Maman a trébuché hier matin sur le bord du matelas et s'est de nouveau foulé la cheville.
Elle a remis le bandage élastique en grognant que cette fois-ci elle n'allait pas se dorloter et que si elle boitait le restant de ses jours, ce serait tant pis pour elle. Mais elle n'arrivait même pas à se tenir debout.
Elle a dit à Matt qu'elle serait très bien dans la cuisine, qu'il n'y avait pas de raison de retourner dans la véranda et d'allumer le poêle rien que pour elle, mais il a insisté. Et puisque les canalisations risquent de geler dès que nous cesserons de chauffer (il faisait - 11°C cet après-midi ; j'imagine que l'été indien est terminé), lui et maman ont décidé que Jonny, Matt et moi ne changerions pas nos habitudes pour dormir.
Je suis d'accord avec ça. Faire la lessive avec maman couchée sur son matelas dans la cuisine ne m'emballait pas trop. C'est déjà assez dur de manœuvrer quand elle est dans l'autre pièce. Mais au moins, si je mets le pied sur un matelas, je n'aurai pas à m'inquiéter de lui marcher dessus.
Et je n'aurai plus de ménage à faire. Depuis que nous dormons au rez-de-chaussée, maman ne se soucie plus de traquer la poussière ou de balayer. La salle à manger est une cause perdue, et passer autour des matelas dans le salon est quasi impossible pour elle.
Donc le seul vrai problème, c'est que je dois veiller à ce que le feu du poêle ne s'éteigne pas. C'est l'unique source de chaleur dans la véranda et il doit rester allumé toute la nuit. Quoi qu'il en soit, je me réveille souvent. Il suffît que j'ajoute alors une bûche ou deux. J'ai fait promettre à maman de crier si elle avait froid pour que je vienne recharger le poêle, mais je ne suis pas sûre qu'elle le fasse.
Matt a dit qu'il viendrait vérifier aussi chaque fois qu'il ne dort pas, ce qui implique qu'il traverse la cuisine pour accéder à la véranda et donc me réveille par la même occasion. Il serait plus logique que j'installe aussi mon lit dans la véranda, mais je suis tellement heureuse à l'idée de pouvoir un peu m'isoler que je n'arrive pas à me décider.
Comme maman et moi allions chez Mrs Nesbitt à tour de rôle, maintenant j'y vais à sa place. Ça me donnera une bonne excuse pour m'éloigner de la maison. Mais plus de patinage. Impossible de laisser maman pour aller m'amuser à l'étang. Peu importe. J'ai passé une partie de ma journée d'hier à essayer de décider si tout ça s'était vraiment passé ou si ce n'était qu'un effet de mon imagination. Moi, en train de patiner avec Brandon Erlich. Nous, parlant tous les deux. Lui, se montrant si gentil.
J'ai déjà imaginé des trucs bien plus délirants que ça.
C'était peut-être par simple politesse qu'il m'a demandé de revenir. Il préfère sans doute patiner seul plutôt que d'avoir une fan stupide et empotée sur le dos.
Maman était contrariée que je ne puisse pas retourner à l'étang. Elle m'a dit qu'elle se débrouillerait sans moi, mais bien sûr je ne pouvais la laisser seule comme ça.
— Quand tu iras mieux, on ira patiner ensemble, lui ai-je promis. La glace ne risque pas de fondre avant un moment.
— Je crains que non. Mais je me sens tellement triste pour toi. Tu avais fini par trouver une activité qui te plaisait et voilà que j'ai tout fichu en l'air.
J'ai cru qu'elle allait se mettre à pleurer, mais non.
J'ai l'impression que plus aucun de nous ne pleure.
28 octobre
Peter est passé à l'improviste (d'accord, toutes les visites se font à l'improviste de nos jours - ce que je voulais dire, c'est que personne n'était allé le chercher pour une urgence) et il a examiné la cheville de maman. Il a reconnu qu'elle n'était pas cassée, mais a jugé que cette entorse était plus mauvaise que la précédente et que maman devait éviter de marcher pendant au moins deux semaines, peut-être plus.
D'après lui, elle avait dû aussi se casser un orteil, mais comme on ne peut rien faire pour ce genre de fracture, « pas la peine de se tracasser ». Une réflexion assez drôle, venant de Peter.
Je ne vois pas bien comment je pourrais dormir une nuit complète avec le poêle à contrôler régulièrement. Du coup, j'improvise des siestes, de jour comme de nuit. Je dors deux ou trois heures, puis je me réveille et je fais ce que j'ai à faire, puis je me rendors. À vrai dire, le moment idéal pour se reposer serait en début de soirée, quand Matt et Jon sont à la maison et peuvent surveiller le feu, mais c'est justement le moment que je préfère. Parfois je m'assoupis quand même.
Ça rend maman dingue de ne pouvoir rien faire, mais aucun de nous n'y peut grand-chose.
Oh, et moi aussi j'ai trouvé une nouvelle occupation géniale. Maman ne peut pas marcher jusqu'aux toilettes, mais Matt a repéré un bassin de lit dans le grenier et c'est à moi de le nettoyer. Je la menace tout le temps d'y mettre de la litière pour chat.
C'est marrant. Maman s'est foulé la cheville il y a quelques semaines, et tout allait bien. C'était une période agréable. Peu de choses ont changé depuis, et pourtant rien ne va plus.
29 octobre
J'ai raconté à Mrs Nesbitt la visite de Peter et ses recommandations à propos de maman. Je lui ai tout révélé, y compris le fait que même quand elle sera capable de faire le tour de la maison, elle n'aura pas le droit de s'aventurer plus loin.
— Ce qui veut dire que vous allez devoir me supporter tous les jours pendant un moment, ai-je conclu.
À ma grande surprise, Mrs Nesbitt m'a répondu :
— Très bien, c'est beaucoup mieux ainsi.
Je pensais qu'il me faudrait du courage pour parler de la cheville de maman à Mrs Nesbitt ; il m'en a fallu bien plus encore pour lui demander pourquoi c'était « beaucoup mieux ainsi ».
— Je ne veux pas que ta mère me retrouve morte, a expliqué Mrs Nesbitt. Ça ne sera pas très drôle pour toi non plus, mais tu es plus jeune et je représente moins pour toi.
— Mrs Nesbitt !
Elle m'a lancé un de ces regards qui me terrifiaient quand j'étais petite.
— De nos jours, on ne peut plus se voiler la face. Je pourrais mourir demain. Nous devons en discuter franchement. Inutile de tourner autour du pot.
— Je ne veux pas que vous mouriez.
— Eh bien, Miranda, c'est très gentil de ta part. Maintenant, quand je serai morte et que tu me trouveras ici, voici ce qu'il importe de faire. Première chose, pour mon corps, faites au plus simple. Peter s'est arrêté ici après être passé chez vous, et il m'a dit qu'il meurt en ville une dizaine ou plus de personnes par jour. Je ne suis pas meilleure que les autres, et sans doute bien pire que certains. D'après Peter, l'hôpital accepte toujours les corps, donc si ça vous arrange, je n'y vois aucun inconvénient. Je n'ai jamais aimé l'idée d'être enterrée, j'ai toujours préféré la crémation. Les cendres de mon mari ont été dispersées quelque part au-dessus de l'Atlantique, donc, de toute façon, nous ne pourrions reposer côte à côte.
— D'accord. Si je trouve votre corps, je le dirai à Matt et il vous conduira à l'hôpital.
— Bien. Maintenant, une fois que je serai partie, ratisse la maison et prends tout ce qui peut vous servir. Ne te soucie pas de laisser des biens à mes héritiers. Comme je n'ai plus eu de nouvelles de mon fils ou de sa famille depuis mai, j'en conclus qu'ils n'auront besoin de rien de tout ça. Si l'un d'eux se présente à votre porte et que vous avez encore des objets à moi, donnez-les-lui. Fouillez dans toute la maison, de la cave au grenier. Ma voiture contient encore un peu d'essence. Vous n'aurez qu'à la charger et rapporter ce que vous voulez jusque chez vous. Ne vous embarrassez pas de scrupules. Je n'aurai plus besoin de rien, et plus vous prendrez de choses, plus vous aurez de chances de vous en sortir. L'hiver va être long et rigoureux, et je serais vraiment en colère à la pensée que vous avez négligé de prendre quoi que ce soit qui aurait pu vous aider.
— Merci.
— Après ma mort, enveloppez-moi dans un drap. Ne gaspillez pas une couverture pour ça. Et même si quelqu'un de ma famille se présente, je veux que ta mère récupère mon pendentif en diamant et toi ma broche en rubis. C'est moi qui vous en fais cadeau, rappelle-t'en. Matt aura la toile avec les voiliers, parce qu'il l'aime depuis qu'il est petit, et pour Jonny, ce sera le paysage qui se trouve dans la salle à manger. J'ignore s'il l'aime ou pas, mais il a droit à quelque chose et c'est une belle pièce. Comme vous n'aurez sans doute pas besoin de mes meubles, le mieux est de les utiliser comme combustible.
— On ne peut pas les brûler, ce sont des meubles anciens !
— À ce propos, j'ai brûlé toutes mes lettres et mes journaux intimes. Non qu'ils contiennent quoi que ce soit d'intéressant. Mais je ne voulais pas que vous soyez tentés, donc ils sont tous partis en fumée. J'ai quand même gardé les albums photos. Ta mère sera ravie de les feuilleter, de voir les vieilles photos de sa famille. Tu as bien tout en tête ?
J'ai acquiescé.
— Parfait. Garde ta mère à l'écart de tout ça tant que je ne serai pas partie. Elle a assez de soucis pour le moment. Mais quand je serai morte, n'oublie pas de lui dire que je l'ai aimée comme ma propre fille et que vous étiez tous les trois comme mes petits-enfants. Dis-lui aussi que je suis bien contente qu'elle ne m'ait pas vue mourir, et quelle ne devra jamais se sentir coupable de n'avoir pas pu me rendre une dernière visite.
— On vous aime aussi. On vous aime tellement.
— Je te crois. À présent, dis-moi. Où en es-tu de ton travail scolaire ?
Évidemment je n'avais rien fait, mais j'ai compris qu'elle changeait de sujet exprès et j'ai embrayé là-dessus.
Quand je suis rentrée à la maison, j'ai mis du bois dans le poêle et me suis roulée en boule pour trouver le sommeil. Il m'était plus facile de dormir (ou de faire semblant) que de raconter à maman des détails sans importance au sujet de Mrs Nesbitt. Je n'avais jamais vraiment réfléchi à ce que pouvait ressentir une vieille dame. Bien sûr, par les temps qui courent, je ne suis pas sûre de vivre assez longtemps pour être ne serait-ce qu'une femme.
Mais j'espère que lorsque je serai proche de la mort, quel que soit mon âge à ce moment-là, je pourrai faire face avec le même courage et le même bon sens que Mrs Nesbitt. J'espère que c'est une leçon qui me restera en mémoire.
1ernovembre
Matt a rôdé dans la maison toute la matinée, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Il est encore plus obsédé par son bois à couper depuis que maman s'est réinstallée dans la véranda. Je sais bien que c'est parce que nous avons commencé à brûler le bois plus tôt que prévu, mais ça m'énerve quand même un peu. J'aimerais pouvoir compter sur lui pour certaines tâches, vider le bassin, par exemple.
À un moment dans l'après-midi, j'ai entendu un bruit de moteur dans notre allée. Matt a foncé dehors et ensuite, tout ce que je sais, c'est que lui, Jon et deux gars que je ne connaissais pas ont déchargé des panneaux de contreplaqué d'une camionnette pour les entreposer dans la véranda. Comme maman regardait sans rien dire, j'imagine qu'elle était au courant. Après le départ des types, Matt et Jonny ont passé le reste de la journée à couvrir les fenêtres de la véranda avec le contreplaqué.
À l'époque où la maison a été construite, la véranda n'existait pas encore — c'était juste une terrasse, et les fenêtres de la cuisine et de la salle à manger donnaient dessus. Mais quand la terrasse a été transformée, on a retiré les fenêtres en laissant les ouvertures pour que la cuisine et la salle à manger continuent de recevoir la lumière du jour par les lucarnes du toit et les trois murs vitrés de la véranda (plus la porte, bien sûr).
Matt a bouché la fenêtre entre la cuisine et la véranda, puis il a posé une autre planche devant la fenêtre entre la salle à manger et la véranda, de manière qu'on puisse la pousser sur le côté pour accéder plus facilement à la réserve de bois.
Maintenant, la seule lumière naturelle dans la véranda vient des lucarnes du toit. Certes, la lumière du soleil n'était pas bien forte ces derniers temps, mais ça rend la pièce beaucoup plus sombre.
Puis, juste au cas où ma vie ne serait pas assez pourrie, ils ont obturé la fenêtre au-dessus de l'évier de la cuisine. Du coup, la seule lumière naturelle que reçoit la cuisine provient des lucarnes de la véranda à travers l'ouverture de la porte. C'est-à-dire quasiment rien.
— Tu vas boucher les fenêtres du salon, aussi ? ai-je demandé.
— Il n'y a pas de raison. Dès que nous arrêterons le chauffage, nous condamnerons cette pièce. Mais nous pourrions avoir toujours besoin de la cuisine.
Je suis tellement en colère que je pourrais hurler. Pour commencer, je suis sûre que Matt a acheté le contreplaqué à la bande que j'avais aperçue en ville, et je ne supporte pas qu'il ne m'en ait pas parlé avant. Pas moyen de discuter. C'est lui qui sait, il décide, il agit. (D'accord, il en a parlé à maman. Mais je n'ai pas été consultée.) Et il ne comprend pas ce que ça fait d'être coincée dans cette maison toute la journée. Je n'en sors que pour aller voir Mrs Nesbitt, et encore, aller et retour, la promenade n'est pas bien longue.
Je sais que c'est plus dur pour Matt et Jon. Matt mange si peu alors qu'il fait tout ce travail physique. Quand il rentre, il est épuisé. L'autre jour il s'est endormi au beau milieu du dîner.
Mais il n'avait pas besoin de boucher la fenêtre de la cuisine. En tout cas pas encore. Il aurait pu attendre que nous soyons à court de fioul. Il ne se soucie pas de ce que ça implique pour moi. Il n'a même pas demandé mon avis.
Je pourrais m'installer chez Mrs Nesbitt. Or c'est impossible de laisser maman.
Parfois je repense à ma vie d'avant. Je n'ai jamais vraiment voyagé. La Floride une fois, Boston, New York, Washington et Montréal, et c'est tout. J'aurais rêvé de voir Paris, Londres, Tokyo ; je voulais aller en Amérique du Sud, en Afrique. J'ai toujours pensé que je pourrais le faire un jour.
Mais mon monde continue de rétrécir. Le lycée. Puis l'étang. La ville. La chambre. Maintenant je ne peux même plus regarder par la fenêtre.
Je me ratatine à l'image de mon univers et deviens de plus en plus petite et dure. J'ai l'impression de me pétrifier. D'une certaine manière, c'est pas mal, parce que les pierres sont éternelles.
Mais je ne suis pas sûre de vouloir m'éterniser sous cette forme.
5 novembre
J'étais dans la cuisine en train de laver le bassin de maman quand l'eau a cessé de couler. J'ai ouvert les robinets dans la salle de bains du bas. Rien. J'ai essayé à celle de l'étage. Rien non plus.
J'ai attendu que Matt rentre pour le lui annoncer. Au début il était furieux contre moi.
— Tu aurais dû venir me le dire tout de suite ! a-t-il hurlé. Si les tuyaux sont gelés, il était peut-être encore temps de faire quelque chose.
Mais je sais que ce n'est pas une histoire de canalisations gelées. C'est parce que le puits est à sec. On n'a plus eu de pluie depuis juillet. Même en économisant l'eau le plus possible, ça devait arriver.
Matt et moi sommes allés au puits pour vérifier. Bien sûr, j'avais raison.
Quand nous sommes rentrés, Jon était assis avec maman dans la véranda. Nous les avons rejoints.
— Combien de temps pouvons-nous tenir sans eau ? ai-je demandé.
— Ce n'est pas si grave, a décrété Matt. On a encore des bouteilles d'eau et de soda. Mais c'est fini pour la lessive. Et Miranda devra partager un bassin de lit avec maman.
Il a affiché un sourire jusqu'aux oreilles comme s'il venait de lâcher une vanne hyper drôle.
— On n'a pas tant de bouteilles que ça, a objecté Jon. Et s'il ne pleut plus ?
— On aura de la neige dans pas longtemps, a annoncé Matt. Mais en attendant, on peut détacher des blocs de glace de l'étang de Miller. On les fera bouillir, en espérant que tout se passe au mieux.
— Il n'y a pas d'autre endroit où l'on pourrait trouver de la glace ? ai-je alors demandé. Et tes petits camarades du marché noir ?
— Ce ne sont pas mes petits camarades et ils n'ont ni eau ni glace, a rétorqué Matt. Ou bien si c'est le cas, ils n'en vendent pas. Si tu connais un autre endroit plus près que l'étang, tant mieux. Parce que je ne vois pas où, sinon.
J'ai imaginé Brandon patinant sur l'étang. J'ai fini par penser qu'il ne s'était sans doute jamais rien passé, donc quelle importance ?
— Puisqu'il ne reste plus d'eau, il n'y a plus de raison de laisser le chauffage allumé, a poursuivi Matt. On devrait garder le reste de fioul et s'installer dans la véranda.
— Non ! ai-je crié. Je ne veux pas !
— Pourquoi pas ? a demandé Jon, et je me rendais bien compte qu'il était vraiment surpris. Il fait chaud ici. Même avec le chauffage central, le reste de la maison est froid. Pourquoi tu ne veux pas bouger ?
— Je passe beaucoup de temps dans la cuisine, ai-je prétexté. Pas seulement pour dormir. Et c'est déjà assez dur comme ça en ce moment. Je vais mourir de froid si on éteint le chauffage. C'est ça que vous voulez ? Que je meure de froid ?
— Tu ne passeras plus ton temps dans la cuisine, a dit Matt. Sauf pour aller chercher des provisions dans le garde-manger. Nous n'utilisons plus cette pièce pour préparer les repas ou manger, et tu n'y feras plus ta lessive. Par contre, s'il arrive quelque chose au poêle et que nous n'avons plus de fioul, nous mourrons tous de froid. C'est plus prudent d'en garder en réserve.
— Quelle différence ça fait ? ai-je rétorqué. Nous n'allons jamais finir l'hiver. Nous sommes en novembre, et déjà il n'y a plus d'eau, la température est à -20°C et nous n'avons aucun moyen de nous procurer d'autres vivres. Nous mourons à petit feu, Matt. Tu le sais bien. Nous le savons tous.
— Peut-être que tu as raison, a dit maman, et j'ai presque sursauté quand elle s'est mise à parler. (Elle s'exprime beaucoup moins depuis sa deuxième blessure à la cheville, et elle a sérieusement réduit ses grands discours volontaristes.) Mais tant que nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve, nous nous devons de rester en vie. Les choses pourraient s'améliorer. Quelque part, des gens travaillent pour trouver des solutions à tout ça. Il doit bien y en avoir. Et notre solution à nous est de rester en vie jour après jour. Tout le monde meurt à petit feu, Miranda. Chaque jour nous rapproche de la mort. Mais il n'y a aucune raison de précipiter les choses. J'ai l'intention de rester en vie aussi longtemps que possible et j'en attends autant de ta part. La seule solution viable pour nous est de tous nous installer dans la véranda.
— Pas ce soir. S'il te plaît, pas ce soir.
— Demain matin, alors. Nous y transporterons nos matelas.
— Tout va bien se passer, m'a assuré Matt. D'une certaine façon, ce sera mieux. Tu ne seras plus la seule à t'occuper du feu. Nous pourrons l'alimenter à tour de rôle. Tu dormiras mieux.
— Ouais, a renchéri Jon. Ça sera cool pour toi, Miranda. Tu n'auras plus à te taper toutes ces corvées.
C'est donc la dernière nuit où je dors seule. Mon monde a encore rétréci.