4

Durant l’heure qui précéda le lever du soleil, je m’éveillai lentement. La scène de la bataille qu’avait évoquée Vitruvius surgit comme dans un rêve.

Blotti sur ma chaise pliante, enroulé dans la couverture qui me couvrait la tête comme un capuchon, je vis les murs de Massilia, blancs comme neige, se teinter de rose aux premières lueurs de l’aube. Dans le lointain, l’énorme monstre marin se métamorphosa en une chaîne de collines ; des maisons serrées les unes contre les autres en recouvraient les pentes ; des temples et des fortifications en couronnaient les crêtes. À l’horizon, la mer passa d’un noir d’obsidienne à un bleu de plomb. Les îles prirent consistance et relief.

À mes pieds, dans la vallée, la contrevallation qui entourait Massilia apparut comme une cicatrice sur la terre meurtrie et piétinée. Le long remblai, aussi imposant qu’un barrage, que Vitruvius avait décrit, franchissait la vallée, et la tour montée sur des roues dressait sa haute silhouette un peu plus bas. Je ne vis aucune trace des tunnels dont avait parlé Vitruvius mais, vers ma gauche, à un angle où la muraille obliquait pour longer le port, je découvris les tours massives qui encadraient la porte principale de Massilia. Lentement mais sûrement, je pris une résolution.

Lorsque j’étais plus jeune, j’avais toujours été méthodique et prudent, je ne prenais de décisions qu’après mûre réflexion, craignant de commettre une erreur aux conséquences irrémédiables. Comble de l’ironie, en ces années où j’avais acquis de la sagesse à mon corps défendant, je devenais un être impulsif, toujours prêt à courir des risques insensés. Peut-être la sagesse consistait-elle à tourner le dos à la peur et à s’en remettre aux dieux pour rester en vie.

— Vitruvius ?

— Oui, Gordianus, répondit-il en sursautant et en clignant des yeux.

— Où se trouve l’entrée du tunnel qui va permettre de s’introduire dans la ville aujourd’hui ?

Il s’éclaircit la voix, puis bâilla.

— Là-bas, sur la gauche. Tu vois ce bouquet de chênes dans le creux au fond de la vallée ? À vrai dire, on distingue à peine le faîte des arbres. C’est là que se trouve l’entrée du tunnel, presque en face de la porte principale, mais elle est invisible du haut des murailles. Les soldats du génie sont probablement déjà occupés à vérifier à nouveau les calculs. Ceux qui vont prendre part à l’attaque commenceront à se rassembler d’ici une heure environ.

— Comment seront-ils équipés ?

— Ils auront une épée courte, un casque, une armure légère. Rien de trop lourd, rien d’encombrant. Ils ne doivent pas buter les uns contre les autres ni se blesser avec leur épée quand ils avanceront tant bien que mal dans le tunnel, et ils ne doivent pas plier sous le poids de leur équipement quand ils auront à remonter la pente pour sortir à l’air libre.

— Est-ce qu’ils appartiennent à une cohorte particulière ?

— Non. Ce sont des volontaires pour des missions spéciales, choisis dans plusieurs cohortes. Tous les hommes ne sont pas capables de remplir ce type de mission. On ne peut pas apprendre à quelqu’un à ne pas avoir peur du noir ou à ne pas paniquer dans un espace confiné. Mets certains individus dans un tunnel et, aussi courageux soient-ils, ils mouillent leur tunique au premier tournant, dès l’instant où ils ne voient plus clair. On n’a pas envie de se trouver à côté de ce genre de personne dans un moment critique. Les soldats du génie sont à leur affaire dans les tunnels, mais ce sont des sapeurs, pas des combattants. Or il faut des combattants qui ne craignent pas d’écraser des vers de terre. Ces derniers jours, on a entraîné les volontaires : ils savent par exemple comment tenir une torche allumée pour qu’elle ne s’éteigne pas, comment se comporter pour ne pas affoler leurs camarades en cas d’obscurité totale dans le tunnel. On leur apprend aussi à reconnaître les signaux pour avancer et reculer.

— Cela paraît compliqué.

— Pas vraiment, grogna Vitruvius. Ces gars ne sont pas des officiers du génie. Ce sont de simples soldats, avec un minimum d’entraînement.

— Sans doute suffit-il d’être un tant soit peu intelligent pour apprendre sur place ce qu’il faut faire.

— Tu as raison. À la limite, n’importe quel imbécile le pourrait. Et si une catastrophe se produisait, il mourrait, tout comme ceux qui ont été spécialement entraînés pour la mission.

Vitruvius se pelotonna sous sa couverture, ferma les yeux et soupira.

Une lueur rouge colora la ligne d’horizon dentelée. Je me débarrassai de ma couverture et dis à Vitruvius qu’il lui faudrait contempler seul le lever du soleil. Au lieu de répondre, il se mit à ronfler. Je battis en retraite.

 

Dans la tente des officiers, je réussis à tirer Davus de son sommeil et à le sortir de son lit sans réveiller les autres. À moitié endormi et abasourdi, il acquiesça quand je lui fis part de mon intention.

Par Méto, je savais comment César aménageait ses camps et où l’on pourrait trouver des surplus d’équipement. La tente que je cherchais était juste derrière celle de Trébonius. Personne ne montait la garde. Quel châtiment le commandant jugerait-il approprié pour deux étrangers surpris en train de voler des armes pendant un siège ? J’essayai de ne pas y penser, tandis que nous fouillions dans la pénombre parmi les casques cabossés, les épées ébréchées et les jambières dépareillées.

— Celui-ci me va à la perfection, beau-père. Il est quasiment neuf.

Je levai les yeux et vis Davus en train d’essayer un casque. Je secouai la tête.

— Non, Davus, tu n’as pas compris. Je n’aurais pas dû te parler alors que tu étais à moitié endormi. C’est moi qui irai dans le tunnel, pas toi.

— Mais je t’accompagnerai, bien sûr.

— Non. Si Vitruvius a raison, il sera possible de pénétrer dans la ville d’ici quelques heures. Nous pourrons nous retrouver demain, peut-être même ce soir.

— Et si l’officier du génie se trompe ? Tu sais ce que dit Méto : les choses ne se passent jamais exactement comme on s’y attend, dans une bataille.

Je fis glisser le bout de mon doigt sur la lame émoussée et rouillée d’une épée.

— Davus, te rappelles-tu la scène chez nous, la veille de notre départ de Rome ? Ta femme – ma fille – était très contrariée.

— Pas plus que ta femme ! Béthesda était dans tous ses états. Ses jurons m’ont fait dresser les cheveux sur la tête. Et dire que je ne comprends pas l’égyptien !

— Oui, Diana et Béthesda étaient toutes deux affolées. Mais la nuit qui a précédé notre départ, j’ai fait la paix avec Béthesda. Elle a compris pourquoi il fallait que je vienne ici, pourquoi je ne pouvais pas rester à Rome à penser à Méto, sans être sûr qu’il fût vivant ou mort. Diana, c’était une autre histoire.

— Elle a fini par comprendre.

— Tu crois ? Je l’entends encore : « Papa, à quoi penses-tu pour vouloir emmener Davus avec toi ? N’as-tu pas parcouru tout le trajet jusqu’à Brundisium pour l’arracher aux griffes de Pompée ? Maintenant, tu veux te rendre sur un autre champ de bataille et lui faire risquer à nouveau sa vie ? » Il y avait du vrai dans ce qu’elle disait.

— Beau-père, tu n’aurais pas pu entreprendre ce voyage seul. À ton âge…

— Et tu as convaincu Diana. Félicitations, Davus, tu as plus d’influence sur ma fille que je n’en ai jamais eu ! Mais avant notre départ, elle m’a fait promettre de ne pas t’exposer au danger, sauf en cas de nécessité absolue.

— Alors… tu admets que c’est risqué d’aller dans le tunnel.

— Bien sûr que oui ! Les hommes n’ont jamais été conçus pour creuser des terriers comme des lapins, pas plus que pour voler ou respirer sous l’eau. Et on n’aime guère voir des soldats surgir d’un trou dans le sol.

— Tu pourrais être tué, beau-père.

Je passai le bout de mon doigt sur une autre lame et manquai crier en me coupant. Je suçai le filet de sang rouge vif.

— C’est possible.

— Alors je t’accompagne.

— Non, Davus, répliquai-je.

— Il a été convenu que je viendrais pour te protéger. Jusqu’à présent, tu n’as guère eu besoin de moi.

— Non, Davus. J’ai promis à ta femme de te ramener sain et sauf chez toi.

— Et j’ai promis la même chose à la tienne !

Nous nous regardâmes d’un air ébahi, puis éclatâmes de rire.

— Alors je suppose qu’il s’agit de savoir laquelle des deux nous effraie le plus, répondis-je.

Au bout d’une seconde, le même nom s’échappa de nos lèvres :

— Béthesda !

— D’accord, Davus, dis-je en soupirant. Je crois avoir vu là-bas une cotte de mailles à ta taille.

Notre tenue était assez convaincante pour tromper au moins le cuistot. Il faut le reconnaître, l’homme nous regarda à peine lorsque nous passâmes devant lui en tendant notre écuelle pour recevoir une ration de bouillie de millet. Il remarqua cependant que nous n’avions pas la même taille : Davus reçut une ration deux fois plus importante que la mienne. Nous nous dépêchâmes de manger, puis nous partîmes. Le camp, si calme durant l’heure qui avait précédé l’aube, était devenu une fourmilière. Des messagers couraient de-ci de-là, des officiers criaient, des soldats aux yeux pétillants chuchotaient entre eux en se mettant en ligne. Tous semblaient pressentir que la journée serait particulièrement importante.

Nous descendîmes la colline en laissant la contrevallation à notre droite. Devant nous, plus bas, je remarquai une dépression à flanc de coteau cachée par des chênes, tout comme l’avait décrite Vitruvius. Une multitude de soldats dont on apercevait les casques à travers le feuillage s’y étaient déjà donné rendez-vous.

Un sentier bien tracé y menait. Des hommes s’écartèrent pour nous laisser passer. En jetant un coup d’œil à leur accoutrement, je vis que je ne m’étais guère trompé en choisissant le nôtre. À cet égard du moins, nous n’avions rien de remarquable.

Les hommes chuchotaient. Derrière moi j’entendis une voix :

— Quel âge peut-il bien avoir ? On ne voit pas beaucoup de barbes grises en mission spéciale.

Un autre soldat le fit taire :

— Ne fais pas le fier parce que tu es jeune, surtout un jour comme aujourd’hui. N’as-tu pas envie de vivre assez longtemps pour avoir toi aussi une barbe grise ?

— Je n’ai pas dit cela pour l’insulter, répliqua le premier soldat.

— Ça suffît ! Si un homme peut vivre aussi longtemps en combattant dans l’armée de César, c’est que les dieux le protègent.

— Et le grand qui est avec lui ? grommela le premier soldat. Je ne me rappelle pas l’avoir jamais vu à l’entraînement. Je croyais que pour cette mission, il fallait uniquement des gars de petite taille, comme nous. Ce gros balourd risque d’obstruer le tunnel comme un bouchon dans une bouteille !

— Tais-toi !

Encadré par des officiers, Trébonius apparut sur le flanc de la colline au-dessus de nous. Il était en grande tenue : son casque à cimier et son plastron ouvragé reflétaient les rayons du soleil matinal à travers les frondaisons des chênes. Je tirai Davus par le coude.

— Baisse la tête et fais-toi le plus petit possible.

Trébonius haussa juste assez le ton de sa voix de stentor pour être entendu de tous :

— Soldats ! Les auspices sont favorables. Les augures ont déclaré ce jour faste pour la bataille, pour César et ses hommes. Aujourd’hui, si les dieux le jugent bon, les portes de Massilia s’ouvriront grâce à vos efforts. Vous ferez grand plaisir à César et il vous récompensera comme il convient. Mais permettez-moi de répéter ce que je dis depuis le commencement de ce siège : quand Massilia tombera, César seul décidera de son sort. Il ne doit y avoir ni pillage, ni viol, ni incendie. Vous comprenez fort bien, je le sais. Rappelez-vous les instructions. Écoutez les ordres de votre commandant de mission. C’est le début de l’opération. Pas d’acclamations ! Silence ! Gardez votre voix pour plus tard, quand vous pourrez crier victoire du haut des murailles de Massilia.

Trébonius nous salua. Comme un seul homme, nous saluâmes à notre tour.

— A vos rangs ! hurla un officier.

Autour de nous, la troupe commença à se déplacer. Dans quelle direction, je ne saurais le dire. Davus resta près de moi en se tassant. Nous suivîmes le courant. Les hommes disparaissaient comme si la terre les avait engloutis, apparemment sans ordre précis ; chacun prenait tout simplement place dans la queue aussi vite qu’il le pouvait. J’avançai sans me hâter.

Soudain je me trouvai face à l’entrée du tunnel. De grosses poutres encadraient un trou noir percé dans le flanc de la colline. L’espace d’un instant, je restai figé sur place. Quelle folie m’avait conduit là ? Impossible de s’esquiver. Trébonius observait. Davus me poussa par-derrière.

— Prends-la ! dit la voix qui nous avait ordonné de nous mettre en rang.

Je tendis la main et reçus une torche allumée.

— Rappelle-toi ce qu’on t’a appris à l’entraînement, conseilla l’officier. Ne la laisse pas s’éteindre !

J’avançai en baissant la tête et en tenant la torche d’une main aussi ferme que je le pouvais, mais elle tremblait. Je pénétrai dans le tunnel. Derrière moi, j’entendis un bruit métallique et un grognement : le casque de Davus avait heurté le linteau.

Nous avancions d’un pas régulier, d’abord sur un terrain à plat, puis petit à petit en descendant.

Une charpente en bois soutenait les murs et le plafond. Le tunnel, juste assez large pour permettre à deux hommes de se croiser, se resserrait encore plus lorsqu’il se faufilait entre deux faces rocheuses. Le plafond n’était jamais tout à fait assez haut pour que je puisse me tenir vraiment droit. Je devais marcher en me voûtant légèrement ; le pauvre Davus devait presque se plier en deux.

Le tunnel cessa de descendre et le sol redevint plat. L’allure ralentit. Parfois, nous nous arrêtions brusquement avant de repartir d’un pas lent. Les hommes butaient les uns contre les autres. Des torches tombaient ou s’éteignaient, puis on les rallumait aussitôt à la flamme d’une autre. Sans elles, c’eût été l’obscurité complète.

L’atmosphère était humide, l’air confiné. La fumée des torches me brûlait les yeux. Je sentais sur moi une moiteur froide, et un air humide pénétrait dans mes poumons.

Le tunnel commença imperceptiblement à remonter. Nous nous immobilisâmes encore une fois. Le temps passa. Personne ne dit mot.

Enfin, comme aucun ordre ne venait et qu’on n’avançait plus, des soldats se mirent à chuchoter. C’était comme si on sifflait dans une trompette. De temps en temps nous parvenaient des rires sinistres. Quel genre de plaisanteries macabres les hommes échangeaient-ils ? Le sens de l’humour de Méto avait beaucoup changé depuis qu’il était entré dans l’armée ; il était devenu plus vulgaire et plus cynique ; il tournait davantage en dérision les dieux comme les hommes. Parfois, disait Méto, quand sa propre mort ou celle d’un ennemi est imminente, un homme n’a d’autre choix que de crier ou de rire. Qu’arriverait-il si un homme dans le tunnel paniquait ? J’y songeais et me réjouissais d’entendre un nouvel éclat de rire grinçant.

De nouveaux chuchotements se propagèrent. Le soldat qui me précédait se retourna pour murmurer quelques mots :

— Il faut rester sur place pendant que les soldats du génie finissent de creuser. Fais passer.

Je transmis le message à Davus. Le jeune soldat devant moi continuait de me regarder. Sa voix m’était connue ; c’était lui qui avait proféré des remarques à mon sujet quand nous étions à l’air libre. A la lumière vacillante de sa torche, il paraissait n’être qu’un enfant.

Son regard insistant n’exprimait aucune hostilité. Il ouvrait des yeux anormalement grands et paraissait nerveux.

— Puisque tu te posais la question, il se trouve que j’ai soixante et un ans.

— Quoi ?

— Je t’ai entendu interroger ton ami avant que nous entrions dans le tunnel.

— Ah bon ? dit-il, l’air contrarié. Eh bien, tu pourrais être mon grand-père. Ou même mon arrière…

— Tais-toi, jeune homme !

— Peut-être la déesse Fortune nous a-t-elle réunis, suggéra-t-il avec un sourire de travers. A ce que dit Marcus, les dieux doivent te protéger, car tu as réussi à vivre jusqu’à un âge respectable en gagnant ta vie au fil de l’épée. Qu’en penses-tu ? Peut-être me passeras-tu un peu de ta bonne fortune aujourd’hui…

— Je ne crois pas qu’il me reste plus de chance qu’il ne m’en faut, répondis-je en souriant.

Soudain, un bruit grave et étouffé retentit dans le tunnel, connue si la foudre était tombée à proximité. J’en sentis les effets dans mes oreilles, mes orteils, et jusque dans ma mâchoire. Une autre explosion nous secoua encore, puis une autre.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que c’est ? D’où cela vient-il ? questionna le jeune soldat d’une voix étranglée.

— C’est le bélier, lui expliquai-je en essayant de garder mon calme. Nous devons être juste au-dessous de la muraille.

— Ils nous ont avertis, rétorqua le soldat en secouant la tête. Mais je ne croyais pas que… cela ferait un tel…

Boum ! Un filet de sable tomba de la traverse au-dessus de nos têtes. Le soldat agrippa mon avant-bras.

— C’est loin, dis-je. À des centaines de pieds. La vibration se propage à travers le roc. Cela paraît plus proche que ça ne l’est en réalité.

— Bien sûr, c’est loin.

Il relâcha son étreinte. Il m’avait serré si fort qu’il avait laissé les marques de ses ongles sur ma peau.

Le grondement cessa, puis reprit, maintes et maintes fois. Le plafond du tunnel, juste au-dessus de moi, parut particulièrement touché. Des poignées de terre, puis des mottes de plus en plus grosses, tombèrent en cascade sur nous. De temps en temps, le jeune soldat me saisissait le bras nerveusement.

L’air devint plus humide et froid, plus vicié, plus enfumé. Nos torches brûlèrent jusqu’à ce qu’il n’en restât plus rien ; on nous en donna d’autres. Les soldats du génie en tête de file faisaient passer de main en main des seaux remplis de terre et de pierres, indéfiniment.

— On nous avait dit que nous n’aurions pas à nous salir les mains, plaisanta l’homme derrière Davus.

Le jeune soldat pouffa de rire.

Enfin les soldats du génie commencèrent à rebrousser chemin en remontant la file en direction de l’entrée. Ils passèrent à côté de moi en se serrant un peu, mais se glisser à côté de Davus était un exploit.

— Que fait ce bougre de géant ici ? grommela l’un d’entre eux.

— On ne va pas tarder à sortir, qu’en penses-tu, beau-père ? me chuchota Davus à l’oreille.

— Je suppose que oui.

J’essayai de me préparer à ce qui m’attendait. Je n’avais jamais été soldat, mais des années auparavant, j’avais combattu aux côtés de Méto lors de sa première bataille, à Pistoria, où Catilina avait trouvé la mort. Il y avait seulement quelques mois, j’avais été présent aux dernières heures du siège de Brundisium, et j’avais failli y mourir[2]. Je n’ignorais pas les dangers qui nous menaçaient. Mais, comme tous les soldats, j’envisageais une autre possibilité. Peut-être que tout se passerait sans difficulté : nous prendrions les Massiliotes au dépourvu, car leur attention serait détournée par le bélier, exactement comme l’avait prévu Trébonius ; nous ne rencontrerions quasiment aucune résistance et nous ouvririons les portes de la ville sans coup férir ; Trébonius ferait une entrée triomphale sans la moindre effusion de sang ; les Massiliotes verraient combien il était inutile de résister et déposeraient les armes. Davus et moi, nous nous débarrasserions de notre armure, nous nous esquiverions et fouillerions la ville jusqu’à ce que nous trouvions Méto vivant et en bonne santé, fort surpris de nous voir.

Une fois la ville prise, sa mission secrète serait terminée, et il se rendrait à Trébonius, prouvant ainsi sa loyauté à l’égard de César. Tout serait pour le mieux.

Combien d’autres dans le tunnel se réconfortaient en échafaudant des hypothèses tout aussi optimistes ?

Boum ! Boum ! Boum ! Une avalanche de terre me tomba sur la tête et me projeta en avant sur le jeune soldat. Davus me saisit par l’épaule pour me permettre de retrouver mon équilibre.

Alors, je perçus un bruit lointain qui venait de l’avant. Pas le roulement de tonnerre du bélier, mais un grondement prolongé, interminable, qui allait crescendo.

Mes oreilles tintèrent. Je crus entendre des cris, mais ils étaient couverts par le vacarme qui n’en finissait pas et se perdaient dans un fracas épouvantable.

Un coup de vent frais me cingla le visage. La rafale éteignit la torche que je tenais à la main et toutes les autres devant moi. Les ténèbres s’abattirent. Le vent continua de souffler, chargé d’une odeur humide.

Maintenant, il était impossible de ne pas entendre les cris qui se mêlaient en une sorte de grondement monstrueux. On aurait dit les clameurs des spectateurs au cirque. Les traverses au-dessus de nos têtes éclatèrent et volèrent en éclats.

J’étais en feu. Mon cœur battait à tout rompre. Je m’armai de courage, tout en sachant en mon for intérieur que c’était peine perdue.

Le mur d’eau me heurta de plein fouet.

Le rocher du sacrifice
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