II – LE SÉNAT

Le dialogue vif et piquant, c’est le conseil d’État, le corps législatif et le sénat.

Il y a donc un sénat ? Sans doute. Ce « grand corps », ce « pouvoir pondérateur », ce « modérateur suprême » est même la principale splendeur de la Constitution. Occupons-nous-en.

Sénat. C’est un sénat. De quel sénat parlez-vous ? Est-ce du sénat qui délibérait sur la sauce à laquelle l’empereur mangerait le turbot ? Est-ce du sénat dont Napoléon disait, le 5 avril 1814 : « Un signe était un ordre pour le sénat, et il faisait toujours plus qu’on ne désirait de lui » ? Est-ce du sénat dont Napoléon disait en 1805 : « Les lâches ont eu peur de me déplaire » ?{19} Est-ce du sénat qui arrachait à peu près le même cri à Tibère : « Ah ! les infâmes ! plus esclaves qu’on ne veut ! » Est-ce du sénat qui faisait dire à Charles XII : « Envoyez ma botte à Stockholm. – Pourquoi faire, sire ? demandait le ministre. – Pour présider le sénat. » – Non, ne plaisantons pas. Ils sont quatre-vingts cette année, ils seront cent cinquante l’an prochain. Ils ont, à eux seuls, et en toute jouissance, quatorze articles de la Constitution, depuis l’article 19 jusqu’à l’article 33. Ils sont « gardiens des libertés publiques » ; leurs fonctions sont gratuites, article 22 ; en conséquence, ils ont de quinze à trente mille francs par an. Ils ont cette spécialité de toucher leur traitement, et cette propriété de « ne point s’opposer » à la promulgation des lois. Ils sont tous des illustrations »{20}. Ceci n’est pas un « sénat manqué »{21}, comme celui de l’autre Napoléon ; ceci est un sénat sérieux ; les maréchaux en sont, les cardinaux en sont, M. Lebœuf en est.

– Que faites-vous dans ce pays ? demande-t-on au sénat. – Nous sommes chargés de garder les libertés publiques. – Qu’est-ce que tu fais dans cette ville ? demande Pierrot à Arlequin. – Je suis chargé, dit Arlequin, de peigner le cheval de bronze.

« On sait ce que c’est que l’esprit de corps ; cet esprit poussera le sénat à augmenter par tous les moyens son pouvoir. Il détruira, s’il le peut, le corps législatif, et, si l’occasion s’en présente, il pactisera avec les Bourbons. »

Qui dit ceci ? le premier consul. Où ? Aux Tuileries, en avril 1804.

« Sans titre, sans pouvoir, et en violation de tous les principes, il a livré la patrie et consommé sa ruine. Il a été le jouet de hauts intrigants… Je ne sache pas de corps qui doive s’inscrire dans l’histoire avec plus d’ignominie que le sénat. »

Qui dit cela ? l’empereur. Où ? À Sainte-Hélène.

Il y a donc un sénat dans la « Constitution du 14 janvier ». Mais, franchement, c’est une faute. On est accoutumé, maintenant que l’hygiène publique a fait des progrès, à voir la voie publique mieux tenue que cela. Depuis le sénat de l’empire, nous croyions qu’on ne déposait plus de sénat le long des constitutions.