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— C’est votre frère ? releva Violet, interloquée, d’une voix haut perchée. Celui avec…

— Non ! (J’agitai la main devant moi comme pour chasser une question absurde.) Un vieil ami, mentis-je.

Mon cœur martelait ma poitrine. Malgré mes nombreux efforts tout au long de l’après-midi pour retrouver mon frère, ce face-à-face était un choc, après tant d’années.

— Oh que oui ! Stefan et moi nous connaissons depuis toujours. (Damon plissa les yeux d’un air menaçant.) D’ailleurs, parfois je me dis que je mourrais pour lui.

Mal à l’aise, j’examinai scrupuleusement mon frère, en dépit de la présence, pesante, de Violet.

Il n’avait pas vieilli. Le constat était ridicule en soi, seulement c’était le premier qui m’était venu. Naturellement, je n’avais pas changé moi non plus, mais j’étais habitué à me voir dans le miroir tous les matins et cela n’avait donc rien d’extraordinaire : c’était un simple fait de mon existence. Néanmoins, je trouvais surprenant de découvrir Damon aussi frais et dépourvu de rides que la nuit où nous étions tous les deux morts.

À bien y regarder, toutefois, je notai une différence : ses yeux. Comme assombris, ils semblaient renfermer tout un lot de secrets, d’horreurs et de crimes. Qui sait quels actes il avait commis au cours de ces vingt dernières années ? Si cela s’apparentait à ce qu’il avait fait à Londres, alors il n’avait pas chômé, et les forces de l’ordre non plus, à cause de lui.

— Tu as bonne mine, me dit-il.

À croire que nous étions des voisins tombant l’un sur l’autre dans un parc plutôt que des frères ne s’étant pas vus depuis deux décennies, de l’autre côté d’un océan.

— Toi aussi.

Les cheveux plaqués vers l’arrière, il portait un costume à la coupe raffinée et une cravate en soie.

— Et qui est cette délicieuse dame ? demanda-t-il en tendant une main à Violet.

— Qu’est-ce que cela peut te…

— Je m’appelle Violet Burns.

Elle fit une révérence, les joues cramoisies au moment où mon frère prenait sa main pour la porter à ses lèvres.

— Enchanté. Damon DeSangue.

Je grimaçai en entendant le nom familier que je ne connaissais que trop bien. Je m’aperçus, en revanche, qu’il avait abandonné le faux accent italien qu’il entretenait avec fureur à New York.

— Et qu’est-ce qui vous amène ici ? poursuivit-il.

— Nous partions…

— Non ! s’interposa Violet. S’il vous plaît, restons. Notre hôtel est tout proche ; nous logeons au Cumberland. (Elle charma mon frère d’un battement de cils.) Nous cherchons ma sœur…

Sa voix se perdit alors qu’elle considérait l’expression de choc sur le visage de Damon.

— Le Cumberland ! répéta-t-il.

Mon estomac se plomba qu’il connaisse à présent le nom de notre hôtel.

— Ma parole, tu as gravi les échelons de ce monde, Stefan !

Fini de jouer, lançai-je dans ma barbe. Nous avons passé l’âge.

Mon amour du jeu est éternel, rétorqua-t-il sans bouger les lèvres.

Je t’interdis de lui faire mal, l’avertis-je entre des mâchoires serrées.

Il ne répondit rien, se contentant de remuer légèrement la tête avec une expression impossible pour moi à déchiffrer. Violet le couvait toujours d’un regard révérencieux. Un réflexe classique : Damon avait l’art de subjuguer la gent féminine. Au même instant, une grande et superbe femme vêtue d’une robe en soie bleu nuit, avec des faux cils, s’approcha de lui tranquillement, un verre de champagne dans chaque main. Autour de son cou, un foulard soyeux, cousu de fils d’or, était noué plusieurs fois. J’étais certain que, si elle l’enlevait, je découvrirais deux petits trous sur sa peau, à la place des crocs de Damon. Mon frère, suivant mes yeux, écarquilla les siens et sourit avec suffisance tandis que Violet hoquetait de surprise.

— Charlotte Dumont ! dit-elle dans un cri perçant.

Je lui adressai un sourire, content que, au moins, elle ait porté attention au spectacle. Je n’en revenais pas d’avoir laissé passer un indice aussi évident.

— C’est mon nom, effectivement. (Elle gloussa en tendant sa flûte à Damon.) Je vous abandonne une seconde et c’est chaque fois la même chose : je vous retrouve encerclé d’une foule d’admirateurs ! (Elle ponctua son commentaire d’une petite tape joueuse sur son bras.) Alors que je suis censée être la star de notre duo !

Elle arbora une mine déçue.

— Ne vous inquiétez pas, ma chérie. (Damon posa une main sur son épaule avec une telle tendresse que je n’en revins pas. Était-il véritablement attaché à cette femme ou bien n’en voulait-il qu’à son argent et à son statut ?) Je vous présente mon vieil ami, Stefan… À propos, c’est ainsi que tu te fais appeler de nos jours ?

— Stefan Pine. Et voici mon amie Violet.

Je baisai la main de Charlotte avec la délicatesse qui seyait à la sienne.

— Je suis comédienne, dit Violet en effectuant une courbette. Je viens d’Amérique, raconta-t-elle en affectant un accent américain.

— Vraiment ? s’étonna Charlotte, une pointe d’inquiétude dans la voix tandis qu’elle tentait de déterminer si Violet lui ferait oui ou non de l’ombre.

— Eh bien, disons que c’est ce que j’aimerais, nuança l’intéressée, qui s’était apparemment rendu compte qu’avec un tel mensonge elle ne s’attirerait pas les bonnes grâces de Charlotte, loin de là. Ma sœur aussi, d’ailleurs. Cora Burns. Vous la connaissez ?

Le visage de la femme s’adoucit un peu.

— Cora… ça me dit quelque chose. (Elle tira légèrement sur la manche de Damon.) Nous connaissons une Cora, trésor ?

Mon frère leva les yeux au plafond.

— Comme si je pouvais mémoriser les noms de toutes les personnes que nous rencontrons. C’est à cela que les pages mondaines servent, non ? Si les gens y sont mentionnés, cela signifie que je les ai rencontrés ; dans le cas contraire, la réponse est non.

— S’il vous plaît, si jamais vous la croisez, dites-lui que sa sœur la cherche, pria Violet du bout des lèvres.

Une vague de soulagement me submergea ; le fait que le prénom de Cora paraisse familier à Charlotte signifiait que peut-être la sœur de Violet était effectivement partie avec un producteur.

— Ça ne me dit rien, chérie. Désolé, s’excusa Damon avec un haussement d’épaules.

— Tant pis, répondit Violet à regret. Je veux juste qu’elle sache que je suis à sa recherche.

— En parlant de recherche, intervint Charlotte gaiement, rompant ainsi le silence, je pense me mettre en quête d’un autre verre de champagne. (Le temps de notre courte conversation, elle avait déjà vidé sa flûte.) Vous m’accompagnez ? Avec un peu de chance, je pourrai vous présenter M. Mackintosh, le producteur de notre humble revue. Votre sœur n’est pas la seule qui pourrait devenir comédienne.

Violet, des étincelles dans les yeux, disparut à la suite de Charlotte parmi la horde de convives. Mon frère les regarda s’éloigner, déconcerté.

— Ah les femmes ! lâcha-t-il une fois qu’elles étaient hors de portée de voix. Impossible de vivre avec elles, ni sans elles. Tu n’es pas d’accord ? Les plaintes continuelles, les compliments, l’enthousiasme débordant… Pas étonnant que les humains vieillissent si vite.

Il vida sa coupe de champagne.

— Visiblement, tu n’es pas à court de ressources pour te rassasier, commentai-je avec cynisme.

La façon dont Damon choisissait ses femmes était-elle la raison du courroux de Klaus ? Ou bien était-ce quelque chose d’autre ? Quoi qu’il en soit, je continuerais à jouer la carte de la gentillesse en attendant d’en avoir le cœur net.

— Ah oui. Elle est à mon goût, en dépit du taux d’alcool dans son sang la plupart du temps. C’est formidable avant une longue soirée mais je dois me réfréner pour éviter les excès, confia mon frère comme s’il parlait d’un tout nouveau restaurant. Et toi ? Tu es revenu au sang humain avec l’âge de raison ? Ne me dis pas que tu continues à te sustenter du sang d’écureuils et de lapins !

Là-dessus, il s’esclaffa.

— Je ne parle pas de Charlotte, répondis-je imperméable à sa raillerie. Et je suis ici pour t’arrêter. Tu te comportes comme un imbécile, et, si tu continues à être aussi imprudent, cela va mal se terminer pour toi. Et puis d’ailleurs, qu’est-ce que tu fais ici ?

— C’est le climat de Londres qui m’a attiré, plaisanta-t-il avec sarcasme. J’ai besoin d’une raison ? Et si j’avais envie de faire un peu de tourisme ? J’ai fini par me lasser de l’Amérique. Ici, ce ne sont pas les distractions qui manquent.

— Quel genre de distractions ?

Je plantai mes yeux dans ceux de mon frère. Il se remit à sourire, révélant deux rangées de dents d’un blanc éclatant.

— Tu sais bien : les réjouissances qui vont avec les voyages à l’étranger ; rencontrer de nouvelles personnes, essayer de nouvelles spécialités culinaires…

— T’essayer au meurtre ? sifflai-je pour empêcher qu’on ne m’entende.

Damon, d’abord décontenancé, éclata finalement de rire – un long rire creux.

— Oh, tu veux parler de cette histoire à dormir debout de Jack l’Éventreur ? Je t’en prie. Tu me connais mieux que ça, non ? rétorqua mon frère, son fou rire terminé.

— Je te connais, oui. Suffisamment pour savoir que tu aimes faire parler de toi. Mais, en l’occurrence, ce n’est pas de la bonne publicité.

— La mauvaise publicité, c’est quand je n’en ai pas. (Il bâilla exagérément pour signifier que la conversation l’ennuyait.) Tu sais pertinemment, petit frère, que j’ai toujours eu les devinettes en horreur et que je n’ai aucune patience pour l’hystérie. Je préfère de loin tuer en toute discrétion.

— Tu veux dire que tu n’as tué personne dernièrement ?

Je balayai la salle du regard, soucieux de m’assurer que personne n’avait surpris notre conversation. Non. Les oiseaux de nuit autour de nous étaient bien trop occupés à boire et rire pour songer à écouter nos secrets.

— Non ! répondit Damon, agacé. Je m’amuse bien trop avec ma captivante compagne de théâtre ici présente. Et quand je dis captivante, je pèse mes mots.

Il ponctua cette remarque d’une grimace suggestive.

— Bref. (Hors de question d’accorder à Damon la satisfaction de m’énumérer ses exploits.) Mais les meurtres…

— … sont perpétrés par un humain imbécile qui ne tardera pas à être appréhendé, finit-il.

— Je ne crois pas.

Je résumai ce que j’avais vu : l’inscription dans Dutfield Park rédigée en lettres de sang.

— Et ?

Damon ne tiqua même pas.

— Je pense qu’il peut s’agir de Klaus, expliquai-je, irrité de devoir formuler une telle évidence. Qui d’autre écrit des messages avec du sang et connaît notre nom ?

Mon frère écarquilla légèrement les yeux avant d’afficher à nouveau sa traditionnelle expression de contentement blasé.

— C’est ça, ton indice ? N’importe qui d’autre aurait pu laisser ce message. Et, désolé de blesser ton ego, Stefan, mais nous ne sommes pas les seuls Salvatore au monde. Il pourrait tout aussi bien s’agir du nom de famille d’une de ces filles de Whitechapel. Je ne suis pas inquiet. Évidemment que le meurtrier – quel qu’il soit – a utilisé du sang pour écrire. L’encre et le papier n’ont pas franchement le même effet terrifiant, termina-t-il avec un soupir, un œil tourné vers le bar où Violet et Charlotte vidaient leurs coupes de champagne en gloussant.

— Maintenant, si tu permets, j’ai besoin d’un verre. Suis-moi, frère : allons fêter nos retrouvailles.

Il se fraya un chemin parmi la foule tandis que, furieux, je lui emboîtai le pas. Il se comportait comme si je lui avais raconté une blague. Ça lui était égal qu’un vampire psychotique soit en liberté ? Voire un vampire des Origines ? Et que nous puissions être les proies d’un meurtrier ?

Apparemment oui. Tous les trois pas, des admirateurs l’interpellaient : des filles que je reconnus comme étant des membres du chœur de la revue, un homme de petite taille et à la barbe blanche foisonnante qui m’avait l’air d’être le tailleur du théâtre ainsi qu’un individu au torse bombé et aux boutons de manchette dorés, un haut-de-forme sur le crâne – l’un des producteurs de la compagnie, selon moi. J’en profitai pour lui poser quelques questions innocentes au sujet de Cora pour voir s’il avait le moindre lien avec elle, mais ce n’était pas mon homme. Il s’exprimait avec un accent britannique marqué et ses cheveux étaient foncés. Rien à voir avec la description d’Eliza. Chaque fois que Damon était arrêté en chemin, il riait, trinquait, un sourire aux lèvres, et complimentait son interlocuteur. Je devais lui accorder : en société, mon frère se comportait en parfait gentleman.

— Tu remarques comme je sais me tenir ? me lança-t-il très à propos, une fois arrivés au bar où le serveur nous offrit deux coupes de champagne.

— Un véritable homme du monde.

C’était tellement étrange d’être à une soirée avec mon frère. Quelque part au fond de moi, j’aurais voulu que tout soit comme au temps où nous étions humains, lorsque nous savions à l’avance ce que l’autre allait dire. Une autre partie de moi, plus sage, se souvenait que je ne pourrais jamais faire confiance à Damon en tant que vampire : après tout, il avait tué Callie et il aurait agi de même avec les Sutherland si Klaus et ses laquais ne leur avaient pas mis la main dessus en premier, avant de nous quitter, Lexi et moi, vingt ans plus tôt sans même un au revoir.

Pourtant, dans son esprit, les compteurs entre nous jamais ne seraient à zéro. C’était moi qui avais transformé Damon en vampire alors qu’il me suppliait de l’épargner. Contre sa volonté, je l’avais forcé à boire du sang, le condamnant à vivre cette sombre éternité. Il ne me l’avait jamais pardonné. Avec les années, et malgré la liste toujours plus longue de préjudices et de torts qu’il m’avait causés, je n’aurais pas hésité à les effacer de ma mémoire si cela avait pu garantir que nous retrouvions notre relation fraternelle d’autrefois. Et il était douloureux de constater qu’aux yeux d’inconnus nous continuions à apparaître comme les meilleurs amis du monde alors que les choses jamais ne rentreraient dans l’ordre. Effectivement, Damon passait son temps à me présenter aux hôtes que nous croisions comme « son vieil ami Stefan des États-Unis » et j’étais obligé de sourire, de hocher la tête et de regretter que nous ne vivions pas dans un monde où les choses étaient aussi simples.

— Charlotte est toujours aussi charmante, s’éleva une voix.

Près de Damon se tenait un gentleman grand et blond, vêtu d’une chemise en soie blanche boutonnée jusqu’au cou et d’un élégant pardessus noir. Ses chaussures étaient fabriquées en cuir italien véritable. Je n’aurais pu lui donner un âge précis : entre vingt-cinq et quarante peut-être ?

— Samuel ! (Damon lui donna une forte tape dans le dos.) Je vous présente Stefan, un vieil ami.

— Bonjour, le saluai-je avec raideur, d’un petit coup de tête.

Je surpris Samuel à examiner mes mains calleuses, gercées et entaillées après des semaines de travail physique acharné, ainsi que la barbe naissante sur mes joues. J’avais perdu l’habitude de me raser tous les jours au Manoir Abbott.

— Bienvenue, dit enfin l’homme après un long moment. Les amis de Damon sont mes amis.

Avant qu’il ait le temps d’ajouter quoi que ce soit, Charlotte et Violet s’approchèrent de nous, la dernière titubant indéniablement d’ivresse.

— C’est le plus beau jour de ma vie ! annonça-t-elle à personne en particulier.

Elle leva sa flûte à champagne d’un geste si brusque qu’une partie de la boisson se répandit en une constellation sur sa robe en soie.

— Et dire que j’ai été comme ça autrefois, s’horrifia Charlotte. J’espère qu’une fois chez vous vous lui enseignerez l’art de se mouvoir en société avec grâce et politesse, termina-t-elle, les yeux dans les yeux avec moi.

— Malheureusement, ce n’est pas auprès de Stefan qu’elle bénéficiera de ce genre de leçon, ma chérie. Mais elle en aura beaucoup d’autres. Stefan adore s’écouter parler. Il m’a même convaincu de mourir dans le passé.

— J’aime presque autant parler que Damon aime se bercer de sa voix, répliquai-je sur un ton facétieux agacé.

Il fallait que je ramène Violet à l’hôtel. Elle devait travailler le lendemain soir. Pour autant, il me faudrait me montrer très habile pour la persuader de quitter cette soirée, sachant qu’en outre nous n’avions toujours pas retrouvé Cora.

— Je dois y aller mais je vous verrai avec Charlotte demain, près de Grove House ? s’enquit finalement Samuel en lançant un regard plein de sous-entendus à mon frère.

— Bien sûr.

Il hocha la tête.

— Treize heures ? Après, j’ai mon spectacle, précisa Charlotte.

— Oui, confirma Samuel. Stefan, vous aimeriez vous joindre à nous avec votre amie ? Cela pourrait être amusant, ajouta-t-il d’un air pince-sans-rire.

Je le considérai en clignant des yeux ; dans sa bouche, tout sonnait comme un affront même s’il était impossible de définir avec précision ce qui était aussi offensant dans sa manière de parler.

— Une petite fête, cela te tente, frérot ?

Les sourcils de Damon dansèrent sur son front.

— S’il vous plaît ? m’implora Violet.

— Nous verrons, dis-je entre mes mâchoires crispées.

— Violet, vous aimeriez venir ? (Du Damon tout craché.) Stefan se joindra sûrement à nous s’il arrive à le noter quelque part entre ses lectures moralisatrices shakespeariennes et ses travaux de détective.

— Ses travaux de détective ? releva Violet, confuse.

— Laissez tomber, mon chou. C’est une blague entre nous, lui lança mon frère.

— Une anecdote ennuyeuse au possible, rétorquai-je. La passion de Damon pour le théâtre est bien plus intéressante. Vous devriez lui demander de vous raconter les numéros qui figurent dans son répertoire.

— Vous êtes acteur ? l’interrogea Violet.

— Nous parlerons de tout ça demain ! décréta l’intéressé, visiblement excédé.

Excellent. Si communiquer en langage codé et l’exaspérer était le moyen de recueillir son attention, eh bien je continuerais.

— Oui ! se réjouit Violet.

— Nous ferions mieux de rentrer, décidai-je avec douceur.

Je pris ma cavalière par le bras pour l’escorter à la porte en évitant les convives.

Dehors, je poussai un soupir de soulagement alors que le vent froid me fouettait le visage – un remède idéal après l’atmosphère tendue et étouffante de la soirée. Je ne pensai pas à Damon, me concentrant sur le bourdonnement des réverbères au-dessus, le bruissement des feuilles et les pas des piétons qui martelaient la chaussée – autant de bruits banals du quotidien mais que, en dépit de mes sens exacerbés, j’appréciais rarement.

De retour à la chambre d’hôtel, j’allongeai Violet sur le lit et la bordai délicatement au moyen d’un couvre-lit. Au moment où sa tête toucha l’oreiller en satin, elle avait déjà les paupières closes.

Je mis plus de temps à m’endormir. Dehors, les rues de la capitale grouillaient toujours, et, chaque fois que je fermais les yeux, j’aurais juré entendre le rire de mon frère monter de la chaussée pour s’insinuer dans mon esprit.