CHAPITRE VI
ESCALE À ALDERAAN
Yan écouta d’une oreille distraite ce que disait le type sur l’écran.
— Comme de nombreux visiteurs le savent, Alderaan est un monde pacifique sur lequel nous avons banni les armes et leur utilisation. Pendant votre séjour, nous vous demandons de respecter nos traditions et nos lois en laissant vos armes aux autorités du port. Alderaan a beaucoup à offrir à ses visiteurs. Ici, la criminalité est presque inexistante…
Ben voyons, pensa Yan. Je prends le pari…
— … ainsi que la pollution. Nos lacs sont propres, notre air est pur et notre peuple est heureux. N’hésitez pas à visiter nos musées : ils abritent des collections de toute beauté. Et si vous jetez un coup d’œil par les hublots pendant l’approche, vous découvrirez nos peintures sur herbe, créées par certains des plus grands artistes de la galaxie. Chers visiteurs, nous vous souhaitons la bienvenue. Notre seule exigence est que vous soyez pacifiques…
Yan grommela un juron et coupa le son.
Une planète habitée par des citoyens honnêtes ? J’y croirai quand je le verrai de mes yeux…
Quelques minutes plus tard, le visage de Bail Organa fut remplacé par celui du contrôleur de vol des autorités du port. Yan rétablit le son.
— Capitaine Draygo, pilote du Rêve Ylesien. Je demande l’autorisation de me poser. J’ai été attaqué par des pirates, mon vaisseau a des dégâts et mon copilote est blessé. Pouvez-vous prévoir une aide médicale ?
— Certainement, capitaine Draygo. Je vous ai assigné un vecteur d’approche prioritaire. Baie 422, suivez le signal. Un transporteur et un droïd médical vous attendront sur place.
— Merci.
Le vecteur de Yan lui permit de survoler les peintures sur herbe. Si distrait qu’il fût, le jeune Corellien ne put s’empêcher d’être impressionné par le gigantisme de l’œuvre.
Pas mal, pensa-t-il. Je me demande comment ils font, et pourquoi ? Ce n’est pas comme s’ils pouvaient les vendre ensuite…
Aldera, la capitale d’Alderaan, était située sur une île. Le lac qui l’entourait, un ancien cratère de météore alimenté par des sources souterraines, étincelait de reflets glacés sous les rayons du soleil matinal.
Le spatioport était de l’autre côté de l’île. Yan survola la cité à basse altitude. Quelques minutes plus tard, le vaisseau se posa avec grâce. Le jeune pilote avait affronté tant de tempêtes que faire atterrir le Rêve Ylesien dans une atmosphère paisible était un jeu d’enfant.
L’unité médicale l’attendait, comme prévu. Yan dégrafa le holster de Muuurgh avant de faire monter à bord le droïd et sa civière antigrav.
— Alors ? Il va s’en tirer ? demanda-t-il au droïd.
— Le scan préliminaire n’indique aucun traumatisme. D’autres tests sont cependant nécessaires. Votre copilote va devoir rester une nuit dans notre établissement.
— D’accord…
Il faut que je trouve un moyen de payer son traitement, pensa Yan en regardant le Togorien disparaître à l’intérieur du transporteur.
Il fit signe à une technicienne, sur le tarmac.
— J’ai eu quelques avaries, dit-il. Pouvez-vous m’envoyer une équipe de réparation ?
— Laissez-moi jeter un coup d’œil, répondit la femme.
Yan la conduisit dans la tourelle, puis dans la salle des moteurs pour lui montrer le générateur d’hyperdrive.
— Comptez six bonnes heures de réparation. Mais nous pouvons commencer aujourd’hui.
— Parfait.
Plus jeune, Yan avait réparé un speeder, mais un vaisseau de cette taille était une autre paire de manches. Il voulait être sûr que le boulot serait bien fait.
Les techniciens montèrent à bord. Yan les regarda faire le tour du vaisseau. Leur intervention non plus n’était pas gratuite. Que faire ? Appeler Ylesia, décida Yan. Les prêtres n’auraient qu’à payer les réparations et le traitement de Muuurgh.
Il se dirigeait vers le poste de commande quand une idée lui traversa l’esprit.
Une minute… Le glitterstim est l’épice la plus chère de la galaxie. J’en ai une quantité énorme en mains et je vais m’amuser à la rapporter à Ylesia ? Pour que les prêtres la revendent ?
Yan écouta les enregistrements de bord et sourit.
Du gâteau ! Je n’ai qu’à dire aux prêtres que les pirates m’ont abordé et qu’ils ont volé le glitterstim. Muuurgh était dans le coma, il ignore ce qui s’est passé.
Je peux vendre mon stock d’épices ici et planquer l’argent sur un compte pour venir le chercher plus tard. Ils n’en sauront jamais rien…
Si Yan voulait garder son boulot de pilote, il lui fallait agir vite. Il avait appelé quand il était sur les coordonnées de rendez-vous et les prêtres n’étaient pas idiots. Ils vérifieraient combien de temps il fallait à un vaisseau pour franchir la distance entre le lieu de l’attaque et Alderaan. Bien sûr, il fallait compter avec les dégâts subis par le Rêve.
Bien, décida Yan. J’ai un petit moment devant moi… Dans cinq heures, je les appellerai pour leur annoncer que je suis vivant, que leur vaisseau est endommagé et qu’ils doivent prendre des mesures pour payer les réparations.
Trainer éveillerait leurs soupçons.
Sortant son blouson marron du placard, il essaya de donner un coup de neuf à sa combinaison. Puis il se recoiffa, ce qui lui fit penser à Dewlanna, qui aimait le voir ébouriffé.
Passant son blouson, il regarda le blaster de Muuurgh.
Planète stupide. Interdire les armes. Quelle idée saugrenue !
Haussant les épaules, Yan laissa le Rêve Ylesien aux mains des réparateurs.
Se dirigeant vers l’entrée du port, il prit une navette pour Aldera. La métropole luisait au soleil, propre et luxueuse. Yan garda le nez collé au hublot, admirant les bâtiments blancs aux terrasses vertes. Les architectes avaient suivi la courbe naturelle de l’île au lieu de l’aplanir. Le résultat était plaisant et varié : beau et moderne sans paraître artificiel.
Dans la navette, une voix artificielle signalait les lieux intéressants : musées, galeries, bâtiments gouvernementaux. Ils approchèrent du cœur de la cité, des tours effilées et des dômes plats du palais royal.
Yan sourit. La princesse qu’il avait aperçue s’y trouvait-elle, menant la vie de rêve d’une petite fille riche ?
Qui sait ? Avec un peu de chance, je serai bientôt riche…
Yan dut admettre qu’Alderaan était un lieu enchanteur. Les habitants, tous bien vêtus, se hâtaient ou se promenaient dans les rues et sur les piazzas, devant les fontaines, les façades des belles maisons et leurs élégants jardins.
Mouais. Ce ne sont pas ces quartiers-là qui m’intéressent… Je vais devoir faire un peu d’exploration. Les touristes ne doivent pas être les bienvenus là où je veux aller…
Une fois sorti de la navette, Yan se dirigea d’instinct vers une zone où les maisons étaient plus petites et moins bien entretenues. Il parvint enfin dans un quartier populaire, où s’alignaient les tavernes et les magasins de prêteurs sur gage.
Yan étudia les rues, cherchant quelqu’un qui lui « plairait »… Et il le trouva. Un garçon aux vêtements trop courts, pas très propre, qui jetait des coups d’œil aux passants. Ce gamin, il ne l’avait jamais vu, mais il le connaissait.
Un pickpocket. Lui, dix ans plus tôt.
Yan allongea le pas pour arriver à son niveau. Comme il s’y attendait, le môme avança, effleurant le Corellien.
Une main rapide comme l’éclair plongea dans les poches du blouson pour en ressortir bredouille : les crédits de Yan et ses papiers étaient dans la poche intérieure de sa combinaison.
Yan dépassa l’enfant puis se retourna.
— Eh, là, dit-il en brandissant l’identidisque et l’argent du môme. Tu as perdu quelque chose ?
La mâchoire du gamin se décrocha. Se reprenant, il fusilla Yan du regard.
— Tu devrais faire un peu plus attention… déclara le Corellien avec un sourire canaille.
Furieux, l’enfant se lança dans une description imagée et guère laudative des ancêtres de Yan, de leur provenance et de leurs habitudes.
Le Corellien écouta patiemment. Quand les insultes se répétèrent, il fit signe au garçon d’arrêter.
— Je veux bien te les rendre, dit-il. En échange de quelques informations.
Le gamin le regarda.
— Quelle sorte d’informations, espèce de pervers ?
Yan lança un crédit en l’air et l’attrapa sans effort.
— Surveille ton langage, junior ! Je veux simplement savoir où se traitent les affaires dans cette ville.
— Quelles affaires ?
— Tu sais lesquelles. Des affaires que la loi n’a pas besoin de connaître, à propos de marchandises qu’on ne peut acheter légalement.
— De l’épice ? demanda le gamin, sourcils froncés. Quelle sorte ?
— Du glitterstim.
— Du glitter quoi ?
C’est bien ma chance, pensa Yan. Je suis tombé sur le seul pickpocket débile d’Aldera.
— Du glitterstim, dit Yan. C’est… très cher. Plus encore que du carsunum ou de l’andris.
Le gamin secoua de nouveau la tête.
— Jamais entendu parler.
Je n’y crois pas !
— Et de l’andris ? Vous avez de l’andris, ici ? Pour assaisonner les plats, les conserver ?
— Ouais, de l’andris. On a. C’est cher.
— Bien, répondit Yan. Quand tu achètes de l’andris, tu l’achètes à qui ?
— J’en achète pas. Maintenant rends-moi mes papiers et mon fric.
— Un peu de patience, petit. D’accord, tu n’as pas d’argent. Mais supposons ? Si toi ou tes amis voulaient de l’andris, où l’achèteriez-vous ? Dans un magasin ? Dans une administration ?
L’expression du gamin fut éloquente.
— Non, mec, dit-il en secouant la tête. On irait voir Darak Lyll.
Enfin ! Un nom !
— Merci, c’est ce que je voulais. Darak Lyll. À quoi ressemble-t-il ?
— Il est plus grand que toi. Cheveux longs, barbe. Plus gras.
— Jeune ou vieux ?
— Vieux. Cheveux gris.
— Où il crèche ?
— J’ai l’air d’être son concierge ?
Yan prit une grande inspiration.
— Donne-moi les noms des endroits où je pourrai le trouver. Et ne me mens pas, où je porterai plainte pour vol.
Le gamin nomma six tavernes, toutes à moins de cinq minutes de marche. Yan lui rendit ses biens.
— La prochaine fois, garde-les à l’intérieur de tes vêtements, junior, dit-il en désignant sa poche intérieure.
Le gamin fit une grimace et s’éloigna en jurant.
Les tavernes d’Alderaan sont trop propres et trop bien éclairées à mon goût, conclut Yan, une heure plus tard.
Il avait déjà visité trois tavernes : aucun signe de Darak Lyll.
Il le trouva dans le cinquième établissement. Yan le reconnut grâce à la description du pickpocket.
Lyll faisait une partie de sabacc ; quand il vit Yan regarder le jeu, il l’invita.
— Une partie ?
Yan avait déjà joué au sabacc, mais il n’était pas là pour ça. Il dévisagea Darak Lyll.
— Tout dépend de ce que vous acceptez comme mise, Lyll.
Le dealer ne changea pas d’expression. Il leva les yeux.
— Tu as quelque chose de bon, pilote ?
— Peut-être.
— La mise est de vingt crédits.
— J’ai changé d’avis, dit Yan en secouant la tête. Je sors prendre l’air.
Il sortit, s’adossa au mur de la ruelle et attendit cinq minutes. Enfin, il entendit quelqu’un approcher.
— Vous avez pris votre temps, dit-il sans même regarder.
— Une bonne main… Alors que proposes-tu ?
Yan se retourna vers le dealer.
— Glitterstim. Une centaine d’unités.
— Hou ! Comment t’es-tu procuré ça ?
— Ce ne sont pas tes affaires. Intéressé ? Je te fais un bon prix.
— J’aimerais bien, mon pote, j’aimerais bien, dit Lyll. Mais je serais stupide d’acheter… Il n’y a pas de marché sur Alderaan.
Yan réprima un juron et s’éloigna.
Que vais-je faire ? Le temps lui était compté. Peut-être pourrait-il sauter dans une navette intercontinentale pour rejoindre une autre cité. Aldera était peut-être la seule ville aussi propre…
Yan soupira.
Non, je n’ai pas le temps. Soit je vends la came en une heure, soit…
Une main se posa sur son épaule. Yan mobilisa tout son self-contrôle pour ne pas sursauter. Se retournant, il fixa l’homme qui était derrière lui.
Entre deux âges, le visage sérieux…
Yan fronça les sourcils.
— Vous devez me prendre pour quelqu’un d’autre…
— Je ne crois pas, Vykk, déclara l’inconnu. Pilote Vykk Draygo, de Ylesia, c’est bien ça ?
— Et alors ? demanda Yan. Je ne vous connais pas.
L’homme sortit un holobadge.
— Marsden Latham. Forces de sécurité intérieure d’Alderaan.
Oh non…
— Nous avons l’œil sur vous depuis votre arrivée, pilote Draygo. Nous sommes heureux d’avoir pu vous aider à réparer votre vaisseau et à soigner votre partenaire. Avez-vous écouté le message automatique diffusé dès qu’on arrive à portée de fréquence d’Alderaan ?
— Oui…
— Bien. Prenez ses recommandations au sérieux. Nous n’aimons pas les ennuis. Vous n’êtes pas ici pour nous en causer, pilote ?
Yan resta impassible.
Ils savent que j’essaye de placer ma came… Ils doivent me suivre depuis ce matin…
— Bien sûr que non, monsieur, dit-il à voix haute. Je suis du genre pacifique.
— C’est ce que j’ai dit à mon supérieur et je suis heureux d’en avoir la confirmation. Ravi de vous avoir parlé, pilote Draygo. Profitez bien de votre séjour.
L’homme s’éloigna à grands pas.
Le Corellien repartit lentement, se retenant de regarder derrière lui. La partie était terminée et il s’était fait avoir. Yan secoua la tête, à moitié dégoûté, à moitié admiratif.
Les agents étaient des pros. Il n’avait rien remarqué.
Le discours de l’homme était un avertissement voilé : Yan ne devait pas essayer de vendre sa cargaison. Il devrait la rapporter sur Ylesia.
Yan secoua la tête. Aucune autre planète n’était assez proche pour qu’il puisse conclure rapidement la transaction.
Un coup d’œil à l’heure : il avait juste le temps d’aller rendre visite à Muuurgh avant d’appeler Ylesia. Accélérant le pas, il se dirigea vers la station de transport.
Le service médical où se trouvait le Togorien était attaché au campus de l’université d’Alderaan. Yan étudia avec étonnement les alentours.
Pas mal… Vraiment pas mal.
L’Académie Impériale ressemblerait-elle à ce bâtiment ? Sans doute pas. Un établissement militaire était rarement aussi beau.
Yan passa à côté d’une fontaine couronnée par une statue de glace vivante représentant un couple d’Alderanniens dont les mains jointes étaient tendues vers le ciel. Yan essaya d’en estimer le prix, puis abandonna.
L’infodroïd posté à l’entrée lui donna le numéro de la chambre du Togorien. Yan se précipita pour demander des nouvelles au droïd médical.
— Votre ami a reçu un coup très violent à la boîte crânienne. Un humanoïde aurait sans doute été tué sur le coup. Par chance, les Togoriens ont une structure osseuse très dense. Nous l’avons placé en soins intensifs à son arrivée. Il devrait nous quitter demain matin.
— Merci, dit Yan en ouvrant la porte de la chambre.
Allongé sur le côté, sur une grande palette ronde, Muuurgh était couvert de petits capteurs. À l’entrée de Yan, ses yeux bleus s’ouvrirent et il se redressa.
— Pilote !
Yan fut surpris de sentir une vague de soulagement le submerger en voyant le Togorien conscient.
— Comment ça va, mon pote ? Ils te soignent bien ?
— Pilote…
— Tu parais surpris de me voir, dit Yan.
C’était un euphémisme. Le Togorien était sidéré.
— Muuurgh est… Je veux dire, je le suis. Je ne croyais pas te revoir.
Yan se redressa.
— Pourquoi ? Tu pensais que je t’abandonnerais là et que je vendrais la cargaison ?
— Oui, répondit simplement Muuurgh.
— Eh bien, non. Si je n’avais pas réussi à nous trainer dans l’espace alderaanien par la peau des fesses, tu serais mort. Souviens-t’en, mon pote. Tu m’es redevable.
Encore sous le choc, Muuurgh hocha la tête.
— Oui, pilote… je te suis redevable…
Yan sourit et s’assit au bord de la palette.
— Et laisse tomber le « pilote ». Appelle-moi Vykk, d’accord ?
Muuurgh posa une patte sur le bras de Yan, ses énormes doigts griffus écrasant le poignet de l’humain.
— D’accord, Vykk…
Laissant Muuurgh aux bons soins des droïds médicaux, Yan retourna à son vaisseau appeler Ylesia. Teroenza n’était pas disponible, mais on lui passa Veratil. Quand le visage du Sacredot apparut sur l’écran, le Corellien entreprit de lui résumer leurs aventures. Il termina en promettant de faire route dès le lendemain pour Ylesia.
Veratil jura de payer les réparations et les soins de Muuurgh.
La conversation terminée, Yan réalisa que ça faisait une éternité qu’il n’avait pas mangé. Il se dirigea vers une taverne du campus de l’université. Une fontaine multicolore projetait des gouttes de cristal devant la porte.
Yan entra.
Les clients de la taverne, tous jeunes et bien habillés, parlaient, riaient, buvaient et mangeaient. Yan hésita un instant, mais son audace naturelle prit le dessus.
Je vaux autant qu’eux, pensa-t-il en suivant le droïd serveur vers une petite table. Sa combinaison tachée et son vieux blouson contrastaient avec les tenues élégantes des étudiants.
Une fois assis, il commanda une bière d’Alderaan et des cubes de brufle à la sauce au vin. Le plat coûtait une fortune, car la viande de brufle était réputée. Elle était accompagnée d’une corbeille de pain qui rappela à Yan Pèlerin 921.
J’aimerais qu’elle soit là, pensa-t-il. Je pourrais parler à quelqu’un…
Trempant un morceau de pain dans la sauce, il goûta et sourit.
Délicieux ! Ça fait une éternité que je n’ai pas mangé quelque chose d’aussi bon.
Il avait presque terminé quand une jolie fille aux cheveux châtains et aux yeux bleus s’installa au milieu de la salle avec une mandoviole. Assise sur un tabouret, elle entonna une ballade d’Alderaan.
Une histoire banale, celle d’une fille abandonnée par son amant appelé par les étoiles. Elle l’avait attendue ; il n’était jamais revenu…
Mais la voix de la chanteuse était si pure qu’une véritable émotion se dégageait de la mélodie malgré les paroles mielleuses.
Comme les autres clients, Yan applaudit avec enthousiasme. Après une deuxième chanson, la fille descendit de son siège et se dirigea droit vers lui. Un instant, le Corellien pensa (il espéra, même !) qu’elle allait s’asseoir à côté de lui, mais il n’eut pas cette chance. La chanteuse se glissa à la table d’à côté, à moins d’un mètre du Corellien, en face d’un jeune homme au visage rond.
Son petit copain, pensa Yan.
L’étudiant avait les cheveux châtains et les yeux bleu clair. Contrairement à son amie, qui portait une simple robe longue, il était vêtu à la dernière mode. Sa tunique violette et sa ceinture orange juraient avec ses bottes rouges. Son fuseau jaune lui collait aux jambes comme une seconde peau.
Dans sa combinaison grise, Yan se sentit comme un moineau à côté d’un oiseau de paradis.
La chanteuse secoua la tête et sourit. Yan réussit à capter son regard. Il mima un applaudissement.
Le sourire de la jeune femme s’élargit ; elle s’inclina.
— Vous étiez merveilleuse, dit Yan.
— Merci, répondit-elle. C’est la première fois que je chante en public !
La jeune fille rougit, reprenant son souffle. Elle était charmante. Yan lui sourit à son tour, pensant qu’il ne serait pas désagréable de passer la soirée, voire la nuit, avec elle…
— Nous avons eu beaucoup de chance, alors. Nous voilà témoins de la naissance d’une grande carrière.
— Merci ! dit-elle en tendant la main pour se présenter. Je m’appelle Aryn Dro, et voici Bornan Thul.
Yan prit la main de la jeune femme. Mais au lieu de la serrer, il s’inclina selon la tradition corellienne et fit le geste de lui baiser la paume.
— Aryn, je suis honoré de faire votre connaissance, dit-il. Mon nom est Vykk Draygo.
Il se retourna pour saluer son cavalier : le jeune homme, furieux, ne faisait aucun effort pour le cacher.
— Salutations, dit Yan, ignorant les formules de politesse en vigueur sur la planète.
— Salutations, cracha Thul. Aryn, tu as été magnifique. Veux-tu fêter ton triomphe ailleurs ?
Il ne supporte pas la concurrence…, pensa Yan.
Il avait vu les yeux bleus d’Aryn luire quand il s’était présenté.
— Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, dit le Corellien, un sourire charmeur aux lèvres. J’ai beaucoup apprécié votre chanson, mais je ne veux pas vous faire perdre votre temps…
Thul réprima un sourire satisfait. Secouant la tête, Aryn posa la main sur le bras de Yan.
— Vous ne nous dérangez pas… Vykk, dit-elle en regardant sa combinaison. Vous n’étudiez pas ici, n’est-ce pas ?
— Non, je suis de passage. Je me suis posé ce matin pour quelques réparations. Des pirates m’ont abîmé la coque…
Les grands yeux bleus s’élargirent encore.
— Poser ? Des pirates ? Êtes-vous un pilote des étoiles ?
Yan haussa les épaules.
— Ouais.
— Oh, souffla Aryn. C’est si… excitant. De vrais pirates ? Que s’est-il passé ?
— Ils me sont tombés dessus quand je sortais de l’hyperespace… Deux vaisseaux. J’en ai abattu un, mais ils ont réussi à endommager mon générateur d’hyperdrive. C’est pour le réparer que je me suis posé sur Alderaan.
— Vous en avez abattu un ? demanda Boman, sceptique. Avec quoi ?
— Avec un missile Arakyd, mon pote, dit Yan d’un ton égal. Il ne reste plus grand-chose de lui.
Aryn frissonna d’excitation.
— Ça a l’air très dangereux.
Yan but une gorgée de bière.
— Une bonne journée de travail, répondit-il, délibérément laconique.
Boman en avait assez. Le visage empourpré, il saisit le bras d’Aryn.
— Chérie, allons-y ! Je t’emmène dans le meilleur restaurant de la ville. Pilote Draygo… Si vous voulez bien nous excuser…
La jeune fille hésita.
Je pourrais l’avoir, pensa Yan. Je le sais. Ça lui ferait mal au cœur de me voir sortir de là avec sa copine…
Un instant, Yan hésita à relever le défi… avant de renoncer. Aryn paraissait sympathique et elle ne méritait pas d’être traitée comme la mise d’un jeu sordide. Et puis, il la trouvait attirante parce que ses grands yeux bleus et son doux sourire lui rappelaient 921.
D’ailleurs les types de la sécurité doivent toujours me suivre. Boman doit être du genre à se rouler par terre pour régler ses problèmes. Les agents pourraient se fâcher…
Yan se leva et s’inclina devant Aryn.
— Ce fut un réel plaisir, dit-il. Bonnes festivités.
— Merci…
Elle lui fit un dernier sourire avant que Boman ne l’entraîne à l’extérieur.
Yan se rassit devant son plat froid. Il détestait les gens riches et coincés. À l’occasion des arnaques de Shrike, il en avait rencontré beaucoup sur Corellia. La plupart ne valaient pas le tir de blaster pour les abattre.
Il retourna au Rêve Ylesien, l’esprit un peu embrumé par les vapeurs de la bière. Sur le chemin, il jura en silence. L’image de 921 ne voulait pas s’effacer.
Yan n’avait jamais rencontré une femme à qui il pensait quand elle n’était pas là…
Qu’elle se soit fait une place dans son esprit le mit mal à l’aise.
Ce n’est qu’une gonzesse, Solo. Tu ne connais même pas son nom. Arrête de rêver. Tu deviens mou de la tête ou quoi ?
Il ne se passa rien durant le voyage de retour. Yan fit plonger sans une secousse le vaisseau à travers les nuages. Même Muuurgh, qui souffrait encore d’une migraine, n’eut pas à se plaindre. Pour le Corellien, analyser et éviter les trajectoires des amas orageux était devenu une seconde nature.
Quand le vaisseau se posa, on annonça à Yan que Teroenza l’attendait. Le jeune pilote envoya Muuurgh à l’infirmerie et se dirigea seul vers le centre administratif.
Ganar Tos l’escorta dans le sanctuaire du Haut Prêtre. Teroenza était assis sur une sorte de hamac. Quand il vit Yan, son expression (que le Corellien commençait à connaître) devint enthousiaste.
— Pilote Draygo ! tonna-t-il. Vous êtes un héros ! Votre bravoure et votre courage n’ont pas de prix, mais j’ai ordonné qu’un bonus vous soit versé.
Yan sourit.
— Merci, monsieur.
— Nous avons perdu deux vaisseaux dans les mêmes conditions – du moins nous le supposons – en un an et demi. Vous êtes le premier pilote revenu vivant pour nous en dire plus. Alors, qu’avez-vous vu ?
Yan haussa les épaules.
— Tout s’est passé très vite. Mais je pense que le vaisseau que j’ai détruit était d’origine drell. Leur conception est caractéristique.
— Ces bandits ont-ils communiqué avec vous ? Vous ont-ils donné une chance de vous rendre avant de vous attaquer ?
— Non, ils ont tiré les premiers et nous avons pris le relais. Ils ne voulaient pas détruire le vaisseau : ils l’auraient pu facilement. Curieusement, ils ne voulaient pas le récupérer non plus. Leur seul but était d’arrêter le Rêve Ylesien et de nous tuer.
— Comment ont-ils attaqué ?
— Par-derrière. Ils auraient pu nous abattre… Deux tirs directs nous ont touchés, et les boucliers du vaisseau ne sont pas très puissants. Je pense d’ailleurs que nous devrions les renforcer, monsieur.
— Je vais donner l’ordre que ce soit fait, pilote, dit Teroenza. (Il plissa son front massif.) Je trouve intéressant qu’ils vous aient attaqués sans engager un rayon tracteur ou essayer d’obtenir votre reddition…
— Oui, c’est étrange, dit Yan en pensant à toutes les années passées en compagnie d’équipages pirates sur le Bonne Fortune. On dirait qu’ils voulaient arrêter le vaisseau, puis nous tuer et procéder à l’abordage.
— Pas de communication, pas de demande de reddition ?
— Aucune, affirma Yan.
— Comme s’ils préféraient détruire le vaisseau et sa cargaison plutôt que de communiquer avec vous…
— Ouais, c’est ce que je dirais.
— Étiez-vous proches du point de rendez-vous ?
— Nous étions sortis de l’hyperespace depuis moins de cinq minutes. Ils nous attendaient, cela ne fait aucun doute.
— Avez-vous émis une communication se référant à votre trajectoire ou à vos coordonnées, pilote Draygo ?
— Non, monsieur. J’ai maintenu le silence sur toutes les fréquences.
Teroenza grommela, pensif, puis releva la tête.
— Une fois de plus, j’applaudis votre bravoure. Comment va Muuurgh ?
— Mieux. Mais il a pris un sérieux coup.
— Je veux le voir dès que possible. Très bien, pilote. Vous pouvez disposer.
Yan ne bougea pas.
— Monsieur… j’aimerais vous demander une faveur.
— Oui ?
— Mon blaster m’a été retiré quand je suis arrivé sur Ylesia. J’aimerais qu’on me le rende. Si je dois me faire aborder par des pirates, je veux être en mesure de répliquer.
Teroenza réfléchit puis acquiesça.
— Je vais ordonner que l’on vous rende votre arme, pilote. Vous avez prouvé votre loyauté et gagné notre confiance. Avez-vous pensé à vendre la cargaison en affirmant qu’elle avait été volée par les pirates ?
Yan secoua la tête.
— Non, monsieur, dit-il avec une sincérité évidente.
— Très bien. Je suis… impressionné. Très impressionné.
La pliure de la grosse bouche de Teroenza ressemblait à un sourire.
Yan sortit du bâtiment, heureux de constater qu’il mentait toujours avec autant de talent. Ses capacités d’improvisation le rendaient très fier.
Ses pas l’emmenèrent vers l’infirmerie.
Il voulait voir Muuurgh.
Et… rendre une petite visite à Jalus Nebl, le pilote sullustéen en arrêt maladie.
Yan avait quelques questions à lui poser.