INTRODUCTION HISTORIQUE

Il a paru intéressant de réunir en quelques pages liminaires, destinées à servir d’introduction à ces fragments des Décembristes, de succintes indications historiques sur le caractère, les projets, les actes, le procès et la condamnation des conjurés de Décembre 1825. L’œuvre, fragmentaire hélas ! du comte Léon Tolstoï n’en sera que plus accessible au lecteur français, et peut-être les regrets s’augmenteront-ils de ce roman laissé en suspens, à voir quels types curieux et variés, quel drame poignant, quelles scènes tragiques aurait pu tirer de ce grand sujet le puissant romancier de Guerre et Paix, si d’autres soins ne l’avaient empêché de terminer ce qu’il avait, — la lecture des fragments ci-après en fait foi, — ce qu’il avait si magistralement commencé.

I

Ce n’est pas ici le lieu de rappeler en détail comment les abus de toutes sortes, — l’absence de toute loi digne de ce nom, de toute garantie publique, la vénalité des juges, des fonctionnaires et des employés de tout étage, la fraude pratiquée sur une vaste échelle, les dénis de justice érigés en habitude, l’oppression des petits par les grands, et la servilité de tous, — devaient amener et amenèrent, en effet, la création d’un parti de mécontents, avides de légalité, de justice, de liberté ; — comment des sociétés secrètes se formèrent de toutes parts, pour se réunir bientôt en deux faisceaux parallèles : la Société du Nord qui eut pour chef nominal le prince Troubetzkoï dont la faiblesse, à l’heure de la lutte, alla jusqu’à la lâcheté, pour chef réel, le poète Conrad Ryléïev, homme de tête et de cœur, humain et ferme, le plus brave, le plus désintéressé des patriotes, et pour affidés principaux le fougueux prince Obolensky, le bouillant Iakoubovitch, Pierre Kakhovski, non moins pressé d’agir, et les frères Bestoujev, plus poètes que soldats, amis personnels et confidents de Ryléïev ; — et la Société du Sud, fortement organisée par le colonel Paul Pestel, l’énergique dictateur du Midi, éloquent, hardi, ambitieux, qui avait en lui l’étoffe d’un Bonaparte plutôt que d’un Washington, — et dont faisaient partie le colonel Serge Mouraviev-Apostol, un républicain des temps héroïques, Bestoujev-Rioumine, remuant et persuasif, les princes Volkonski, Bariatinski, Schakovskoï, etc. ; — comment, à la suite de nombreux conciliabules, une action décisive, et qui allait jusqu’à prévoir le régicide, fut arrêtée pour le mois de mai 1826, époque où le tzar Alexandre devait passer en revue, à Bélaïa-Tserko, les armées du Sud ; comment enfin diverses circonstances imprévues, la mort en Crimée d’Alexandre, le 1er décembre 1825, l’interrègne de trois semaines qui suivit, la dénonciation du complot par quelques affidés, précipitèrent les événements... On ne peut que se borner à raconter sommairement la sanglante journée du 26 décembre 1825, l’écrasement des « croyants » du Sud, le jugement, l’exécution des chefs principaux, et l’exil en Sibérie des autres, exil qui se prolongea, pour la plupart d’entre eux, jusqu’en 1856, époque où leur retour dans la mère-patrie fut accueilli par l’explosion d’enthousiasme que Léon Tolstoï a notée dans ses fragments.

II

L’héritage d’Alexandre, mort sans enfant, eût dû régulièrement échoir à l’aîné de ses frères, au grand-duc Constantin, vice-roi de Pologne ; mais, celui-ci, soit pour se soustraire, en philosophe avisé, aux charges du pouvoir, soit pour se rendre plus libre d’épouser une Polonaise de petite noblesse, la belle comtesse Grudsinska, avait, dès 1820, renoncé à ses droits sur le trône, et Alexandre, par un acte secret qui fut commis à la garde du Conseil de l’Empire, avec l’ordre d’en prendre connaissance après sa mort, Alexandre accepta la renonciation de Constantin, et reconnut pour héritier son second frère, le grand-duc Nicolas.

Lors donc que mourut l’empereur, Constantin, fidèle à la parole donnée, proclama, à Varsovie, son frère Nicolas autocrate de toutes les Russies, tandis que de son côté Nicolas, après avoir répondu au Conseil de l’Empire qu’il n’accepterait la couronne que si l’héritier légitime renouvelait sa renonciation, proclamait, à Pétersbourg, Constantin empereur, et lui faisait prêter, dans tout l’Empire, serment de fidélité.

Ce ne fut que trois semaines après la mort d’Alexandre qu’arriva à Pétersbourg la lettre par laquelle Constantin déclarait renoncer de nouveau, et de la manière la plus formelle, à tous ses droits sur le trône, et, témoignant son inébranlable volonté à cet égard, priait son frère cadet d’accepter, de lui tout le premier, son serment de sujétion et de fidélité. Alors seulement Nicolas signa son manifeste d’avènement et ordonna qu’on lui jurât obéissance.

C’était le 24 décembre. Dans l’intervalle, la perplexité s’était mise dans les esprits. Le peuple et les soldats, qui avaient prêté serment au nom de Constantin, ne savaient plus à quel tzar obéir. Les conjurés résolurent de faire tourner cette indécision, cette sourde inquiétude au profit de leur entreprise, et d’agir sans plus attendre. Ils furent confirmés dans cette idée par la nouvelle que le sous-lieutenant Rostovsov, l’un des leurs, venait de les dénoncer au tzar.

— Vous le voyez, dit Ryléïev aux conjurés, nous sommes trahis : la Cour sait déjà beaucoup, mais elle ne sait pas tout, et nos forces sont encore suffisantes.

— Oui, lui fut-il répondu, les fourreaux sont brisés, nous ne pouvons plus cacher nos sabres.

Le 25, ils apprirent d’un affilié, le premier procureur du Sénat, Krasnokoutski, que le grand Conseil de l’Empire était convoqué le lendemain matin à sept heures, pour la prestation du serment ; et que tous les régiments devaient remplir cette même formalité dans leurs casernes respectives. Ils n’hésitèrent plus. Soulever la troupe, en invoquant contre Nicolas, peu aimé des soldats, le serment solennellement prêté à Constantin, en présentant la renonciation de ce dernier au trône comme une imposture inventée par l’usurpateur, entraîner sur la place du Sénat les régiments révoltés, dont le colonel prince Troubetskoï prendrait le commandement pour agir suivant les circonstances, s’assurer du Sénat, de l’empereur, former un gouvernement provisoire, tel fut le plan élaboré pour la journée du lendemain, plan qui dénotait chez ses auteurs une incroyable naïveté jointe à une absolue méconnaissance des sentiments réels du peuple et de l’armée, l’un et l’autre trop ignorants et trop inaccessibles à ces idées nouvelles de liberté que les conjurés voulaient leur inculquer d’un seul coup. « C’était là, comme le reconnut plus tard Pestel avant de marcher au supplice, c’était là prétendre moissonner avant que d’avoir semé. »

III

Le lendemain, dès la première heure, ceux des affiliés qui étaient officiers aux gardes se rendirent chacun dans leurs casernes ; au cri de « Hourrah Constantin ! » ils réussirent à soulever un certain nombre de soldats, qu’ils décidèrent à refuser le serment, et marchèrent avec eux sur la place du Sénat. Les marins de la garde, les grenadiers de la garde, travaillés sourdement par le capitaine Tchépine, par les frères Bestoujev et d’autres officiers, se révoltèrent les premiers ; le régiment de Moscou se joignit à l’insurrection. Chemin faisant, les conjurés railièrent un certain nombre d’hommes en frac et de gens du peuple.

Ils se retranchèrent fortement au fond de l’immense place, derrière la statue de Pierre le Grand, en face du Sénat qu’ils espéraient enlever pour en faire le siège du nouveau gouvernement. Mais le lieutenant Nassakine, chef du poste, tint bravement en échec l’effort des insurgés, qui durent renoncer à leur entreprise, et se bornèrent à attendre, l’arme au bras, les renforts promis. Mais ceux-ci tardèrent à venir. De plus, le chef désigné la veille pour commander le mouvement, le colonel prince Troubetzkoï, ne parut pas sur la place : dès le matin, il avait couru au Palais d’Hiver pour prêter serment et écarter les soupçons, et il se tint, le reste de la journée, caché chez son beau-frère, l’ambassadeur d’Autriche, où il fut saisi, le soir même, par les envoyés du tzar. Quant à Ryléïev, il parut un moment au milieu des siens ; mais, désespéré par l’absence de Troubetzkoï, il perdit, à le chercher, un temps précieux.

 

D’autre part, Nicolas, tout effrayé qu’il fût de cette explosion révolutionnaire, conservait néanmoins tout son sang-froid. Averti depuis plusieurs jours qu’un mouvement se préparait, il avait, la veille au soir, remplacé les régiments de sa garde, de service au Palais Impérial, suspects à bon droit, par des chasseurs de Finlande, natures frustes et dévouées, et appelé autour de lui les généraux et les troupes sur lesquels il croyait pouvoir compter ; à leur tête, il marcha contre les insurgés, que ni la défection de leur chef, ni la vue des forces militaires bien supérieures qu’on leur opposait, ne réussirent à décourager.

Fut-ce la crainte de mettre à l’épreuve l’incertaine fidélité des siens, fut-ce le désir d’éviter l’effusion du sang russe, l’empereur envoya aux révoltés, pour essayer de les gagner par la persuasion, le héros de cinquante-deux batailles, le vieux général Miloradovitch. Celui-ci s’avança donc, seul, vers les barricades, et voulut haranguer les soldats. Mais un immense cri de « Hourrah Constantin ! » lui coupa la parole. Le prince Obolenski croisa la baïonnette contre lui, et un autre affidé, Kakhovski, le blessa mortellement, d’un coup de pistolet tiré presque à bout portant. On l’emporta tout ensanglanté.

Comme il arrive souvent, ce premier excès ne fit qu’exciter les conjurés. Au cri de « Vive Constantin ! » se joignit le cri de « Vive la Constitution ! (Hourrah Constitoutzia !) » Mais telle était l’ignorance de ces pauvres gens, hommes du peuple et grenadiers, que la plupart d’entre eux crurent que « Constitoutzia » était le nom de la femme de Constantin.

Cependant Nicolas était là, au milieu de ses généraux et de ses régiments. Son entourage n’était pas rassuré sur les dispositions des troupes, et, de fait, si les rebelles avaient été rejoints par un plus grand nombre de combattants, tout eût peut être changé de face. Mais l’infériorité numérique de ces derniers décida les régiments qui entouraient le tzar à lui demeurer fidèles, et ils se tinrent prêts à marcher.

L’empereur hésitait encore. Avant de donner le signal de l’attaque, il se résolut à tenter une dernière tentative de conciliation. Par son ordre, le métropolitain, revêtu de ses insignes pontificaux et entouré de son clergé, s’avança vers les révoltés. Mais s’il est peu de peuples aussi foncièrement religieux que le peuple russe, il n’en est pas non plus qui vénèrent aussi peu que lui les représentants officiels de ce Dieu qu’il adore jusqu’à la superstition. Peut-être aussi les conditions que le métropolite était chargé de transmettre ne semblèrent-elles pas acceptables : il fut accueilli par des risées, et aussi, dit-on, par une décharge de mousqueterie ; et il dut se replier précipitamment sur la place de l’Amirauté, où stationnaient les troupes impériales.

Alors le tzar se décida, et fit charger la cavalerie. Simultanément attaqués de front et pris à revers, les insurgés ripostèrent bravement. Le meurtrier de Milovadovitch tua de même, d’un coup de pistolet, le colonel Stürler, qui commandait les grenadiers de la garde. Le lieutenant Küchelbecker visa le grand-duc Michel qui n’échappa à la mort que par miracle, tandis que le capitaine Iakoubovitch, un poignard à la main, cherchait des yeux le tzar.

La lutte se continua entre les deux partis jusqu’aux approches de la nuit, qui tombe vite à cette saison et sous cette latitude. Vers quatre heures le tzar fit amener des canons, que l’on braqua aussitôt contre les barricades. Mais les artilleurs refusaient de tirer ; et ce fut le grand-duc Michel, dit-on, qui, arrachant la mèche aux mains du canonnier, tira lui-même le premier coup. La mitraille eut enfin raison des révoltés, qui laissèrent deux cents morts sur la neige du champ de bataille, sans compter les blessés ; sept ou huit cents d’entre eux furent faits prisonniers.

Grâce aux indications trouvées dans les papiers du prince Troubetzkoï, les arrestations, commencées dans la nuit, se continuèrent pendant toute la journée du lendemain, Ryléïev, Kakhovski, Obolensky, les frères Bestoujev, Iakoubovitch, tombèrent des premiers entre les mains de leurs ennemis.

IV

Cette même nuit du 26 décembre 1825, sur les ordres du général Diébitch, à qui le capitaine Maïboroda avait révélé le secret de la conspiration, le général Tchernichev fit arrêter, au milieu de leurs régiments, le colonel Pestel et douze autres colonels plus ou moins compromis. S’emparer d’un tel homme équivalait à étouffer la révolte dans l’œuf ; privée de Pestel, la Société du Sud était un corps sans tête.

Néanmoins, les deux Mouraviev-Apostel, et Bestoujev-Rioumine, qu’il ne faut pas confondre avec les Bestoujev amis de Ryléïev, ne perdirent pas la tête. Ils soulevèrent au cri de : « Vive Constantin ! » quelques compagnies, le régiment de Tchernigov presque tout entier, et tinrent quelques jours la campagne.

Il se passa là, entre Serge Mouraviev et les grenadiers de son régiment, un dialogue qui en dit long sur l’état d’esprit des soldats à qui l’on essayait de parler révolution.

— Au fond, camarades, qu’avons-nous besoin de Constantin ? Nous nous passerons bien de lui comme de l’autre. C’est la république qu’il nous faut. Voyons, crions tous : Vive la République !

Ce mot singulier les effaroucha. Un vieux grenadier se fit l’interprète de ses camarades.

— Nous crierons « Vive la République ! » s’il plaît ainsi à votre Grâce, dit-il à Serge ; mais, enfin qui sera tzar ?

— Il n’y a pas de tzar dans une république.

— Oh ! alors, votre Grâce, cela ne va pas en Russie.

Et ils refusèrent de le suivre.

L’issue de la lutte ne pouvait être douteuse. Le 15 janvier 1826, Serge Mouraviev-Apostol et ses compagnons furent atteints par le général Geismar, envoyé à leur poursuite avec cinq escadrons de hussards et deux canons. D’autres détachements s’avançaient contre eux avec le général Roth, de manière à cerner complètement les six compagnies de Serge. Celui-ci disposa ses hommes en un seul carré, et tous ensemble, sur son ordre, marchèrent droit sur les canons, l’arme au bras et sans tirer un seul coup de fusil. Peut-être espérait-il gagner les artilleurs, mais il n’en fut rien. La mitraille décima ou dispersa cette poignée de braves. Mathieu Mouraviev fut tué, Serge, grièvement blessé, tomba entre les mains de Geismar, ainsi que Soloviev, Masalevsky, et sept cents conjurés. Ils n’avaient pas brûlé une amorce, pas tué un seul homme des troupes impériales : ce qui n’empêcha point le vainqueur de poursuivre d’une haine posthume les os mêmes des vaincus. Un jugement ultérieur ordonna en effet qu’il serait placé, sur les tombes des rebelles tués à Ousti-nevka, au lieu de croix ou d’autres signes chrétiens, des potences avec leurs noms.

V

La commission d’enquête instituée par le tzar pour l’instruction des deux affaires fut composée ainsi qu’il suit :

Le ministre de la guerre, général de l’infanterie, Alexandre Tatischev, président ; le grand-duc Michel, frère de l’empereur, grand-maître de l’artillerie, commandant d’une division de la garde ; le prince Alexandre Galitzine, ministre des postes ; les aides de camp généraux Golenitchev-Koutousov, gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg, Alexandre Tchernichev, Alexandre de Benkendorf, Levakhov, Potapov ; et le conseiller d’État Dmitri Bloudov.

Il fut prescrit à la commission « d’embrasser l’affaire dans tout son ensemble, de pénétrer jusqu’aux racines du mal, de découvrir son origine, d’en suivre toutes les ramifications, d’en constater les progrès et l’étendue, et d’établir enfin les résultats de l’enquête, non sur des suspicions ou des probabilités, mais sur des preuves certaines, péremptoires. »

Mais cette ostentation d’équité s’accordait assez mal avec les sentiments réels qui avaient inspiré l’empereur dans la désignation des commissaires. Comme on l’a pu remarquer, la plupart d’entre eux étaient des aides de camp généraux, c’est-à-dire des officiers attachés spécialement à la maison et à la personne du tzar, et dont toute la politique était de plaire au maître. La présence du grand-duc Michel contribuait encore davantage à laisser le champ libre aux soupçons de l’opinion publique, — s’il y eût eu, en ce temps-là, une opinion publique en Russie. Car enfin, pourquoi l’empereur plaçait-il son propre frère dans la commission d’enquête, sinon pour servir d’intermédiaire direct et permanent entre le souverain et les commissaires, et poursuivre la punition des prévenus, dans une cause personnelle ?

Les résultats de l’enquête furent proclamés par l’empereur dans un manifeste daté du 13 juin 1826. On y lisait notamment ceci :

« Après plus de cinq mois, ayant pesé et vérifié soigneusement chaque circonstance, chaque déposition, chaque fait, écartant les conjectures et les simples soupçons, ne se fondant jamais que sur l’évidence, sur les aveux mêmes de l’accusé, ou sur des moyens de conviction qui ne laissaient plus l’ombre du doute, enfin accordant aux prévenus toute la latitude et les facilités dont ils avaient besoin pour leur défense, la commission a atteint le but qu’elle avait à remplir ; elle vient de nous soumettre un rapport définitif sur l’ensemble de ses recherches, accompagné de tous les documents originaux sur lesquels il s’appuie. »

VI

À la suite du rapport de la commission d’enquête, cent vingt et un prévenus furent déférés par l’empereur au jugement d’une haute cour qui comprenait les trois premiers corps de l’État, c’est-à-dire le Conseil de l’Empire, le Sénat dirigeant, le Saint Synode, plus quinze personnes choisies dans les grades supérieurs de l’armée et dans les hautes fonctions civiles, en tout 80 membres environ.

« En confiant le sort des accusés à cette cour suprême, concluait le manifeste du 13 juin, nous n’attendons d’elle et nous ne lui demandons qu’une justice impartiale, rigoureusement fondée sur les lois et sur la force et l’évidence des preuves. »

Ainsi constituée, la haute cour se réunit le 15 juin, au Palais du Sénat, sous la présidence du vieux prince Lapoukhine, président du Conseil de l’Empire, avec le prince Lobanov-Rostovski, ministre de la justice, pour procureur général. Elle mit plus d’un mois à juger les cent vingt-un décembristes. Quant à la façon dont elle comprit et accomplit sa mission, elle a été appréciée ainsi qu’il suit par un consciencieux historien, M. Schitzler, dont le témoignage, assez souvent entaché de quelque partialité envers le tzar, n’en a ici que plus de poids.

« En apparence du moins, l’instruction laissait peu à désirer : à en juger par le contenu du rapport, où rien n’indiquait une sévérité inquisitoriale outrée de la part de la commission d’enquête, cette opération préliminaire avait été faite avec soin, et l’on avait obtenu, assurait-on, de tous les accusés, sauf quatre (Nikolaï Tourguenev, absent, le prince Schakovskoï, le lieutenant Tsébrikov et Gorski) l’aveu complet de leur culpabilité. Mais ces apparences n’étaient-elles pas trompeuses ? Pouvait-on s’y fier pleinement, ou n’était-il pas permis d’avoir quelques doutes sur la nature des aveux que l’on invoquait ? Ces aveux avaient-ils été faits librement, sans intimidations, sans violence, sans torture morale (car nous écartons même la pensée d’une torture physique employée) ? Les interrogatoires écrits étaient-ils toujours conformes aux déclarations verbales, et les accusés ne signaient-ils rien qui ne fût l’expression sincère de leur pensée, de leurs paroles ! Nous l’avouons, sur ces graves questions nous n’oserions rien affirmer. Tout s’est passé secrètement, dans le silence des cachots, sans contrôle tutélaire, sans aucune liberté pour les accusés de faire entendre leur voix afin de repousser les suppositions gratuites, ou de redresser les faits dénaturés...

« Quoi qu’il en soit de la nature de l’instruction, elle ne devait pas s’imposer comme une loi à la conscience des juges. La cour devait tout examiner par elle-même, peser scrupuleusement les charges, les dépositions des témoins, les moyens de défense des accusés, et jusqu’à leurs aveux qui, en bonne justice n’ont de valeur qu’autant qu’ils sont confirmés par des preuves. En un mot, son devoir était d’examiner l’affaire à fond, indépendamment du travail préparatoire de la commission, qui ne devait rien préjuger.

« Malheureusement, ce devoir n’a peut-être pas été rempli dans toute sa plénitude. On assure que le calme nécessaire ne régnait pas dans l’assemblée. Elle représentait la vieille Russie avec ses habitudes serviles, son esprit stationnaire, ses préjugés hostiles aux idées libérales ; et en présence d’hommes qui avaient voulu tout changer, qui représentaient, eux, la jeune Russie animée de sentiments bien différents, elle ne sut pas assez se défendre d’une certaine irritation, incompatible avec cette impassibilité du juge, sans laquelle la justice n’est qu’un vain mot. Ce qui est vrai, c’est que la cour n’accepta pas toutes les conséquences de son mandat : elle n’osa pas faire comparaître devant elle les inculpés, pour entendre leurs déclarations et leurs moyens de défense en séance solennelle. Elle était retenue par des motifs peu avouables. Traduits devant un tribunal composé de tant de fonctionnaires, qui tous sans doute n’étaient pas irréprochables, et dont la carrière offrait des actes qui pouvaient devenir pour les accusés le texte de toute sorte d’incriminations ; ou bien, tout au moins, placés sur un théâtre élevé, devant un aréopage nombreux dont les membres appartenaient en partie aux plus proches alentours de l’autocrate et au sein duquel chaque parole pouvait avoir un grand retentissement, les chefs du complot chercheraient peut-être, pensait-on, à profiter de cette circonstance, non pour se disculper, — ils avaient fait le sacrifice de leur vie, — mais pour jouer leur rôle jusqu’au bout, pour proclamer hautement leurs griefs, pour poser devant la patrie et devant la postérité. On s’attendait à des déclamations furibondes difficiles à contenir. De plus, exaspérés les uns contre les autres, après s’être dénoncés mutuellement, il était peut-être dangereux de les mettre tous en présence les uns des autres. Telles étaient les craintes de la cour. En conséquence, elle refusa d’admettre les accusés devant elle, et elle délégua une commission choisie dans son sein pour se transporter dans leurs cachots, interroger chacun en particulier, confronter leur dire avec leurs dépositions et leurs aveux, et présenter à la cour le résultat de cette enquête nouvelle. Comme la première, celle-ci resta donc secrète. Tout moyen de contrôle manque à qui voudrait se former une idée consciencieuse sur les faits de ce procès.

« De défenseurs à donner aux accusés, il ne pouvait pas en être question... La marche de cette procédure n’en reste pas moins un étrange spectacle... »

VII

Sur cent vingt-un prévenus mis en jugement, la cour condamna :

Cinq individus, placés en dehors de toute catégorie, à la peine de mort et à l’écartèlement ;

Trente-un individus composant la 1re catégorie, à la peine de mort par décapitation ;

Dix-sept individus, compris dans la 2e catégorie, à la mort politique et aux travaux forcés à perpétuité.

Cinquante-huit individus des 3e, 4e, 5e, 6e, 7e, 8e et 9e catégories, aux travaux forcés à temps, et à l’exil perpétuel en Sibérie.

Les autres condamnés furent simplement astreints à servir comme simples soldats.

Ce jugement sembla, dans son ensemble, trop sévère à l’autocrate lui-même, dont les entrailles s’émurent. Mais peut-être aussi la politique eut-elle seule part dans l’usage, d’ailleurs infiniment restreint, qu’il fit de son droit de grâce.

« Ayant à cœur, dit-il dans un ukase adressé à la haute cour et daté de Tsarkoïe-Selo, 12 juillet 1826, ayant à cœur de concilier le texte des lois et les devoirs d’une rigoureuse justice, avec les sentiments de clémence qui Nous animent, Nous avons résolu de commuer les châtiments et peines prononcés contre les coupables, moyennant les dispositions suivantes... »

La peine de mort prononcée contre les condamnés de 2e catégorie, Troubetzkoï, Obolenski, Iakoubovitch, Tchépine, etc., était commuée en celle des travaux forcés à perpétuité. La durée des travaux forcés infligés aux condamnés des autres catégories était réduite de quelques années.

« Enfin, concluait le tzar, quant aux criminels d’État dont les noms ne se trouvent pas mentionnés dans le présent ukase, et qui, par l’énormité de leurs forfaits, ont été mis en dehors des catégories et de toute comparaison avec les autres, Nous abandonnons leur sort à la décision de la haute cour nationale, pour être exécuté l’arrêt définitif qu’elle portera contre eux. »

Ainsi l’empereur refusait de prendre la responsabilité du barbare supplice de l’écartèlement auquel les chefs du mouvement avaient été condamnés par la cour. Celle-ci se réunit encore une fois le 23 juillet, et statua à nouveau sur leur sort par un arrêt dont voici la conclusion :

« La haute cour de justice, prenant pour guide la clémence dont S. M. I. a donné un si éclatant témoignage par la commutation des châtiments et des peines prononcés contre les autres criminels, et usant du pouvoir discrétionnaire dont elle a été investie, arrête : qu’au lieu du supplice de l’écartèlement, auquel Paul Pestel, Conrad Ryléïev, Serge Mouraviev-Apostol, Michel Bestoujev-Rioumine, et Pierre Kakhovski devaient être livrés, en vertu du premier arrêt de la cour, ces criminels sont condamnés à être pendus, en punition de leurs horribles attentats. »

VIII

Rien n’ébranla la fermeté des condamnés. Ryléïev, le poète prophétique qui faisait dire au héros d’un de ses poèmes : « Je ne l’ignore pas, un abîme s’ouvre devant le premier qui s’élève contre les oppresseurs d’une nation. Le destin m’a choisi... Mais, dites-le moi, dans quel pays, dans quel siècle, l’indépendance reconquise n’a-t-elle pas voulu des victimes ? Je mourrai pour le pays qui m’a vu naître ! Je le sais, je le sens, et c’est avec délice, ô mon père, que je bénis le sort qui m’est réservé... » ce poète était déjà bien l’homme qui devait, en apprenant sa condamnation à mort, prononcer ces belles paroles :

— « Je savais d’avance que cette entreprise me perdrait, mais je n’ai pu voir plus longtemps ma patrie sous le joug du despotisme ; la semence que j’y ai jetée fleurira, n’en doutez pas, et fructifiera plus tard. »

Michel et Nicolas Bestoujev s’étaient, dès l’origine du procès, exprimés dans le même sens.

— « Je ne me repens de rien, dit l’un, je meurs satisfait et sûr d’être vengé. »

L’autre, par sa franchise, frappa l’empereur, qui lui dit :

— « Je pourrais vous pardonner, et si j’avais l’assurance de posséder en vous désormais un fidèle serviteur, je le ferais. »

— « Eh ! sire, répondit Nicolas Bestoujev, résumant en ces quelques mots l’état d’esprit d’où sortit la conspiration, voilà précisément ce dont nous nous plaignons, que l’empereur puisse tout et qu’il n’y ait pas de loi pour lui. Au nom de Dieu, laissez à la justice son libre cours, et que le sort de vos sujets ne dépende plus à l’avenir de vos caprices ou de vos impressions du moment. »

Quant à Pestel, le dictateur du Midi, il demeura jusqu’au bout persuadé de la sagesse et de l’opportunité des principes consignés par lui dans son Droit Russe.

Ces jeunes gens surent mourir pour leur idée. Ils avaient joué, ils avaient perdu ; ils se tenaient prêts à payer l’enjeu, cet enjeu fût-il leur tête. Ils furent braves devant le supplice, que la maladresse des bourreaux devait rendre cruel. M. Schnitzler a consigné dans son livre le récit de l’exécution, dont il fut le témoin oculaire. Voici comment il s’exprime :

« Le 25 juillet, dès deux heures du matin, on travaillait à élever une large potence, où cinq corps pussent tenir de front, sur le rempart de la forteresse qui regarde la petite église en bois vermoulu à l’invocation de la Trinité, placée sur les bords de la Néva, à l’entrée du quartier dit du Vieux-Pétersbourg. Dans cette saison, la nuit, sous cette latitude boréale, n’est, comme on sait, qu’un crépuscule prolongé jusqu’aux premières lueurs de l’aurore, bien moins tardive que dans nos pays. On pouvait donc, à cette heure matinale, parfaitement distinguer déjà tous les objets. Un faible bruit de tambours et le son de quelques trompettes se faisaient entendre isolément dans différents quartiers de la ville, car chaque régiment de la garnison envoyait seulement une compagnie pour assister à la scène lugubre que le soleil levant devait éclairer. À dessein, on avait laissé planer l’incertitude sur le moment de l’exécution. Aussi la ville était-elle encore plongée dans le sommeil ; de rares spectateurs accouraient un à un et, même au bout d’une heure, leur nombre suffit à peine pour doubler le cordon militaire qui ne tarda pas à s’interposer entre eux et les acteurs de ce drame terrible. Un silence profond régnait ; et lorsque le roulement des tambours de tout le détachement réuni se fit entendre, il n’eut qu’un sourd retentissement qui ne troubla pas le calme de la nuit...

« Vers 3 heures, les mêmes tambours annoncèrent l’arrivée de ceux des condamnés auxquels il avait été fait grâce de la vie. Distribués par groupes sur le front du cercle assez vaste qu’occupait le glacis en avant du rempart où s’élevait la potence, et placés chacun devant le corps auquel ils avaient appartenu, ils durent se mettre à genoux après avoir entendu la lecture de leur jugement : on leur arracha leurs épaulettes, leurs décorations et leur uniforme, on brisa une épée sur la tête de chacun d’eux en signe de dégradation ; puis, revêtus d’une grosse capote grise, ils défilèrent devant le gibet, pendant qu’un brasier, allumé tout auprès, consumait leurs uniformes, les insignes de leurs grades et leurs décorations.

« À peine étaient-ils rentrés dans la forteresse par la porte de communication ordinaire, non loin de laquelle était dressé l’instrument du supplice, que les cinq condamnés à mort parurent sur le rempart. À la distance où le public était passé, il eût été difficile de distinguer leurs traits ; d’ailleurs ils étaient couverts de capotes grises dont le capuchon enveloppait leurs têtes. Ils montèrent un à un sur la plate-forme et sur les escabeaux rangés de front sur la poterne, dans l’ordre qui leur était assigné par le jugement, Pestel le premier, tenant la droite, et Kakhovski la gauche. On leur passa autour du cou le nœud fatal et l’exécuteur des œuvres de justice ne s’était pas sitôt éloigné que la plate-forme s’enfonça sous leurs pieds. La strangulation s’accomplit pour Pestel et Kakhovski, mais la mort recula pour ainsi dire devant les trois autres placés au milieu d’eux. Les spectateurs furent témoins d’une scène affreuse : la corde, mal affermie, glissa sur le capuchon de ces malheureux, qui tombèrent dans le trou béant sous l’échafaud, pêle-mêle avec la trappe et les escabeaux. D’horribles meurtrissures durent en être pour eux la conséquence, et comme ce lamentable accident ne changea rien à leur sort, car l’empereur était absent à Tarskoïé-Sélo, et personne n’aurait osé donner l’ordre de surseoir à l’exécution, ils souffrirent deux fois les angoisses du trépas. Aussitôt la plate-forme rétablie, on les ramena sur le gibet. Étourdi d’abord par sa chute, Ryléïev marcha cependant d’un pas décidé, mais sans pouvoir retenir cette douloureuse exclamation :

« — Il sera donc dit que rien ne me réussira, pas même la mort ! »

« À en croire quelques témoignages, il se serait aussi écrié :

« — Maudit pays où l’on ne sait ni conspirer, ni juger, ni pendre ! »

« Mais d’autres prêtent ces paroles à Serge Mouraviev-Apostol, qui, comme Ryléïev, remonta courageusement les degrés. Bestoujev-Rioumine, sans doute plus maltraité que les autres, n’eut pas la force de se soutenir sur ses jambes. Il fallut le porter sur le gibet. Une seconde fois le nœud se serra autour de leur cou, et cette fois sans les relâcher. Au bout de quelques secondes, le roulement du tambour annonça que la justice humaine était satisfaite. Cinq heures n’avaient pas encore sonné. Les troupes et les autres spectateurs de ce terrible spectacle s’écoulèrent en silence... »

IX

Quant aux autres condamnés, l’exil qui les attendait était pire que la mort. « Placés, dit encore M. Schnitzler, placés quatre à quatre sur des télègues ou chariots à deux roues, sans autre siège que des bottes de paille, cinquante-deux d’entre eux partirent immédiatement pour leur long et pénible voyage et traversèrent, dans l’équipage le plus humble, Novgorod, Tver, Moscou, Vladimir, Nijni-Novgorod, Kazan, Iékatérinenbourg, Tobolsk, souvent bafoués par le peuple, contre l’indignation duquel les Cosaques de leur escorte se virent même quelquefois obligés de les défendre. Ce fut le 5 août que la famille de Troubetzkoï et celle de Serge Volkonski firent à ces infortunés de douloureux adieux à la première station au-delà de Saint-Pétersbourg, où l’empereur avait permis que cette entrevue eût lieu. Troubetzkoï était malade, mais il emportait au moins la certitude consolante d’être bientôt rejoint par une héroïque épouse, décidée à ne pas l’abandonner dans son malheur, à partager l’opprobre et les privations de son exil, à subir toutes les conséquences quelconques de sa résolution. Mme Alexandre Mouraviev, Mme Niceta Mouraviev, Mme Naryschkine, comprirent de même leur devoir de compagnes fidèles, et l’on sait que la gracieuse femme du prince Serge Volkonski, née Raïevski, trompa ses parents qu’elle adorait, pour l’accomplir comme elles. Telle était la joie avec laquelle ces nobles épouses se dévouèrent, qu’un étranger, compagnon de voyage de l’une d’elles, entendit sortir cette étrange menace de la bouche d’une mère parlant à sa fille un peu trop pétulante :

« — Sophie, si vous n’êtes pas sage, vous n’irez pas en Sibérie. »

... Afin de s’endurcir à la peine, ces exilées volontaires, quelques semaines avant de partir, se mirent, avec leurs mains blanches et délicates, à faire, dans le ménage de leurs opulentes maisons, la besogne des plus humbles servantes ; laissant de côté le velours et la soie, elles portèrent les étoffes les plus vulgaires, habituèrent leur palais à la nourriture des gens du peuple, en un mot, renoncèrent complètement au bien-être et au luxe auxquels elles étaient accoutumées depuis leur enfance,.,

« ... On les prévint qu’une fois passé Irkoutsk, on ne les laisserait plus disposer librement de leurs bagages ; qu’elles n’auraient personne pour les servir... ; qu’elles ne pourraient revenir en Europe sans une permission de l’empereur... Elles savaient tout cela, et elles se résignaient à tout. »

Mais cet héroïsme des épouses, les mères et les filles des proscrits furent loin de le partager. On en vit qui, peu de semaines après, aux fêtes du couronnement, brillèrent et dansèrent sous les yeux du proscripteur. Des pères, des frères, des parents acceptèrent les bienfaits de la même main qui venait de signer l’envoi des leurs au gibet ou en Sibérie. Et l’empereur put dire, hélas ! avec autant de vérité que d’inconscient cynisme, dans un manifeste du 25 juillet 1826 :

« Le nom russe ne saurait être flétri par une trahison envers le trône et l’État. Loin de là, dans ces mêmes conjonctures, Nous avons recueilli les touchants témoignages d’un dévouement sans bornes. Nous avons vu les pères s’armer d’une inflexible rigueur envers leurs enfants criminels ; Nous avons vu les plus proches parents renier et livrer à la justice les malheureux sur lesquels planaient des soupçons de complicité, Nous avons vu enfin toutes les classes de Nos sujets, animées d’une seule et même pensée, d’un seul et même vœu, ne demander que le jugement et le châtiment des coupables. »

Telle fut la dramatique épopée de ces décembristes, épris de liberté et de légalité dans un pays de servilisme et d’arbitraire. Leur souvenir hanta longtemps ceux qui, à la même époque, combattaient ailleurs le même combat. « Vous souvenez-vous de moi ? s’écriait plus tard le poète Adam Mickiewicz{1}. Vos figures étrangères ont droit de citoyenneté dans mes rêves. Où êtes-vous maintenant ? Le noble cou de Ryléïev, que je serrais fraternellement dans mes bras, a été, sur un ordre du tzar, suspendu à l’infâme gibet. Malédiction sur les peuples qui lapident leurs prophètes ! Cette main que Bestoujev, poète et soldat, me tendait, plume et arme lui ont été arrachées ; le tzar l’a attelée à une brouette ; aujourd’hui, elle pioche dans une mine, rivée à côté d’une main polonaise... » L’un après l’autre, et jusqu’en 1856, où le dernier des décembristes fut autorisé à rentrer en Russie, ils revinrent d’exil, et ils trouvèrent que leurs idées avaient germé. Suivant la prédiction de Ryléïev, la semence avait fleuri, et ne devait pas tarder à fructifier. Et ces illuminés, ces nobles rêveurs de la vingt-cinquième année, devenus plus tard, comme nos fouriéristes et nos saints-simoniens, des hommes remarquables dans les lettres, dans les arts, dans les sciences politiques, purent voir, pour la plupart, réaliser par ce même pouvoir qui les avait combattus, quelques-unes des réformes pour lesquelles ils s’étaient sacrifiés, et saluer ainsi la plus grande de toutes, l’émancipation des serfs.

E. JAUBERT.