Si, pour arriver à un résultat, il fallait se résoudre à la cession d'une place, il est bien entendu que cette cession ne devrait avoir lieu, qu'autant qu'elle garantirait un armistice qui se prolongerait jusqu'à la conclusion de la paix. On se dispense d'ajouter que la remise de cette place ne devrait s'effectuer qu'après la ratification de l'armistice par les gouvernemens respectifs.

L'un des points qui réclame tout le zèle de messieurs les commissaires, est la fixation de la ligne où devra s'arrêter l'occupation du territoire Français par les armées ennemies.

Il serait d'une grande importance d'obtenir la ligne de la Somme; ce qui replacerait les troupes étrangères à près de trente lieues de Paris. Messieurs les commissaires devront fortement insister, pour les tenir au moins à cette distance.

Si l'ennemi était plus exigeant encore, et qu'enfin on fût condamné à plus de condescendance, il faudrait que la ligne qui serait tracée entre la Somme et l'Oise, ne le laissât point approcher de Paris à plus de vingt lieues. On pourrait prendre la ligne qui sépare le département de la Somme du département de l'Oise, en détachant de celui-ci la partie septentrionale du département de l'Aisne, et de là une ligne droite à travers le département des Ardennes, qui irait joindre la Meuse auprès de Mézières.

Au reste, sur cette fixation de la ligne de l'armistice, on ne peut que s'en rapporter à l'habileté de messieurs les commissaires, pour tâcher d'obtenir l'arrangement le plus favorable.

Leur mission étant commune aux armées anglaises et prussiennes, il n'est pas besoin de les avertir qu'il est indispensable que l'armistice soit commun aux deux armées.

Il serait bien important aussi de pouvoir faire entrer dans l'armistice, comme l'une de ses clauses, qu'il s'étendrait à toutes les autres armées ennemies, en prenant pour base le statu quo de la situation des armées respectives, au moment où la nouvelle de l'armistice y arriverait. Si cette stipulation est rejetée, sous le prétexte que les commandans des armées anglaises et prussiennes n'ont pas le droit de prendre des arrangemens au nom des commandans des armées des autres puissances, on pourrait du moins convenir que ceux-ci seront invités à y accéder, d'après la base ci-dessus énoncée.

Comme les négociations mêmes de l'armistice, par la nature des conditions déjà mises en avant et qui doivent être le sujet de débats plus sérieux, entraîneront inévitablement quelques lenteurs, c'est une précaution rigoureusement nécessaire, d'obtenir que, pour traiter de l'armistice, tous les mouvemens soient arrêtés pendant quelques jours, ou au moins pendant quarante-huit heures.

Il est une disposition de prévoyance, que messieurs les commissaires ne doivent pas négliger; c'est de stipuler que les armées ennemies ne lèveraient point de contributions extraordinaires.

Quoique l'objet particulier de leur mission soit la conclusion d'un armistice, comme il est difficile que dans leurs communications avec le duc de Wellington et le prince Blucher, messieurs les commissaires n'aient point à entendre, de la part de ces généraux, ou des propositions, ou des insinuations, ou même de simples conjectures sur les vues que pourraient admettre les souverains alliés, à l'égard de la forme de gouvernement de la France, messieurs les commissaires ne manqueront pas sans doute de recueillir avec soin tout ce qui leur paraîtra pouvoir être de quelque influence sur le parti définitif à prendre par le gouvernement.

La copie qui leur est remise des instructions données à messieurs les plénipotentiaires chargés de se rendre auprès des souverains alliés, leur fera connaître quelles ont été, jusqu'à ce jour, les bases sur lesquelles le gouvernement a désiré établir les négociations. Il est possible que le cours des événemens le force à élargir ces bases; mais messieurs les commissaires jugeront que si une nécessité absolue oblige à donner les mains à des arrangemens d'une autre nature, de manière que nous ne puissions sauver, dans toute sa plénitude, le principe de notre indépendance, c'est un devoir sacré de tâcher d'échapper à la plus grande partie des inconvéniens attachés au malheur seul de sa modification.

On remet aussi à messieurs les commissaires copie de la lettre que messieurs les plénipotentiaires ont écrite de Laon, et datée d'hier 26. Les résolutions[75] qui ont été prises aujourd'hui par le gouvernement, leur fournissent des moyens de répondre à toutes les objections qu'on pourrait leur faire sur le danger et la possibilité du retour de l'Empereur Napoléon.

Pour que le langage de messieurs les commissaires soit parfaitement d'accord avec tout ce qui a été fait par la commission du gouvernement, on leur remet encore ci-jointe copie des lettres qui ont été écrites à lord Castlereagh et au duc de Wellington, relativement au prochain départ de Napoléon et de ses frères.

Sur les questions relatives à la forme du gouvernement de la France, provisoirement, messieurs les commissaires se borneront à entendre les ouvertures qui leur seront faites; et ils auront soin d'en rendre compte, afin que, d'après la nature de leurs rapports, le gouvernement puisse prendre la détermination que prescrirait le salut de la patrie.

On voit, d'après ce document, que la commission, pressentant déjà l'impossibilité de conserver le trône à Napoléon II, était disposée à entrer en pourparlers avec les alliés sur le choix d'un autre souverain. Liée par son mandat, elle n'aurait jamais consenti volontairement à transiger avec les Bourbons, mais elle n'aurait point eu de répugnance (je le conjecture du moins) à laisser placer la couronne sur la tête du roi de Saxe ou du duc d'Orléans.

Le parti de ce dernier prince, recruté par M. Fouché, s'était renforcé d'un grand nombre de députés et de généraux. «Les qualités du duc, les souvenirs de Jemmappes et de quelques autres victoires sous la république, auxquelles il n'avait pas été étranger; la possibilité de faire un traité qui concilierait tous les intérêts; ce nom de Bourbon qui aurait pu servir au-dehors, sans qu'on le prononçât au-dedans: tous ces motifs et d'autres encore, offraient, dans ce choix, une perspective de repos et de sécurité à ceux mêmes qui ne pouvaient y voir le présage du bonheur.»

Le roi de Saxe n'avait d'autre titre aux suffrages de la France, que la fidélité héroïque qu'il lui avait conservée en 1814. Mais l'empire, après lui, aurait pu retourner à Napoléon II; et comme avec de l'expérience, de la sagesse et des vertus, un prince peut régner indistinctement sur tous les peuples et les rendre heureux, on se serait résigné à passer sous les lois d'un monarque étranger, jusqu'au jour où sa mort aurait replacé le sceptre dans les mains de son légitime possesseur.

La déférence que la commission se préparait à montrer pour la volonté des puissances alliées, n'était point l'effet de sa propre faiblesse. Elle lui avait été commandée par les rapports alarmans que le maréchal Grouchy lui adressait chaque jour sur l'abattement et la défection de l'armée.

Les soldats, il est vrai, découragés par l'abdication de l'Empereur et les bruits du retour des Bourbons, paraissaient irrésolus: «Nos blessures, disaient-ils, ne seront plus que des titres de proscription». Les généraux eux-mêmes, rendus timides par l'incertitude de l'avenir, ne se prononçaient plus qu'avec circonspection; mais tous, généraux et soldats, portaient, au fond du coeur, les mêmes sentimens; et leur hésitation, leur tiédeur, étaient l'ouvrage de leur chef, qui, manquant en France comme sur les bords de la Dyle, de résolution et de force d'âme, ne prenait point la peine de cacher qu'il regardait la cause nationale comme perdue, et qu'il n'attendait qu'une occasion favorable pour apaiser les Bourbons et leurs alliés, par une prompte et entière soumission.

La commission cependant, éclairée par des lettres particulières, conçut des soupçons sur la véracité des rapports du maréchal. Elle donna la mission au général Corbineau, de lui rendre compte de l'état de l'armée. Instruite de la vérité, elle ne craignit plus d'être forcée de recevoir humblement la loi du vainqueur; et voulant empêcher le maréchal Grouchy, dont les intentions avaient cessé d'être un mystère, de compromettre l'indépendance nationale par une transaction irréfléchie, elle lui fit défendre de négocier aucun armistice, d'entamer aucune négociation, et lui ordonna de ramener son armée à Paris.

Le prince d'Eckmuhl, dont l'absence de fermeté s'était manifestée si pitoyablement dans la retraite de Moscow, ne put résister à ce nouveau choc; l'exemple du maréchal Grouchy l'entraîna; et persuadé, comme lui, qu'il fallait se hâter de se soumettre, il déclara au gouvernement qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour rappeler les Bourbons, et lui proposa d'envoyer offrir au Roi: 1.° d'entrer à Paris sans garde étrangère; 2.° de prendre la cocarde tricolore; 3.° de garantir les propriétés et les personnes quelles qu'aient été leurs fonctions, places, votes et opinions; 4.° de maintenir les deux chambres; 5.° d'assurer aux fonctionnaires la conservation de leurs places, et à l'armée la conservation de ses grades, pensions, honneurs, prérogatives; 6.° de maintenir la légion d'honneur, et son institution, comme premier ordre de l'état.

La commission, trop clairvoyante pour se laisser amorcer par cette proposition, s'empressa de la rejeter; et, fidèle au système de ne rien dissimuler aux deux chambres, elle en instruisit les membres principaux, en leur répétant que quel que soit l'événement, «elle ne leur proposerait jamais rien de pusillanime ni de contraire à ses devoirs, et qu'elle défendrait jusqu'à la dernière extrémité l'indépendance de la nation, l'inviolabilité des chambres et la liberté et la sûreté des citoyens.»

Les représentans répondirent à cette déclaration, en mettant Paris en état de siége, et en votant une adresse à l'armée[76].

Braves soldats (portait cette adresse), un grand revers a dû vous étonner, mais non vous abattre. La patrie a besoin de votre constance et de votre courage. Elle vous a confié le dépôt de la gloire nationale, et vous répondrez à son appel.

«Des plénipotentiaires ont été envoyés aux puissances alliées… le succès des négociations dépend de vous. Serrez-vous autour du drapeau tricolor, consacré par la gloire et le voeu national. Vous nous verrez, s'il le faut, dans vos rangs, et nous prouverons au monde que vingt-cinq années de sacrifices et de gloire ne seront jamais effacées, et qu'un peuple qui veut être libre, ne perd jamais sa liberté.

L'attitude de la chambre et du gouvernement ne rassura point le prince d'Eckmuhl. Il revint à la charge, et écrivit, dans la nuit du 29, au président de la commission, qu'il avait vaincu ses préjugés et ses idées, et qu'il reconnaissait qu'il n'existait plus d'autre moyen de salut, que de conclure un armistice et de proclamer sur-le-champ Louis XVIII.»

Le président lui répondit:

Je suis persuadé comme vous, M. le maréchal, qu'il n'y a rien de mieux à faire que de traiter promptement d'un armistice; mais il faut savoir ce que veut l'ennemi; une conduite mal calculée produirait trois maux: 1.° d'avoir reconnu Louis XVIII avant tout engagement de sa part; 2.° de n'en être pas moins forcé de recevoir l'ennemi dans Paris; 3.° de n'obtenir aucune condition de Louis XVIII.

Je prends sur moi de vous autoriser à envoyer aux avant-postes de l'ennemi, et de conclure un armistice, en faisant tous les sacrifices qui seront compatibles avec nos devoirs et notre dignité. Il vaudrait mieux céder des places fortes que de sacrifier Paris.

Le duc d'Otrante ayant mis cette lettre sous les yeux de la commission, elle pensa que la réponse de son président jugeait implicitement la question du rappel de Louis XVIII, et laissait trop de latitude au prince d'Eckmuhl. Elle lui fit écrire sur-le-champ une lettre supplémentaire, portant:

Il est inutile de vous dire, M. le maréchal, que votre armistice doit être purement militaire, et qu'il ne doit contenir aucune question politique. Il serait convenable que cette demande d'armistice fût portée par un général de ligne et un maréchal de camp de la garde nationale.

Ainsi, dans l'espace des vingt-quatre heures qui précédèrent et suivirent le départ de l'Empereur, la commission eut à repousser et repoussa les instigations plus ou moins coupables du ministre de la guerre, du général en chef de l'armée et du président du gouvernement[77].

Cependant l'armée, de pas en pas, était arrivée aux portes de Paris.

Le maréchal Grouchy, mécontent et déconcerté, donna sa démission, pour cause de santé.

Le prince d'Eckmuhl qui, par un air de bonne foi et des protestations multipliées de dévouement et de fidélité, avait reconquis, grâce au duc d'Otrante, la confiance de la majorité des membres de la commission, fut investi du commandement en chef de l'armée.

Le 30 juin, un message prévint les chambres que les ennemis étaient en vue de la capitale; que l'armée, réorganisée, occupait une ligne de défense qui protégeait Paris; qu'elle était animée du meilleur esprit, et que son dévouement égalait sa valeur.

Des députations des deux chambres partirent aussitôt pour porter aux défenseurs de la patrie l'expression des principes, des sentimens et des espérances de la représentation nationale. Leur langage patriotique, leur écharpe tricolore, le nom de NAPOLÉON II qu'ils eurent soin de prononcer, électrisèrent le soldat et achevèrent de lui rendre cette confiance en soi-même et cette résolution de mourir ou de vaincre, présages infaillibles de la victoire.

Le moment était propice pour marcher au combat. Le prince d'Eckmuhl sollicita la paix.

Un armistice venait d'être conclu entre le duc d'Albuféra et le maréchal de Frimont, commandant les forces Autrichiennes. Il en instruisit le duc de Wellington et lui demanda de faire cesser les hostilités, jusqu'à la décision du congrès.

Si je me présente sur le champ de bataille avec l'idée de vos talens, ajouta-t-il, j'y porterai la conviction d'y combattre pour la plus sainte des causes, celle de la défense et de l'indépendance de ma patrie; et quel qu'en soit le résultat, je mériterai, milord, votre estime.»

Que si, au lieu de parler ce langage plus digne d'un homme à moitié vaincu que d'un général français habitué à vaincre, un autre chef autrement inspiré eût déclaré, avec une noble fermeté, qu'il était prêt, si l'on ne cessait point d'injustes agressions, à donner à ses quatre-vingt mille braves le signal de la mort ou de la victoire, l'ennemi aurait indubitablement renoncé à poursuivre une guerre devenue sans objet, sans utilité et sans gloire. Mais le duc de Wellington, instruit fidèlement de l'état véritable des choses, savait que le prince d'Eckmuhl, satisfait d'avoir vaincu ses préjugés et ses idées, paraissait plus disposé à neutraliser le courage de ses troupes, qu'à le mettre à l'épreuve; et Wellington refusa la suspension d'armes proposée. Il entrait dans la politique des princes armés pour la légitimité, de nous contraindre à recevoir, chapeau bas, Louis XVIII; et dès lors, il était conséquent que les généraux alliés éludassent de transiger, puisque les sentimens du président de la commission et du général de l'armée française leur garantissaient qu'ils pourraient attendre, sans avoir de risques à courir, que les circonstances ou la trahison nous forçassent de subir la loi de la nécessité.

Wellington avait repoussé la proposition du maréchal Davoust, sous le prétexte frivole que l'Empereur avait repris le commandement de l'armée. On conçoit facilement que la commission n'avait point omis d'instruire sur-le-champ les commissaires, du départ de Napoléon et des circonstances qui l'avaient précédé. Mais jusqu'alors, elle n'avait reçu, de leur part, aucune communication. Leur correspondance entravée à dessein par les alliés, l'avait en outre été par nos avant-postes qui, regardant les parlementaires comme des artisans de trahison, leur avaient fermé le passage à coups de fusil. La commission résolut donc de se procurer à tout prix de leurs nouvelles; et sur la présentation du duc d'Otrante, elle leur expédia M. de Tromeling. Elle n'ignorait point que cet officier émigré, Vendéen et détenu long-tems au Temple, comme compagnon de sir Sidney Smith et du capitaine Wright, méritait peu la confiance des patriotes. Mais les agens à deux fins de M. Fouché parvenaient seuls à se faire ouvrir les lignes ennemies; et il fallait, malgré soi s'en servir.

M. Tromeling partit. Au lieu de remettre ses dépêches aux commissaires, il craignit qu'elles ne lui fussent enlevées par l'ennemi, et il les déchira. La commission pensa qu'il s'était plutôt trompé d'adresse; mais elle excusa volontiers cette erreur, pour ne s'occuper que des nouvelles qu'il lui avait rapportées.

Nos commissaires arrivés le 28 au quartier général anglais, s'étaient empressés de solliciter une suspension d'armes.

Lord Wellington leur annonça qu'il désirait se concerter à cet égard avec le prince Blucher; et le 29 juin, à onze heures et demie du soir, il leur transmit cette réponse.

Au quartier général du prince Blucher, ce 25 juin 1815, onze heures et demie de la nuit.

Messieurs,

J'ai l'honneur de vous faire savoir qu'ayant consulté le maréchal prince Blucher sur votre proposition pour un armistice, S. A. est convenue avec moi que, dans les circonstances actuelles, aucun armistice ne peut se faire, tant que Napoléon Bonaparte est à Paris et en liberté; et que les opérations sont en tel état qu'il ne peut pas les arrêter.

J'ai l'honneur, etc.

WELLINGTON.

Le 1er juillet, ils eurent, dans la matinée, une conférence dont ils rendirent compte au gouvernement, par la dépêche suivante, adressée à M. le baron Bignon, secrétaire d'état, adjoint au ministre des affaires étrangères.

Louvre, 1 juillet 1815, avant midi.

Monsieur le Baron,

Les dépêches, n° 1, 2 et 3, que nous avons eu l'honneur de vous adresser, sont restées sans réponse[78]. Nous sommes absolument privés de connaître ce qui se passe à Paris et dans le reste de la France. À quelque cause que ce manque de communication puisse être attribué, il rend notre situation pénible et nuit à l'activité de nos démarches. Il peut les rendre inutiles; nous vous prions d'y remédier le plus promptement possible.

Jusqu'à présent, nous sommes autorisés à penser qu'aussitôt que vous nous aurez fait connaître que Napoléon Bonaparte aura été éloigné, il pourra être signé une suspension d'armes de trois jours pour régler un armistice, pendant lequel on pourra traiter de la paix.

Chargés par les instructions qui nous ont été données, d'entendre ce qui pourra nous être dit et de vous en donner connaissance, nous devons vous informer que le duc de Wellington nous a répété, à plusieurs reprises, que, dès que nous aurons un chef de gouvernement, la paix sera promptement conclue.

En parlant, dit-il, seulement comme un individu, mais croyant cependant que son opinion pourra être prise en considération, il fait plus que des objections contre le gouvernement de Napoléon II, et il pense que sous un tel règne, l'Europe ne pourrait jouir d'aucune sécurité, et la France d'aucun calme.

On dit qu'on ne prétend point s'opposer au choix d'aucun autre chef de gouvernement. L'on répète, à chaque occasion, que les puissances de l'Europe ne prétendent point intervenir dans ce choix; mais on ajoute que, si le prince choisi était dans le cas, par la nature même de sa situation, d'alarmer la tranquillité de l'Europe, en mettant en problème celle de la France, il serait nécessaire aux puissances alliées d'avoir des garanties; et nous sommes fondés à croire que ces garanties seraient des cessions de territoire.

Un seul (Louis XVIII) leur semble réunir toutes les conditions, qui empêcheraient l'Europe de demander des garanties pour sa sécurité.

Déjà, disent-ils, il réside à Cambray; le Quesnoy lui a ouvert ses portes. Ces places et d'autres villes sont en sa puissance, soit qu'elles se soient données, ou qu'elles lui aient été remises par les alliés.

Le duc de Wellington reconnaît et énumère une partie considérable des fautes de Louis XVIII, pendant son gouvernement de quelques mois. Il place au premier rang, d'avoir donné entrée dans son conseil aux princes de sa famille, d'avoir eu un ministère sans unité et non responsable, d'avoir créé une maison militaire choisie autrement que dans les soldats de l'armée, de ne s'être pas entouré de personnes qui eussent un véritable intérêt au maintien de la Charte.

Il lui semble qu'en faisant connaître les griefs sans faire de conditions, il pourrait être pris des engagemens publics qui rassureraient pour l'avenir, en donnant à la France les garanties qu'elle peut désirer.

     Si l'on discute des conditions, d'autres que les autorités
     actuelles pourront délibérer, reprit le duc.

     Si l'on perd du tems, des généraux d'autres armées pourront se
     mêler des négociations, elles se compliqueraient d'autres intérêts.

Nous joignons deux proclamations de Louis XVIII, etc.

     (Signé) ANDRÉOSSY, comte BOISSY-D'ANGLAS, FLAUGERGUES, VALENCE,
     LABESNADIÈRE.

La dépêche de M. Bignon, annonçant le départ de Napoléon, leur étant parvenue à l'issue de ce premier entretien, ils s'empressèrent de la communiquer à lord Wellington et de réclamer une suspension d'armes, pour conclure l'armistice auquel la présence de Napoléon avait été jusqu'alors le seul obstacle.

Lord Wellington leur répondit qu'il était nécessaire qu'il en conférât avec le prince Blucher, et qu'il leur rendrait réponse dans la journée.

Le soir, ils eurent une nouvelle conférence avec ce général, qui donna lieu à la dépêche ci-après.

Louvre, 1er juillet, à huit heures et demie du soir.

Lord Wellington nous a donné connaissance d'une lettre de Manheim, écrite au nom des Empereurs de Russie et d'Autriche par MM. de Nesselrode et de Metternich. Cette lettre presse vivement la poursuite des opérations, et déclare que, s'il était adopté quelque armistice par les généraux qui dans ce moment sont près de Paris, leurs majestés ne le regarderaient point comme devant arrêter leur marche, et qu'elles ordonneraient à leurs troupes de s'approcher de Paris.

M. le comte d'Artois venait d'arriver au quartier général du duc de Wellington qui nous a reçus seuls dans son salon. Nous n'avons pas apperçu le prince: il était dans un appartement séparé.

Nous avons insisté pour l'exécution de la promesse qui nous avait été faite. Le duc de Wellington nous a répondu qu'il nous avait toujours annoncé ne pouvoir prendre d'engagemens définitifs, avant qu'il se fût entendu avec le maréchal prince Blucher; qu'il allait le joindre pour le porter à s'unir avec lui, pour convenir d'un armistice.

Il a ajouté qu'il ne nous dissimulait pas que le feld-maréchal avait un extrême éloignement pour tout ce qui arrêtera ses opérations, qui s'étendaient déjà sur la rive gauche de la Seine; et qu'il ne pourrait cesser d'appuyer ses mouvemens, s'il ne pouvait l'amener à partager son opinion.

Il nous a communiqué une proposition d'armistice faite par le prince d'Eckmuhl, qu'il venait de recevoir.

Il nous a assuré qu'aussitôt qu'il aurait vu le prince Blucher, il reviendrait nous joindre à Louvre, et nous enverrait prier de nous rendre à Gonesse.

«En causant des conditions possibles d'armistice, il a insinué qu'il demanderait que l'armée sortît de Paris, ce que nous avons décliné, en opposant qu'il était au contraire convenable que ce fût l'armée des alliés qui prît des positions éloignées, pour qu'il fût possible de délibérer en liberté sur les grands intérêts de la patrie, dont ils paraissaient reconnaître l'influence sur ceux de l'Europe.

«La conférence s'est ainsi terminée; nous avons quelque raison de croire que lord Wellington fera connaître à M. le comte d'Artois qu'il doit se placer à une distance beaucoup plus considérable de Paris.»

M. le baron Bignon leur répondit sur-le-champ ce qui suit:

À Messieurs les Commissaires chargés de l'Armistice.

1er juillet.

Vous annonciez, Messieurs, que vous étiez autorisés à croire que, Napoléon Bonaparte éloigné, il pourrait être signé une suspension d'armes, pendant laquelle on traiterait de la paix. La condition voulue étant remplie, il n'y a plus en ce moment aucun motif qui puisse s'opposer à une suspension d'armes et à un armistice. Il est vivement à désirer que la suspension, d'armes, au lieu d'être de trois jours seulement, soit au moins de cinq jours.

Nous ne pensons pas que les Anglais et les Prussiens seuls prétendent forcer nos lignes; ce serait vouloir faire gratuitement des pertes inutiles; d'après eux-mêmes, ils ne doivent être rejoints par les Bavarois, que dans la première quinzaine de ce mois; il peut leur convenir ainsi d'attendre ce renfort; et c'est une raison de plus, de ne pas se refuser à un armistice qui aura pour eux autant et plus d'avantages que pour nous. Enfin, si les alliés ne veulent pas tout-à-fait oublier leurs déclarations solennelles, que prétendent-ils maintenant? Le seul obstacle qui, selon eux, s'opposait à la conclusion de la paix, est irrévocablement écarté; rien ne s'oppose plus ainsi à ce rétablissement; et pour arriver à la paix, rien de plus pressant qu'un armistice.

La commission du gouvernement a eu sous les yeux tous les détails que vous avez transmis, du langage que vous tient le duc de Wellington. Elle désire, messieurs, que vous vous attachiez à distinguer la question politique de la forme du gouvernement de la France, de la question actuelle de la conclusion d'un armistice. Sans repousser aucune des ouvertures qui vous sont faites, il est facile de faire comprendre au duc de Wellington, que, si dans l'état actuel des choses, la question politique du gouvernement de la France doit inévitablement devenir le sujet d'une sorte de transaction entre la France et les puissances alliées, l'intérêt général de la France et des puissances elles-mêmes, est de ne rien précipiter et de ne s'arrêter à un parti définitif, qu'après avoir mûrement pesé ce qui offrira des garanties véritables pour l'avenir. Il est possible que les puissances elles-mêmes, mieux éclairées sur les sentimens de la nation Française, ne persévèrent pas dans des résolutions qu'elles peuvent avoir prises, d'après d'autres données. Napoléon n'est plus à Paris, depuis près de huit jours; sa carrière politique est finie. S'il existait en faveur des Bourbons une disposition nationale, cette disposition se serait manifestée avec éclat; et leur rappel serait déjà consommé. Il est donc évident que ce n'est pas le rétablissement de cette famille, que veut la nation Française. Il reste à examiner aux souverains alliés, que si, en voulant l'imposer à la nation malgré elle, ils n'agiraient pas eux-mêmes contre leurs propres intentions, puisqu'au lieu d'assurer la paix intérieure de la France, ils y semeraient de nouveaux germes de discorde.

On connaissait ici les proclamations de Louis XVIII; et déjà la nature de ces proclamations détruit toutes les espérances que pourrait donner le langage du duc de Wellington. On peut juger par l'esprit qui respire dans ces actes récemment publiés, que le ministère royal actuel ou n'a pas voulu, ou n'a pas pu empêcher ce que la nation Française pouvait attendre de ce gouvernement.

Au reste, messieurs, vous devez vous borner à tout entendre; vous devez établir que la France elle-même ne désire que ce qui peut être le plus utile dans l'intérêt général, et que si elle veut tout autre système que le rétablissement des Bourbons, c'est qu'il n'en est point qui lui présente autant d'inconvéniens et aussi peu d'avantages.

«Vous devez, messieurs, bien répéter au duc de Wellington et au prince Blucher, que si le gouvernement Français insiste avec chaleur sur un armistice, c'est qu'il y voit la possibilité de s'entendre sur des points à l'égard desquels les opinions paraissent les plus divisées; c'est que les communications et les rapports qui s'établiront entre leurs quartiers généraux et nous, les mettront en état de bien apprécier le véritable esprit de la France. Nous pensons particulièrement que le noble caractère du duc de Wellington et la sagesse des souverains alliés ne pourront les porter à vouloir forcer la nation Française à se soumettre à un gouvernement que repousse le voeu bien réel de la grande majorité de la population.»

Ce langage, si remarquable par sa modération, fut corroboré par la lettre ostensible ci-après, que le duc d'Otrante crut devoir adresser à chacun des généraux en chef des armées assiégeantes.

Milord (ou prince),

Indépendamment du cours des nos négociations, je me fais un devoir d'écrire personnellement à votre seigneurie, au sujet d'un armistice dont le refus, je l'avoue, me semble inexplicable. Nos plénipotentiaires sont au quartier général depuis le 28 juin, et nous sommes encore sans une réponse positive.

La paix existe déjà, puisque la guerre n'a plus d'objet: nos droits à l'indépendance, l'engagement pris par les souverains de la respecter, n'en subsisteraient pas moins après la prise de Paris. Il serait donc inhumain, il serait donc atroce de livrer des batailles sanglantes, qui ne changeraient en rien les questions qui sont à décider.

Je dois parler franchement à votre seigneurie; notre état de possession, notre état légal qui a la double sanction du peuple et des chambres, est celui d'un gouvernement, où le petit-fils de l'Empereur d'Autriche est le chef de l'état. Nous ne pourrions songer à changer cet état des choses, que dans le cas où la nation aurait acquis la certitude que les puissances révoquent leurs promesses et que leurs voeux communs s'opposent à la conservation de notre gouvernement actuel.

Ainsi, quoi de plus juste, que de conclure un armistice? Y a-t-il un autre moyen de laisser aux puissances le tems de s'expliquer, et à la France le tems de connaître le voeu des puissances?

Il n'échappera point à votre seigneurie que déjà une grande puissance trouve, dans notre état de possession, un droit personnel d'intérêt pour ses propres intérêts dans nos affaires intérieures. Aussi long-tems que cet état ne sera pas changé, il en résulte une obligation de plus pour les deux chambres de ne pouvoir consentir aujourd'hui à aucune mesure capable d'altérer notre possession.

La marche la plus naturelle à suivre, n'est-elle pas celle qu'on vient d'adopter sur nos frontières de l'Est? On ne s'est pas borné à un armistice entre le général Budna et le maréchal Suchet; il a été stipulé que nous rentrerions dans nos limites du traité de Paris, parce qu'en effet la guerre doit être regardée comme terminée, par le seul fait de l'abdication de Napoléon.

Le feld-maréchal Frimont, de son côté, a consenti à l'armistice, pour venir, a-t-il dit, par des arrangemens préliminaires, au-devant de ceux qui pourraient avoir lieu entre les alliés. Nous ne savons même pas si l'Angleterre et la Prusse ont changé de volonté au sujet de notre indépendance; car la marche des armées ne peut pas être un indice certain de la volonté des cabinets. La volonté de deux puissances ne pourrait même pas nous suffire; c'est leur accord que nous avons besoin de connaître. Voudriez-vous devancer cet accord? Voudriez-vous y mettre obstacle, et faire naître une nouvelle tempête politique, d'un état de choses qui est si voisin de la paix?

Je ne crains pas, moi, d'aller au-devant de toutes les objections. On s'imagine peut-être que l'occupation de Paris par deux des armées alliées, seconderait les vues que vous pouvez avoir de rétablir Louis XVIII sur le trône. Mais comment l'augmentation des maux de la guerre qu'on ne pourrait plus qu'attribuer à ce motif, serait-elle un moyen de réconciliation?

Je dois déclarer à votre seigneurie que toute tentative détournée pour nous imposer un gouvernement, avant que les puissances se soient expliquées, forcerait aussitôt les chambres à des mesures qui ne laisseraient, dans aucun cas, la possibilité d'aucun rapprochement. L'intérêt même du Roi est que tout reste en suspens; la force peut le replacer sur le trône, mais elle ne l'y maintiendra pas. Ce n'est ni par la force, ni par des surprises, ni par les voeux d'un parti, que la volonté nationale pourrait être ramenée à changer son gouvernement. C'est même en vain que, dans le moment actuel, on vous offrirait des conditions pour nous rendre un nouveau gouvernement plus supportable. Il n'y a point de condition à examiner, tant que la nécessité de plier sous le joug, de renoncer à notre indépendance, ne nous sera pas démontrée. Or, milord, cette nécessité ne peut pas même être soupçonnée, avant que les puissances soient d'accord. Aucun de leurs engagemens n'a été révoqué; notre indépendance est sous leur garde; c'est nous qui entrons dans leurs vues et dans le sens de leurs déclarations; ce sont les armées assiégeantes qui s'en écartent.

D'après ces mêmes déclarations (et il n'y en eut jamais de plus solennelles), tout emploi de la force, en faveur du Roi, par ces mêmes armées, sur la partie de notre territoire où elles seules dominent, sera regardé par la France comme l'aveu du dessein formel de nous imposer un gouvernement malgré notre volonté. Il nous est permis de demander à votre seigneurie, si elle-même a reçu un tel pouvoir. D'ailleurs, ce n'est pas la force qui pacifie: une résistance morale repousse le dernier gouvernement qu'on avait fait adopter au Roi; plus on userait envers la nation de violence, plus on rendrait cette résistance invincible. L'intention des généraux des armées assiégeantes ne peut être de compromettre leur propre gouvernement, et de révoquer par le fait la loi que les puissances se sont imposées à elles-mêmes.

Milord, la question est toute dans ce peu de mots.

Napoléon a abdiqué comme le désiraient les puissances, la paix est donc rétablie; on ne devrait pas même mettre en question quel est le prince qui recueillera le fruit de cette abdication.

Notre état de possession serait-il changé par la force? Les puissances n'atteindraient plus leur but, outre qu'elles violeraient leurs promesses, promesses faîtes à la face du monde entier. Le changement viendrait-il de la volonté nationale? Alors, il faudrait, pour que cette volonté fût dans le cas de se prononcer, que les puissances eussent d'abord fait connaître leur refus formel de laisser subsister notre gouvernement actuel. Un armistice est donc indispensable.

Voici, milord, des considérations dont il est impossible de ne pas sentir toute la force. Dans Paris même, si l'issue d'une bataille vous en livrait les portes, je tiendrais encore à votre seigneurie ce même langage; c'est celui que tient toute la France: on aurait fait couler sans motifs des flots de sang; les prétentions qui en seraient la cause, en seraient-elles plus assurées ou moins odieuses?

J'espère avoir bientôt avec votre seigneurie des rapprochemens qui nous conduiront les uns et les autres à l'oeuvre de la paix, par des moyens plus conformes à la raison et à la justice. L'armistice nous permettra de traiter dans Paris; et il nous sera facile de nous entendre sur le grand principe que le repos de la France est une condition inséparable du repos de l'Europe. Ce n'est qu'en voyant de près la nation et l'armée, que vous pourrez juger à quoi tient le repos et la stabilité de notre avenir.

«Je prie, etc. etc.»

Quoique le duc d'Otrante, dans cette lettre, eût plaidé la cause de Napoléon II et feint d'ignorer les dispositions des alliés, il était néanmoins devenu très-facile de s'apercevoir qu'il regardait la question comme irrévocablement décidée en faveur des Bourbons. Leur nom, qu'il avait long-tems évité de prononcer, se retrouvait sans cesse sur ses lèvres; mais toujours le même, toujours enclin par caractère et par système à se ménager plusieurs cordes à son arc, il paraissait pencher tour-à-tour pour la branche cadette, ou pour la branche régnante; tantôt la première lui semblait offrir, de préférence et au plus haut degré toutes les garanties que la nation pouvait désirer; tantôt il insinuait qu'il serait possible qu'on se rapprochât du Roi, s'il consentait à éconduire quelques hommes dangereux et à faire à la France de nouvelles concessions.

Ce changement, trop subit pour être inaperçu, appela plus que jamais sur sa conduite les regards investigateurs et les reproches des antagonistes des Bourbons.

On l'accusa d'encourager, par l'impunité, les écrivains et les journalistes qui prêchaient ouvertement le l'appel de l'ancienne dynastie, de protéger le parti royaliste, et d'avoir rendu la liberté à l'un de ses agens les plus dévoués, le baron de Vitrolles.

On lui imputa d'avoir des conférences nocturnes avec le même M. de Vitrolles et plusieurs royalistes éminens, et d'envoyer journellement, à l'insu de ses collègues, des émissaires du Roi, à M. de Talleyrand, au duc de Wellington.

Deux députés (M. Durbach et le général Solignac) se rendirent chez lui, et lui déclarèrent qu'ils étaient instruits de ses manoeuvres, que son ambition l'aveuglait, qu'il ne pourrait jamais exister aucun pacte entre Louis XVIII et le meurtrier de son frère, et que la France tôt ou tard serait vengée de sa trahison.

Un ancien ministre d'état (M. Defermont), lui reprocha, à bout portant, de trafiquer ténébreusement du sang et de la liberté des Français.

D'autres inculpations non moins graves, non moins virulentes, lui furent adressées par M. Carnot, par le général Grenier. «S'il nous trahit, dit ce dernier, je lui brûlerai la cervelle.»

Le duc d'Otrante, habitué à braver les tempêtes politiques, repoussait froidement ces imputations. Il rappelait à ses accusateurs les gages multipliés qu'il avait donnés à la révolution. Il offrait sa tête en garantie de sa fidélité. Ses protestations, ses sermens et l'assurance imperturbable avec laquelle il répondait, si on le laissait faire, du salut et de l'indépendance de la nation, parvinrent à conjurer l'orage; mais il était trop pénétrant pour s'abuser sur sa position: il dut sentir qu'il était perdu s'il ne se hâtait point d'en finir, et tout porte à croire qu'il ne dédaigna aucun moyen pour arriver promptement à un résultat décisif[79].

Cependant Blucher, à qui l'on n'opposait qu'un simulacre de défense, avait passé la Seine sur le pont du Pecq, conservé par les soins d'un journaliste nommé Martainville, et paraissait vouloir se répandre avec ses troupes sur la partie sud-ouest de Paris[80]. Nos généraux, témoins de cette marche aventureuse, jugèrent unanimement que les Prussiens s'étaient compromis. Ils sommèrent le prince d'Eckmuhl de les attaquer; il fallut bien s'y résoudre.

L'armée entière, généraux, officiers, soldats, était toujours animée d'un dévouement que rien n'avait pu rebuter. Fière de la confiance que lui avait témoignée les représentans de la nation, elle avait répondu à leur appel par une adresse[81] pleine de feu et de patriotisme; elle avait juré entre leurs mains de mourir pour la défense de l'honneur et de l'indépendance nationale: elle était impatiente de tenir ses sermens.

Le général Excelmans fut dirigé sur les traces des Prussiens avec six mille hommes; un corps de quinze mille hommes d'infanterie, sous le commandement du général Vichery, devait le suivre par le pont de Sèvres et lier ses mouvemens avec six mille fantassins du 1er corps et dix mille chevaux d'élite, qui devaient déboucher par le pont de Neuilly. Mais au moment d'exécuter ces dispositions dont le succès eût indubitablement entraîné la perte de l'armée prussienne, le prince d'Eckmuhl, par des motifs que j'ignore, donna contre-ordre. Le général Excelmans soutint seul le combat. Il attaqua l'ennemi en avant de Versailles, le précipita dans une embuscade, le tailla en pièces et lui enleva ses armes, ses bagages, ses chevaux. Les généraux Strulz, Piré, Barthe, Vincent, les colonels Briqueville, Faudoas, Saint-Amant, Chaillou, Simonnet, Schmid, Paolini, et leurs braves régimens, firent des prodiges de valeur, et furent intrépidement secondés par les citoyens des communes voisines, qui avaient devancé en tirailleurs sur le champ de bataille l'arrivée de nos troupes, et qui, pendant l'action, se montrèrent dignes de combattre à leurs côtés.

Cette victoire combla d'espérance et de joie les patriotes Parisiens. Elle leur inspira la noble envie d'imiter le bel exemple qui venait de leur être donné. Mais quand on sut qu'une bataille générale avait été unanimement demandée et convenue, et que, sans les ordres contraires, les ennemis, surpris et coupés, auraient été anéantis, on passa de l'ivresse au découragement, et l'on cria de toutes parts à l'infamie, à la trahison.

Excelmans et ses braves, non soutenus, furent obligés de rétrograder. Les Prussiens s'avancèrent; les Anglais se mirent en mouvement pour les appuyer; ils se réunirent, et vinrent camper en commun sur les hauteurs de Meudon.

La commission se hâta d'informer les commissaires de la position critique de Paris, et les invita, puisque le duc de Wellington les renvoyait sans cesse de Caïphe à Pilate, de chercher à voir le prince Blucher. Ils répondirent, qu'ils n'avaient jamais pu communiquer avec ce maréchal, et qu'ils ne pouvaient point, sans risquer de produire une rupture, établir de conférence avec lui que par l'intermédiaire de lord Wellington.

Ils joignirent à leur dépêche une nouvelle lettre par laquelle le lord annonçait que le prince Blucher continuait à lui témoigner la plus grande répugnance de conclure un armistice, etc. etc.

Le gouvernement ne douta plus de la mauvaise volonté du général Anglais. Le comte Carnot dit qu'il fallait s'adresser définitivement à la brutale franchise de Blucher, plutôt que de vivre dans l'incertitude où laissaient les politesses de Wellington.

Le duc de Vicence pensa de même, que le seul moyen d'en finir, était de brusquer une proposition à l'insu des Anglais. Il fit remarquer à la commission que le maréchal Blucher ne montrait sans doute autant de répugnance à conclure un armistice, que parce qu'il ne voulait probablement point négocier sous la direction et l'influence de Wellington, au quartier général duquel il paraissait éviter de se rendre; qu'il serait peut-être plus traitable, quand on s'adresserait directement à lui; qu'en suivant cette marche, on aurait d'ailleurs l'avantage de déplacer les négociations de l'endroit où se trouvaient les Bourbons, et de pouvoir éviter plus facilement la question politique sur laquelle Wellington semblait beaucoup plus prononcé que Blucher.

La commission, déférant à ces observations, adopta l'avis de M. Carnot; et le prince d'Eckmuhl fut chargé d'adresser au maréchal Blucher des propositions directes et fondées principalement sur l'armistice conclu avec les chefs des forces autrichiennes.

Le prince répondit sur-le-champ:

Si le maréchal Frimont s'est cru autorisé à conclure un armistice, ce n'est point pour nous un motif d'en faire autant. Nous poursuivrons notre victoire; Dieu nous en a donné les moyens et la volonté.

«Voyez ce que vous avez à faire. Ne précipitez pas de nouveau une ville dans le malheur; car vous savez ce que le soldat irrité se permettrait, si votre capitale était prise d'assaut. Voudriez-vous attirer sur votre tête les malédictions de Paris comme celles de Hambourg?

«Nous voulons pénétrer à Paris, pour y mettre les honnêtes gens à l'abri du pillage qui les menace de la part de la populace[82]. Ce n'est qu'à Paris que l'on peut conclure un armistice assuré.»

Cette lettre révolta la commission; mais quelle que fût sa juste indignation, il n'y avait plus de milieu à garder: on avait refusé de prendre l'ennemi en flagrant délit; on avait laissé échapper l'occasion de la victoire; il fallait soutenir un siége ou capituler.

La commission, sentant toute l'importance du parti qu'elle allait adopter, voulut s'entourer des lumières, des conseils et de la responsabilité des hommes les plus expérimentés. Elle fit appeler les immortels défenseurs de Gênes et de Toulouse, le vainqueur de Dantzick, les généraux Gazan, Duverney, Evain, le maréchal de camp du génie de Ponton, qui s'était signalé au siége de Hambourg; et enfin les présidens et les bureaux des deux chambres.

Le comte Carnot, qui avait été visiter, conjointement avec le général Grenier, nos positions et celles de l'ennemi, fit à l'assemblée un rapport sur la situation de Paris. Il exposa que les fortifications élevées sur la rive droite de la Seine paraissaient suffisantes pour mettre Paris de ce côté à l'abri de toute insulte; mais que la rive gauche se trouvait entièrement à découvert, et offrait un vaste champ aux entreprises de l'ennemi; que les généraux Anglais et Prussiens avaient porté impunément, sur ce point vulnérable, la majeure partie de leurs armées; qu'ils paraissaient disposés à tenter une attaque de vive force; que s'ils échouaient une première fois, ils pourraient revenir à la charge une seconde et renouveler leurs tentatives, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à se rendre maîtres de la capitale; qu'ils auraient sans cesse à nous opposer des troupes fraîches, tandis que les nôtres, forcées d'être constamment sur leurs gardes, seraient bientôt excédées de fatigues; que l'arrivage des subsistances devenait difficile, et qu'un corps de soixante mille Bavarois paraissait devoir achever, sous peu de jours, le blocus entre la Seine et la Marne; que les ennemis, déjà maîtres des hauteurs de Meudon et des meilleures positions environnantes, pourraient s'y retrancher, nous fermer la retraite, et réduire Paris et l'armée à se rendre à discrétion.

Le président de la commission, après avoir appelé l'attention des membres de l'assemblée sur ces graves considérations, les invita à émettre leur opinion.

Il lui fut observé, qu'il paraissait nécessaire de faire connaître préalablement l'état actuel des négociations.

La commission ne s'y refusa point, mais cette communication ayant amené des discussions sur les Bourbons, la commission rappela qu'on devait se renfermer dans la question militaire, et qu'il ne s'agissait purement et simplement que de décider s'il était convenable et possible de défendre Paris.

Le prince d'Essling, interpellé, dit que cette ville serait imprenable si les habitans voulaient en faire une seconde Sarragosse; mais qu'il n'y avait point assez d'harmonie dans les volontés pour songer à une résistance soutenue, et que le parti le plus sage était d'obtenir à tout prix une suspension d'armes. Le duc de Dantzick déclara qu'il ne croyait pas impossible de prolonger la défense, en activant rapidement les travaux commencés dans la plaine de Mont-Rouge. Le duc de Dalmatie soutint que la rive gauche de la Seine n'était point tenable; qu'il était même très-hasardeux, depuis l'occupation d'Aubervilliers, de tenir sur la rive droite; que si la ligne du canal qui joint Saint-Denis à la Villette venait à être forcée, l'ennemi pourrait entrer pêle-mêle avec nos troupes par la barrière Saint-Denis. Quelques membres, partageant l'opinion du duc de Dantzick, demandèrent qu'on recueillît, avant de prononcer, des renseignemens positifs sur la possibilité de mettre la rive gauche en état de défense. Enfin, après quelques débats, il fut décidé que l'assemblée n'était point compétente pour statuer sur une semblable question, et qu'elle serait soumise à l'examen et à la décision d'un conseil de guerre, que le prince d'Eckmuhl convoquerait pour la nuit suivante.

L'occupation de Paris, par les étrangers, était l'objet des voeux impatiens des royalistes et des hommes vendus ou dévoués par calcul, par ambition ou par crainte, au parti des Bourbons. Persuadés qu'elle déciderait en 1815, comme en 1814, du sort de la France, ils n'avaient épargné d'avance aucune démarche, aucune promesse, aucune insinuation menaçante, pour que la reddition de cette ville mît le comble à leurs voeux et à leur triomphe.

Le duc d'Otrante, soit qu'il fût d'accord avec les royalistes, soit qu'il regardât comme nécessaire à sa sûreté personnelle la prompte capitulation de Paris, soit enfin qu'il voulût se faire, un jour, un mérite d'avoir ramené la France, sans effusion de sang, sous l'empire de son souverain légitime; le duc d'Otrante, dis-je, parut attacher particulièrement un grand prix à ce que la défense de Paris ne fût point prolongée. «Tout est sur le point de s'arranger, disait-il aux membres les plus influens des chambres et de l'armée; gardons-nous bien de sacrifier une existence assurée à un avenir incertain. Les alliés sont d'accord: nous aurons un Bourbon; mais il faudra qu'il se soumette aux conditions que la nation lui imposera. La chambre sera conservée; les généraux resteront à la tête de l'armée; tout ira bien. Ne vaut-il pas mieux se soumettre, que de s'exposer à être partagés ou livrés pieds et mains liés aux Bourbons? Une résistance prolongée n'aurait d'autre résultat que de retarder notre chute. Elle nous ôterait le prix d'une soumission volontaire, et autoriserait les Bourbons à être implacables». Se montrait-on peu disposé à partager sa confiance et ses sentimens, il imposait silence aux récalcitrans avec toutes les formes du plus vif intérêt: «Votre résistance, leur répondait-il, m'étonne et m'afflige: voulez-vous donc passer pour un boute-feu et vous faire exiler? laissez-nous faire, je vous en conjure; je vous garantis l'avenir»… Un pressentiment intérieur avertissait que cet avenir serait bien éloigné de répondre à l'attente de M. Fouché; mais sa vie politique, ses grands talens, ses liaisons avec les ministres étrangers, les égards que lui avaient témoignés, en 1814, l'Empereur Alexandre et le roi de Prusse, donnaient à ses paroles, à ses promesses, un tel poids, un tel ascendant, qu'on finissait par faire violence à sa raison et par s'abandonner, en murmurant contre soi, à la confiance et à l'espoir.

Le conseil de guerre s'assembla dans la nuit du 1er au 2 juillet au quartier général de la Villette, sous la présidence du prince d'Eckmuhl. On eut soin (il paraît) d'en éloigner quelques généraux suspects, et de ne point omettre d'y appeler les officiers dont les principes, la modération ou la faiblesse étaient connus. On y admit tous les maréchaux présens dans la capitale; et ceux qui naguère avaient refusé de combattre, ne refusèrent pas de venir capituler.

La commission, pour éviter toute discussion politique, avait posé des questions sur lesquelles les membres du conseil devaient se borner à délibérer; mais cette précaution (on le sent bien) ne les empêcha point de se livrer à l'examen familier des considérations morales et politiques qui pouvaient influer sur la défense ou la reddition de la place assiégée. Le maréchal Soult plaida la cause de Louis XVIII, et fut vivement secondé par d'autres maréchaux et plusieurs généraux qui, entrés au conseil avec les couleurs nationales, en seraient volontiers sortis avec la cocarde blanche. Il n'est point possible de rappeler les opinions émises, tour-à-tour ou confusément, par les cinquante personnes appelées à prendre part à cette grande et importante délibération. Leurs discours, ou plutôt leurs conversations roulèrent alternativement sur Paris et sur les Bourbons. «On assure,» disaient les partisans de Louis XVIII et de la capitulation, «que Paris, couvert au dehors, par une armée de quatre-vingt mille hommes, et défendu à l'intérieur par les fédérés, les tirailleurs, la garde nationale et une innombrable population, pourra résister, au moins pendant vingt jours, aux efforts des alliés; on nous assure que l'immensité de son développement rendra facile l'arrivage des subsistances. Nous admettrons que cela soit possible; mais quel sera en définitif le but de cette résistance? de donner à l'empereur Alexandre et à l'empereur d'Autriche, le tems d'arriver… Les alliés (nous le savons parfaitement) promettent de nous laisser la faculté de choisir notre souverain; mais tiendront-ils leurs promesses? quelles conditions y mettront-ils? Déjà Wellington et Blucher ont annoncé qu'ils exigeraient des garanties, des places fortes, si l'on rejetait Louis XVIII. N'est-ce pas déclarer formellement, que les alliés veulent conserver le trône de ce souverain? Rallions-nous donc volontairement, puisque nous le pouvons encore, autour de sa personne; ses ministres l'ont égaré, mais ses intentions ont toujours été pures: il connaît les fautes qu'il a commises; il s'empressera de les réparer, et de nous donner les institutions qui sont encore nécessaires pour consolider sur des bases inébranlables les droits et les libertés publiques.»—«Ces raisonnemens peuvent être justes, répliquaient leurs adversaires, mais l'expérience, qui vaut mieux que des raisonnemens, nous a prouvé qu'il ne fallait point s'en rapporter à de vaines promesses. L'espoir que vous avez conçu repose sur des conjectures ou sur les paroles des agens des Bourbons. Avant de nous remettre entre les mains du Roi, il faut qu'il nous fasse connaître les garanties qu'il nous assure. Si elles nous conviennent, alors nous délibérerons; mais si nous ouvrons nos portes sans conditions et avant l'arrivée d'Alexandre, Wellington et les Bourbons se joueront de leurs promesses et nous feront subir impitoyablement la loi du vainqueur. Pourquoi d'ailleurs désespérerions-nous du salut de la France? Une bataille perdue doit-elle donc décider du sort d'une grande nation? n'avons nous pas encore à opposer d'immenses ressources à l'ennemi? Les fédérés, la garde nationale, tous les véritables Français ont-ils refusé de verser leur sang pour sauver la gloire, l'honneur et l'indépendance de la patrie? Tandis que nous combattrons sous les murs de la capitale, on organisera, dans les départemens, la levée en masse des patriotes; et l'ennemi, quand il verra que nous sommes déterminés à défendre notre indépendance, la respectera, plutôt que de s'exposer, pour des intérêts qui ne sont point les siens, à une guerre patriotique et nationale. Il faut donc refuser de nous rendre et nous mettre en mesure, par une défense rigoureuse, de donner la loi au lieu de la recevoir.»—«Vous soutenez, leur répondait-on, que nous pourrons faire lever en masse les fédérés et les patriotes. Mais comment les armerez-vous? nous n'avons point de fusils. Une levée en masse s'organise-t-elle d'ailleurs subitement? Avant que vous puissiez disposer d'un bataillon, Paris aura, sous ses faibles remparts, soixante mille Bavarois, et cent quarante mille Autrichiens de plus à combattre. Que ferez-vous alors? Il faudra bien finir par vous rendre; et le sang que vous aurez versé, sera perdu sans retour et sans utilité. Mais celui que nous aurons fait répandre à l'ennemi, ne retombera-t-il pas sur nos têtes? ne voudra-t-on pas nous faire expier, par une honteuse capitulation, notre folle et cruelle résistance? Si les alliés dans le moment actuel se croient assez forts pour vous refuser une suspension d'armes, que feront-ils, lorsqu'ils auront, sur notre territoire, leurs douze cents mille soldats? Le démembrement de la France, le pillage et la dévastation de la capitale seront peut-être le fruit de la défense téméraire que vous nous proposez.»

Ces considérations, généralement senties, furent unanimement approuvées. On reconnut que le parti le plus convenable était indubitablement de ne point exposer la capitale aux conséquences et aux dangers d'un siége ou d'une prise d'assaut. On reconnut aussi, du moins implicitement, que le retour des Bourbons étant inévitable, il valait mieux les rappeler volontairement sous de bonnes conditions, que de laisser aux alliés le soin de les rétablir. Mais on ne crut pas devoir s'expliquer sur ce point délicat; et l'on se renferma dans la solution laconique des questions proposées par la commission.

Questions posées par la commission du gouvernement au Conseil de Guerre, assemblé à la Villette le 1er juillet 1815.

1ère. Quel est l'état des retranchemens élevés pour la défense de Paris?—Réponse. L'état des retranchemens et de leur armement sur la rive droite de la Seine, quoique incomplet, est en général assez satisfaisant. Sur la rive gauche, les retranchemens peuvent être considérés comme nuls.

2e. L'armée pourrait-elle couvrir et défendre Paris?—Rép. Elle le pourrait; mais non pas indéfiniment. Elle ne doit pas s'exposer à manquer de vivres et de retraite.

3e. Si l'armée était attaquée sur tous les points, pourrait-elle empêcher l'ennemi de pénétrer dans Paris, d'un côté ou d'un autre?—Rép. Il est difficile que l'armée soit attaquée sur tous les points à la fois; mais si cela arrivait, il y aurait peu d'espoir de résistance.

4e. En cas de revers, le général en chef pourrait-il réserver ou recueillir assez de moyens pour s'opposer à l'entrée de vive force?—Rép. Aucun général ne peut répondre des suites d'une bataille.

5e. Existe-t-il des munitions suffisantes pour plusieurs combats?—Rép. Oui.

6e. Enfin, peut-on répondre du sort de la capitale, et pour combien de tems?—Rép. Il n'y a aucune garantie à cet égard.

Le maréchal ministre de la Guerre, (Signé) Le prince d'ECKMUHL.

2 juillet, à 3 heures du matin.

La réponse du conseil de guerre fut immédiatement transmise aux
Tuileries, et y devint l'objet d'une longue et profonde délibération.

Enfin, après avoir pesé les avantages et les dangers d'une défense prolongée, après avoir considéré que Paris, sans espoir de secours et enveloppé de toutes parts, serait ou emporté d'assaut ou forcé de se rendre à discrétion; que l'armée, sans moyen de retraite, se trouverait peut-être placée entre le déshonneur de se rendre prisonnière ou la nécessité de s'ensevelir sous les ruines de la capitale, la commission décida univoquement que Paris ne serait point défendu, et qu'on se soumettrait à le remettre entre les mains des alliés, puisque les alliés ne voulaient suspendre les hostilités qu'à ce prix.

Le général Ziethen, commandant de l'avant-garde du prince Blucher, fut instruit de cette détermination par le prince d'Eckmuhl. Il lui répondit:

Au prince d'Eckmuhl.

2 juillet.

Monsieur le Général,

Le général Revest m'a communiqué verbalement que vous demandiez un armistice pour traiter de la reddition de la ville de Paris.

En conséquence, M. le général, je dois vous déclarer que je ne suis nullement autorisé d'accepter un armistice. Je n'ose même point annoncer cette demande à S. A. le maréchal prince Blucher; mais cependant, si les députés du gouvernement déclarent à mon aide-de-camp, le comte Westphalen, qu'ils veulent rendre la ville et que l'armée Française veut se rendre aussi, j'accepterai une suspension d'armes.

J'en ferai part alors à S. A. le prince Blucher, pour traiter sur les autres articles.

(Signé) ZIETHEN.

Lorsque Brennus, abusant de la victoire, voulut insulter aux vaincus, les Romains coururent aux armes. Moins sensibles et moins fiers, nous entendîmes, sans frémissement, l'insulte faite à nos quatre-vingt mille braves et nous acceptâmes, sans rougir, l'opprobre qu'elle déversait sur eux et sur nous!

Pour toute vengeance, MM. de Tromeling et Macirone furent renvoyés, le premier au prince Blucher, le second au lord Wellington.

Le duc d'Otrante, à l'insçu de la commission, remit à M. Macirone une note confidentielle, ainsi conçue:

     L'armée est mécontente, parce qu'elle est malheureuse; rassurez-la:
     elle deviendra fidèle et dévouée.

     Les chambres sont indociles par la même raison: rassurez tout le
     monde et tout le monde sera pour vous.

Qu'on éloigne l'armée; les chambres y consentiront en promettant d'ajouter à la charte les garanties spécifiées par le Roi. Pour se bien entendre, il est nécessaire de s'expliquer; n'entrez donc pas à Paris avant trois jours; dans cet intervalle tout sera d'accord. On gagnera les chambres; elles se croiront indépendantes, et sanctionneront tout. Ce n'est point la force qu'il faut employer auprès d'elles, c'est la persuasion.

J'ignore si M. de Tromeling fut également chargé de quelque note semblable, ou si le lord Wellington interposa son autorité; mais le prince Blucher, devenu tout-à-coup plus docile, consentit à traiter de la reddition de Paris.

Le général Ziethen annonça de sa part, le 5 juillet, au prince d'Eckmuhl, que les députés du gouvernement pouvaient se présenter; qu'ils seraient conduits à Saint-Cloud, où se trouveraient les députés des généraux Anglais et Prussiens.

Le baron Bignon, le comte de Bondy, et le général Guilleminot, munis des pouvoirs du prince d'Eckmuhl (Blucher ayant déclaré qu'il ne voulait avoir affaire qu'au chef de l'armée française), se rendirent aux avant-postes prussiens, et furent transférés à Saint-Cloud, où, sans égard pour le droit des gens, ils furent privés de tous moyens de communiquer avec le gouvernement, et retenus en charte privée, pendant la durée totale des négociations.

M. Bignon, principal négociateur, et ses deux collègues, défendirent les droits politiques, les intérêts privés, l'inviolabilité des personnes et des propriétés nationales et particulières, avec un zèle et une fermeté inappréciables; ils étaient bien loin de prévoir que la convention suivante, qu'ils regardèrent comme sacrée, ouvrirait plus tard un accès si funeste aux interprétations de la vengeance et de la mauvaise foi.

CONVENTION.

Ce jourd'hui, 3 juillet 1815, les commissaires nommés par les commandans en chef des armées respectives, savoir:

M. le baron Bignon, chargé du portefeuille des affaires étrangères; M. le comte Guilleminot, chef de l'état-major de l'armée Française; M. le comte de Bondy, préfet du département de la Seine; munis des pleins pouvoirs du maréchal prince d'Eckmuhl, commandant en chef de l'armée Française, d'une part;

     Et M. le général major baron de Muffling, muni des pouvoirs de S.
     A. le maréchal prince Blucher, commandant en chef l'armée
     Prussienne; M. le colonel Hervey, muni des pleins pouvoirs de S. E.
     le duc de Wellington, commandant en chef l'armée Anglaise; de
     l'autre;

Sont convenus des articles suivans:

Art. I. Il y aura une suspension d'armes entre les armées alliées commandées par S. A. le prince Blucher, S. E. le duc de Wellington, et l'armée Française, sous les murs de Paris.

Art. II. Demain l'armée française commencera à se mettre en marche, pour se porter derrière la Loire. L'évacuation totale de Paris sera effectuée en trois jours, et son mouvement pour se porter derrière la Loire sera terminé en huit jours.

Art. III. L'armée française emmènera avec elle son matériel, artillerie de campagne, convois militaires, chevaux et propriétés des régimens, sans aucune exception. Il en sera de même pour le personnel des dépôts, et pour le personnel des diverses branches d'administration, qui appartiennent à l'armée.

Art. IV. Les malades et les blessés, ainsi que les officiers de santé, qu'il serait nécessaire de laisser près d'eux, sont sous la protection spéciale de MM. les commissaires en chef des armées anglaises et prussiennes.

Art. V. Les militaires et employés, dont il est question dans l'article précédent, pourront, aussitôt après leur rétablissement, rejoindre le corps auquel ils appartiennent.

     Art. VI. Les femmes et les enfans de tous les individus qui
     appartiennent à l'armée française, auront la facilité de rester à
     Paris.

     Ces femmes pourront sans difficulté quitter Paris, pour rejoindre
     l'armée et emporter avec elles leurs propriétés et celles de leurs
     maris.

Art. VII. Les officiers de ligne employés avec les fédérés, ou avec les tirailleurs de la garde nationale, pourront, ou se réunir à l'armée, ou retourner dans leur domicile, ou dans le lieu de leur naissance.

Art. VIII. Demain, 4 juillet, à midi, on remettra St.-Denis, St.-Ouen, Clichy, et Neuilly; après demain, 5 juillet, à la même heure, on remettra Montmartre; le 3e jour, 6 juillet, toutes les barrières seront remises.

Art. IX. Le service intérieur de Paris continuera à être fait par la garde nationale, et par le corps de la gendarmerie municipale.

Art. X. Les commandans en chef des armées anglaises et prussiennes, s'engagent à respecter et à faire respecter par leurs subordonnés, les autorités actuelles tant quelles existeront.

Art. XI. Les propriétés publiques, à l'exception de celles qui ont rapport à la guerre, soit qu'elles appartiennent au gouvernement, soit qu'elles dépendent de l'autorité municipale, seront respectées, et les puissances alliées n'interviendront en aucune manière dans leur administration, ou dans leurs gestions.

Art. XII. Seront pareillement respectées les personnes et les propriétés particulières; les habitans, et en général tous les individus qui se trouvent dans la capitale, continueront à jouir de leurs droits et libertés, sans pouvoir être inquiétés, ni recherchés en rien relativement aux fonctions qu'ils occupent ou auraient occupées, à leur conduite et à leur opinion politique.

Art. XIII. Les troupes étrangères n'apporteront aucun obstacle à l'approvisionnement de la capitale, et protégeront au contraire l'arrivage, et la libre circulation des objets qui lui sont destinés.

     Art. XIV. La présente convention sera observée et servira de règle
     pour les rapports mutuels, jusqu'à la conclusion de la paix.

     En cas de rupture, elle sera dénoncée dans les formes usitées, au
     moins dix jours à l'avance.

Art. XV. S'il survient des difficultés, sur l'exécution de quelques uns des articles de la présente convention, l'interprétation en sera faite en faveur de l'armée française et de la ville de Paris.

Art. XVI. La présente convention est déclarée commune à toutes les armées alliées, sauf la ratification des puissances dont ces armées dépendent.

     Art. XVII. Les ratifications seront échangées demain, 4 juillet, à
     six heures du matin, au pont de Neuilly.

     Art. XVIII. Il sera nommé les commissaires par les parties
     respectives, pour veiller à l'exécution de la présente convention.

     Fait et signé à St. Cloud, en triple expédition, par les
     commissaires sus-nommés, les jours et an ci-dessus.

     (Signé) Le baron BIGNON; le comte GUILLEMINOT; le comte DE BONDY;
     le baron DE MUFFLING; le baron HERVEY, colonel.

Approuvé et ratifié,

(Signé) Le maréchal PRINCE D'ECKMUHL.

On avait donné primitivement à ce traité le nom de capitulation. M. le duc d'Otrante qui connaît l'empire des mots et qui redoutait l'impression que celui-ci produirait, se hâta de retirer les copies déjà distribuées, et d'y faire substituer le titre moins dur de convention. Cette précaution néanmoins ne fascina les yeux que de quelques députés bénévoles. Des groupes nombreux se formèrent; on y accusa hautement le gouvernement et le prince d'Eckmuhl, d'avoir une seconde fois livré et vendu Paris aux alliés et aux Bourbons. Les patriotes, les tirailleurs, les fédérés qui avaient offert leur sang pour la défense de cette ville, s'indignèrent également qu'on l'eut rendue sans brûler une amorce. Ils résolurent de s'emparer des hauteurs de Montmartre, de se joindre à l'armée et de vendre chèrement à l'ennemi les derniers soupirs de la France et de la liberté. Mais leurs clameurs menaçantes furent entendues du gouvernement. Il fit mettre sur pied la garde nationale; et elle parvint à appaiser les mécontens, en leur opposant l'exemple de sa propre résignation.

La publicité de la convention produisit dans les camps une effervescence non moins redoutable. Les généraux s'assemblèrent pour protester contre cette oeuvre impie, et s'opposer à son accomplissement. Ils déclarèrent que le prince d'Eckmuhl, chez lequel ils avaient plusieurs fois surpris M. de Vitrolles, avait perdu l'estime de l'armée et n'était plus digne de la commander. Ils se rendirent près du général Vandamme, et lui offrirent le commandement. Mais cet officier, qui avait fait partie (ce qu'ils ignoraient) du conseil de guerre et qui en avait approuvé les sentimens, refusa de déférer à leurs voeux. Les soldats à qui les représentans du peuple avaient fait jurer de ne point souffrir que l'ennemi pénétrât dans la capitale, partagèrent spontanément l'indignation de leurs chefs, et proclamèrent, comme eux, qu'ils ne consentiraient jamais à rendre Paris. Les uns brisaient leurs armes, les autres les brandissaient en l'air au milieu des blasphèmes et des menaces; tous juraient de mourir sur la place plutôt que de l'abandonner. Une subversion générale paraissait inévitable et prochaine, lorsque les généraux, effrayés des malheurs qu'elle pourrait entraîner, haranguèrent les soldats et parvinrent à calmer leur irritation. La garde impériale, cédant à l'ascendant qu'exerçait sur elle le brave et loyal Drouot, donna la première l'exemple de la soumission; et tout rentra dans l'ordre.

Le gouvernement, pour justifier sa conduite et prévenir dans les autres armées et dans les départemens de semblables soulévemens, publia la proclamation suivante, fastueux tissu d'éloquentes impostures et de fallacieuses promesses[83].

La Commission du Gouvernement aux Français.

FRANÇAIS,

Dans les circonstances difficiles où les rênes de l'état nous ont été confiées, il n'était pas en notre pouvoir de maîtriser le cours des événemens et d'écarter tous les dangers; mais nous devions défendre les intérêts du peuple et de l'armée, également compromis dans la cause d'un prince abandonné par la fortune et la volonté nationale.

Nous devions conserver à la patrie les restes précieux de ces braves légions, dont le courage est supérieur aux revers, et qui ont été victimes d'un dévouement que la patrie réclame aujourd'hui.

Nous devions garantir la capitale des horreurs d'un siége ou des chances d'un combat; maintenir la tranquillité publique, au milieu du tumulte et des agitations de la guerre; soutenir les espérances des amis de la liberté, au milieu des craintes et des inquiétudes d'une prévoyance soupçonneuse. Nous devions surtout arrêter l'effusion inutile du sang, il fallait opter entre une existence nationale assurée, ou courir le risque d'exposer la patrie et les citoyens à un bouleversement général, qui ne laisserait après lui ni espérance ni avenir.

Aucuns des moyens de défense que le temps et nos ressources permettaient, rien de ce qu'exigeait le service des camps et de la cité, n'a été négligé.

Tandis qu'on terminait la pacification de l'Ouest, des plénipotentiaires se rendaient au-devant des puissances alliées, et toutes les pièces de cette négociation ont été mises sous les yeux de nos représentans.

Le sort de la capitale est réglé par une convention; ses habitans, dont la fermeté, le courage et la persévérance sont au-dessus de tout éloge, ses habitans en conserveront la garde. Les déclarations des souverains de l'Europe doivent inspirer trop de confiance; leurs promesses ont été trop solennelles, pour craindre que nos libertés et que nos plus chers intérêts puissent être sacrifiés à la victoire.

Nous recevrons enfin les garanties qui doivent prévenir les triomphes alternatifs et passagers des factions qui nous agitent depuis vingt-cinq ans, qui doivent terminer nos révolutions et confondre sous une protection commune, tous les partis qu'elle a fait naître, et tous ceux qu'elle a combattus.

Les garanties qui jusqu'ici n'ont existé que dans nos principes et dans notre courage, nous les trouverons dans nos lois, dans nos constitutions, dans notre système représentatif; car, quelles que soient les lumières, les vertus, les qualités personnelles d'un monarque, elles ne suffisent jamais pour mettre le peuple à l'abri de l'oppression de la puissance, des préjugés de l'orgueil, de l'injustice des cours, et de l'ambition des courtisans.

Français, la paix est nécessaire à votre commerce, à vos arts, à l'amélioration de vos moeurs, au développement des ressources qui vous restent: soyez unis, et vous touchez au terme de vos maux. Le repos de l'Europe est inséparable du vôtre. L'Europe est intéressée à votre tranquillité et à votre bonheur.

Donné à Paris, le 5 juillet 1816.

(Signé) Le président de la commission,

LE DUC D'OTRANTE.

Aux termes de la convention, la première colonne française devait commencer le 4 à se mettre en mouvement. Les soldats, encore irrités, déclarèrent qu'ils ne partiraient point, sans être payés de leur solde arriérée. Le trésor était vide, le crédit éteint, le gouvernement aux abois. Le prince d'Eckmuhl proposa d'enlever les fonds de la banque; la commission eut horreur de cet attentat. Une seule ressource, un seul espoir lui restait: c'était d'invoquer l'appui d'un banquier fameux alors par ses richesses, célèbre aujourd'hui par ses vertus civiques. M. Lafitte fut appelé; les chances de l'avenir ne l'épouvantèrent point; il n'écouta que l'intérêt de la patrie; et plusieurs millions répandus, par son secours, dans les rangs de l'armée, désarmèrent les mutins et appaisèrent les semences de la guerre civile.

L'armée se mit en marche: au milieu du désespoir où l'avait plongé la capitulation, elle avait souvent appelé Napoléon! La commission, craignant que l'Empereur, n'ayant plus de ménagement à garder, ne vînt se jeter en désespéré à la tête des patriotes et des soldats, envoya par un courrier au général Beker, «l'ordre de faire arriver sans délai Napoléon à Rochefort, et d'employer, en conservant le respect qui lui était dû tous les moyens qui seraient nécessaires pour le faire embarquer, attendu que son séjour en France compromettait la sûreté de l'état et nuisait aux négociations.»

La retraite de l'armée, l'occupation de Paris par les étrangers et la présence du roi à Arnouville dévoilèrent l'avenir; et les hommes que d'incurables illusions n'aveuglaient point, se préparèrent à retomber sous la domination des Bourbons.

Leurs partisans, leurs émissaires, leurs agens accrédités (M. de Vitrolles et autres) avaient assuré que le Roi, attribuant la révolution du 20 mars aux fautes de son ministère, fermerait les yeux sur tout ce qui s'était passé, et qu'une absolution générale serait le gage de son retour et de sa réconciliation avec les Français. Cette consolante assertion avait déjà vaincu bien des répugnances, lorsque parurent les proclamations de Cambray, des 25 et 28 juin[84]. Elles reconnaissaient effectivement que les ministres du Roi avaient fait des fautes; mais loin de promettre l'entier oubli de celles commises par ses sujets, l'une d'elle (ouvrage du duc de Feltre) annonçait au contraire, que le Roi, à qui ses puissans alliés avaient frayé le chemin de ses états en dissipant les satellites du tyran, se hâtait d'y rentrer pour mettre à exécution contre les coupables les lois existantes.

Bientôt on apprit, par les commissaires revenus du quartier général des alliés et par le rapport de MM. de Tromeling et Macirone, que Blucher et Wellington, abusant déjà de notre faiblesse, déclaraient hautement que l'autorité des chambres et de la commission était illégitime, et qu'elles n'avaient plus rien de mieux à faire que de donner leurs démissions et de proclamer Louis XVIII.

Tout le bien qu'avaient produit les cajoleries de M. Fouché et l'espoir d'une heureuse réconciliation, disparut. La consternation s'empara des âmes faibles, l'indignation des coeurs généreux. La commission, frustrée de l'espoir d'obtenir Napoléon II ou le duc d'Orléans, qui, selon l'expression du duc de Wellington, n'aurait été qu'un usurpateur de bonne famille, ne pouvait plus se dissimuler que l'intention des étrangers ne fût de replacer Louis XVIII sur le trône; mais elle avait pensé que son rétablissement serait l'objet d'une transaction entre la nation, les monarques alliés et Louis.

Quand elle connut le langage des généraux ennemis, elle prévit que l'indépendance des pouvoirs de l'état, stipulée par la convention, ne serait point respectée; et elle délibéra s'il ne lui convenait point de se retirer, avec les chambres et l'armée, derrière la Loire. Cette mesure, digne de la fermeté de M. Carnot qui l'avait proposée, fut vivement combattue par le duc d'Otrante. Il déclara que ce moyen perdrait la France; que la plupart des généraux ne voudraient point y souscrire, et qu'il serait lui-même le premier à refuser de quitter Paris; que c'était à Paris que tout devait se décider; et que le devoir de la commission était d'y rester, pour défendre et débattre, jusqu'à la dernière extrémité, les grands intérêts qui lui avaient été confiés.

La commission abandonna cette idée, non point par déférence pour les observations de M. Fouché (car il avait perdu sur elle tout son empire), mais parce qu'elle se convainquit, en y réfléchissant, que les choses étaient trop avancées, pour pouvoir espérer quelque bien de cette mesure désespérée. Elle aurait probablement rallumé la guerre étrangère et la guerre civile; et si l'on pouvait compter sur les soldats, il n'était plus permis de se reposer avec la même sécurité sur leurs chefs. Quelques uns, tels que le général Sénéchal, avaient été arrêtés aux avant-postes, au moment où ils voulaient passer aux Bourbons. D'autres s'étaient déclarés ouvertement en faveur de Louis. Le plus grand nombre paraissait inébranlable; mais cette diversité de sentimens avait amené des méfiances, des dissensions, et dans les guerres politiques, tout est perdu, quand il y a divergence d'opinion et de volonté. Il aurait fallu d'ailleurs, puisque la commission persistait à repousser Napoléon, placer à la tête de l'armée un autre chef dont le nom consacré par la gloire, pût servir de point d'appui et de ralliement: et sur qui le choix de la commission aurait-il pu tomber![85]—Le maréchal Ney, le premier, avait donné l'alarme et désespéré du salut de la patrie[86].—Le maréchal Soult avait abjuré son commandement.—Le maréchal Masséna, usé par la victoire, n'avait plus la force de corps qu'exigeaient les circonstances.—Le maréchal Macdonald, sourd au cri de guerre de ses anciens compagnons d'armes, avait laissé paisiblement son épée dans le fourreau.—Le maréchal Jourdan était sur le Rhin.—Le maréchal Mortier avait été saisi de la goutte à Beaumont.—Le maréchal Suchet avait montré dès l'origine de la répugnance et de l'irrésolution.—Enfin, les maréchaux Davoust et Grouchy ne possédaient plus la confiance de l'armée.

La commission (il en coûte à l'orgueil français de faire cet aveu) n'aurait donc su dans quelles mains remettre les destinées de la France; et le parti qu'elle prit d'attendre dans la capitale l'issue des événemens, fut, sinon le plus digne, du moins le plus prudent et le plus sage.

Les représentans du peuple, de leur côté, loin de se montrer dociles aux avis de Wellington et de Blucher, manifestèrent plus énergiquement que jamais, les principes et les sentimens dont ils étaient animés. Ils se groupèrent autour du drapeau tricolor; et quoique l'armée eût déposé les armes, ils voulurent combattre encore pour la défense de l'indépendance nationale et de la liberté.

Le jour même où la convention de Paris leur fut notifiée par le gouvernement, ils consignèrent, dans un nouveau bill des droits, les principes fondamentaux de la constitution qui, dans leur pensée, pouvait seule satisfaire le voeu public, et déclarèrent que le prince appelé à régner ne monterait sur le trône, qu'après avoir sanctionné ce bill, et prêté serment de l'observer et de le faire observer.

Instruits presqu'aussitôt par des rumeurs sinistres, qu'il ne leur serait bientôt plus permis de délibérer, ils résolurent, sur la proposition de M. Dupont (de l'Eure), de consacrer leur dernière volonté dans une espèce de testament politique conçu en ces termes:

Déclaration de la Chambre des représentans.

Les troupes des puissances alliées vont occuper la capitale.

La chambre des représentans n'en continuera pas moins de siéger au milieu des habitans de Paris, où la volonté expresse du peuple a appelé ses mandataires.

     Mais, dans ces graves circonstances, la chambre des représentans se
     doit à elle-même, elle doit à la France, à l'Europe, une
     déclaration de ses sentimens et de ses principes.

Elle déclare donc qu'elle fait un appel solennel à la fidélité et au patriotisme de la garde nationale parisienne, chargée du dépôt de la représentation nationale.

Elle déclare qu'elle se repose avec la plus haute confiance sur les principes de morale, d'honneur, sur la magnanimité des puissances alliées, et sur leur respect pour l'indépendance de la nation, si positivement exprimé dans leurs manifestes.

Elle déclare que le gouvernement de la France, quel qu'en puisse être le chef, doit réunir les voeux de la nation, légalement émis, et se co-ordonner avec les autres gouvernemens pour devenir un lien commun et la garantie de la paix entre la France et l'Europe.

Elle déclare qu'un monarque ne peut offrir de garanties réelles, s'il ne jure d'observer une constitution délibérée par la représentation nationale, et acceptée par le peuple. Ainsi, tout gouvernement qui n'aurait d'autre titre que des acclamations ou la volonté d'un parti, ou qui serait imposé par la force; tout gouvernement qui n'adopterait pas les couleurs nationales, et ne garantirait point la liberté des citoyens; l'égalité des droits civils et politiques; la liberté de la presse; la liberté des cultes; le système représentatif; le libre consentement des levées d'hommes et d'impôts; la responsabilité des ministres; l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux de toute origine; l'inviolabilité des propriétés; l'abolition de la dîme, de la noblesse ancienne et nouvelle, héréditaire, et de la féodalité; l'abolition de toute confiscation de biens; l'entier oubli des opinions et des votes émis jusqu'à ce jour; l'institution de la légion d'honneur; les récompenses dues aux officiers et aux soldats; les secours dus à leurs veuves et à leurs enfans; l'institution du jury; l'inamovibilité des juges; le paiement de la dette publique; n'assurerait point la tranquillité de la France et de l'Europe.

Que si les bases énoncées dans cette déclaration pouvaient être méconnues ou violées, les représentans du peuple français, s'acquittant aujourd'hui d'un devoir sacré, protestent d'avance, à la face du monde entier, contre la violence et l'usurpation. Ils confient le maintien des dispositions qu'ils réclament à tous les bons Français, à tous les coeurs généreux, à tous les esprits éclairés, à tous les hommes jaloux de leur liberté; enfin, aux générations futures.

Cette protestation sublime fut considérée, par l'assemblée, comme un monument funèbre de patriotisme et de fidélité. Tous les membres se levèrent et l'adoptèrent spontanément aux cris mille fois répétés de vive la nation; vive la liberté! Il fut résolu qu'elle serait envoyée sur-le-champ à la chambre des pairs. «Il faut qu'on sache, dit M. Dupin, que la représentation nationale toute entière partage les nobles sentimens exprimés dans la déclaration. Il faut que tout ce qu'il y a d'honnêtes gens, d'hommes raisonnables, d'amis d'une sage liberté, sachent que leurs voeux ont trouvé ici des interprètes, et que la force elle-même ne pourra nous empêcher de les émettre.»

Au même moment, M. Bedoch annonça que nos plénipotentiaires étaient de retour, et que l'un d'eux (M. de Pontécoulant) avait affirmé que les puissances étrangères avaient montré des dispositions favorables, et particulièrement l'Empereur Alexandre; qu'il avait souvent entendu dire et répéter que l'intention des souverains alliés n'était point de gêner la France dans le choix de son gouvernement, et que l'empereur Alexandre serait dans quelques jours à Nancy[87].»

Le général Sébastiani confirma ces explications. La chambre, rappelée à l'espérance, ordonna sur-le-champ que sa déclaration serait portée par une députation aux monarques étrangers. «Ils entendront notre langage avec un noble intérêt, dit M. Dupont (de l'Eure): il est digne d'eux et de la grande nation que nous représentons.»

Ainsi, au moment même où cette chambre allait expirer, ses regards mourans se reportaient encore, avec une douce confiance, vers les Rois étrangers que l'inconstante fortune rendait l'arbitre des Français. Elle appelait surtout, de tous ses voeux, ce prince loyal et magnanime qui déjà avait préservé la France des malheurs de la conquête, et qui paraissait destiné à la préserver de maux plus déplorables encore. Son nom, prononcé avec respect, avec reconnaissance, sortait de toutes les bouches; il suffisait pour calmer les inquiétudes, appaiser les douleurs, ranimer les espérances; il semblait être le gage de la paix, de l'indépendance et du bonheur de la nation. Ô! Alexandre! cette haute estime, cette tendre confiance de tout un peuple qui n'était pas le tien, sera (n'en doute pas) placée par la postérité, au premier rang de tes titres de gloire.

La commission cependant dissuada les représentans de se rendre auprès des souverains: elle leur remontra que les étrangers refusaient de reconnaître le caractère légal des chambres, et que cette démarche les exposerait à des humiliations indignes de la majesté nationale. Les représentans désabusés n'insistèrent point; ils reprirent avec calme leurs travaux sur la constitution[88], et continuèrent, sous le fer despotique des Rois, à discuter stoïquement les droits imprescriptibles des peuples.

Le duc de Wellington, la convention signée, avait témoigné le désir de s'entendre avec le duc d'Otrante sur son exécution. La commission ne s'opposa point à leur entrevue. C'était un moyen positif de savoir définitivement à quoi s'en tenir sur les dispositions des alliés. Il fut convenu que le président de la commission reproduirait les argumens de la lettre du 1er juillet; qu'il tâcherait d'écarter les Bourbons et de faire tourner la vacance momentanée du trône à l'avantage de la nation et de la liberté.

Le duc d'Otrante, de retour, dit à la commission, que Wellington s'était prononcé formellement en faveur de Louis XVIII, et avait déclaré que ce souverain ferait son entrée à Paris le 8 juillet; que le général Pozzo di Borgo avait répété la même déclaration, au nom de l'Empereur de Russie, et lui avait communiqué une lettre du prince de Metternich et du comte de Nesselrode, exprimant la volonté de ne reconnaître que Louis XVIII, et de n'admettre aucune proposition contraire. Il ajouta que le duc de Wellington l'avait conduit chez le Roi; qu'il y avait été pour son compte, qu'il ne lui avait rien laissé ignorer sur la situation de la France, sur la disposition des esprits contre le retour de sa famille; que le Roi l'avait écouté avec attention et avec approbation; qu'il avait manifesté la volonté d'ajouter à la Charte de nouvelles garanties et d'éloigner toute idée de réaction; que, quant aux expressions des proclamations, elles seraient moins des moyens de sévérité que des occasions de clémence. Il ajouta enfin qu'il avait parlé de la cocarde tricolore, mais que toute explication avait été rejetée; que l'opposition lui avait paru moins venir du Roi que de ses entours et de M. de Talleyrand.

Depuis cette entrevue, M. le duc d'Otrante eut l'air de faire cause à part avec ses collègues, et ne parut plus qu'avec inexactitude à leurs fréquentes réunions.

Bientôt on apprit par les journaux, qu'il était nommé ministre de la police du Roi. Il l'avait tu à la commission. Cette faveur fut considérée comme le salaire de sa trahison. Les royalistes le félicitèrent; les patriotes l'accablèrent de malédictions.

Le parti du Roi qui jusqu'alors s'était tenu dans l'ombre, voulut réparer, par un coup d'éclat, sa longue et pusillanime inaction; il complota de désarmer, à la faveur de la nuit, les postes de la garde nationale, de s'emparer des Tuileries, de dissoudre la commission et les chambres, et de proclamer Louis XVIII.

Quelques précautions prises par le prince d'Essling avertirent les conjurés que leurs desseins étaient connus, et prudemment ils en déférèrent l'exécution aux baïonnettes étrangères. Leur attente ne fut point longue. Le 7 juillet, à cinq heures du soir, plusieurs bataillons prussiens, au mépris de la convention, cernèrent le palais où siégeait le gouvernement. Un officier d'état major remit à la commission la demande faite par le prince Blucher, d'une contribution de cent millions en argent et de cent millions en effets de troupes. La commission déclara avec fermeté que cette réquisition était contraire à la convention, et qu'elle ne consentirait jamais à se rendre complice de semblables exactions. Pendant ce débat, les Prussiens avaient forcé les portes des Tuileries et envahi les cours et les avenues du palais. La commission n'étant plus libre et ne voulant point devenir un instrument d'oppression, cessa ses fonctions.

Son premier besoin fut de constater, par une protestation authentique, qu'elle n'avait cédé qu'à la force, et que les droits de la nation étaient restés intacts. M. le duc d'Otrante, rédacteur docile des actes publics du gouvernement, prit la plume à cet effet; mais la commission redoutant, pour la tranquillité publique, les effets de cette protestation, crut devoir se borner à transmettre aux deux chambres le message que voici:

Monsieur le Président,

Jusqu'ici nous avions dû croire que les intentions des souverains alliés n'étaient point unanimes sur le choix du prince qui doit régner en France: nos plénipotentiaires nous ont donné la même assurance, à leur retour. Cependant les ministres et les généraux des puissances alliées ont déclaré hier, dans les conférences qu'ils ont eues avec le président de la commission, que tous les souverains s'étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône, et qu'il doit faire ce soir ou demain son entrée dans la capitale.

Les troupes étrangères viennent d'occuper les Tuileries où siége le gouvernement. Dans cet état de choses, nous ne pouvons plus que faire des voeux pour la patrie; et nos délibérations n'étant plus libres, nous croyons devoir nous séparer.

Ce message, dernier témoignage de l'audacieuse duplicité du duc d'Otrante devenu ministre du Roi, contenait en outre ce qui suit: «On ajoutera de nouvelles garanties à la Charte; et nous n'avons point perdu l'espoir de conserver les couleurs si chères à la nation», mais ce paragraphe, dont je ne rapporte que la substance, fut ensuite supprimé.

La chambre des pairs qui avait accueilli froidement le bill des droits et la déclaration de la chambre des représentant, se sépara sans murmures[89].

La chambre des députés reçut son arrêt de mort avec un calme héroïque. Lorsque M. Manuel, rappelant les mémorables paroles de Mirabeau, s'écria: «Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes. Il est de notre devoir de donner à la patrie nos derniers momens; et s'il le faut, la dernière goutte de notre sang.» Tous les membres de l'assemblée se levèrent en signe d'adhésion, et déclarèrent qu'ils resteraient inébranlablement à leur poste.

Mais ils ne devaient point accomplir cette glorieuse résolution. Le président (M. Lanjuinais) trahissant leur courage et méprisant leur volonté, leva la séance et se retira. «M. le président, lui dit le général Solignac, l'histoire est là, elle recueillera votre action.»

Le lendemain matin, ils trouvèrent les avenues de leur palais occupées par les étrangers, et les portes de l'assemblée fermées. M. de Cazes, à la tête de quelques volontaires royaux, en avait enlevé les clefs. Cette violence, contre laquelle ils protestèrent, fit enfin tomber leur bandeau; ils reconnurent la faute qu'ils avaient commise, en arrachant trop précipitamment du trône Napoléon, et en confiant aveuglément à d'autres mains les destinées de la patrie[90].

Ainsi finit, après un mois d'existence, cette assemblée que les Français avaient choisie pour affermir la dynastie impériale, pour assurer leur repos et leurs libertés, et qui, par entraînement, par imprévoyance, par un excès de zèle et de patriotisme, n'enfanta que des bouleversemens et des calamités.

La dissolution des chambres et du gouvernement mit fin à toute illusion.

Les couleurs tricolores qu'on avait conservées disparurent.

Les cris de vive la nation! vive la liberté! cessèrent.

M. Fouché fut annoncer à son nouveau maître que tout était consommé.

Et le 8 juillet, Louis XVIII triomphant reprit possession de sa capitale[91] et de son trône.

Au moment où ce prince rentrait aux Tuileries, Napoléon s'occupait à Rochefort des moyens de quitter la France. Sa présence excitait parmi le peuple, les marins et les soldats, un tel enthousiasme, que le rivage retentissait sans interruption des cris de vive l'Empereur! et que ces cris, répétés de bouche en bouche, durent apprendre aux hommes qui s'étaient flattés de maîtriser les volontés de Napoléon, combien il lui serait facile de secouer ses chaînes et de se jouer de leurs vaines précautions. Mais, fidèle à sa détermination, il résistait avec fermeté aux impulsions des circonstances et aux continuelles sollicitations de se mettre à la tête des patriotes et de l'armée. «Il est trop tard, répétait-il sans cesse; le mal est maintenant sans remède; il n'est plus en ma puissance de sauver la patrie. Une guerre civile serait aujourd'hui sans objet, sans utilité; à moi seul elle pourrait devenir avantageuse, en ce qu'elle me procurerait le moyen d'obtenir personnellement des conditions plus favorables; mais il me faudrait les acheter par la perte inévitable de ce que la France possède de plus généreux et de plus magnanime, et un tel résultat me fait horreur[92].»

Jusqu'à l'époque du 29 juin, jour du départ de l'Empereur de la Malmaison, on n'avait apperçu, dans les parages de Rochefort, aucun bâtiment anglais; et tout porte à croire que Napoléon, si les circonstances lui eussent permis de s'embarquer aussitôt son abdication, serait parvenu sans obstacles à gagner les États-Unis: mais quand il arriva sur le rivage de la mer, il trouva toutes les issues occupées par l'ennemi, et parut conserver peu d'espoir de lui échapper.

Le 8 juillet[93], il se rendit à bord de la frégate la Saale, préparée pour le recevoir. Sa suite fut embarquée sur la Méduse; et le lendemain 9, les deux bâtimens abordèrent à l'île d'Aix. Napoléon, toujours le même, fit mettre la garnison sous les armes, visita dans les plus grands détails les fortifications, et décerna l'éloge et le blâme, comme s'il eût encore été le souverain maître de l'état.

Le 10, le vent, contraire jusqu'alors, devint favorable; mais une flotte anglaise de onze vaisseaux croisait à la vue du port; et il ne fut point possible d'appareiller.

Le 11, l'Empereur, fatigué de cet état d'anxiété, envoya le comte de
Lascases, devenu son secrétaire, sonder les dispositions de l'amiral
Anglais, et s'informer s'il était autorisé à lui accorder la libre
faculté de se rendre en Angleterre ou aux États-Unis.

L'amiral répondit qu'il n'avait aucun ordre; qu'il serait toujours prêt à recevoir Napoléon et à le conduire en Angleterre; mais qu'il n'était point en son pouvoir de lui garantir s'il y obtiendrait la permission de s'y fixer ou de se rendre en Amérique.

Napoléon, peu satisfait de cette réponse, fit acheter deux bâtimens demi-pontés, dans l'intention de gagner, à la faveur de la nuit, un snack Danois, avec lequel il s'était créé des intelligences.

Ce moyen ayant échoué, deux jeunes aspirans de la marine, pleins de courage et de dévouement, lui proposèrent de monter les deux barques, et lui jurèrent sur leur tête, qu'ils le conduiraient à New Yorck. Napoléon ne fut point effrayé par le péril d'une aussi longue navigation avec de si frêles embarquemens; mais il sut qu'on ne pourrait point éviter de s'arrêter sur les côtes d'Espagne et de Portugal, pour y prendre des vivres et de l'eau, et il ne voulut point exposer son équipage et lui-même à tomber entre les mains des Portugais et des Espagnols.

Informé qu'un navire américain se trouvait à l'embouchure de la Gironde, il fit partir à franc étrier, le général Lallemand, pour s'assurer de l'existence de ce bâtiment et des sentimens du capitaine. Le général revint en toute hâte lui annoncer que le capitaine serait heureux et glorieux de le soustraire aux persécutions de ses ennemis; mais Napoléon, cédant, dit-on, aux conseils de quelques personnes qui l'entouraient, abandonna l'idée de tenter le passage et se décida à se confier à la générosité anglaise.

Le 14, il fit prévenir l'amiral, qu'il se rendrait le lendemain à son bord.

Le 15 au matin, il s'embarqua avec sa suite, sur le brick l'Épervier, et fut reçu à bord du Bellérophon avec les honneurs dus à son rang et à son infortune. Le général Beker qui avait ordre de ne point le quitter, le suivit. Au moment d'aborder, l'Empereur lui dit: «Retirez-vous, général; je ne veux pas qu'on puisse croire qu'un Français est venu me livrer à mes ennemis!»

Le 16, le Bellérophon mit à la voile pour l'Angleterre.

L'Empereur avait préparé une lettre au prince Régent, que le général
Gourgaud fut chargé de lui porter immédiatement. La voici:

Rochefort, le 13 juillet 1815.

Altesse Royale,

En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique; et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir aux foyers du peuple Britannique. Je me mets sous la protection de ses lois que je réclame de Votre Altesse Royale, comme le plus puissant, le plus constant et le plus généreux de mes ennemis.

Le général Gourgaud eut l'ordre de faire connaître au prince, s'il daignait l'admettre en sa présence, ou à ses ministres, que l'intention de Napoléon était de se retirer dans une province quelconque d'Angleterre, et d'y vivre ignoré et paisible, sous le nom du colonel Duroc.

L'Empereur ne manifesta, dans la traversée, aucune appréhension, aucune inquiétude. Il se reposait avec sécurité sur le noble caractère du peuple anglais.

Arrivé à Plymouth, on ne lui permit point de mettre pied à terre; et bientôt on lui apprit que les puissances alliées avaient décidé qu'il serait considéré comme prisonnier de guerre et renfermé à Sainte-Hélène.

Il protesta solennellement entre les mains de l'amiral Anglais, et à la face du ciel et des hommes, contre la violation de ses droits les plus sacrés, contre la violence exercée envers sa personne et sa liberté.

Cette protestation ayant été vaine, il se soumit avec une résignation calme et majestueuse à l'arrêt de ses ennemis. Il fut transporté à bord du Northumberland, qui fit voile immédiatement pour Sainte-Hélène.

En passant à la hauteur du Cap de La Hague, il reconnut les côtes de la France; il les salua aussitôt; et, étendant ses mains vers le rivage, il s'écria, d'une voix profondément émue: «Adieu, terre des braves! adieu, chère France! quelques traîtres de moins, et tu serais encore la grande nation et la maîtresse du monde.»

Le 17 octobre, on lui fit appercevoir les rochers arides qui allaient devenir les murs de sa prison. Il les contempla sans plaintes, sans agitation, sans effroi.

Le 18, il mit pied à terre; et après avoir protesté derechef contre l'attentat commis sur sa personne, il se rendit d'un pas ferme et assuré au lieu de sa captivité.

Ainsi s'est terminée la vie politique de Napoléon.

On s'est étonné qu'il ait voulu se survivre à lui-même. Il aurait pu se tuer; rien n'est plus facile à l'homme. Mais une fin semblable était-elle digne de lui? Un roi, un grand roi ne doit point mourir de la mort désespérée d'un conspirateur, d'un chef de parti. Il faut, pour me servir des propres expressions de l'illustre captif de Sainte-Hélène, il faut qu'il soit au-dessus des plus rudes atteintes de l'adversité.

Non! il était digne du grand Napoléon, d'opposer l'inflexibilité de son âme à l'inconstance de la fortune; et tel que ce Romain, à qui l'on reprochait de ne s'être point donné la mort après une grande catastrophe, il pourra répondre aussi: «J'AI PLUS FAIT, J'AI VÉCU!»

SORT DES PERSONNES QUI FIGURENT DANS CES MÉMOIRES.

GOUVERNEMENT ROYAL.

MINISTRES.

Le prince de Talleyrand, disgracié, pair de France.
M. Dambray, disgracié, pair de France.
M. l'abbé de Montesquiou, disgracié, pair de France.
Le général Dupont, disgracié, pair de France.
Le maréchal Soult, disgracié, proscrit.
Le duc de Feltre, disgracié, mort.
M. le comte de Blacas, disgracié, pair de France.

MINISTRES D'ÉTAT.

M. le comte Ferrand, disgracié, pair de France.
M. le Vicomte de Chateaubriand, disgracié, pair de France.
M. baron de Vitrolles, disgracié.

MARÉCHAUX.

Le maréchal Marmont, major général de la garde royale.
Le maréchal Macdonald, major général de la garde royale.
Le maréchal Victor, major général de la garde royale.
Le maréchal Gouvion St.-Cyr, ministre de la guerre.

GOUVERNEMENT IMPÉRIAL.

MINISTRES.

Le prince Cambacérès, banni, rentré.
Le prince d'Eckmuhl, pair de France.
Le duc de Vicence, retiré des affaires.
Le duc de Decrès, retiré des affaires.
Le duc d'Otrante, banni.
Le duc de Gaëte, pair de France (lettre close.)
Le comte Mollien, pair de France.
M. Carnot, proscrit.
M. le duc de Bassano, proscrit.

MINISTRES D'ÉTAT.

M. le comte Defermont, proscrit, rappelé.
M. le comte Regnault de St. Jean d'Angely, proscrit rappelé, tué par
l'exil.
M. le comte Boulay (de la Meurthe), proscrit.
M le comte Merlin (de Douay), proscrit.
M. le comte Andréossy, pair de France.

MARÉCHAUX.

Le maréchal Ney, fusillé;
Le maréchal Brune, massacré.
Le prince d'Eckmuhl, pair de France.
Le prince Masséna, disgracié, mort.
Le maréchal Mortier, pair de France.
Le maréchal Jourdan, pair de France.
Le maréchal Soult, proscrit, rappelé.
Le maréchal Lefèvre, pair de France.
Le maréchal Suchet, pair de France.
Le maréchal Grouchy, proscrit.
Le duc de Rovigo, condamné à mort, contumace.
Le comte Bertrand, condamné à mort, contumace.
Le général Drouot, jugé, acquitté, retiré du service.
Le général Cambronne, jugé, acquitté, retiré du service.

GRENOBLE.

Le général Marchand, jugé, acquitté.
Le général Debelle, condamné à mort, pardonné.
Le colonel Labédoyère, fusillé.

LYON.

Le général Brayer, condamné à mort, contumace.
Le général Mouton-Duvernet, fusillé.
Le général Girard, tué à Ligny.

COMPLOT DE COMPIÈGNE ET LAFÈRE.

(Tom. I, pag. 186.)

Le général d'Erlon, condamné à mort, contumace.
Le général Lefêvre-Desnouettes, condamné à mort, contumace.
Les généraux Lallemand (frères), condamnés à mort, contumaces.

BORDEAUX.

Le général Clausel, condamné à mort, contumace.
Les généraux Faucher (frères), fusillés.

VALENCE (Drôme).

Le maréchal Grouchy, proscrit.
Le général Chartran, fusillé.

VENDÉE.

Le général Travot, condamné à mort, détenu à perpétuité.
Le général Lamarque, proscrit, rappelé.

ARMÉES. CHEFS DE CORPS.

Le général Decaen, jugé, acquitté.
Le général Rapp, pair de France.
Le général Reille, pair de France.
Le général de Lobau, proscrit, rappelé.
Le général d'Erlon, condamné à mort, contumace.
Le général Girard, retiré du service.
Le général Vandamme, proscrit.
Le général Excelmans, proscrit, rappelé.
Le général Pajol, retiré du service.
Le général Foi, retiré du service.
Le général Freyssinet, proscrit.
Le général de Bourmont, commandant de la cavalerie de la garde.

MEMBRES DE LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANS.

M. Lanjuinais, président, pair de France.
M. Dupont (de l'Eure), destitué de ses fonctions de président de la cour
de Rouen, Député actuel. Chef de l'opposition.
M. Durbach, proscrit, rappelé.
MM. Defermont, Boulay, Regnault, proscrits.
M. Lafayette, député actuel, opposition.
M. Manuel, député actuel, opposition.
M. Roi, ministre d'état, député.
M. Dupin, avocat, devenu célèbre par son talent et son patriotisme.

COMMISSAIRES NÉGOCIATEURS.

Le général Sébastiani, en activité.
Le comte de Pontécoulant, pair de France.
Le comte Delaforest, pair de France.
Le comte Andréossy, pair de France.
Le comte Boissy-d'Anglas, pair de France.
Le comte de Valence, exclus de la chambre des pairs.
M. de la Besnardière, retiré des affaires.
M. Lafayette, député, opposition.
M D'Argenson, député, opposition.
M. Flaugergues, sans fonctions, opinion neutre.
M. Benjamin Constant, écrivain politique et député.
M. De Lavalette, condamné à mort, arraché à l'échafaud par la piété
conjugale et l'héroïsme de trois Anglais, MM.
Robert Wilson, Bruce et Hutchinson.
M. le général Grenier, député, opposition.
M. le Baron Quinette, banni, rappelé.
M. Thibaudeau, proscrit.
Le général Beker, pair de France.
Le général Flahaut, naturalisé anglais.
M. de Tromeling, maréchal de camp en activité.
L'auteur des mémoires, indépendant.

Fin du deuxième et dernier Volume.

NOTES

[1: Fragment d'une lettre de M. Fouché à l'Empereur, le 21 mars.]

[2: Jeu d'enfant qui consiste à changer continuellement de place et à tâcher de prendre celle de son voisin.]

[3: On m'a assuré depuis, que M. Réal l'avait fait prévenir par Madame Lacuée, sa fille, que l'Empereur savait tout.]

[4: La plupart des députés n'étaient point encore nommés; mais il m'était bien permis d'anticiper sur les événemens.]

[5: Lorsque le duc d'Otrante devint ministre du Roi, et fut chargé de dresser les listes de proscription, je voulus savoir à quoi m'en tenir sur les effets de son ressentiment et je lui écrivis pour sonder ses dispositions. Il me fit appeler, m'accueillit avec beaucoup de bonté, et m'assura de sa protection et de son amitié: «Vous faisiez votre devoir, me dit-il, et je faisais aussi le mien. J'avais prévu que Bonaparte ne pourrait point se soutenir. C'était un grand homme, mais il était devenu fou. J'ai dû faire ce que j'ai fait, et préférer le bien de la France à toute autre considération.»

Le duc d'Otrante se conduisit avec la même générosité vis-à-vis de la plupart des personnes dont il avait eu à se plaindre; et s'il fut forcé d'en comprendre quelques-unes au nombre des proscrits, il eut du moins le mérite de leur faciliter par des avis, par des passeports, souvent par des prêts d'argent, les moyens d'échapper à la mort ou aux fers qui leur étaient réservés.]

[6: Ce préambule, qui tua l'acte additionnel, est, je crois, l'ouvrage de M. Benjamin Constant.]

[7: Ce tableau et celui dont il est question art. 33, n'étant d'aucune importance, n'ont point été joints ici.]

[8: Malgré la charte et les lois rendues chaque jour, on est encore obligé de revenir journellement aux règles établies par l'ancienne législation du sénat.]

[9: Paroles bien connues des Cortès d'Aragon aux rois d'Espagne lors de leur couronnement.]

[10: L'Empereur avait ordonné de brûler cette proclamation; mais je la trouvai si belle, que je crus devoir la conserver. Au moment du départ de Napoléon pour l'armée, je n'étais point à Paris; un premier commis du cabinet, M. Rathery, l'ayant trouvée dans mes cartons, eut le courage de la jeter au feu.]

[11: Je parle en général; je sais qu'il est des départemens où les colléges électoraux, par des causes différentes, ne furent composés que d'un petit nombre d'individus.]

[12: Voici sur le jeune Napoléon une anecdote que je n'ai lue nulle part. Lorsqu'il vint au monde, on le crut mort: il était sans chaleur, sans mouvemens, sans respiration. M. Dubois (accoucheur de l'Impératrice) faisait des efforts multipliés pour le rappeler à la vie, lorsque partirent successivement les 100 coups de canon destinés à célébrer sa naissance; la commotion et l'ébranlement qu'ils occasionnèrent, agirent si fortement sur les organes du royal enfant, qu'il reprit ses sens.]

[13: L'Empereur Alexandre, lors de l'événement de Fontainebleau, avait garanti au duc de Vicence, pour Napoléon, la possession de l'île d'Elbe. M. de Talleyrand et les ministres étrangers lui remontrèrent vivement les dangers de laisser l'Empereur sur un point aussi rapproché de la France et de l'Italie, et le conjurèrent de ne point s'opposer à ce qu'on le forçât de choisir une autre retraite. Alexandre, fidèle à ses engagemens ne voulut point y consentir. Lorsque l'Empereur reparut, Alexandre se fit un point d'honneur de réparer la noble faute qu'il avait commise, et devint plutôt par devoir que par animosité, l'ennemi le plus acharné de Napoléon et de la France.]

[14: Il avait, en Allemagne et en Angleterre, des agens qui l'instruisaient avec une exactitude parfaite de tout ce qui s'y passait; il est vrai que ces agens lui faisaient acheter chèrement leurs services. Il avait notamment à Londres deux personnes qui lui coûtaient 2000 guinées par mois. «Si mes Allemands, dit-il à ce sujet, étaient aussi chers, il faudrait y renoncer.»]

[15: Foyer ordinaire de la rébellion.]

[16: Les secours si pompeusement annoncés par les émissaires royalistes se réduisirent à 2,400 fusils et à quelques barils de poudre. Les chefs de l'insurrection, trompés dans leur attente, reprochèrent amèrement à M. de la Roche-Jaquelin de les avoir abusés et compromis par de fausses promesses.]

[17: L'Empereur avait destiné ce commandement en chef au duc de Rovigo, ou au général Corbineau; mais il prévit qu'on serait peut-être obligé d'en venir à des mesures de rigueur; et il ne voulut point qu'elles fussent dirigées par un officier attaché à sa personne.]

[18: L'Empereur considéra cette mesure rigoureuse comme une juste représaille des moyens employés par les chefs Vendéens pour recruter leur armée. Voici ces moyens.

Lorsque les familles qui règnent dans la Vendée, ont résolu la guerre, elles envoient l'ordre à leurs agens de parcourir les campagnes pour prêcher la révolte et pour indiquer à chaque paroisse le nombre d'hommes qu'elle doit fournir. Les chefs d'insurrection de chaque paroisse désignent alors les paysans qui doivent partir, et leur enjoignent de se rendre tel jour, à telle heure, au lieu fixé pour le rassemblement. S'ils y manquent, on les envoye chercher par des bandes armées, composées ordinairement des hommes les plus redoutés dans le pays; s'ils résistent, on les menace de les fusiller ou d'incendier leurs maisons; et comme cette menace n'est jamais vaine, les malheureux paysans obéissent et partent.

On a prétendu que l'Empereur avait donné l'ordre de mettre à prix la tête des chefs des insurgés; les instructions données au ministre de la guerre ont été transcrites par moi, et je ne me rappelle nullement qu'il y fût question d'un ordre semblable.]

[19: 14,000,000 francs avaient été affectés à la reconstruction des maisons incendiées.]

[20: Elles annonçaient et promettaient aux Napolitains le rétablissement sur le trône de Ferdinand leur ancien roi.]

[21: Les départemens du Centre et de l'Est se distinguèrent particulièrement. Un grand nombre de leurs habitans donnèrent des sommes considérables, et firent équiper, à leurs frais, des compagnies, des bataillons, des régimens entiers de partisans ou de gardes nationaux.

À Paris, un seul citoyen, M. Delorme, propriétaire du beau passage du même nom, offrit à la patrie cent mille francs.

Un autre fit remettre à l'Empereur, le jour de la revue de la garde nationale, un rouleau de papier attaché avec un ruban de la légion d'honneur. On l'ouvrit; il renfermait vingt-cinq mille francs, en billets de banque, avec ces mots: à Napoléon, à la patrie. L'Empereur voulut connaître l'auteur de cette mystérieuse et délicate offrande; et il parvint à savoir qu'elle était due à M. Gevaudan, dont plusieurs actions semblables lui avaient déjà révélé les nobles sentimens et le patriotisme.]

[22:

Votes. Affirmatifs……. 1,288,357
        Négatifs………. 4,207

Armées. Affirmatifs……. 222,000
        Négatifs………. 320

Marine. Affirmatifs……. 22,000
        Négatifs………. 275

31 départemens n'envoyèrent point à tems leurs registres. Un grand nombre de soldats, ne sachant pas signer, ne votèrent point; et les registres de 14 régimens ne parvinrent qu'après le recensement des votes.]

[23: Montesquieu. Grandeur et Décadence des Romains.]

[24: Jour de l'apparition de l'Acte du Congrès.]

[25: À l'époque de la discussion de l'acte additionnel, M. de Bassano, causant avec l'Empereur, de la chambre des députés, lui dit, que le mutisme du corps législatif était une des choses qui avait le plus contribué à décréditer le gouvernement impérial: «Mon corps législatif muet lui répondit, en riant, Napoléon, «n'a jamais été bien senti. C'était un grand jury législatif. Si l'on trouve bon que douze jurés prononcent par oui, ou par non, sur la vie et l'honneur de leurs concitoyens, pourquoi trouver étrange ou tyrannique que 500 jurés, choisis parmi l'élite de la nation, prononcent de la même manière sur nos simples intérêts sociaux?»]

[26: Il avait épousé une demoiselle Beauharnais, si célèbre depuis par son généreux dévouement.]

[27: Ce fut le duc de Vicence qui, le premier, conçut l'idée de conférer la pairie à de grands propriétaires et à des négocians renommés. Il n'était point d'avis que la pairie devînt héréditaire, et que le choix des pairs fût exclusivement laissé à la couronne. Il aurait désiré que les grands propriétaires, les manufacturiers, les négocians du premier ordre, les hommes de lettres, les publicistes, les jurisconsultes qui se seraient fait un grand nom, fussent admis à proposer une liste de candidats, parmi lesquels l'Empereur aurait été libre de choisir un certain nombre de pairs.]

[28: Lucien Bonaparte n'avait point été reconnu prince de la famille impériale par les anciens statuts. Il pouvait en conséquence être considéré comme ne faisant pas partie de droit de la chambre des pairs.]

[29: Cette opinion n'empêchait point l'Empereur de rendre justice au courage et au patriotisme que M. Lanjuinais avait montrés dans des circonstances difficiles.]

[30: Avocat célèbre, défenseur du maréchal Ney et des trois généreux libérateurs de M. de Lavalette, Wilson, Bruce, et Hutchinson.]

[31: Depuis ministre des finances du Roi.]

[32: MM. Dupin et Roi qui lui paraissaient les chefs du parti de l'insurrection.]

[33: Elle fut attaquée et prise, le 30 Avril, près l'île d'Ischia.]

[34: Félix Lepelletier.]

[35: Le duc d'Otrante excellait dans l'art de contourner les faits à sa guise. Il les aggravait, ou les atténuait, avec tant de talent, les groupait avec tant d'adresse, en déduisait les conséquences avec tant de naturel, qu'il parvenait souvent à fasciner Napoléon. Pour le tromper et le séduire plus sûrement, il l'accablait, dans ses rapports, de protestations d'attachement, de fidélité; et il avait soin de se ménager l'occasion d'y ajouter des apostilles de sa main, dans lesquelles il faisait valoir et briller adroitement son dévouement, son discernement et son activité. Généralement tous ses rapports étaient marqués au même coin: beaucoup d'astuce, beaucoup de talent; ils offraient à l'oeil le rare et précieux assemblage de l'esprit et de la raison, de la modération et de la fermeté; on y reconnaissait à chaque mot l'administrateur habile, le profond politique, l'homme d'état consommé; en un mot, rien n'aurait manqué à M. Fouché, pour être placé au rang des grands ministres, s'il eût été ce que j'appelerai un ministre honnête homme.]

[36: Le 5e corps devint l'armée du Rhin, et le 6e qui d'abord n'était qu'un corps de réserve, prit sa place sans changer de numéro.]

[37: L'ascendant qu'il exerçait sur l'esprit et le courage des soldats était vraiment incompréhensible. Un mot, un geste suffisait pour les enthousiasmer et leur faire affronter avec une aveugle joie les plus effroyables dangers. Ordonnait-il mal à propos de se porter sur tel point, d'attaquer tel autre: l'inconséquence ou la témérité de cette manoeuvre frappait d'abord le bon sens des soldats; mais ils pensaient ensuite que leur général n'aurait point donné un pareil ordre sans motif et ne les aurait point exposés impunément. «Il sait bien ce qu'il fait, disaient ils;» et ils s'élançaient à la mort aux cris de Vive l'Empereur!]

[38: Ces agens soudoyés par le Roi, allaient et revenaient de Gand à Paris et de Paris à Gand. M. le duc d'Otrante qui sans doute avait de bonnes raisons pour les connaître, offrit à l'Empereur de lui procurer des nouvelles de ce qui se passait au-delà des frontières; et ce fut par eux que l'Empereur connut en grande partie la position des armées ennemies. Ainsi M. le duc d'Otrante, si l'on en croit les apparences, livrait d'une main à l'ennemi le secret de la France, et livrait de l'autre à Napoléon le secret des étrangers et des Bourbons.]

[39: L'Empereur, avant de quitter Paris, avait conçu le projet de rendre les plaines de Fleurus témoins de nouveaux combats. Il avait fait appeler le maréchal Jourdan, et en avait tiré une foule de renseignemens stratégiques très-importans.]

[40: Le duc de Trévise, à qui Napoléon avait confié le commandement de la jeune garde, fut atteint, à Beaumont, d'une sciatique qui le força de se mettre au lit.]

[41: GAUCHE,

Sous le maréchal Ney.

1er Corps.

Infanterie. 16,500
Cavalerie. 1,500

2e Corps.

Infanterie. 21,000
Cavalerie. 1,500
Cavalerie Desnouettes. 2,100

Cuirassiers Kellerman. 2,600
                                   ———
                                   45,200

Artillerie à cheval et à pied. 2,400

Et 116 bouches à feu.

DROITE,

Sous le maréchal Grouchy.

3e Corps.

Infanterie. 13,000
Cavalerie. 1,500

4e Corps.

Infanterie. 12,000 Cavalerie. 1,500 Cavalerie Pajol. 2,500 Cavalerie Excelmans. 2,600 Cuirassiers Milhaud. 2,500 ——— 35,600

Artillerie à pied et à cheval. 2,250

Et 112 bouches à feu.

CENTRE ET RÉSERVE,

Sous l'Empereur.

6e Corps.

Infanterie. 11,000
Vieille garde. 5,000
Moyenne garde. 5,000
Jeune garde. 4,000
Grenadiers à cheval. 1,200
Dragons. 1,200
                                   ———
                                   27,400

Artillerie à pied et à cheval. 2,700

Et 134 bouches à feu.

Récapitulation.

Infanterie. 87,500
Cavalerie. 20,800
Artillerie à pied et à cheval. 7,350
Génie. 2,200
                                   ———
                            Total 117,850 hommes.

Bouches à feu, 362.

]

[42: Le général Blucher n'avait point eu le tems de rappeler la totalité de ses forces.]

[43: Cette conjecture était fondée; mais Blucher qui avait échappé à Grouchy, s'était mis en communication par Ohaim avec Wellington, et lui promit de faire une diversion sur notre droite. Wellington qui avait préparé sa retraite, resta.]

[44: J'ai entendu dire que l'officier, porteur de cet ordre, au lieu de suivre la route directe, avait cru devoir faire un immense détour pour éviter l'ennemi.]

[45:

2e Corps.

Infanterie 16,500 ) ) 18,000 Cavalerie 1,500 )

1er Corps.

Infanterie 12,500 ) ) 13,700 Cavalerie 1,200 )

6e Corps.

Infanterie. 7,000 7,000 (4000 avaient été réunis à Grouchy)

Division Domont et Suberwick. 2,500
Cuirassiers. 4,800

Garde à pied. 12,500 )
Cavalerie légère. 2,100 ) 16,600
Grenadiers et dragons. 2,000 )

Artillerie. 4,500
                                ———
                                67,100

Division Girard. 3,000

]

[46: Ce corps s'était rallié à l'armée Prussienne depuis la bataille de Ligny.]

[47: L'ennemi, lui-même, avoue qu'il crut en ce moment la bataille perdue. «Le désordre, dit Blucher, se mettait dans les rangs Anglais; la perte avait été considérable; les réserves avaient été avancées en ligne; la position du duc était des plus critiques; le feu de mousqueterie continuait le long du front; l'artillerie avait été retirée en seconde ligne.»

J'ajouterai qu'un désordre bien plus grand encore régnait sur les derrières de l'armée Anglaise; les issues de la forêt de Soignes étaient encombrées de caissons, d'artillerie, de bagages abandonnes par leurs guides; et de nombreuses troupes de fuyards, avaient été répandre la confusion et l'effroi à Bruxelles et sur les routes voisines.

Si nos succès n'eussent point été interrompus par la marche de Bulow, ou si le maréchal Grouchy (comme l'Empereur devait l'espérer) eût suivi les traces des Prussiens, jamais victoire plus glorieuse n'aurait été remportée par les Français. Il ne serait point échappé un seul homme de l'armée du duc de Wellington.]

[48: On a su depuis que c'était le général Ziethen qui, lors de son arrivée en ligne, avait pris les troupes commandées par le prince de Saxe-Veimar pour des Français, et les avait forcées, après une fusillade très-vive, d'abandonner un petit village qu'elles étaient chargées de défendre.]

[49: Ils avaient à leur tête les généraux Petit et Palet de Morvan.]

[50:

Hommes. La perte générale de l'armée du duc de Wellington, en tués ou blessés, fut d'environ 25,000

Et celle du prince Blucher, de 35,000 ——— 60,000

Celle des Français peut-être évaluée, savoir

Le 15 et le 16, tués ou blessés, à 11,000 Le 18, tués ou blessés, à 18,000 Prisonniers 8,000 ——— 37,000

La perte des Français eût été plus considérable sans la généreuse sollicitude que leur témoignèrent les habitans de la Belgique. Après la victoire de Fleurus et de Ligny, ils accoururent sur le champ de bataille, consoler les blessés et leur prodiguer des secours. Rien n'était plus touchant que le tableau d'une foule de femmes et de jeunes filles, cherchant à ranimer, par des liqueurs bienfaisantes, la vie éteinte de nos malheureux soldats, tandis que leurs époux et leurs frères soutenaient nos blessés dans leurs bras, épanchaient leur sang, et fermaient leurs blessures.

La précipitation de notre marche ne nous avait pas permis de faire préparer des transports et des ambulances pour recevoir nos blessés. Les sensibles et bons habitans de la Belgique y pourvurent avec empressement. Ils enlevèrent nos pauvres Français du champ de bataille, et leur offrirent un asile et tous les soins qui leur étaient nécessaires.

Lors de notre retraite, ils nous prodiguèrent des témoignages d'intérêt non moins attendrissans et non moins précieux. Bravant la colère des féroces Prussiens, ils quittèrent leurs foyers pour nous enseigner les issues propices à notre fuite, pour diriger notre marche à travers les colonnes ennemies; quand ils se séparaient de nous, ils nous suivaient encore des yeux, et nous exprimaient au loin combien ils étaient heureux d'avoir pu nous sauver.

Lorsqu'ils surent qu'un grand nombre de Français étaient restés prisonniers du vainqueur, ils s'empressèrent de leur offrir et de leur prodiguer des consolations et des secours.

Le prince d'Orange lui-même, aussi redoutable au fort des combats que magnanime après la victoire, devint le protecteur zélé d'une foule de braves qui, ayant appris sur le champ de bataille à l'estimer, avaient invoqué noblement son appui.

Enfin, pour acquitter complétement la dette de la reconnaissance, à l'époque de douloureuse mémoire où les persécutions, l'exil, la mort, forcèrent tant de Français de fuir le sol de la patrie, les habitans de la Belgique, toujours sensibles, toujours bienfaisans, ouvrirent leurs portes hospitalières à nos infortunés proscrits; et plus d'un brave, déjà préservé par eux de la vengeance de l'étranger, fut une seconde fois soustrait par leurs mains généreuses à la fureur d'ennemis plus implacables encore.]

[51: Je dis 50,000 hommes, car plus de 10,000 hommes de la garde ne prirent point de part à l'action.]

[52: Ce trait m'a été raconté; mais en voici un dont j'ai été témoin. Un cuirassier, au fort de la bataille, avait eu les bras hachés à coups de sabre; «je vais me faire panser, dit-il, en écumant de rage, si je ne puis me servir de mes bras, je me servirai de mes dents… je les mangerai!»]

[53: Parmi ces lettres imprimées, il s'en trouve une de moi écrite de Bâle à l'Empereur au sujet de M. Werner.]

[54: M. de Flahaut voyait juste, car il paraît certain que le maréchal Grouchy avait eu des pourparlers avec les alliés, et qu'un arrangement, à la manière du duc de Raguse, allait être signé, lorsque le général Excelmans fit arrêter le colonel Prussien envoyé au maréchal pour conclure le traité déjà convenu.]

[55: Cet avis était faux.]

[56: On voit combien est injuste le reproche fait à Napoléon d'avoir, dans ce bulletin, trahi la vérité et calomnié l'armée.]

[57: Nom donné à la partie des pays qui avoisinent les côtes.]

[58: Cette affaire et la mort de La Roche-Jaquelin eurent lieu le 11 juin, et ne furent connues à Paris que le 19.]

[59: Cette résolution fut envoyée également à la chambre des pairs, mais la chambre, reconnaissant qu'elle n'avait pas le droit de mander les ministres, se borna, vu les circonstances, à donner son approbation aux trois premiers articles.]

[60: Le duc d'Otrante en effet écrivit à M. Manuel.]

[61: Cette réponse fut tronquée par le président; la voici dans toute son intégrité.]

[62: On ne lui avait point donné, dans cette délibération, le titre d'Empereur. On s'était borné à le nommer Napoléon Bonaparte.]

[63: La chambre des pairs se trouvait par conséquent anéantie et exclue de toute participation au gouvernement.]

[64: Conformément aux ordres qui lui avaient été donnés, le maréchal Grouchy s'était borné, dans la journée du 17, à observer les Prussiens; mais il ne l'avait point fait avec l'ardeur et la sagacité qu'on avait lieu d'attendre d'un général de cavalerie aussi consommé. La timidité avec laquelle il les poursuivit, leur inspira sans doute l'idée de se porter impunément sur les derrières de l'Empereur.

Le 18, à neuf heures du matin seulement, il quitta ses cantonnemens pour marcher sur Wavres; parvenu à la hauteur de Valhain, il entendit la canonnade de Mont-Saint-Jean; sa vivacité, toujours croissante, ne permettait pas de douter que l'affaire ne fût excessivement sérieuse. Le général Excelmans proposa de marcher au canon par la rive gauche de la Dyle. «Ne sentez-vous donc point, dit-il au maréchal, que le canon fait trembler la terre sous vos pas? marchons droit au lieu où l'on se bat!» Ce conseil, qui aurait sauvé l'armée, s'il eût été suivi, ne le fut pas. Le maréchal continua lentement ses mouvemens: à deux heures, il arriva devant Wavres. Les corps des généraux Vandamme et Gérard cherchèrent à s'ouvrir un passage, et perdirent inutilement du monde et du tems. À sept heures du soir, il reçut, suivant sa déclaration, l'ordre du major-général de marcher sur Saint-Lambert et d'attaquer Bulow; ce qu'aurait dû lui suggérer plus tôt l'épouvantable canonnade de Waterloo et l'ordre donné par la première dépêche reçue le matin, de se rapprocher de la grande armée, et de se mettre avec elle en rapport d'opération. Il le fit alors. Il fut passer la Dyle au pont de Limale, et s'empara des hauteurs sans éprouver de résistance; mais la nuit étant survenue, il s'arrêta.

À trois heures du matin, le général Thielman voulut essayer de faire repasser la Dyle à nos troupes; il fut repoussé victorieusement. La division Teste, la cavalerie du général Pajol, le forcèrent d'évacuer Bielge et Wavres. Le corps de Vandamme tout entier passa la Dyle, enleva Rosieren et s'établit en maître sur la route de Wavres à Bruxelles.

Le maréchal Grouchy, quoique l'Empereur lui eût recommandé d'entretenir les communications et de lui donner fréquemment de ses nouvelles, ne s'était nullement inquiété de ce qui s'était passé à Mont-Saint-Jean, et il se disposait à continuer aveuglément ses mouvemens, lorsqu'un aide-de-camp du général Gressot vint annoncer (il était midi) les désastres de la veille. Le maréchal sentit alors, mais trop tard, l'horrible faute qu'il avait commise, en restant nonchalamment sur la rive droite de la Dyle. Il opéra sa retraite, sur deux colonnes, par Temploux et Namur.

Le 20 au matin, son arrière-garde fut assaillie et entamée, la division Teste, la cavalerie d'Excelmans, rétablirent l'ordre. Le 20e de dragons et son digne colonel le jeune Briqueville reprirent à l'ennemi deux pièces qu'ils nous avaient enlevées; le général Clary et ses hussards sabrèrent sa cavalerie. L'armée gagna tranquillement Namur. L'infatigable division du général Teste fut chargée de défendre cette ville, et elle s'y maintint glorieusement jusqu'à ce que nos bagages et nos blessés l'eussent évacuée, et que nos troupes se fussent mises en sûreté, sur les hauteurs de Dinan et de Bouvine.

Le 22, toute l'armée était réunie à Rocroi. Le 24, elle fit sa jonction avec les restes de Mont-Saint-Jean que l'Empereur avait ordonné de diriger sur Rheims. Le 25, elle marcha sur la capitale. Pendant sa retraite, elle fut en butte aux attaques acharnées des Prussiens. Elle les repoussa toutes avec vigueur et fermeté. Le noble désir de réparer le mal involontaire qu'elle nous avait fait à Mont-Saint-Jean, enflammait les âmes de la plus vive ardeur; et peut-être cette armée de braves aurait-elle changé sous les murs de Paris, les destinées de la France, si l'on n'eût point comprimé ou trahi les inspirations de son patriotisme et de son généreux désespoir.]

[65: Celui de forcer Napoléon à abdiquer.]

[66: La plupart des pairs avaient des commandemens dans l'armée.]

[67: Expressions littérales de la commission du général Beker.]

[68: Je me hâte de rendre ici au général l'hommage qu'il mérite; il sut parfaitement concilier son devoir avec les égards et le respect dus à Napoléon et à son malheur.]

[69: Sa cour, jadis si nombreuse, n'était plus habituellement composée que du duc de Bassano, du comte de Lavalette, du général Flahaut, et des personnes qui devaient partir avec lui, telles que ses officiers d'ordonnance, le général Gourgaud, les comtes de Montholon, de Lascases, et le duc de Rovigo. Le dévouement qui portait ce dernier à suivre Napoléon, était d'autant plus honorable que Napoléon, lors de son retour de l'île d'Elbe, lui reprocha fort durement de l'y avoir négligé. Il passe cependant dans l'opinion (et c'est bien à tort) pour être un des artisans du 20 Mars; mais dans tous les tems, il eut à se plaindre de l'opinion. Elle lui impute une foule d'actions méchantes auxquelles il ne prit véritablement aucune part, et que souvent même il s'efforça d'empêcher. L'Empereur l'employait à toutes mains, parce qu'il lui trouvait un jugement hardi et net, un esprit fin, et une grande habileté pour apercevoir les conséquences d'une chose, et prendre lestement un parti. On a jeté des soupçons défavorables sur les motifs qui déterminèrent Napoléon à lui confier le ministère de la police; il ne fut appelé à ce poste important que parce que l'Empereur avait l'expérience de l'infidélité du duc d'Otrante qui lui échappait dans toutes les occasions difficiles, et qu'il voulut le remplacer par un homme d'un dévouement éprouvé, par un homme qui, étranger à la révolution, et n'ayant aucun parti à ménager, pût ne servir que lui et faire son devoir sans tergiversation.]

[70: Cette épithète n'était point une insulte dans la bouche de Napoléon. Il s'en servait habituellement, même avec ses ministres, lorsqu'ils montraient de l'irrésolution.]

[71: Les inquiétudes que lui ont donné la terreur de 1815, l'ont conduite au tombeau. Qu'on me pardonne ces détails et cette note.]

[72: Détails communiqués.]

[73: C'est-à-dire, marqua avec des épingles les positions des ennemis.]

[74: L'Empereur instruit des manoeuvres de M. Fouché, dit: «il est toujours le même, toujours prêt à mettre son pied dans le soulier de tout le monde.»]

[75: Ces résolutions consistaient dans l'envoi du général Beker à la Malmaison pour y garder à vue Napoléon.]

[76: La Chambre vota, le 2 juillet, une adresse aux Français. Cette adresse, morte en naissant, avait rapport à la situation politique de la France vis-à-vis des alliés. Elle m'a paru offrir peu d'intérêt, et j'ai cru devoir me dispenser d'en faire une mention spéciale. Elle donna lieu cependant à un incident remarquable. M. Manuel, rédacteur principal de cette adresse, n'avait pas jugé convenable d'y parler du successeur de l'Empereur, et la chambre décida qu'on ajouterait dans l'adresse, que NAPOLÉON II avait été appelé à l'Empire.]

[77: On sent que je raisonne ici, comme partout ailleurs, dans le sens du mandat donné à la commission.]

[78: Ces dépêches n'ayant aujourd'hui aucun intérêt, je ne les rapporterai point.]

[79: Si l'on en croit la déclaration de Macirone, confirmée par le témoignage de deux autres agens secrets, MM. Maréchal et St. Jul***, le duc d'Otrante écrivit à lord Wellington par une lettre dont M. Macirone fut porteur, et qu'il cacha dans ses bas, que l'exaltation des fédérés et des Bonapartistes était au comble et qu'il ne serait plus possible de les contenir, si le duc de Wellington ne se hâtait de venir mettre fin à leurs fureurs par l'occupation de Paris.]

[80: Ce fut dans ce moment, que l'Empereur déclara au gouvernement qu'il était sûr d'écraser l'ennemi, si on voulait lui confier le commandement de l'armée.]

[81: Adresse de l'armée à la Chambre des Représentans.

Représentans du peuple,

Nous sommes en présence de nos ennemis; nous jurons entre vos mains et à la face du inonde, de défendre jusqu'au dernier soupir, la cause de notre indépendance et l'honneur national. On voudrait nous imposer les Bourbons, et ces princes sont rejetés par l'immense majorité des Français. Si on pouvait souscrire à leur rentrée, rappelez-vous, Représentans, qu'on aurait signé le testament de l'armée, qui, pendant vingt années, a été le palladium de l'honneur français. Il est à la guerre, surtout lorsqu'on la fait aussi longuement, des succès et des revers. Dans nos succès, on nous a vus grands et généreux; dans nos revers, si on veut nous humilier, nous saurons mourir.

Les Bourbons n'offrent aucune garantie à la nation. Nous les avions accueillis avec les sentimens de la plus noble confiance; nous avions oublié tous les maux qu'ils nous avaient causés par un acharnement à vouloir nous priver de nos droits les plus sacrés. Eh bien, comment ont-ils répondu à cette confiance? Ils nous ont traités comme rebelles et vaincus.

Représentans, ces réflexions sont terribles, parce qu'elles sont vraies. L'inexorable histoire racontera un jour ce qu'ont fait les Bourbons pour les remettre sur le trône de France; elle dira aussi la conduite de l'armée, de cette armée essentiellement nationale; et la postérité jugera qui mérita le mieux l'estime du monde.

Au camp de la Villette, 30 juin 1815, 3 heures après midi.

     Signé, le maréchal ministre de la guerre, prince d'ECKMUHL, le
     général en chef comte VANDAMME; les lieutenans généraux comte
     PAJOL, baron FREYSSINET, comte ROGUET, BRUNET, baron LORCET,
     AMBERT; les maréchaux de camp comte HARLET, PETIT, baron
     CHRISTIANI, baron HENRION, Marius CLARY, CHARTRAN, CAMBRIEL,
     JEANNET, le major GUILLEMAIN.
]

[82: On voit, d'après ce passage, que Wellington avait sans doute communiqué au prince Blucher la lettre de M. Fouché.]

[83: Cette proclamation est du duc d'Otrante.]

[84: Elles furent publiées par ordre de la chambre.]

[85: Les événemens ont justifié la prudence des maréchaux; mais je ne juge pas les événemens, je les expose.]

[86: Le 23 Juin, M. Carnot, après avoir déposé à la chambre des pairs l'acte d'abdication de l'Empereur, entra dans quelques détails sur l'état de l'armée. Le maréchal Ney se leva et dit… «Ce que vous venez d'entendre est faux, de toute fausseté. Le maréchal Grouchy et le duc de Dalmatie, ne sauraient rassembler soixante mille hommes… le maréchal Grouchy n'a pu rallier que sept à huit mille hommes; le maréchal Soult n'a pu tenir à Rocroy; vous n'avez plus d'autre moyen de sauver la patrie, que les négociations.» M. Carnot et le général de Flahaut réfutèrent sur-le-champ cette imprudente dénégation. Le général Drouot acheva de foudroyer le maréchal à la séance suivante… «J'ai vu avec chagrin, dit-il ce qui a été dit pour affaiblir la gloire de nos armées, exagérer nos désastres ou diminuer nos ressources. Je dirai ce que je pense, ce que je crains, ce que j'espère; vous pouvez compter sur ma franchise. Mon attachement à l'Empereur ne peut être douteux; mais avant tout et par dessus tout, j'aime ma patrie.» Le général fit alors un récit avéré et véridique des batailles de Ligny et de Mont-St.-Jean; et après avoir justifié l'Empereur des torts qu'on cherchait indirectement à lui imputer, il reprit: «tel est l'exposé de cette funeste journée; elle devait mettre le comble à la gloire de l'armée française, détruire toutes les vaines espérances de l'ennemi, et peut-être donner très-prochainement la paix à la France… Mais le ciel en a décidé autrement… Quoique nos pertes soient considérables, notre position n'est cependant pas désespérée; les ressources qui nous restent sont bien grandes, si nous voulons les employer avec énergie… une semblable catastrophe ne doit pas décourager une nation grande et noble comme la nôtre… Après la bataille de Cannes, le sénat Romain vota des remerciemens au général vaincu, parce qu'il n'avait point désespéré du salut de la république, et s'occupa sans relâche de lui donner les moyens de réparer les désastres qu'il avait occasionnés… Dans une circonstance moins critique, les représentans de la nation se laisseront-ils abattre? et oublieront-ils les dangers de la patrie pour s'occuper de discussions intempestives au lieu de recourir à un remède qui assure le salut de la France.]

[87: Les plénipotentiaires, partis de Laon le 26 juin, arrivèrent le 1er juillet au quartier général des souverains alliés à Haguenau.

Les souverains ne jugèrent point convenable de leur accorder d'audience, et nommèrent pour les entendre: l'Autriche, le comte de Walmoden; la Russie, le comte de Capo d'Istria; la Prusse, le général Knesbeck; l'ambassadeur d'Angleterre, lord Stewart, n'ayant point de pouvoir ad hoc, fut invité simplement à assister aux conférences.

Lord Stewart ne manqua point, ainsi que les instructions donnés aux plénipotentiaires l'avaient prévu, de contester la légitimité de l'existence des chambres et de la commission, et demanda aux députés Français, de quel droit la nation prétendait expulser son Roi et se choisir un autre souverain?

«Du droit, lui répondit M. de La Fayette, qu'eut la Grande-Bretagne de déposer Jacques, et de couronner Guillaume.»

Cette réponse ferma la bouche au ministre anglais.

Les plénipotentiaires, avertis par cette question des dispositions des alliés, s'attachèrent moins à obtenir Napoléon II qu'à repousser Louis XVIII. Ils déclarèrent, dit-on, que la France avait pour ce souverain et sa famille une aversion invincible, et qu'il n'était aucun prince qu'elle ne consentît à adopter, plutôt que de rentrer sous leur domination. Ils insinuèrent enfin, que la nation pourrait agréer le duc d'Orléans, ou le roi de Saxe, s'il ne lui était pas possible de conserver le trône au fils de Marie-Louise.

Les ministres étrangers, après quelques pourparlers insignifians, terminèrent poliment la conférence; et le soir les plénipotentiaires français furent congédiés par la note ci-après.

Haguenau, 1er Juillet.

«D'après la stipulation du traité d'alliance qui porte qu'aucune des parties contractantes ne pourra traiter de paix ou d'armistice que d'un commun accord, les trois cours, qui se trouvent réunies, l'Autriche, la Russie et la Prusse, déclarent ne pouvoir entrer présentement dans aucune négociation; les cabinets se réuniront aussitôt qu'il sera possible.

«Les trois puissances regardent comme une condition essentielle de la paix et d'une véritable tranquillité, que Napoléon Bonaparte soit hors d'état de troubler, dans l'avenir, le repos de la France et de l'Europe; et d'après les événemens survenus au mois de mars dernier, les puissances doivent exiger que Napoléon Bonaparte soit remis à leur garde.

(Signé) WALMODEN, CAPO D'ISTRIA, KNESBECK.]

[88: Cette constitution, calquée sur l'acte additionnel, n'en différait que par l'abolition de la noblesse héréditaire, et encore M. Manuel qui développa dans cette discussion un talent du premier ordre, était-il d'avis que la noblesse ne fût point supprimée, comme étant essentiellement nécessaire dans une monarchie. Si j'avais à faire l'éloge de l'acte additionnel et le procès à ses contempteurs, je me bornerais à leur nommer cette constitution.]

[89: Cette chambre, depuis l'abdication de Napoléon, ne fut plus qu'une superfétation. Le départ des pairs qui faisaient partie de l'armée, acheva de la plonger dans une nullité absolue. Sans patriotisme, sans énergie, elle se bornait à sanctionner de mauvaise grâce les mesures adoptées par les représentans. M. Thibaudeau, M. de Ségur, M. de Bassano et quelques autres, s'élevèrent seuls à la hauteur des circonstances; M. Thibaudeau se fit particulièrement remarquer, le 28 juin et le 2 juillet, par deux discours sur notre position politique, qui furent regardés alors et le seront long-tems encore, comme de beaux monumens de courage, de patriotisme et d'éloquence.]

[90: Je rappelle ici l'observation précédente, que je me borne à raconter les faits, sans les juger.]

[91: Le 8 juillet, M. de Vitrolles fit insérer dans le Moniteur l'article officiel suivant.

«Paris, ce 7 juillet.—La commission de gouvernement a fait connaître au Roi, par l'organe de son président, qu'elle venait de se dissoudre.»

Cet article, composé dans le dessein de faire croire à la France et à l'Europe que la commission avait déposé volontairement son autorité dans les mains du Roi, excita les vives réclamations du duc de Vicence. Incapable de transiger avec son devoir, avec la vérité, il se rendit sur-le-champ chez le ministre du Roi (le duc d'Otrante), lui reprocha durement d'avoir compromis la commission, et lui déclara qu'il ne sortirait point de chez lui sans avoir obtenu son désaveu formel. Le ministre protesta que cet article n'était point son ouvrage, et consentit à le désavouer.

Le comte Carnot, le Baron Quince, le général Grenier, s'étant joints au duc de Vicence, ce dernier écrivit dans le cabinet du duc d'Otrante, la lettre ci-après, dont il est inutile, je pense, de faire remarquer la hardiesse et la fermeté.

«Monsieur le duc, la commission du gouvernement n'ayant pu ni dû charger votre Excellence d'aucune mission en se retirant, nous le prions de faire désavouer l'article inséré au Moniteur de ce jour 8 juillet, et d'obtenir l'insertion de notre dernier message aux deux chambres.

(Signé) CAULINCOURT, CARNOT, QUINETTE GRENIER.

Le duc d'Otrante répondit à cette lettre, par la déclaration que voici:

«Messieurs, la commission du gouvernement s'étant dissoute le 7 juillet, tout acte émané d'elle, postérieurement à son message aux chambres, est nul, et doit être regardé comme non avenu.

«Votre réclamation contre l'article inséré dans le Moniteur du 8 juillet est juste; je le désavoue comme nullement fondé, et publié sans mon autorisation.

(Signé) LE DUC D'OTRANTE.

]

[92: Paroles recueillies par M. de Lascases.]

[93: Au même moment, Louis XVIII entra à Paris. Par une autre singularité assez remarquable, ce fut également le jour de la première entrée du Roi dans la capitale que l'Empereur se rendit à bord du brick qui le conduisit à Porto-Ferrajo.]

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Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate

Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.net

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

Les Cent Jours / Mémoires pour servir à l'histoire de la vie privée, du / retour et du règne de Napoléon en 1815.
www.gutenberg.org@files@26375@26375-8-0.html
www.gutenberg.org@files@26375@26375-8-1.html
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