Project Gutenberg's La nuit de Noël dans tous les pays, by Alphonse Chabot
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Title: La nuit de Noël dans tous les pays
Author: Alphonse Chabot
Release Date: January 24, 2005 [EBook #14788]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA NUIT DE NOËL DANS TOUS LES PAYS ***
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Prix franco: UN Franc.
SE TROUVE CHEZ L'AUTEUR.
18, Mail Ouest,
PITHIVIERS.
IMPRIMERIE MODERNE,
1, IMPASSE DE L'ÉGLISE
IMPRIMATUR
Aurel., Die. 3 Décemb. 1907
A. BRUANT,
vic. gén.
Monseigneur CHABOT
Prélat de Sa Sainteté
CURÉ DE PITHIVIERS (LOIRET)
LA NUIT
DE
NOËL
DANS TOUS LES PAYS
1912
Nous avons déjà publié, en 1905 et en 1906, deux brochures sur les coutumes populaires de Noël dans tous les pays: Noël dans les pays étrangers et Les Crèches de Noël. Cette troisième publication La Nuit de Noël sera, nous l'espérons, mieux accueillie encore que ses deux soeurs. Il suffira de lire le titre des chapitres qu'elle renferme, pour se rendre compte de l'intérêt qu'elle peut offrir:
I. La veillée de Noël et les légendes qu'on y raconte.
II. La bûche de Noël.
III. Les particularités de la Messe de minuit.
IV. Le réveillon et les gâteaux de Noël.
V. Les cadeaux de Noël (l'arbre de Noël et le soulier de Noël).
Nous ne donnons, dans ce petit livre, qu'un exposé très succinct des nombreux documents que nous avons recueillis depuis bien des années. Comme nous l'avons déjà annoncé, nous nous proposons de faire paraître, plus tard, deux autres brochures intitulées La Fête des Rois dans tous les pays et Noël dans l'Histoire ou Éphémérides de Noël.
Quatre provinces surtout nous ont fourni des documents nombreux, variés et très intéressants pour cette nouvelle brochure: la Normandie, le Berry, la Provence et la Bretagne.
La Normandie, que nous avons visitée tant de fois de Rouen à Caen et du Mont-Saint-Michel à Saint-Vaast-la Hougue, nous est chère à bien des titres. Nous avons connu et apprécié, pendant vingt-cinq ans, dans notre paroisse de Pithiviers, le zèle et le dévouement de deux de ses communautés dont le souvenir est encore très vivant parmi nous: les Religieuses du Sacré-Coeur de Coutances et les Religieuses des Écoles chrétiennes de la Miséricorde de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Puisse notre petit livre leur porter, dans leur solitude et leur éloignement, l'hommage de notre profonde gratitude et de notre inaltérable attachement.—M. Georges Dubosc, le chercheur infatigable et l'écrivain si distingué du Journal de Rouen, qui a épuisé, pour ainsi dire, tout ce qu'on peut dire sur les coutumes normandes, a été un de nos guides les plus sûrs et les plus éclairés.
Le Berry, notre pays d'origine, a laissé dans nos souvenirs d'enfant toutes ces vieilles et naïves légendes que l'on contait aux veillées d'hiver, de Villemurlin à Châtillon-sur-Loire, et d'Aubigny à Saint-Florent-le-Jeune.—Laisnel de la Salle, dans son savant ouvrage: Croyances et Légendes, n'a rien oublié de ce qui se disait et se passait, de son temps, dans les campagnes des bords de la Loire, de l'Indre et du Cher. Nous lui avons fait, à titre de compatriote, des emprunts presque textuels, craignant d'altérer le charme et la couleur locale qu'il sait si bien donner à ses récits.
La Provence est riche en souvenirs de toutes sortes. Son musée d'Arles, où l'on admire, dans la salle de Noël les deux scènes si vivantes, si pittoresques du Gros Souper et de la Bûche de Noël, est, une véritable merveille. Quelles poses gracieuses dans tous ces personnages, quelles richesses dans tous ces costumes arlésiens!—L'éminent poète provençal, Frédéric Mistral, malgré ses quatre-vingts ans, a bien voulu correspondre avec nous et nous donner, de sa main, les détails les plus intimes de la vie familiale en Provence, au temps de Noël.—Souvent aussi, nous avons consulté les Miettes de Provence, par Stéphen d'Arve, la Revue de Provence et le Clocher provençal, qui contiennent des pages ravissantes sur les coutumes méridionales.
La Bretagne a toujours eu pour nous des charmes indicibles avec ses étroites vallées, son aspect sauvage, ses donjons en ruines, ses vieilles abbayes, ses huttes couvertes de chaume, ses forêts de houx grands comme des chênes, ses bruyères semées de pierres druidiques autour desquelles planent les oiseaux de mer, ses landes, ses grèves, une mer qui blanchit contre mille écueils: région solitaire, triste, orageuse, couverte de nuages, où le bruit des vents et des flots est éternel.—Aussi les légendes naissent nombreuses dans l'imagination vive et néanmoins mélancolique des Bretons, si attachés à leur religion et à leurs foyers.—Tout le monde connaît les ouvrages d'Emile Souvestre, de Paul Féval et de Brizeux: ces écrivains évoquent souvent des souvenirs bretons qui nous ont fourni de précieux documents sur les usages de Noël au pays des dolmens et des menhirs.
Parmi les nombreux amis que nous ont faits nos recherches sur les coutumes de Noël, il y en a plusieurs que nous voudrions nommer ici, mais nous craindrions de blesser leur modestie. Quelques-uns nous ont écrit avec autant d'empressement que de grâce et de talent: que ceux-là surtout soient cordialement remerciés. Dans le cours de cet opuscule, nous nous sommes permis de citer quelques initiales; la reconnaissance nous en faisait un devoir; nous avons tenu cependant à garder la plus absolue discrétion.
Montrer combien la fête de Noël est populaire dans le monde entier, faire connaître et aimer davantage le divin Enfant de Bethléem, tels sont les deux sentiments qui nous ont inspiré ce long travail, qu'avec la grâce de Dieu et le concours de nos amis, nous espérons mener à bonne fin.
Cette brochure et les deux précédentes «Noël dans les Pays étrangers» et «Les Crèches de Noël dans tous les Pays» se vendent au profit des trois Ecoles libres et des Oeuvres paroissiales de Pithiviers. Nous prions nos lecteurs de les faire connaître autour d'eux.
LA NUIT DE NOËL
DANS TOUS LES PAYS
CHAPITRE PREMIER
LA VEILLÉE DE NOËL ET LES LÉGENDES
QU'ON Y RACONTE
Quelles douces heures que celles des veillées de décembre et quel charme elles ont laissé dans nos souvenirs d'enfance!
Alors au foyer brillent les joyeuses flambées, pendant que le vent ébranle la maison et que la pluie bat les vitres. Vous voyez d'ici, n'est-ce pas, la salle bien close la lampe sous son abat-jour, le feu de sarments qui pétille avec un bruit sec, illuminant le plafond à solives.
Bébé, heureux et affairé, trottine dans la chambre; il touche au soufflet, renverse la pelle et regarde avec étonnement et envie son père qui tisonne, tandis que les flammes bleuâtres, longues et minces, lèchent l'écusson de la vieille cheminée aux teintes noires et luisantes.
Assis au coin du feu, le grand-père se chauffe tout pensif, tandis que la marmite fait «glouglou» et que de chaque côté de son lourd couvercle s'échappe un mince filet de vapeur.
La maîtresse du logis a quitté sa belle coiffe et pris le bonnet du soir; debout, la main gauche posée sur la hanche, elle tourne et retourne, de sa main droite, sa grande cuillère de bois dans le ragoût qui «mijote» sur le fourneau.
Dans un coin de la chambre, grand'mère explique à sa petite-fille les enluminures d'un vieil almanach déjà noirci par les années.
La vieille horloge, au large balancier de cuivre, frappe lourdement ses coups...
Telles sont à peu près les veillées d'hiver dans la plupart des campagnes.
La veillée de Noël revêt un caractère particulier, surtout dans le Midi de la France.
Elle comprend:
Le repas maigre (appelé en Provence gros souper);
Les divertissements;
Les légendes.
I.—LE REPAS MAIGRE.
«Il existe dans notre Auvergne des coutumes qui, pour être moins éclatantes, n'en ont pas moins un charme tout particulier et un sens profondément chrétien. La veille de Noël, la nuit venue, la table est dressée devant le foyer. On la couvre d'une nappe bien blanche, et, au centre d'une magnifique brioche, on place un chandelier en cuivre soigneusement fourbi. La maîtresse de la maison fouille dans la grande armoire et revient avec une chandelle précieusement enveloppée dans du papier gaufré.
«La belle chandelle prend place au milieu de la table.
«... Les préparatifs termines, mon vieux père, quoique malade, veut assister au repas. Il prend, de sa main tremblante, la chandelle de Noël, l'allume, fait le signe de la croix, puis l'éteint et la passe au frère aîné. Celui-ci, debout et tête nue, l'allume à son tour, se signe, l'éteint, puis la passe à sa femme. La chandelle passe ainsi de main en main, pour que chacun, à son rang d'âge, puisse l'allumer. Elle arrive enfin entre les mains du dernier né. Aidé par sa mère, celui-ci l'allume à son tour, se signe et, sans l'éteindre, la place au milieu de la table, où elle brille—bien modestement—pendant tout le repas.
«N'est-ce pas là le souvenir touchant de la Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde1?
Note 1: (retour) Joann. I, 9.
«Ce rite accompli, le repas commence joyeux, animé, assaisonné par le jeûne de la vigile, agrémenté par l'apparition de la traditionnelle soupe au fromage et par les surprises que ménage la cuisinière. Et quand les grâces sont dites, les enfants vont se coucher, bercés par l'espoir—souvent trompé—d'aller à la Messe de minuit. On roule dans le foyer une grosse souche, et on attend minuit, en chantant les vieux Noëls ou en racontant les histoires d'autrefois.
«Quand l'heure est venue, quand les habitants des villages arrivent de tous côtés, avec leurs lanternes et leurs torches de paille, on se dirige vers l'église pour goûter les émotions toujours nouvelles de cette bienheureuse nuit2.»
Note 2: (retour) D'après la Semaine de Clermont.
On nous écrit des Salces (Lozère):
«Quelquefois la ménagère, la mère de famille, n'a pas pu assister à la Messe de minuit. Elle a dû préparer le réveillon. Ce repas consiste souvent, dans nos montagnes, en lait bouilli et chaud, saucisses fraîches et autres productions de la ferme, sans exclure la rasade de vin pétillant.»
La chandelle de Noël, conservée précieusement, est allumée au matin du premier jour de l'an, quand les parents et les amis viennent, avant l'aube, offrir leurs voeux empressés. C'est elle encore qui éclaire de ses dernières lueurs les royautés éphémères du jour de l'Épiphanie.
Cette gracieuse coutume a été célébrée par un de nos meilleurs poètes:
LES CHANDELLES DE NOËL
Aujourd'hui que l'acétylène,
Le gaz ou l'électricité
Ont détrôné sans nulle gêne
L'antique et fumeuse clarté
De la Chandelle,
Peut-on vraiment
Vous parler d'elle
En ce moment?
Cependant elle vit encore
Et se livre à de beaux exploits
Quand, de Minuit jusqu'à l'Aurore,
Elle rayonne en maints endroits.
Venez plutôt dans la Lozère:
Au début de tout Réveillon
Une Chandelle seule éclaire
La familiale collation.
L'aïeule, d'une main tremblante,
L'allume, se signe... et l'éteint;
Puis, enfants, serviteurs et servante
De même font, d'un tour de main.
Précieusement conservée,
Dame Chandelle, huit jours après,
Avec sa mèche ravivée
Éclaire encor voeux et souhaits.
Et ce n'est qu'à l'Épiphanie,
A ce joyeux banquet des Rois,
Qu'à l'Étoile portant envie,
Elle brille... et meurt à la fois!
Comtesse O'MAHONY
En Provence, toute la famille se réunit à table pour le gros souper. Dès sept heures du soir, les rues de la ville ou du village, sont désertes et, par contre, toutes les maisons sont brillamment éclairées; on oublie pour un jour l'économie du luminaire; la modeste lampe à l'huile (lou calèn) est mise de côté et l'on place sur la table, d'une façon symétrique, les belles chandelles cannelées, ornées de festons.
La place d'honneur appartient de droit au plus âgé, grand-père ou quelquefois bisaïeul. Avant de passer à table, on allume dans la cheminée l'énorme bûche de Noël (cacho fio) qui doit brûler une moitié de la nuit.
Le plus jeune des enfants de la maison, muni d'un verre de vin, fait trois libations sur la bûche, tandis que l'aïeul prononce, en provençal, les paroles solennelles de la bénédiction:
Alegre! Diou nous alegre!
Cacho-fio ven, tout ben ven.
Diou nous fague la graci de veire l'an que ven,
Se sian pas mai, siguen pas men!
Réjouissons-nous! Que Dieu nous donne la joie! Avec la Noël, nous arrivent tous les biens. Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année qui va venir! Et si l'an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.
Tandis que la bûche flambe, on s'assied pour le plantureux repas. «Le plus jeune enfant, avec une gentille gaucherie, bénit les mets, en dessinant de ses mains mignonnes, lentement dirigées par l'aïeul, un grand signe de croix au-dessus de la table. Il semble tout naturel de choisir ce petit être innocent comme le représentant du Christ nouveau-né3».
Note 3: (retour) Nicolay, Hist. des croyances, t. II, p. 78.
Ce repas, comme c'est jour d'abstinence, n'est composé que de plats maigres, mais servis à profusion; poissons frais, poissons salés, légumes, figues sèches, raisins, amandes, noix, poires, oranges, châtaignes, pâtisseries du pays. C'est donc avec raison qu'on donne à ce festin le nom dou gros soupa.
Les enfants, qui ont obtenu, ce soir, la permission de tenir compagnie aux vieux parents, regardent toutes ces gourmandises avec des yeux émerveillés. Dans certaines familles, on met de la paille sous la table, en souvenir de la crèche où naquit le Sauveur. Quelquefois, par esprit de charité, on permet, ce jour-là, aux serviteurs de prendre leur repas à la table du maître.
Le gros souper commence parfois tristement, et cela se conçoit: les convives se comptent et la mort cruelle fait que bien souvent il manque quelque parent à l'appel. On cause un moment des absents, on adresse un hommage ému à leur mémoire, on rappelle leurs qualités. Mais la grandeur de la fête, la joie des enfants, mettent bientôt fin à ces tristes souvenirs. Les conversations deviennent plus bruyantes, le vin circule, le nougat se dépèce et, quand l'appétit est satisfait, les regards se tournent vers la Crèche qui représente le grand mystère du jour.
C'est devant la Crèche qu'après le gros souper, se continue la fête de famille. On chante avec entrain les vieux noëls provençaux souvent plusieurs fois séculaires: ceux de Saboly et ceux de Doumergue sont les plus populaires. La soirée de famille se prolonge ainsi toute la veillée. Alors tout le monde se rend à l'église pour assister à la Messe de minuit4.
Note 4: (retour) D'après Fred. Charpin et François Mazuy.
Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus régionale, c'est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l'usage se perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d'années, on s'unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à l'écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d'un mauvais naturel et d'un coeur peu chrétien.
Dans le Comtat-Venaissin, l'ordonnance de la collation de Noël est de la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un pain ou gâteau de forme élevée et conique nommé pan calendau ou pain de Noël; il ne doit pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce pain, un rameau de houx frelon ou vert bouissé, garni de ses fruits rouges et de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la bûche de Noël, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.
Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-même nous raconter la veillée de Noël en Provence:
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour «poser la bûche au feu», dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille; et, parfois, des parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant:
—Bonnes fêtes! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la «bûche de Noël», qui—c'était de tradition—devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant:
Allégresse! Allégresse,
Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse!
Avec Noël, tout bien vient,
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine.
Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas être moins.
Et, nous criant tous: «Allégresse, allégresse, allégresse!» on posait l'arbre sur les landiers et, dès que s'élançait le premier jet de flamme:
A la bûche,
Boutefeu!
disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions, à table.
Oh! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil, suspendu, à un roseau, qui, dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis germer dans l'eau, le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plais sacramentels: les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de la coquille; la morue frite et le muge5 aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme: fouaces à l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis; puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait jamais qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait.
Note 5: (retour) Muge, poisson de mer appelé aussi mulet.
La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue, ce jour-là; et, longuement, autour du feu, on y parlait des anciens ancêtres et on louait leurs actions6.
Note 6: (retour) Frédéric Mistral.
A Marseille, pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut invariablement un plat d'anguille, une raïto, sorte de sauce au poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de gâteaux, de confitures, en un mot de tout ce qu'on nomme, à Marseille, les Calenos. Autrefois, suivant la coutume des anciens seigneurs provençaux, la table demeurait couverte de mets pendant les trois jours de fête; on se contentait de relever la nappe quand la repas était terminé.
Pour compléter ce que nous avons déjà dit de la veillée de Noël en Provence, nous citerons la description que nous fait de gros souper Jeanne de Flandreysy dans le Museon Arlaten.
Le musée d'Arles, fondé en 1896 par Frédéric Mistral, est une véritable reconstitution du passé intime, familial de la Provence.
L'illustre fondateur y a réuni, dans six grandes salles ouvertes au public, tout ce qui a trait aux moeurs locales et régionales du pays.
Dans la première salle, dite salle, de Noël (Salo Calendalo), est représentée la cuisine d'un mas (ferme, métairie). Nous y voyons, entourant la grande cheminée, tous les meubles, ustensiles, table, crédence, panetière, huche, armoires, dressoirs pour les étains, horloge, chenets, la vaisselle, verriers, lampes, batterie de cuisine, brocs de cuivre, poteries grossières, etc., en un mot tout le mobilier traditionnel d'une ancienne maison agricole de Provence.
En voyant cette pièce, nous sentons parfaitement que nous sommes chez de riches paysans. Les étables doivent être pleines, les mûriers doivent donner des brassées de feuilles pour le réveil des vers à soie, et la vigne doit saigner aux vendanges, comme un taureau blessé ensanglante une arène.
... Sur la table, trois nappes, trois chandelles, symbolisent le mystère de la sainte Trinité. A ses deux extrémités, cette table est garnie des prémices de la moisson sous la forme de blé en herbe, et couverte de tous les plats conventionnels: le pain calendal (de Noël) portant une incision cruciale (on en réserve un quart pour le premier pauvre qui passe), le muge (faute de muge, on mange de la morue), les escargots, le cardon, le céleri et enfin la fougasso (fouasse), galette percée de trous.
Nous y voyons encore le sauve-crestian, grosse bouteille renfermant des grains de raisin dans l'eau-de-vie, et enfin le barralet, petit tonneau contenant le vin cuit, ce fameux vin cuit dont les Provençaux boivent une rasade dans leurs festins.
Nous terminerons par une lettre très intéressante que nous a écrite un confrère de Bretagne7.
Note 7: (retour) A. G., ancien curé de Malestroit.
«Dans beaucoup de familles, vous le savez comme moi, le réveillon de Noël n'a plus de raison d'être. Bien des gens qui ne vont pas à la messe et qui se vantent de ne plus croire à rien, croient encore au réveillon, parce que c'est un prétexte à ripaille, mais ils ne se soucient nullement de la naissance de l'Enfant Jésus. Eh bien! je crois que, proportion gardée, on pourrait presque en dire autant du repas maigre.»
Assurément les Auvergnats et les Provençaux dont vous parlez sont encore des croyants, puisqu'ils ont conservé la tradition du repas maigre à la veillée de Noël; mais pourtant ce repas est trop plantureux et trop varié pour qu'on puisse y voir une mortification. Évidemment tous ces détails sont pleins d'intérêt et vous avez eu grandement raison de ne pas les négliger, surtout au point de vue du pittoresque local. Mais, je le répète, ces repas maigres sont de vrais festins et non des collations de vigile, et, à la veillée de Noël, je les trouve tout à fait déplacés. Est-ce bien, pour des chrétiens, le moment de faire bombance, quand l'Evangile nous montre Marie et Joseph cherchant inutilement un gîte et peut-être un morceau de pain?
Qu'après la Messe de minuit, on se réjouisse, on réveillonne, rien de mieux, parce qu'alors les bergers sont déjà venus apporter des provisions à la Crèche et que la Sainte Famille n'a plus à craindre la disette; mais, avant minuit, je vous avoue que cela me choque, d'autant plus que je ne vois, dans la soirée, aucun acte religieux préparatoire à la fête de Noël.
En Bretagne, rien de plus frugal que le repas de la vigile de Noël. A Bignan, par exemple, on fait cuire, dans le four de la ferme, un petit pain rond pour chaque personne de la famille. Ce petit pain est mangé tout sec, sans beurre et sans autre boisson qu'un verre d'eau. C'est là tout le repas de la vigile.
On ne commence à manger qu'après le coucher du soleil et lorsqu'on a pu compter au moins neuf étoiles, en mémoire des neuf mois pendant lesquels la Vierge Marie a porté l'Enfant Jésus.
Ce maigre repas achevé, on s'assied autour de la bûche traditionnelle, et la veillée se passe en prières. A Mohon, où j'ai été trois ans recteur, avant de partir pour la messe de minuit, on tient à réciter «les mille Ave». Chacun dit un chapelet à son tour, pendant que les autres répondent. Après trois ou quatre chapelets récités de la sorte, on se délasse un peu en chantant quelque vieux Noël; puis on reprend la prière, jusqu'à ce que soient achevés les vingt chapelets nécessaires pour faire le total des mille Ave.
Voilà ce que devrait être, avec des variantes, selon les régions, la veillée de Noël dans toute famille vraiment chrétienne: Ne prendre de nourriture que ce qui est nécessaire pour soutenir le corps; puis, le repas achevé, prier en union avec l'Ange, en saluant mille fois la Vierge qui, dans quelques instants, sera la Mère de Dieu, mais qui, pour le moment, erre encore dans les rues de Bethléem à la recherche d'un gîte qui lui sera refusé. Tout à l'heure, au retour de la Messe de minuit, la nature reprendra ses droits et on réveillonnera copieusement, pour se réjouir de la naissance de Jésus et aussi pour réparer les fatigues de la marche et de la veillée; mais alors la Sainte Famille aura reçu la visite des bergers et ne sera plus dans le dénûment.»
Nous sommes bien de l'avis de notre aimable correspondant. Le véritable esprit chrétien de la nuit de Noël doit consister dans la mortification du repas maigre de la vigile et, après la Messe de minuit, dans la joie exubérante du réconfortant réveillon auquel prend part la famille tout entière.
II.—LES DIVERTISSEMENTS.
Nous allons citer quelques divertissements auxquels donne lieu la fête de Noël.
Nous avons trouvé dans une notice sur Beaufort, commune de l'Anjou, une très ancienne coutume dont il ne reste pas trace dans les traditions du pays.
C'était, à Beaufort, un usage que tous les jeunes gens mariés dans l'année se réunissent la veille de Noël, pour offrir au public un grand divertissement.
A l'heure indiquée, ils se rendaient, escortés de toute la foule, sur un pont situé sur une petite rivière, à l'extrémité de la ville. Là, au signal donné par les premiers magistrats de la cité, et en présence du seigneur du lieu qui présidait la cérémonie, ils se précipitaient dans l'eau pour y saisir, en nageant, une pelote que l'on avait jetée dans le courant. Les nageurs avaient la liberté d'arracher la pelote des mains de ceux qui l'avaient saisie les premiers; c'était, on peut le penser, une lutte fort longue et fort distrayante. Celui qui, le plus fort ou le plus adroit, parvenait à se rendre maître de la pelote était proclamé le vainqueur. Il recevait cinquante livres pour «monter son ménage» et était reconduit chez lui au son de la trompe, au bruit des tambours, des fifres et des hautbois.
Ceux des jeunes gens qui, n'étant pas malades, «ne voulaient pas grelotter en nageant après la pelote», payaient une amende au profit du vainqueur.
Une coutume à peu près semblable avait lieu en Normandie, au Mesnil-sous-Jumièges et à Yville.
La dernière mariée de l'année—et c'était à qui se marierait la dernière pour avoir cet honneur,—en présence de toute la paroisse assemblée, jetait par-dessus l'église une boule ou une pelote où était enfermée une somme d'argent. Chacun faisait ses efforts pour s'en emparer. Or, pour en demeurer maître, il fallait rentrer chez soi et faire baiser la pelote à la bûche de Noël, dans la cheminée. Quiconque touchait le porteur, lui criait: «Lâche la pelote», et de nouveau la pelote était lancée.
Souvent cette partie de balle lancée durait fort longtemps, et parfois l'heureux possesseur de la balle demeurait éloigné du village deux eu trois jours avant de rentrer chez lui, attendant que ses adversaires, lassés, aient abandonné la partie. Une sorte de superstition s'en mêlait, la pelote portant bonheur au hameau qui la possédait. C'était un talisman qui assurait de belles récoltes à celui qui pouvait la garder.
Tout cela était très inoffensif, mais les bousculades, les batteries qui s'ensuivaient, l'étaient moins, et, en 1866, on a supprimé définitivement cette originale coutume normande8.
Note 8: (retour) Journal de Rouen, suppl. du 25 déc. 1898.
Voici, d'après M. J. Carnandet9, ce qui se passait, la veille de Noël, dans les villages champenois.
Note 9: (retour) Bibliothécaire de la ville de Chaumont.
C'est à la nuit tombante que commencent les réjouissances de la fête de Noël. Dès que la dernière lueur du jour s'est fondue dans l'ombre, tous les habitants du pays ont grand soin d'éteindre leurs foyers, puis ils vont en foule allumer des brandons à la lampe de l'église. Lorsque ces brandons ont été bénits par le clergé, ils les promènent par les champs: c'est ce qu'on appelle la fête des flambarts. Ces flambarts sont le seul feu qui brûle dans le village: ce feu bénit et régénéré jettera de jeunes étincelles sur l'âtre ranimé dans quelques instants, image symbolique de la renaissance spirituelle apportée au monde par Jésus-Christ.
Puis on allume la bûche de Noël.
Pendant la veillée, les paysans, sur l'esplanade et dans les cours, se livrent à mille passe-temps agréables et se divertissent au jeu des folles entreprises. Les uns feignent de vouloir prendre la lune avec les dents, les autres de rompre une anguille avec les genoux, les autres d'étouper les quatre-vents, d'autres, enfin, de faire taire les femmes qui coulent la buie (la lessive).
Mais tous les jeux cessent à minuit, alors que les cloches tintent dans les airs obscurcis. De tous côtés, s'en viennent à l'église de longues files de paroissiens portant des brandons goudronnés, des torches de poix ardente qui répandent de larges clartés sur les campagnes éblouissantes et font scintiller le givre aux buissons des clôtures.
Nous avons reçu d'un de nos aimables confrères le récit le plus charmant qu'on puisse désirer d'une veillée de Noël dans le Rouergue 10.
Note 10: (retour) M. l'abbé M..., du diocèse de Rodez.
«Nos coutumes se perdent de plus en plus dans notre Rouergue, comme partout ailleurs; à mesure que les progrès s'infiltrent dans nos montagnes, les vieilles traditions disparaissent peu à peu pour faire place à la monotone banalité de l'égoïsme et du bien-être.
«Voici cependant ce qui se passe généralement, à l'occasion de Noël, dans la région montagneuse et accidentée qui entoure Rodez: c'est le vieux Rouergue, qui sut se garantir du protestantisme et de l'invasion anglaise.
«Là, dans les vastes plaines arides du Causse, comme sur les montagnes du Levézou et les mamelons boisés du Ségala, il fait grand froid vers la fin de décembre; aussi on ne ménage pas le bois dans la vaste cheminée autour de laquelle se groupe toute la famille pour la veillée.
«Autrefois, les voisins arrivaient, eux aussi; on se réunissait, ainsi, nombreux, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, on devisait joyeusement, sans contrainte ni gêne aucune, grignotant de savoureuses châtaignes grillées et les arrosant de cidre ou du petit vin blanc qu'on récolte dans nos vallons. Hélas! la politique s'est glissée sournoisement jusque chez nous—et finies nos patriarcales réunions.
«Groupée donc autour d'un grand feu, la famille cause doucement: tout à coup, les cloches se font entendre. «Les carillons!» dit l'un des anciens, et là-dessus, pour satisfaire l'avide curiosité des jeunes, on rappelle toutes les antiques légendes de la fête de Noël, que tout le monde sait déjà, mais qui plaisent toujours.
«On raconte que les cloches de telle ancienne paroisse détruite, jetées dans quelque gouffre profond par les protestants ou les révolutionnaires, se mettent à sonner d'elles-mêmes pour répondre aux joyeux carillons de leurs soeurs qui chantent si gaiement dans le clocher du village.
«Viennent ensuite les récits les plus variés sur la naissance du Sauveur... Presque toujours ces récits se terminent par un cantique de Noël—en patois, bien entendu:
Au miezo mièch,
Lous pastrès quitou lou lièch,
Per ona audoura la noissenço,
Moun Dious!
D'un Dious plé de puissenço
Benez esse Dious!
A minuit,
Les bergers quittent le lit,
Pour aller adorer la naissance,
Mon Dieu!
D'un Dieu plein de puissance,
Venez être Dieu!
«Que de fois n'ai-je pas ouï la voix chevrotante de ma bonne vieille «Mimi», âgée de plus de quatre-vingts ans, qui me berçait sur ses genoux au rythme mélancolique et suppliant de ce chant naïf.
«Avant de partir pour la Messe de minuit, on plaçait la bûche de Noël (souquo naudolenquo). D'après la tradition, la bûche de Noël, dans toute maison qui se respecte, doit durer jusqu'au 1er janvier, et même, pour s'assurer une heureuse et prospère année, il faut qu'elle brûle sans s'éteindre jusqu'à l'Épiphanie, afin que, si les Rois Mages viennent à passer par là, ils aient de quoi réchauffer leurs membres fatigués et glacés par l'âpre bise de nos montagnes. Aussi ce sont des arbres entiers ou d'immenses souches de chêne que j'ai vu porter par trois ou quatre valets de ferme dans la gigantesque cheminée de la cuisine.»
Une plume très exercée a su mettre en scène l'antique veillée de Noël au pays lorrain; nous sommes heureux de reproduire ce gracieux tableau.
«C'était la veillée de Noël en pays lorrain. Dans la grande salle du château, maîtres et serviteurs sont rassemblés, le souper vient de finir; les pages apportent les galettes dorées et les aiguières de vin vermeil qui doivent égayer la soirée. Au haut de la table, le comte Raoul de Briamont a présidé le repas sur le grand fauteuil seigneurial sculpté aux armoiries de sa maison; il a crié «Noël!» en élevant gaiement la coupe d'argent, et sa voix sonore a éveillé, en même temps que les échos de la grande salle, la joie dans tous les cours des convives. Car tous les serviteurs de Briamont présents au festin de Noël aiment leur jeune maître de quinze ans et respectent sa tête blonde, comme ils respectaient jadis les cheveux blancs de son aïeul. A la droite du comte Raoul se trouvent: le chapelain, messire Didier, qui, tout à l'heure, célébrera dans la chapelle la Messe de minuit; puis Alain, le vieil écuyer du défunt seigneur; dame Pernette, qui a nourri et élevé l'enfant; les servantes, les hommes d'armes de la petite garnison qui défend le château pendant ces jours troublés; les varlets, les pages et, enfin, une famille de pauvres laboureurs qui est venue le jour même chercher derrière les murs de Briamont un abri contre la fureur des bandes pillardes qui dévastent la campagne. Et tous ont répété: «Noël! Vive notre jeune seigneur!»
«—Merci à vous, mes bons serviteurs et amis, reprend le comte Raoul; merci de votre affection et des soins dont vous m'avez entouré pendant toute cette année, la dernière que je passe parmi vous et sous le toit de mes pères. Bientôt sonnera l'heure du départ; bientôt, sous la conduite de mon suzerain, j'irai trouver notre sire le roi Charles; bientôt je serai chevalier, je pourrai courir sus à l'Anglais et aider, s'il plaît à Dieu, à le chasser hors du royaume de France. Criez donc: Noël! mais aussi: Vive notre gentil dauphin Charles VII!11».
Note 11: (retour) Marie de Lacertelle, Ann. d'Orléans, 7 janv. 1905.
A Paris, comme dans toutes les grandes capitales, le mouvement et l'animation redoublent la veille de Noël et se prolongent non seulement fort avant dans la soirée, mais encore une partie de la nuit. La Noël, l'une de nos plus grandes fêtes religieuses, l'une des plus touchantes fêtes de famille, est en même tempe la plus franchement joyeuse des fêtes populaires.
Dès la nuit tombée, les rues sont envahies par la foule: sur les boulevards, auxquels les petites boutiques provisoires prêtent la physionomie d'une fête enfantine, c'est un flot toujours croissant, toujours renouvelé de promeneurs.
Les terrasses des cafés s'encombrent à vue d'oeil; à tous ces gens attablés, des camelots viennent proposer le jouet du jour, en accompagnant leur boniment des facéties les plus originales. Des mendiants cherchent à exploiter la pitié des passants et des industriels sans ressources s'improvisent artistes pour la circonstance.
Ces sortes de «minstrels» pullulent depuis quelques années. Certains exercent leur talent sans collaboration, mais la plupart sont groupés en duo ou trio pour donner leur concert. Ils débitent leur répertoire, généralement insignifiant, devant un public peu exigeant, car c'est d'une façon bien distraite qu'on les écoute. Ces virtuoses du pavé, pauvres «cigales» de l'art, auxquelles la lumière électrique tient lieu de «soleil», accompagnent souvent leurs chants de «danses» qui ne leur assurent pas toujours ce qu'il faut «pour subsister».
Un usage des plus édifiants et des plus touchants existe encore au village de Montsecret (Orne). La veille et le matin du jour de Noël, une jeune fille pieuse et estimée de tous va par les maisons porter l'Enfant-Jésus de la Crèche et le fait baiser aux petits enfants. Les parents remettent alors une offrande pour l'entretien de la lampe qui, pendant tout le mois de janvier, brûle à l'église devant la Crèche. Cette visite est regardée comme un honneur et une bénédiction par les familles: les enfants l'attendent avec impatience et l'accueillent avec joie12.
Note 12: (retour) D'après l'abbé V..., du diocèse de Séez.
III.—LES LÉGENDES
Ce qui fait le plus grand charme de la veillée de Noël, ce sont assurément les légendes qu'on y raconte: leur ensemble forme un des plus captivants chapitres de la littérature populaire; elles sont tour à tour terribles ou touchantes, dramatiques ou gracieuses. Il serait bien difficile de dire quelle est l'origine de ces fables, historiettes ou contes, qui ont trait à la naissance de l'Enfant-Dieu. Ces récits, auxquels les vieillards savent donner tant de charmes, font toujours les délices des enfants.
Les légendes de la veillée de Noël peuvent se diversifier d'après les êtres qui entrent en scène. Êtres inanimés, animaux, démons, récits édifiants; tel est l'ordre que nous suivrons.
Êtres inanimés
En Franche-Comté, on raconte qu'une roche pyramidale, qui domine la crête d'une montagne, tourne trois fois sur elle-même pendant la Messe de minuit, quand le prêtre lit la généalogie du Sauveur. En cette même nuit, les sables des grèves, les rocs des collines, les profondeurs des vallées s'entr'ouvrent et tous les trésors enfouis dans les entrailles de la terre apparaissent à la clarté des étoiles.
Dans cette même contrée existe la légende de la pierre qui vire. C'est une pierre pointue dressée en équilibre sur un rocher, entre les villages de Scey-en-Varais et de Cler, et qui, dit-on, fait un tour complet sur elle-même au coup de minuit, à Noël13.
Note 13: (retour) L'abbé V..., du diocèse de Besançon.
Dans les Vosges, la pierre tournerose, bloc élevé qui existait près de Remiremont, se mettait elle-même en mouvement quand les cloches de Remiremont, de Saint-Nabord et de Saint-Etienne (deux paroisses voisines de Remiremont) appelaient les fidèles à la Messe de minuit14.
Note 14: (retour) Richard, Traditions populaires.
C'est surtout au pays de Caux (Seine-Inférieure) qu'existe la légende des pierres tournantes. Ces pierres faisaient autrefois trois tours sur elles-mêmes pendant la Messe de minuit, et les monstres qui étaient censés y habiter exécutaient autour d'elles des danses folles qu'il eût été dangereux de troubler. Citons la chaise de Gargantua à Duclair, la pierre Gante à Tancarville, la pierre du Diable à Criquetot-sur-Ouville.
A Millières, dans le Cotentin (Manche), au carrefour des Mariettes, se trouve un bloc de pierre pesant mille kilos, qui, dit-on, saute trois fois, le jour de Noël, à minuit.
On croit encore, au pays de Caux, que les cloches perdues sonnent pendant la Messe de minuit.
Certains affirment avoir entendu l'ancienne cloche de l'église des moines d'Ouville-l'Abbaye, qui passe pour être enfouie dans le «Bose-aux-Moines», à Boudeville.
Mais il faut surtout lire les légendes bretonnes.
Nombreuses autant qu'énormes sont les pierres qui se déplacent pendant la Messe de minuit, pour aller boire, comme des moutons altérés, aux rivières et aux ruisseaux.
Un mégalithe, près de Jugon (Côtes-du-Nord), se rend à la rivière de l'Arguenon. Dans le bois de Couardes, un bloc de granit, haut de trois mètres, descend pour aller boire au ruisseau voisin et remonte à sa place de lui-même.
Il y a, au sommet du mont Beleux, un menhir qui se laisse enlever par un merle et qui met à découvert un trésor.
Il faut entendre surtout, telle qu'elle nous est contée par Emile Souvestre, la jolie légende des pierres de Plouhinec qui vont boire à la rivière d'Intel15.
Note 15: (retour) Emile Souvestre, Le Foyer Breton, tome II. p. 181.
La plus célèbre était jadis la grosse pierre de Saint-Mirel, dont Gargantua se servit pour aiguiser sa faux, et qu'il piqua, après la fauchaison, comme on la retrouve encore aujourd'hui. Elle cachait un trésor qui tenta un paysan des alentours. Ce paysan était si avare qu'il n'eût pas trouvé son pareil: le liard du pauvre, la pièce d'or du riche, il prenait tout; il se serait payé, s'il eût fallu, avec la chair des débiteurs.
Quand il sut qu'à la Noël les roches allaient se désaltérer dans les ruisseaux, en laissant à découvert des richesses enfouies par les anciens, il songea, pendant toute la journée, à s'en emparer.
Pour pouvoir prendre le trésor, il fallait cueillir, durant les douze coups de minuit, le rameau d'or qui brillait à cette heure seulement dans les bois de coudriers et qui égalait en puissance la baguette des plus grandes fées. Lors, ayant cueilli le rameau, il se précipita de toute sa force vers le plateau où le rocher de Gargantua profilait sa masse sombre, et, lorsque minuit eut sonné, il écarquilla les yeux.
Lourdement le bloc de pierre se mettait en marche, s'élevant au-dessus de la terre, bondissant comme un homme ivre à travers la lande déserte, avec des secousses brusques qui faisaient sonner au loin le terrain de la vallée.
Jusqu'à ce moment la branche magique éclairait l'endroit que la pierre venait de quitter. Un vaste trou s'ouvrait, tout rempli de pièces d'or.
Ce fut un éblouissement pour l'avare, qui sauta au milieu du trésor et se mit en devoir de remplir le sac qu'il avait apporté. Une fois le sac bien chargé, il entassa ses pièces d'or dans ses poches, dans ses vêtements, jusque dans sa chemise. Dans son ardeur, il oubliait la pierre qui allait venir reprendre sa place. Déjà les cloches ne sonnaient plus. Tout à coup le silence de la nuit fut troublé par les coups saccadés du roc qui gravissait la colline et qui semblait frapper la terre avec plus de force, comme s'il était devenu plus lourd après avoir bu à la rivière. L'avare ramassait toujours ses pièces d'or. Il n'entendit pas le fracas que fit la pierre quand elle s'élança d'un bond vers son trou, droite comme si elle ne l'avait pas quitté.
Le pauvre homme fut broyé sous cette masse énorme, et de son sang il arrosa le trésor de Saint-Mirel16.
Note 16: (retour) Lectures pour Tous, déc. 1903, p. 190.
Animaux
Il existe, en France surtout, une croyance populaire dont les formes varient suivant les différentes contrées: c'est la conversation des animaux entre eux pendant la Messe de minuit et surtout pendant la lecture ou le chant de la Généalogie.
C'est sans doute une réminiscence de la représentation de l'ancien «Mystère de la Nativité», pendant laquelle on faisait parler les animaux.
Cette croyance si répandue, avec de nombreuses variantes, peut se résumer ainsi: un paysan, probablement ivre, ayant omis d'offrir à son bétail le réveillon traditionnel, entend ce dialogue entre les deux grands boeufs de son étable:
Premier boeuf: «Que ferons-nous demain, compère»?
Second boeuf: «Porterons notre maître en terre...»
Le maître, furieux, en entendant cette prédiction, saisit une fourche pour frapper le prophète de malheur; mais, dans sa précipitation, il se blesse maladroitement lui-même à la tête... et le lendemain les boeufs le portent en terre.
Tel est le thème développé différemment suivant les provinces.
Dans les Vosges, à la Bresse, canton de Saulxures-sur-Moselotte, on a soin de donner abondamment à manger aux animaux avant d'aller à la Messe de minuit.
A Cornimont, au Val-d'Ajol, on croit encore que les animaux se lèvent et conversent ensemble pendant la Messe de minuit. On raconte à ce sujet qu'un habitant de Cornimont, jouissant de la réputation d'esprit fort, voulut s'assurer de ce fait surnaturel. Il alla se coucher dans un coin obscur de l'écurie située derrière sa maison.
A l'heure de minuit, il vit un de ses boeufs se réveiller, puis se lever pesamment et demander, en bâillant, à son compagnon de fatigue, ce qu'ils feraient tous deux le lendemain. Celui-ci lui répondit qu'ils conduiraient leur maître au cimetière. La chose ne manqua pas d'arriver, dit la tradition: notre esprit fort fut saisi d'une telle frayeur qu'il en tomba raide mort sur place. Ainsi, sans doute, le racontèrent les boeufs.
On assure aussi qu'une semblable aventure arriva à une femme de Raon-aux-Bois, canton de Remiremont. Poussée par la curiosité, elle alla visiter ses étables pendant la Messe de minuit. Elle apprit également de ses boeufs qu'ils ne tarderaient pas à la conduire en terre17.
Note 17: (retour) Traditions populaires, par Richard. Remiremont, 1848.
La nuit de Noël est célèbre par une vieille légende que les paysans landais racontent avec terreur, pendant les veillées d'hiver.
Ils prétendent que le jour de Noël, vers minuit, l'âne et le boeuf se mettent à parler entre eux. Ils causent du temps où l'Enfant-Jésus n'avait pour se réchauffer que leur haleine. Ce don miraculeux de la parole est le cadeau envoyé tous les ans par le Ciel à ces deux animaux, en souvenir des bons offices rendus à l'Enfant-Jésus dans l'étable de Bethléem. Mais malheur à celui qui tente de surprendre leur mystérieuse conversation.
Sa témérité est punie d'une manière terrible: il tombe mort à l'instant même18.
Note 18: (retour) Le Petit Landais, 25 décembre 1902.
Un bon paysan de Gaillères l'éprouva à ses dépens. Pour se convaincre de la vérité du fait, il vint écouter à l'étable, et voilà qu'à minuit juste, le boeuf dit à son voisin:
«Hoù Bouêt?—Hoù Bortin.
—Que haram-nous, douman matin?
—Que pourteram lou boué ou clôt.
E lou boué que mouri sou cop»19.
Note 19: (retour) Sorcières et loups-garous dans les Landes, p. 39.
Voici comment Laisuel de Lasalle a gracieusement brodé cette légende: la scène se passe en Berry 20.
Note 20: (retour) Croyances et légendes, tom. I, p. 17.
«On assure qu'au moment où le prêtre élève l'hostie pendant la Messe de minuit, toutes les aumailles (bêtes à cornes) de la paroisse s'agenouillent et prient devant la Crèche. On assure encore qu'après cette oraison toute mentale, s'il existe dans une étable deux boeufs qui sont frères, il leur arrive infailliblement de prendre la parole.
«On raconte qu'un boiron21 qui, dans ce moment solennel, se trouvait couché près de ses boeufs, entendit le dialogue suivant:
«—Que ferons-nous demain? demanda tout à coup le plus jeune du troupeau.
Note 21: (retour) On appelle boiron le jeune garçon qui touche ou aiguillonne les boeufs pendant le labourage.—On dit aussi boyer pour bouvier—en italien, boaro.
«—Nous porterons notre maître en terre, répondit d'une voix lugubre un vieux boeuf à la robe noire, et tu ne ferais pas mal, François, continua l'honnête animal en arrêtant ses grands yeux sur le boiron qui ne dormait pas, tu ne ferais pas mal d'aller l'en prévenir, afin qu'il s'occupe des affaires de son salut.
«Le boiron, moins surpris d'entendre parler ses bêtes qu'effrayé du sens de leurs paroles, quitte l'étable en toute hâte et se rend auprès du chef de la ferme pour lui faire part de la prédiction.
«Celui-ci se trouvait attablé avec trois ou quatre francs garnements de son voisinage et, sous prétexte de faire le réveillon, présidait à une monstrueuse orgie, tandis que la cosse de Nau (bûche de Noël) flamboyait dans l'âtre et que sa femme et ses enfants étaient encore à l'église.
«Le fermier fut frappé de l'air effaré de François à son arrivée dans la salle.
«—Eh bien? Qu'y a-t-il? lui demanda-t-il brusquement.
«—Il y a que les boeufs ont parlé, répondit le boiron consterné.
«—Et qu'ont-ils chanté? reprit le maître.
«—Ils ont chanté qu'ils vous porteraient demain en terre; c'est le vieux Noiraud qui l'a dit, et il m'a même envoyé vous en avertir, afin que vous ayez le temps de vous mettre en état de grâce.
«—Le vieux Noiraud en a menti, et je vais lui donner une correction, s'écria le fermier, le visage empourpré par le vin et la colère.
«Et, sautant sur une fourche de fer, il s'élance hors de la maison et se dirige vers les étables. Mais il est à peine arrivé au milieu de la cour qu'on le voit chanceler, étendre les bras et tomber à la renverse.
«Était-ce l'effet de l'ivresse, de la colère ou de la frayeur?
«Nul ne le sait.
«Toujours est-il que ses amis, accourus pour le secourir, ne relevèrent qu'un cadavre et que la prédiction du vieux Noiraud se trouva accomplie.
«Depuis cette aventure, que l'on dit fort ancienne, les boeufs ont toujours continué à prendre, une fois l'an, la parole; mais personne n'a plus cherché à surprendre le secret de leur conversation.»
«A Romorantin, nous écrit un de nos correspondants, lorsque j'étais enfant, on me recommandait de me trouver à la Crèche, le jour de Noël, à minuit sonnant; c'était, me disait-on, l'heure où le boeuf et l'âne empruntaient la voix humaine pour saluer le Christ naissant.»
Dans le Cotentin, où la foi est naïve, on est persuadé que toute la création adore le petit Jésus, à Noël. A l'heure de minuit, dit-on, tous les animaux de ferme s'agenouillent, et tel curieux qui voudrait alors pénétrer dans l'étable, uniquement pour s'assurer du fait, serait immédiatement puni de sa témérité22.
Note 22: (retour) Ces détails nous ont été donnés par un habitant de Millières (Manche).
Démons et croyances superstitieuses.
Un ancien Noël nous donne une description frappante et naïve de la rage du démon, à la venue du Messie:
AIR: J'endève.
Le démon, assurément,
Dedans son coeur endève,
Car Dieu vient présentement
Pour sauver les fils d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve!
Il régnait absolument
Sans nous donner de trêve,
Mais ce saint avènement
Délivre les fils d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve!
Chantons Noël hautement,
Sortons de notre rêve,
Bénissons le sauvement
De tous les enfants d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve23!
Note 23: (retour) Bible des Noëls, p. 33.
La nuit de Noël est la plus mystérieuse de toutes les nuits. Il semble que Satan, exaspéré par l'échec que ce divin anniversaire lui remet en mémoire, sente, à chaque retour de la grande fête, redoubler sa haine et sa rage contre l'humanité. C'est alors qu'il sème dans les sentiers et sur les carroirs24 que doivent parcourir les pieuses caravanes de la Messe de minuit, ces larges et splendides pistoles qui jettent dans l'ombre de si magiques et de si attrayants reflets. C'est alors qu'il ouvre, au pied des croix et des oratoires champêtres, ces antres béants au fond desquels on voit ruisseler des flots d'or. Malheur à celui qui tente de garnir son escarcelle de cette brillante monnaie. Chaque pistole ramassée échappe aussitôt des mains, en laissant aux doigts une empreinte noire, ineffaçable, avec une sensation de brûlure atroce, pareille à celle du feu de l'enfer.
Note 24: (retour) On donne le nom de carroirs à tous les carrefours Champêtres, c'est-à-dire à tout terrain vague ou désert où viennent se croiser plusieurs chemins.
Le Maufait (le malfaisant, le diable) est partout, on le rencontre courant la campagne sous les formes les plus imprévues.
Autrefois, au collège de Saint-Amand, un vieux domestique contait ainsi l'aventure fantastique qui lui était arrivée le 25 décembre 1783.
Malgré les recommandations de son père, il avait tendu des collets dans un ancien cimetière. Il y courut pendant la Messe de minuit et trouva pris au piège un lièvre qui, au lieu de l'attendre, se coupa la patte avec les dents. Lui de le poursuivre, l'autre de se sauver aussi vite que le lui permettait sa blessure. Enfin, après une longue course, ils arrivèrent tous les deux aux bords du Cher, et au moment où le chasseur allait mettre la main sur sa proie, la maligne bête franchit la rivière d'un seul bond. Alors se tournant vers le jeune homme épouvanté: «Eh bien! l'ami, s'écria le Diable qui avait repris sa forme, est-ce bien sauté pour un boiteux?»
En Limousin, dans les campagnes, existe cette croyance que les maléfices, les sortilèges, toutes les oeuvres de l'Esprit du mal perdent, la nuit de Noël, leur puissance; qu'il est possible de pénétrer jusqu'aux trésors les plus cachés, la vigilance des monstres ou des êtres surnaturels qui les gardent se trouvant en défaut, ou leur pouvoir suspendu25.
Note 25: (retour) M. G., de la Société archéologique du Limousin.
Shakespeare, le grand poète anglais, connaissait cette tradition quand, dans Hamlet, il fait dire à Marcellus:
Some say that ever'gainst that season comes,
Wherein Our Saviour's birth is celebrated,
The bird of dawning singeth a night long;
And then, they say, no spirit dare stir abroad;
The nights are wholesome; then no planets strike,
No fairy takes, nor witch hath power to charm;
So hallowed and so gracious is the time26
Note 26: (retour) Shakespeare, Hamlet, acte I, scène I.
Il y en a qui disent que toujours à l'époque
Où est célébrée la naissance de notre Sauveur,
L'oiseau de l'aurore27 chante tout le long: de la nuit;
Alors, dit-on, aucun esprit n'ose errer dans l'espace:
Les nuits sont sans malignité, nulle planète ne peut nuire,
Nulle fée ne prend, et nulle sorcière n'a le pouvoir de jeter des sorts;
Si béni et si plein de grâce est ce moment de l'année!
Note 27: (retour) Le coq.
Et, en effet, un moment vient où le Malin est enfin réduit à l'impuissance: c'est lorsque tinte le premier coup de minuit. Écoutez plutôt ce que lit Jean Scouarn, de Saint-Michel-en-Grève, près de Ploumilliau (Côtes-du-Nord).
Un jour qu'il errait sur les grèves de Saint-Michel, il rencontra un pauvre chemineau qui, pour le remercier d'un morceau de pain qu'il lui avait donné, lui révéla le moyen de gagner la fortune et le bonheur. Il lui apprit, en effet, qu'au milieu de la grève se dressait un château habité par une princesse, belle comme une fée et riche comme les douze pairs de France. Les esprits de l'Enfer la retenaient sous les eaux. A Noël, au premier coup de minuit, la mer s'ouvrait et laissait voir le château: si quelqu'un pouvait y entrer et aller prendre dans la salle du fond une baguette magique, il pouvait devenir le mari de la châtelaine. Mais il fallait avoir mis la main sur la baguette avant le dernier coup de minuit; sinon, la mer revenait engloutir le château, et l'audacieux chercheur était métamorphosé en statue.
Scouarn résolut de tenter l'aventure. A minuit, en effet, la mer s'écarta comme un rideau qu'on tire et laissa voir un château resplendissant de lumières. Scouarn ne fit qu'un bond vers l'entrée et franchit la porte. La première salle était remplie de meubles précieux, de coffres d'or et d'argent. Tout autour se dressaient les statues des chercheurs d'aventures qui n'avaient pu aller plus loin. Une seconde salle était défendue par des lions, des dragons et des monstres aux dents grinçantes. Jean Scouarn était perdu s'il hésitait.
Comme le sixième coup de minuit sonnait, il réussit à passer au milieu des bêtes enchantées qui s'écartèrent et pénétra dans un appartement plus somptueux que tous les autres, où se tenaient les filles de la mer. Il allait se laisser entraîner dans leur ronde, quand il aperçut tout au fond la baguette magique: il s'élança et la saisit victorieusement.
Le douzième coup de minuit sonna.
Mais Scouarn tenait la baguette magique et il n'avait plus rien à craindre. A sa voix, la mer mugissante s'éloigna du château, et les esprits de l'Enfer, définitivement vaincus, s'enfuirent en poussant des cris à faire trembler les rochers.
La princesse délivrée offrit sa main au vaillant sauveur.
Ce furent des noces splendides, et Jean Scouarn, dans sa reconnaissance pour les Saints qui l'avaient protégé, employa la moitié des trésors à construire une chapelle à l'archange saint Michel28.
Note 28: (retour) Lectures pour Tous, déc. 1903, p. 193.
Nombreuses sont les croyances superstitieuses, à l'occasion de la fête de Noël:
Dans les villages bisontins, on observé quel vent souffle au sortir de la Messe de minuit: ce sera, paraît-il, le vent qui dominera durant la nouvelle année.
Dans les campagnes des Vosges, les douze jours entre Noël et les Rois indiquent le temps des douze mois de l'année29; ces jours sont appelés, dans le pays, jours des lots.
Note 29: (retour)Dans la Vaucluse, ce sont les douze jours qui précèdent Noël qu'on appelle jours compteurs.
Dans les environs de Gien (Loiret), on appelle jours féviés (jours de la fève) le temps qui s'écoule de Noël au premier janvier. Ils indiquent, en général, la température dominante des six premiers mois de l'année suivante, mais dans l'ordre inverse: le 31 décembre correspond à janvier et le 26 décembre à juin.
Pour connaître le temps qu'il fera, on prend les dispositions suivantes:
On place en ligne douze oignons creusés en forme de coquilles de noix et cela dès le 25 décembre, dans l'ordre suivant:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Dans chaque oignon ainsi creusé, on met quelques grains de sel. Le premier oignon, en commençant par la gauche, correspond au mois de janvier, et les autres oignons aux mois suivants, d'après leur rang.
Au jour des Rois, qui est le dernier des jours des lots, on examine les oignons. Là où le sel n'est pas fondu, le mois correspondant doit être sec; là où il est fondu, le mois correspondant doit être humide.
Dans la Normandie, on augure de la fécondité des pommiers, selon que la lune éclaire plus ou moins les personnes qui vont à la Messe de minuit ou qui en reviennent.
Au pays de Caux, on plaçait autrefois sur une jatte de bois ou un plateau quelconque un morceau de pain bénit de la Messe de minuit. On le laissait aller à la dérive sur les rivières jusqu'à ce que le plateau s'arrêtât de lui-même, indiquant ainsi où se trouvait le corps d'un noyé. Longtemps les Cauchois des rives de la Seine eurent cette croyance.—Ils croyaient aussi que le pain bénit de la Messe de minuit avait le pouvoir de délier la langue des enfants. Dans certaines familles cauchoises, on le conserve comme un talisman ayant la vertu d'indiquer l'état de santé des absents.
En Corse, les jeunes gens ont l'habitude de courir de maison en maison de manière à faire sept veillées avant la Messe de minuit, afin d'être jugés dignes d'apprendre, de vieilles femmes, certains signes superstitieux qui leur permettent, le cas échéant, de rendre impuissantes et inoffensives les piqûres des scorpions et des autres animaux nuisibles. Ces signes ne peuvent valablement se communiquer que la nuit de Noël et seulement à ceux qui ont fait les sept veillées.
La Bretagne surtout peut être appelée la terre classique des légendes. Interrogez les vieux paysans réunis aux veillées d'hiver. Pendant que l'assistance frissonne d'épouvante et se presse autour du foyer où brille un feu de genêts épineux, ils vous révéleront les noms de tous les êtres mystérieux ou sinistres qui peuplent les nuits de la vieille Armorique. C'est pendant la nuit de Noël surtout que l'ordre ordinaire de la nature est bouleversé. Quand la cloche annonce l'élévation de la Messe de minuit, tout ce qu'il y a d'êtres créés sur la terre se montre à la fois dans le monde. Prêtons l'oreille à l'antique tradition: elle le mérite par sa poétique étrangeté!
Voici les fantômes qui s'avancent. Près des fées des bois et des eaux, se montrent les korigans avec leurs marteaux et les dragons gardiens des trésors. Ensuite apparaissent le garçon à la grosse tête, épouvantail des nuits pluvieuses, l'homme-loup, le conducteur des morts et le cheval trompeur.
Le char de l'ankou porte l'oiseau de la mort et Jean de feu. Les flammes bleues qui dansent dans les cimetières, les noyés qui sortent de la mer, le diable des carrefours qui vient acheter la poule noire, le sorcier qui cherche l'herbe d'or, les damnés qui soulèvent la pierre de leur tombe pour demander des prières, les lavandières nocturnes... telle est l'épouvantable procession qui chemine à travers la lande, pendant que la neige tourbillonne et que les fidèles sont prosternés devant l'autel30.
Note 30: (retour) Noël, chez Desclées, p. 78.
Récits édifiants
Innombrables sont ces sortes de légendes. Nous n'en citerons qu'un petit nombre.
On raconte qu'à Marienstein, ce sanctuaire aimé de la Suisse septentrionale et de l'Alsace, éclosait, la nuit de Noël, une rose, fermée toute l'année, et d'où s'échappaient une délicieuse odeur et une lumière éclatante: c'était la rose de Noël ou la rose des neiges.
On raconte, dit Albert de Mun, dans nos landes de Bretagne, que lorsque les Mages arrivèrent à l'étable de Bethléem, ils y trouvèrent les bergers qui, n'ayant rien autre à offrir au divin Enfant, enguirlandèrent avec des fleurs des champs la Crèche où il était couché; les Mages étalèrent leurs riches présents.
Ce que voyant, les bergers se dirent entre eux: «Nous voilà bien! A côté de ces belles choses d'or et d'argent, que vont devenir nos pauvres fleurs? L'Enfant ne les regardera seulement pas!»
Mais voilà que l'Enfant-Jésus, repoussant doucement du pied les trésors entassés devant lui, étendit sa petite main vers les fleurs, cueillit une marguerite des champs, et, la portant à ses lèvres, y posa un baiser.
C'est depuis ce temps que les marguerites, qui jusqu'alors étaient toutes blanches, ont au bout des feuilles une belle couleur rosée qui semble un reflet de l'aurore, et, au coeur, le rayon d'or tombé des lèvres divines.
Finissons par la Noël des trépassés.
C'était au temps du bon roi saint Louis, temps béni où la foi et la piété régnaient au pays de France.
L'office de la nuit de Noël venait d'être achevé dans l'église abbatiale de Saint-Vincent du Mans. Les moines s'étaient tous retirés et l'abbé était rentré dans sa cellule. Accablé par l'âge, il s'était étendu promptement sur son humble couchette. Un lourd sommeil s'empara bientôt de son être. Tout à coup, un bruit étrange fait résonner la porte de la cellule. L'abbé, réveillé en sursaut, se lève à demi. Le bruit se renouvelle plus violent, plus fantastique. Le moine se précipite vers la porte; il l'entr'ouvre.
Un spectacle terrifiant se présente à ses yeux.
Une foule immense d'êtres, revêtus de suaires blancs, sont là, dans le long corridor. Tous portent une torche allumée. Un effroyable silence plane sur cette multitude.
Saisi de frayeur, l'abbé, craignant quelque oeuvre diabolique, fait sur lui d'abord, puis sur toute cette foule, un grand signe de croix. Ces êtres s'inclinent alors, répétant tous le même signe sacré. Pour le faire, ils écartent leur suaire, et l'abbé voit alors que ce sont des squelettes décharnés. Une lueur lugubre est comme attachée à ces os desséchés et ces squelettes semblent grandement souffrir de ces flammes. Le moine, rassuré par le signe de la croix si pieusement fait par ces fantômes, leur demande: «Qui êtes-vous? Que voulez-vous?» Point de réponse. Les deux plus proches le saisissent par son scapulaire et l'entraînent à leur suite. Une procession se forme après eux. Tous se dirigent vers l'église.
Bientôt l'autel est préparé; les uns allument les cierges, les autres disposent les ornements sacrés. L'abbé comprend que ces êtres veulent assister au divin sacrifice de l'autel. Il revêt la chasuble et commence la sainte Messe. Des voix gémissantes répondent aux versets que récite le prêtre. Les squelettes sont agenouillés pieusement dans le choeur, dans la nef; l'église en est remplie. Le silence est rompu seulement par la voix du ministre de Dieu et par les prières des assistants. A l'Orate fratres, lorsque l'abbé se retourne, il voit que les squelettes ont quitté leurs linceuls. Le moment de la consécration est arrivé; à la voix de son prêtre, Jésus descend invisiblement sur l'autel. Alors, les gémissements cessent, une harmonie céleste remplit l'église. Un chant sublime de triomphe et de délivrance se fait entendre jusqu'à la fin de la Messe. Lorsque le moine se retourne, à l'Ite missa est, les squelettes ont tous disparu; une nuée lumineuse montant vers le ciel, l'écho affaibli de mystérieux cantiques, voilà tout ce qui reste du sublime spectacle auquel il vient d'assister.
L'abbé rentre dans sa cellule profondément ému, heureux surtout d'avoir été, dans cette circonstance, l'instrument de la miséricorde divine.
Depuis, chaque année, en l'abbaye de Saint-Vincent, on avait coutume de célébrer, après l'office solennel de la nuit de Noël, une messe basse pour les angoisseux du Purgatoire31.
Note 31: (retour) Em. Louis Chambois, Semaine du Mans, 25 déc. 1903.
Écoutons dom Guéranger nous décrire la veillée de Noël et nous en donner le vrai sens chrétien:
«C'est là que nous avons vu, et nul souvenir d'enfance ne nous est plus cher, toute une famille, après la frugale et sévère collation du soir, se ranger autour d'un vaste foyer, n'attendant que le signal pour se lever comme un seul homme et se rendre à la Messe de minuit. Les mets, qui devaient être servis au retour et dont la recherche simple, mais succulente devait ajouter à la joie d'une si sainte nuit, étaient là préparés d'avance; et, au centre du foyer, un vigoureux tronc d'arbre, décoré du nom de bûche de Noël, ardait vivement et dispensait une puissante chaleur dans toute la salle. Sa destinée était de se consumer lentement durant les longues heures de l'office, afin d'offrir, au retour, un brasier salutaire pour réchauffer les membres des vieillards et des enfants engourdis par la froidure.
«Cependant, on s'entretenait avec une vive allégresse du Mystère de la grande nuit; on compatissait à Marie et à son doux Enfant exposé dans une étable abandonnée à toutes les rigueurs de l'hiver; puis bientôt on entonnait quelqu'un de ces beaux noëls, au chant desquels on avait passé déjà de si touchantes veillées dans tout le cours de l'Avent. Les voix et les coeurs étaient d'accord, en exécutant ces mélodies champêtres composées dans des jours meilleurs. Ces naïfs cantiques redisaient la visite de l'ange Gabriel à Marie et l'annonce d'une maternité divine faite à la noble pucelle; les fatigues de Marie et de Joseph parcourant les rues de Bethléem, alors qu'ils cherchaient en vain un gîte dans les hôtelleries de cette ville ingrate; l'enfantement miraculeux de la Reine du Ciel; les charmes du nouveau-né dans son humble berceau; l'arrivée des bergers avec leurs présents rustiques, leur musique un peu rude et la foi simple de leurs coeurs32. On s'animait en passant d'un noël à l'autre; tous soucis de la vie étaient suspendus, toute douleur était charmée, toute âme épanouie. Mais, soudain, la voix des cloches, retentissant dans la nuit, venait mettre fin à de si bruyants et de si aimables concerts. On se mettait en marche vers l'église; heureux alors les enfants que leur âge un peu moins tendre permettait d'associer pour la première fois aux ineffables joies de cette nuit solennelle, dont les fortes et saintes impressions devaient durer toute la vie»33.
Note 32: (retour) Tels sont bien, en effet, les sujets traités dans nos anciens noëls dont la poésie est si naïve et si pieuse.
Note 33: (retour) Dom Guéranger. Le temps de Noël, tome I, p. 161.
Puissions-nous faire revivre ces chères et touchantes habitudes qui confondaient les saintes émotions de la religion avec les plus intimes jouissances de la famille!
CHAPITRE II
LA BÛCHE DE NOËL
La bûche de Noël réunissait autrefois tous les habitants de la maison, tous les hôtes du logis, parents et domestiques, autour du foyer familial.
La bénédiction de la bûche avec les cérémonies traditionnelles dont elle se parait n'était que la bénédiction du feu, au moment où les rigueurs de la saison le rendent plus utile que jamais: cet usage existait surtout dans les pays du Nord. C'était la fête du feu, le Licht des anciens Germains, le Yule Log, le feu d'Yule des forêts druidiques, auquel les premiers chrétiens ont substitué cette fête de sainte Luce34 dont le nom, inscrit le 13 décembre au calendrier, rappelle encore la lumière.
Note 34: (retour) Évidemment, Lucie vient du latin lux, lucis, lumière.
Il est tout naturel qu'on mette en honneur, au vingt-cinq décembre, au coeur de l'hiver, le morceau de bois sec et résineux qui promet de chauds rayonnements aux membres raidis sous la bise. Mais, souvent, cette coutume était un impôt en nature, payé au seigneur par son vassal. A la Noël, on apportait du bois; à Pâques, des oeufs ou des agneaux; à l'Assomption, du blé; à la Toussaint, du vin ou de l'huile.
Il arrivait aussi, quelquefois, que les pauvres gens ne pouvant se procurer des bûches convenables pour la veillée de Noël, se les faisaient donner. «Beaucoup de religieux et de paysans, dit Léopold Bellisle, recevaient pour leurs feux des fêtes de Noël un arbre ou une grosse bûche nommée tréfouet». Le tréfeu, le tréfouet que l'on retrouve sous le même nom en Normandie, en Lorraine, en Bourgogne, en Berry, etc., c'est, nous apprend le commentaire du Dictionnaire de Jean de Garlande, la grosse bûche qui devait, suivant la tradition, durer pendant les trois jours de fêtes. De là, du reste, son nom: tréfeu, en latin très foci, trois feux.
Partout, même dans les plus humbles chaumières, on veillait autour de larges foyers où flambait la souche de hêtre ou de chêne, avec ses bosses et ses creux, avec ses lierres et ses mousses. La porte restait grande ouverte aux pauvres gens qui venaient demander un gîte pour la nuit. On leur versait en abondance le vin, la bière ou le cidre, suivant les contrées, et une place leur était accordée à la table de famille.
On attendait ainsi la Messe de minuit.
Qu'on se représente les immenses cheminées d'autrefois: sous leur manteau pouvait s'abriter une famille tout entière, parents, enfants, serviteurs, sans compter les chiens fidèles et les chats frileux. Une bonne vieille grand'mère contait des histoires qu'elle interrompait seulement pour frapper la bûche avec sa pelle à feu et en faire jaillir le plus possible d'étincelles, en disant: «Bonne année, bonnes récoltes, autant de gerbes et de gerbillons».
La bûche de Noël était un usage très répandu dans presque toutes les provinces de notre vieille France.
Voici, d'après M. J. Cornandet35, le cérémonial que l'on suivait dans la plupart des familles:
«Dès que la dernière heure du jour s'était fondue dans l'ombre de la nuit, tous les chrétiens avaient grand soin d'éteindre leurs foyers, puis allaient en foule allumer des brandons à la lampe qui brûlait dans l'église, en l'honneur de Jésus. Un prêtre bénissait les brandons que l'on allait promener dans les champs. Ces brandons portaient le seul feu qui régnait dans le village. C'était le feu bénit et régénéré qui devait jeter de jeunes étincelles sur l'âtre ranimé.
Note 35: (retour) Bibliothécaire de la ville de Chaumont
«Cependant, le père de famille, accompagné de ses enfants et de ses serviteurs, allait à l'endroit du logis où, l'année précédente, ils avaient mis en réserve les restes de la bûche. Ils apportaient solennellement ces tisons; l'aïeul les déposait dans le foyer et tout le monde se mettant à genoux, récitait le Pater, tandis que deux forts valets de ferme ou deux garçons apportaient la bûche nouvelle. Cette bûche était toujours la plus grosse qu'on pût trouver; c'était la plus grosse partie du tronc de l'arbre, ou même la souche, on appelait cela la Coque36 de Noël; on y mettait le feu et les petits enfants allaient prier dans un coin de la chambre, la face tournée contre le mur, afin, leur disait-on, que la souche leur fit des présents; et tandis qu'ils priaient l'Enfant-Jésus de leur accorder la sagesse, on mettait au bout de la bûche des fruits confits, des noix et des bonbons.
Note 36: (retour) Le gâteau allongé en forme de bûche que l'on donne aux enfants le jour de Noël porte encore dans certains pays le nom de coquille ou petite bûche, en patois, le cogneu.
«A onze heures, tous les jeux, tous les plaisirs cessaient. Dès les premiers tintements de la cloche, on se mettait en devoir d'aller à la messe, on s'y rendait en longues files avec des torches à la main.
«Avant et après la messe, tous les assistants chantaient des Noëls, et on revenait au logis se chauffer à la bûche et faire le réveillon dans un joyeux repas.».
Un vieil auteur, Marchetti, expose le sens religieux de ces pratiques: «La bûche de Noël, dit-il, représente Jésus-Christ qui s'est comparé lui-même au bois vert. Dès lors, continue notre auteur, l'iniquité étant appelée, dans le quatrième Livre des Proverbes le vin et la boisson des impies, il semble que le vin répandu par le chef de famille sur cette bûche signifiait la multitude de nos iniquités que le Père Eternel a répandues sur son Fils dans le mystère de l'Incarnation, pour être consumées avec lui dans la charité, dont il a brûlé durant le cours de sa vie mortelle.» J. J.37.
Note 37: (retour) Semaine religieuse du diocèse de Langres, 23 décembre 1905.
Nous allons raconter ce que la bûche de Noël offrait de particulier en Berry, en Normandie, en Provence et en Bretagne.
La bûche de Noël en Berry
En Berry, elle s'appelle cosse de Nau38 et quelquefois trèfoué, trouffiau, trufau (trois feux).
Note 38: (retour) Cosse (codex), souche.Nau signifie Noël: ce mot était employé par nos pères dans ce sens:
Au sainet Nau chanteray...
Car le jour est fériau.
Nau! Nau! Nau!
Car le jour est fériau!
(Anciens Noëls. Bibl. imp.).
Les forces réunies de plusieurs hommes sont nécessaires pour apporter et mettre en place la cosse de Nau, car c'est ordinairement un énorme tronc d'arbre destiné à alimenter la cheminée pendant les trois jours que dure la fête de Noël.
A l'époque de la féodalité, plus d'un fief a été donné, à la charge, par l'investi, de porter, tous les ans, la cosse de Nau au foyer du suzerain39.
Note 39: (retour) BOUTARIC, Traité des drois seigneuriaux, p. 645.
La cosse de Nau doit, autant que possible, provenir d'un chêne vierge de tout élagage et qui aura été abattu à minuit. On le dépose dans l'âtre, au moment où sonne la messe nocturne, et le chef de famille, après l'avoir aspergé d'eau bénite, y met le feu.
C'est sur les deux extrémités de la bûche ainsi consacrée que les mères et surtout les aïeules se plaisent à disposer les fruits, les gâteaux et les jouets de toute espèce auxquels les enfants feront, à leur réveil, un si joyeux accueil. Comme on a fait croire à ceux qui pleuraient pour aller à la messe de minuit, qu'on les mènerait à la messe du cossin blanc—c'est-à-dire qu'on les mettrait au lit,—on ne manque jamais, le lendemain matin, de leur dire que, tandis qu'ils assistaient à cette messe mystérieuse, toutes ces belles et bonnes choses ont été déposées là, à leur intention, par le petit Naulet40.
Note 40: (retour) Le petit Jésus, Naulet, Noëlet, enfant de Noël.
On conserve ces débris de la cosse de Nau d'une année à l'autre: ils sont recueillis et mis en réserve sous le lit du maître de la maison. Toutes les fois que le tonnerre se fait entendre, on en prend un morceau que l'on jette dans la cheminée, et cela est suffisant pour protéger la famille contre le feu du temps, c'est-à-dire contre la foudre41.
Note 41: (retour) Laisnel de La Salle, tom. I, p. 1 et suiv.
«Dans quelques vieilles maisons de notre Berry, je cherchais à m'expliquer pourquoi l'un des deux grands chenets en fer forgé était d'une seule pièce, tandis que l'autre se démontait en deux pièces par le simple emboîtement de la branche verticale sur la branche horizontale et formait, de cette manière, un simple tréteau: une octogénaire m'en a donné l'explication suivante: Dans mon jeune temps, la veille de Noël, on choisissait pour le truffiau (tréfeu) le tronc d'un arbre assez gros pour qu'on fût obligé de le faire traîner par un cheval, et les chenets étaient ainsi faits pour pouvoir le hisser plus facilement. On posait l'une des extrémités sur le grand chenet et l'on faisait glisser latéralement l'autre extrémité sur le chenet démonté, à l'aide de leviers, car cette bûche atteignait très souvent deux ou trois mètres de long sur un mètre de circonférence. On se servait le plus souvent de trognards que l'on rencontre encore beaucoup dans nos haies: le bois fendu était rigoureusement exclu. La longueur de ces bûches explique la forme de ces cheminées géantes d'autrefois»42.
Note 42: (retour) H.-G., d'Henrichemont (Cher).
H.-G., d'Henrichemont (Cher).
Dans l'Orléanais, province voisine du Bercy, existaient à peu près les mêmes usages.
La ménagère plaçait dans le foyer, au milieu d'un épais lit de cendres, et enguirlandée de branches de bruyère ou de genièvre, la plus forte souche du bûcher. C'était ordinairement une énorme culée de chêne.
Dans la Beauce et le val Orléanais (rive gauche de la Loire), cette bûche se nomme, selon les localités, tréfoy, trifoué ou trifouyau.
Le moment de déposer, dans l'âtre nettoyé avec soin, la bûche traditionnelle variait selon les pays. Ici on la plaçait aux premiers coups de la cloche annonçant l'office de la nuit, là on attendait l'instant où la cloche sonnait la voix Dieu, c'est-à-dire l'élévation de la messe de minuit. C'était le grand-père, quelquefois le plus jeune enfant qui, après l'avoir aspergé d'eau bénite, y mettait le feu en se signant et en prononçant à haute voix: In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen!
Le tréfoué devait brûler, sans flamme, l'espace de trois jours, afin d'entretenir une constante et douce chaleur dans la chambre où se réunissaient, avant et après les offices, mais principalement avant et après la messe de minuit, tous les membres de la famille. Cependant la bûche de Noël se consumait lentement. Les fêtes terminées, on recueillait les restes du tréfoué et on les conservait d'une année à l'autre.
La bûche de Noël en Normandie
Voici en quels termes Marchangy (1782-1826) parle de cet usage en Normandie:
«Le père de famille, accompagné de ses fils et de ses serviteurs, va à l'endroit du logis où, l'année précédente, à la même époque, ils avaient mis en réserve les restes de la bûche de Noël. Ils rapportent solennellement ces tisons qui, dans leur temps, avaient jeté de si belles flammes à rencontre des faces réjouies des convives. L'aïeul les pose dans ce foyer qu'ils ont connu et tout le monde se met à genou en récitant le Pater. Deux forts valets de ferme apportent lentement la bûche nouvelle, qui prend date, comme dans une dynastie. On dit la bûche 1re, la bûche 2e, la 20e, la 30e, ce qui signifie que le père de famille a déjà présidé une fois, deux fois, vingt fois, trente fois semblable cérémonie.
«La bûche nouvelle est toujours la plus grosse que le bûcheron puisse trouver dans la forêt, c'est la plus forte partie du tronc de l'arbre ou, le plus souvent, c'est la masse de ses énormes racines, qu'on appelle la souche ou la coque de Noël.
«A l'instant où l'on y met le feu, les petits enfants vont prier dans un coin de l'appartement, afin, leur dit-on, que la souche leur fasse des présents, et, tandis qu'ils prient, on met à chaque bout de cette souche des paquets d'épices, de dragées et de fruits confits». Qu'on juge de l'empressement et de la joie des enfants à venir recevoir de pareils présents!
De nos jours, l'usage de la bûche de Noël tend à disparaître des pays normands.
Longtemps, les pauvres gens des campagnes, en attendant l'heure de la messe de minuit, ont dû se réchauffer autour de l'énorme bûche éclairant de sa lumière flamboyante la compagnie réunie sous la hotte de la cheminée. C'est assis, devant son brasier, qu'on restait jusqu'au moment où, à travers champs, on allait gagner la pauvre église où devait se célébrer la Messe des bergers. C'est devant l'âtre rougeoyant qu'on se racontait toutes ces légendes merveilleuses de Noël, toutes ces traditions qui, contées par la voix tremblante des aïeules, se sont transmises jusqu'à nos jours: et les pierres tournantes, comme celles de Gerponville, de Saint-Arnoult, de Malle-mains, qui tournent sept fois pendant la nuit de Noël; et les trésors qui ne se découvrent que lorsqu'on sonne le premier coup de la messe nocturne; et les feux follets qui dansent pendant la nuit sur les tombes du cimetière et bien d'autres contes fantastiques43.
Note 43: (retour) G. Dubosc. Journal de Rouen, 25 décembre 1898.
La bûche de Noël en Provence
Les Provençaux apportaient au foyer le joyeux cariguié, ou vieux tronc d'olivier choisi pour brûler toute la nuit; ils s'avançaient solennellement en chantant les paroles suivantes:
Cacho fio.................... Cache le feu (ancien).
Bouto fio..................... Allume le feu (nouveau).
Dieou nous allègre.... Dieu nous comble d'allégresse!
Le plus ancien de la famille arrosait alors ce bois, soit de lait, soit de miel, en souvenir de l'Eden, dont l'avènement de Jésus est venu réparer la perte, soit de vin, en souvenir de la vigne cultivée par Noé, lors de la première rénovation du monde. Le plus jeune enfant de la maison prononçait, à genoux, ces paroles que son père lui avait apprises:
«O feu, réchauffe pendant l'hiver les pieds frileux des petits orphelins et des vieillards infirmes, répands ta clarté et ta chaleur chez les pauvres et ne dévore jamais l'étable du laboureur ni le bateau du marin.»
Cette scène si touchante de la bûche de Noël occupe toute une salle du musée d'Arles; en voici la description:
Neuf mannequins de grandeur naturelle sont groupés autour de la cheminée dans laquelle flambe la bûche de Noël. La première personne de gauche est l'aïeul, en costume du dix-huitième siècle. Il arrose, il bénit la bûche avec du vin cuit et prononce les paroles sacramentelles. Cette formule renferme tout à la fois une prière et d'heureux souhaits pour toute la famille, debout devant la table chargée des plats réglementaires.
Alègre! Alègre! Dieu nous alègre.
Calendo vèn, tout ben vèn
E se noun sian pas mai, que noun fuguen men!
Dieu vous fague la graci de veire l'an que vén.
«Dieu nous tienne en joie; Noël arrive, tout bien arrive! Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine, et si nous ne sommes pas plus nombreux, que nous ne soyons pas moins!»
En face, assise, l'aïeule file sa quenouille. Derrière elle, le fermier, aîné des garçons, dit lou Pelot, s'appuie sur la cheminée, ayant sa femme vis-à-vis. A côté du Pelot, sa jeune soeur, souriante et rêveuse; elle s'entretient avec lou rafi (valet de ferme). Près de la table, à gauche, l'aînée des filles prépare le repas, tandis qu'au fond le guardian, armé de son trident, et le berger avec son chien, se préparent à assister au festin familial. Une jeune enfant écoute religieusement la bénédiction du grand-père (benedicioun d'où cacho-fio)44.
Note 44: (retour) Le Museon Arlaten, par Jeanne de Flandreysy.
Mistral, quand il fut nommé membre de l'Académie marseillaise, en cette langue provençale si colorée, qu'il parle si bien, nous a donné, dans son discours, un tableau pittoresque de cette scène ravissante de la bûche de Noël:
«Au bon vieux temps, la veille de Noël, après le grand repas de la famille assemblée, quand la braise bénite de la bûche traditionnelle, la bûche d'olivier, blanchissait sous les cendres et que l'aïeul vidait, à l'attablée, le dernier verre de vin cuit, tout à coup, de la rue déjà dans l'ombre et déserte, on entendit monter une voix angélique, chantant par là-bas, au loin dans la nuit.»
Et le poète nous conte alors une légende charmante, celle de la Bonne Dame de Noël qui s'en va dans les rues, chantant les Noëls de Saboly à la gloire de Dieu, suivie par tout un cortège de pauvres gens, miséreux des champs et des villes, gueux de campagne, etc., accourus dans la cité en fête.
«Et vite alors, tandis que la bûche s'éteignait peu à peu, lançant ses dernières étincelles, les braves gens rassemblés pour réveillonner ouvraient leurs fenêtres, et la noble chanteuse leur disait: «Braves gens, le bon Dieu est né, n'oubliez pas les pauvres!» Tous descendaient alors avec des corbeilles de gâteaux, et de nougats—car on aime fort le nougat dans le Midi—et ils donnaient aux pauvres le reste du festin».
Comment résister au désir que nous avons depuis longtemps de publier la bûche de Noël de Frédéric Mistral qui a bien voulu correspondre avec nous et nous donner des renseignements si intéressants sur les coutumes de Noël.
Cette description si gracieuse, si poétique, faisait primitivement partie du poème de Mireille: l'auteur a cru devoir la supprimer pour éviter les longueurs45.
Note 45: (retour) Il faut être bien puissant et bien sûr de soi pour négliger un tel tableau ou le reléguer dans les bas côtés de son oeuvre. Lisons, relisons la traduction de ces beaux vers. Quelle naïveté! Quelle beauté simple et pieuse! Quelle rusticité pleine de saveur! De plus, quelle noblesse fière! Oui, c'est ainsi que doit être sauvée l'âme d'un peuple et maintenue la haute tradition d'un pays. Chaque stance est soutenue par un souffle divin (X***).
«Ah! Noël, Noël, où est ta douce paix? Où sont les visages riants des petits enfants et des jeunes filles? Où est la main calleuse et agitée du vieillard qui fait la croix sur le saint repas?
«Alors le valet qui laboure quitte le sillon de bonne heure, et servantes et bergers décampent, diligents. Le corps échappé au dur travail, ils vont à leur maisonnette de pisé, avec leurs parents, manger un coeur de céleri et poser gaiement la bûche au feu avec leurs parents.
«Du four, sur la table de peuplier, déjà le pain de Noël arrive, orné de petits houx, festonné d'enjolivures. Déjà s'allument trois chandelles neuves, claires, sacrées, et dans trois blanches écuelles germe le blé nouveau, prémice des moissons.
«Un noir et grand poirier sauvage chancelait de vieillesse. L'aîné de la maison vient, le coupe par le pied, à grands coups de cognée, l'ébranlé et, le chargeant sur l'épaule, près de la table de Noël, il vient aux pieds de son aïeul le déposer respectueusement.
«Le vénérable aïeul d'aucune manière ne veut renoncer à ses vieilles modes. Il a retroussé le devant de son ample chapeau, et va, en se hâtant, chercher la bouteille. Il a mis sa longue camisole de cadis blanc, et sa ceinture, et ses braies nuptiales, et ses guêtres de peau.
«Cependant, toute la famille autour de lui joyeusement s'agite...—«Eh bien? posons-nous la bûche, enfants?—Allégresse! Oui». Promptement, tous lui répondent: «Allégresse.»—Le vieillard s'écrie: «Allégresse! que notre Seigneur nous emplisse d'allégresse! et si une autre année nous ne sommes pas plus, mon Dieu, ne soyons pas moins!»
«Et, remplissant le verre de clarette devant la troupe souriante, il en verse trois fois sur l'arbre fruitier. Le plus jeune prend l'arbre d'un côté, le vieillard de l'autre, et soeurs et frères, entre les deux, ils lui font faire ensuite trois fois le tour des lumières et le tour de la maison.
«Et dans sa joie, le bon aïeul élève en l'air le gobelet de verre: «O feu, dit-il, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps!»
«Bûche bénie, allume le feu! Aussitôt, prenant le tronc dans leurs mains brunes, ils le jettent entier dans l'âtre vaste. Vous verriez alors gâteaux à l'huile et escargots dans l'aïoli heurter dans ce beau festin vin cuit, nougat d'amandes et fruits de la vigne.
«D'une vertu fatidique vous verriez luire les trois chandelles, vous verriez des esprits jaillir du feu touffu, du lumignon vous verriez pencher la branche vers celui qui manquera au banquet, vous verriez la nappe rester blanche sous un charbon ardent et les chats rester Muets!»
La bûche de Noël en Bretagne46
Note 46: (retour) Cette description de la bûche de Noël en Bretagne a été reproduite par un grand nombre de journaux, et revues: les Annales politiques, la Revue française, etc.
En Bretagne, la plus grande fête de l'année était la fête de Noël, et ce que nous, pauvres paysans, nous aimions le plus dans cette fête, c'était la Messe de minuit. Maigre plaisir, pour vous autres citadins qui aimez vos aises; mais qu'était-ce pour nous, paysans, qu'une nuit blanche? Même quand il fallait cheminer dans la boue et sous la neige, pas un vieillard, pas une femme n'hésitait. On ne connaissait pas encore les parapluies à Saint-Jean-Brévelay, ou du moins on n'y connaissait que le nôtre, qui était un sujet d'étonnement et d'admiration. Les femmes retroussaient leurs jupes avec des épingles, mettaient un mouchoir à carreaux par-dessus leurs coiffes, et partaient bravement dans leurs sabots pour se rendre à la paroisse. Il s'agissait bien de dormir! Personne ne l'aurait pu. Le carillon commençait dès la veille après l'Angelus du soir, et recommençait de demi-heure en demi-heure jusqu'à minuit! et pendant ce temps-là, pour surcroît de béatitude, les chasseurs ne cessaient pas de tirer des coups de fusil en signe d'allégresse; mon père fournissait la poudre. C'était une détonation universelle. Les petits garçons s'en mêlaient, au risque de s'estropier, quand ils pouvaient mettre la main sur un fusil ou un pistolet.
Le presbytère était à une petite demi-lieue du bourg; le recteur faisait la course sur son bidet, que le quinquiss (le bedeau) tenait par la bride. Une douzaine de paysans l'escortaient, en lui tirant des coups de fusil aux oreilles. Cela ne lui faisait pas peur, car c'était un vieux chouan, et il avait la mort de plus d'un bleu sur la conscience. Avec cela, bon et compatissant, et le plus pacifique des hommes, depuis qu'il portait la soutane, et que le roi était revenu.
On faisait ce soir-là de grands préparatifs à la maison. Telin-Charles et Le Halloco mesuraient le foyer et la porte de la cuisine d'un air important, comme s'ils n'en avaient pas connu les dimensions depuis bien des années. Il s'agissait d'introduire la bûche de Noël, et de la choisir aussi grande que possible. On abattait un gros arbre pour cela; on attelait quatre boeufs, on la traînait jusqu'à Kerjau (c'était le nom de notre maison), on se mettait à huit ou dis pour la soulever, pour la porter, pour la placer: on arrivait à grand'peine à la faire tenir au fond de l'âtre; on l'enjolivait avec des guirlandes; on l'assurait avec des troncs de jeunes arbres; on plaçait dessus un gros bouquet de fleurs sauvages, ou pour mieux dire de plantes vivaces. On faisait disparaître la table du milieu; la famille mangeait un morceau sur le pouce. Les murs étaient couverts de nappes et de draps blancs, comme pour la Fête-Dieu; on y attachait des dessins de ma soeur Louise et de ma soeur Hermine, la bonne Vierge, l'Enfant Jésus.
Il y avait aussi des inscriptions: Et homo factus est! On ôtait toutes les chaises pour faire de la place, nos visiteuses n'ayant pas coutume de s'asseoir autrement que sur leurs talons. Il ne restait qu'une chaise pour ma mère, et une tante Gabrielle, qu'on traitait avec déférence et qui avait quatre-vingt-six ans. C'est celle-là, mes enfants, qui savait des histoires de la Terreur! Tout le monde en savait autour de moi, et mon père, plus que personne, s'il avait voulu parler. C'était un bleu, et son silence obstiné était peut-être conseillé par la prudence, dans un pays où il n'y avait que des chouans. L'encombrement était tel dans la cuisine, tout le monde voulant se rendre utile et apporter du genêt, des branches de sapin, des branches de houx, et le bruit était si assourdissant, à cause des clous qu'on plantait et des casseroles qu'on bousculait, et il venait un tel bruit du dehors, bruits de cloches, de coups de fusil, de chansons, de conversations et de sabots, qu'on se serait cru au moment le plus agité d'une foire.
A onze heures et demie, on entendait crier dans la rue: Naoutrou Personn! Naoutrou Personn! (M. le recteur, M. le recteur). On répétait ce cri dans la cuisine, et à l'instant tous les hommes en sortaient; il ne restait que les femmes avec la famille. Il se faisait un silence profond. Le recteur arrivait, descendait de son bidet que je tenais par la bride (c'est-à-dire que j'étais censé le tenir, mais on le tenait pour moi; il n'avait pas besoin d'être tenu, le pauvre animal). A peine descendu, M. Moizan montait les trois marches du perron, se tournait vers la foule découverte, ôtait lui-même son chapeau, et disait, après avoir fait le signe de la croix: «Angelus Domini nuntiavit Mariæ». Un millier de voix lui répondaient. La prière finie, il entrait dans la maison, saluait mon père et ma mère avec amitié, M. Ozon, le maire, qui venait d'arriver de Pénic-Pichou, et M. Ohio, le maréchal ferrant, qui était greffier du juge de paix. M. Ozon, M. Ohio étaient les plus grands seigneurs du pays. Ils savaient lire; ils étaient riches, surtout le premier. On offrait au recteur un verre de cidre qu'il refusait toujours. Il partait au bout de quelques minutes, escorté par M. Ozon et M. Ohio, puis, aussitôt, on se disposait à bénir la bûche de Noël. C'était l'affaire de dix minutes.
Mon père et ma mère se tenaient debout à gauche de la cheminée. Les femmes que leur importance ou leurs relations avec la famille autorisaient à pénétrer dans le sanctuaire, ce qui veut dire ici la cuisine, étaient agenouillées devant le foyer en formant un demi-cercle. Les hommes se tenaient serrés dans le corridor, dont la porte restait ouverte, et débordaient dans la rue jusqu'au cimetière. De temps en temps, une femme, qui avait été retenue par quelques soins à donner aux enfants, fendait les rangs qui s'ouvraient devant elle, et venait s'agenouiller avec les autres. Tante Gabrielle, revêtue de sa mante, ce qui annonçait un grand tralala, était à genoux au milieu, juste en face de la bûche, ayant à côté d'elle un bénitier et une branche de buis, et elle entonnait un cantique que tout le monde répétait en choeur.
Vraiment, si j'en avais retenu les paroles, je ne manquerais pas de les consigner ici; je les ai oubliées, je le regrette; non pas pour vous, qui êtes trop civilisés pour vous plaire à ces souvenirs, mais pour moi. Et, après tout, je n'ai que faire de la chanson de tante Gabrielle, puisque je ne sais plus un mot de bas-breton. L'air était monotone et plaintif, comme tout ce que nous chantons chez nous à la veillée; il y avait pourtant un crescendo, au moment où la bénédiction allait commencer, qui me donnait ordinairement la chair de poule....
Jules Simon.
CHAPITRE III
LES PARTICULARITÉS DE LA MESSE DE MINUIT
Ce chapitre est le plus intéressant de tous, car c'est la Messe de minuit qui donne surtout à la fête de Noël sa grande popularité.
Un ancien usage, qui semble remonter jusqu'au pape Télesphore (IIe siècle), ou au moins jusqu'à saint Grégoire le Grand (homélie 8e sur l'évangile du jour), permet aux prêtres de dire trois messes le jour de Noël47. Il semble que l'intention de l'Eglise, en autorisant cette coutume, a été d'honorer les trois naissances différentes de Jésus-Christ.
Note 47: (retour) En Espagne, les prêtres ont aussi le privilège de dire trois messes le jour des Morts, à la condition de les appliquer à tous les défunts et sans honoraires. Les Grecs unis ne disent qu'une seule messe le jour de Noël.
La première est sa naissance temporelle à Bethléem, que l'Eglise honore particulièrement à la Messe de minuit. Celle-ci se célèbre à l'heure même où l'on pense communément que Notre-Seigneur a voulu naître.
La seconde est sa naissance spirituelle dans les coeurs des fidèles, figurée par sa manifestation aux bergers qui est racontée dans l'évangile qu'on lit à la Messe de l'aurore.
La troisième est sa naissance éternelle dans le sein de son Père, rappelée à la Messe du jour; l'Eglise nous y fait lire pour épître et pour évangile deux passages de l'Écriture où la divinité de Jésus-Christ est clairement énoncée.
Quoique les fidèles ne soient obligés, par le précepte de l'Eglise, qu'à assister à une des trois messes de Noël, l'usage des personnes pieuses est de les entendre toutes les trois.
A Rome, le Pape disait la première messe de Noël (la Messe de la nuit), dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, à l'autel de la Crèche.
La seconde messe était célébrée dans l'église de Sainte-Anastasie, martyre de Sirmich, dont les reliques étaient vénérées à Constantinople; cette église se trouvait dans le quartier le plus central de Rome.
La troisième messe était célébrée dans l'Eglise de Saint-Pierre. C'est pendant cette messe que le pape Léon III, en couronnant Charlemagne empereur d'Occident, inaugura, en 800, le Saint-Empire romain.
Ordinairement le pape lui-même célébrait les trois messes.
La messe de la nuit, dite à Sainte-Marie-Majeure, était surtout solennelle: une foule immense remplissait toujours la vaste basilique, toute resplendissante avec ses mosaïques, ses bronzes, ses porphyres, ses tabernacles d'or étincelants de pierres précieuses, et surtout sa longue et majestueuse nef soutenue par trente-huit colonnes de marbre blanc. Représentez-vous cette immense église aussi éclairée qu'en plein jour. C'étaient partout des lumières, il en jaillissait des faisceaux de chaque colonne; le sanctuaire surtout était tout en feu. Et toutes ces lumières se détachaient sur des draperies de velours cramoisi à franges d'or, dont l'église tout entière aussi bien que la colonnade était ornée.
Les chanoines de la basilique allaient en grande pompe chercher la pauvre Crèche qui servit de berceau à l'Enfant-Jésus.
Dès que la sainte relique était exposée à la vénération des fidèles, le Souverain-Pontife commençait la Messe. Et quelle Messe! De quelles suaves et indicibles émotions devaient être inondés les témoins mille fois privilégiés de cette Messe de minuit, dite par le Chef de l'Eglise, près du berceau du Sauveur, à l'heure même où l'Eglise rappelle le souvenir de sa naissance!
Après avoir contemplé et admiré ces splendeurs, abaissons nos regards sur l'humble église de nos villages. Comme la scène de la nuit de Noël est belle dans sa touchante simplicité!
Dans une demi-obscurité, l'office commence.
Au-dessus de l'autel, dominant une Crèche de branchages, une sorte de transparent reflète en vagues miroitements la lumière tremblante des cierges.
Minuit! Un Sauveur nous est né! Chantons Noël!
L'enfantelet de cire, étendu sur la paille, semble baigné d'un flot d'or perçant la claire-voie de l'étable.
Tout autour du choeur flamboie, en lettres d'un mètre de haut, le cantique des Anges, le cri d'amour et d'adoration: Gloria in excelsis Deo!
Le sanctuaire est bien humble, bien pauvre, si pauvre que les cierges vacillants de l'autel et de la nef ont grand'peine à dissiper les ténèbres et qu'il faut, pour suivre l'office dans le gros paroissien aux lettres d'alphabet, s'aider du lumignon qui guidait tout à l'heure les pèlerins à travers la campagne endormie.
Mais une foi ardente anime ces âmes croyantes, à la seule pensée du Mystère qu'on commémore en cette nuit de Nativité. Une extase intérieure illumine la petite enfant qui épelle, comme la vieille grand'mère qui ne sut jamais lire48.
Note 48: (retour) Lire les belles pages que dom Guéranger a écrites sur le Temps de Noël.
En allant à la Messe de minuit.
«Jeannot, mon vieux, prends ta béquille;
Faut aller voir l'Enfant-Jésus.
La coque en feu flambe et pétille,
L'eau bénite a coulé dessus.
Si la Bonne-Dame (à Dieu plaise!)
Entre chez nous, toute la nuit
Elle y trouvera de la braise
Pour la bouillie à son petit49.
«J'ai mon bâton. La neige est dure,
Tiens-toi bien, prends garde de choir;
Déjà le vent de la froidure
Éteint ma lanterne... il fait noir.
Marchons doucement.—C'est peut-être
La dernière fois, ô mon vieux,
Que nous allons voir notre Maître,
Si bon pour nous, les pauvres gueux?»
Note 49: (retour) La coque de Noël doit brûler toute la nuit, sans interruption, même en l'absence des gens de la maison, car la sainte Vierge peut avoir besoin d'entrer dans le logis pour faire de la bouillie à l'Enfant-Jésus et il faut qu'elle trouve le feu tout prêt.
(Légende nivernaise).
—«Oui, nous avons passé sur terre,
Tous deux, plus de septante-huit ans;
L'heure est proche où notre misère
Doit prendre fin... il est bien temps!
Trimer, bûcher, voilà l'aubaine,
Toujours minable et tracassé...
Mais plus en ce monde l'on peine,
Plus on sera récompensé!
«Au Paradis, ma pauvre vieille,
On n'aura plus ni froid ni faim;
On n'y connaîtra pas, la veille,
Le grand souci du lendemain.
Nous prierons Jésus tout à l'heure
De nous y faire entrer tous deux,
Puisque la place la meilleure,
Il l'a réserve aux malheureux.
—«O mon vieux, ce que, moi, j'espère,
C'est de revoir au Paradis
Nos défunts, le père et la mère,
D'y retrouver nos chers petits.
Ah! Jésus pourvu que personne
De chez nous ne manque là-haut!...
Mais voici la cloche qui sonne,
Nous arriverons comme il faut.»
Ainsi, le dos rond sous la bise,
Qui court le long du sentier blanc,
Les vieux s'avancent vers l'église,
Tout chevrotant et gambillant.
Pauvres gens!—quoique la distance
Ne soit pas grande, ils sont bien las;
Mais, dans leur rêve d'espérance,
Ils ne s'en aperçoivent pas.
Oh! comme l'église flamboie!
Oh! tant de cierges sur l'autel!
Oh! les beaux cantiques de joie!
L'encens fume... Noël! Noël!
Le chant, le parfum, la lumière
Mettent en leurs coeurs éblouis
Une allégresse avant-courrière
Des liesses du Paradis.
Ils n'ont jamais, depuis l'enfance,
Manqué la messe de minuit:
Avec la même confiance
Les voilà qui prient aujourd'hui.
—Votre prière n'est pas vaine,
O bonnes gens agenouillés,
Puisqu'elle charme votre peine
Et que vos maux sont oubliés!...
Ils partent. Simulant l'aurore,
La lune éclat à l'horizon.
Sur leurs lèvres murmure encore
La douce et naïve oraison.
Le couple en silence chemine
Et, sous les piqûres du gel,
Les vieux rentrent dans leur chaumine,
Transis, contents... Noël! Noël!
Achille MILLIEN,50.
à Beaumont-la-Ferrière (Nièvre).
Note 50: (retour) Cette ravissante poésie est extraite d'un des nombreux ouvrages de l'éminent poète nivernais, intitulé L'Heure du Couvre-Feu: cet ouvrage, comme plusieurs de ses aînés, a été couronné par l'Académie française.
Le vicomte Walsh, dans son admirable ouvrage des Fêtes chrétiennes, nous raconte une Messe de minuit pendant la Révolution qui a bien ce caractère de simplicité dont nous venons de parler:
«Je me souviens d'une Messe de minuit dite en cachette pendant les persécutions de 93.
«En ce temps-là, il n'y avait plus d'église pour célébrer les Saints Mystères: une grange fut choisie par les habitants du hameau. Les femmes la décorèrent pendant la nuit précédente: des draps de grosse toile bien blanche furent tendus tout à l'entour. Une table rustique, recouverte des linges les plus blancs, devait servir d'autel; des branches de houx, à petites baies rouges, étaient placées comme bouquets de chaque côté du crucifix d'ébène; deux chandelles de résine furent mises dans des flambeaux de fer: c'était toute la pompe de ces temps de persécution.
«Isolément et sans faire aucun bruit, les fidèles se rendirent à la grange préparée pour la fête. Avec quelle piété ces paysans bretons tombaient à genou devant cet autel si pauvre!
«Quand le prêtre parut à l'autel, des pleurs s'échappèrent de tous les yeux.
«Lui-même fut tellement ému qu'il répandait aussi des larmes qui n'étaient pas sans douceur. Confesseur de la foi quelques jours auparavant, il avait touché de près à la mort et le voilà qui va célébrer un mystère de sainte joie!51».
Note 51: (retour) V. «Une Messe de minuit en exil», Noël dans les pays étrangers, page 33.
Avant d'aborder les très intéressantes particularités de la Messe de minuit que nos amis ont bien voulu nous signaler dans toutes les contrées de la France, on voudra bien nous permettre de citer une ravissante nouvelle d'Auguste Nisard, qu'on pourrait intituler: Une Messe de minuit manquée, et qu'on pourrait résumer ainsi:
«Notre mère attendait, pour nous emmener avec elle à la Messe de minuit, que chacun de nous eût ses sept ans accomplis..... A onze heures et demie, ma mère vint m'éveiller..... Las! je dormais d'un sommeil si dur que je n'entendis pas cette voix chérie et continuai de ronfler de toutes mes forces. A un second appel, je ne répondis pas davantage..... Enfin, à la troisième sommation..... j'ouvris les yeux, je me débrouillai comme je pus de mes visions nocturnes et, tirant de dessous mes draps cette jambe-ci, puis cette autre, je tombai plutôt que je ne fus sur mes jambes..... Je n'étais pas tout à fait endormi, et pas tout à fait éveillé..... Voilà-t-il pas que je retombe lourdement, et je dis à ma chère mère que je veux me recoucher..... A quoi celle-ci n'eut garde de s'opposer.....
«Au matin je m'en voulus mal de mort de ma lâcheté. Je ne me suis jamais consolé de cette Messe de minuit manquée.»
Messe de minuit en Normandie
C'est au pays de Caux surtout que la Messe de minuit se célébrait avec une grande solennité, sous le nom de fête des bergers.
Son origine était complètement normande. Au début, cette fête ne fut, en effet, qu'un de ces petits drames liturgiques latins que parfois on intercalait, comme une sorte de jeu sacré, dans l'office solennel, telles la Messe de l'étoile et la Messe de l'âne, qui furent représentées souvent, dans les premières années du Moyen Age, à la cathédrale de Rouen.
On représentait aussi dans la même église le Drame des pasteurs, adoration pieuse et naïve de l'Enfant-Jésus par les Bergers.52
Note 52: (retour) Deux manuscrits de la Bibliothèque de Rouen nous ont conservé toute cette mise en scène primitive qui a été publiée par Du Cange dans son Glossarium.
Ces pastorales donnèrent naissance à la fête des bergers. C'est la même naïveté dans le scénario, avec un caractère rustique qui remplace la gravité sacerdotale.
C'était aux garçons du village que revenait l'organisation de la fête. A Goderville et à Froberville, ils élisaient même un maître qui devait recueillir les offrandes pour rachat d'un somptueux pain bénit.
A minuit, la vieille église du village s'estompait dans la brume blanchâtre et glacée. Sous le porche et dans l'allée centrale piétinaient, avec un perpétuel chuchotement, les curieux, étrangers à la paroisse qui cherchaient, comme dans les théâtres des villes, «des places assises d'où l'on puisse très bien voir.» Tous étaient attirés par le charme de poésie touchante qui caractérisait cette pittoresque cérémonie.
De tout ce mouvement, de tout ce bruit, sont presque scandalisés les habitants du village, rangés dans leurs bancs bien cirés: cultivateurs venus avec leurs valets par les chemins creux, vieux paysans aux casquettes de poil et aux sabots de bois rembruni; bonnes femmes dont le serre-tête de coton s'agite sans cesse d'un petit mouvement saccadé; fermières et leurs servantes, bien au chaud dans leurs amples manteaux de laine, dans leurs capelines sombres, qu'égayent de blancs pompons légers et mouvants.
Dans le clocher de pierre, les douze coups de minuit viennent de sonner; les chantres ont achevé le Te Deum, le silence se fait dans toute l'église; qu'attend-on?
Réunis auprès des fonts baptismaux, se tenaient tous les garçons du village, portant en écharpe une serviette blanche, tandis que le maître se distinguait au milieu d'eux par une sorte de petite nappe à longs effilés, portée à la ceinture. À leur groupe se joignaient les bergers du pays. Ceux-ci avaient revêtu leur costume traditionnel: longue limousine rayée à pèlerine et à capuchon, chapeau de feutre à larges bords, sabots aux pieds et houlette ornée à la main.
A un signal donné, le cortège ainsi formé se mettait en marche. Souvent il était précédé par une sorte de chandelle allumée, mise en mouvement et glissant, à l'aide d'un fil de fer, d'un bout de l'église à l'autre, du portail à l'autel. C'était la Marche à l'étoile. Les bergers tenaient en laisse ou portaient un bel agneau blanc tout enrubanné; ils venaient l'offrir au Christ-Enfant couché dans une Crèche devant l'autel.
Souvent on tirait la queue à la pauvre bête ou on la piquait avec une épingle, afin qu'elle se mit à bêler dans les moments les plus solennels.
Mais ce qui attirait surtout les regards de la foule, c'était la civière du pain bénit, éblouissante de lumières, de cierges et de chandelles allumées.
Cette civière, comme à Néville, près de Saint-Valéry, était un véritable monument de menuiserie, en forme de pyramide, à plateaux ronds et superposés, ornés de lumières et reliés par des girandoles illuminées; elle était en outre parée de jolies touailles ou nappes de broderies et de dentelles. Au beau milieu se dressait un mât portant cinq plateaux d'un diamètre de plus en plus diminué, en montant, et donnant l'aspect d'un cône. Du sommet de ce mât, comme quatre haubans, descendaient quatre branches de fer portant, de distance en distance, des bras de candélabres et des torchères où brillaient de nombreuses bougies. Une sorte de manivelle—pour employer le terme populaire une chincholle—placée à la partie supérieure, actionnait tous les plateaux qui tournaient alors sur leur axe, en projetant l'éclat de mille petits cierges scintillants. Sur les plateaux reposaient les couronnes de pain bénit, ornées de fleurs et de feuillage: houx, laurier, lierre, roses de Noël; un bouquet terminait également le mât pyramidal.
Tout ce cortège, dans lequel deux garçons étaient chargés de mettre le mécanisme en mouvement, venait, à un moment donné, faire l'offrande du pain bénit; les fameux plateaux tournants faisaient surtout un effet magique.
Nous avons extrait ces détails d'un excellent article de M. Georges Dubosc, dont tout le monde, en Normandie, connaît le talent et l'érudition53.
Note 53: (retour) Journal de Rouen, 22 déc. 1901.
A Saint-Victor-l'Abbaye, quatre petites filles, tout de blanc habillées, couronnées de roses, portent sur leurs épaules le symbole vivant de l'Enfant-Dieu, un agneau immaculé, incarnation d'innocence, de pureté et de douceur. Couché sur un tapis moelleux de chauds lainages, l'agnelet dresse sa petite tête placide et sereine, sous un dôme de verdure et de fleurs, formé d'un entrelacement de feuilles de lierre et de branchages de houx, piqué çà et là de roses, d'oeillets et de chrysanthèmes54.
Note 54: (retour) Item, 25 déc. 1904.
Messe de minuit en Picardie
Dans la plupart des villages se formait un nombreux cortège de bergers et de bergères vêtus de blanc. Le roi de la troupe, tout enrubanné et couronné de fleurs, portait, dans une magnifique corbeille, un petit agneau d'une blancheur de neige. On se rendait processionnellement à l'église, au chant des Noëls locaux et au son des musettes et des tambourins. Le prêtre bénissait l'innocente créature à la Messe de minuit, au milieu de la joie universelle.
L'heureux agnelet était ramené à la bergerie où il était l'objet de soins particuliers. On le laissait mourir de vieillesse; car, par une pieuse naïveté, on le regardait comme le «sauveur du troupeau».
Cette vieille coutume picarde nous rappelle la touchante cérémonie qui a lieu, chaque année, à Rome, dans l'église de Sainte-Agnès-hors-les-Murs, le jour de la fête de la glorieuse martyre (21 janvier).
Après la messe, on organise une procession. En tête, s'avancent des prêtres en grands manteaux noirs. Ils tiennent chacun sur les bras un superbe coussin de damas rouge orné de franges d'or, sur lequel est mollement couché un petit agneau blanc comme la neige, la tête couronnée de roses. Ces agneaux sont placés sur l'autel et bénits par le célébrant.
Ils sont fournis par les Pères Trappistes des Trois-Fontaines. Après la cérémonie dont nous venons de parler, ils sont remis à deux chanoines de Saint-Jean-de-Latran, qui les offrent au Pape. Le Pape les bénit de nouveau et les confie aux Religieuses du monastère de Sainte-Cécile, au Transtévère, qui en prennent le plus grand soin.
Leur toison est coupée au mois d'avril et sert à confectionner les Palliums, manteaux d'honneur qui, après avoir été déposés sur le tombeau de saint Pierre, au Vatican, sont envoyés par le Pape aux archevêques comme symbole de leur union avec le Pontife romain.
Messe de minuit en Champagne
A Clinchamp (Haute-Marne), le pain bénit, surmonté d'un dôme de verdure et de fleurs, est offert à la Messe de minuit par une jeune fille vêtue de blanc, comme une première communiante.
Cette jeune fille porte le pain bénit non point sur le bras, comme cela se fait ordinairement, mais sur la tête.
Le petit échafaudage, en forme de coupole, qui surmonte le pain bénit, est orné, au sommet surtout, de petits cierges allumés.
La scène est des plus gracieuses: la jeune fille s'avance gravement, portant d'une main un cierge bien décoré et de l'autre maintenant sur sa tête le pain bénit tout resplendissant de lumières.
Bien que cette cérémonie excite la curiosité de tous les assistants, elle s'accomplit toujours dans le recueillement le plus parfait.
Notre aimable confrère qui nous transmet ces ravissants détails nous en expose le symbolisme frappant. Le pain bénit convient bien au Mystère de Bethléem, la maison du pain 55, et les cierges allumés représentent la céleste lumière qui environna les bergers quand l'Ange leur annonça la joyeuse naissance de Celui qui est la «lumière du monde». Ego sum lux mundi56, lumen ad revelationem gentium 57.
Note 55: (retour) Hom. Saint Greg., 7e lec., Mat. de Noël.
Note 56: (retour) Joann., VIII, 12.
Note 57: (retour) Luc, II, 32.
Au pays d'Armagnac, au commencement de la Messe de minuit, on bénit le pain de Noël. Chaque famille offre le sien. Au retour, on en coupe un morceau qui est religieusement gardé pour la Noël prochaine. Le reste est mangé de suite pour commencer le réveillon.
Dans le Condomois, tous les boulangers offrent en cadeau à leurs clients le gâteau de Noël. C'est un pain spécial pétri avec des oeufs et de l'anis et d'un goût excellent.
Les grandes familles reçoivent plusieurs de ces gâteaux de leurs boulangers. Elles envoient le plus beau à l'église pour être distribué aux fidèles à la Messe de minuit: ces pains sont donnés à l'assistance en grande quantité.
Il est d'usage, dans un grand nombre, de villages des Pyrénées, de faire bénir, à la Messe de minuit, des petits pains que l'on garde pendant toute l'année et qu'on donne aux bestiaux quand ils sont malades, principalement aux brebis.
Dans le Rouergue (Aveyron), après l'élévation de la Messe de minuit, on entonne le Nodolet (chant de Noël), cantique particulier, embryon de drame liturgique. Le choeur des jeunes filles, de ses voix les plus douces—pour imiter les anges—s'exprime en français, annonçant le Mystère de ce jour, et toute l'assistance, en choeur, répond, en patois, demandant des explications et exprimant son étonnement de la naissance d'un Dieu pauvre.
Identique pour le fond, le «Nodolet» varie beaucoup dans la forme, suivant les diverses paroisses.
Ce chant dialogué se rencontre aussi en Provence et en Normandie.
En Provence, quatre jeunes gens, dont trois représentent des pasteurs et le quatrième un ange, s'avancent à l'entrée de l'église, avant la Messe de minuit: ils conduisent un agneau orné de rubans. Ils chantent sur deux airs différents un dialogue, l'ange en français et les bergers en provençal. L'ange invite les bergers à se livrer à l'allégresse et à venir à Bethléem adorer le Messie. Un des bergers, surpris des paroles auxquelles il ne comprend rien, appelle son camarade Jean, qui entend le français, et il le prie de lui interpréter les paroles de cet inconnu.
Jean s'enquiert du voyageur, de l'objet de sa venue et pourquoi il fait tant de bruit à la porte de leurs cabanes; alors l'ange leur annonce la naissance de Jésus.
Quand ce dialogue est terminé, l'ange et les pasteurs entrent dans l'église, s'approchent de la Crèche et, s'étant mis à genoux, ils offrent l'agneau en chantant un dernier verset en choeur.
Une scène à peu près semblable a lieu, en Normandie, dans l'église de Saint-Victor-l'Abbaye.
Avant la Messe de minuit, quatre jeunes filles, groupées au pied de l'autel, se lèvent et lancent cet appel.