DOSSIER
par Michel Meyer
Ce dossier pédagogique, qui s'adresse à la classe tout 1. CONTEXTES
entière, professeur et élèves, n'est pas un commentaire complet et dogmatique de l'œuvre. Des informations et fi e p è es? s c h r m m ci ï o e I cf u e s « Cl s n es e • Le des analyses (en caractères maigres) y alternent avec des cycle des ceuvres en prose :: L'Amour fou.
invitations à la réflexion et des consignes (en caractères Les Wases
gras) pour des travaux écrits ou oraux, individuels ou col-
» Le mouvemeîiî surréïiliste J«stiirren lectifs. Dans les deux sections principales — « Aspects du 1 Ci*»"?
récit » et « Thématique » — l'analyse peut laisser une place plus grande à l'initiative et à la recherche du lecteur.
Nadja n'est pas un roman mais une œuvre qui s'affirme Pour faciliter l'élaboration des exposés oraux ou la rédac-autobiographique. L'auteur désire en effet s'écarter des tion des travaux écrits (cf. la dernière section « Divers », romanciers « qui prétendent mettre en scène des person-on trouvera en marge les repères suivants : nages distincts d'eux-mêmes» (p. 17) et veut, au contraire, habiter son texte comme une « maison de verre » aux parois translucides (p. 18). Tout en admirant qui renvoie aux sujets concernant le personnage
« la disparition totale de Lautréamont derrière son de Nadja ;
œuvre » (p. 18), il souhaite, pour ce qui le concerne, « relater [...] les faits les plus marquants de [s]a vie » (p. 19). Il importe donc de situer ce texte dans son cadre bio-qui renvoie aux sujets concernant le surréalisme.
graphique, en mettant tout particulièrement en valeur les éléments auxquels Breton fait allusion dans Nadja.
Repères chronologiques
1896 Naissance à Tinchebray (Orne).
1900 Installation de la famille Breton à Paris, ville que l'auteur ne cessera de parcourir tout au long de sa vie et dans les pages de Nadja (cf. « Espace »).
1914 Breton se tourne vers des études médicales.
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1915 Rimbaud exerce sur l'auteur un véritable « pouvoir d'incanta-insère l'inscription suivante, courante à Paris au début du siècle : Bois tion » (p. 54). Cette passion sera à l'origine d'une rencontre insolite
& Charbons. Dans Nadja, on voit les deux auteurs se livrer à une avec une jeune fille qui lui récite Le Dormeur du Val (p. 55). Il déambulation dans Paris à la recherche de boutiques portant ce type découvre aussi les peintres symbolistes comme Gustave Moreau, dont d'enseigne (p. 27).
les portraits oniriques de femmes idéalisées l'ont beaucoup influencé.
1920 Tzara, le fondateur du mouvement Dada, arrive à Paris en jan-C'est à ce peintre, entre autres, qu'il pense, quand il écrit : « J'aime vier. Dès lors, Breton, Aragon et leurs amis seront dadaïstes. Breton beaucoup ces hommes qui se laissent enfermer la nuit dans un musée rencontre Simone Kahn, sa future épouse. Il vit d'articles qu'il écrit pour pouvoir contempler à leur aise, en temps illicite, un portrait de pour la NRF, et surtout pour le couturier et mécène Jacques Doucet femme qu'ils éclairent au moyen d'une lampe sourde » (p. 113).
qu'il tient au courant de l'activité littéraire et qu'il conseille dans Juillet : Mobilisé, il est envoyé à Nantes où il travaille en tant l'achat de tableaux.
qu'infirmier militaire. Il écrit au sujet de cette ville : « Nantes : peut-1921 Breton rend visite à Freud, à Vienne. Époque des sommeils où être avec Paris la seule ville de France où j'ai l'impression que peut s'illustre tout particulièrement Robert Desnos (cf. p. 32-34).
m'arriver quelque chose qui en vaut la peine » (p. 32).
1923 Rupture avec Tzara et le dadaïsme, à laquelle faisait allusion la 1916 Il découvre Freud dans le précis de psychiatrie du docteur première édition de Nadja : « M. Tristan Tzara préférerait sans doute Régis et se trouve notamment fasciné par un malade qui nie la réalité qu'on ignorât qu'à la soirée du Cœur à barbe, il nous donna, Paul de la guerre, et pour qui « la prétendue guerre n'était qu'un simu-
Éluard et moi, aux agents. » Breton se réconciliera plus tard avec lui, lacre » et « les deux apparentes blessures » que « du maquillage »
d'où, sans doute, la suppression de cette phrase dans l'édition défini-
{Entretiens avec André Parinaud, 1952).
tive de Nadja, parue en 1963.
Rencontre Jacques Vaché, soigné à Nantes. Breton sera fasciné par ce personnage de dandy suicidaire et dira de lui dans le Mani-1924 Cette année est importante pour le mouvement surréaliste, feste du surréalisme, en 1924 : « Vaché est surréaliste en moi. »
puisque paraissent des ouvrages essentiels. Les Pas perdus d'abord, recueil d'articles où l'on trouve notamment un texte autobiographique, 1917 Suit des cours à Paris à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, fré-la Confession dédaigneuse, dans lequel Breton affirme son goût pour quente Apollinaire et rencontre Aragon affecté à cet hôpital. Ils se l'espace urbain et la rue. Le Manifeste du surréalisme ensuite, texte découvrent des goûts littéraires communs.
théorique et poétique, dont Nadja est à bien des égards le prolonge-1918 Début d'une véritable activité littéraire. Rencontre Éluard à la ment. Poisson soluble enfin, recueil de récits automatiques, fait suite première représentation de la pièce Couleur du Temps d'Apollinaire au Manifeste. Breton présentera à Nadja des exemplaires de ces (cf. p. 27).
livres (p. 72). Deux épisodes de Poisson soluble sont évoqués plus loin 1919 Rédige les Champs magnétiques avec Philippe Soupault, pre-
(p. 78 et 79).
mier exemple d'écriture automatique. À la fin du recueil, Breton 1925 L'opposition à la guerre du Maroc pourrait marquer le début 176
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effectif des rapports des surréalistes avec la politique. Breton est 1943 Rencontre d'Elisa à New York.
proche de Trotsky, dont il achète le dernier ouvrage à la librairie de 1945 Début de la rédaction d'Arcane 17.
L'Humanité (p. 63).
1946 Retour à Paris. Le groupe surréaliste se réorganise autour de 1926 Rencontre avec Nadja le 4 octobre (p. 63-64).
lui.
1927 Breton adhère au Parti communiste. La diatribe contre le travail 1952 Entretiens avec André Parinaud dans lesquels il revient longue-de la page 60, même s'il est fait allusion à « sa plus juste réparti-ment sur la genèse du surréalisme.
tion », montre qu'il est très loin des positions officielles du Parti. On peut voir dans la photographie de la page 62 une représentation 1955-1960 Prise de position contre la guerre en Algérie.
concrète du caractère contraignant de l'adhésion au Parti : « On signe 1963 Nouvelle édition de Nadja.
ici », dit un panneau en forme d'injonction.
1966 Mort de Breton qui sera bientôt suivie de la dissolution du Rédaction de Nadja (cf. « Genèse »).
groupe surréaliste.
1928 Parution de Nadja et du Surréalisme et la peinture.
1929 Breton se sépare de sa femme Simone. À peine mentionnée Genèse
dans Nadja (p. 74, 90 et 143), on la sentait très loin, déjà, de son mari.
D'une manière très moderne, Breton a fait de l'écriture de 1930 Un cadavre, pamphlet d'anciens surréalistes (Desnos, Leiris, son livre la matière même de Nadja. En août 1927, soit Prévert...) contre Breton, dans lequel on lui reproche, entre autres, son quelques mois à peine après l'interruption de ses relations attitude après l'internement de Nadja.
avec Nadja, Breton entreprend la rédaction de son 1931 Fin de la liaison avec celle à qui Breton s'adresse avec tant de ouvrage comme elle le lui avait demandé : « André ?
André ?... Tu écriras un roman sur moi. [...'] De nous il faut ferveur à la fin de Nadja, Suzanne Musard (p. 157).
que quelque chose reste » (p. 100). Il se trouve alors à 1932 Les Vases communicants font état de cette rupture.
Varengeville-sur-Mer, à l'hôtel du Manoir d'Ango, dont il 1934 Rencontre de Jacqueline Lamba.
est le seul client. Dans le texte, un véritable cataclysme 1935 Naissance de sa fille Aube.
semble s'y produire, marquant l'entrée de Nadja : « Enfin voici que la tour du Manoir d'Ango saute, et que toute une 1937 Publication de L'Amour fou.
neige de plumes, qui tombe de ses colombes, fond en 1938 Séjour au Mexique où il rencontre Trotsky et le peintre Diego touchant le sol de la grande cour naguère empierrée de Rivera.
débris de tuiles et maintenant couverte de vrai sang ! »
1941 Départ pour les États-Unis.
(p. 61). À proximité de Breton résident sa femme Simone 178
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et Lise Meyer, la mystérieuse « dame au gant bleu » avec définitive, celle que nous connaissons à présent. Il ajoute qui il entretient une liaison. Au même moment, Aragon un « Avant-dire » dans lequel il explique que les modifica-
écrit, avec une grande facilité, le Traité du style. Breton, tions introduites dans l'ouvrage visent à rendre plus lisibles lui, a l'impression d'écrire avec beaucoup de difficultés, les éléments objectifs du récit, les éléments subjectifs ne d'autant qu'Aragon lui lit, chaque jour, sa production. En devant en aucun cas être modifiés. Ces retouches portent septembre, il écrira à Blanche Derval et Lise Meyer pour à la fois sur le texte et sur les illustrations.
préparer l'illustration photographique du livre : le travail L'élément essentiel est cependant la suppression touche donc à son terme.
page 109 de la mention de la nuit passée avec Nadja à Le séjour à Varengeville lui permet de rencontrer Saint-Germain, à « l'hôtel du Prince-de-Galles ». En ce qui Mme Berl, épouse de l'homme de lettres Emmanuel Berl concerne l'illustration, Breton modifie plusieurs photogra-qui lui propose de publier Nadja. C'est alors que Breton ren-phies et en introduit de nouvelles, dont celles du colom-contre la maîtresse de celui-ci, Suzanne Musard, en bier du Manoir d'Ango (p. 22), lieu même de l'écriture novembre. Ils partent immédiatement « du côté d'Avignon, dont on assistera page 61 à l'explosion, prélude à l'entrée où le Palais des Papes n'a pas souffert des soirs d'hiver et en scène de Nadja.
des pluies battantes, où un vieux pont a fini par céder sous une chanson enfantine » (p. 155). Suzanne Musard est la destinatrice de la fin de Nadja, le « tu » auquel il s'adresse Le mouvement surréaliste
avec tant d'effusion. Cependant, le refus même de nom-jusqu'en 1927
mer celle à qui il s'adresse donne une portée plus générale à cette invocation. C'est à la Femme qu'il parle.
Même s'il est l'héritier à bien des égards des écrivains de Entre la fin d'août, date à laquelle il quitte le Manoir la fin du xixe siècle (Rimbaud, Lautréamont ou, dans une d'Ango et le mois de décembre 1927, Breton se trouve moindre mesure, Baudelaire et Huysmans, tous cités donc « sous le poids d'une émotion » (p. 149), violence dans Nadja), le mouvement surréaliste n'en est pas moins qui le conduit à modifier les dernières parties de animé d'une volonté de nouveauté radicale. Ce désir est l'ouvrage. Il évoque ainsi, parlant à celle qu'il aime désor-tout d'abord visible dans les goûts du jeune Breton mais, « la conclusion que je voulais lui donner avant de te qu'Apollinaire en poésie ou Chirico en peinture fascinent, connaître» (p. 159). Encore une fois, la vie est entrée tout autant que le cinéma naissant. Dès 1919, Les dans le livre ouvert « battant comme une porte » (p. 157).
Champs magnétiques font date. Écrits en une semaine Le livre peut désormais paraître en 1928.
par Breton et Soupault, ces textes relèvent de l'écriture En 1962, Breton revoit le texte et en donne une édition automatique.
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Ce procédé est à la base de la définition que le Mani-qui incarne cette aspiration dans « une âme et un corps feste de 1924 donne du surréalisme : « n.m. Auto-
(Rimbaud).
matisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pen-Le cycle des œuvres en
sée. Dictée de la pensée, en l' absence de tout contrôle prose : L'Amour fou, Les Vases
exercé par la raison, en dehors de toute préoccupa-
communicants, Arcane 17
tion esthétique ou morale ».
On peut parler pour ces livres d'un véritable cycle. Ce qui L'arrivée en 1920 de Tzara à Paris va donner un élan au le permet, c'est d'abord la constante d'une écriture qui groupe naissant dont les membres, dès lors, seront nom-fait alterner réflexion théorique, prises de position polémés « dada », nom choisi de manière aléatoire par Tzara.
miques et effusion lyrique (cf. « Quelques pistes pour De nombreuses soirées « dada » seront organisées, l'étude de l'écriture »). Le lien entre ces aspects apparem-
émaillées de provocations et d'incidents divers, soirées ment contradictoires, c'est la réponse à la question initiale dont Breton finira par se lasser. Le Manifeste de 1924
que pose l'incipit de Nadja : « Qui suis-je ? » C'est ensuite montre en effet qu'il désire fonder, inventer et non seule-la présence d'illustrations photographiques (cf. « Quel-ment détruire. Les années suivantes seront marquées par ques pistes pour l'étude d'autres thèmes »). De plus, de les rapports difficiles du mouvement avec la politique (cf.
nombreux éléments sont des références explicites à
« Repères chronologiques »). Ces rapports créeront des Nadja. Le thème du rêve esquissé dans Nadja avec le récit d'« un rêve assez infâme » de la page 49 est développé tensions à l'intérieur même du groupe et provoqueront dans un ouvrage essentiel, Les Vases communicants, en notamment le départ d'Aragon, dont la fidélité sans dis-1932, ainsi que la réflexion sur la psychanalyse. Dans cet cussion au Parti communiste sera incompatible avec la ouvrage, Breton analyse un de ses rêves dans lequel il lucidité critique de Breton. En 1927, l'année de l'écriture voit « une vieille femme qui semble folle ». Cette vieille de Nadja, on peut donc avoir l'impression de la fin d'une femme, c'est Nadja, et il précise que sa présence dans époque glorieuse, faite d'expérimentations et d'exalta-son rêve est de sa part une défense inconsciente contre tions collectives. Il est significatif de voir que, passé la
« la responsabilité involontaire » qu'il a « pu avoir dans première partie, les membres du groupe surréaliste ne l'élaboration de son délire et par suite de son interne-sont presque plus évoqués, et que « l'aspiration surréa-ment, responsabilité que X [Suzanne Musard, à qui la fin liste » (p. 74) est représentée par le personnage de Nadja de Nadja est adressée] lui a souvent jetée à la tête dans 182
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ses moments de colère » (Les Vases communicants, 2 ASPECTS DU RECIT
p. 122, in Œuvres complètes, tome Il, Pléiade). La définition de l'amour et de la beauté « convulsive » sera précisée dans L'Amour fou de 1937 et les deux notions trouve-ront leur point d'ancrage dans Arcane 1 7 avec le mythe de Mélusine, la « femme-enfant », incarnation de la Beauté :
« [...] et cette variété si particulière qui a toujours subjugué les poètes parce que le temps sur elle n'a pas de Structure
prise » (Arcane 17, p. 62, Le Livre de Poche).
Malgré les affirmations de Breton qui déclare écrire comme vit Nadja, « sans ordre préétabli, et selon le caprice de l'heure » (p. 23), on peut bien parler d'une organisation de l'œuvre et même d'une organisation assez stricte.
• La première partie de Nadja (jusqu'à la page 61) contient des considérations philosophiques sur l'identité.
À partir de la page 13, on trouve des réflexions sur la critique littéraire et la création romanesque. Breton affirme vouloir répondre, en écrivant, à une question centrale :
« Qui suis-je ? » Pour lui, l'identité dépend d'autrui et du contexte dans lequel on évolue, ce qui explique le passage à une autre question : « Qui je hante ? » et le recours à la métaphore du fantôme. Cette volonté de lier écriture et quête de l'identité entraîne des devoirs pour la critique littéraire, qui devrait s'intéresser au « domaine qu'elle se croit le plus interdit » (p. 13) : la biographie. Elle nécessite également que les écrivains renoncent à vouloir « mettre en scène des personnages distincts d'eux-mêmes »
(p. 17).
• Après cette justification théorique, Breton annonce son 185
intention de relater « les épisodes les plus marquants » de Lancelot de Chrétien de Troyes. Cette analogie avec la lit-sa vie. En effet, à partir de la page 23 débute une série de térature médiévale est remarquée par Julien Gracq qui, courts paragraphes centrés autour d'anecdotes sans dans son livre de 1948 sur Breton (André Breton, quel-aucun rapport, à première vue du moins, avec le titre de ques aspects de l'écrivain, José Corti), voit dans l'œuvre l'œuvre. Tout se passe comme si Breton voulait retarder le récit d'une quête semblable à celle du Graal (Breton, lui, l'« entrée en scène » de Nadja pour lui donner toute sa parle de « poursuite » page 109). Le principe de la compo-force.
sition en spirale suppose à la fois le retour d'épisodes
• Ces épisodes et les personnages qu'ils mettent en scène similaires, comme les rencontres, et une élévation pro-anticipent l'arrivée de Nadja. Relever précisément les per-gressive vers la femme à qui Breton s'adresse à partir de sonnages masculins et féminins rencontrés par Breton, la page 155.
ainsi que leurs caractéristiques, et montrer la nécessité
• Pourquoi la rencontre avec cette femme n'est-elle pas dramatique de l'introduction.
racontée ? En quoi peut-on parler d'élévation dans la structure du roman ?
• La partie centrale ensuite débute page 63 avec l'apparition de Nadja. Cette partie, à la structure beaucoup plus claire que la première, est très étendue. Elle contient une Temporalité
sorte de journal, daté du 9 au 12 octobre, relatant quelques journées essentielles.
Certains passages de Nadja relèvent de l'essai. La ques-
• Pourquoi le journal cesse-t-il après les points de suspen-tion de la temporalité ne se pose qu'avec le début du récit sion de la page 109 ? Quels sont, à partir de là, les indices à proprement parler, page 23 : « Je prendrai pour point de de l'éloignement progressif de Breton ?
départ l'hôtel des Grands Hommes, place du Panthéon, où j'habitais vers 1918, et pour étape le Manoir d'Ango à
• Puis vient ce que Breton lui-même appelle une conclu-Varengeville-sur-Mer, où je me trouve en août 1927. »
sion (p. 159), adressée à un « tu » qui ne sera pas nommé Breton omet ici une allusion à 1915 et au «pouvoir et qui aboutit à une définition de la beauté.
d'incantation » (p. 54) exercé alors par Rimbaud, mais
• En quoi l'incantation à la destinatrice anonyme prépare-fixe, dans ses grandes lignes, les limites temporelles des t-elle la définition de la beauté donnée dans la dernière deux premières parties du livre.
phrase du livre ?
• On peut parler à propos de la structure de Nadja d'une
• La première partie utilise les temps du passé et, quand composition en spirale en employant une expression le présent apparaît, il s'agit d'un présent de narration.
souvent utilisée à propos de romans courtois, comme
• Relever les nombreuses indications de temps de la page 23
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à la page 61. Quelles sont leurs caractéristiques? Sont-
• Dans la conclusion, à partir de la page 147, s'effectue elles précises ? Quel est l'effet produit par leur présence un passage progressif au présent : « Puisque tu existes, répétée ?
comme toi seule sais exister» (p. 159). Ce présent
• La deuxième partie, consacrée aux journées du 4 au d'énonciation, où le temps de l'écriture ne fait qu'un avec 12 octobre 1926, est caractérisée par un emploi spéci-le temps de l'événement raconté, traduit l'achèvement de fique du présent. Certes, Breton écrit après avoir vécu les sa quête. Il s'agit pour lui de trouver l'« or du temps », événements qu'il raconte, mais tout se passe c o m m e s'il l'instant où surgit la « Merveille » pour employer des revivait ces événements. On ne peut donc plus parler ici termes chers à l'auteur. En fait l'objet de l'écriture surréa-du présent de narration classique, simple moyen d'actuali-liste est de fixer cet instant et, pour cela, l'écriture auto-ser une narration d'événements passés.
matique avait inventé ce qu'Aragon appelle dans Le
• Observer le passage du passé au présent dans le récit de la Roman inachevé « le piège à loups de la vitesse ». Dès rencontre avec Nadja : « Je venais de traverser ce carre-lors, le livre peut s'ouvrir et se clore sur le futur de la der-four dont j'oublie ou ignore le nom, là, devant une église.
nière phrase : « La beauté sera CONVULSIVE OU ne sera Tout à coup, alors qu'elle est peut-être encore à dix pas de pas », promesse et espoir d'un avenir où l'instant sera moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme [...] »
revécu dans la ferveur et la violence.
(p. 63-64). Quelle est la valeur de l'adverbe « là » ?
Le rythme du récit, dès lors, se ralentit et il ne faut pas moins d'une cinquantaine de pages pour raconter ces Espace
quelques journées d'octobre 1926.
• La longueur du récit consacré à chaque journée est
• L'espace réel.
variable. Quel est le plus long ? Justifier sa longueur.
Plus encore qu'une célébration de la ville, Nadja est une
• Dans la troisième partie, après les points de suspen-invitation à « précipiter quelques hommes dans la rue »
sion de la page 109, le temps dominant est d'abord le (p. 60). La rue est pour l'héroïne comme pour l'auteur « le passé composé : « rien de tout cela [...] n'a été oublié »
seul champ d'expérimentation valable ». En 1924, il affir-
(p. 111 ) ; « J'ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour mait déjà : « La rue que je croyais seule capable de livrer à un esprit libre » (p. 111) ; « Nadja a inventé pour moi une fleur merveilleuse » (p. 118)...
ma vie ses surprenants détours, la rue avec ses inquié-
• Quelle est la valeur spécifique de ce temps du passé ? Que tudes et ses regards était mon véritable élément : j'y pre-traduit-il du rapport que Breton entretient avec l'histoire nais comme nulle part ailleurs le vent de l'éventuel » (La qu'il vient de vivre ?
Confession dédaigneuse, in Les Pas perdus).
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• Pourquoi Breton oppose-t-il la fréquentation de la rue au poétique du pont d'Avignon qui « a fini par céder sous une travail (p. 60) ?
chanson enfantine » (p. 155) relève du procédé du détour-Il semble même que la liaison entre Nadja et Breton nement de proverbes ou ici de chansons, et montre le soit liée à la rue. C'est là qu'ils se rencontrent le 4 octobre souci constant de situer avec précision les faits dans leur et leurs lieux de rendez-vous les jours suivants sont tou-espace propre.
jours des cafés. Nadja ne viendra chez Breton en De même, ce qui intéresse Breton dans le cinéma et le novembre qu'à un moment où il aura cessé « depuis théâtre, ce sont les salles bien plus que les spectacles assez longtemps » de s'entendre avec elle. Nadja restera eux-mêmes dont il se souvient à peine, la pièce Les donc toujours pour l'auteur cette passante dont parle BauDétraquées ayant seule droit à un long développement. Il delaire dans un poème célèbre (« À une passante », parle de « certaines salles de cinéma du dixième arron-Tableaux parisiens, in Les Fleurs du Mal, 1857).
dissement » qui lui « paraissent être des endroits parti-
• La capitale est un lieu constant de fascination pour tous les culièrement indiqués » au surgissement de la merveille surréalistes : Le Paysan de Paris, d'Aragon, en est la qui fait l'objet de sa quête.
preuve (cf. « Conseils de lecture »). Le Paris des surréa-
• On lira attentivement la description du Théâtre Moderne listes n'est pourtant pas composé des quartiers associés à (p. 39 et suivantes) en s'interrogeant sur les raisons de la la bohème artistique, que ce soit Montparnasse ou Mont-fascination qu'éprouve Breton pour ce lieu pourtant quel-martre. Repérez sur un plan de Paris les lieux où se que peu sordide. On comparera cette description avec rendent Nadja et le narrateur. Quels sont leurs quartiers celle qu'en donne Aragon dans Le Paysan de Paris (Folio, favoris ?
n° 782, p. 84 et 131).
L'espace exerce une action psychologique forte sur
• L'espace imaginaire.
Breton. Certains lieux sont attirants : Paris, comme on l'a À l'instar de Rimbaud qui voyait un « salon au fond d'un vu, mais aussi des villes de province comme Nantes ou lac », Breton et Nadja voient dans Paris un lieu mysté-Avignon. Nantes est avec Paris « la seule ville de France rieux et onirique. Ainsi, la statue de Jean-Jacques Rous-où [il a] l'impression que peut [lui] arriver quelque chose seau (p. 30) ou même une simple « bande de mosaïque »
qui en vaut la peine » (p. 32).
sur le sol (p. 89) peuvent provoquer chez eux un senti-
• Quelles sont les raisons biographiques qui expliquent cette ment de peur presque panique. De même, la place Dau-affinité ? Les liens entre Nantes et le surréalisme peuvent phine devient un lieu troublant (p. 79).
donner lieu à un exposé.
• Relever dans la description de la place Dauphine les élé-La conclusion contient une allusion à la ville d'Avignon, ments qui expliquent le trouble de Breton.
où Breton s'est rendu avec Suzanne Musard. L'évocation Les couleurs également peuvent être le moyen de 190
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métamorphoser l'espace. Une fenêtre devient rouge, le rêve », pour reprendre l'expression de Baudelaire, le biais vent bleu (p. 82). Le réel est devant les protagonistes de l'écriture ne serait plus nécessaire : « Supposer une semblable à un château de roman fantastique où tout ne telle rencontre n'est pas si délirant somme toute : il se serait qu'illusion : « Des escaliers secrets, des cadres pourrait. Il me semble que tout se fût arrêté net, ah ! je ne dont les tableaux glissent rapidement et disparaissent [...]
serais pas en train d'écrire ce que j'écris (p. 40-41). » La des boutons sur lesquels on fait très indirectement pres-question initiale : « Qui suis-je ? » se double donc d'une sion et qui provoquent le déplacement en hauteur, en lon-question: «Que raconter?», que retenir d'une exis-gueur, de toute une salle et le plus rapide changement de tence qui vaille la peine d'être écrit ? Au début de décor... » (p. 113).
l'ouvrage, Breton annonce son intention de ne « relater
[...] que les épisodes les plus marquants de [s]a vie »
On comprend dès lors la critique, constante chez Bre-
(p. 19).
ton, de la description dans le roman traditionnel. Seule une vision proprement surréaliste du monde est à même
• Cette volonté de ne pas faire de son existence un récit de rendre compte de la magie des lieux qui nous linéaire, à la manière de l'autobiographie classique, entourent pour peu que nous soyons capables comme implique des choix. En relisant son texte en 1962, Breton Nadja d'ouvrir les yeux. « J'ai vu ses yeux de fougère trouve ses choix parfois discutables, voire incompréhens'ouvrir le matin sur un monde où les battements d'ailes sibles : « À repasser de-ci de-là sous mes yeux certaines de l'espoir immense se distinguent à peine des autres de ces notations me déçoivent tout le premier : que pou-bruits qui sont ceux de la terreur » (p. 112).
vais-je bien en attendre au juste ? » (p. 56). On a pourtant vu dans l'analyse de la structure qu'il n'y avait rien là de gratuit. En fait, surtout dans la première partie, Breton a Narration
conservé dans sa prose un principe narratif qui était déjà à l'œuvre dans l'écriture automatique : le principe de Nadja est un récit discontinu.
l'association d'idées.
Si Breton critique le roman, il ne renonce pas pour
• Comment le narrateur passe-t-il de la mention du film autant à raconter, même si, devant le surgissement de
L'Étreinte de la Pieuvre (p. 36), au souvenir de Jacques l'amour, Breton ressent le besoin de justifier sa Vaché (p. 39) ?
démarche : « Puisque tu existes, comme toi seule sais
• L'impression de discontinuité dans la narration persiste exister, il n'était peut-être pas très nécessaire que ce livre dans la deuxième partie, alors même que les repères tem-existât. J'ai cru pouvoir en décider autrement... » (p. 159).
porels deviennent plus précis.
En fait, si dans ia vie l'action était véritablement « sœur du
• Que sait-on de Nadja en dehors de ses rencontres avec 192
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Breton ? Qu'est-ce qui peut expliquer ce silence presque montre l'espoir sur lequel s'achève le texte. En 1932, un texte de Breton, de manière significative, remplace le « il complet ?
était une fois » des contes de fées par la formule « il y
• La dernière partie renforce encore ce caractère ellip-aura une fois ».
tique en ne racontant presque rien de la relation avec Suzanne Musard.
• « Ma lumière propre » (p. 111).
• Pourquoi Breton fait-il mention de leur séjour en Avignon Même si Breton n'écrit pas une autobiographie au sens (p. 155) ? Quelle est la fonction de l'histoire de Monsieur classique du terme, il nous donne des éléments qui nous Delouit, que Breton lui-même trouve « stupide » et qu'il permettent de mieux le connaître.
s'excuse de raconter (p. 156) ?
C'est d'abord un portrait de lui-même en surréaliste révolté qu'il nous donne dans Nadja.