The Project Gutenberg EBook of Le Tour du Monde; Mont Céleste, by Various

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Title: Le Tour du Monde; Mont Céleste
Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release Date: November 21, 2009 [EBook #30518]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TOUR DU MONDE; MONT CÉLESTE ***




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LE TOUR DU MONDE

PARIS
IMPRIMERIE FERNAND SCHMIDT
20, rue du Dragon, 20

NOUVELLE SÉRIE — 11e ANNÉE 2e SEMESTRE

LE TOUR DU MONDE
JOURNAL
DES VOYAGES ET DES VOYAGEURS

Le Tour du Monde
a été fondé par Édouard Charton
en 1860

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND
1905

Droits de traduction et de reproduction réservés.

TABLE DES MATIÈRES

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL

I. De Paris à Srinagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srinagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade. 1

II. La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et batelières. — De Baramoula à Srinagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srinagar. 13

III. Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas. 25

IV. Le pèlerinage d'Amarnath. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles. 37

V. Le pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srinagar. 49

SOUVENIRS DE LA CÔTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.

I. Voyage dans la brousse. — En file indienne. — Motéso. — La route dans un ruisseau. — Denguéra. — Kodioso. — Villes et villages abandonnés. — Où est donc Bettié? — Arrivée à Dioubasso. 61

II. Dans le territoire de Mopé. — Coutumes du pays. — La mort d'un prince héritier. — L'épreuve du poison. — De Mopé à Bettié. — Bénie, roi de Bettié, et sa capitale. — Retour à Petit-Alépé. 73

III. Rapports et résultats de la mission. — Valeur économique de la côte d'Ivoire. — Richesse de la flore. — Supériorité de la faune. 85

IV. La fièvre jaune à Grand-Bassam. — Deuils nombreux. — Retour en France. 90

L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER

I. L'île d'Elbe et le «canal» de Piombino. — Deux mots d'histoire. — Débarquement à Porto-Ferraio. — Une ville d'opéra. — La «teste di Napoleone» et le Palais impérial. — La bannière de l'ancien roi de l'île d'Elbe. — Offre à Napoléon III, après Sedan. — La bibliothèque de l'Empereur. — Souvenir de Victor Hugo. Le premier mot du poète. — Un enterrement aux flambeaux. Cagoules noires et cagoules blanches. Dans la paix des limbes. — Les différentes routes de l'île. 97

II. Le golfe de Procchio et la montagne de Jupiter. — Soir tempétueux et morne tristesse. — L'ascension du Monte Giove. — Un village dans les nuées. — L'Ermitage de la Madone et la «Sedia di Napoleone». — Le vieux gardien de l'infini. «Bastia, Signor!». Vision sublime. — La côte orientale de l'île. Capoliveri et Porto-Longone. — La gorge de Monserrat. — Rio 1 Marina et le monde du fer. 109

III. Napoléon, roi de l'île d'Elbe. — Installation aux Mulini. — L'Empereur à la gorge de Monserrat. — San Martino Saint-Cloud. La salle des Pyramides et le plafond aux deux colombes. Le lit de Bertrand. La salle de bain et le miroir de la Vérité. — L'Empereur transporte ses pénates sur le Monte Giove. — Elbe perdue pour la France. — L'ancien Musée de San Martino. Essai de reconstitution par le propriétaire actuel. Le lit de Madame Mère. — Où il faut chercher à Elbe les vraies reliques impériales. «Apollon gardant ses troupeaux.» Éventail et bijoux de la princesse Pauline. Les clefs de Porto-Ferraio. Autographes. La robe de la signorina Squarci. — L'église de l'archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement. La «Pieta» de l'Empereur. Les broderies de soie des Mulini. — Le vieil aveugle de Porto-Ferraio. 121

D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.

I. — Alexandrette et la montée de Beïlan. — Antioche et l'Oronte; excursions à Daphné et à Soueidieh. — La route d'Alep par le Kasr-el-Benat et Dana. — Premier aperçu d'Alep. 133

II. — Ma caravane. — Village d'Yazides. — Nisib. — Première rencontre avec l'Euphrate. — Biredjik. — Souvenirs des Hétéens. — Excursion à Resapha. — Comment atteindre Ras-el-Aïn? Comment le quitter? — Enfin à Orfa! 145

III. — Séjour à Orfa. — Samosate. — Vallée accidentée de l'Euphrate. — Roum-Kaleh et Aïntab. — Court repos à Alep. — Saint-Syméon et l'Alma-Dagh. — Huit jours trappiste! — Conclusion pessimiste. 157

LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL

À qui les Nouvelles-Hébrides: France, Angleterre ou Australie? Le condominium anglo-français de 1887. — L'œuvre de M. Higginson. — Situation actuelle des îles. — L'influence anglo-australienne. — Les ressources des Nouvelles-Hébrides. — Leur avenir. 169

LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS

I. — Moscou. — Une déception. — Le Kreml, acropole sacrée. — Les églises, les palais: deux époques. 182

II. — Moscou, la ville et les faubourgs. — La bourgeoisie moscovite. — Changement de paysage; Nijni-Novgorod: le Kreml et la ville. 193

III. — La foire de Nijni: marchandises et marchands. — L'œuvre du commerce. — Sur la Volga. — À bord du Sviatoslav. — Une visite à Kazan. — La «sainte mère Volga». 205

IV. — De Samara à Tomsk. — La vie du train. — Les passagers et l'équipage: les soirées. — Dans le steppe: l'effort des hommes. — Les émigrants. 217

V. — Tomsk. — La mêlée des races. — Anciens et nouveaux fonctionnaires. — L'Université de Tomsk. — Le rôle de l'État dans l'œuvre de colonisation. 229

VI. — Heures de retour. — Dans l'Oural. — La Grande-Russie. — Conclusion. 241

LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH

La petite ville de Lugano; ses charmes; son lac. — Un peu d'histoire et de géographie. — La cathédrale de Saint-Laurent. — L'église Sainte-Marie-des-Anges. — Lugano, la ville des fresques. — L'œuvre du Luini. — Procédés employés pour le transfert des fresques. 253

SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS

I. — Woo-Sung. — Au débarcadère. — La Concession française. — La Cité chinoise. — Retour à notre concession. — La police municipale et la prison. — La cangue et le bambou. — Les exécutions. — Le corps de volontaires. — Émeutes. — Les conseils municipaux. 265

II. — L'établissement des jésuites de Zi-ka-oueï. — Pharmacie chinoise. — Le camp de Kou-ka-za. — La fumerie d'opium. — Le charnier des enfants trouvés. — Le fournisseur des ombres. — La concession internationale. — Jardin chinois. — Le Bund. — La pagode de Long-hoa. — Fou-tchéou-road. — Statistique. 277

L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY

Le problème de la civilisation des nègres. — L'Institut Hampton, en Virginie. — La vie de Booker T. Washington. — L'école professionnelle de Tuskegee, en Alabama. — Conciliateurs et agitateurs. — Le vote des nègres et la casuistique de la Constitution. 289

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman. 301

II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration, l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. — La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou. 313

III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et géographie du Makran. — Le Sarhad. 325

IV. — Délimitation à la frontière perso-baloutche. — De Kirman à la ville-frontière de Kouak. — La Commission de délimitation. — Question de préséance. — L'œuvre de la Commission. — De Kouak à Kélat. 337

V. — Le Seistan: son histoire. — Le delta du Helmand. — Comparaison du Seistan et de l'Égypte. — Excursions dans le Helmand. — Retour par Yezd à Kirman. 349

AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte DE MIRAMON-FARGUES

De Saïgon à Pnôm-penh et à Compong-Chuang. — À la rame sur le Grand-Lac. — Les charrettes cambodgiennes. — Siem-Réap. — Le temple d'Angkor. — Angkor-Tom — Décadence de la civilisation khmer. — Rencontre du second roi du Cambodge. — Oudong-la-Superbe, capitale du père de Norodom. — Le palais de Norodom à Pnôm-penh. — Pourquoi la France ne devrait pas abandonner au Siam le territoire d'Angkor. 361

EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK

I. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiul. — Le monastère de Tismana. 373

II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour-Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora. 385

III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne. 397

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.

I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché. — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais. 410

II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick. 421

III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau. 423

IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pêche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les tourbières hautes et basses. — Houille locale. 433

ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU

Légende d'Osiris. — Histoire d'Abydos à travers les dynasties, à l'époque chrétienne. — Ses monuments et leur spoliation. — Ses habitants actuels et leurs mœurs. 445

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL

I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize. 457

II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte. — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan-Tengri. 469

III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers. 481

IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan-Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize. 493

V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion. 505

VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirghizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. — La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion. 507

L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE

Première escale: Trangisvaag. — Thorshavn, capitale de l'Archipel; le port, la ville. — Un peu d'histoire. — La vie végétative des Feroïens. — La pêche aux dauphins. — La pêche aux baleines. — Excursions diverses à travers l'Archipel. 517

PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR

Accès difficile de Pondichéry par mer. — Ville blanche et ville indienne. — Le palais du Gouvernement. — Les hôtels de nos colonies. — Enclaves anglaises. — La population; les enfants. — Architecture et religion. — Commerce. — L'avenir de Pondichéry. — Le marché. — Les écoles. — La fièvre de la politique. 529

UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQ

I. — Géographie et histoire de l'Ikongo. — Les Tanala. — Organisation sociale. Tribu, clan, famille. — Les lois. 541

II. — Religion et superstitions. — Culte des morts. — Devins et sorciers. — Le Sikidy. — La science. — Astrologie. — L'écriture. — L'art. — Le vêtement et la parure. — L'habitation. — La danse. — La musique. — La poésie. 553

LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ

Le chemin de fer Sfax-Gafsa. — Maharess. — Lella Mazouna. — La forêt de gommiers. — La source des Trois Palmiers. — Le Bou Hedma. — Un groupe mégalithique. — Renseignements indigènes. — L'oued Hadedj et ses sources chaudes. — La plaine des Ouled bou Saad et Sidi haoua el oued. — Bir Saad. — Manoubia. — Khrangat Touninn. — Sakket. — Sened. — Ogla Zagoufta. — La plaine et le village de Mech. — Sidi Abd el-Aziz. 565

DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOY

I. — L'aspect de la Castille. — Les troupeaux en transhumance. — La Mesta. — Le Tage et ses poètes. — La Cuesta del Carmel. — Le Cristo de la Luz. — La machine hydraulique de Jualino Turriano. — Le Zocodover. — Vieux palais et anciennes synagogues. — Les Juifs de Tolède. — Un souvenir de l'inondation du Tage. 577

II. — Le Taller del Moro et le Salon de la Casa de Mesa. — Les pupilles de l'évêque Siliceo. — Santo Tomé et l'œuvre du Greco. — La mosquée de Tolède et la reine Constance. — Juan Guaz, premier architecte de la Cathédrale. — Ses transformations et adjonctions. — Souvenirs de las Navas. — Le tombeau du cardinal de Mendoza. Isabelle la Catholique est son exécutrice testamentaire. — Ximénès. — Le rite mozarabe. — Alvaro de Luda. — Le porte-bannière d'Isabelle à la bataille de Toro. 589

III. — Entrée d'Isabelle et de Ferdinand, d'après les chroniques. — San Juan de los Reyes. — L'hôpital de Santa Cruz. — Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — Les portraits fameux de l'Université. — L'ange et la peste. — Sainte-Léocadie. — El Cristo de la Vega. — Le soleil couchant sur les pinacles de San Juan de los Reyes. 601

IV. — Les «cigarrales». — Le pont San Martino et son architecte. — Dévouement conjugal. — L'inscription de l'Hôtel de Ville. — Cordoue, l'Athènes de l'Occident. — Sa mosquée. — Ses fils les plus illustres. — Gonzalve de Cordoue. — Les comptes du Gran Capitan. — Juan de Mena. — Doña Maria de Parèdes. — L'industrie des cuirs repoussés et dorés. 613

TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—39e LIV. No 39.—30 Septembre 1905.

LE BAZAR DE TACHKENT S'ÉTALE DANS UN QUARTIER VIEUX ET FÉTIDE (page 458).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL.

I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize.

UN KOZAQUE DE DJARGHESS (page 468).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le 28 juin, après trente-quatre jours de voyage, j'arrivais à Tachkent, capitale du Turkestan russe. En m'embarquant à Gênes, je pensais pouvoir franchir cette distance en moins de trois semaines. Mais, en Orient, le temps ne fait pas monnaie, et on le dépense sans compter. Quand on part on ne sait jamais quand on arrive, et quand on arrive on ignore à quel moment on se remettra en route. Le chemin est jalonné de menus incidents et de petites mésaventures qui, tout en éprouvant la patience et le caractère, n'en demeurent pas moins des contre-temps toujours fâcheux pour un voyageur pressé. Hommes et choses semblent figés dans une fatidique immobilité, contre laquelle on ne peut rien.

Aussi, ce n'est pas sans un vif soulagement que j'aperçus sur le quai de la gare de Tachkent la haute stature de don Scipion Borghèse, et la face barbue du guide Zurbriggen, qui me souhaitèrent la bienvenue par de cordiales et chaleureuses poignées de main. Pensez donc! Ils m'attendaient depuis quinze jours.

Nous décidâmes de partir le surlendemain, car la saison était déjà avancée et nous risquions fort de compromettre la campagne d'alpinisme que nous allions entreprendre. Les deux journées qui nous restaient, nous les employâmes à visiter la ville, et à régler nos instruments à l'Observatoire météorologique.

Presque toutes les villes asiatiques ont des réserves d'imprévu pour le nouveau débarqué, et possèdent je ne sais quelle charmante originalité qui le captive de prime abord. Il n'en est point ainsi de Tachkent. Cette ville n'a jamais été, dans les temps passés, qu'un petit centre de commerce et un entrepôt de marchandises. Elle n'a, pour ainsi dire, pas subi l'influence de l'épopée timourienne, et n'a pas, par conséquent, reçu l'empreinte de l'art iranien, qui laissa de si belles traces dans la ville de Samarkand. Les ruines grandioses, que les archéologues recherchent avec avidité, y font complètement défaut.

Tachkent, comme étendue, est aussi grande que Paris, mais ne compte que 300 000 habitants. Sauf les quartiers indigènes, refoulés dans les faubourgs, la ville présente un aspect moderne, presque américain. On s'aperçoit immédiatement que c'est une cité toute jeune, créée sur un plan déterminé. Ses larges avenues qui s'entre-croisent et s'allongent pendant plusieurs verstes, sont régulièrement plantées d'une double rangée d'arbres, arrosés par des ruisseaux qui coulent abondamment des deux côtés de la chaussée.

Les maisons russes sont confortables, quoique très basses, composées d'un seul rez-de-chaussée, à cause des fréquents tremblements de terre. Invariablement, un porche en bois y donne accès, et une vaste cour ombragée les entoure de trois côtés.

Dans les rues, on trouve un peu partout des magasins de nouveautés, des clubs, des bibliothèques, des cafés, tout le confort de la vie moderne, avec ses défauts et sa corruption. Certes, si Tachkent ne peut être considérée comme une ville très attrayante, elle ne doit pas non plus être traitée de lieu d'exil, comme de complaisants voyageurs l'ont avancé. Le nombre des étrangers qui l'habitent va toujours en augmentant; il n'est pas rare que quelques-uns d'entre eux la quittent après fortune faite.

L'emplacement de la ville est bien choisi pour devenir un des plus grands centres commerciaux de l'Asie. Située au carrefour des routes de la Sibérie, de la Chine, de l'Afghanistan et de la Perse, reliée à l'Europe par une ligne de chemin de fer, environnée de cultures superbes qui ne font que s'étendre, son avenir est des plus assurés. Et si la ligne projetée qui doit passer par la Sémiretchié et aboutir, à Taïga, au Transsibérien s'effectue, son développement ne peut que s'accentuer encore, car elle échangera ses produits avec les pays du Nord, et deviendra un comptoir de premier ordre en Asie centrale.

Le bazar de Tachkent ne ressemble guère à ceux de Bokhara, de Téhéran ou de Tiflis. C'est un quartier à part, dont l'élément tatar a été modifié par les races qui se sont tour à tour succédé dans le Turkestan: quartier vieux et fétide, dont la lumière et l'eau semblent à jamais bannies.

Ce qui caractérise le bazar de Tachkent, plus que les ruelles obscures et fangeuses, recouvertes de loques invraisemblables et de nattes éraillées, plus que les échoppes encombrées de marchandises bizarres, et plus que la foule bigarrée qui s'y presse, ou y caracole, c'est la distribution des métiers en trente-deux groupes, et de chacun de ces groupes en trente-deux spécialités. Quelle complication pour le moindre achat qu'on y peut faire!

ITINÉRAIRE DE TACHKENT À PRJEVALSK.

Tachkent est une vraie pépinière de races, ayant chacune son quartier, son temple, sa langue, son costume et ses traditions, animées les unes à l'égard des autres de rancunes et de haines que les siècles n'ont pas étouffées. Au-dessus de ces races diverses, il existe un élément hybride, composite qui constitue le fond de la population de la ville, et forme, pour ainsi dire, un trait d'union entre les naturels et les exotiques: ce sont les Sartes. D'aucuns ont voulu croire que les Sartes étaient un produit du mélange d'Ouzbegs et de Tadjiks. C'est une erreur. Leur tige généalogique s'est greffée aux plus disparates tronçons turco-mongoliques. Ce qui est certain, c'est qu'ils forment une caste privilégiée. Le Sarte est plus instruit, plus souple et plus entreprenant que tout autre de ses coreligionnaires.

L'habitation des indigènes est plutôt misérable, et d'une solidité assez problématique. Les maisons, toujours très basses, divisées au plus en deux ou trois compartiments, sont construites quelquefois en travées de bois, mais le plus souvent elles se composent exclusivement de murs en pisé. Les toits ne sont que des treillis de branchages, consolidés par une épaisse couche de terre, où ne tardent pas à se former des plants de coquelicots et de capucines. Tant que dure la belle saison, tout va bien. Pendant les grandes chaleurs, une agréable fraîcheur règne à l'intérieur de ces demeures, et en hiver l'épaisseur de la couche d'argile est très efficace à conserver le peu de chaleur entretenue à grand'peine par la petite quantité de combustible dont on dispose. Mais, dans les fortes pluies, la terre se gonfle, craque, et la frêle charpente s'effondre tout à coup, surprenant quelquefois la famille au milieu de la nuit. Aussi a-t-on soin de maintenir la toiture en bon état, afin d'éviter autant que possible ces sortes d'accidents.

LES MARCHANDS DE PAIN DE PRJEVALSK (page 466).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le 30 juin, à cinq heures du matin, nous quittons Tachkent. Les tarentass, qu'on a loués la veille, nous attendent dans la cour de l'hôtel. Les bagages, plutôt encombrants, sont chargés, et nous prenons place à l'intérieur, où nous nous aménageons une petite couchette sur une brassée de paille.

Nous sommes dirigés sur Prjevalsk, près du lac Issik-Koul, au cœur même des Monts Célestes. La distance qui nous en sépare est d'environ 900 kilomètres, que nous comptons pouvoir franchir en une semaine. Naturellement nous voyagerons jour et nuit, autant que nous le permettront l'état de la route, la solidité de nos équipages et la qualité des chevaux que nous relayerons le long du chemin.

Au moment du départ, tout va bien: le yemtchik fait claquer son fouet, les grelots de la dounga tintent joyeusement, et l'air du matin chasse les derniers vestiges d'un sommeil opiniâtre.

La route, en sortant des faubourgs, débouche dans la rase campagne et remonte lentement un long plateau, d'une triste sauvagerie. La teinte brûlée du gazon, maculée ça et là de flaques saumâtres, s'étend à l'infini et s'estompe dans la ligne de l'horizon. Le terrain, sur lequel nous roulons à toute allure, s'enchevêtre peu à peu de bosses et de fondrières. Le tarentass se fait alors connaître pour ce qu'il vaut. Nous avons beau nous cramponner aux rebords de la capote et appuyer énergiquement les pieds sous le siège du cocher, impossible d'éviter les chocs et les heurts de la course folle. Deux mouvements contraires secouent avec rage nos véhicules: un mouvement d'avant en arrière et d'arrière en avant et un mouvement de gauche à droite et de droite à gauche, le tangage et le roulis! On saute, on danse, on rebondit, on se cogne contre les ferrures, on est projeté contre son voisin et on retombe d'une hauteur de plusieurs pieds sur les valises qui servent de sièges.

Le soleil, qui s'est levé, brûle déjà nos visages. Les chevaux, quand ils ne s'embourbent pas dans la terre molle, soulèvent des nuages de poussière, qui nous recouvrent entièrement, bien que nos équipages se tiennent à une discrète distance l'un de l'autre, afin d'amoindrir cet ennui. Le prince et moi, nous jetons quelquefois un coup d'œil en arrière, afin de constater si Zurbriggen et Abbas nous suivent. Nous n'apercevons ni chevaux ni voiture, mais une véritable nuée qui fonce sur nous à une vitesse effrénée. De temps à autre, nous rencontrons d'interminables théories de chariots, traînés par des chevaux ou par des buffles, attachés au véhicule qui les précède. Plus loin, ce sont de longues caravanes de chameaux qui s'écartent sur le bord de la route, avec de grotesques balancements de têtes et de lasses courbatures de corps, comme s'ils marchaient sur une surface mouvante. Ces convois, s'avançant d'un pas rythmé, mécanique, hommes, bêtes et choses de la même teinte, ressemblent à des processions de revenants condamnés par la fatalité à errer sans cesse sur la terre.

Vers midi, le chemin se déroule, en de brefs lacets, sur la pente d'une côte où court un filet d'eau encadré de verdure. Sur les bords du ruisseau quelques yourtes (maisonnettes) sont disséminées parmi les saules. Une modeste maison de poste nous invite à un sommaire déjeuner pendant qu'on relaye les chevaux. Dans les environs, quelques champs d'orge revêtent d'une blonde toison les mouvements du terrain. Des cavaliers s'y rendent, la faux sur l'épaule; d'autres en reviennent portant d'énormes faix d'herbes sur le devant de la selle. Des chiens hargneux jappent aux jambes de nos chevaux et ne cessent d'aboyer que lorsque nous sommes déjà loin, dans les steppes.

Toute l'après-midi s'écoule en plein désert. Les stantzias ne sont pas toutes situées au milieu d'un bouquet d'arbres. Quelques-unes d'entre elles doivent se contenter d'eau de pluie qu'on recueille dans des citernes, creusées dans le sol. Aussi, malgré la soif qui nous dévore, nous nous abstenons de boire quoi que ce soit.

Peu avant Tchimkent, nous devons traverser une série de petits fossés, dont l'eau, en se faufilant dans les ornières tracées par les roues, a converti la couche de poussière en une boue tenace et profonde d'où nos attelages ont mille peines à se dépêtrer. On cherche à éviter cette fondrière en prenant à côté, mais c'est quelquefois pire.

Nous traversons une rivière et nous pénétrons peu après dans la ville de Tchimkent. Il est dix heures du soir. Sauf quelques rares lumières, c'est l'obscurité la plus complète, et de toute la «cité verte» nous ne voyons que le bouge qui sert de maison de poste, et où nous devons attendre deux heures avant de pouvoir repartir.

UN DES TRENTE-DEUX QUARTIERS DU BAZAR DE TACHKENT (page 458).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Il y a là un général qui doit se rendre à Viernyi, et il va sans dire que les chevaux disponibles sont pour lui. C'est un contre-temps qui ne laisse pas de nous aigrir....

À minuit nous repartons, et nous regagnons bientôt le steppe. La route paraît bonne, et nous cherchons à nous assoupir. L'air est relativement frais, et surtout il n'y a pas de poussière.

Fatigués par un cahotement de vingt-quatre heures, les muscles détendus, nous finissons par sommeiller autant que nous le permettent le roulement de la voiture, le carillon de la dounga, et les cris, les sifflements dont le cocher se sert pour encourager ses chevaux.

Mais le soleil ne tarde pas à nous frapper en plein visage; en même temps nous éprouvons des secousses si violentes et si continues, que nos yeux s'ouvrent: impossible de dormir. Nous descendons un couloir d'érosion, où les galets détachés des terrains supérieurs se sont donné rendez-vous sur la route même. Quant à les entasser sur les bords, ou à les transporter ailleurs, personne n'y songe.

UN CONTREFORT MONTAGNEUX BORDE LA RIVE DROITE DU TCHOU (page 462).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

N'allez pas croire que le yemtchick ait modéré l'allure endiablée de ses chevaux: sauf là où la pente est trop raide, et où forcément il doit ralentir son train, c'est comme s'il roulait sur une pelouse.

À Vannovsk, petit poste de Kozaques, perdu dans le steppe, nous devons attendre de dix heures du matin jusqu'à trois heures de l'après-midi. Ici, ce n'est plus le général qui a de l'avance sur nous, mais le courrier. On ne connaît pas l'heure de son passage, mais on a été informé qu'il arrivera et repartira dans la journée. Cela suffît au smotrissiel pour nous refuser les chevaux pendant un temps indéterminé.

Fortement intrigués de cet état de choses insolite, nous demandons des explications sur le fonctionnement étrange de la poste. Le smotrissiel nous dit que notre podoroyné (feuille de route) n'est que de troisième classe, et que par conséquent il ne nous confère aucun privilège. Il ne nous donne droit d'avoir des chevaux que quand le courrier et les fonctionnaires auront été servis.

Heureusement, dans l'après-midi, nous apprenons que des moujiks du village nous loueraient volontiers des chevaux jusqu'à la prochaine station. Nous débattons les prix, et nous obtenons deux troïkas pour quatre roubles. Nous faisons de même pour les relais suivants, car la poste n'a pas l'air de se presser, et nous ne pouvons attendre son bon plaisir.

Vers le soir, nous atteignons le col de Tchak-pak, large dépression qui s'ouvre dans la chaîne du Karataou, se détachant des monts Alexandre, et s'avançant, comme une jetée cyclopéenne, dans l'espace plat et désert. Au delà, nous nous engageons dans une petite gorge boursouflée de rochers, et parsemée de broussailles blanchâtres. Comme la route est en pente raide, le cocher a attaché les roues du tarentass, afin que son poids n'entraînât pas les chevaux. Ayant mis pied à terre, pour nous dégourdir un peu, nous découvrons une source d'eau fraîche qui jaillit de la fêlure d'un rocher. C'est une aubaine inattendue, qui nous permet de nous rafraîchir le gosier, brûlé par la chaleur et la poussière.

À la tombée de la nuit, nous passons à Aoulié-Ata, village insignifiant, qui doit sa petite célébrité au tombeau d'un khan vénéré par les Kirghizes. Son nom lui vient de là: Saint-Père.

La région qui se prolonge au delà d'Aoulié-Ata, c'est le Tegherek-minn des nomades, le pays des «mille torrents» dont parle le pèlerin chinois Hiouen-Tsang, et où s'établit, selon la tradition, le premier royaume des Kara-Kitaïs, les Chinois noirs. C'est le bassin supérieur du Tchou, dont les nombreux affluents, descendant des monts Alexandre, arrosant la zone qui s'étend à leurs pieds, facilitent la culture. Graphiquement, ce faisceau de rivières a quelque analogie avec un pin-parasol, dont les racines disparaîtraient dans le steppe. En effet, le Tchou, après être devenu un fleuve respectable, finit on ne sait où, absorbé par les sables du désert.

Ce pays a été la voie historique des migrations, de la guerre, et du commerce entre la Chine du nord et l'Asie occidentale. Mais les villes que bâtissait un conquérant, un autre les renversait, et l'on n'y voit plus que des ruines. Il en est ainsi de Merke et de Pichpek, que nous rencontrons sur notre chemin, et où de nombreuses colonies russes cherchent à redonner l'ancienne fertilité à ce sol stérilisé par le dépeuplement.

La fatigante monotonie des plaines du steppe est ici fréquemment rompue par le cours des rivières, sur la berge desquelles des fouillis de joncs gigantesques émettent une odeur de fourrés de fauves. Les tigres y apparaissent quelquefois pour donner la chasse aux sangliers et aux antilopes qui y pullulent.

À Pichpek, nous laissons à gauche le grand track, qui continue sur Viernyi, en évitant, par un grand lacet, le contrefort qui se prolonge et borde la rive droite du Tchou. Ceux qui veulent esquiver ce fastidieux détour, prennent par Tokmak, où un sentier mène rapidement à la capitale de la Sémiretchié, en escaladant le col de Kastek.

Enfin, nous approchons des montagnes, qui, depuis plusieurs jours, se déroulaient sans fin sur notre droite, et qui, avec leur dentelle de neige, ne faisaient qu'augmenter notre impatience. Le paysage a changé d'aspect, et le regard peut se rafraîchir en se reposant sur la verdure des prairies. Mais pas la moindre trace d'un bois, d'une forêt quelconque. Allons-nous en être privés pendant toute la durée du voyage? Au moment où nous formulons cette question, nous voyons venir au-devant de nous une file de chariots chargés de troncs de sapins. C'est d'un heureux présage.

Vers le milieu de la troisième nuit, nos voitures s'arrêtent à la station de Tjillaryk, isolée complètement, et accotée à l'escarpement d'un promontoire, à l'entrée des gorges de Bouam.

Ici, un incident se produit. À la merci d'un vent furieux et glacé, nous frappons à la maison de poste, mais inutilement. On explore les environs; pas le moindre signe de vie. Tandis que quelques-uns de nous, découragés, vont s'enfouir dans le tarentass, Zurbriggen revient à la charge.

«J'enfoncerai la porte, dit-il, mais je veux savoir quelque chose.» Et il cogne dur sur le panneau. Enfin, on entend craquer le plancher, et la porte s'ouvre. Un tout jeune homme à moitié déshabillé se présente, une bougie à la main. Nous n'attendons pas qu'il nous invite à pénétrer dans son logis, bien que son accueil ne soit pas pour nous y convier. Un rapide coup d'œil, jeté à l'intérieur de la poste, suffit à nous faire rebrousser chemin!

Nous apprenons qu'il n'y a pas un seul cheval libre, et que, d'ailleurs, la route étant mauvaise, il est prudent d'attendre jusqu'au lendemain. De bonne heure, on pourra aller chercher les bêtes, qui ne sont pas rentrées du pâturage. Nous profitons de ce sursis pour faire un petit somme, blottis sous les couvertures. À la première lueur du jour on attelle les chevaux, et on repart.

Cette fois, les voitures ont changé leur train enragé, et c'est à petits pas que nous grimpons un raidillon, surplombant un affreux précipice. La route est tracée sur de nombreux mamelons qu'on remonte et redescend, tel un ruban qu'on laisserait choir sur une surface ondulée.

Les parois du défilé sont déchirées ça et là, montrant la nudité de leur structure. Ce sont d'énormes dépôts de calcaires rougeâtres, entremêlés de couches de schistes moirés. Dans la partie supérieure, il y a de curieuses formations de pouddingues, qu'on prendrait pour des coulées de lave, n'étaient leurs éraflures grenues provoquées par la corrosion des eaux.

En somme, c'est une gorge très intéressante pour le géologue, mais ennuyeuse pour le simple voyageur qui doit à chaque instant mettre pied à terre, et n'a pas même la compensation d'une échappée pittoresque. Après deux relais, pendant lesquels nous repassons sur la rive droite du Tchou, nous apercevons devant nous une nappe d'eau bleuâtre qui s'étend à perte de vue. Au delà, une muraille crénelée, s'estompant dans la brume, nous annonce l'approche de la haute montagne. C'est le lac Issik-Koul et la chaîne du Terskeï Ala-taou.