II

Du Sentinel, de Seattle, un mois plus tard.

Seattle, le 15 mai. – Nos lecteurs se souviendront sans doute que, voilà quelques semaines, nous avons signalé qu’une activité fébrile se manifestait à bord du yacht Mégophias, appartenant au professeur James Frost et qui se trouve amarré depuis près d’un an dans notre port.

Il nous faut avant tout rappeler qui est le professeur James Frost, ce paléontologiste millionnaire attaché depuis plus de trente années au Smithsonian Institute, Personnalité curieuse s’il en est, le professeur Frost a en effet consacré son existence à la recherche du fabuleux Serpent de Mer, dont tout le monde a pris, depuis longtemps, l’habitude de rire. Frost, depuis de longues années déjà, voyage autour du monde à bord de son yacht, le Mégophias – du nom donné par les savants au Serpent de Mer lui-même –, qui lui sert en même temps d’habitation. Dans tous les ports où il passe, le professeur Frost interroge les marins et enregistre leurs récits, prêt à s’élancer aussitôt vers n’importe quel point des océans où une apparition du monstre aurait été signalée. Bien entendu, Frost n’a jamais rencontré le Serpent de Mer, et c’est peut-être pour cette raison que, voilà une année environ, après avoir licencié en grande partie son équipage, il s’est installé à demeure dans le port de Seattle, Pourquoi justement dans le port de Seattle ? demandera-t-on. Sans doute parce que le professeur Frost, vivant à demeure à bord de son yacht, doit finalement amarrer celui-ci dans un port quelconque, Il s’est arrêté à Seattle un beau jour, la ville lui aura plu – ce qui est tout à notre honneur – et il aura décidé de s’y fixer,… dans l’attente d’un nouveau départ.

Voilà près d’un mois à présent, tout nous laissa présager que ce nouveau départ allait bientôt avoir lieu. Le professeur Frost commençait en effet à faire embarquer d’importants approvisionnements à bord du Mégophias et à recruter en toute hâte un nouvel équipage. Pourquoi cette soudaine précipitation ? Quelle serait la destination du Mégophias si celui-ci venait à appareiller ? Nous sommes à même à présent de renseigner nos lecteurs à ce sujet.

Bien que ne voyant guère d’un très bon œil les journalistes qui, trop souvent, l’ont tourné en dérision dans leurs articles, le professeur Frost a accepté de recevoir nos envoyés et de leur donner les raisons de son proche départ.

Un soir, vers le milieu du mois d’avril dernier, un homme du nom d’Aloïus Lensky, se présentait au professeur, Il disait arriver de Chine où il avait été, durant plusieurs années, emprisonné pour délit politique. Au bagne, Lensky avait rencontré un certain Boris Lemontov, un Russe qui avait pas mal bourlingué, en qualité de trafiquant d’armes et de perles, à travers les mers de Chine. Tout de suite après la guerre, Lemontov s’était même associé avec un fameux pirate chinois, Li-Chui-Shan et, ensemble, ils s’étaient livrés à de fructueux trafics le long des côtes chinoises, indochinoises et malaises. Quand Li-Chui-Shan était trop menacé par la police ou la marine britannique, qui voyaient d’un mauvais œil ses fréquentes incursions dans les eaux de Hong Kong ou de la presqu’île de Malacca, il remontait vers le nord à bord de sa puissante jonque motorisée, la « Montagne de Fortune », et gagnait un archipel rocheux, situé au-delà du détroit de Behring et dont une île seulement était habitée par des Mongols fétichistes et sauvages. Un jour, Li-Chui-Shan et Lemontov pénétrèrent dans leur village et, dans un vaste temple aux murs de pierres sèches, découvrirent un énorme squelette ressemblant à celui d’un monstrueux crocodile et que les Mongols adoraient à l’égal d’un dieu. Interrogés, ils affirmèrent qu’un autre Lung, c’est-à-dire un autre dragon, vivait dans les eaux d’un lagon voisin. Profitant d’un moment de distraction des fétichistes, Lemontov avait réussi à soustraire une des dents du squelette. Une dent mesurant près de quarante centimètres de la pointe à la racine. L’année suivante, Li-Chui-Shan et Lemontov furent capturés par la police du Kuomintang. Grâce à ses nombreuses accointances avec la justice de son pays, Li-Chui-Shan fut acquitté et remis en liberté, Lemontov, lui, fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, C’est au bagne que Lensky devait le rencontrer.

Peu après avoir raconté son histoire à son compagnon de captivité, Lemontov, atteint de tuberculose, mourut. Dans Soit maigre bagage, Lensky retrouva l’énorme dent de dragon, dont le Russe, la considérant un peu comme un fétiche, ne s’était jamais séparé. Lensky possédait assez de connaissances zoologiques pour se rendre compte qu’une telle dent n’appartenait à aucun animal connu. En outre, elle ne paraissait guère fossilisée. Peu de temps après, Lensky réussit à s’échapper du bagne et à gagner Hong Kong, emportant la dent avec lui. Déjà, il avait entendu parler du professeur Frost. À l’ambassade des États-Unis, il réussit à obtenir son adresse et s’en vint à Seattle.

Quand Frost examina la dent gigantesque, il se sentit pris de vertige. Cette dent appartenait à un animal qui, assurément, vivait encore voilà cent ans. Et, pourtant, c’était une dent de Mosasaure, reptile marin de l’ère secondaire, mais d’un Mosasaure géant, qui devait atteindre une taille trois à quatre fois supérieure à celle de tous les spécimens fossiles découverts à ce jour. Quand on saura que les plus grands squelettes connus de Mosasaures atteignent une vingtaine de mètres, on pourra se rendre compte de la taille de l’animal auquel la dent avait appartenu.

Dans le récit fait à Lensky, on s’en souviendra, Lemontov avait rapporté que les Mongols lui avaient affirmé qu’un autre dragon, qui les terrorisait, vivait dans les eaux d’un lagon proche de leur village. Il n’en fallait pas plus pour fasciner le chasseur de Serpent de Mer sommeillant dans le professeur Frost. Aussitôt, sa décision fut prise : il irait vers le mystérieux archipel, dont Lensky connaissait la situation exacte, pour y étudier le squelette du Lung et, peut-être, y découvrir le spécimen encore vivant.

Un de nos envoyés a demandé au professeur Frost l’autorisation de l’accompagner, mais le savant déclara de façon tranchante qu’aucun journaliste ne ferait partie de l’expédition. On pense que le Mégophias appareillerait d’ici un mois, pour atteindre les abords du cercle polaire au début de l’été. Ainsi, l’histoire fabuleuse du Serpent de Mer rebondit une fois de plus.

 

 

Bob Morane laissa retomber l’exemplaire du Sentinel, qu’il tenait à la main et passa distraitement les doigts de sa main droite ouverte dans ses cheveux drus. Une intense expression d’intérêt se lisait sur son visage bruni, et ses yeux gris, profondément enfoncés sous les arcades sourcilières, fixaient droit devant lui, sans rien voir, semblait-il. Au bout d’un moment, Bob se secoua, pour murmurer :

— Une histoire du tonnerre ! Et cela doit justement arriver au moment où je suis à Seattle. Si j’avais été cet homme qui suivait un cirque pour voir le lion dévorer son dompteur, tout se serait passé autrement ; ce serait le lion qui m’aurait suivi pour dévorer le dompteur devant moi.

Bob se mit à rire doucement et changea la position de ses longues jambes qu’il tenait étendues devant lui, les talons reposant sur le plancher.

— J’ai dans l’idée que je vais aller rendre visite à ce professeur Frost, dit-il encore, mais à voix haute cette fois.

Morane venait de débarquer deux jours plus tôt à Seattle, d’où il comptait gagner la grande île côtière de Vancouver, repaire d’animaux sauvages qu’il avait l’intention de photographier en liberté. Et, à présent, il y avait cette affaire du Mégophias qui lui tombait sur le dos sans crier gare. Depuis longtemps, Bob savait à quoi s’en tenir sur le Serpent de Mer. Il savait que, seuls, les imbéciles et les mal informés – et ils étaient légion, bien sûr – riaient encore à l’énoncé de son nom ; au contraire, il n’y avait sans doute pas, par le monde, un seul zoologiste de valeur qui doutât de son existence.

— Je vais aller rendre visite à ce professeur Frost, répéta à nouveau Morane.

Il quitta son fauteuil et se dirigea vers le cabinet de toilette. Soudain, il s’immobilisa. À quel titre allait-il se présenter au professeur Prost ? Comme journaliste ? Bob l’était à ses heures, mais le reconnaître serait le meilleur moyen de se faire éconduire. Et tout à coup, il trouva la solution au problème. Clairsemant ! Il lui suffirait sans doute de se prévaloir de l’amitié du célèbre archéologue pour qu’aussitôt Prost le reçoive. Dans le monde de la science, le nom d’Aristide Clairembart[1] était la plus sûre des recommandations, et Morane avait justement sur lui une lettre amicale que le savant venait de lui adresser.

Rapidement, Bob s’habilla et, une demi-heure plus tard, tournant le dos à l’Hôtel Pacific, où il était descendu, il marchait en direction du port. Un taxi en maraude s’arrêta le long de la bordure du trottoir.

— On peut vous conduire quelque part, patron ? interrogea le chauffeur.

Morane sourit, Seuls, les chauffeurs de taxi américains avaient ce chic d’intervenir au moment précis où l’on avait besoin d’eux. Sans se faire prier, Bob s’installa à l’intérieur de la voiture et demanda :

— Savez-vous où se trouve amarré un yacht appelé Mégophias ?

Le chauffeur éclata d’un rire gras.

— Si je le sais ? Et comment, patron !… Tout le monde, à Seattle, connaît le Mégophias, surtout qu’il a pas mal fait parler de lui ces derniers temps. Vous n’avez qu’un mot à dire, et j’vous conduis directement dans la gueule du Serpent de Mer lui-même.

Le taxi bondit en avant et fila à travers les rues animées de la ville, Au bout de dix minutes, il s’engagea le long des quais, pour s’arrêter finalement devant le Mégophias.

Bob mit pied à terre et, après avoir réglé le montant de sa course, considéra longuement le yacht. Tout blanc dans le soleil doré de l’après-midi, il avait réellement fière allure avec sa longue coque à la proue effilée en forme de couperet, ses hublots cerclés de cuivre rouge soigneusement astiqué et sa cheminée trapue de transatlantique. À l’avant et à la poupe, le mot Mégophias se découpait en noir et blanc, telle une formule magique inscrite sur la première page d’un vieux grimoire.

Lentement, Morane s’approcha du yacht et se mit à grimper l’échelle de coupée. Il prit pied sur le pont et, s’approchant d’un groupe de cinq matelots occupés à converser, demanda :

— Excusez-moi, messieurs, pouvez-vous me dire où je pourrais trouver le professeur Frost ?

D’un bloc les cinq hommes se tournèrent vers lui. Bob remarqua leurs faces patibulaires, aux yeux sournois, sous des fronts bas, aux lèvres ricanantes. Des visages comme on se sacrait attendu à en rencontrer sur un vaisseau pirate ou au fond d’un bouge, mais guère à bord d’un fier Bacau comme le Mégophias.

— Ainsi, vous voulez voir le professeur ? interrogea l’un des matelots, un individu au visage en lame de couteau et à la bouche amère. Et qu’est-ce que vous lui voulez au juste, au professeur ?

— Cela regarde le professeur lui-même, et personne d’autre, répondit Bob d’une voix brève, je vous demande de me mener à lui, un point c’est tout.

Au ton et à l’attitude décidée de leur interlocuteur, les matelots durent comprendre qu’il était inutile d’insister.

— Faut pas vous emballer, monsieur, fit, avec une politesse feinte, l’homme au visage en lame de couteau. C’que j’en disais, moi… Je vais voir si le professeur veut vous recevoir. Qui dois-je lui annoncer ?

— Dites-lui simplement que je suis un excellant ami du professeur Clairembart. Cela suffira.

« Je l’espère du moins », pensa Morane.

Le marin avait déjà disparu à l’intérieur du bateau.

Quelques minutes plus tard, il revint pour dire avec la même politesse feinte que tout à l’heure :

— Le professeur Frost vous attend, monsieur. Veuillez me suivre…

Précédé par son guide, Bob suivit des coursives aux cloisons laquées. Finalement, l’homme au visage en lame de couteau s’arrêta devant une porte et frappa. De l’intérieur, quelqu’un cria :

— Entrez !

Le matelot poussa le battant et Bob pénétra dans la cabine-bureau que nous connaissons déjà. Aussitôt le marin referma la porte derrière Morane, et celui-ci entendit le bruit de ses pas décroître dans la coursive.

Assis derrière le large bureau d’acajou poli, le professeur Frost releva la tête et, à travers les verres épais de ses lunettes cerclées d’écaille, considéra Morane.

— Je vous en prie, dit-il au bout d’un moment, entrez, monsieur…

— … Robert Morane, fit Bob en s’avançant à travers la cabine et en serrant la main qui lui était tendue.

Il tira de sa poche la lettre du professeur Clairembart et la donna à Frost. Celui-ci jeta un rapide coup d’œil sur le texte, puis il replia la lettre, la reglissa dans son enveloppe et rendit le tout à Morane.

— Le professeur Aristide Clairembart est un très grand savant, dit-il. Un savant à l’esprit éclairé et compréhensif, ce qui est assez rare, il faut l’avouer. La science est sans cesse en marche vers de nouvelles idées, et elle n’a que faire des dogmes. Mais asseyez-vous, monsieur Morane, et dites-moi en quoi je puis vous être utile.

Bob attira une chaise à lui et s’assit de l’autre côté du large bureau, face au professeur Frost.

— Je suis de passage à Seattle, expliqua-t-il, d’où je compte me rendre sur l’île de Vancouver pour y prendre des clichés d’animaux sauvages en liberté. Tout à l’heure, j’ai lu cet article du Sentinel dans lequel il est question de la croisière que va entreprendre le Mégophias. Comme je m’intéresse depuis longtemps au problème du Serpent de Mer, me voici.

Derrière les verres des lunettes, une lueur d’astuce brilla dans les yeux de Frost.

— Si vous vous intéressez au Serpent de Mer, monsieur Morane, dit-il, vous avez déjà assurément entendu parler du professeur Oudemans…

Bob sourit doucement.

— Naturellement, dit-il. Mais, dans son livre, Le Grand Serpent de Mer, paru en 1892, le professeur Oudemans, après avoir étudié tous les cas de rencontres survenues à ce jour, semble conclure que le Serpent de Mer ne serait pas un serpent, mais bien un mammifère géant du genre phoque, avec un long cou et une longue queue. Au contraire, s’il faut en croire l’article du Sentinel, l’animal à la recherche duquel vous allez partir serait une sorte de Mosasaure, donc un reptile.

Lentement, Frost dodelina de la tête.

— Certes, Oudemans considère le Serpent de Mer comme étant un pinnipède monstrueux, d’une espèce encore inconnue à ce jour. Mais, malgré cela, il continue à l’appeler Mégophias, du nom que lui a donné Denys Montfort, l’un des premiers naturalistes ayant étudié l’animal. Or, Mégophias veut dire « grand serpent ». Il y a donc là, chez Oudemans, une contradiction. Rien ne s’oppose d’ailleurs à ce que sous cette appellation vulgaire de Serpent de Mer, on ne confonde plusieurs animaux différents, ou un pinnipède de grande taille et d’une espèce inconnue, ou une anguille géante, ou un reptile marin considéré comme disparu aujourd’hui, comme le Mosasaure par exemple. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit évidemment d’un Mosasaure d’une espèce géante qui, si je me base sur le rapport des dents, doit mesurer entre soixante et quatre-vingts mètres du bout du museau à la pointe de la queue.

— C’est là une jolie taille, fit Morane, surtout que tous les squelettes fossiles de Mosasaures découverts à ce jour ne dépassaient guère vingt mètres, ce qui n’est déjà pas mal.

Le professeur Frost eut un haussement d’épaules.

— Bien sûr, dit-il, vingt mètres cela représente une belle taille, mais n’oubliez pas que certaines espèces dc baleinoptères, comme le grand Rorqual bleu, atteignent parfois près dc quarante mètres. Ce n’est d’ailleurs pas parce que l’on n’a jamais découvert des squelettes de Mosasaures dépassant vingt mètres qu’il n’en a jamais existé. En outre, la dent dérobée par Lemontov dans le temple des Mongols me paraît être une preuve formelle. C’est une dent de Mosasaure, et d’un Mosasaure géant encore.

Frost ouvrit l’un des tiroirs de son bureau et en tira un grand objet blanc qu’il tendit à Morane. Celui-ci le saisit et le tourna et le retourna précautionneusement entre ses doigts. C’était un prodigieux morceau d’ivoire. Une dent, selon toute évidence, mais une dent monstrueuse, longue d’une quarantaine de centimètres et redoutablement effilée. Au bout d’un moment, Bob la rendit à Frost.

— L’animal à qui cette dent a appartenu, remarqua-t-il, devait être doué d’un solide appétit. Êtes-vous absolument certain qu’il s’agisse bien là d’une dent de Mosasaure, professeur ?

— Je suis formel à ce sujet. Mieux, à en juger par l’état de l’ivoire, l’animal en question ne doit guère être mort depuis plus de cent ans. Il n’est donc pas impossible, comme l’affirment les indigènes habitant l’archipel inconnu, qu’un ou plusieurs spécimens vivants ne hantent encore les parages.

Bob demeurait songeur. Finalement, il releva la tête.

— Avez-vous pensé, professeur, que l’archipel se trouve dans l’océan Arctique dont une grande partie des eaux est gelée durant toute l’année. Comment un Mosasaure, qui est un animal à température variable comme tous les reptiles, pourrait-il y vivre ?

Une ombre passa sur le visage du savant.

— J’ai pensé à cela, dit-il. Si réellement, un ou plusieurs Mosasaures vivaient dans ces eaux, il y aurait là un mystère qu’il me faudrait élucider. Mais, de toute façon, la seule découverte de ce squelette géant adoré par les Mongols habitant l’une des îles de l’archipel vaut le déplacement.

Morane acquiesça.

— Certes, professeur, surtout si ce squelette est aussi « jeune » que vous le pensez. À présent, j’aurais encore une demande à formuler…

Un sourire apparut sur le visage rose du professeur Frost.

— Je sais ce que vous allez me demander, monsieur Morane, fit-il. D’accompagner l’expédition, n’est-ce pas ? Malheureusement, c’est là une chose impossible. Voyez-vous, monsieur Morane, bien que je n’en aie rien laissé paraître jusqu’à présent, je vous connais de réputation. Je sais que vous vous changez facilement en reporter quand l’occasion se présente, et j’ai la phobie des journalistes. Ce sont des empêcheurs de danser en rond et des propagateurs d’idées fausses, alors qu’au contraire ils devraient contribuer à éduquer le public. Bien sûr, vous n’appartenez pas à cette espèce d’individus, je le sais, et je pourrais faire une exception en votre faveur. Malheureusement, mon équipe est complète et, suivant un accord passé avec Aloïus Lensky, je ne puis prendre à bord aucun passager supplémentaire. J’ai eu déjà de la peine à obtenir que les professeurs Van Dorp et Lewis, de l’Université de Yale puissent nous accompagner.

Bob Morane se mordit les lèvres de dépit.

— Je suppose, dit-il, qu’il serait inutile d’insister…

— Ce serait inutile, en effet.

Le professeur Prost se leva signifiant ainsi que l’entretien était terminé.

— Il me reste à présent à vous exprimer tous mes regrets, professeur, fit Bob en se levant à son tour, et à vous souhaiter bonne chance.

Les deux hommes se serrèrent la main et, quelques secondes plus tard, Morane se retrouvait sur le pont. Les cinq matelots étaient toujours là, occupés à discuter. Ils lancèrent un regard sournois en direction de Morane, puis, comme celui-ci arrivait à leur hauteur, ils se détournèrent. « Drôle d’équipage, pensa Bob. Ce n’est pas l’apparence qui compte chez un homme, bien sûr, mais ces types-là ont des visages de forbans, ou je me trompe fort…»

Il avait gagné l’échelle de coupée et pris pied sur le quai. Il s’éloigna de quelques dizaines de mètres, pour se retourner ensuite en direction du yacht, Ce nom de Mégophias, inscrit à la proue et à la poupe, semblait le narguer. En outre, il y avait différentes choses que Bob aurait voulu éclaircir, Pourquoi Aloïus Lensky était-il si strict sur la question des passagers, et quel était exactement son intérêt dans toute cette affaire ? Pourquoi aussi l’équipage du Mégophias semblait-il avoir été recruté parmi la population d’un bagne ?

Pour répondre à ces questions, Bob devait trouver le moyen de participer à la croisière. Cette histoire de Serpent de Mer le passionnait d’ailleurs, Pourtant, Frost lui avait opposé un refus formel, auquel il semblait ne pouvoir outrepasser.

Morane sourit et murmura entre ses dents serrées :

— Allons, je ne suis pas encore battu. Le Mégophias ne doit appareiller que dans un mois. Il me reste donc quatre semaines pour trouver le moyen de m’introduire à bord de ce bateau… et d’y demeurer. Heureusement, Bob Morane possède plus d’un tour dans son sac.

Il se détourna et fila rapidement le long des quais, en direction de la ville. Il sifflait un air à la mode, au rythme un peu vulgaire, et il balançait les épaules en marchant comme si déjà, il se mettait dans la peau d’un personnage qui n’était pas le sien.

 

La Croisière du Mégophias
titlepage.xhtml
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Vernes,Henri-[Bob Morane-013]La croisiere du Megophias(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html