Le 24 mars 1814, les Alliés tenaient un conseil militaire, non loin de Vitry. Une fois de plus, la confusion régnait. Que faire ? Personne n’était du même avis, mais il fallait bien s’entendre, puisque la désunion serait exploitée par Napoléon. La veille, des cosaques avaient capturé un cavalier chargé de remettre un courrier à l’Empereur. La missive émanait de Savary, le ministre de la Police générale. L’angoisse imprégnait les mots comme une colle.
« On est complètement à bout de ressources, la population est découragée. Elle veut la paix à tout prix. Les ennemis du gouvernement impérial entretiennent et fomentent dans le peuple une agitation encore latente, mais qu’il sera impossible de réprimer si l’Empereur ne réussit pas à éloigner les Alliés de la capitale, à les entraîner à sa suite loin des portes de la capitale... »
Oui, mais ne s’agissait-il pas d’un piège ? Si les Alliés tournaient le dos à Napoléon pour marcher sur Paris, leurs communications seraient menacées, voire coupées. Il leur faudrait donc s’emparer très vite de la capitale !
Le Tsar hésitait. Il avait été trop hardi à Austerlitz, ce qui avait précipité l’armée austro-russe dans le piège de Napoléon, la conduisant à la catastrophe. Au contraire, durant la campagne de Russie, la majorité de ses soldats l’avaient jugé trop prudent ! Aujourd’hui encore, nombreux étaient ceux qui pensaient que les Français auraient pu être battus avant d’arriver à Moscou, à la bataille de Borodino-la Moskova, si Alexandre et le haut état-major n’avaient pas douté de leurs soldats... Il s’agissait d’un point de vue absurde, mais tout paraît toujours si simple après coup. Alors, tantôt il se disait qu’il ne répéterait pas l’erreur d’Austerlitz et devenait prudent à outrance, tantôt il songeait à sa chère Moscou détruite et avait envie de lancer au pas de charge son armée sur Paris. Ou alors sur Napoléon. Quoique, à bien y songer, à Austerlitz... Étonnamment, ce jour-là, ses conseillers se mirent d’accord. Paris !
Le Tsar rêvait depuis longtemps déjà de prendre Paris, pour venger Moscou. Donc Paris !
Schwarzenberg, le généralissime, fit preuve de modestie, qualité inhabituelle chez quelqu’un de son rang. Napoléon l’avait battu avec sa petite armée. Bien d’autres généraux se seraient empressés de tenter de prendre leur revanche. Mais Schwarzenberg jugea que l’Empereur était meilleur tacticien que lui et qu’il valait mieux éviter de le combattre. Alors Paris.
Frédéric-Guillaume III, le roi de Prusse, était du même avis.
La décision était presque prise. Dans ce pile-Napoléon, face-Paris, la pièce penchait beaucoup, mais hésitait encore... Le général Winzingerode, un Allemand passé au service du Tsar et qui avait la réputation d’être le meilleur sabreur des Alliés, eut une idée qui améliorait leur plan. Il suggéra de marcher sur la capitale tout en faisant croire à Napoléon que l’on avait décidé, au contraire, de se lancer à sa poursuite. Il se proposait de se diriger lui-même vers Napoléon – avec dix mille cavaliers, de l’artillerie à cheval et de l’infanterie – et de se comporter exactement comme s’il commandait l’avant-garde des armées alliées. Son idée rencontra un vif succès.