De Paris, le 8 de la lune de Chahban, 1718.

LETTRE CXV.

USBEK AU MÊME.

Tu cherches la raison pourquoi la terre est moins peuplée qu'elle ne l'étoit autrefois: et si tu y fais bien attention, tu verras que la grande différence vient de celle qui est arrivée dans les mœurs.

Depuis que la religion chrétienne et la mahométane ont partagé le monde romain, les choses sont bien changées: il s'en faut bien que ces deux religions soient aussi favorables à la propagation de l'espèce que celle de ces maîtres de l'univers.

Dans cette dernière, la polygamie étoit défendue: et en cela elle avoit un très-grand avantage sur la religion mahométane; le divorce y étoit permis: ce qui lui en donnoit un autre, non moins considérable, sur la chrétienne.

Je ne trouve rien de si contradictoire que cette pluralité des femmes permise par le saint Alcoran, et l'ordre de les satisfaire ordonné par le même livre. Voyez vos femmes, dit le prophète, parce que vous leur êtes nécessaire comme leurs vêtements, et qu'elles vous sont nécessaires comme vos vêtements. Voilà un précepte qui rend la vie d'un véritable musulman bien laborieuse. Celui qui a les quatre femmes établies par la loi, et seulement autant de concubines et d'esclaves, ne doit-il pas être accablé de tant de vêtements?

Vos femmes sont vos labourages, dit encore le prophète; approchez-vous donc de vos labourages: faites du bien pour vos âmes; et vous le trouverez un jour.

Je regarde un bon musulman comme un athlète, destiné à combattre sans relâche; mais qui bientôt, foible et accablé de ses premières fatigues, languit dans le champ même de la victoire; et se trouve, pour ainsi dire, enseveli sous ses propres triomphes.

La nature agit toujours avec lenteur, et pour ainsi dire avec épargne: ses opérations ne sont jamais violentes; jusque dans ses productions elle veut de la tempérance; elle ne va jamais qu'avec règle et mesure; si on la précipite, elle tombe bientôt dans la langueur: elle emploie toute la force qui lui reste à se conserver, perdant absolument sa vertu productrice et sa puissance générative.

C'est dans cet état de défaillance que nous met toujours ce grand nombre de femmes, plus propres à nous épuiser qu'à nous satisfaire. Il est très-ordinaire parmi nous de voir un homme dans un sérail prodigieux avec un très-petit nombre d'enfants: ces enfants mêmes sont la plupart du temps foibles et malsains, et se sentent de la langueur de leur père.

Ce n'est pas tout: ces femmes, obligées à une continence forcée, ont besoin d'avoir des gens pour les garder, qui ne peuvent être que des eunuques: la religion, la jalousie, et la raison même, ne permettent pas d'en laisser approcher d'autres; ces gardiens doivent être en grand nombre, soit afin de maintenir la tranquillité au dedans parmi les guerres que ces femmes se font sans cesse, soit enfin pour empêcher les entreprises du dehors. Ainsi un homme qui a dix femmes ou concubines n'a pas trop d'autant d'eunuques pour les garder. Mais quelle perte pour la société que ce grand nombre d'hommes morts dès leur naissance! quelle dépopulation ne doit-il pas s'ensuivre!

Les filles esclaves qui sont dans le sérail pour servir avec les eunuques ce grand nombre de femmes, y vieillissent presque toujours dans une affligeante virginité: elles ne peuvent pas se marier pendant qu'elles y restent; et leurs maîtresses, une fois accoutumées à elles, ne s'en défont presque jamais.

Voilà comme un seul homme occupe lui seul tant de sujets de l'un et l'autre sexe à ses plaisirs, les fait mourir pour l'État, et les rend inutiles à la propagation de l'espèce.

Constantinople et Ispahan sont les capitales des deux plus grands empires du monde: c'est là que tout doit aboutir, et que les peuples, attirés de mille manières, se rendent de toutes parts. Cependant elles périssent d'elles-mêmes, et elles seroient bientôt détruites, si les souverains n'y faisoient venir, presque à chaque siècle, des nations entières pour les repeupler. J'épuiserai ce sujet dans une autre lettre.

De Paris, le 13 de la lune de Chahban, 1718.

LETTRE CXVI.

USBEK AU MÊME.

Les Romains n'avoient pas moins d'esclaves que nous; ils en avoient même plus: mais ils en faisoient un meilleur usage.

Bien loin d'empêcher, par des voies forcées, la multiplication de ces esclaves, ils la favorisoient au contraire de tout leur pouvoir; ils les associoient le plus qu'ils pouvoient par des espèces de mariages: par ce moyen, ils remplissoient leurs maisons de domestiques de tous les sexes, de tous les âges, et l'État d'un peuple innombrable.

Ces enfants, qui faisoient à la longue la richesse d'un maître, naissoient sans nombre autour de lui: il étoit seul chargé de leur nourriture et de leur éducation; les pères, libres de ce fardeau, suivoient uniquement le penchant de la nature, et multiplioient sans craindre une trop nombreuse famille.

Je t'ai dit que, parmi nous, tous les esclaves sont occupés à garder nos femmes, et à rien de plus; qu'ils sont, à l'égard de l'État, dans une perpétuelle léthargie: de manière qu'il faut restreindre à quelques hommes libres, à quelques chefs de familles, la culture des arts et des terres, lesquels même s'y donnent le moins qu'ils peuvent.

Il n'en étoit pas de même chez les Romains: la république se servoit avec un avantage infini de ce peuple d'esclaves. Chacun d'eux avoit son pécule, qu'il possédoit aux conditions que son maître lui imposoit; avec ce pécule il travailloit et se tournoit du côté où le portoit son industrie. Celui-ci faisoit la banque; celui-là se donnoit au commerce de la mer; l'un vendoit des marchandises en détail; l'autre s'appliquoit à quelque art mécanique, ou bien affermoit et faisoit valoir des terres: mais il n'y en avoit aucun qui ne s'attachât de tout son pouvoir à faire profiter ce pécule, qui lui procuroit en même temps l'aisance dans la servitude présente, et l'espérance d'une liberté future: cela faisoit un peuple laborieux, animoit les arts et l'industrie.

Ces esclaves, devenus riches par leurs soins et leur travail, se faisoient affranchir, et devenoient citoyens. La république se réparoit sans cesse, et recevoit dans son sein de nouvelles familles, à mesure que les anciennes se détruisoient.

J'aurai peut-être, dans mes lettres suivantes, occasion de te prouver que plus il y a d'hommes dans un État, plus le commerce y fleurit; je prouverai aussi facilement que plus le commerce y fleurit, plus le nombre des hommes y augmente: ces deux choses s'entr'aident, et se favorisent nécessairement.

Si cela est, combien ce nombre prodigieux d'esclaves, toujours laborieux, devoit-il s'accroître et s'augmenter! L'industrie et l'abondance les faisoient naître; et eux, de leur côté, faisoient naître l'abondance et l'industrie.

De Paris, le 16 de la lune de Chahban, 1718.

LETTRE CXVII.

USBEK AU MÊME.

Nous avons jusqu'ici parlé des pays mahométans, et cherché la raison pourquoi ils étoient moins peuplés que ceux qui étoient soumis à la domination des Romains: examinons à présent ce qui a produit cet effet chez les chrétiens.

Le divorce étoit permis dans la religion païenne, et il fut défendu aux chrétiens. Ce changement, qui parut d'abord de si petite conséquence, eut insensiblement des suites terribles, et telles qu'on peut à peine les croire.

On ôta non-seulement toute la douceur du mariage, mais aussi l'on donna atteinte à sa fin: en voulant resserrer ses nœuds, on les relâcha; et au lieu d'unir les cœurs, comme on le prétendoit, on les sépara pour jamais.

Dans une action si libre, et où le cœur doit avoir tant de part, on mit la gêne, la nécessité, et la fatalité du destin même. On compta pour rien les dégoûts, les caprices, et l'insociabilité des humeurs; on voulut fixer le cœur, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus variable et de plus inconstant dans la nature: on attacha sans retour et sans espérance des gens accablés l'un de l'autre, et presque toujours mal assortis; et l'on fit comme ces tyrans qui faisoient lier des hommes vivants à des corps morts.

Rien ne contribuoit plus à l'attachement mutuel que la faculté du divorce: un mari et une femme étoient portés à soutenir patiemment les peines domestiques, sachant qu'ils étoient maîtres de les faire finir: et ils gardoient souvent ce pouvoir en main toute leur vie sans en user, par cette seule considération qu'ils étoient libres de le faire.

Il n'en est pas de même des chrétiens, que leurs peines présentes désespèrent pour l'avenir: ils ne voient, dans les désagréments du mariage, que leur durée et, pour ainsi dire, leur éternité: de là viennent les dégoûts, les discordes, les mépris; et c'est autant de perdu pour la postérité. A peine a-t-on trois ans de mariage, qu'on en néglige l'essentiel; on passe ensemble trente ans de froideur: il se forme des séparations intestines aussi fortes, et peut-être plus pernicieuses, que si elles étoient publiques: chacun vit et reste de son côté, et tout cela au préjudice des races futures. Bientôt un homme dégoûté d'une femme éternelle, se livrera aux filles de joie: commerce honteux et si contraire à la société; lequel, sans remplir l'objet du mariage, n'en représente tout au plus que les plaisirs.

Si, de deux personnes ainsi liées, il y en a une qui n'est pas propre au dessein de la nature et à la propagation de l'espèce, soit par son tempérament, soit par son âge, elle ensevelit l'autre avec elle, et la rend aussi inutile qu'elle l'est elle-même.

Il ne faut donc pas s'étonner si l'on voit chez les chrétiens tant de mariages fournir un si petit nombre de citoyens. Le divorce est aboli: les mariages mal assortis ne se raccommodent plus; les femmes ne passent plus, comme chez les Romains, successivement dans les mains de plusieurs maris, qui en tiroient, dans le chemin, le meilleur parti qu'il étoit possible.

J'ose le dire: si, dans une république comme Lacédémone, où les citoyens étoient sans cesse gênés par des lois singulières et subtiles, et dans laquelle il n'y avoit qu'une famille, qui étoit la république, il avoit été établi que les maris changeassent de femme tous les ans, il en seroit né un peuple innombrable.

Il est assez difficile de faire bien comprendre la raison qui a porté les chrétiens à abolir le divorce. Le mariage, chez toutes les nations du monde, est un contrat susceptible de toutes les conventions, et on n'en a dû bannir que celles qui auroient pu en affoiblir l'objet; mais les chrétiens ne le regardent pas dans ce point de vue: aussi ont-ils bien de la peine à dire ce que c'est. Ils ne le font pas consister dans le plaisir des sens; au contraire, comme je te l'ai déjà dit, il semble qu'ils veulent l'en bannir autant qu'ils le peuvent: mais c'est une image, une figure, et quelque chose de mystérieux, que je ne comprends point.

De Paris, le 19 de la lune de Chahban, 1718.

LETTRE CXVIII.

USBEK AU MÊME.

La prohibition du divorce n'est pas la seule cause de la dépopulation des pays chrétiens: le grand nombre d'eunuques qu'ils ont parmi eux n'en est pas une moins considérable.

Je parle des prêtres et des dervis de l'un et de l'autre sexe, qui se vouent à une continence éternelle: c'est chez les chrétiens la vertu par excellence; en quoi je ne les comprends pas, ne sachant ce que c'est qu'une vertu dont il ne résulte rien.

Je trouve que leurs docteurs se contredisent manifestement quand ils disent que le mariage est saint, et que le célibat, qui lui est opposé, l'est encore davantage, sans compter qu'en fait de préceptes et de dogmes fondamentaux, le bien est toujours le mieux.

Le nombre de ces gens faisant profession de célibat est prodigieux. Les pères y condamnoient autrefois les enfants dès le berceau; aujourd'hui ils s'y vouent eux-mêmes dès l'âge de quatorze ans: ce qui revient à peu près à la même chose.

Ce métier de continence a anéanti plus d'hommes que les pestes et les guerres les plus sanglantes n'ont jamais fait. On voit dans chaque maison religieuse une famille éternelle, où il ne naît personne, et qui s'entretient aux dépens de toutes les autres. Ces maisons sont toujours ouvertes, comme autant de gouffres où s'ensevelissent les races futures.

Cette politique est bien différente de celle des Romains, qui établissoient des lois pénales contre ceux qui se refusoient aux lois du mariage, et vouloient jouir d'une liberté si contraire à l'utilité publique.

Je ne te parle ici que des pays catholiques. Dans la religion protestante, tout le monde est en droit de faire des enfants: elle ne souffre ni prêtres ni dervis; et si, dans l'établissement de cette religion qui ramenoit tout aux premiers temps, ses fondateurs n'avoient été accusés sans cesse d'intempérance, il ne faut pas douter qu'après avoir rendu la pratique du mariage universelle, ils n'en eussent encore adouci le joug, et achevé d'ôter toute la barrière qui sépare, en ce point, le Nazaréen et Mahomet.

Mais, quoi qu'il en soit, il est certain que la religion donne aux protestants un avantage infini sur les catholiques.

J'ose le dire: dans l'état présent où est l'Europe, il n'est pas possible que la religion catholique y subsiste cinq cents ans.

Avant l'abaissement de la puissance d'Espagne, les catholiques étoient beaucoup plus forts que les protestants. Ces derniers sont peu à peu parvenus à un équilibre, et aujourd'hui la balance commence à l'emporter de leur côté. Cette supériorité augmentera tous les jours: les protestants deviendront plus riches et plus puissants, et les catholiques plus foibles.

Les pays protestants doivent être, et sont réellement, plus peuplés que les catholiques: d'où il suit, premièrement, que les tributs y sont plus considérables, parce qu'ils augmentent à proportion de ceux qui les payent; secondement, que les terres y sont mieux cultivées; enfin que le commerce y fleurit davantage, parce qu'il y a plus de gens qui ont une fortune à faire, et qu'avec plus de besoins on y a plus de ressources pour les remplir. Quand il n'y a que le nombre de gens suffisants pour la culture des terres, il faut que le commerce périsse; et lorsqu'il n'y a que celui qui est nécessaire pour entretenir le commerce, il faut que la culture des terres manque, c'est-à-dire il faut que tous les deux tombent en même temps, parce que l'on ne s'attache jamais à l'un, que ce ne soit aux dépens de l'autre.

Quant aux pays catholiques, non seulement la culture des terres y est abandonnée, mais même l'industrie y est pernicieuse; elle ne consiste qu'à apprendre cinq ou six mots d'une langue morte. Dès qu'un homme a cette provision par devers lui, il ne doit plus s'embarrasser de sa fortune: il trouve dans le cloître une vie tranquille, qui dans le monde lui auroit coûté des sueurs et des peines.

Ce n'est pas tout: les dervis ont en leurs mains presque toutes les richesses de l'État; c'est une société de gens avares, qui prennent toujours, et ne rendent jamais: ils accumulent sans cesse des revenus pour acquérir des capitaux. Tant de richesses tombent, pour ainsi dire, en paralysie; plus de circulation, plus de commerce, plus d'arts, plus de manufactures.

Il n'y a point de prince protestant qui ne lève sur ses peuples dix fois plus d'impôts que le pape n'en lève sur ses sujets; cependant ces derniers sont misérables, pendant que les autres vivent dans l'opulence. Le commerce ranime tout chez les uns, et le monachisme porte la mort partout chez les autres.

De Paris, le 26 de la lune de Chahban, 1718.

LETTRE CXIX.

USBEK AU MÊME.

Nous n'avons plus rien à dire de l'Asie et de l'Europe; passons à l'Afrique. On ne peut guère parler que de ses côtes, parce qu'on n'en connoît pas l'intérieur.

Celles de Barbarie, où la religion mahométane est établie, ne sont plus si peuplées qu'elles étoient du temps des Romains, par les raisons que nous avons déjà dites. Quant aux côtes de la Guinée, elles doivent être furieusement dégarnies depuis deux cents ans que les petits rois, ou chefs de villages, vendent leurs sujets aux princes d'Europe, pour les porter dans leurs colonies en Amérique.

Ce qu'il y a de singulier, c'est que cette Amérique, qui reçoit tous les ans tant de nouveaux habitants, est elle-même déserte, et ne profite point des pertes continuelles de l'Afrique. Ces esclaves, qu'on transporte dans un autre climat, y périssent par milliers; et les travaux des mines, où l'on occupe sans cesse et les naturels du pays et les étrangers, les exhalaisons malignes qui en sortent, le vif-argent dont il faut faire un continuel usage, les détruisent sans ressource.

Il n'y a rien de si extravagant que de faire périr un nombre innombrable d'hommes pour tirer du fond de la terre l'or et l'argent, ces métaux d'eux-mêmes absolument inutiles, et qui ne sont des richesses que parce qu'on les a choisis pour en être les signes.

De Paris, le dernier de la lune de Chahban, 1718.

LETTRE CXX.

USBEK AU MÊME.

La fécondité d'un peuple dépend quelquefois des plus petites circonstances du monde: de manière qu'il ne faut souvent qu'un nouveau tour dans son imagination pour le rendre beaucoup plus nombreux qu'il n'étoit.

Les Juifs, toujours exterminés et toujours renaissants, ont réparé leurs pertes et leurs destructions continuelles, par cette seule espérance qu'ont parmi eux toutes les familles, d'y voir naître un roi puissant qui sera le maître de la terre.

Les anciens rois de Perse n'avoient tant de milliers de sujets qu'à cause de ce dogme de la religion des mages, que les actes les plus agréables à Dieu que les hommes puissent faire, c'étoit de faire un enfant, labourer un champ, et planter un arbre.

Si la Chine a dans son sein un peuple si prodigieux, cela ne vient que d'une certaine manière de penser: car, comme les enfants regardent leurs pères comme des dieux, qu'ils les respectent comme tels dès cette vie, qu'ils les honorent après leur mort par des sacrifices dans lesquels ils croient que leurs âmes, anéanties dans le Tyen, reprennent une nouvelle vie, chacun est porté à augmenter une famille si soumise dans cette vie, et si nécessaire dans l'autre.

D'un autre côté, les pays des mahométans deviennent tous les jours déserts, à cause d'une opinion qui, toute sainte qu'elle est, ne laisse pas d'avoir des effets très-pernicieux lorsqu'elle est enracinée dans les esprits. Nous nous regardons comme des voyageurs qui ne doivent penser qu'à une autre patrie; les travaux utiles et durables, les soins pour assurer la fortune de nos enfants, les projets qui tendent au delà d'une vie courte et passagère, nous paroissent quelque chose d'extravagant. Tranquilles pour le présent, sans inquiétude pour l'avenir, nous ne prenons la peine ni de réparer les édifices publics, ni de défricher les terres incultes, ni de cultiver celles qui sont en état de recevoir nos soins: nous vivons dans une insensibilité générale, et nous laissons tout faire à la providence.

C'est un esprit de vanité qui a établi chez les Européens l'injuste droit d'aînesse, si défavorable à la propagation, en ce qu'il porte l'attention d'un père sur un seul de ses enfants, et détourne ses yeux de tous les autres; en ce qu'il l'oblige, pour rendre solide la fortune d'un seul, de s'opposer à l'établissement de plusieurs; enfin en ce qu'il détruit l'égalité des citoyens, qui en fait toute l'opulence.

De Paris, le 4 de la lune de Rhamazan, 1718.

LETTRE CXXI.

USBEK AU MÊME.

Les pays habités par les sauvages sont ordinairement peu peuplés, par l'éloignement qu'ils ont presque tous pour le travail et la culture de la terre. Cette malheureuse aversion est si forte que, lorsqu'ils font quelque imprécation contre quelqu'un de leurs ennemis, ils ne lui souhaitent autre chose que d'être réduit à labourer un champ, croyant qu'il n'y a que la chasse et la pêche qui soit un exercice noble et digne d'eux.

Mais, comme il y a souvent des années où la chasse et la pêche rendent très-peu, ils sont désolés par des famines fréquentes; sans compter qu'il n'y a pas de pays si abondant en gibier et en poisson qui puisse donner la subsistance à un grand peuple, parce que les animaux fuient toujours les endroits trop habités.

D'ailleurs, les bourgades de sauvages, au nombre de deux ou trois cents habitants, isolées les unes des autres, ayant des intérêts aussi séparés que ceux de deux empires, ne peuvent pas se soutenir, parce qu'elles n'ont pas la ressource des grands États, dont toutes les parties se répondent et se secourent mutuellement.

Il y a chez les sauvages une autre coutume qui n'est pas moins pernicieuse que la première: c'est la cruelle habitude où sont les femmes de se faire avorter, afin que leur grossesse ne les rende pas désagréables à leurs maris.

Il y a ici des lois terribles contre ce désordre; elles vont jusqu'à la fureur. Toute fille qui n'a point été déclarer sa grossesse au magistrat est punie de mort si son fruit périt: la pudeur et la honte, les accidents même, ne l'excusent jamais.

De Paris, le 9 de la lune de Rhamazan, 1718.

LETTRE CXXII.

USBEK AU MÊME.

L'effet ordinaire des colonies est d'affoiblir les pays d'où on les tire, sans peupler ceux où on les envoie.

Il faut que les hommes restent où ils sont: il y a des maladies qui viennent de ce qu'on change un bon air contre un mauvais; d'autres qui viennent précisément de ce qu'on en change.

L'air se charge, comme les plantes, des particules de la terre de chaque pays. Il agit tellement sur nous, que notre tempérament en est fixé. Lorsque nous sommes transportés dans un autre pays, nous devenons malades. Les liquides étant accoutumés à une certaine consistance, les solides à une certaine disposition, tous les deux, à un certain degré de mouvement, n'en peuvent plus souffrir d'autres, et ils résistent à un nouveau pli.

Quand un pays est désert, c'est un préjugé de quelque vice particulier de la nature du climat: ainsi, quand on ôte les hommes d'un ciel heureux pour les envoyer dans un tel pays, on fait précisément le contraire de ce qu'on se propose.

Les Romains savoient cela par expérience; ils reléguoient tous les criminels en Sardaigne, et ils y faisoient passer des Juifs. Il fallut se consoler de leur perte; chose que le mépris qu'ils avoient pour ces misérables rendoit très-facile.

Le grand Cha-Abas, voulant ôter aux Turcs, le moyen d'entretenir de grosses armées sur les frontières, transporta presque tous les Arméniens hors de leur pays, et en envoya plus de vingt mille familles dans la province de Guilan, qui périrent presque toutes en très-peu de temps.

Tous les transports de peuples faits à Constantinople n'ont jamais réussi.

Ce nombre prodigieux de nègres dont nous avons parlé n'a point rempli l'Amérique.

Depuis la destruction des Juifs sous Adrien, la Palestine est sans habitants.

Il faut donc avouer que les grandes destructions sont presque irréparables, parce qu'un peuple qui manque à un certain point reste dans le même état; et si, par hasard il se rétablit, il faut des siècles pour cela.

Que si, dans un état de défaillance, la moindre des circonstances dont nous avons parlé vient à concourir, non-seulement il ne se répare pas, mais il dépérit tous les jours, et tend à son anéantissement.

L'expulsion des Maures d'Espagne se fait encore sentir comme le premier jour: bien loin que ce vide se remplisse, il devient tous les jours plus grand.

Depuis la dévastation de l'Amérique, les Espagnols, qui ont pris la place de ses anciens habitants, n'ont pu la repeupler; au contraire, par une fatalité que je ferois mieux de nommer une justice divine, les destructeurs se détruisent eux-mêmes, et se consument tous les jours.

Les princes ne doivent donc point songer à peupler de grands pays par des colonies. Je ne dis pas qu'elles ne réussissent quelquefois; il y a des climats si heureux, que l'espèce s'y multiplie toujours: témoin ces îles[E] qui ont été peuplées par des malades que quelques vaisseaux y avoient abandonnés, et qui y recouvroient aussitôt la santé.

[E] L'auteur parle peut-être de l'île de Bourbon.

Mais quand ces colonies réussiroient, au lieu d'augmenter la puissance, elles ne feroient que la partager, à moins qu'elles n'eussent très-peu d'étendue, comme sont celles que l'on envoie pour occuper quelque place pour le commerce.

Les Carthaginois avoient, comme les Espagnols, découvert l'Amérique, ou au moins de grandes îles dans lesquelles ils faisoient un commerce prodigieux: mais quand ils virent le nombre de leurs habitants diminuer, cette sage république défendit à ses sujets ce commerce et cette navigation.

J'ose le dire: au lieu de faire passer les Espagnols dans les Indes, il faudroit faire repasser les Indiens et les métifs en Espagne; il faudroit rendre à cette monarchie tous ses peuples dispersés; et, si la moitié seulement de ces grandes colonies se conservoit, l'Espagne deviendroit la puissance de l'Europe la plus redoutable.

On peut comparer les empires à un arbre dont les branches trop étendues ôtent tout le suc du tronc, et ne servent qu'à faire de l'ombrage.

Rien ne devrait corriger les princes de la fureur des conquêtes lointaines que l'exemple des Portugais et des Espagnols.

Ces deux nations ayant conquis, avec une rapidité inconcevable, des royaumes immenses, plus étonnées de leurs victoires que les peuples vaincus de leur défaite, songèrent aux moyens de les conserver, et prirent chacune pour cela une voie différente.

Les Espagnols, désespérant de retenir les nations vaincues dans la fidélité, prirent le parti de les exterminer, et d'y envoyer d'Espagne des peuples fidèles: jamais dessein horrible ne fut plus ponctuellement exécuté. On vit un peuple, aussi nombreux que tous ceux de l'Europe ensemble, disparoître de la terre à l'arrivée de ces barbares, qui semblèrent, en découvrant les Indes, avoir voulu en même temps découvrir aux hommes quel étoit le dernier période de la cruauté.

Par cette barbarie, ils conservèrent ce pays sous leur domination. Juge par là combien les conquêtes sont funestes, puisque les effets en sont tels: car enfin ce remède affreux étoit unique. Comment auroient-ils pu retenir tant de millions d'hommes dans l'obéissance? Comment soutenir une guerre civile de si loin? Que seroient-ils devenus, s'ils avoient donné le temps à ces peuples de revenir de l'admiration où ils étoient de l'arrivée de ces nouveaux dieux et de la crainte de leurs foudres?

Quant aux Portugais, ils prirent une voie tout opposée; ils n'employèrent pas les cruautés: aussi furent-ils bientôt chassés de tous les pays qu'ils avoient découverts. Les Hollandois favorisèrent la rébellion de ces peuples, et en profitèrent.

Quel prince envieroit le sort de ces conquérants? Qui voudroit de ces conquêtes à ces conditions? Les uns en furent aussitôt chassés; les autres en firent des déserts, et rendirent de même leur propre pays.

C'est le destin des héros de se ruiner à conquérir des pays qu'ils perdent soudain, ou à soumettre des nations qu'ils sont obligés eux-mêmes de détruire; comme cet insensé qui se consumoit à acheter des statues qu'il jetoit dans la mer, et des glaces qu'il brisoit aussitôt.

De Paris, le 18 de la lune de Rhamazan, 1718.

LETTRE CXXIII.

USBEK AU MÊME.

La douceur du gouvernement contribue merveilleusement à la propagation de l'espèce. Toutes les républiques en sont une preuve constante; et, plus que toutes, la Suisse et la Hollande, qui sont les deux plus mauvais pays de l'Europe, si l'on considère la nature du terrain, et qui cependant sont les plus peuplés.

Rien n'attire plus les étrangers que la liberté, et l'opulence qui la suit toujours: l'une se fait rechercher par elle-même, et les besoins attirent dans les pays où l'on trouve l'autre.

L'espèce se multiplie dans un pays où l'abondance fournit aux enfants, sans rien diminuer de la subsistance des pères.

L'égalité même des citoyens, qui produit ordinairement de l'égalité dans les fortunes, porte l'abondance et la vie dans toutes les parties du corps politique, et la répand partout.

Il n'en est pas de même des pays soumis au pouvoir arbitraire: le prince, les courtisans, et quelques particuliers, possèdent toutes les richesses, pendant que tous les autres gémissent dans une pauvreté extrême.

Si un homme est mal à son aise, et qu'il sente qu'il fera des enfants plus pauvres que lui, il ne se mariera pas; ou s'il se marie, il craindra d'avoir un trop grand nombre d'enfants, qui pourroient achever de déranger sa fortune, et qui descendroient de la condition de leur père.

J'avoue que le rustique ou paysan, étant une fois marié, peuplera indifféremment, soit qu'il soit riche, soit qu'il soit pauvre; cette considération ne le touche pas: il a toujours un héritage sûr à laisser à ses enfants, qui est son hoyau; et rien ne l'empêche jamais de suivre aveuglément l'instinct de la nature.

Mais à quoi sert dans un État ce nombre d'enfants qui languissent dans la misère? Ils périssent presque tous à mesure qu'ils naissent; ils ne prospèrent jamais: foibles et débiles, ils meurent en détail de mille manières, tandis qu'ils sont emportés en gros par les fréquentes maladies populaires, que la misère et la mauvaise nourriture produisent toujours; ceux qui en échappent atteignent l'âge viril sans en avoir la force, et languissent tout le reste de leur vie.

Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement si elles ne sont bien cultivées: chez les peuples misérables, l'espèce perd, et même quelquefois dégénère.

La France peut fournir un grand exemple de tout ceci. Dans les guerres passées, la crainte où étoient tous les enfants de famille qu'on ne les enrôlât dans la milice les obligeoit de se marier, et cela dans un âge trop tendre, et dans le sein de la pauvreté. De tant de mariages il naissoit bien des enfants, que l'on cherche encore en France, et que la misère, la famine et les maladies en ont fait disparoître.

Que si, dans un ciel aussi heureux, dans un royaume aussi policé que la France, on fait de pareilles remarques, que sera-ce dans les autres États?

De Paris, le 23 de la lune de Rhamazan, 1718.

LETTRE CXXIV.

USBEK AU MOLLAK MÉHÉMET ALI,

Gardien des trois tombeaux

A Com.

Que nous servent les jeûnes des immaums et les cilices des mollaks? La main de Dieu s'est deux fois appesantie sur les enfants de la loi, le soleil s'obscurcit, et semble n'éclairer plus que leurs défaites; leurs armées s'assemblent, et elles sont dissipées comme la poussière.

L'empire des Osmanlins est ébranlé par les deux plus grands échecs qu'il ait jamais reçus: un moufti chrétien ne le soutient qu'avec peine; le grand vizir d'Allemagne est le fléau de Dieu, envoyé pour châtier les sectateurs d'Omar; il porte partout la colère du ciel, irrité contre leur rébellion et leur perfidie.

Esprit sacré des immaums, tu pleures nuit et jour sur les enfants du prophète que le détestable Omar a dévoyés; tes entrailles s'émeuvent à la vue de leurs malheurs; tu désires leur conversion, et non pas leur perte; tu voudrois les voir réunis sous l'étendard d'Ali, par les larmes des saints; et non pas dispersés dans les montagnes et dans les déserts par la terreur des infidèles.

De Paris, le 1er de la lune de Chalval, 1718.

LETTRE CXXV.

USBEK A RHÉDI.

A Venise.

Quel peut être le motif de ces libéralités immenses que les princes versent sur leurs courtisans? veulent-ils se les attacher? ils leur sont déjà acquis autant qu'ils peuvent l'être. Et d'ailleurs, s'ils acquièrent quelques-uns de leurs sujets en les achetant, il faut bien, par la même raison, qu'ils en perdent une infinité d'autres en les appauvrissant.

Quand je pense à la situation des princes, toujours entourés d'hommes avides et insatiables, je ne puis que les plaindre: et je les plains encore davantage lorsqu'ils n'ont pas la force de résister à des demandes toujours onéreuses à ceux qui ne demandent rien.

Je n'entends jamais parler de leurs libéralités, des grâces et des pensions qu'ils accordent, que je ne me livre à mille réflexions: une foule d'idées se présente à mon esprit; il me semble que j'entends publier cette ordonnance:

«Le courage infatigable de quelques-uns de nos sujets à nous demander des pensions ayant exercé sans relâche notre magnificence royale, nous avons enfin cédé à la multitude des requêtes qu'ils nous ont présentées, lesquelles ont fait jusqu'ici la plus grande sollicitude du trône. Ils nous ont représenté qu'ils n'ont point manqué, depuis notre avènement à la couronne, de se trouver à notre lever; que nous les avons toujours vus sur notre passage immobiles comme des bornes; et qu'ils se sont extrêmement élevés pour regarder, sur les épaules les plus hautes, notre sérénité. Nous avons même reçu plusieurs requêtes de la part de quelques personnes du beau sexe, qui nous ont supplié de faire attention qu'il étoit notoire qu'elles sont d'un entretien très-difficile; quelques-unes même très-surannées nous ont prié, branlant la tête, de faire attention qu'elles ont fait l'ornement de la cour des rois nos prédécesseurs; et que, si les généraux de leurs armées ont rendu l'État redoutable par leurs faits militaires, elles n'ont point rendu la cour moins célèbre par leurs intrigues. Ainsi, désirant traiter les suppliants avec bonté, et leur accorder toutes leurs prières, nous avons ordonné ce qui suit:

«Que tout laboureur ayant cinq enfants retranchera journellement la cinquième partie du pain qu'il leur donne. Enjoignons aux pères de famille de faire la diminution, sur chacun d'eux, aussi juste que faire se pourra.

«Défendons expressément à tous ceux qui s'appliquent à la culture de leurs héritages, ou qui les ont donnés à titre de ferme, d'y faire aucune réparation, de quelque espèce qu'elle soit.

«Ordonnons que toutes personnes qui s'exercent à des travaux vils et mécaniques, lesquelles n'ont jamais été au lever de notre majesté, n'achètent désormais d'habits, à eux, à leurs femmes et à leurs enfants, que de quatre ans en quatre ans; leur interdisons en outre très-étroitement ces petites réjouissances qu'ils avoient coutume de faire, dans leurs familles, les principales fêtes de l'année.

«Et, d'autant que nous demeurons averti que la plupart des bourgeois de nos bonnes villes sont entièrement occupés à pourvoir à l'établissement de leurs filles, lesquelles ne se sont rendues recommandables, dans notre État, que par une triste et ennuyeuse modestie, nous ordonnons qu'ils attendront à les marier, jusqu'à ce qu'ayant atteint l'âge limité par les ordonnances, elles viennent à les y contraindre. Défendons à nos magistrats de pourvoir à l'éducation de leurs enfants.»

De Paris, le 1er de la lune de Chalval, 1718.

LETTRE CXXVI.

RICA A ***.

On est bien embarrassé dans toutes les religions, quand il s'agit de donner une idée des plaisirs qui sont destinés à ceux qui ont bien vécu. On épouvante facilement les méchants par une longue suite de peines, dont on les menace: mais, pour les gens vertueux, on ne sait que leur promettre. Il semble que la nature des plaisirs soit d'être d'une courte durée; l'imagination a peine à en représenter d'autres.

J'ai vu des descriptions du paradis, capables d'y faire renoncer tous les gens de bon sens: les uns font jouer sans cesse de la flûte ces ombres heureuses; d'autres les condamnent au supplice de se promener éternellement; d'autres enfin, qui les font rêver là-haut aux maîtresses d'ici-bas, n'ont pas cru que cent millions d'années fussent un terme assez long pour leur ôter le goût de ces inquiétudes amoureuses.

Je me souviens à ce propos d'une histoire que j'ai ouï raconter à un homme qui avoit été dans le pays du Mogol; elle fait voir que les prêtres indiens ne sont pas moins stériles que les autres dans les idées qu'ils ont des plaisirs du paradis.

Une femme qui venoit de perdre son mari vint en cérémonie chez le gouverneur de la ville lui demander permission de se brûler: mais, comme, dans les pays soumis aux mahométans, on abolit tant qu'on peut cette cruelle coutume, il la refusa absolument.

Lorsqu'elle vit ses prières impuissantes, elle se jeta dans un furieux emportement. Voyez, disoit-elle, comme on est gêné! Il ne sera seulement pas permis à une pauvre femme de se brûler quand elle en a envie! A-t-on jamais vu rien de pareil? Ma mère, ma tante, mes sœurs, se sont bien brûlées? Et, quand je vais demander permission à ce maudit gouverneur, il se fâche, et se met à crier comme un enragé.

Il se trouva là, par hasard, un jeune bonze: Homme infidèle, lui dit le gouverneur, est-ce toi qui a mis dans l'esprit de cette femme cette fureur? Non, dit-il, je ne lui ai jamais parlé: mais, si elle m'en croit, elle consommera son sacrifice; elle fera une action agréable au dieu Brama: aussi en sera-t-elle bien récompensée; car elle retrouvera dans l'autre monde son mari, et elle recommencera avec lui un second mariage. Que dites-vous? dit la femme surprise. Je retrouverai mon mari? Ah! je ne me brûle pas. Il étoit jaloux, chagrin, et d'ailleurs si vieux, que, si le dieu Brama n'a point fait sur lui quelque réforme, sûrement il n'a pas besoin de moi. Me brûler pour lui!... pas seulement le bout du doigt pour le retirer du fond des enfers. Deux vieux bonzes, qui me séduisoient, et qui savoient de quelle manière je vivois avec lui, n'avoient garde de me tout dire: mais si le Dieu Brama n'a que ce présent à me faire, je renonce à cette béatitude. Monsieur le gouverneur, je me fais mahométane. Et pour vous, dit-elle en regardant le bonze, vous pouvez, si vous voulez, aller dire à mon mari que je me porte fort bien.