cherchant à gagner du temps, fit face à Dorsett et s'obligea à un sourire qui fit souffrir chaque muscle de son visage.

Pitt avait appris depuis longtemps, au cours de nombreuses bagarres de café, que les mains et les pieds étaient inefficaces contre les chaises, les chopes à bière et tout ce qui peut servir à faire éclater des cr‚nes.

Il regarda autour de lui, cherchant l'arme la plus proche.

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- Alors, mon vieux, on fait quoi, maintenant? Est-ce que tu vas me mordre avec tes dents pourries?

L'insulte eut l'effet désiré. Dorsett se précipita comme un fou et lança un pied en direction du nez de Pitt. Il lui manqua une fraction de seconde et il ne fit qu'effleurer la hanche de son adversaire. Puis il sauta pardessus le bureau. Pitt recula calmement d'un pas, saisit une lampe de métal et la fit tourner avec une énergie renouvelée par la colère et la haine.

Dorsett essaya de lever un bras pour détourner le coup, mais pas assez rapidement. La lampe lui frappa le poignet, le brisant net avant d'atterrir sur l'épaule et de casser la clavicule que l'on entendit craquer. Il hurla comme un animal blessé et avança sur Pitt, le regard meurtrier, la rage décuplée par la douleur. Il lança un coup brutal qui frôla la tête de Pitt.

Pitt esquiva et abaissa violemment le pied de lampe. Il frappa Dorsett quelque part en dessous du genou, sur son tibia, mais le mouvement de la jambe arracha la lampe de la main de Pitt. Il y eut un bruit de métal sur le tapis. Dorsett revenait sur lui comme s'il n'avait reçu aucune blessure.

Les veines de son cou battaient, son oil luisait et des filets de salive coulaient des coins de sa bouche déchirée et haletante. On aurait pu croire qu'il riait. Il était s˚rement devenu fou. Il marmonna quelque chose d'incohérent et sauta vers Pitt. Mais il n'atteignit jamais sa victime. Sa jambe droite se plia sous lui et il s'écrasa par terre, sur le dos. Le coup que Pitt lui avait assené avec le pied de lampe lui avait fracturé le tibia. Cette fois, Pitt réagit comme un chat. Rapide comme l'éclair, il bondit sur le bureau, se raidit et sauta.

Il lança ses pieds joints en avant, enfonçant ses semelles et ses talons dans le cou exposé de Dorsett. Le visage méchant avec son oil unique noir et brillant, ses dents jaunes découvertes, parut s'étirer sous le choc. Une main énorme se referma sur le vide. Les bras et les jambes fouettèrent l'air aveuglément. Un cri d'animal agonisant explosa dans sa gorge, un gargouillement horrible sortit de sa trachée écrasée. Puis le corps de Dorsett s'écroula tandis que toute vie s'échappait de lui et que la lueur sadique de son regard s'éteignait.

Pitt réussit à rester debout, haletant entre ses dents serrées. Il fixa Boudicca qui, bizarrement, n'avait pas fait un geste pour aider son père.

Elle regarda le corps sans vie sur le tapis avec l'expression inintéressée mais fascinée d'un témoin d'accident mortel sur la route.

- Vous l'avez tué! dit-elle enfin d'un ton sans émotion.

- Peu d'hommes l'ont autant mérité, dit Pitt en reprenant son souffle tout en massant une bosse énorme sur son cr‚ne. Boudicca détourna les yeux du corps de son père comme s'il n'existait

pas.

- Je devrais vous remercier, monsieur Pitt, de m'avoir offert la Dorsett Consolidated Mining Limited sur un plateau d'argent.

Catastrophe au paradis

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- Je suis ému de votre chagrin. Elle eut un sourire blasé.

- Vous m'avez rendu service.

- Les bénéfices vont à la fille qu'il adorait. Et Maeve et Deirdre? Elles ont droit chacune à un tiers de l'affaire.

- Deirdre recevra sa part, dit Boudicca, très terre à terre. Maeve, si elle est encore vivante, n'aura rien. Papa l'a toujours écartée des affaires.

- Et les jumeaux? Elle haussa les épaules.

- Des petits garçons meurent chaque jour d'accidents.

- Je suppose que vous n'avez pas la fibre avunculaire.

Pitt se sentit tendu par ces sombres perspectives. L'éruption devait se produire dans quelques minutes à peine. Il se demanda s'il aurait la force de lutter contre un autre Dorsett. Il se rappela sa surprise quand Boudicca l'avait soulevé de terre et écrasé contre le mur, sur son yacht mouillé à

l'île Kunghit. Ses biceps lui faisaient encore mal au souvenir de sa poigne. D'après Sandecker, l'onde acoustique frapperait l'île dans quelques minutes et serait suivie de l'explosion volcanique. S'il devait mourir, pourquoi pas en se battant ? L'idée d'être mis en bouillie par les coups de poing d'une femme ne lui paraissait pas aussi terrible que celle d'être br˚lé par la lave en fusion. qu'étaient devenus Maeve et ses fils ? D ne pouvait se résoudre à croire qu'il leur était arrivé malheur. Pas quand Giordino était avec eux. Il fallait les avertir du cataclysme qui se préparait, s'ils avaient encore une chance de s'enfuir vivants de l'île.

Tout au fond de lui, Pitt savait qu'il ne faisait pas le poids devant Boudicca mais il devait agir pendant qu'il avait le léger avantage de la surprise. Il y pensait encore en fonçant, tête baissée, à travers la pièce, dans l'estomac de Boudicca. Celle-ci fut prise par surprise mais cela ne fit pas grande différence. Pas de différence du tout, à dire vrai. Elle encaissa toute la force du choc, grogna un peu et, bien que devant reculer en chancelant de quelques pas, elle resta debout. Avant que Pitt puisse reprendre son équilibre, elle l'attrapa à deux mains sous la poitrine, le fit tourner et le jeta contre la bibliothèque dont les vitres volèrent en éclat.

Il réussit, sans savoir comment, à rester debout bien que ses jambes soient en coton.

Il haleta, souffrant le martyre. Il avait l'impression que tous ses os étaient en miettes. Luttant contre la douleur, il chargea encore, atteignant Boudicca d'un violent uppercut qui fit jaillir le sang. Ce coup aurait envoyé n'importe quelle femme dans les vapeurs de l'inconscience pour au moins une semaine. Mais Boudicca se contenta d'essuyer le sang qui coulait de sa bouche d'un revers de main et de lui adresser un sourire effrayant. Serrant les poings, elle s'avança vers Pitt, les genoux plies dans l'attitude du boxeur sur le ring.

" Pas très correct comme attitude, pour une femme ", pensa Pitt. Il fit 424

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un pas en avant, esquiva une droite sauvage et la frappa encore avec ses dernières forces. Il sentit son poing s'écraser sur de la chair et de l'os puis reçut une volée de coups épouvantables en pleine poitrine. Il eut l'impression que son cour était passé à la moulinette. Il n'aurait jamais imaginé qu'une femme p˚t taper si fort. Le coup qu'il lui avait assené

aurait d˚ lui briser la m‚choire, pourtant elle sourit de ses lèvres sanglantes et lui rendit la monnaie de sa pièce en l'envoyant valdinguer dans la cheminée de pierre. Ses poumons se vidèrent. Il tomba et resta étalé en une posture grotesque quelques instants, immergé dans la douleur.

Comme dans un brouillard, il s'obligea à se relever, chancelant, regroupant ses forces pour un dernier assaut.

Boudicca fit un pas en avant et cueillit brutalement Pitt en plein dans la cage thoracique d'un coup de coude. Il entendit le bruit sec d'une, peut-

être deux côtes qui craquaient et sentit dans sa poitrine une douleur violente comme celle d'un coup de poignard.

Tombant sur les genoux, il regarda sans le voir le dessin du tapis. Il aurait voulu s'allonger là pour toujours. Peut-être était-il déjà mort et ce tapis était-il tout ce qu'il y avait après, quelques dessins floraux.

Il réalisa avec désespoir qu'il ne pourrait en faire davantage. Il tenta de saisir le tisonnier mais sa vision était brouillée et ses mouvements trop mal coordonnés pour qu'il puisse le trouver et le saisir. Vaguement, il vit Boudicca se pencher, le saisir par une jambe et le lancer avec violence à

travers la pièce. Il alla heurter la porte ouverte. Elle revint vers lui, le souleva d'une main par le col et lui envoya un coup violent à la tête, juste au-dessus de l'oil. Pitt resta étendu pour le compte, prêt à sombrer dans l'inconscience, nageant dans un océan de douleur, sentant le sang couler de la blessure ouverte au-dessus de son oil gauche.

Comme un chat jouant avec une souris, Boudicca allait bientôt se lasser de jouer et le tuerait.

Hébété, presque miraculeusement, il rassembla des forces dont il ne se croyait pas capable et réussit lentement à se remettre sur ses pieds, pour la dernière fois, pensa-t-il. Boudicca se tenait près du corps de son père, souriant en pensant à l'avenir. Son visage reflétait une parfaite maîtrise de soi.

- Il est temps pour vous de rejoindre mon père, dit-elle.

Sa voix était profonde, glaciale, irrésistible.

- Vous me soulevez le cour!

La voix de Pitt, elle, était épaisse et difficile.

Soudain, il vit la méchanceté de son visage s'effacer tandis qu'une main amicale le poussait un peu plus loin. Giordino venait d'entrer dans le bureau de la famille Dorsett.

Regardant Boudicca avec mépris, il dit :

- Cet asticot de fantaisie est pour moi.

A cet instant, Maeve apparut sur le seuil, tenant deux petits garçons blonds par les mains. Son regard alla du visage ensanglanté de Pitt à

Boudicca puis au cadavre de son père.

- qu'est-il arrivé à Papa?

- Il a attrapé un mal de gorge, murmura Pitt.

- Désolé d'être en retard, dit calmement Giordino. J'ai rencontré des domestiques un peu trop protecteurs. Ils s'étaient enfermés à clef avec les gamins. Il m'a fallu un moment pour arracher la porte.

Il n'expliqua pas ce qu'il avait fait aux domestiques. Il tendit à Pitt le 9mm automatique de John Merchant.

- Si elle gagne, tue-la.

- Avec plaisir, dit Pitt sans aucune sympathie.

Il n'y avait plus autant d'assurance dans les yeux de Boudicca. Elle ne semblait pas, non plus, vouloir simplement blesser son adversaire. Cette fois, elle se battait pour sa vie et il était évident qu'elle se servirait de tous les coups tordus que lui avait enseignés son père. Pas de combat de boxe civilisé, pas de karaté. Elle bougeait comme un loup, prête à assener un coup mortel, attentive en même temps au pistolet dans la main de Pitt.

- Alors, toi aussi tu es revenu d'entre les morts! siffla-t-elle.

- Mais je n'ai pas cessé de rêver de toi, dit Giordino en lui envoyant un baiser de ses lèvres plissées.

- Dommage d'avoir survécu pour venir mourir dans ma maison-Une erreur.

Boudicca venait de g‚cher une demi-seconde en parlant pour ne rien dire.

Giordino fut sur elle comme un bouf au galop, les jambes pliées, les pieds tendus lorsqu'ils atteignirent la poitrine de la géante. Elle se plia en deux avec un grognement de douleur mais, incroyablement, conserva sa position et accrocha ses mains autour des poignets de Giordino. Elle se jeta en arrière sur le bureau, l'entraînant avec elle jusqu'à ce qu'elle soit étendue sur le dos, Giordino à plat ventre sur le haut du bureau au-dessus d'elle, apparemment sans défense, les bras tendus et immobilisés devant lui.

Boudicca leva les yeux vers le visage de son adversaire. Un sourire méchant à nouveau sur les lèvres, elle tenait sa victime impuissante dans une poigne de fer. Intensifiant la pression, elle lui tordit les poignets avec l'intention de les casser par sa seule force d'Amazone. C'était une action astucieuse. Elle pouvait rendre Giordino infirme tout en se protégeant de son corps jusqu'à ce qu'elle puisse attraper le revolver qu'Arthur Dorsett gardait, chargé, dans le dernier tiroir du bureau.

Pitt attendait pour tirer un signal de son ami mais ne pouvait viser Boudicca sous le bureau. A peine conscient, c'était tout ce qu'il pouvait faire pour éviter de s'effondrer, la vision toujours brouillée par le coup qu'il avait reçu au front. Maeve était blottie contre lui maintenant, les bras serrés autour de ses fils, s'efforçant de les empêcher de voir la scène brutale.

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Giordino paraissait immobile, comme s'il acceptait la défaite sans se battre, tandis que Boudicca continuait à pousser lentement ses poignets en arrière. Sa robe de chambre de soie avait glissé de ses épaules et Maeve regardait, bouche bée, les épaules massives et les muscles tendus de sa sour qu'elle n'avait jamais vue déshabillée. Puis son regard glissa vers le corps de son père, étendu sur le tapis. Il n'y avait pas de tristesse dans ses yeux. Rien que le choc de cette mort inattendue. Puis, doucement, comme s'il avait mis ses forces en réserve, Giordino leva ses poignets et ses mains comme s'il levait un jeu de poids. L'expression de Boudicca passa de l'étonnement à l'incrédulité et son corps frissonna en se tendant de toutes ses forces pour arrêter le mouvement irrépressible. Soudain, elle dut l

‚cher les poignets de son adversaire. Elle chercha à atteindre Giordino aux yeux mais il s'était attendu à cette réaction et lui écarta les mains.

Avant que Boudicca ait repris le dessus, Giordino lui tombait sur la poitrine, à califourchon sur elle, pressant ses bras au sol. Immobilisée par une force à laquelle elle ne s'attendait pas, Boudicca gigota comme une folle pour se libérer. Désespérément, elle tenta d'atteindre le tiroir contenant l'arme mais les genoux de Giordino tenaient ses bras le long de son corps comme s'ils étaient cloués au sol. Giordino banda ses muscles et mit ses mains autour de la gorge de

Boudicca.

- Tel père, telle fille, dit-il férocement. Va le rejoindre en enfer!

Boudicca comprit qu'elle ne devait attendre aucune pitié, aucune libération. Il l'emprisonnait efficacement. Son corps se convulsa de terreur tandis que les mains massives de Giordino lui étaient lentement la vie. Elle essaya de crier mais ne put émettre qu'une sorte de croassement.

L'étau écrasant ne se rel‚cha pas. Son visage se crispa, ses yeux saillirent, sa peau devint bleue. Giordino, généralement chaleureux et souriant, demeura sans expression tandis qu'il renforçait sa prise.

La scène dramatique dura jusqu'à ce que le corps de Boudicca e˚t un brusque frisson et se raidît, puis, la vie se retirant peu à peu, devînt mou. Sans rel‚cher son étreinte, Giordino souleva la géante du sol et tira son corps jusqu'au plateau du bureau.

Maeve regarda, avec une fascination morbide, Giordino enlever la robe de chambre de soie du corps de Boudicca. Puis elle hurla et détourna la tête, écourée par ce qu'elle vit.

- Tu avais raison, mon vieux ! dit Pitt en faisant un effort pour réaliser ce qu'il voyait. Giordino fit un léger signe de tête, le regard froid et lointain.

- J'ai su à la minute même o˘ elle m'a envoyé un direct à la joue, sur le yacht.

- Il faut qu'on parte. Toute l'île va exploser.

- Répète ça? demanda Giordino abasourdi.

- Je te ferai un dessin plus tard. qu'y a-t-il comme moyen de transport autour de l'île? demanda-t-il à Maeve.

- Le garage est sur le côté de la maison. Il y a deux Mini que Papa utilise... utilisait pour aller jusqu'aux mines. Pitt prit un des garçons dans ses bras.

- Lequel es-tu?

Effrayé par le sang qui coulait sur le visage de Pitt, l'enfant murmura "

Michael ". Il montra son frère, maintenant dans les bras de Giordino.

- Lui, c'est Scan.

- Tu es déjà monté dans un hélicoptère, Michael?

- Non, mais j'ai toujours eu envie de le faire.

- Il suffit de vouloir, dit Pitt en riant.

Tout en se h‚tant de sortir du bureau, Maeve tourna la tête pour voir une dernière fois son père et Boudicca, qu'elle avait toujours prise pour sa sour, une sour plus ‚gée, distante et rarement aimable, mais une sour malgré tout. Son père avait bien gardé le secret et assumé sa honte en la cachant au monde. Elle était écourée de découvrir, après toutes ces années, que Boudicca était un homme.

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Ils trouvèrent les véhicules de l'île, des modèles compacts fabriqués en Australie et baptisés Holden, dans le garage attenant au manoir. On avait modifié les voitures en supprimant les portières pour en faciliter l'accès.

Elles étaient peintes en jaune vif. Pitt remercia la mémoire de feu Arthur Dorsett pour avoir laissé les clefs de contact sur la première voiture de la file. Rapidement, ils s'y installèrent tous, Pitt et Giordino devant, Maeve et ses enfants à l'arrière.

Le moteur démarra au quart de tour. Pitt passa la première, appuya sur la pédale d'accélérateur et rel‚cha celle de l'embrayage. La voiture bondit.

Giordino descendit rapidement à la vo˚te et ouvrit la grille. A peine avaient-ils gagné la route qu'ils croisèrent une camionnette 4x4 conduite par des gardes.

" II fallait que ça arrive maintenant ! se dit Pitt. quelqu'un a d˚ donner l'alarme. " Puis il réalisa qu'il devait s'agir de la relève des gardes.

Les hommes actuellement dans le bureau, à l'entrée de la maison, étaient sur le point d'être relevés - dans tous les sens du terme.

- que tout le monde sourie et fasse bonjour de la main, dit Pitt. Faites comme si nous étions une grande famille heureuse.

Le chauffeur en uniforme de la camionnette ralentit et regarda avec curiosité les occupants de la Holden puis hocha la tête et salua. Il n'était

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pas s˚r de les avoir reconnus mais supposa qu'il s'agissait d'invités de la famille Dorsett. La camionnette s'arrêta à la vo˚te d'entrée. Pitt écrasa l'accélérateur et lança la Holden vers le quai s'étirant jusqu'au lagon.

- Ils ont marché! dit Giordino.

Pitt sourit.

- Seulement pendant les soixante secondes qu'ils vont mettre pour se rendre compte que les gardes de l'équipe de nuit ne se sont pas endormis tout seuls.

Il évita la route desservant les deux mines et se dirigea vers le lagon.

C'était tout droit jusqu'au quai, maintenant. Il n'y avait aucune voiture, aucun camion entre eux et le yacht. Pitt ne perdit pas de temps à regarder sa montre mais il savait qu'il leur restait moins de quatre ou cinq minutes avant la catastrophe annoncée par Sandecker.

- Ils nous suivent! annonça Maeve d'une voix inquiète.

Pitt n'eut pas besoin de regarder le rétroviseur pour s'en assurer. Il savait que leur fuite vers la liberté était compromise par la réaction rapide des gardes. La seule question était de savoir si Giordino et lui auraient le temps de mettre l'hélicoptère en l'air avant que les hommes de Dorsett n'arrivent à leur portée et leur tirent dessus.

Giordino montra par le pare-brise le seul obstacle, un garde devant le bureau de la sécurité, qui les regardait s'approcher.

- qu'est-ce qu'on fait?

Pitt rendit à Giordino l'automatique de Merchant.

- Prends ça et tire sur lui si je ne réussis pas à lui flanquer les jetons.

- Si tu quoi?

Giordino se tut. Pitt alla frapper le quai de bois massif à un peu plus de 120 kilomètres-heure puis écrasa la pédale de frein, ce qui fit faire à la voiture un long dérapage dans la direction exacte du bureau de la sécurité.

Le garde, surpris, ne sachant pas de quel côté sauter, s'immobilisa un instant puis se jeta dans l'eau pour éviter d'être écrasé par la calandre de la voiture.

- Bien joué ! dit Giordino tandis que Pitt redressait et freinait sèchement devant la passerelle du yacht.

- Vite ! cria-t-il. Al, cours à l'hélico, détache-le et démarre le moteur.

Maeve, prenez vos fils et allez attendre au salon o˘ personne ne vous verra. Ce sera plus s˚r si les gardes arrivent avant que nous puissions décoller. Attendez de voir les lames du rotor commencer à tourner. A ce moment-là, courez.

- O˘ seras-tu ? demanda Giordino en aidant Maeve à faire descendre les enfants de la voiture et à grimper la passerelle.

- Je vais enlever les amarres pour empêcher les gardes de monter sur le bateau.

Pitt transpirait en détachant les lourdes amarres de leurs bittes et en les lançant par-dessus le bastingage. Il jeta un dernier regard à la route V

menant à la maison des Dorsett. Le conducteur de la camionnette avait mal calculé son virage pour quitter la route des mines et son véhicule avait glissé en travers, dans un champ boueux. Les gardes perdirent de précieuses secondes avant de reprendre la route du lagon. Puis, presque au même moment, le moteur de l'hélicoptère fit entendre son sifflement, immédiatement suivi par le son d'un coup de revolver, à l'intérieur du yacht.

Il traversa la passerelle en courant, la peur au ventre, se maudissant d'avoir envoyé Maeve et ses fils à bord sans avoir vérifié. Il chercha le 9

mm mais se rappela qu'il l'avait donné à Giordino. Il traversa le pont en murmurant " je vous en supplie, mon Dieu ". Il poussa vivement la porte du salon o˘ il entra en courant.

Tout son être se crispa d'effroi en entendant Maeve plaider.

- Non, Deirdre, non, je t'en supplie, pas les enfants aussi!

Puis son regard enregistra la scène tragique. Maeve, étendue par terre, le dos contre la bibliothèque, ses fils serrés contre elle, tous deux sanglotant de peur. Une tache de sang s'étalait sur son chemisier, à partir d'un trou minuscule dans son estomac, à la hauteur du nombril.

Deirdre, debout au centre du salon, tenait un petit pistolet automatique pointé sur les jumeaux, le visage et les bras aussi blancs que de l'ivoire poli. Vêtue d'un ensemble d'Emmanuel Ungaro qui rehaussait sa beauté, elle avait les yeux froids et les lèvres serrées en une ligne fine. Elle lança à

Pitt un regard à faire geler l'alcool. quand elle parla, sa voix avait un timbre curieusement dérangé.

- Je savais que vous n'étiez pas morts.

- Vous êtes plus folle que votre père malfaisant et que votre frère dégénéré, dit Pitt.

- Je savais que vous reviendriez détruire ma famille. Il s'avança lentement jusqu'à ce que son corps vienne s'interposer entre elle et Maeve et ses fils.

- Appelez ça une croisade pour éradiquer le mal. Les Dorsett font prendre les Borgia pour des apprentis et des amateurs, poursuivit-il en cherchant à

gagner du temps et en se rapprochant lentement. J'ai tué votre père. Le saviez-vous?

Elle hocha la tête, tenant son arme d'une main aussi ferme que du marbre.

- Les domestiques que Maeve et votre ami ont enfermés dans un placard savaient que je dormais sur le bateau et m'ont appelée. Maintenant, vous allez mourir comme mon père, mais pas avant que j'en aie fini avec Maeve.

Pitt se tourna lentement.

- Maeve est déjà morte, mentit-il.

Deirdre se pencha pour essayer de voir sa sour derrière lui.

- Alors regardez bien pendant que j'abats ses précieux jumeaux.

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- Non ! cria Maeve derrière Pitt. Pas mes petits !

Deirdre était au-delà du raisonnement. Elle leva son arme et essaya de contourner Pitt pour mieux tirer sur sa sour et ses neveux.

Une rage froide envahit Pitt, lui étant toute faculté de raisonnement. Il sauta, se précipitant vers Deirdre. Il vit le nez de l'automatique pointé

sur sa poitrine et agit vite. Il n'eut pas à se persuader qu'il allait réussir. La distance entre eux était trop grande pour qu'il la couvre à

temps. A deux mètres, Deirdre ne pouvait pas le manquer.

Il sentit à peine l'impact des deux balles qui le frappèrent et pénétrèrent sa chair. Il y avait en lui assez de haine et de désir de meurtre pour étouffer toute douleur, pour prévenir n'importe quel choc. Il tomba sur Deirdre violemment et la déséquilibra. Elle alla s'écraser au sol avec tant de force que ses traits délicats se tordirent en une grimace d'insupportable douleur. Ce fut comme heurter un arbrisseau. Son dos heurta une table basse et, sous le poids de Pitt, se brisa net. Il y eut un bruit horrible, comme une branche de bois sec qui craque, quand sa colonne vertébrale se cassa en trois points.

Pitt ne ressentit aucune compassion en entendant le cri étrange et sauvage qu'elle poussa. La tête rejetée en arrière, elle le regarda de ses yeux bruns stupéfaits o˘ se lisait encore une haine profonde.

- Vous allez payer... murmura-t-elle avec colère en regardant s'élargir les deux taches de sang sur la poitrine et le flanc de Pitt. Vous allez mourir !

Le pistolet toujours serré dans sa main, elle tenta de le viser à nouveau mais son corps refusa d'obéir aux ordres de son cerveau. Il n'y avait plus en elle aucune sensation.

Il eut un sourire dur comme la poignée d'un cercueil, certain maintenant que sa colonne était irrémédiablement fracturée.

- Peut-être, dit-il doucement, mais ça vaut mieux que d'être paralysé pour le reste de sa vie.

Il se détacha de Deirdre et, en chancelant, se pencha sur Maeve. Bravement, elle ignorait sa blessure pour consoler ses enfants qui pleuraient encore et tremblaient de peur.

- Allez, c'est fini, mes chéris, dit-elle d'une voix douce. Tout ira bien, maintenant.

Pitt s'agenouilla près d'elle et examina sa blessure. Il y avait peu de sang, juste un trou qui ressemblait à l'entaille d'une lame ou d'un petit objet. Il ne vit pas jusqu'o˘ avait pénétré la balle qui s'était creusé un chemin à travers son intestin et un labyrinthe de vaisseaux sanguins, avant de pénétrer le duodénum et de se loger dans un disque, entre deux vertèbres. Elle avait une hémorragie interne et, à moins de recevoir des soins médicaux immédiats, elle n'avait que quelques minutes à vivre.

Pitt eut l'impression que son cour était tombé dans un abîme de glace. Il aurait voulu hurler son chagrin mais aucun son ne sortait de sa gorge, si ce n'est un gémissement qui parut s'enfler tout au fond de lui.

Giordino ne pouvait supporter d'attendre davantage. L'aube était arrivée et, à l'est, le ciel au-dessus de l'île brillait déjà de la lumière orange du soleil levant. Il sauta de l'hélicoptère sur le pont, se penchant pour passer sous les pales quand la camionnette des gardes arriva à toute allure sur le quai. Mais que diable était-il arrivé à Pitt et Maeve? se demandait-il avec inquiétude. Pitt n'aurait pas g‚ché une seconde sans nécessité. Les amarres pendaient dans l'eau et le yacht avait déjà suivi la marée descendante en s'éloignant du quai d'une trentaine de mètres.

Il était vital de se h‚ter. La seule raison pour laquelle les gardes n'avaient pas tiré sur l'hélicoptère ni sur le yacht, c'était parce qu'ils craignaient d'abîmer une propriété des Dorsett. Mais ils étaient à cent mètres seulement et ils se rapprochaient.

Giordino était si absorbé par la surveillance de leurs poursuivants et s'inquiétait tellement de ce qui avait pu retarder ses amis qu'il ne remarqua pas immédiatement les chiens qui aboyaient partout dans l'île, ni l'envol soudain des oiseaux, s'élevant dans le ciel en cercles confus. Il n'entendit pas le curieux grondement, ne sentit pas la légère secousse qui fit trembler la terre, ne vit pas l'agitation soudaine des eaux du lagon quand les ondes sonores d'une stupéfiante intensité, poussées à une vitesse énorme, se cognèrent contre les rochers de l'île du Gladiateur.

Ce n'est que lorsqu'il arriva à quelques pas de la porte du grand salon qu'il jeta un coup d'oil aux gardes par-dessus son épaule. Ils se tenaient, cloués sur place, sur le quai dont le sol de bois se tordait comme les vagues de la mer. Ils avaient oublié leur gibier et se montraient du doigt un petit nuage de fumée grise qui commençait à s'élever et à s'étendre au-dessus du mont Scaggs. Giordino vit des hommes sortir comme des fourmis du tunnel dans la pente du volcan.

Apparemment, il y avait une grande activité aussi à l'intérieur du mont Winkleman. Il repensa soudain à ce que lui avait dit Pitt à propos de l'explosion prochaine de l'île.

Il se précipita dans le salon et s'arrêta net avec un long cri de douleur en voyant le sang sortir des blessures de Pitt, à la poitrine et à la taille, le point rouge sur l'estomac de Maeve et le corps de Deirdre Dorsett curieusement renversé sur la table basse.

- Mon Dieu! qu'est-il arrivé? Pitt le regarda sans répondre.

- L'éruption a-t-elle commencé?

- De la fumée sort des montagnes et le sol bouge.

- Alors il est trop tard.

Giordino s'agenouilla à côté de Pitt et regarda la blessure de Maeve.

- Ce n'est pas joli!

Elle leva vers lui un regard implorant.

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- Je vous en prie, prenez mes fils et laissez-moi là. Giordino secoua tristement la tête.

- Je ne peux pas faire ça. Ou nous partons tous, ou personne ne part. Pitt se tourna vers lui et lui serra le bras.

- Pas le temps. Toute l'île va sauter d'une minute à l'autre. Je n'y arriverai pas. Prends les enfants et file. Va-t'en maintenant!

Comme frappé par la foudre, Giordino resta muet de surprise. Il perdit d'un seul coup sa nonchalance et ses plaisanteries sarcastiques. Ses puissantes épaules parurent se rétrécir. Rien, de toute sa vie, n'avait pu lui faire abandonner son meilleur ami, l'ami de toute sa vie, maintenant voué à une mort certaine. Son visage refléta sa douloureuse indécision.

- Je ne peux abandonner aucun de vous deux! Giordino se pencha et passa un bras sous Maeve, comme pour la porter. Il fit un signe à Pitt.

- Je reviens te chercher.

Maeve le repoussa.

- Ne voyez-vous pas que Dirk a raison? murmura-t-elle faiblement.

Pitt lui tendit le journal et les lettres de Rodney York.

- Débrouille-toi pour que ceci soit remis à sa famille, dit-il d'une voix dure à force d'être calme. Et maintenant, pour l'amour du ciel, prends les gosses et file!

Giordino secoua la tête, au supplice. - Tu n'abandonnes jamais, hein?

Dehors, le ciel avait disparu, avalé par un nuage de cendres sorti du cour du mont Winkleman avec un grondement terrifiant.

Tout s'obscurcit tandis que la masse noire et menaçante s'étendait comme un parapluie géant. Puis retentit une explosion plus terrifiante encore qui fit voler des tonnes de lave en fusion.

Giordino eut l'impression qu'on lui arrachait l'‚me. Finalement il hocha puis tourna la tête, une expression de compréhension au fond de ses yeux désolés.

- Très bien. Puisqu'il semble que personne ne veuille de moi ici, je m'en vais, dit-il en essayant de plaisanter encore une fois.

Pitt lui serra la main.

- Adieu, mon vieux copain. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi.

- A bientôt, murmura Giordino d'une voix brisée, les larmes aux yeux.

Il avait l'air d'un vieil homme, drapé dans son malheur solennel et déchirant. Il commença à dire quelque chose mais les mots s'étouffèrent dans sa gorge. Alors il prit les enfants de Maeve, un sous chaque bras, et sortit.

56

Charles Bakewell et les experts de l'observatoire volcanique d'Auckland ne pouvaient pas étudier ce qui se passait à l'intérieur de la terre comme ils observaient l'atmosphère et, à un degré moindre, la mer. Il leur était impossible de prédire les événements exacts dans leur ordre et dans leur amplitude une fois que l'onde acoustique venant d'HawaÔ frapperait l'île du Gladiateur.

Contrairement à ce qui se passait lors de la plupart des éruptions et des tremblements de terre, ils n'avaient pas le temps, cette fois, d'étudier les phénomènes avant-coureurs, comme les chocs pré-volcaniques, les fluctuations de l'eau et les changements de comportement des animaux domestiques et sauvages. Les dynamismes étaient chaotiques. Tous les scientifiques étaient s˚rs qu'il se préparait une perturbation de très grande amplitude et que ce qui couvait, dans les chaudrons enterrés tout au fond de l'île, était sur le point de revenir à la vie.

Dans ce cas précis, la résonance créée par l'énergie de l'onde de choc secoua le cour déjà bien affaibli des volcans, déclenchant les éruptions.

Des événements catastrophiques se suivirent à une cadence effrénée. Venant de plusieurs milliers de mètres au-dessous de la surface de l'île, la roche surchauffée se dilata et se liquéfia, envahissant immédiatement les fissures ouvertes par les tremblements. Hésitant seulement à déplacer les rochers plus froids du substratum autour de lui, le flux forma un réservoir souterrain de matériau en fusion, qu'on appelle un réservoir magmatique profond o˘ s'accumulent d'énormes pressions.

Le stimulus du gaz volcanique est une condensation d'eau transformée en vapeur br˚lante, qui provoque le mouvement puissant envoyant le magma à la surface. quand l'eau passe à l'état gazeux, son volume se multiplie presque mille fois, créant la puissance astronomique nécessaire pour déclencher une éruption volcanique.

L'expulsion des fragments de roche et de cendres par la colonne de gaz qui s'élève au-dessus du volcan peut aller de fumerolles à des éruptions très violentes. Bien qu'il n'y ait aucune combustion véritable pendant l'éruption, c'est la lueur de la décharge électrique reflétant la roche incandescente dans la vapeur d'eau qui donne l'impression de feu.

A l'intérieur des mines de diamants, les travailleurs et les surveillants s'enfuirent par les tunnels de sortie au premier frémissement du sol. La température, à l'intérieur des puits, grimpa à une incroyable vitesse. Les 434

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gardes ne firent même pas le geste d'arrêter cette ruée. Dans leur panique, ils conduisirent même la horde en une course folle vers ce qu'ils pensaient être la sécurité de la mer. Ceux qui cherchèrent refuge en haut du plateau, entre les deux volcans, firent sans le savoir le choix qui leur permit de survivre.

Comme des géants endormis, les volcans jumeaux de l'île se réveillèrent de plusieurs siècles de sommeil. Mais ils réagirent différemment, quoique violemment. Le mont Winkleman revint à la vie avec, tout d'abord, une série de fissures qui s'ouvrirent à sa base, laissant sourdre des fontaines de lave qui montèrent par ces brèches et jaillirent très haut. Le rideau de feu s'étendit pendant que des tunnels de lave se formaient le long des fissures. D'énormes quantités de magma br˚lant se déversèrent le long des pentes en rivières impitoyables et s'étendirent en éventail, puis dévastèrent toute la végétation sur leur chemin.

La férocité de l'orage soudain de pression hydrostatique précipita les arbres les uns contre les autres avant qu'ils n'aillent s'écraser, brisés et br˚lés, leurs restes carbonisés balayés vers la côte. Les quelques arbres, les rares buissons qui échappaient à cet enfer roulant, furent noircis et tués sur place. Déjà le sol était jonché d'oiseaux tombés du ciel, étouffés par les gaz et les fumées que Winkleman avait crachés dans l'atmosphère.

Comme guidée par une main divine, la boue impitoyable balaya les b‚timents des gardes mais contourna le camp des travailleurs chinois de près de cinq cents mètres, épargnant ainsi la vie de trois cents mineurs. D'une portée épouvantable, le seul point positif de la coulée fut qu'elle n'avançait pas plus vite qu'un homme quelconque pouvait courir. Le magma bouillonnant du mont Winkleman entraîna de terribles dommages mais causa peu de pertes en vies humaines. Mais bientôt le mont Scaggs entra dans la danse. Du fond de ses entrailles, le volcan baptisé du nom du capitaine du Gladiateur l‚cha un rugissement profond aussi puissant que le bruit de cent trains de marchandises roulant dans un tunnel. Le cratère cracha un fantastique nuage cendreux, bien plus important que celui émis par le mont Winkleman, qui se tordit et tourbillonna dans le ciel en une masse noire et malveillante.

Tout menaçant et effrayant qu'il soit, le nuage n'était que le premier acte du drame qui allait se jouer.

La pente ouest du mont Scaggs ne pouvait résister à la pression profonde qui montait de milliers de mètres au-dessous d'elle. Les roches liquéfiées, chauffées à blanc maintenant, furent poussées en trombe vers la surface.

Sous l'effet d'une pression incommensurable, elles déchirèrent la pente supérieure en une fente irrégulière, rel‚chant un enfer de boue br˚lante et de vapeur qu'accompagna une unique mais étourdissante déflagration qui éparpilla le magma en millions de fragments.

Une gigantesque frénésie de lave en fusion s'éleva de la pente du volcan comme pour b‚tir un barrage. Une énorme quantité de lave rougeoyante fut éliminée en un flux pyroclastique, ensemble tumultueux de fragments de roche incandescente et de gaz chauffé qui se répandit au-dessus du sol comme une mélasse liquide mais à une vitesse dépassant les cent soixante kilomètres-heure. Prenant de la vitesse, elle dévala les flancs du volcan comme une avalanche, avec un rugissement ininterrompu, désintégrant tout sur son passage et précédée d'un vent de tempête puant le soufre. L'effet de la vapeur surchauffée du flux pyroclastique qui descendait impitoyablement fut dévastateur, enveloppant tout dans un torrent de feu et de boue br˚lante. Le verre fondait, les constructions de pierre s'effondraient, tout objet organique était instantanément réduit en cendres. L'horreur bouillonnante ne laissa rien sur son passage.

Le terrible flux dépassa la vo˚te de cendres qui étendait un drap sinistre au-dessus de l'île. Alors la lave rougeoyante plongea dans le cour du lagon, portant l'eau à ébullition et créant une folle turbulence de vapeur qui envoya des fumerolles blanches tourbillonner dans le ciel.

Le lagon autrefois si beau fut rapidement recouvert d'une vilaine couche de cendre grise, de boue sale et de débris déchiquetés annonçant le flux de mort. L'île que des hommes et des femmes avaient utilisée pour leur seule avidité, l'île qui, au dire de certains, méritait de mourir, cette île-là

avait été annihilée. Le rideau venait de tomber sur son agonie.

Giordino avait arraché le bel hélicoptère Agusta Mark II, fabriqué en Angleterre, du pont du yacht et atteint une bonne distance de l'île du Gladiateur avant que la poussière de roche incandescente tombe sur le quai et le yacht. Il ne put voir l'ampleur des dég‚ts. Un immense nuage de cendre qui avait atteint trois mille mètres de haut au-dessus de l'île, les cacha à sa vue.

Les deux incroyables éruptions étaient certes un spectacle hideux et effrayant mais non dénué d'une certaine beauté impressionnante. Elles dégageaient un sentiment d'irréalité. Giordino eut l'impression de jeter un coup d'oil par-dessus le bord de l'enfer.

Il sentit renaître l'espoir quand il remarqua que le yacht renaissait à la vie et filait à travers les eaux du lagon vers le chenal ouvert dans les récifs environnants. Gravement blessé ou non, Pitt avait réussi à faire fonctionner le bateau. Mais, quelle que soit la vitesse à laquelle il pouvait voler sur l'eau, elle était insuffisante pour semer le nuage gazeux de cendres ardentes qui br˚laient tout sur leur passage avant de plonger dans le lagon. L'espoir retomba quand Giordino, horrifié, suivit des yeux la course inégale. L'enfer passa par-dessus le sillage bouillonnant du yacht, le rattrapant et l'étouffant, le cachant à la vue de l'Agusta Mark II. Vu de là-haut, à près de mille pieds, on voyait bien que personne n'aurait pu vivre plus de quelques secondes dans ce feu infernal.

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Catastrophe au paradis

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Giordino fut submergé d'angoisse, de remords d'être vivant alors que la mère des enfants attachés dans le siège du copilote et son ami, son presque frère, étaient en train de mourir dans l'holocauste de feu, en bas.

Maudissant l'éruption, maudissant son impuissance, il détourna les yeux de cette vision d'horreur. Le visage blanc, les traits tirés, il pilotait par instinct plus que par conscience. La peine qui le dévorait ne le quitterait jamais, il le savait. Toute son impertinence passée était morte avec l'île du Gladiateur. Pitt et lui avaient parcouru un long chemin ensemble, l'un toujours prêt à tirer l'autre du pétrin. Pitt n'était pas homme à mourir.

Giordino se l'était répété en bien des occasions, quand il avait cru son ami déjà dans la tombe. Pitt était indestructible.

Une étincelle de foi s'alluma au fond de son cour. Il regarda les jauges de carburant. Elles indiquaient le plein. Après avoir étudié la carte attachée à une planchette sous le tableau des commandes, il décida de filer vers l'ouest, vers Hobart en Tasmanie, l'endroit le plus proche et le plus adapté pour atterrir avec les enfants. quand les jumeaux Fletcher seraient entre les bonnes mains des autorités, il referait le plein et retournerait à l'île du Gladiateur, ne serait-ce que pour essayer de ramener le corps de Pitt à Washington, pour son père et sa mère.

Il ne laisserait pas tomber Pitt. Il ne l'avait jamais fait au cours de toute sa vie et n'allait pas le faire lorsqu'il serait mort. Curieusement, il commença à se sentir mieux. Ayant décidé de son vol vers Hobart et de son retour à l'île, il se mit à parler aux petits garçons qui, cessant d'avoir peur, regardaient avec intérêt par la fenêtre du cockpit.

Derrière l'hélicoptère, l'île n'était plus qu'une silhouette indistincte aux lignes semblables à celles qu'elle avait offertes aux survivants épuisés du Gladiateur, un jour lointain, cent quarante-quatre ans auparavant.

Dès qu'il fut s˚r que Giordino avait fait décoller l'hélicoptère et qu'il était sain et sauf en l'air, Pitt s'obligea à se lever. Il mouilla une serviette au robinet du bar et en entoura la tête de Maeve. Puis il se mit à empiler des coussins, des chaises, tous les meubles qu'il put soulever au-dessus de la jeune femme jusqu'à ce qu'elle soit enterrée en dessous.

Incapable d'en faire davantage pour la protéger de l'océan de feu approchant, il alla en chancelant jusqu'à la timonerie, pressant sur sa blessure au côté o˘ une balle avait pénétré son muscle abdominal, fait un petit trou dans son côlon pour aller se loger enfui dans la ceinture pelvienne. L'autre balle avait ricoché sur une côte, blessé et dégonflé un poumon pour ressortir par les muscles de son dos. Luttant contre l'évanouissement et contre l'obscurité cauchemardesque qui embrumait ses yeux, il étudia les instruments et les contrôles de la console du yacht.

Contrairement à celles de l'hélicoptère, les jauges du yacht indiquaient des réservoirs presque vides. L'équipage de Dorsett ne se fatiguait pas à

faire le plein tant qu'on ne l'avait pas prévenu que la famille Dorsett préparait un voyage.

Pitt trouva les contacts et lança les gros moteurs turbo-diesel Blitzen Seastorm. Dès qu'ils tournèrent au ralenti, il engagea leurs commandes Casale-V et mit les gaz. Le pont trembla sous ses pieds tandis que l'avant se relevait et que l'eau, derrière le bateau, commençait à mousser. Il contrôla manuellement la barre pour diriger le yacht vers la haute mer.

Des cendres chaudes tombaient en une épaisse couverture. Il pleuvait des roches en feu qui sifflaient et dégageaient des nuages de vapeur en touchant l'eau. Elles s'abattaient sans fin, lancées de très loin sous les pressions s'échappant du mont Scaggs. La colonne de mort engloutit le quai et parut s'élancer à la poursuite du yacht, traversant le lagon comme un monstre enragé surgi des profondeurs br˚lantes de l'enfer. Puis soudain, elle fut sur lui dans toute sa furie, descendant sur le yacht comme une masse tourbillonnante de deux cents mètres de haut avant que Pitt ait pu sortir du lagon. La bateau roula, comme frappé par un coup de massue venu de l'arrière. Les m‚ts du radar et de la radio se brisèrent net, de même que les radeaux, le bastingage et les meubles de pont. Le bateau lutta dans une turbulence embrasée, comme une baleine blessée. Des roches de feu tombèrent sur le rouf et le pont, frappant le joli bateau et le réduisant à

l'état d'épave.

Dans la timonerie, la chaleur était accablante. Pitt eut l'impression qu'on lui avait frotté la peau avec un révulsif. Il devenait de plus en plus douloureux de respirer, surtout à cause de son poumon blessé. Il pria avec ferveur pour que Maeve soit encore en vie, là-bas, dans le salon.

Suffoquant, les vêtements fumants, les cheveux roussis, il s'accrocha désespérément à la barre. L'air surchauffé s'enfonçait dans sa gorge et dans ses poumons, au point que chaque respiration devenait une véritable agonie. Le grondement de la pluie de feu dans ses oreilles se mêlait aux battements violents de son cour et au mouvement déferlant de son sang. Il n'avait, pour résister à l'ardent assaut, que le battement régulier des moteurs et la solidité du bateau.

quand les fenêtres autour de lui commencèrent à craquer et à tomber en morceaux, il se dit qu'il allait s˚rement mourir. Tout son esprit, tous ses nerfs étaient tendus sur la nécessité de faire avancer le bateau comme s'il pouvait, par la seule force de sa volonté, le faire voguer plus vite.

Soudain, la lourde couverture de feu perdit de son épaisseur tandis que le yacht courait dans la clarté retrouvée. Les eaux sales et grises furent à

nouveau d'un beau vert émeraude et le ciel bleu de saphir. La vague de feu et la boue br˚lante avaient perdu leur élan. Il avala l'air propre et salé

comme un nageur s'oblige à l'hyperventilation avant de plonger en apnée dans les profondeurs. Il ne connaissait pas l'étendue de ses blessures et cela lui était égal. Il endurait l'atroce douleur avec stoÔcisme.

C'est alors que son attention fut attirée par la tête et le haut du corps d'une immense créature marine qui s'éleva au-dessus de l'eau, à tribord. On aurait dit une gigantesque anguille, avec une tête ronde d'au moins 438

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deux mètres d'épaisseur. Sa bouche était entrouverte et il aperçut des dents acérées comme des rasoirs, en forme de crocs arrondis. Si on avait pu étendre son corps ondoyant, Pitt estima qu'il aurait mesuré entre trente et quarante mètres. L'animal fendait l'eau à une vitesse un peu supérieure à

celle du yacht.

- Alors Basil existe bien! murmura-t-il dans la timonerie vide. Le fait de parler envenima sa gorge br˚lante. Pitt se dit que Basil n'était pas un serpent de mer stupide. L'énorme anguille fuyait son habitat surchauffé du lagon vers la sécurité de la haute mer.

quand il eut atteint le chenal, Basil se roula dans les profondeurs et disparut avec un grand battement de son énorme queue.

Pitt lui adressa un signe d'adieu et reporta son attention à la console.

Les instruments de navigation ne fonctionnaient plus. Il essaya d'envoyer un signal de détresse mais la radio et le téléphone par satellite avaient tous deux rendu l'‚me. Rien ne tournait plus que les gros moteurs qui tiraient encore le yacht à travers les vagues. Incapable de mettre le bateau en pilotage automatique, il attacha la barre à la proue vers l'ouest, vers la côte sud-est d'Australie et mit les gaz un cran au-dessus du point mort, pour économiser le peu de carburant qui restait. Un bateau de sauvetage répondant à la catastrophe de l'île du Gladiateur allait s˚rement apercevoir le yacht mutilé, s'arrêter et venir voir.

Il obligea ses jambes chancelantes à le ramener jusqu'à Maeve. Il se demandait comment il allait la trouver et si la pièce avait entièrement br˚lé. Vivement inquiet, il passa la porte séparant le salon de la timonerie. La pièce paraissait avoir subi une attaque au chalumeau. La coque épaisse et résistante en fibre de verre avait retenu une bonne partie de la chaleur mais celle-ci avait néanmoins fait exploser toutes les vitres. Le tissu ininflammable des sofas et des chaises, quoique abîmé, n'avait pas

br˚lé.

Il jeta un coup d'oil à Deirdre. Ses cheveux superbes n'étaient plus qu'une masse noircie. Ses yeux laiteux étaient fixes, sa peau de la couleur d'une langouste cuite. Des petites fumerolles s'échappaient de ses vêtements chics, comme une brume légère. On aurait dit une poupée jetée quelques secondes dans un fourneau et ressortie. La mort l'avait sauvée d'une vie dans un corps à jamais immobile.

Sans tenir compte de ses blessures, il commença à enlever vivement tout le mobilier qu'il avait empilé au-dessus de Maeve. " II faut qu'elle soit vivante " pensa-t-il de toutes ses forces. Il fallait qu'elle l'ait attendu, malgré sa douleur et son désespoir d'avoir, une fois encore, perdu ses enfants. Il retira le dernier coussin et regarda, le cour battant. Le soulagement l'envahit comme une cascade fraîche en voyant Maeve lever la tête et lui sourire.

- Maeve! dit-il d'une voix rauque.

Il se laissa tomber près d'elle et la prit dans ses bras. C'est alors qu'il aperçut la grande mare de sang qui avait coulé entre ses jambes et s'était répandue sur le tapis. Il la serra contre lui, appuya la tête de la jeune femme contre son épaule et lui embrassa les joues.

- Vos sourcils, murmura-t-elle avec un petit rire.

- qu'est-ce qu'ils ont?

- Ils ont br˚lé. Et presque tous vos cheveux aussi.

- Je ne peux pas ressembler tout le temps à une vedette de cinéma.

- Pour moi, si. Est-ce que mes fils sont à l'abri? ajouta-t-elle, les yeux humides de tristesse et d'inquiétude.

- Al a décollé plusieurs minutes avant que l'orage de feu ne commence. Je pense qu'ils sont arrivés à bon port.

Le visage de Maeve était p‚le comme un rayon de lune. On aurait dit une fragile poupée de porcelaine.

- Je ne vous ai jamais dit que je vous aimais.

- Mais je le savais, murmura-t-il en luttant pour ne pas étouffer.

- Est-ce que vous m'aimez aussi, même un tout petit peu?

- Je vous aime de toute mon ‚me.

Elle leva la main et caressa doucement son visage br˚lé.

- Mon ami Myrtille, toujours au détour du chemin '. Serrez-moi fort. Je veux mourir dans vos bras.

- Vous n'allez pas mourir, dit-il, incapable de contrôler son cour qui éclatait en mille morceaux. Nous allons vivre une longue vie tous les deux, nous allons écumer les mers et nous aurons tout un bateau d'enfants qui nageront comme des poissons.

- Deux naufragés à la découverte du monde, dit-elle dans un souffle.

- Il y a tant de choses à découvrir, dit Pitt en reprenant les paroles de la chanson.

- Faites-moi traverser Moon River, Dirk, emmenez-moi...

Son expression était presque joyeuse. Puis ses paupières battirent et se fermèrent. Son corps parut s'alanguir, se faner comme une jolie fleur sous un coup de vent glacial. Son visage se détendit, paisible comme celui d'un enfant endormi. Elle était passée de l'autre côté et l'attendait sur l'autre rive.

- Non ! cria-t-il d'une voix d'animal blessé qui résonna dans la nuit.

Toute vie sembla quitter Pitt à son tour. Il ne se battit plus pour résister à l'évanouissement. Il ne résista plus au brouillard noir qui se refermait sur lui. Il l‚cha la réalité et se laissa envelopper par l'obscurité.

1. Voir notes chap. 26, p. 236.

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Onde de choc

57

Le projet de Giordino de retourner rapidement à l'île du Gladiateur tourna court dès le début.

Après avoir utilisé le système de communication par satellite dernier cri de l'Agusta pour faire son rapport à Sandecker, à bord du Glomar Explorer à

HawaÔ, il contacta les unités de sauvetage de la Marine et de l'Aviation d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Il fut le premier à annoncer le désastre au monde extérieur. Pendant le reste du vol vers Hobart, il fut sans cesse assiégé de demandes de membres haut placés de divers gouvernements et de reporters de tous les médias du monde, cherchant à

avoir un récit de l'éruption et une évaluation des dég‚ts.

En approchant de la capitale de la Tasmanie, Giordino longea les hauts contreforts bordant Hobart, dont le quartier d'affaires est situé sur la rive ouest du fleuve Derwent.

Ayant repéré l'aéroport, il appela la tour. Les contrôleurs aériens l'envoyèrent se poser dans la zone militaire, à cinq cents mètres du terminal principal. Il fut surpris de voir une foule énorme attendre qu'il se

pose.

quand il eut coupé le moteur et ouvert la porte, tout se passa avec ordre et discipline. Les fonctionnaires de l'immigration vinrent à bord pour l'aider à entrer sans passeport. Les autorités des services sociaux prirent en charge les fils de Maeve, assurant Giordino que dès qu'on aurait trouvé

leur père, on les lui confierait.

Ensuite, dès que Giordino eut mis le pied à terre, affamé et plus fatigué

qu'il ne l'avait jamais été, il fut submergé par une armée de reporters qui lui fourrèrent des micros sous le nez, le filmèrent et lui posèrent mille questions sur l'éruption. La seule question à laquelle il répondit avec un sourire satisfait concernait la mort d'Arthur Dorsett, première victime de l'holocauste.

Finalement, il réussit à semer les journalistes et à se réfugier dans le bureau de la police de l'aéroport. De là, il appela le consulat américain qui accepta à contrecour d'avancer les frais de carburant de l'hélicoptère, mais seulement pour des raisons humanitaires. Son vol de retour vers l'île du Gladiateur fut à nouveau retardé. Le directeur australien du service d'Assistance aux Catastrophes naturelles lui demanda de l'aider en transportant de la nourriture et des médicaments dans l'île. Giordino Catastrophe au paradis

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accepta puis fit impatiemment les cent pas autour de l'hélicoptère pendant qu'on remplissait ses réservoirs et qu'on enlevait les sièges des passagers pour faire de la place pour le chargement humanitaire. Il fut reconnaissant à l'un des employés du service qui lui apporta un sac plein de sandwiches au fromage et plusieurs cannettes de bière.

Il eut la surprise de voir une voiture s'approcher de lui et le chauffeur lui annoncer l'arrivée imminente de Sandecker. Il regarda l'homme, les yeux écarquillés, comme s'il était fou. Il ne s'était passé que quatre heures depuis qu'il avait fait son rapport à l'amiral, à HawaÔ.

Il comprit lorsqu'il vit un F-22A supersonique de la Marine américaine, un chasseur biplace, se poser non loin de là. Giordino regarda le bel appareil, capable de voler à Mach 3, aller se ranger près de l'hélicoptère.

La verrière s'ouvrit et Sandecker, en combinaison de vol, grimpa sur une aile et, sans attendre une échelle, sauta à terre.

Il approcha à grands pas de Giordino, sidéré, et l'embrassa avec la délicatesse d'un ours.

- Albert, vous n'imaginez pas combien je suis heureux de vous voir.

- J'aurais préféré que nous soyons plus nombreux à vous accueillir, dit Giordino d'une voix triste.

- Il ne sert à rien de rester là à nous consoler mutuellement, dit Sandecker. Allons chercher Dirk.

- Voulez-vous vous changer d'abord?

- J'enlèverai cette combinaison pendant le vol. Je pourrai la rendre à la Marine quand je repasserai par ici.

Moins de cinq minutes plus tard, avec deux tonnes de provisions très nécessaires dans le compartiment de fret, ils avaient décollé et se dirigeaient vers la mer de Tasmanie et les restes fumants de l'île du Gladiateur.

Des navires de sauvetage des marines d'Australie et de Nouvelle-Zélande furent dépêchés sur l'île avec des vivres et des équipes médicales. Tous les navires commerciaux à deux cent milles à la ronde furent déroutés pour aller apporter toute l'aide nécessaire sur la scène de la catastrophe. A la surprise générale, il y avait eu moins de pertes humaines qu'on aurait pu le craindre, étant donné l'ampleur du désastre. La plupart des travailleurs chinois avaient échappé au passage du vent de feu et du flot de lave. La moitié des surveillants de la mine avaient survécu mais, sur les quatre-vingts gardes de sécurité d'Arthur Dorsett, on n'en retrouva que sept vivants mais très gravement br˚lés. Les autopsies montrèrent, plus tard, que la plupart étaient morts étouffés après avoir inhalé des cendres.

Tard dans l'après-midi, l'éruption avait perdu de sa force. Il sortait encore de la lave en fusion des fissures du volcan mais elle descendait en 442

Onde de choc

ruisseaux plus calmes. Les deux volcans n'étaient plus que les ombres de ce qu'ils avaient été. Scaggs avait presque disparu, ne laissant qu'un vaste et horrible cratère. Winkleman formait encore une colline massive mais qui n'avait plus que le tiers de son ancienne hauteur.

Un voile de cendres planait encore au-dessus des volcans quand Giordino et Sandecker approchèrent de l'île dévastée. On aurait dit qu'un scraper géant avait creusé toute la partie occidentale jusqu'aux soubassements. Le lagon avait l'air d'un marécage truffé de débris et de morceaux de pierre ponce.

Il ne restait pas grand-chose des mines de la Dorsett Consolidated. Ce qui n'était pas recouvert par les cendres saillait comme les ruines d'une civilisation, morte depuis un millier d'années. La destruction de la végétation était presque totale.

Giordino sentit son cour s'arrêter lorsqu'il chercha en vain dans le lagon le yacht avec Pitt et Maeve. Le quai avait br˚lé et coulé dans l'eau couverte de cendres, près des entrepôts en ruines.

Sandecker fut horrifié. Il n'avait eu aucune idée de l'ampleur de la catastrophe.

- Tous ces morts ! murmura-t-il. C'est ma faute, tout ça est ma faute !

Giordino lui adressa un regard plein de compréhension.

- Pour chaque habitant mort sur cette île, il y a dix mille personnes qui vous doivent la vie.

- Tout de même... dit Sandecker d'une voix étranglée.

Giordino survola un navire de sauvetage déjà ancré dans le lagon. Il réduisit sa vitesse, se préparant à se poser sur un endroit dégagé par les ingénieurs militaires australiens, parachutés les premiers sur la scène du désastre.

Les rotors soulevèrent des nuages de cendres, obscurcissant la vue de Giordino. Il plana un peu, tira sur le cyclique tout en réglant la vitesse du pas de l'hélice et coordonna le débit des gaz. Volant à l'aveuglette, il réussit à poser l'Agusta avec un choc assez violent. Il poussa un profond soupir et arrêta les rotors.

Le nuage de cendres s'était à peine dissipé qu'un commandant de l'armée australienne, couvert de poussière de la tête aux pieds, suivi de son adjoint, arriva en courant pour leur ouvrir la porte. Il se pencha dans le compartiment de fret tandis que Sandecker s'approchait de lui.

- Major O'Toole, se présenta le militaire avec un large sourire. Content de vous voir. Vous êtes le premier sauveteur à atterrir.

- Notre mission est double, major, dit Sandecker. D'une part nous apportons des fournitures mais de l'autre, nous recherchons un ami qu'on a vu pour la dernière fois sur le yacht d'Arthur Dorsett.

O'Toole haussa les épaules.

- Il a probablement coulé. Il faudra des semaines pour que les marées nettoient suffisamment le lagon pour qu'on puisse lancer des recherches sous-marines.

Catastrophe au paradis

443

- Nous espérions que le bateau avait atteint la haute mer.

- Vous n'avez pas reçu d'appel de votre ami? Sandecker fit non de la tête.

- Je suis navré mais il n'y a guère de chances qu'il ait pu échapper à

l'éruption.

- Je suis navré aussi.

Sandecker parut regarder quelque chose à des milliers de kilomètres de là, sans voir l'officier debout près de la porte. Il se ressaisit.

- Puis-je vous aider à décharger l'hélico?

- Cela nous rendrait service. La plupart de mes hommes sont partis à la recherche de survivants.

Avec l'aide d'un des officiers d'O'Toole, les caisses de nourriture, l'eau et les médicaments quittèrent l'hélicoptère et furent empilées un peu plus loin.

L'échec et la tristesse empêchèrent Giordino et Sandecker de parler. Ils réintégrèrent le cockpit et s'apprêtèrent à retourner à Hobart.

Les rotors commençaient à tourner quand O'Toole arriva en courant, agitant les bras d'un air excité. Giordino ouvrit sa fenêtre et se pencha.

- J'ai pensé qu'il fallait vous avertir, cria O'Toole pour se faire entendre par-dessus le bruit des moteurs. Mon officier de communication vient de me transmettre le rapport d'un sauveteur. Ils ont aperçu un bateau très abîmé, dérivant à vingt-deux kilomètres au nord-est de l'île.

La détresse disparut du visage de Giordino.

- Se sont-ils arrêtés pour voir s'il y avait des survivants?

- Non. Le bateau paraît très abîmé et désert. Le capitaine a pensé à juste titre qu'il devait en priorité atteindre l'île avec son équipe de médecins.

- Merci, major. Vous avez entendu? demanda-t-il à Sandecker.

- J'ai entendu, dit impatiemment l'amiral. Mettez ce truc en l'air, vite!

Giordino n'eut pas besoin d'encouragements. Dix minutes après, ils apercevaient le yacht, exactement o˘ l'avait dit le capitaine du sauveteur, se balançant comme une coque morte dans les vagues paresseuses. Il paraissait bas sur l'eau et penchait d'une dizaine de degrés sur b‚bord. On aurait dit qu'un balai géant avait emporté son accastillage. Sa coque superbe, d'un bleu saphir, était br˚lée et noir‚tre et ses ponts recouverts d'une épaisse couche de cendres grises. Il avait connu l'enfer et ça se voyait.

- L'aire d'atterrissage semble dégagée, commenta Sandecker.

Giordino se mit à l'arrière du yacht et fit une descente très lente sous un angle léger. La mer ne présentait pas la moindre tache blanche donc le vent était presque inexistant et pourtant le tangage du bateau et sa gîte rendaient l'atterrissage difficile.

Il réduisit sa vitesse à celle du yacht, se penchant au même angle, cal-444

Onde de choc

culant de se poser quand le yacht se lèverait sur la crête d'une vague. Au moment choisi, l'Agusta parut prendre son souffle, s'immobilisa quelques secondes et plongea vers le pont en pente. Giordino serra immédiatement les freins pour empêcher l'appareil de tomber à l'eau et coupa le moteur.

Maintenant qu'ils s'étaient posés sans encombre, toutes leurs pensées se tournèrent avec crainte vers ce qu'ils allaient découvrir.

Giordino sortit le premier et attacha l'hélicoptère. Hésitants, retenant leur souffle, ils traversèrent le pont noirci et entrèrent dans le salon.

Un coup d'oeil aux deux silhouettes inertes enlacées dans un coin de la pièce et Sandecker hocha la tête avec désespoir.

Il ferma brièvement les yeux, luttant contre une vague d'angoisse mentale.

La scène cruelle était si horrible qu'il ne pouvait pas bouger. Il ne vit aucun signe de vie. Son cour se brisa de tristesse. Il regarda les deux corps sans bouger, comme assommé. " Ils sont sans aucun doute morts tous les deux ", pensa-t-il.

Pitt tenait Maeve dans ses bras. Le côté visible de son visage n'était qu'un masque de sang séché après la blessure que lui avait infligée Boudicca. Toute sa poitrine et sa hanche portaient également des taches cramoisies et sombres. Les vêtements br˚lés, les sourcils et les cheveux roussis, les br˚lures sur le visage et les bras, tout indiquait qu'il avait été horriblement mutilé par une explosion. Et que la mort ne lui avait pas été douce.

Maeve, elle, semblait être partie sans savoir que son sommeil serait éternel. Son joli visage luisant comme de la cire rappela à Sandecker une chandelle blanche et inutilisée, une Belle au bois dormant qu'aucun baiser ne réveillerait jamais.

Giordino s'agenouilla près de Pitt, refusant de croire à la mort de son ami. Il lui secoua l'épaule, tout doucement.

- Dirk, parle-moi, mon vieux. Sandecker essaya d'éloigner Giordino.

- Il est parti, dit-il avec un soupir désespéré.

Alors, de façon si inattendue que les deux hommes en restèrent glacés de surprise, Pitt ouvrit lentement les yeux. Il regarda Sandecker et Giordino sans comprendre, sans les reconnaître.

Ses lèvres frissonnèrent et il murmura :

- Mon Dieu, pardonnez-moi, je l'ai perdue.

CINqUI»ME PARTIE

La poussière retombe

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On ne sentait pas, cette fois-ci, la tension qui avait régné dans la salle de conférence à Paris, lors de la dernière réunion. Cette fois, l'atmosphère était détendue, presque enjouée. Les directeurs du Conseil multilatéral du Commerce se montrèrent plus agréables en discutant des derniers développements en coulisses de leurs affaires internationales.

Toutes les chaises étaient occupées autour de la longue table d'ébène, quand le président se tut un instant en attendant que les conversations et les murmures s'arrêtent. Puis il prit la parole.

- Messieurs, il s'est passé beaucoup de choses depuis notre dernière discussion. Nous devions alors faire face à une menace contre nos opérations internationales sur le diamant. Maintenant, gr‚ce à un caprice du destin, la machination destinée à détruire ce marché a cessé d'être, avec la mort prématurée d'Arthur Dorsett.

- Bon débarras! s'exclama en riant le directeur général du cartel. II avait du mal à croire à sa chance et au soulagement qu'il ressentait, maintenant que la menace était éliminée sans qu'il en co˚t‚t rien.

- Bravo! Bravo! crièrent plusieurs voix autour de la table.

- J'ai le plaisir de vous informer, poursuivit le président, que le prix du marché du diamant a considérablement augmenté ces derniers jours, tandis que celui des pierres de couleur a subi une baisse substantielle.

L'ancien ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, un homme aux cheveux gris issu d'une des familles les plus riches d'Amérique, prit la parole à l'autre extrémité de la table.

- qu'est-ce qui va empêcher les directeurs de la Dorsett Consolidated de poursuivre le programme d'Arthur, en mettant les diamants en vente à prix discount dans la vaste chaîne de leurs détaillants?

L'industriel belge d'Anvers leva la main pour demander la parole.

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Onde de choc

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- Arthur Dorsett était un mégalomane. Ses rêves de grandeur ne concernaient personne d'autre que lui. Il dirigeait ses exploitations et ses ventes sans conseil d'administration. Arthur était un solitaire. Il ne faisait confiance à personne. Il demandait très exceptionnellement son avis à un vague conseiller, après quoi le conseiller ou la conseillère était jeté

dehors. Il menait la Dorsett Consolidated tout seul, sans personne d'autre à la direction.

L'Italien propriétaire de navires marchands sourit.

- J'ai presque envie d'aller escalader les volcans qui nous ont débarrassés d'Arthur Dorsett et de son empire maléfique, pour vider une bouteille de Champagne dans leurs cratères.

- C'est exactement ce que font les HawaÔens dans le cratère du Kilauca, dit l'Américain,

- A-t-on retrouvé son corps? demanda le roi japonais de l'électronique.

Le président fit signe que non.

- D'après les autorités australiennes, il n'est jamais sorti de sa maison qui était directement sur le chemin du fleuve de lave. Son corps, ou ce qui en reste, est enterré sous vingt tonnes de lave, de rocher et de cendres.

- Est-il vrai que ses trois filles soient également mortes? demanda l'Italien.

- L'une est morte dans la maison avec Arthur. On a trouvé les deux autres dans la coque br˚lée d'un yacht. Apparemment, elles essayaient d'échapper au tremblement de terre. Je dois dire qu'il y a quelque chose de mystérieux dans toute cette histoire. D'après mes sources bien informées au sein du gouvernement australien, une des filles est morte de blessures par arme à

feu.

- Assassinée?

- D'après la rumeur, plutôt un suicide.

Le Japonais fit un signe de tête au directeur du cartel du diamant.

- Pouvez-vous nous dire, monsieur, maintenant qu'Arthur Dorsett n'est plus dans la course, quelles sont les perspectives de votre marché ?

Le très élégant représentant des hautes sphères diamantaires d'Afrique du Sud répondit avec un sourire sincère.

- Elles ne pourraient être meilleures. Les Russes sont loin de mettre à

exécution les menaces annoncées. Leurs tentatives de mener le marché à la baguette ont fait long feu. Après avoir vendu une bonne partie des pierres brutes à des tailleurs de Tel-Aviv et d'Anvers à des prix certes bas mais quand même plus élevés que ceux qu'Arthur Dorsett entendait pratiquer, ils ont épuisé leur production. La crise industrielle russe a entraîné un arrêt virtuel de leur production de diamants.

- Et o˘ en sont l'Australie et le Canada? demanda le Hollandais.

- Les mines australiennes ne produisent pas autant qu'on l'avait pré-dit à l'origine et la ruée sur le diamant canadien est retombée. Leurs diamants ne sont ni de très bonne qualité ni en très grande quantité. Pour le moment, on n'envisage pas l'ouverture d'une grande mine commerciale de diamant au Canada.

- Est-ce que les changements politiques en Afrique du Sud ont affecté vos opérations?

- Nous travaillons en étroite collaboration avec Nelson Mandela, depuis la fin de l'apartheid. Et je peux affirmer qu'il va bientôt annoncer un nouveau système de taxes qui sera tout à fait avantageux pour nous.

Le cheikh représentant le cartel pétrolier se pencha au-dessus de la table.

- Tout ceci nous paraît très encourageant mais est-ce que vos bénéfices vous permettront d'aider à réaliser le but du Conseil multilatéral d'un ordre économique mondial unique?

- Rassurez-vous, répondit le Sud-Africain, le cartel du diamant tiendra tous ses engagements. La demande au niveau mondial est en hausse et nos bénéfices devraient monter en flèche au cours des dix premières années de ce nouveau siècle. Sans aucun doute possible, nous porterons notre part du fardeau monétaire.

- Je remercie le représentant d'Afrique du Sud pour son rapport de confiance, dit le président.

- que va devenir la Dorsett Consolidated Mining? demanda le cheikh.

- Légalement, répondit le président, la société tout entière revient aux deux petits-fils de Dorsett.

- quel ‚ge ont-ils?

- Sept ans dans quelques mois.

- Si jeunes!

- J'ignorais qu'une de ses filles était mariée, dit l'Indien promoteur immobilier.

- Aucune ne l'était, dit sèchement le président. Maeve Dorsett a eu des jumeaux en dehors des liens du mariage. Le père est issu d'une riche famille d'éleveurs de moutons. Il vient d'être nommé tuteur et administrateur du capital de ses enfants.

Le Hollandais regarda le président dans les yeux.

- Et qui a-t-on nommé pour s'occuper des affaires commerciales des enfants?

- quelqu'un dont le nom vous est familier, répondit le président avec un sourire ironique. Jusqu'à la majorité des petits-fils, les activités commerciales au jour le jour de la Dorsett Consolidated Mining et tout ce qui en dépend seront dirigés par la famille Strouser, les diamantaires.

- C'est votre ch‚timent, commenta l'ancien ministre américain.

- qu'est-ce qui est prévu au cas o˘ le marché du diamant s'effondrerait de lui-même ? Nous ne pourrons pas contrôler éternellement les prix.

- Je vais vous répondre, dit le Sud-Africain. quand nous ne pourrons 450

Onde de choc

plus maintenir les prix, nous passerons des pierres naturelles, sorties de terre à grands frais, à celles qui sont produites dans nos laboratoires.

- Est-ce que les fausses sont aussi belles ? demanda le magnat anglais de l'édition.

- Les laboratoires de chimie produisent depuis longtemps des éme-raudes, des rubis et des saphirs de culture qui ont les mêmes propriétés physiques, chimiques et optiques que les pierres retirées des mines. Elles sont si parfaites que des gemmologistes entraînés ont du mal à faire la différence.

C'est la même chose pour les diamants créés en laboratoire.

- Peut-on les vendre sans prévenir l'acheteur ? demanda le président.

- Inutile de tromper les gens. De même que nous avons éduqué le public à

penser que les diamants sont les seules pierres dignes d'être achetées, nous pourrons faire la promotion des pierres de culture et laisser entendre que ce sont les plus raisonnables à acquérir. La seule vraie différence, c'est qu'il a fallu des millions d'années à la nature pour créer les premières et qu'il suffit de cinquante heures de laboratoire pour créer les autres. La nouvelle vague de demain, si vous voulez.

La pièce fut un instant silencieuse, chacun réfléchissant aux bénéfices potentiels. Puis le président sourit et hocha la tête.

- On dirait bien, messieurs, que quel que soit le côté o˘ se dirige le pendule, nos gains futurs sont assurés.

20 mars 2000, Washington, D.C.

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Pitt avait eu de la chance, ce que toutes les infirmières de l'étage à

l'hôpital d'Hobart, en Tasmanie, ne cessaient de lui répéter. Après une crise de péritonite due à la perforation du côlon, on lui avait retiré la balle de la ceinture pelvienne qui avait, au passage, fait une belle entaille dans l'os. Depuis, il commençait à sentir qu'il reprenait sa place parmi les vivants. quand ses poumons furent cicatrisés et qu'il put enfin respirer librement, il dévora comme un b˚cheron affamé.

Giordino et Sandecker ne cessaient de tourner autour de lui jusqu'à ce que l'équipe médicale les ait rassurés sur les chances de guérison de Pitt, qu'ils constatèrent d'ailleurs bientôt lorsque celui-ci commença à demander

- à exiger même - des boissons un peu plus fortes que les jus de fruits et le lait qu'on lui servait. Exigences qui étaient, la plupart du temps, ignorées.

L'amiral et Giordino accompagnèrent ensuite les fils de Maeve à Melbourne o˘ se trouvait leur père, arrivé du ranch familial à l'intérieur du pays, pour assister aux funérailles de Maeve. C'était un homme grand, australien jusqu'au bout des ongles. Il avait un diplôme universitaire d'agriculture et d'élevage. Il promit à Sandecker et à Giordino d'élever ses fils dans un bon environnement. Bien qu'il se fi‚t au jugement de Strouser & Fils pour gérer la Dorsett Consolidated Mining, il nomma sagement quelques bons avocats pour veiller aux intérêts des jumeaux. Rassurés de savoir les enfants en bonnes mains et Pitt sur la voie de la guérison, l'amiral et Giordino reprirent l'avion pour Washington o˘ Sandecker reçut un accueil tumultueux et quantité d'invitations à des banquets o˘ l'on tenait à

remercier l'homme qui avait mené une bataille solitaire pour sauver Honolulu d'un épouvantable désastre.

Si le Président ou Wilbur Hutton avaient eu le projet de le remplacer à

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Onde de choc

la tête de la NUMA, ce fut rapidement oublié. On murmurait dans la capitale que l'amiral serait encore à la barre de sa chère Agence Nationale Marine et Sous-Marine bien après que l'administration en place aurait quitté la Maison-Blanche.

Le médecin entra dans la chambre et trouva Pitt debout près de la fenêtre, regardant avec nostalgie le Derwent, la rivière qui traverse le cour de Hobart.

- Vous êtes supposé être au lit, dit le médecin avec un accent australien prononcé.

Pitt le regarda froidement.

- J'ai été couché cinq jours sur un matelas o˘ un paresseux à trois doigts ne voudrait pas s'étendre. J'en ai eu mon compte. Maintenant, je ne veux plus que sortir d'ici.

Le médecin eut un sourire sournois.

- Vous n'avez aucun vêtement, vous savez? Les haillons que vous aviez sur le dos en arrivant sont depuis ce jour-là à la poubelle.

- Alors je sortirai en peignoir de bain et dans la ridicule chemise de nuit de cet hôpital. A ce propos, le crétin qui a inventé cette chose mérite qu'on la lui enfonce dans les fesses jusqu'à ce que les cordons lui res-sortent par les oreilles.

- Je vois bien qu'en bavardant avec vous, je perds un temps précieux que je pourrais passer avec mes autres malades, dit le médecin en haussant les épaules. C'est un vrai miracle que votre corps fonctionne encore. J'ai rarement vu autant de cicatrices sur un seul homme. Fichez le camp si ça vous chante. Je vais demander aux infirmières de vous trouver des vêtements décents afin qu'on ne vous arrête pas pour vous être déguisé en touriste américain.

Pas de jet de la NUMA pour ce voyage. Pitt prit un vol commercial de United Airlines. Tandis qu'il montait péniblement la passerelle, encore raide et la hanche douloureuse, les employés du vol, des femmes pour la plupart, le regardaient avec une curiosité non déguisée chercher la place numérotée qu'on lui avait attribuée.

Une hôtesse, les cheveux ch‚tains coiffés nettement, les yeux presque aussi verts que ceux de Pitt, doux et inquiets, s'approcha de lui. - Puis-je vous aider à trouver votre place, monsieur? Pitt avait passé une longue minute à

étudier son visage dans une glace avant de prendre un taxi pour l'aéroport.

S'il avait auditionné pour un rôle de mort-vivant, on le lui aurait donné

haut la main : une cicatrice rouge vif à travers le front, des yeux injectés de sang et un visage p‚le et émacié. Il bougeait comme un arthritique de quatre-vingt-dix ans. Il avait des marbrures sur la peau à

cause des br˚lures, pratiquement plus de sourcils et ses cheveux autrefois épais, noirs et souples, semblaient être passés par les mains d'un tondeur de moutons.

La poussière retombe

- Oui, merci, dit-il plus embarrassé que ravi

- Etes-vous monsieur Pitt ? demanda-t-elle en montrant le près d'un hublot.

- En ce moment, je préférerais être quelqu'un d'autre mais. ouL suis M.

Pitt.

^^ ^

- Vous êtes un homme chanceux, dit-elle en souriant

- C'est ce que m'ont répété une bonne douzaine d'infirmières.

- Non, je veux dire que vous avez des amis qui s'inquiètent pour vous. On a prévenu l'équipage que vous preniez ce vol et on lui a demandé de vous le rendre aussi confortable que possible.

" Comment diable Sandecker a-t-il su que je m'étais échappé de l'hôpital, que je m'étais rendu directement à l'aéroport et que j'ai acheté un billet pour Washington ? " se demanda-t-il.

En fait, les hôtesses eurent très peu à s'occuper de lui. Il dormit pendant presque tout le voyage, ne s'éveillant que pour manger. Il regarda le film o˘ Clint Eastwood jouait un rôle de grand-père. Il but du Champagne. Il ne se rendit compte que l'avion approchait Dulles International que lorsque le pilote abaissa le train d'atterrissage, dont le bruit le réveilla.

Il sortit de la navette, un peu surpris et déçu que personne ne soit venu l'attendre. Si Sandecker avait alerté l'équipage de l'appareil, il devait bien savoir à quelle heure il devait atterrir. Il n'y avait même pas Al Giordino sur le trottoir pour l'attendre quand il sortit en boitant du terminal pour prendre un taxi.

" Loin des yeux, loin du cour ", se dit-il, profondément déprimé.

Il était huit heures du soir quand il descendit du taxi. Il composa le numéro de code du système de sécurité de son hangar et entra chez lui. Il alluma les lumières qui se reflétèrent dans tous les chromes bien astiqués de ses voitures de collection.

Devant lui se dressait un objet si haut qu'il touchait presque le plafond et qui n'y était pas lorsqu'il était parti. Pendant quelques instants, Pitt admira le totem, fasciné. Un aigle magnifiquement sculpté, les ailes déployées, en décorait le sommet. Puis, dans l'ordre en baissant les yeux, il découvrit un ours grizzly avec son ourson, un corbeau, une grenouille, un loup, divers animaux marins et une tête humaine tout en bas, qui lui ressemblait vaguement. Une note était épinglée dans l'oreille du loup.

" Veuillez accepter cette colonne commémorative faite en votre honneur par le peuple des Haidas, en signe de gratitude pour ce que vous avez fait pour faire disparaître ce qui défigurait notre île sacrée. La mine Dorsett a été

fermée et bientôt, les animaux et les plantes y 454

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seront à nouveau chez eux. Vous êtes maintenant membre d'honneur des Haidas. Votre ami,

Mason Broadmoor. "

Pitt en fut profondément touché. C'était un rare privilège que de recevoir une ouvre d'art d'une telle signification. Il se sentit reconnaissant au-delà de toute mesure envers Broadmoor et son peuple pour ce généreux cadeau. Il fit le tour du totem et sentit soudain son cour s'arrêter de battre. L'incrédulité brouilla son regard vert. Puis l'étonnement fit place au vide et à la tristesse. Juste derrière, dans l'aile réservée à ses voitures de collection, il vit le Merveilleuse Maeve.

Abîmé, usé jusqu'à la corde, mais là dans toute sa gloire ravagée par la mer. Pitt n'arrivait pas à comprendre comment le fidèle bateau avait survécu à l'éruption volcanique et parcouru des milliers de kilomètres jusqu'à Washington. quelqu'un avait d˚ faire un miracle. Il s'approcha et tendit la main pour toucher la proue et s'assurer qu'il ne rêvait pas. Au moment o˘ ses doigts rencontraient la surface rude de la coque, des gens sortirent de derrière le car Pullman rangé le long d'un des murs du hangar, des sièges arrière des automobiles et de son appartement à l'étage, o˘ ils s'étaient cachés. Soudain une foule de visages familiers l'entoura en criant " surprise " et " bienvenue chez toi ".

Giordino l'embrassa doucement sur les deux joues, conscient de ses blessures. L'amiral Sandecker, pourtant peu porté aux démonstrations d'émotion, lui serra chaleureusement la main en détournant la tête pour cacher ses larmes.

Rudi Gunn était là, et aussi Hiram Yaeger et plus de quarante de ses vieux amis et collègues de la NUMA. Ses parents étaient venus l'accueillir. Son père, le sénateur de Californie George Pitt, et sa mère Barbara furent choqués par son apparence et sa maigreur mais se comportèrent bravement, comme s'il leur paraissait en bonne santé. Saint Julien Perlmutter s'était déplacé et avait pris en main la nourriture et les boissons. Le député

Loren Smith, son amie intime depuis dix ans, l'embrassa tendrement, attristée de voir l'expression de peine et de dégo˚t du monde au fond de ses yeux généralement si pétulants

de vie. Pitt ne pouvait détacher ses yeux du petit bateau qui s'était montré

si fidèle. Il se tourna vers Giordino.

- Comment as-tu fait?

Celui-ci cachait mal un petit sourire triomphant.

- Après t'avoir emmené, avec l'amiral, à l'hôpital en Tasmanie, je suis retourné sur l'île avec un nouveau chargement de matériel de sauvetage. En survolant les falaises orientales, j'ai vu que le Merveilleuse Maeve avait survécu au tremblement de terre. Alors j'ai demandé leur La poussière retombe

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aide à deux ingénieurs australiens qui ont accepté de se faire hélitreuiller dans le ravin. Ils ont attaché le bateau aux c‚bles de l'hélicoptère.

Ensuite, je l'ai remonté en haut de la falaise o˘ nous avons démonté la coque et les balanciers. Il a fallu se donner du mal. On a attaché sous le fuselage les parties qui ne rentraient pas dans l'appareil. Après ça, je suis retourné en Tasmanie, o˘ j'ai persuadé le pilote d'un avion cargo qui rentrait aux Etats-Unis de transporter la bête jusqu'à la maison. Là, une équipe de la NUMA m'a aidé à le remonter, juste à temps pour ton arrivée.

- Tu es un véritable ami, Al, dit sincèrement Pitt. Je ne pourrai jamais te revaloir tout cela.

- C'est moi qui te dois tant, répondit Giordino avec dévouement.

- Je regrette vraiment de n'avoir pas pu assister à l'enterrement de Maeve à Melbourne.

- L'amiral et moi y sommes allés, avec ses fils et leur père. Comme tu l'avais demandé, on a joué Moon River quand on l'a mise en terre.

- qui a prononcé l'éloge funèbre?

- L'amiral a lu ce que tu avais écrit, dit Giordino d'une voix triste. Tout le monde pleurait.

- Et Rodney York?

- Nous avons fait porter son Journal et ses lettres en Angleterre. La veuve de York vit encore à Falmouth Bay. C'est une adorable vieille dame de presque quatre-vingts ans. Je lui ai parlé au téléphone après qu'elle a reçu le Journal. Je ne peux pas te dire à quel point elle était heureuse de savoir enfin comment était mort son mari. Sa famille et elle sont en train d'étudier le moyen de rapatrier sa dépouille.

- Je suis content qu'elle ait pu connaître l'histoire, dit Pitt.

- Elle m'a demandé de te remercier de ta prévenance. L'approche de Perlmutter empêcha Pitt d'avoir les larmes aux yeux. Le gros homme lui mit un verre de vin dans la main.

- Je crois que ceci va te plaire, mon garçon. C'est un excellent chardonnay de Plum Creek, dans le Colorado.

L'effet de surprise passé, la réception battit son plein jusqu'à plus de minuit. Les amis allaient et venaient quand Pitt, épuisé, eut visiblement du mal à rester éveillé. Finalement, la mère du héros insista pour qu'il aille se reposer. Tous lui souhaitèrent une bonne nuit et une gué-rison rapide.

- Et ne venez pas travailler avant de vous sentir complètement en forme, recommanda Sandecker avant de partir. La NUMA essaiera de survivre sans vous.

- Il y a un projet que j'aimerais mener à bien, le mois prochain, dit Pitt avec, dans l'oil, le reflet de son ancien regard de boucanier.

- Lequel? Pitt sourit.

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- J'aimerais être sur l'île du Gladiateur quand l'eau du lagon reprendra sa transparence.

- qu'espérez-vous y trouver?

- Il s'appelle Basil...

Sandecker le regarda sans comprendre.

- qui diable est Basil?

- Un serpent de mer. Je suppose qu'il retournera dans ses eaux natales quand le lagon sera débarrassé des cendres et des saletés.

Sandecker mit une main sur l'épaule de Pitt et le regarda comme on regarde un enfant qui affirme avoir vu le diable.

- Reposez-vous bien et nous en reparlerons.

L'amiral sortit en hochant la tête et en marmonnant quelque chose à propos des mythes et des monstres marins. Loren Smith s'approcha alors de Pitt et lui prit la main.

- Tu veux que je reste? demanda-t-elle d'une voix douce. Pitt lui posa un baiser sur le front.

- Merci, je crois que j'aimerais être seul un moment.

Sandecker proposa à Loren de la ramener en ville, ce qu'elle accepta avec plaisir car elle était venue en taxi. Ils restèrent silencieux jusqu'à ce que la voiture ait passé le pont donnant sur la ville.

- Je n'ai jamais vu Dirk aussi abattu, dit Loren d'une voix triste et pensive. Jamais je n'aurais cru pouvoir dire cela mais il me semble que la flamme de son regard a disparu.

- Il se remettra, assura Sandecker. Deux semaines de repos et il rongera à

nouveau son frein.

- Ne croyez-vous pas qu'il soit maintenant un peu trop ‚gé pour jouer les aventuriers intrépides?

- Je ne l'imagine pas assis derrière un bureau. Il ne cessera jamais d'écumer les mers et de faire ce qu'il aime.

- qu'est-ce qui le pousse? se demanda-t-elle à voix haute.

- Il y a des hommes qui naissent remuants, dit Sandecker avec philosophie.

Pour Dirk, chaque heure cache un mystère à résoudre, chaque jour un défi à

relever.

Loren regarda l'amiral.

- Vous l'enviez, n'est-ce pas? Sandecker hocha la tête.

- Bien s˚r, et vous aussi.

- Pourquoi, à votre avis?

- La réponse est simple. Nous avons tous un peu de Dirk Pitt en nous.

quand tout le monde fut parti, Pitt resta seul dans le hangar, au milieu de sa collection de belles mécaniques dont chacune représentait, d'une façon ou d'une autre, un souvenir de son passé. Il s'approcha en boitant du bateau que Maeve, Giordino et lui avaient construit sur les rochers des îles Misère. Il grimpa sur le rouf et resta assis là, un long moment, silencieux, perdu dans ses pensées.

Il était encore assis dans le Merveilleuse Maeve quand les premiers rayons du soleil effleurèrent le toit rouillé du vieux hangar d'aviation dont il avait fait son foyer.

DANS LA COLLECTION " GRAND FORMAT "

SANDRA BROWN Le Cour de Vautre CLIVE CUSSLER L'Or des Incas L1NDA DAVIES

L'Initiée

DAVID MORRELL In extremis Démenti formel MICHAELPALMER De mort naturelle Traitement spécial

ALAN DERSHOWITZ Le démon de l'avocat

JOHN RAMSEY MILLER La dernière

famille

JANET EVANOVICH La Prime Deux fois n'est pas coutume LISA SCOTTOL1NE

Rien à perdre

GINI HARTZMARK Le Prédateur La suspecte La sale affaire SIDNEY SHELDON Rien n 'est éternel Matin, midi et soir

STEVE MARTINI Principal témoin

Cet ouvrage a été réalisé par la SOCI…T… NOUVELLE FIRMIN-DIDOT

Mesnil-sur-l'Estrée

pour le compte des …ditions Grasset

en juin 1997

Imprimé en France

Première édition dépôt légal : mai 1997

Nouveau tirage dépôt légal : mai 1997

N∞ d'édition : 10395 - N∞ d'impression : 38875

ISBN : 2-246-52931-X

ISSN: 1263-9559