derrière un fauteuil. Un vrai prestidigitateur. Si je n'avais pas été en éveil, je ne me serais aperçu de rien.

Le grand Majax n'aurait pas fait mieux!

- Si, dis-je, il aurait fait mieux et donc tu n'aurais rien vu.

Il va au bar, prépare un Chivas bien tassé. L'énorme mygale noire qui lui sert de main farfouille dans le récipient à glaçons et fait grêler dur dans le verre. Ensuite, il me le présente:

- Tiens, bois; tu en meurs d'envie.

Alors, je bois. quand le pur malt est tiré, hein?

- Ces deux mecs n'étaient pas de la poliú, dis-je, car je doute que même en Indonésie les flics usent de telles méthodes.

- Je crois que nous ferions bien de nous mettre à

ï

l'abri, note M. Blanc; le temps se couvre.

- Bonne remarque, fils.

- On devrait se loquer et partir sans tam-tam ni trompette et surtout sans prévenir la réception. On

116

LE CRI DU MORPiON

abandonnerait nos bagages et, d'ici un jour ou deux, demanderait à

l'ambassadeur de France de venir régler notre note.

-

Beau programme, et nous irions o˘?

-

A voir!

-

C'est tout vu, sentencié-je.

Comprenant que j'ai envie de le faire languir, s'offre le luxe de ne pas insister.

-

Eh bien, c'est parfait, dit-il.

J'établis en vitesse notre nouvelle constitution. Arti. de premier: ne plus être suivis. Or, il est évident que l'on nous observe à la loupe depuis notre débarque ment à Djak. Aussi, profitons-nous de l'effervescence (de térébenthine) du coulôir pour nous évacuer par l'escadrin de service.

D'ailleurs, les ascenseurs sont nazes pour l'instant. Y a du pompelard et du poulaaa plein partout. C'est velouté, comme évacuation.

majorité des cilles se cassent par l'escalier principal, tandis que nous deux, modestes, on démarche par la voie des blanchisseurs. Pas un greffier!

Tout le trèpe est mobilisé par l'événement.

On débouche dans une grande cour buanderesque qui sent la lessive, le limon, l'Asie, plus des miasmes marécageux. «a fouette depuis les éventaires à bouffe extérieurs o˘ la merde est sous-jacente. «a que je reproche à leur tortore indonésique: elle dégage des fragrances de jasmin et des remugles de colombins Sans doute pour cela qu'ils l'épicent à

outrance! Faut que la gueule te fume pour pas que tes papilles s'attardent sur ces inconvénients.

Au bout de la cour, y a un parking pour le personnel S'y trouve un méli-mélo impossible de pétrolettes, de vélos, de bagnoles en haillons. On franchit le terre plein. A son extrémité, une barrière déglinguée offre une brèche parce que les usagers la franchissent pour la dég˘iser en raccourci.

Nous itou. On escalade un fort

117

LE CRi DU MORPiON

jonché de tout, sauf de l'espérance. Boîtes de

et

de Coca, papiers souillés par les culs ayant l'excrément qui les accompagne (un étron

venable ne se déplace jamais sans papiers), chiffons a bout d'usage, capotes plus ou moins anglaises, détentriús d'une jeunesse qui ne deviendra jamais délinquante, paquets de cigarettes vides, que sais-je encore. On grimpe la pente à brutes (ou abrupte quand c'est moi qui l'escalade, merci), et nous enjambons de Bayonne la glissière de sécurité qui la borde.

Le flot du krafic nous bondit devant; mille fauves écumants, haletants et vociférants. Deux jeunes filles sur un Solex épave se marrent en me voyant leur faire le signe du stoppeur de fond. Mais, tout de suite derrière elles, voilà un gonzier au volant d'une camionnette jaune poussin. Lui, il s'arrête, au risque de se faire défoncr le

On grimpe en voltige sur " le " siège vacant, à son O˘ allez-vous? nous demande-t-il probablement

ionésien moderne.

And you? réponds-je.

Au Bloc M.

Nous aussi.

Vous me donnerez deux cents roupies?

Non, dis-je, je vous en donnerai cinq cents.

ii éclate de rire. Cézigo, il est tout menu, archisimiesque. Sa tête de noeud triangulaire disparaît sous une casquette à longue visière.

il nous regarde en chanfrein, se marre du négro assis r mes genoux.

Vous êtes mariés? il demande.

Nous faisons notre voyage de noces, confirmé-je.

ri hilarité redouble.

Vous voulez que je vous montre une fabrique de batiks? opportune-t-il, flairant une bonne main à~ffiir~r

118

LE CRI DU MORPION

-

Non, dis-je, nous n'avons pas besoin de chem:

mais d'une auto. Vous savez o˘ je pourrais en achet une de confiance et d'occasion?

-

Une auto comment?

-

Avec quatre roues, un moteur et un volant.

Il

opine, songeur.

-

La mienne, ça vous irait? Vous pouvez me beaucoup de bagages derrière et elle n'a que qua cent dix mille kilomètres au compteur.

Dès lors, je considère son tas de tôle avec un re~ qui, lui, est neuf. Cet os est tellement délabré q' semble au bout du rouleau. Le tableau de bord n' plus qu'une niche béante bourrée de fils enchevêtrés. y a des trous dans le plancher, dus à la rouille. manque la vitre côté passager et le cerclo du volant été merveilleusement renforcé avec du chatterton.

-

Vous en demandez combien?

-

Cent mille roupies? risque le téméraire.

Je me livre à un rapide calcul. Si je ne me goure cette somme doit représenter environ cinq cents fr français.

-

Disons cinquante mille et n'en parlons pu. contre-proposé-je.

-

D'accord!

Je lui tends des fafs dans les tons violacés, passabh ment graisseux.

Il

les rafle avec une prestesse de macaque accaparant une cacahuète, se range sur le bas-côté de la strasse

saute de son siège.

-

Good-bye! nous lance-t-il.

J'ai rarement traité une affaire aussi rapidement. Je me glisse sur le siège encore chaud et enclenche la première, ce qui n'est pas une mince affaire; faut s'y reprendre à plusieurs fois, bien cadrer et pousser fort.

La guimbarde décarre, soubresautante, brimballante, perdant un peu de ses entrailles métalliques au gré des cahots.

LE CRi DU MORPiON

119 tout cas, bien malins seraient ceux qui nous Pr~iç~nt à bord d'un tel véhicule!

tendemain, la camionnette efflanquée atteint rang. La route a été pleine d'agréments. L'Indonéc'est very nice. Moi, ce dont j'aime surtout, comme t Béru, ce sont les nombreux cours d'eaux qui se

nt, sinuant dans une nature sauvage, au fond de ~es rocheuses bordées d'une végétation luxuriante.

en est d'un vert profond, frangée d'écume, faut pas oublier de dire dans les bonnes compos

Depuis les ponts que nous traversons, on aperçoit population qui s'ébat dans l'onde ou qui vient y

-

du linge sale en famille, voire même y pêcher. On des volcans culminant à des chiées de mètres,

~est te dire! Des temples, dont celui de Bydôn-Vil ài~o. fameux pour ses récitals de cornemuses à

Les agglomérations se suivent, avec leurs pauvres maisons alignées le long de la route, dont beaucoup sont des échoppes miséreuses o˘ l'on vend des produits d'épicerie, des onguents au foutre de ~rapaud, des harnais pour tortues, des beignets de testicules de papillons et bien d'autres denrées dont tu trouveras la liste complète sur la table de ma salle àmanger (j'ai posé un pot de chambre dessus pour qu'elle ne s'envole pas).

J'admire les rizières superposées, irriguées gr‚ce àdes tuyaux en bambou o˘

des femmes coiffées d'un Llassique chapeau chinois, conique, en paille, sont courbées sur le riz amer. Des hommes labourent préhistoriquement, à

l'aide de charrues de bois tirées par des buffles à la gibbosité

dodelinante. Nous doublons des charrettes à ‚ne, des vélos disloqués, des pétrolettes fumantes, des chiens errants, des poulets téméraires.

La circulation reste dense, o˘ qu'on se rende: tant de gens peuplent cet archipel! L'homme grouille comme l'asticot sur la charogne.

Mais donc ayant enfilé les kilomètres sur le fil notre compteur (encore valide malgré son cinquièen~ tour de piste), nous atteignons cette ville de Beiharan objet de notre curiosité.

C'est une cité importante, avec un quartier relati* ment neuf, un palais du gouverneur en forme de " U et une infinité de maisons basses. Les rues sont la p des vélos-pousse-pousse. Ils semblent être, ici, le prin~ cipal moyen de locomotion. Il en est de toutes couleurs, avec, peints sur leur carénage de bois ou tôle : des dragons, des garudas hirsutes, des danseusci peu vêtues, des poissons monstrueux, des araigné~ géantes, le portrait de Marilyn, celui d'Einstein tirant h langue, ceux de Charlot, de Le Pen (à

jouir), d'Eliza beth II, de Rambo, du chandelier Vouestalman, de Superman, de Stef de Monac, de Lili Pute, de Canuet, de mon cul, du tien, de Tarzan, et de la reine Babiole de Belle-Chique.

-

Tu espères retrouver Lassale-Lathuile dans cette fourmilière?

demande Jérémie.

-

Il va bien falloir. Cela dit, la chose n'a rien de compliqué car les hôtels, ici, ne doivent pas être très nombreux. Affrétons chacun un vélo-taxi et parta. geons-nous la besogne. Rendez-vous à la camionnette.

Mais au bout de deux heures investigatrices, nous nous retrouvons bredouilles.

-

Il a d˚ descendre sous un faux nom ou chez un particulier, émet M.

Blanc.

Sa suggestion ne me convainc pas. J'imagine mal mon contrôleur accueilli par des autochtones, et il n'est pas homme à utiliser des papiers d'emprunt!

-

En route! fais-je.

-

Pour o˘?

-

Le sultanat de Kelbo Salo o˘ vont avoir lieu les fêtes du couronnement!

-

Tu espères l'y trouver?

-

Je le renifle!

Et bon, nous voilà partis en ferraillant sur une route rectiligne à travers des rizières, des étangs géométriques o˘ grouillent des canards d'élevage et des forêts embaumant l'eucalyptus (odeur franchement dégueulasse à vrai dire, puisqu'elle évoque pour moi l'appartement de ma tante Pernichet, à

demi impotente, qui n'en finissait pas de mourir, mais qui conservait assez de

~

forces pour me glisser une piécette lorsque j'allais lui rendre visite; je ne lui demandais pas d'autres preuves de sa vitalité).

-

Tu crois qu'il va assister à ces fêtes du couronnement? murmure le tout-noir.

-

Ce voyage tombant pile au moment des cérémonies ne peut être une coÔncidence.

-

Il est plutôt bizarre, ton contrôleur, non?

-

De plus en plus.

M.

Blanc, forgé à mon excellente école (t'occupe pas de mes chevilles, je porte des bandes molletières de papa qui fut chasseur alpin), croit opportun de résumer:

-

Il fait un court voyage en France avant de partir pour l'indonésie.

Pendant cette absence, on tue sa femme et on fait disparaître le corps.

-

Exact! C'est mon Boléro de Ravel à moi aussi.

-

Il s'envole en compagnie d'une femme blonde qu'il fait passer pour son épouse.

-

Textuel!

-

En arrivant, il se met en cheville avec un antiquaire chinois dont l'officine passe pour être le P.C. d'un réseau d'espionnage, et fait l'emplette d'une arbalète.

-

Juste!

122

LE CRI DU MORPION

-

Nous nous pointons alors dans son hôtel o˘ l'on refroidit une fille que tu venais de baiser.

-

Incomplètement!

-

Nous nous mettons à la recherche de l'antiquaire, lequel refuse de casser le moindre mot sur LassaleLathuile.

-

En effet!

-

Trois heures après notre visite, tu découvres le Chinois trucidé, ainsi que son principal collaborateur.

-

De profundis!

-

Nous apprenons, à notre retour, que ton mystérieux contrôleur et sa souris sont partis prématurément de l'hôtel.

-

Vrai!

-

Alors un couple de faux policiers nous rend visite et s'arrange pour déposer une mallette piégée dans notre appartement.

-

J'en frémis!

-

Mais je déjoue leur ruse et c'est eux qui dérouillent.

-

Amen.

Un silence.

Si je puis dire, car la camionnette avance pratiquement sur les coudes en traînant ses pattes de derrière. Nous conduira-t-elle jusqu'à ce fabuleux sultanat de Kelbo Salo o˘ doivent s'opérer des féeries javanaises?

Le radiateur fume. Les bielles cliquettent! Les soupapes caquettent! Le reliquat de la carrosserie s'émiette. Mais la superbe mécanique, héroÔque, vaillante malgré son hémorragie d'huile et d'eau, finit par nous amener (à

vingt à l'heure) dans ce sultanat d'Emile et une nuits. A vrai dire, sa frontière est théorique et tu y pénètres sans t'en apercevoir.

Kelbo Salo, si elle n'avait pas de sultan, ressemblerait à Saint-André-le-Gaz (Isère). Seulement, il y a le palais, immense, malgré qu'il ne comporte pas d'étage. «a décrit des " H ", des " U ", des " Y " sur un LE CRI DU MORPiON

123

immense terre-plein agrémenté de massifs, de pelouses et d'arbres rares.

Non loin, se dresse le temple de Tankilyora Déshôm, pareil à un formidable g‚teau gris, peuplé de bouddhas de pierre aux multiples attitudes. Un qui parviendrait à tourner autour de l'édifice à toute pompe croirait voir un dessin animé!

Le lieu étant hautement touristique, des hôtels se sont construits dans les parages. Dieu merci, on les a fait rampants pour ne pas déflorer la beauté

du panorama. L'agglomération ressemble à Beiharang, en petit. Elle foisonne de magasins o˘ l'on vend des saloperies-souvenirs made in TaÔwan: le palais du sultan peint sur écharpe ou éventail, le temple-encrier, la colonne de Sang Tiag en godemiché, et puis des portraits, réalisés en ailes de papillons, de Tronch' Del‚r, le défunt sultan, ceux de Bézaphon, le nouveau; celui qui boit quotidiennement le sang de trois pigeons pour avoir la queue raide et qui rectifie les stropiats sur les routes au volant de ses Ferrari dont on a peint les portières à ses armes.

Un vrai bazar, Kelbo Salo! Légèrement Tivoli Park, dans le genre! Des restaus à n'en plus finir: indonésiens, chinois, italiens, coréens. Des étals en plein air. Beignets, beignets! La friture est l'opium du peuple.

Une fois frit, tout devient comestible. Fais frire tes chaussettes, ta capote anglaise de la nuit, ta Swatch, ton porte-monnaie, et tu t'apercevras qu'ils sont mangeables. Le miracle! Les famines nombreuses conjurées par l'huile bouillante!

Juste comme on atteint ce pays surprenant, notre camionnette rend l'‚me.

Genre infarctus, situ vois. Le moteur a une intense crispation. II émet une plainte d'arrachement. Et puis il déclare forfait.

- C'est quoi, comme marque? demande calmement M. Blanc.

Bonne question! A laquelle je ne saurais répondre.

Elle n'a plus d'identité, cette carcasse. C'est de l'épave non identifiable.

-

Je raconterai partout que c'était une Peugeot, fais-je, gagné par un élan patriotique. D'ailleurs, qui sait si ça n'en est pas une pour être capable d'un pareil exploit?

Je croise mes bras sur ce qui subsistait du volant.

-

Eh bien, voilà, fais-je. Après la Croisière Jaune de Citroên, il fallait vivre cette épopée.

-

D'autant que la récompense était au bout! ricana Jérémie.

-

Pardon!

-

Regarde là-bas, à droite, dans ce restaurant, la table au ras du trottoir.

Je regarde. Vois.

Mon ‚me s'élève à toute vibure jusqu'au Seigneur qui n'a plus qu'à la cueillir entre le pouce et l'index.

Lassale-Lathuile et sa blonde amie sont en train de bouffer un plat de truman kapok en se regardant dans le blanc des oeufs. Il lui caresse le dos de la dextre du bout de sa senestre.

Ainsi donc, mon pressentiment était fondé (et même fondé de pouvoir!) : le couple est bien venu s'installer au sultanat de Kelbo Salo! ‘ joie étincelante du triomphe, comme tu nous réchauffes bien l'‚me et sais galvaniser notre énergie!

-

The foot! balbutié-je.

-

que décide le grand chef blanc? demande Jérémie.

Je mate alentour, avise un petit hôtel sur ma gauche.

-

Je vais aller retenir une chambre double à l'hôtel Pôv Kong; toi tu resteras en planque et tu filocheras nos tourtereaux quand ils quitteront le restau. Comme Lassale-Lathuile me connaît, il n'est pas pensable que j'accomplisse le boulot.

Je quitte la camionnette pour toujours, vu qu'elle est définitivement out et moi pas

Le Pôv Kong n'est pas le Hilton. Tant sans faute. La réception? Une grande salle peinte en rouge et vert, avec un bar, un juke-box, des tables en bois verni, une banque constellée d'affiches touristiques et l'inévitable garuda de service sur un socle. quelques marionnettes hideuses accrochées au mur et voilà!

Derrière la banque, un gonzier boit de la bière en boîte sous les pales harassées d'un ventilateur. C'est un petit crevard couleur merde d'hépatique, qui croit porter la barbe parce qu'il a laissé pousser sept poils àson menton (je les ai comptés). Curieux comme ils sont généralement imberbes, les Asiatiques. Le système pileux naze en plein. Leurs poitrines m‚les, juste un ou deux filaments comme ceux que t'abandonnes dans ton bidet à chacune de tes blablutions.

Lui, ses sept poiluchards lui confèrent une personna'lité. II se prend pour Confucius. Mais moi, je trouve oette maigre végétation plutôt débectante.

Je la découvrirais dans mon potage au poulet, je gerberais instantanément!

Je lui explique que j'aimerais une chambre à deux lits. II boit une gorgée de bibine et me rote un grand coup dans les naseaux.

-

Après vous s'il en reste! lui dis-je.

II

m'explique alors qu'une chambre à deux pieux, oui, d'accord, mais pour cette nuit seulement et qu'il faudra déménager demain, biscotte tout l'hôtel est loué pour la fête du couronnement.

Tu me connais? Ni une ni deux, l'Antoine.

Je tire un bifton de cinquante dollars et l'étale sous son nez.

-

Vous avez déjà vu un machin comme ça?

-

Sur la couverture d'un livre de Sulitzer, il répond. Mais dans la réalité, jamais.

-

Vous seriez chiche de convertir cette coupure en roupies de sansonnet?

126

LE CRI DU MORPION

Non, mais en roupies indonésiennes,

ment.

- Si vous pouvez me laisser la chambre encore, ce billet est à vous.

Il hoche la tête, feuillette son grand livre

prenant une bonne décision, il biffe une ligne dans réservations.

- C'est comment, votre nom?

Je le lui dis et il l'inscrit au-dessus de la rature Je dépose alors la photo du général Orant sur sous-main. Le caméléon met davantage de temps gober un insecte que lui a enfouiller le talbin. Avec viatique, il va pouvoir: faire opérer sa vieille mère la vésicule biliaire, marier sa jeune soeur, s'offrii

mobe, repeindre son appartement, se faire sucer par ies putes du coinceteau, acheter des actions Bouygues et s'associer avec le patron de l'hôtel.

La question du logement étant réglée, je vêtis nie reposer un brin en attendant des nouvelles du noiraud.

Du point de vue sanitaire, j'ai vu mieux. La douche coule goutte à goutte, ce qui te contraint à un séjow prolongé sous son pommeau de zinc qui ressemble àune fleur de tournesol dépétalée. Une savonnette de la dimension d'un caramel, mousse miséreusement sur ma peau irritée par le fatigant voyage. Le rideau de plastique ne tient plus que par un seul anneau et pend de la tringle comme un drapeau de reddition au bout de son b‚ton. Pour me rincer, tu parles d'un jeu dt patience! Agacé, je décide de me rabattre sur lavabo.

Juste que je déquille du bac, j'aperçois une silhouette dans la chambre, dont j'avais laissé la porte entrouvert puisqu'elle ne comporte pas de serrure. Sur l'instant, je me dis qu'il doit s'agir de la femme de chambre.

Mais que ferait-elle dans une pièce qui ne comporte que deux lits bas, une table, une chaise et une armoire murale?

LE CRI DU MORPION

127

Mes sens en alerte, comme on écrit toujours dans ces d'action qui foutent de l'urticaire aux critiques littéraires, je m'approche en tapis noir pour en

savoir davantage sur les Indonésiens qui bougent. Et sais-tu ce dont j'aperçois?

Ecoute, je veux bien t'y dire, mais tu vas te tapoter la barbichette comme quoi je te bourre la caisse. Sceptique à ton point, y a qu'une fosse d'aisance! Et encore, elle a un petit " c " de moins!

Mais moi, la vérité prime tout! Libre à toi de ne pas me croire, Magloire.

Je vais mon train et c'est pas un enfoiré de ta basse espèce qui me détournera le cours de la sincérité. Je pars du principe que l'homme qui dit vrai finit toujours par triompher.

Alors, bon, ouvre tes baffles en grand.

Dans ma pauvre chambre de pauvre hôtel, vient de s'introduire un mec vêtu d'un jean et d'un T-shirt blanc. Il tient à la main une petite cage grillagée à l'intérieur de laquelle se trémoussent deux petits reptiles brun‚tres. L'homme est ganté. Il sort de sa poche arrière, une petite bombinette du genre spray et l'actionne sur la cage. Les deux serpents ne tardent pas à s'immobiliser. Alors, l'étrange visiteur soulève un coin du drap, au pied du lit, ouvre la cage, coule sa paluche dedans afin de cueillir L'un des reptiles et le glisse à l'intérieur de mon pucier. Il rajuste le drap, passe au second plumard et renouvelle l'opération. Sympa I Je te parie tes génitoires contre mon stylo Bic que les deux serpenteaux appartiennent à une espèce venimeuse et que si je m'étais zoné avec un tel locataire, j'aurais pris le T.G.V. pour Nécropole City.

Une mort pareille, faut être viceloque!

N'écoutant que ma rogne, j'écarte davantage la porte et bondis sur le mec qui vient tout juste de se redresser. II chope ma boule sur sa nuque et ça le plonge instantanément dans les extases. Le voici affalé en travers du plumard. Pour lui faire le bon poids, je le

128

LE CRI DU MORPION

retourne et lui cloque au bouc un taquet haute fidélité qui le c‚ble sur le néant. Son pif a explosé et sa figure fait maintenant songer, soit au drapeau japonais, soit àM"~ Thatcher sur la chaise d'examen de son gynéco logue.

N'ayant pas de liens à dispose (comme il n'existe pas de rideaux aux fenêtres, je ne peux en prélever les cordons), je le dépouille de son T-shirt, lacère celui-d et en tire de quoi lui ligoter étroitement les poigneU dans le dos. Cela fait, je me rinçotte enfin à la faible dégoulinette du lavabo et me refringue. quand je pense que si la douche avait fonctionné normalement, je n'en serais pas sorti prématurément et donc n'aurais pas aperçu l'homme aux reptiles, j'en ai des fourmis dans la moelle pépinière.

Usant du verre à dents (oui : il y en a un !), je verse de la flotte sur la bouille de mon visiteur. C'est un procédé de réanimation simple, peu co˚teux et infaiI~ lible.

Très vite, l'intrus soulève ses paupières et pose sur ma pomme un regard oblique, pareil à deux traits àl'encre de Chine (encre c‚line, encre d'amour).

- Je n'ai pas cogné trop fort? lui demandé-je.

Il

reste sans réaction.

-

Vous parlez anglais? Mutisme.

J'avise un sac en plastique, près de la porte, qui, probable, lui a servi à

transporter la cage des serpents. Je m'en empare et en coiffe l'homme jusqu'aux épaules.

- Je vais le fermer autour de votre cou, préviens-je. Si vous voulez que je vous en débarrasse, il faudra me le demander; mais en anglais, car je ne parle pas votre langue. Et si vous ne parlez pas l'anglais, apprenez-le d'urgence.

La paroi du sac se gonfle et s'aplatit, comme la vessie d'un appareil respiratoire. Très rapidos, le gars étouffe.

LE CRI DU MORPION

129

Il

se trémousse, mais comme il a les bras entravés et que je suis assis sur ses maigres j‚mbes, ça ne tire pas àconséquence.

Au bout de peu, il me demande de le délivrer. En indonésien pour commencer mais, comme je ne bronche pas, il se rabat sur le dialecte de William (1).

L'ayant contraint à avouer sa culture, je le dessaque. Son asiatisme prononcé l'empêche de rubiconder, toutefois il paraît sérieusement incommodé par ce début d'asphyxie. quand sa respiration a retrouvé une vitesse de croisière qui le rend apte à une conversation, je lui pose différentes questions groupées qu'on pourrait résumer par: " qui vous envoie et pourquoi veut-on absolument mettre fin à mes jours glorieux? "

Là, mutisme. En anglais, certes, mais mutisme tout de même!

-

qu'à cela ne tienne, lui dis-je.

Et je déboutonne son faizoche, histoire de le dépiauter. Il porte un slip lamentable, de couleur jaunasse (par précaution) et plus troué qu'un ennemi d'Al Capone.

II

doit un moment se demander si j'entends le sodomiser, mais je m'empresse de le rassurer.

-

Au dodo, l'ami!

Lors, j'ouvre le haut du lit et entreprends d'y loger ce vilain mecton. Mon flegme, mon esprit de décision, mon mutisme, lui en imposent.

-

Non! fait-il.

-

Oh! que si! rétorqué-je.

-

Je vais parler! ii promet.

-

Alors vite! je lui fais.

-

J'appartiens au Suey Sing Tong! il révèle.

-

«a consiste en quoi? avouéjemonigflOraflCé.je.

-

Une société secrète chinoise, explique-t-il.

-

Mais vous n'êtes pas chinois? m'étonné-je.

(1)

Shakespeare, évidemment.

-

Je travaille tout de même pour le Suey Sing Tong, qu'il insiste.

-

Et alors? l'incitéjapoursuivré-je.

-

Le Suey Sing Tong a décidé de vous mettre àmort, fait le salopard.

-

Pourquoi? incompréhensé-je.

-

Il a ses raisons, analyse le coquin. Et je ne les connais pas.

-

Comment m'avez-vous trouvé? curieusé-je.

-

Le Suey Sing Tong savait que vous alliez arriver ici et vous y avez été attendu, m'élucidelemystère-t-il.

-

Vous vous étiez préparé avec vos gentils serpents? crois-je opportun de plaisanter.

-

En effet, reconnaît ce démoniaque personnage.

-

Vous étiez combien à m'attendre? m'enquiers-je.

-

Je l'ignore, j'ai été prévenu que vous arriviez àl'hôtel Pôv Kong et que je devais agir immédiatement, explique-t-il.

-

quel est votre nom? lui demandé-je-t-il.

-

E' Loi, briève l'homme.

-

Adresse? jeté-je.

-

Marché aux Oiseaux de Kelbo Salo, me renseigne-t-il.

Moi, ça commence à me faire frissonner des claouis, oette historiette. Les sociétés secrètes chinoises, merci bien : j'en ai entendu causer; paraît qu'avec elles sur le paletot, t'as peu de chanú de vivre aussi vieux que le Mikado (d'anniversaire). Sachant que mon arête de mort est signée, je peux réciter mon acte de contradiction (ou de construction).

Mais enfin, pour l'instant, je suis toujours sur mes pattes de derrière, hein? Et c'est primordial.

-

Je vais délier vos poignets et vous récupérerez vos serpents, l'ami, enjoins-je.

Je lui montre la cage.

Ses liens de fortune tombent. Avec précaution, il rabat le drap et la couvrante du plumard. Le reptile brun commence à

s'agiter. L'homme avance sa main droite toujours gantée et le cueille derrière la tête. V'là le serpentin qui fouette l'avant-bras du gus avec sa queue. Tenant l'horrible bête à bout de bras, il l'approche de la cage ouverte mais, pile au moment de l'y couler, il a une volte brutale et me propulse le serpent à travers la gueule. L'Antonio, tu le sais par coeur, non? Tu parles que cette feinte à Jules, je m'en gaffais gros comme ta connerie.

Pile qu'il a son geste homicide, je bondis de côté. Le conseiller privé de la mère Eve frappe le mur et tombe au sol. Double bond sanantoniesque: à

droite pour mettre un coup de talon sur la tronche du reptile, puis àgauche pour filer mon poing dans la m‚choire à E' Loi. Les deux sont groggy.

J'achève le petit serpent avec une rage décuplée par la trouille.

N'ensuite, j'ouvre avec précaution le deuxièmeplumard et j'y fourre mon petit dresseur inanimé. Cela perpétré, je le borde avec précaution, place l'unique chaise face au lit et attends.

Les k.-o. ne sont jamais longs, ou alors ils débouchent sur la méchante commotion cérébrale, mais ce n'est pas le cas précisément.

Le zigoto bat des ramasse-miettes. Il mate le plaftard, puis son regard panoramique jusqu'à moi. Je lui adresse un bon sourire.

-

Remettez-vous, E' Loi, vous avez tout votre temps, lui dis-je gentiment.

Sa pensarde envapée se rebranche sur le groupe électrogène de secours. Ses idées repartent doucettement. Et puis il réalise enfin o˘ il se trouve et a un sursaut terrifiant. L'homme bondit hors du lit. Ce faisant, il entraîne avec soi le deuxième serpent qui vient de planter ses chailles dans le mollet maigrichon du bonhomme.

Il

s'aperçoit du cadeau et alors, c'est l'épouvante glacée, le renoncement éperdu. E' Loi sait qu'il est déjà

132

LE CRI DU MORPION

rectifié. Il reste debout entre les deux plumards, k yeux exorbités sur cette espèce de lanière sombi accrochée à sa jambe. Puis ses lèvres se retroussent, sa regard s'éteint, il glisse lentement le long de lui-mêni et meurt sur le tapis de raphia.

L'esprit d'E' Loi vient de s'envoler!

Après avoir carbonisé le deuxième serpent, je replace les reptiles dans leur cage et me prends àréfléchir. que faire de ce nouveau cadavre qui m'échoit?

La lumière se fait toujours dans mon cerveau. Curieux comme un rêveur de mon espèce est capable de se montrer pragmatique à l'occasion. Mes délirades les plus fumeuses finissent inexorablement par déboucher sur du concret.

Ainsi, tandis que je mate le petit corps convulsé, une image me vient, un paysage pour être précis, celui que j'ai aperçu par la fenêtre de ma salle de bains, à savoir un champ en friche s'étendant à l'arrière du motel. Je me dis qu'il me suffira de passer le cadavre d'E' Loi par la fenêtre, après lui avoir remis son pantalon, puis de

contourner le bungalow pour l'aller récupérer et le L traîner dans le champ. Je l'abandonnerai dans les

hautes herbes, non sans avoir ressorti les serpents de la cage pour les placer sur lui. Ainsi, comme il est défunté d'une morsure venimeuse, les choses paraîtront-elles claires à ceux qui le découvriront dans cette posture.

Content de moi, j'entreprends de rhabiller le gonzier et le traîne d'ores et déjà dans l'humble salle d'eau. Ne

134

LE CRI DU MORPI‘N

me reste plus que d'attendre Jérémie d'abord, la nuit ensuite, afin d'agir le plus confortablement possible.

Une belle et forte période méditative succède, qui me fait passer par des phases contradictoires. Tantôt je suis abattu à la perspective d'être condamné et harcelé par cette société secrète chinoise, le Suey Sing Tong, tantôt j'éprouve des élans galvanisateurs en constatant que la providence veille et que je me sors régulièrement des sacs d'embrouilles fomentés contre moi. Courage et vigilance! Foi en soi et en son bon droit! Bayard des temps nouveaux, je triompherai.

Vaincu (ou vingt cons, je ne suis pas sectaire), je glisse dans une somnolence qui finit par devenir du vrai sommeil en bonne et due forme.

C'est l'arrivée de M. Blanc qui m'en extrait.

Il

relourde et dit en s'écroulant sur la chaise:

-

Je suis exténué; j'ai besoin d'une bonne douche.

-

Exact, admets-je, tu sens la litière de lion que l'on n'a pas changée depuis huit jours.

Il

hausse les épaules.

-

Faudra qu'un jour je t'emmène passer des vacances à Jébobola, mon village natal, qu'on te fasse un peu chier, mes potes et moi avec ta blancheur Persil et ton odeur Cadum.

-

Du nouveau, fils du fleuve?

-

Le couple infernal est descendu à l'hôtel T4pa-touv˚ qui est le plus luxueux du patelin.

-

Le plus luxueux ou le moins dégueulasse? demandé-je en suivant le cheminement d'un gros insecte noir au plafond.

-

Mais avant de s'y rendre, dit Jérémie, LassaleLathuile s'est livré

à une opération assez étrange. Il a gravi toutes les marches du temple de Tankilyora Deshôm, situé en face du palais, pendant que sa bonne femme l'attendait, au pied de l'édifice, un livre à la main. Il est monté

jusqu'au gros bouddha de pierre qui

LE CRI DU MORPION

135

termine la construction. Celui-ci est creux et ton contrôleur s'est glissé

à l'intérieur.

-

Je suppose que tous les touristes doivent avoir cette réaction?

-

C'est probable, mais je me demande si tous y restent une demi-heure.

-

Il est resté une demi-heure dans ce bouddha creux?

-

Pour le moins. Sa gonzesse lisait patiemment en l'attendant.

-

Il serait intéressant de voir à quoi ressemble ledit bouddha.

-

Je m'y suis rendu. Cent quarante-quatre marches, je te recommande l'exercice!

-

Et alors?

-

Alors, rien. Zéro. C'est vide, il n'y a que des papiers de chéwing-gum ou de cigarettes. J'ai même déniché une capote anglaise racornie et un tube de rouge à lèvres écrasé, c'est tout.

-

qu'est-il allé fabriquer dans la statue?

-

Observer le palais, probable, car la vue y est imprenable.

-

Il avait un appareil photo?

-

Tiens, oui, en effet.

-

Il a d˚ s'offrir son petit reportage; l'endroit se présente comment?

-

Cela forme une énorme cloche. A vrai dire, l'on peut se tenir entre la statue et les parois de la cloche de pierre qui sont ajourées.

-

Et après la visite au bouddha?

-

Ils ont fait quelques emplettes dans la rue marchande, ensuite ils ont regagné leur hôtel.

-

quel genre d'emplettes?

-

Un grand couffin d'osier et des cartes postales. Bon, je me paie une douche, j'en rêve depuis des heures.

Moi, farceur comme tu me sais, je le laisse faire. Il se dessape entièrement et pénètre dans la salle d'eau. Je m'attends à

l'entendre glapir et à le voir réapparaître en vitesse, mais point. Le bruit de batteuse de la douche retentit. Tiens, il a plus de chance que moi car l'on entend couler de l'eau en abondance: la pression a d˚ revenir. M.

Blanc chante. «a fait un peu mélopée car c'est un truc des rives du fleuve Sénégal. quand il réapparaît, ruisselant, beau comme un dauphin, mais plus noir qu'un dauphin, essuyant son corps athlétique avec une serviette déchiquetée grande comme un mouchoir de boche, il me demande, enjoué:

-

C'est qui, le petit bonhomme mort?

Sans s'émouvoir, l'artiste. Comment qu'il m'a bité avec son flegme, le Britiche chocolat.

Je lui raconte l'anecdote et la manière dont j'envisage de me séparer de ce client inattendu. Il approuve.

-

Tu as raison. Mais, franchement, elle n'est pas de tout repos ton enquête. Le jour o˘ tu es allé tirer la femme de ce contrôleur, tu aurais mieux fait de t'embourber ta bonne espagnole (il est au courant pour Maria). On va bien finir par se faire aligner, à force!

-

Prenons les devants, soupiré-je. La meilleure défense, c'est l'attaque!

C'est vachement clitoresque (Béni dixit), le marché aux zoziaux. Imagine des venelles bordées de cages de bois et de cahutes, au sol fangeux, grouillant d'une populaú en effervescence. Sur un demi-hectare, des volières rudimentaires o˘ se trouvent rassemblées des centaines d'espèces de vertébrés ovipares couverts de plumes, à respiration pulmonaire, à sang chaud, dont les membres postérieurs servent à la marche et les membres antérieurs au vol. On trouve de tout, que disje, TOUT! Des coqs de combat, des garudas (vivants), des pigeons teints en violet, des perroquets muets, des bengalis, des oisons, des dindes blanches, des canaris, des flamants, des corbeaux, des aigles, des perncop

tes, des souÔmangas, des toucans, des tout-cons, des épeiches (à la traîne), des cygnes chanteurs, des choetooerques bourdons, des épimaques superbes, des tichodroines, des macareux, des grands tétras, des autruches, des pingouins, des hirondelles, des tourte-es, des grands-ducs, et jusqu'à

l'aigle du drapeau ~cain avec son air si con.

Les oiseaux sont en forte majorité, mais on y decouvre également des chatons, des chiots, des singes, des agneaux, des cabris, des fourmiliers, des agnostiues, des tubars, des chtouillés, des grimaldi, des isodiques, des concaves, des souris blanches, des rats ués, des rats musclés, des écureuils, des porcs, des

chons, des pourceaux, des gorets, des cochons d'Inde, des hamsters Grimblat, et des criquets destinés à nourrir une majorité des zoziaux à

vendre. L'endroit pue la fiente, la sanie, la plume, le grenier à grain, la ménagerie livrée à elle-même et la populace négligée. Nous sommes sollicités par les vendeurs qui nous ~proposent leur camelote vivante avec une fiévreuse insistance.

Des gaziers furtifs suggèrent de nous organiser des combats de coqs de trois minutes pour cinq dollars. Les volatiles, couverts de plaies et de plaques, attendent sous des claies d'osier. Mais nous deux, M. Blanc et messire Bibi, on refuse ces sanguinolentes distractions. On va, de marchand en marchand, demander o˘ habite un dénommé E' Loi. Personne ne semble le connaître. Peut-être prononcé-je mal son nom? Pourtant je reproduis fidèlement les deux syllabes que l'homme aux serpents m'a lancées.

L'homme aux serpents!

Trait de lumière! Dès lors, au lieu de réclamer E' Loi, je demande s'il existe dans ce monde animalier un marchand de serpents. Une petite femme rachitique, couchée sur des sacs, près des poulets étiques qu'elle vend, nous indique le chemin à suivre pour

trouver le logis de l'un des rares marchands de reptiles de ce singulier marché.

Sans trop d'encombres, nous finissons par découvrir une cabane de planches, peinte en vert, aussi déglin~ guée que les autres constructions. Un vieux mec se tie assis devant la porte, en train de manger un bol de riz qu'accompagnent des denrées nauséabondes. Man de pot, il ne parle pas l'anglais.

-

Laisse-moi faire, intervient Jérémie.

Voilà mon pote qui s'accroupit devant le vieillard, et commence à lui esquisser des mimiques ponctu d'onomatopées. Le dabe paraît entraver le discourt Lui aussi pousse des cris brefs et fait des gestes avec ses baguettes.

-

Tu peux me traduire, grand?

-

Il nous propose de visiter sa collection de reptiles à l'intérieur pendant qu'il finit de bouffer. Prière de ne pas toucher car il y a des clients venimeux.

-

Il connaît E' Loi?

-

Il dit que c'est son fils, mais qu'il n'est pas encore rentré.

-

Donc, nous avons frappé à la bonne porte. Il va falloir trouver un véritable interprète car je doute que tu puisses communiquer avec lui quand on abordera le chapitre des subtilités.

-

quelles sont-elles? s'enquiert Jérémie avec hauteur.

-

Eh bien j'aimerais savoir pour qui travaille E'Loi et o˘ l'on peut trouver ses employeurs. Logique, non?1

-

Je vais le lui demander.

Nouvelle séance de morse, de grimaces et de sons gutturaux.

-

C'est quoi, ton dialecte? m'intéressé-je.

-

Celui qu'on emploie en Afrique pour communiquer avec des individus isolés dans la brousse.

La séance se poursuit, bizarre autant qu'étrange. Le vieillard continue de tortorer sa pitance calamiteuse. 'interrompant pour répondre brièvement à M. Blanc. J'attends patiemment, intéressé par cet échange du premier degré (et de l'‚ge du feu).

-

il dit que son fils ne lui parle pas de ses occupations, résume Jérémie.

Je pénètre dans la boutique et des frissons me viennent de partout à la vue de tous ces reptiles rassemblés derrière des grillages plus ou moins bien ajustés. Depuis le boa jusqu'à l'orvet, tu disposes d'une gamme variée.

Mais ce qui m'intéresse, c'est de découvrir, dans l'une des cages des bestioles identiques àcelles dont E' Loi a garni nos puciers.

-

Comment se fait-il que les marchands que nous interrogions prétendaient ne pas connaître le fils du vénérable bonhomme? remarqué-je.

Les deux hommes doivent être réputés étant donné qu'ils sont à peu près les seuls à faire commerce de serpents?

-

Tu oublies que nous sommes des étrangers et qu'E' Loi faisait partie d'une société secrète. La chose doit se savoir par ici et les gars ferment leurs gueules. Nous avons eu raison de nous adresser à une femme, moins méfiante, donc moins prudente.

-

Tu penses que l'ancêtre est sincère lorsqu'il prétend ignorer les activités de son garçon?

-

Mes couilles, oui! répond M. Blanc qui, décidément, se dévergonde à

mon contact.

Et puis bon, que je te fasse rire. A l'instant o˘ nous nous apprêtons à

vider les lieux, voilà deux types qui se pointent. Des Chinetoques. Ils portent des blousons de toile et des jeans. L'un d'eux est chauve comme l'oeuf de Christophe Colomb, le deuxième a des lunettes et un pétard à

silencieux en guise de parapluie. Il en dirige le canon bricolé dans notre direction, prêt à composter le premier de nous deux qui ferait un geste téméraire.

Le vieux rentre, portant son bol vidé de nourriture. Il ne regarde personne et passe dans la partie logement de

sa cagna. Espèce de bonze pourri! II nous a eus, j l'ancêtre, avec ses airs absents.

- que nous voulez-vous? demandé-je aux joye arrivants.

Comme si je l'ignorais, ce qu'ils veulent! Nous buter,1 tout simplement, puisque notre mort a été décidée par le Suey Sing Tong. Vont-ils le faire ici? That is the question. La mienne reste sans réponse.

Le chauve va rejoindre pépère dans son gourbi et ils se mettent à

parlementer.

Moi, je décide que nous devons jouer notre va-tout,

- C'est notre argent que vous voulez? insisté-je, chiquant les naÔfs. J'ai un millier de dollars sur moi et suis prêt à vous les remettre. Tenez!

Et je coule ma main dans ma poche pour cramponner la liasse de talbins qui s'y trouve. Je la sors vivement et la jette aux pieds du flingueur.

Il est dérouté par ce geste, hésite. L'espace d'un éclair, il décide que c'est bon à enfouiller, mille dollars, en dehors de son acolyte. Alors il se baisse, sans cesser de nous braquer, mais il va bien falloir qu'il jette un regard sur les piastres avant de ramasser la liasse, histoire de la situer~«a se joue à la fraction de seconde. Jérémie est plus rapide que ma pomme. Juste que le gars opère ce fameux regard, il bondit et lui shoote un coup de tatane à la m‚choire. Le mec tire mais la balle fait voler la terre battue de la boutique. Pour ma part, je saute à pieds joints sur la main qui tient l'arme. «a craque.

Le chauve réapparaît. Il porte la paluche à l'intérieur de son blouson. M.

Blanc a déjà attrapé une cage bourrée de reptiles et la lui fracasse sur le dôme. Son cr‚ne ovoide passe à travers le grillage et les serpents, intéressés, s'entortillent autour de sa frite. Le gazier se met à couiner comme un rat jaune qui vient de se coincer la queue dans un mixer.

J'ai ramassé le pétard du premier tagoniste. Le gus s'est redressé d'une détente souple, malgré sa main droite écrasée et me porte une clé chinoise au visage:

deux doigts en fourche. Dans les carreaux! Salaud! Je suis aveugle! Je braque le manchon d'acier du silencieux au creux de son bide au jugé, et j'en libère deux qui lui font exploser les entrailles, ça se met à puer les chiottes qu'on vidange.

Jérémie s'est précipité dans l'arrière-échoppe, il a ceinturé le marchand de serpents et me l'amène. Moi,

en avant, je pleure tout ce qui s'ensuit, des larmes de sang, tant tellement qu'il a failli m'énucléer, Chou Far-Ci. «a me br˚le dans les orbites jusqu'au rectum (de Savoie).

- II t'a crevé les lotos? demande M. Blanc.

- J'en ai peur; je n'y vois plus rien et ça me fait un mal infernal.

- Montre?

Je laisse tomber mes mains. Il regarde.

- Attends, je m'occupe du grand dabe et je te soigne. Je vais te faire le pudu duku comme on le pratique dans mon village.

J'attends. Je ressens des élancements dans mon cr‚ne. Il y a des zébrures incandescentes qui me fulgurent la tronche. Et de chialer à perdre haleine, bordel!

Un fracas retentit.

- que se passe-t-il, Jérémie? imploré-je.

- Le chauve qui déclare forfait. Les serpents viennent de lui régler son compte.

Deuxième fracas.

- Et ça, c'est quoi, grand?

- Je viens de foutre le vieux k.-o. pour être tranquille.

Je l'entends farfouiller, à côté. Il s'affaire, remue de la vaisselle, fait couler de l'eau. Puis revient s'occuper de mes pauvres yeux.

- Lève la tête!

Je.

-

«a va te faire mal, mais c'est radical.

Il

soulève l'une de mes paupières et me colle sur la rétine quelque chose de gluant. Pas joyce! Pareil pour l'autre mirette. Je geins.

-

Ne touche plus et reste cinq minutes tranquille, Sana.

-

C'est quoi, ta charognerie?

-

Un onguent rapidement fait avec de l'huile, un jaune d'oeuf et de l'urine.

Je sursaute.

-

Mais, bonté céleste, ta pisse constitue votre panacée, à vous autres, les bougnes! Y en a dans toutes vos décoctions!

-

N'empêche qu'on guérit, mon pote! Te faut considérer la finalité

des choses. Dans cinq minutes, tu te rinceras l'oeil et tu auras recouvré

la vue!

Ainsi fut fait.

Un peu trouble et cuisante, vacillante aussi, la réalité sinistre m'est bientôt rendue. Je vois les deux Chinois morts. Plus des reptiles que Jérémie a écrasés parce qu'ils se barraient de leur cage disloquée. Sans parler de pépère toujours groggy. car M. Blanc possède une droite à côté de laquelle celle de Cassius Clay n'était bonne qu'à donner des chiquenaudes.

Beau temps pour les calliphores (1). Maintenant c'est Verdun entre le Suey Sing Tong et nous! On leur a offert, en trois séances, une espèce de massacre de la Saint-Valentin, aux Chinetoques! Franchement et en toute objectivité, je nous donne pas une chance sur cent trilliards de ramener nos abattis à Pantruche autrement qu'en cercueils plombés. Ils nous cernent. Ils nous possèdent!

-

On fait quoi? s'inquiète Jérémie.

Et moi:

LE CRI DU MORPION

143

- Le fcteur diance n'est père épais, en ce -mes concerne, mon pauvre -.

llh~fl5.j~td~5. «a, II le savait, merci. Alors de

-

On reste ici! lui dis.je. Du moins pour listant.

Derrière la case du snack-shop, l'est une courette pestilentielle o˘

s'entasse un fourbi effrayant. D'abord, y a les chiches, et ça, comme bouquet d'Orient, tu peux pas rêver mieux! Un trou plein de merde avec un bout de tôle devant. Puis un poulailler branlant o˘ S'entassent des volailles étiques et déplumées. Ensuite un tas de fumier nauséabond. Et puis des ferrailleries tellement rouillées et mutilées qu'on ne peut plus reconnaître leurs origines.

Jérémie et moi, nous allons jeter sur le tas de fumier les deux carcasses qu'on recouvre ensuite de plaques de tôle. PuIs on s'installe dans la masure du vieux, lequel est ligoté dans un coin noir et un peu b‚illonné de surcroît.

Nous décidons de rester placardés chez monsieur pour y attendre des témps meilleurs et d'organiser un tour de garde afin de n'être point pris au tu sais quoi? Dépourvu!

Son logis se compose d'une pièce commune, sale, miséreuse, sans eau courante, o˘ les ustensiles de cuisine et le mobilier sont si rudimentaires qu'on aimerait y foutre le feu afin de repartir de zéro. Ladite pièce comporte un renfoncement o˘ s'alignent trois lits en planches recouverts de nattes de raphia et de

couvertures grises. La vermine doit s'en donner à coeur joie!

On trouve du riz à l'eau dans un chaudron, des oeufs dans un panier et on se confectionne un frugal repas destiné à colmater nos brèches les plus criardes.

Il fait nuit lorsque nous avons achevé de claper, car il n'y a presque pas de crépuscule dans cet admirable pays et le jour le cède à l'obscurité en moins de rien.

- Je vais prendre le premier tour de veille, annoncé-je, essaie d'en écraser un peu pendant ce temps.

Jérémie ne se le fait pas confirmer par lettre recommandée avec accusé de déception. qu'aussitôt, voilà sa grande carcasse sombre allongée sur l'un des lits-bat-flanc. L'obscurité se fait dans le recoin car il a fermé ses yeux, ce qui revient à éteindre les deux phares d'une bagnole! Cher brave ami à la souple démarche, aux cheveux à ressort, au pif en éteignoir de cierges, aux lèvres en forme de gants de boxe joints pour une supplique.

Dors, vaillant compagnon! Dors, mon bel animal de la chère Afrique!

Le vieux maugrée derrière son b‚illon enfoncé profond dans sa cavité

buccale vu qu'il a laissé son r‚telier au vestiaire. J'espère qu'il va bientôt roupiller, lui aussi. La présence des serpents m'incommode. Tu parles d'une compagnie! Avec les reptiles, si t'as pas la vocation, t'as plus que la ressource de serrer les miches.

Notre situation inconfortable me lancine la nénette. Traqués, réduits, acculés, terrés, guettés! Ils vont nous finir à la mitraillette, je sens venir. «a m'a l'air vachement puissant et ramifié, ce Suey Sing Tong. que pouvons-nous entreprendre pour nous tirer de ce bourbier? Dans une, île et si loin de tout! A qui demander de l'aide? A l'ambassadeur de France? Il ne peut se permettre davantage qu'il n'a fait, dans sa position. Alors?

Je cesse de cogiter car quelqu'un toque à la porte de la boutique, laquelle est maintenue fermée par une traverse de bois tout comme les coffres de la Banque de France. Je me coule dans l'échoppe et vais risquer un oeil par une fente. J'aperçois une jeune fille indonésienne menue et que le clerc de lune (dont il faut tirer la chose) (1) nimbe d'une lumière opportune. Jolie, ne dirait-on pas?

Je mate soigneusement, pour si des fois elle représentait l'app‚t d'un piège à con, mais tout paraît calmos alentour. Bon, je délourde.

Elle entre en murmurant (en gazouillant devrais-je écrire si je n'étais pas aussi rustre) une phrase assez joyeuse de ton. Mais elle m'aperçoit et se chèvre (2).

- Klug wang moa l'po! fait-elle, effarouchée.

- Vous oseriez me répéter ça en anglais, en français, en italien, en espagnol, en serbo-croate, en luxembourgeois, en belge ou un monégasque?

lui souris-je.

Elle rassemble quelques brindilles d'anglais que, néanmoins, je vais te traduire dans le français le plus pur, pas qu'tu te fasses chier la bite dans les supposes paralysantes.

- qui êtes-vous et que faites-vous chez mon père?

«a, elle questionne.

- Je suis un compagnon de votre frère E'loi, impudé-je.

«a la rassure. Je rajuste la pièce de bois et nous pénétrons dans le logis o˘ vacille la courte flamme d'un quinquet.

Illico, elle entrave son dabe ligoté et regimbe.

- Kestang korfé Dukong? elle s'oublie à protester.

(1)

On parte sans cesse de tirer la chose au clerc.

(2)

San-A. a probablement voulu dire qu'elle se cabre. Ce con écrit tellement vite t

- Pas de panique à bord, môme! C'est une affaire d'hommes. Restez tranquille et tout se passera bien.

Tu sais qu'un quinquet n'a jamais suffi à éclairer chez Cartier un soir de Noèl, n'empêche (comme dirait Melba) que, quand y a plein de nuit autour, il fait son boulot. Moi, cette petite flamme dansante, symbole (mettons six bols pour faire un compte rond) de vie, me permet de mesurer l'extraordinaire beauté de la jouvencelle. quelle gr‚ce! que de charmes! Ce corps aérien, avec ses longues cuisses minces, ces seins menus mais fermes, ce regard en contravention (1), cette petite figure d'ange jaune aux merveilleuses pommettes! Je m'en ressens d'emblée pour ce ravissant moustique. Elle porte une robe noire, fourreau, qui colle à son corps jusqu'aux fesses, qu'à partir de là elle est fendue sur les côtés et c'est bandant, ma pauvre dusèche, mais bandant à t'en faire éclater la fermeture Eclair du bénoche. Bandant au point que la poche de ton slip kangourou ressemble à une jardinière dans laquelle on aurait planté un baobab.

- O˘ est mon frère? elle demande.

- Le Suey Sing Tong s'occupe de lui il n'a pas été correct.

Là, changement à vue! Elle vieillit de huit jours, la poulette! Ses traits se creusent, ses paupières s'amandisent, ses lèvres juteuses s'écartent sur un cri muet qui doit être de toute beauté.

- On lui fait du mal? blablutie-t-elle.

- Peut-être pas, évasié-je.

- Et à nous, on va nous en faire? s'inquiète la douce enfant en désignant son géniteur.

- Il n'y a pas de raison.

- Et alors, quoi vous faire ici? elle poursuit.

(1)

Là, San-A. a voulu dire en amende; mais faut pas qui croive que je vais lui corriger les fotes!

Et là je te l'écris dans son style histoire que tu te rendes marquis (1) du parler de mademoiselle.

-

Nous attendons des instructions.

Je pose ma main incoercible sur son épaule morganatique. Geste chaste, provisoirement. Besoin d'un bref contact. Cette gosse, j'aimerais la plaquer contre moi, soulever son capot et lui glisser langoureusement mon oncle Benjamin entre les cuissettes, juste pour dire, en camarades, manière que ça fasse plus intime, les deux. quitte, ensuite, à renvisager les choses pour une meilleure utilisation de nos attributs personnels.

Je plonge mes yeux dans les siens, en attendant mieux. Tu sais que je la chavire, cette gamine? Sans forfanterie! Elle est subjuguée (comme un pinson). Mon regard si intense, ma main si chatide sur sa peau! Elle en perd le fil de ses questions, cependant compréhensibles.

Je vais secouer Jérémie, lequel ronfle à tire-moi-larigot.

-

C'est à toi, grand, voilà quatre heures que tu en concasses! le bluffé-je.

Il

se dresse comme le puma réveillé en sursaut par une bonne odeur de choucroute.

-

O.K.! O.K.! fait-il en b‚illant et se fourbissant les antibrouillards. J'ai l'impression que je viens juste de m'endormir. qui est cette fille?

-

Celle de la maison.

-

Je ne l'ai pas entendue arriver.

-

Rien de détonnant, de la manière que tu roupillais. Gaffe-toi du vieux, pas qu'il nous joue un air de sa façon.

J'enlace la taille de la petite fleur de loto et l'entraîne sur une couche vacante. Est-ce ma séduction naturelle

ou la peur, toujours Estelle que la miss subit ma volonté sans réagir.

Tu sais que j'ai l'air pas trop mal parti pour Carambol City? Y a de la volupté pas loin, mec! Je la renifle depuis la meurtrière de mon futal.

Mais tu vas voir comme la vie est salopiote. qu'une joie t'amène une chiasse, immanquable! Au lieu de me réjouir de cette félicité probable, voilà qu'elle me pose problo. Je me demande conune quoi je vais lui grumer la craquette ou non, la gosseline. Tu n'ignores pas combien j'adore cette pratique avantageuse. Seulement je m'inquiète de savoir si elle étincelle du frigouni, mam'zelle. Elle le sait, qu'une jeune fille convenable doit toujours avoir le vecteur performant? Les produits de consommation courante, s'ils sont pas frais du jour, ils te coupent l'appétit! «a me tourmente la grosse veine bleue. L'indonésie, c'est pas la terre promise des frères Jacob et Delafon qui placent l'amour propre entre la baignoire et le lavabo.

Pourtant, à première narine, elle sent le clean, la frangine. Ses fringues ne fouettent pas la harde. Je me mets à lui bisouiller le cou. Et tu sais que ça paraît lui plaire vachement? J'ignore si elle s'est déjà laissé

enchevêtrer, Ninette, vu qu'il est coton de situer l'‚ge de ces gerces graciles. Elles peuvent t'annoncer douze piges comme quarante!

Je lui dégoupille sa robe. Le décarpillage n'est pas fastoche biscotte la manière dont elle est ajustée. C'est un peu le jeu des sept erreurs; mais pour que l'Antonio s'avoue vaincu dans la circonstance, faudrait un typhon de force 9 sur l'échelle de Beaufort. Elle est si coopérative que ça en devient fastoche.

Oh! les adorables petits roberts! Des calottes d'enfants de choeur! Les cabochons en sont superbes et délectables (de nuit). Tu verrais ce travail de menteuse! Six cents tours minute! Elle en roucoule d'aise, l'exquise!

Moi, une nière à qui je bricole les embouts,

je la laisse jamais en rade de la seconde loloche et lui frétille l'autre à

la mano, pas qu'elle roule sur une seule jante.

Lui ayant porté le comble aux émois mammaires (dites-moi, ma mère), je décide de jouèr mon va-tout sur son triangle de panne. Heureuse surprise, c'est aussi exquis qu'un esquimau Gervais praliné-pistache. On va pouvoir donner à cette aimable partenaire la pleine mesure d'un talent qui n'est plus à célébrer. Je la commence en finesse par le caméléon taquin, n'ensuite je poursuis avec l'hymne à la veuve dito pour, aussitôt après, lui administrer les lapages roses de la rousse. Un bonheur! Grandiose comme le Chant des Partisans!

Mais voici qu'il m'arrive un point féroce dans le dossard. Brutal! J'en ai le souffle interrompu. Et c'est pas dans cette reproduction (à l'échelle d'un million-nième) de la forêt amazonienne que je vais récupérer ma respiration. A demi asphyxié, je me désenfouis la frite de sa chaglounette.

Et je pige. Maman! Au secours! Il ne s'agit pas d'un point mais d'un coup de lingue. La garce a chopé un couteau (sous notre paillasse, je présume) et vient de m'en plonger la lame dans le dos. Elle s'apprête à récidiver.

Mais je bondis en avant et mon os qui pue (comme dit Béru) percute la pointe de son adorable menton, la mettant out.

-

Jérémie! gérémié-je.

Ma voix fêlée l'alerte. Il arrive.

-

Putain! résumelasituation-t-il. Putain d'elle!

Il

cramponne le quinquet, l'approche du lit et ouvre en grand les siens.

-

Charogne! Alors là, le Seigneur a fait quelque chose pour toi!

assure mon sublime équipier.

Il

regarde encore, palpant le pourtour de la blessure.

-

C'est l'omoplate qui a dérouillé, déclare-t-il. Elle t'a ouvert la viande sur dix centimètres au moins: on voit l'os!

-

Je pressens que tu as encore me pisser dessus, soupiré-je.

Il

élude:

-

Je vais te préparer un toubo glavio. J'espère qu'il y a du citron, de la pomme de terre et du piment dans ce gourbi de merde; pour la fiente de coq, je n'aurai qu'à me rendre dans le poulailler, dehors.

Pendant qu'il s'affaire (à repasser), je récupère le poignard de la gueuse, rougi de mon sang français si noble et courageux. Ma perfide séductrice est toujours dans le sirop. Son coup de saccagne me fait horriblement mal.

Première fois qu'une frangine m'aligne avec un surin pendant que je lui récite les paroles de la tyrolienne à étage.

Pétasse, va! Elle aurait pu prendre son fade avant de massacrer son groumeur de bigorneau! Je suis là à lui préparer le grand festin sensoriel, selon les préceptes de Brillat-Savarin, et la conne cherche à me planter!

Elle avait une occase unique de prendre son peton à la menteuse, l'idiote!

Car je te parie le petit chose des frères Troigros contre le gros du Petit-Chose qu'ils ne font pas minette, les Indonésiens. Musulmans comme ils sont, ça m'étonnerait! Croquer une chatte, ça doit les effarer d'y penser!

Le marchand de serpents, il possède un rouleau de fil de fer pour reglinguer ses cages branlantes; il me sert àsaucissonner ma meurtrière par défaut, et aussi son daron, du temps que j'y suis. Ces Asiates, il s'agit de s'en gaffer comme de la grêle, mon vieux.

Epuisé par mon effort, je me ventre sur le lit voisin et ferme les yeux.

J'ai le cr‚ne en sueur et la douleur que j'éprouve est si intense qu'elle me flanque mal au coeur. Dure veillée, mon pote.

M.

Blanc s'active à touiller des mélanges libidineux.

-

Allez, un peu de courage! fait-il en s'agenouillant.

Et de déchirer ma chemise trouée pour accroître sa liberté de manoeuvre. Ensuite, il m'oint le dos de sa reútte africaine et là, je chante, crois-moi! Si j'en crève pas, de ses mixtures dégueulasses, c'est que j'ai la vie dure! Le tétanos, connaît pas, ce moricaud!

-

Evidemment, il faudrait pouvoir recoudre la plaie, déplore-t-il, ça te laissera s˚rement un bourrelet.

-

Tant que ça n'affectera pas mon physique de thé‚tre, je me ferai une raison!

Il

essuie ses doigts embistouillés à la robe de la fille.

-

T'es un fieffé fumier, me dit-il. Contrairement àce que tu as prétendu, tu m'as réveillé au bout de vingt minutes!

-

Pardon, le démon de la viande me tenaillait mais dors, pour moi c'est une chose qui n'est pas près de m'arriver avec le mal que j'endure.

Il

ne se le fait pas tonitruer deux fois et s'allonge auprès de la môme.

Je pense à ma Félicie, à notre maison de Saint-Cloud, si douillette, à

Toinet-la-délure, qui met de la vie bordélique plein notre tanière. Et puis je songe également à Apollon-Jules, l'enfant des Bérurier qui séjourne davantage chez nous que chez ses indignes parents. Me sens en manque de mon univers familier. Si un jour je regagne notre logis, en priorité je calcerai Maria, la bonne dont l'existence s'est arrêtée à l'heure San-Antonio et qui ne vit plus que pour les furtives promesses et les rarissimes caresses que je lui consens. Elle l'aura, son coup de verge somptueux, l'Ibérique. La grande ramonée de saison dans les galoches! Sitôt que ma vieille ira au marka! Je me le promets solennellement. Faut pas torturer les ancillaires, c'est mesquin. Puisqu'elle raffole de mes coups de bite, je lui en fournirai,. Miss Poilauxpattes. Des fignolés, impétueux!

Des en levrette, histoire de bien lui bassiner le fourreau. Je veux qu'elle clame sa joie de vivre en espago, Maria!

I Des cris de volaille me font dérailler. Ce ne sont pas exactement des cris, plutôt des sortes d'exclamations comme les poulets en ont quand ils redoutent un danger. Je souffle la flamme du quinquet, j'assure la pétoire à silencieux du Chinois de naguère dans ma poche et je m'accroupis devant la porte vitrée donnant sur la courette, porte à laquelle il manque un carreau. C'est pas pour du beurre que les poulardins font ce ramage.

quelque chose les effraie. Un carnassier du genre renard? «a m'étonnerait.

L'oeil réduit aux laguets, je sonde l'endroit innommable, avec son tas de fumier, son accumulation de détritus, son sol boueux.

i

J'attends, certain qu'il va se passer quelque chose. Va-t-on escalader la haute palissade séparant l'endroit de la cour voisine? J'ai beau regarder, je ne vois rien de suspect. Le clair de lune crache épais.

Une lumière d'un blanc sinistre donne aux objets des ombres vénéneuses. Ce maigre et pauvre horizon comporte je ne sais quoi de menaçant.

Dans le poulailler, la volaillerie continue de paniquer. Je penche pour un rat en chasse. Doit y avoir de sérieux gaspards dans ce marché aux oiseaux, avec tous ces grains entreposés, toute cette sanie, cette paille pourrie, cette purulence.

Et voilà que je réprime un haut-le-corps, à cause de ma blessure. La lourde du poulailler vient de s'ouvrir, de l'intérieur! Un mec courbé en avant sort, bientôt suivi de deux autres. Je pige pourquoi ça ramdamait chez les volatiles: les survenants sont entrés dans le poulailler depuis l'extérieur, en arrachant les planches. A l'abri de cette rudimentaire volière, ils l'ont eue belle de surveiller les lieux. Comme j'ai éteint la lumière, ils ont décidé d'intervenir, car c'est pour nous qu'ils sont laguches, les drôlets! N'en doute pas! Ne voyant pas réapparaître leurs deux tueurs hier soir, ils ont compris qu'on les avait neutralisés et ils ont dépêché la souris

pour nous seringuer à la langoureuse. Maintenant, ils viennent pour contrôler ou terminer le boulot.

-

Jérémie! appelé-je.

Mais l'autre pomme, exténué, ronfle comme un métinge d'aviation. Si je remue ou gueule, je donnerai l'alerte à ces trois vilains, lesquels sont à

moins de cinq~ mètres de moi. Celui qui avance en t&e tient une mitraillette braquée contre la cabane. A la première alerte, il va balancer la purée, et ce ne sont pas les frêles murs de planches qui nous protégeront.

Suis-je en état de légitime défense, Antoine? Tu penses que oui? Vu les manifestations précédentes du Suey Sing Tong, c'est patent!

Epatant!

Si j'en avais le temps, je téléphonerais néanmoins àmon avocat, mais y a pas le téléphone.

Je serre les dents afin de surmonter ma douleur. Combien reste-t-il de pralines dans le magasin du i pistolet? Au moins trois, non? Les deux de naguère ne se sont pas pointés avec quelques dragées dans le tiroir de leur arquebuse, ils ont d˚ faire le plein avant de partir en croisière.

Je vise l'homme à la mitraillette. Du g‚teau. Seule-1 ment, sitôt que je l'aurai plombé, je devrai neutraliser les deux autres avant qu'ils réagissent.

Tchlouf!

Le bruit est imperceptible. Le mitrailleur fait encore un pas avec sa balle en plein front, puis s'écroule. Je crois que ses potes n'ont pas encore eu le temps de réaliser. Je fulgure une deuxième bastos dans la figure de celui de droite. Il a un cri suraigu. Reste-t-il encore une prune dans la corbeille à fruits? Je presse la détente! Mes couilles! «a, tu ne vas pas prétendre le contraire, mais je l'avais reniflé! L'instinct! Y a que ça, je tue les autres à te le répéter.

Le troisième mec a compris enfin et, au lieu de donner l'assaut, il fonce au poulailler pour se tailler et,

accessoirement aller quérir des renforts. Mais il s'arrête en cours de route et tombe à genoux dans la gadoue.

Une défaillance? Un trébuchage?

Non : Jérémie!

Le Négus se tient à mon côté, incliné en avant, le bras encore tendu tel celui du lanceur de javelot. Ce n'est pas une lance qu'il vient de propulser, mais le poignard de la petite gueusette au minouchet délectable.

Et c'est un crack en la matière, M. Blanc; je lui ignorais ce don. La lame s'est enfoncée dans la nuque du fuyard, au creux, tu sais? Là que les dames te font des bisous. Son mouvement ascendant me donne àcroire qu'elle a perforé le cerveau.

Nous voici donc, une fois de plus, maîtres de la situation. Allons continuer de gagner à tout coup?

- Ils sont tenaces, ces branques, grommelle mon dark friend.

- Nous aussi! réponds-je, les dents serrées.

Faut que je te dise, Elise : j'ai envie de revoir la mère avant de mourir.

La mienne, ma Félicie d'amour.

Un coup de saveur à gauche : rien. Un autre à droite. Là, ça jute, car j'aperçois une tire à l'arrêt devant un poteau supportant un écheval (J) luriel : des écheveaux) de c‚bles électriques, plus un accumoncellement de compteurs rudimentaires, improtégés des tempéries. quelques poules nuiteuses mais perdues sont sorties par la brèche ménagée par les trois lascars et dodelinent dans la venelle, intimidées par le clair de lune, incapables d'aller plus loin.

L La tire que je viens de renoucher, une guinde L japonouille, bien entendu, semble vide. Je m'en approche, suivi de Jérémie A première vulve, ma silhouette ne doit pas être reconnaissable car j'ai modifié mon look pour la circonstance. Je porte un blouson de nylon n'ayant rien de commun avec ceux

que fabrique mon ami Zilli, à Lyon. (Les plus beaux du monde (1) en peau de vison, de cerf, de d'astrakan, de zibeline, de chenille processionnaire, de zébu, de zébi, en pot de beaujolais, en peau de grenouille, de testicule de moine tibétain, de hareng, d'autruche, de vache, de contractuel, de pêche et de limace rouge. Une féerie! Zilli travaille pour la peau comme d'autres pour le salut de leur ‚me. Il vêt les stars, les princes, les pédés, les pédégés et même les humbles santantonios perdus dans les froidures.) que donc, c'est pas chez mon ami Alain que j'ai pêché celui que j'arbore présentement, mais dans la cambuse aux serpents. N'ensuite, je me suis allongé les yeux au bouchon br˚lé, jauni le teint au pistil de lys (il en poussait une touffe dans la fétide courette) et coiffé d'un authentique chapeau chinois, en paille, conique, si bien qu'en marchant vite et la tête inclinée, onc ne saurait découvrir mes origines aussi occidentales que les anciennes Pyrénées (lesquelles furent également orientables).

La voiture est vide. Je touche le capot : tiède. Donc c'est bien celle des étroits lanciers du Bengale.

La clé de contact est au tableau. J'adresse un geste àJérémie.

En route!

Et sais-tu ce que fait ce grand dépendeur de noix de coco? Il boucle sa ceinture!

Pas bileux le moindre, Jéjé. Paré pour de nouveaux épisodes fluorescents.

Ma pomme, je perpiexite vachetement, derrière le volant de la Kamasutra 2

litres 8. O˘ aller? Devons I nous profiter du véhicule pqur retourner à

Dakarta et

ïsauter dans un avion? Ce serait la sagesse même. Probablement notre ultime chance de salut. Ne me sentant pas le droit de décider du destin de M.

Blanc, je

lui expose mon dilemme, comme quoi il nous reste probablement une dernièrissime possibilité de nous tirer de ce bourbier, et elle ne se représentera probablement jamais.

Il b‚ille, puis murmure d'un ton ensommeillé:

-

Avec cette bagnole, il nous faudrait combien de temps pour regagner Djakarta?

- Une dizaine d'heures, en roulant à fond la caisse. Et tu te figures que pendant dix plombes, l'Organisation va se faire cuire une soupe en attendant que i leurs trois boy-scouts lui envoient des cartes postales?

Ces gens nous baiseraient bien avant qu'on n'arrive et, de toute manière, ils nous attendraient à l'aéroport.

- Alors on reste?

-

Planque la bagnole dans un coin désert, qu'on puisse y finir la nuit en roupillant un peu; je suis en manque, moi!

Et me voilà à rouler maraude, style vieux G7 d'autrefois piloté par un archiduc ruskoff.

Les venelles merdiques et obscures, c'est pas ce qui manque dans ce pays, à

croire qu'ils en font l'élevage. Je finis par enquiller la guinde dans une bouche noire o˘ je circule sans phares, juste à la clarté lunaire qui parcimonise entre des masures (comme dirait Bruno, l'homme au GoId Seven).

Au bout de ce boyau, t'as une espèce de hangar de bambou désaffecté. Je stoppe la chignole. tout au fond, coupe les gaz. Mais ça continue de ronfler. Autoallumage? Non : c'est plus le moteur, mais M. Blanc.

J'entreprends alors l'exploration du véhicule. Dans la boîte à gants, je trouve un carnet d'entretien passablement graisseux établi au nom d'une certaine Zoboku ~ompany, import-export à Beiharang. N'après quoi, je vais ouvrir le coffiot. Un bric-à-brac m'attend. Des bottes, des outils, une caissette de bois contenant des grenades offensives et un revolver de cow-bois au barillet mahousse comme la roue avant d'un rouleau compresseur. Je le passe sous mon blouson après m'être assuré qu'il y a du monde dans le magasin, me saisis itou d'un tournevis de forte dimension car il est bon d'avoir à disposition des objets de première nécessité lorsqu'on part à la guerre. Je m'apprête àrejoindre mon copinet lorsque je vois se pointer le faisceau dansant d'une lampe de poche. Derrière lui se déplace une silhouette que je parierais féminine si les I pans étaient ouverts. Ma main se pose sur la crosse du flingue.

Une voix de gonzesse me lance une phrase de laquelle je ne comprends que le point d'interrogation qui la termine. Alors je vais à la rencontre de l'arrivante.

-

Vous spikez anglais? lui demandé-je.

-

Ce serait malheureux, je suis native de Liverpool, me répond (et chaussée)-t-elle.

«a y est, on opère notre jonction, ce qui me permet de constater une femme d'une légère quarantaine, en robe de chambre de soie verte. Blonde, des taches de son, un regard clair, l'air fatigué de la personne qui ne devrait pas s'accorder un whisky de plus quand elle en a déjà éclusé cinq. Un peu soufflée du cou, situ vois le topo? Et la dernière fois qu'elle a été chez le coiffeur c'était pour le mariage de ce grand mec débile qui régnera peut-être un jour sous la référence de Charles III.

Elle me barbouille la frime de la pointe de son pinceau (lumineux).

-

Mais vous êtes occidental! fait-elle.

-

Dans les grandes lignes, oui.

-

Pourquoi ce déguisement?

-

Je reviens d'une soirée travestie.

-

Et vous rentrez dans le temple du quartier?

-

Ah! c'est un temple, ce machin?

-

Vous devriez déménager car s'il se trouve un

autre insomniaque dans le coin, il risque de vous occasionner des ennuis.

Un temple, ici, c'est sacré.

-

Vous habitez ce coin pourri? questionné-je incharitablement.

-

Oui, mais il est moins pourri que vous semblez le croire.

-

Je peux me permettre de vous demander comment une ravissante (je charge) Anglaise peut demeurer dans cet endroit moins merdique que je le crois?

-

J'ai épousé l'unique médecin de la région, un homme formidable.

-

Compliment.

-

Il est mort l'an dernier.

-

Condoléances.

-

Comme je me suite faite à la vie d'ici, j'y suis restée.

-

Chapeau!

-

Et vous?

-

Moi, quoi?

-

qu'est-ce que vous faites à Kelbo Salo?

-

Tourisme.

Je l'entends rigoler dans la pénombre. Elle éteint sa lampe dont la pile commence à prendre de la gîte.

-

Et vous trouvez ici des gens qui organisent des dîners constumés?

J'aimerais bien les connaître. Les soirées sont un peu moroses dans ce bled.

Un temps.

-

Vous êtes à l'hôtel? elle me fait.

-

Non, ments-je.

-

Vous êtes o˘, alors?

-

Dans le temple de ce quartier moins épouvantable que je ne le suppose.

-

Pas d'endroit o˘ dormir?

-

Cette voiture. Regardez, j'ai un copain qui est en train d'y faire sa nuit.

Elle mate.

-

II me semblait bien avoir aperçu quelqu'un àl'intérieur. Il est noir?

-

Entièrement; mais propre: pas de caviar entre les doigts de pied, comme dit mon ami Aznavour.

-

Vous connaissez Charles Aznavour?

-

Vous étiez à la maternelle que je l'accompagnais déjà.

-

Au piano?

-

Non, au bistrot. Mais nous ne sommes pas alcoolos, lui et moi, vous savez.

-

J'ai tous ses disques!

-

Je me doutais bien qu'il faut une potion magique pour pouvoir vivre complètement dans ce pays!

Elle rallume sa loupiote pour mater dans la Kamasutra 2 litres 8.

-

Il est drôlement baraqué, votre copain.

-

quand on est noir, c'est la moindre des choses.

-

Et si vous finissiez la nuit chez moi?

-

Vous feriez ça?

-

Venez!

J'open the door et secoue M. Blanc.

-

Dégorge-toi de ce tas de boue, mec. On va dans le monde.

Il

actionne son commutateur interne et nous prend conscience. Au bout d'un rien il murmure:

-

C'est qui, oette femme? J

-

Une Anglaise. Mais comme t'as fait ni Waterloo, ni les Malouines, t'as aucune raison de le lui reprocher.

il

sort, salue la personne avec un rire qui ressemble à J la façade du Parthénon qu'on aurait peinte en blanc.

-

La voiture, avertit l'Anglaise au peignoir, vous ne pouvez la laisser dans ce temple.

-

Si, fais-je. Je crois que je peux pour l'excellente raison qu'elle n'est pas à moi.

Son toubib créchait dans une maison de parpaings assez simplette, cubique, avec un bout de véranda en

verre cathédrale jaune. La partie professionnelle se situait à droite de l'entrée et la partie habitation àgauche. La veuvasse se sert de l'ancienne salle d'auscultation comme salon-bibliothèque, après y avoir installé des étagères de bambou chargées de bouquins anglais. Il reste encore, incorporé

au mobilier, l'ancien fauteuil d'examen, avec " accoudoirs pour les jambes

", comme dit Béru, lequel permettait au défunt d'avoir une vue plongeante sur ses patientes. qu'on l'e˚t gratifié de quelques coussins et de la position verticale corrige peu sa destination initiale et il ressemble à un trône bizarre pour reine de sabat érotique.

Notre hôtesse, Mrs. Kalsong-Long (la plaque du toubib figure encore sur la porte), nous fait s'asseoir, comme on dit puis dans les vieilles familles de la noblesse française.

J - Whisky? demande-t-elle.

-

Pas d'alcool pour moi, l'en prie Jérémie.

-

Et pour vous si, je parie? qu'elle me demande en saisissant mon paquet de couilles d'une main s˚re.

-

Moi, j'accepte tout ce qu'on m'offre, l'en avisé-je.

Je me dis que, gr‚ce à cette Britannique en manque, je vais pouvoir conjurer le malaise glandulaire consécutif aux fantaisies de la fille du marchand de snakes. Tiens, à propos: le deuxième remède de Jérémie a également fait merveille car le dos ne me chicane plus.

Elle l‚che mes trois livres de bas morceaux pour servir deux scotches carabinés. Puis elle dit à Fleur de tunnel d'aller voir dans le frigo de la cuisine si un jus de fruit quelconque le tente.

-

Fais le grand tour pour revenir, demandé-je àmon négro spirituel, j'ai des projets.

-

J'ai cru le comprendre, assure l'exquis garçon.

La mère Kalsong-Long dénoue la ceinture de sa robe des champs et laisse glisser le vêtement à ses pieds. Elle

est tellement nue dessous qu'en comparaison une pièce de cinq francs ressemblerait à un chat angora.

- Vous êtes capable de baiser debout? me demande-t-elle en adoptant la posture émouvante du " Y " renversé. Car, ajoute-elle je ne fais jamais l'amour autrement.

Je lui assure que c'est toujours dans cette position que je prodigue mes faveurs à Ehzabeth II et àMrs. Thatcher, écluse mon glass et m'approche de la demanderesse, plein de bonnes intentions, certes, mais avec des timidités malencontreuses consécutives à sa précipitation catégorique. Elle pallie ma nonchalance par quelques manoeuvres onanistes, toujours en vogue dans la gentiy. Ponctue celles-ci de rudes imprécations fouetteuses de sang, dont la plus courtoise est: " Tu v‚s me la mettre, ta grosse bite de salaud! ", crié sur un ton comminatoire auquel l'archevêque de Canterbury soi-même ne résisterait pas. Etant homme de bonne (et belle) composition (française), je ne tarde pas à devenir opérationnel et les produits de la ferme que je lui propose me valent une exclamation qui peut passer pour admirative.

Madame a raison de coÔter à la verticale, son centre d'hébergement spacieux et confortable se prêtant admirablement à une telle prouesse. M'ayant acquis, elle quitte le sol d'une détente pour nouer ses jambes autour de mon bassin, avec gr‚ce et souplesse.

- Marche! Marche! m'exhorte-t-elle.

Et me voilà en train de défiler dans le salon, avec la ridicule impression d'apprendre à jouer de l'hélicon basse. Me faudrait une marche militaire, genre Le Pont de la rivière KwaÔ. Mémère, toujours est-elle ça lui procure des monstres sensations, la manière qu'elle déclame en anglais!

T'entendrais ce ramdam, l'aminche. Pas du pour rire! La sérénade indonésienne version anglaise, payant! Elle me lacère (tiens, faudra que j'aille bouffer chez Lasserre)! Me déchiquéquette fa chemise avec ses dents, parfois m'administre des coups de boule dans le thorax, la frappadingue! L'amour, ça lui déclenche une sacrée crise.

- Tue-moi! qu'elle bieurle.

Allons bon, voilà du nouveau! Moi, une femme m'adresse une supplique de ce genre, je lui réponds même pas.

Comme la situation se prolonge, elle crie:

-

1 want the negro!! want the negro!

Voilà qui est déjà plus raisonnable.

- Jérémie! hélé-je.

Il finit par se pointer. Flegmatique, il déclare en nous regardant défiler:

- Vous êtes chiés, tous les deux!

La veuve tend une main vers lui en écartant et refermant ses doigts sporadiquement et vice versailles.

-

Corne, boy! Corne!

- Madame souhaite poursuivre la route avec toi, traduis-je; elle pratique le coÔt-relais.

Mais elle pige assez le français pour protester:

- Non! Les deux! Je veux les deux!

Je réfléchis à la proposition. Il est de fait que, dans la position o˘ se trouve Mistress Kalsong-Long, il lui serait possible d'accueillir le manche à gigot de

M. Blanc sans pour autant renoncer au mien. Mais Jérémie ne l'entend pas de cette oreille.

- C'est une truie en chaleur, cette bonne femme. Elle doit passer ses nuits à biberonner, tout en surveillant l'extérieur et elle se précipite sur tout ce qui bronche.

- Je réclame un temps mort! fais-je à l'aimable Anglaise en la propulsant dans un fauteuil; c'est prévu dans les conventions syndicales.

J'en peux plus, moi. Mort de fatigue, blessé, vidé! La salope se met alors à nous invectiver bassement, nous traitant d'impuissants, de lopettes, de castrats, de sodomisés, de voyous, hiboux (garudas), cailloux, 164

LE CRI DU MORPiON

genoux (mais pas de choux, terme jugé trop affectueux).

Elle nous montre la porte en hurlant qu'on doit se barrer dare-dare, sinon elle va appeler la police et nous faire condamner pour viol; n'étant pas à

un contresens près. Elle nous déclare " couilles-molles ", " débandeurs ",

" dépravés ".

De guère lasse, elle s'interprète " Je m'adore " à la mandoline frisée.

Prend un confortable panard qui l'épuise et s'endort dans son fauteuil.

J'éteins la lumière, m'installe sur l'ex-table d'auscultation (mais en chien de fusil), et finis par l'imiter. En ce qui concerne Jérémie, il est retourné aux questsches depuis un moment déjà.

(R»GLEMENTS DE) COMPTES

DES MILLE ET UNE NUITS

Elle réveille mieux qu'elle n'endort, Gwendoline (c'est son prénom).

J'adore me faire zorber le grec àmon petit lever! Et tu vois comme elle est hôtesse émérite : du temps que j'en concasse encore malgré les chants des coqs, elle m'extrapole le Nestor et me le turlute, comme dans la fl˚te à

six schtroumpfs. A jeun, elle est revigorée, plus du tout virago. M'est avis que son veuvage l'incite à la chopine, Mistress. Et qu'à force de gonfler les doses, elle s'embarque pour les cirrhoses mondaines. Pour l'heure, la chair le dispute encore au biberon, mais, inexorablement, le jour viendra o˘ le second prendra le pas sur les frivolités, et la pauvre Anglaise se shootera au Black and White jour et nuit!

Là, elle me gouzille le nerveux de manière plutôt gloutonne, ce qui est rare pour la ressortissante d'un pays qui ne saurait manger du turbot sans couvert àpoisson. Je me laisse haler et, en peu de temps, ma gentille maîtresse de maison cesse d'être à jeun.

Elle nous prépare alors des oeufs au bacon et du café noir. Tandis que nous clapons, elle demande:

-

Vous avez des ennuis, je suppose? Et moi, franc-jeu:

-

Avez-vous entendu parler du Suey Sing Tong, Owendoline?

Là, elle interrompt sa mastication, mais comme elle n'est pas vitrier, ça ne tire pas à conséquence.

-

Mon Dieu, ne me dites pas que c'est avec cette organisation que vous avez des problèmes! s'écrie-telle.

-

Hélas!

Elle se signe en haut et à droite.

-

Le Seigneur ait pitié de vous, balbutie-t-elle. Je ne vais pas pouvoir vous garder davantage.

-

Il n'est pas question que nous nous incrustions, ma belle amie. Je vais seulement vous demander un ultime service.

Egarée, elle me regarde, sans me voir dans toute ma splendeur, ce qui est dommage.

-

Un service?

-

Rassurez-vous, il est sans danger. Je voudrais que vous alliez nous quérir un vélo-pousse-pousse, car c'est un mode de locomotion discret qui, ici, passe inaperçu.

-

Oui, oui, tout de suite, s'empresse la brave veuve. Elle enfile une jupe de toile blanche, un chemisier, et la voilà partie.

-

Tu ne crains pas qu'elle nous trahisse? demande Jérémie en vidant la bouteille de ketchup sur ses oeufs trop frits.

-

Et l'honneur britannique, qu'en fais-tu? objecté-je.

Fectivement, Gwendoline se ramène à bord d'un véhicule flamboyant, dans les teintes orangées, vertes et bleues, sur la calandre et le toit duquel on a peint des danseuses sur fond de jungle. L'engin est pédalé par un jeune gars rigolard qui se trimbale les mollets de Bernard Hinault.

Nous prenons discrètement congé de la friponne, après moult remerciements ponctués d'effusions assez poussées, (jusque dans sa culotte).

-

Le palais du sultan! enjoins-je.

-

Tout le monde y va! annonce le gusman en se dressant sur ses pédales tandis qu'on se blottit sous le dais du véhicule.

Ces mecs, ils fonctionnent à l'énergie. L'avenir sera àeux, sois tranquille! Acharnés à ce point, y a que les fourmis! Ce qu'il faut comme huile de muscle pour transporter cent cinquante kilogrammes de viande avec un pousse-pousse à pédales, je te dis que ça!

Mais le petit mec, accrocheur comme un morpion (je pense à toi, Arsène), se moque de la charge et des dénivellations. Il enroule lentement, lance peu à

peu son bolide et finit par atteindre une bonne vitesse de croisière. La journée du couronnement s'annonce belle. Soleil à Giono, la nature étincelle, les oiseaux chantent; c'est la liesse populaire qui commence.

Déjà, malgré l'heure matinale, la circulation est dense. Un flux de voitures (à moteur plein de chevaux et àchevaux pleins de gaz), de bécaks, de piétons, fonce en direction de la sultanerie.

Lorsque nous y parvenons, l'esplanade qui s'étend devant le palais est noire de monde (ce qui est manière de parler car tous les assistants sont habillés de couleurs vives). Devant l'immense portail doré à la feuille, on a étalé un kilomètre carré de tapis. Sur ces tapis est dressé un trône, en argent massif (l'argent est l'une des richesses du pays), lequel trône est flanqué de fauteuils opulents, mais néanmoins plus modestes.

Et puis, après un espace libre, des rangées de sièges recouverts de velours pourpre ont été aménagées, attendant les fesses des invités de marque : envoyés du gouvernement, corps diplomatique, dignitaires en tout genre.

Déjà, des soldats de la garde privée du sultan commencent à assurer le service d'ordre. De lourds cordons rouges (Mumm) maintenus par des pieds de cuivre, úinturent la partie de l'esplanade réservée aux cérémonies et aux danses. Les gardes veillent à ce que cette frêle barrière soit respectée. Elle l'est spontanément par les autochtones, certes, mais tu connais les touristes, Evariste? Fouille-merde, ces gueux! Toujours à

suivre leur Nikon fureteur pour capter un max de diapos qui, par la suite, feront chier les aminches pendant les longues soirées d'hiver. Un touriste avec Nikon au cou, il se croit investi, possesseur d'un laissez-passer infaillible; inexpugnable d'avoir cette cloche àvache en bandoulière, le con! qu'on le refoule, ça l'étonne, l'indigne. Sa boîte noire sur le burlingue le rend invincible; que plus son téléobjectif est long, plus il se sent divinisé.

Le pousse-pousseur nous stoppe à l'orée de la populace, vu qu'il n'a pas le droit de rouler plus avant. Il me réclame une somme que je n'ai pas la patience de convertir en vraie monnaie; je lui en remets le dixième et il baise mes genoux de reconnaissance.

Moi, la seule chose tracassante, disons-le, c'est M. Blanc. Noir à ce point, il passe aussi inaperçu qu'une mouche dans un bol de riz, le Sénégaloche. Ici, les gens sombres pullulent, certes, mais des tout noircicauds, y en a pratiquement pas. C'est le rayon des citrons, pas celui des radis noirs. Alors on risque d'être retapissés, fatal. Moi, avec mon reliquat de pistil et mon bitos pointu, je me fonds dans la multitude; mais Jéjé, bernique.

-

T'en fais pas, murmure-t-il, ayant surpris mon regard critique.

-

quoi donc?

-

Attends-moi au temple et réserve-moi une place sur les marches!

Il

disparaît. Comme il l'a implicitement conseillé, je me dirige vers le temple qui fait face au palais. Des grappes humaines le transforment déjà en une treille bigarrée. Toutefois, il reste encore pas mal de surface disponible. Je choisis un emplacement permettant d'avoir une vue d'ensemble et y installe mon bivouac.

Je guigne à z'úils perdus les environs, m'attendant àvoir surgir LassaleLathuile et sa rombiasse. S'ils sont venus à Kelbo Salo, c'est fatalement pour mater les fêtes du couronnement, me dis pas le contraire, Hilaire.

Fréquemment, je lève la tête en direction de l'énorme cloche de pierre recelant le bouddha qui coiffe l'édifice, m'attendant à y voir déboucher mon surprenant contrôleur, mais je ne distingue rien.

Voilà soudain un gaillard qui prétend s'asseoir contre moi.

-

La place est retenue! lui dis-je dans les différents dialectes exigés aux épreuves du bac.

-

Je sais, merci! répond en français M. Blanc!

Car c'est lui! Passablement modifié!

-

O˘ as-tu trouvé ce fond de teint, Frégoli?

-

Tu n'aperçois pas ces baraques foraines, là-bas? Nous sommes passés devant en venant ici. Un type vendait des petits avions de fer blanc qu'il doit fabriquer soi-même et il avait la gueule peinturlurée. Pour un dollar, il m'a prêté ses fards. Me voici arlequin, et non plus nègre, mon pote!

J'attire l'attention, donc je passe inaperçu!

-

Bravo! complimenté-je.

-

Du temps que j'y étais, j'ai même acheté deux boîtes de bière; on devrait les boire pendant qu'elles sont encore tièdes.

On gorgeone dans la chaleur croissante. Pas un pouce d'ombre! Le soleil fait face et celle du temple s'étend loin derrière nous.

La foule croît et se multiplie. Il en surgit de partout. Tu dirais une inondation humaine.

Et puis voilà les officiels en grandes tenues et chamarrures, médaillés complet, galonnés; avec leurs gonzesses fanfreluchées. «a enfle, moutonne, s'épaissit. L'esplanade est un gigantesque toast qu'on tartine de caviar. Bientôt, on ne voit plus, du sol, que la partie recouverte de tapis s'étendant entre les sièges des invités et le trône. Le brouhaha monte à nous en casser les couilles et les oreilles. Dans cette langue indonésienne, je te le recommande. On dirait des grelots agités!

Soudain, à l'intérieur du palais, retentit un immense carillon de cloches.

Dans les graves! «a te résonne au creux du bide et te fêle les tympans. On devrait jamais se déplacer sans ses coton-tiges, manière d'étancher le raisin qui te sourd des portugaises dans de pareils cas.

Des musicos somptueusement vêtus de soie orange débouchent en jouant de leurs bizarres instruments:

cloches, tambours, troncs de bambou évidés, fl˚tes, casseroles et je ne sais quoi encore! L'allure est lente, donc majestueuse. Ils se pointent sur le vaste terre-plein et s'accroupissent sans cesser de musiquer. Leur succède un cortège à cheval (tous les chevaux sont blancs) composé

d'officiers de la garde. Il vient se placer sur les côtés, en demi-cercle.

Parait alors un palanquin o˘ a pris place la princesse Tadégaz, mère du sultan, ainsi que ses deux soeurs Karamé-Lolé et Karamé-Lmo˚. Des larbins les aident àdescendre et les conduisent à leurs fauteuils. Un second paltoquet (comme dit Béni pour palanquin) se présente, ayant à son bord le sultan Bon-Kasa, l'oncle du souverain à couronner et le jeune D˚-Rang, son demi-frère que l'ancien souverain a eu avec une garde-barrière de Ser-Gy-Ponh-Toiz.

La famille sultane en place, voici venir Bézaphon II, le nouveau sultan à

couronner. Contrairement à ce qu'on pouvait attendre, il est au volant d'une Ferran Testa Rossa rouge aux portières frappées des armes du jeune monarque. Il gare le véhicule derrière son trône et se présente à la populace en délire, viril, sportif, dans son uniforme d'amiral d'aviation bleu roi à épaulettes d'or et revers rouge framboise. Il ne porte qu'une seule

décoration, mais de taille, puisqu'il s'agit de l'écusson Ferrari représentant le fameux cheval noir, cabré sur fond jaune. La plaque pourrait servir de bouclier car elle est, à l'origine, un panonceau offert à Sa Majesté par le concessionaire de Djakarta.

Ayant de oette façon courageuse établi son modernisme, le sultan va saluer sa mère, puis escalade les quelques degrés centigrades du trône o˘ il prend place, d'une allure dégagée, croisant les jambes et nouant ses mains sur ses genoux. Il doit être ‚gé d'une trentaine d'années, mais il a déjà

beaucoup servi, les valdingues qu'il se trimbale sous les lotos en témoignent.

Deux ravissantes filles, chichement vêtues de trois étoiles chargées de masquer un minimum de leur chatte et de leurs seins, se tiennent de part et d'autre du trône. L'une en brandissant une ombrelle à long manche, l'autre en agitant un éventail en plumes d'Autriche.

Le nouveau monarque (qui a plus d'une corde à mon arc) désunit alors ses mains et les expédie chacune en reconnaissance sur les miches exquises des deux gr‚ces, que même, d'o˘ je me tiens, je crois bien qu'il leur carre en loucedé le médius dans la moniche, ce qui est d'une grande mansuétude pour un sultan, faut reconnaître. Tu trouves pas? Si? Ah bon!

Dès lors, la musique s'amplifie encore. Des danseuses surgissent, dans des voiles vaporeux, puis des danseurs, et tous se mettent à gambiller comme des cons, en tenant leurs pieds dans l'alignement de leurs bras écartés.

ils accomplissent des bonds, tout en conservant les jambes fléchies, leurs mains, en ailerons de pingouin, rivées à leurs épaules. Leur tête dodelinante leur donne des attitudes de polichinelles (soyez poli, Chinel !). Moi, j'ai jamais été un fan des ballets, mais je préfère néanmoins la Danse du Cygne (de Zorro) à cette galopinade farfadingue. Mais enfin, hein? C'est pas ma pomme qu'on couronne.

Après te numéro, la musique cesse et un grand

silence solennel s'étend sur l'assistance. Des dignitaires très vieux, arthritiques et moussus, dont tu devines l'intimité hérissée de champignons, se pointent en grandes pompes recourbées façon cothurnes.

Chacun d'eux (je pourrais écrire chacun d'oeufs car ils sont chauves) porte un coussin brocardé sur lequel se trouve l'un des éléments du sacre : couronne, sceptre, sabre, godemiché, pompe à bicyclette, canule à injection (Béru dit canicule à injection, mais c'est son devoir), main de justice, annuaire des téléphones de Kelbo Salo relié en peau de fesses.

Toute l'assemblée s'est levée et courbe la tête. L'aréopage de fossiles s'agenouille tant mal que bien. T'entends claquer un col du fémur dans le silence religieux. Tout le monde retient son souffle. Le presque sultan en profite pour péter un grand coup, manière d'affirmer son autorité. Puis il retire sa main droite de l'entrecuisse de l'éventeuse afin de renifler ses doigts. C'est un olfactif, donc un être délicat. Charmé, il acquiesce en direction de l'intéressée, lui promettant implicitement de s'occuper de ses miches avant lurette; et tu penses qu'elle biche, cette morue, de se voir sélectionner commak en plein sacre, y a de quoi choper la grosse tronche!

Il paraît vachetement joyce, le ferrariste sultan. Guilleret. Cette foule recueillie, à sa botte! Tout ce cheptel de gerces à quelques jets de foutre de son auguste braguette, dis, c'est rutilant, non?

Je le visionne depuis mes trente centimètres carrés de marche, vaguement incrédule d'assister à " ça " en fin de vingtième cercle. L'Emile et une nuits, tandis que des jets tercontinentaux passent au-dessus de nos tronches! Les hommes, moi je te l'annonce (apostolique, évidemment) sont durailles à remuer! Ah! dis donc, l'évolution, depuis la pierre taillée (en rose, en poire, en navette), elle est déconcertante: t'envoies des engins autour de Mars, mais tu couronnes des sultans dégénérés! Faut pas craindre, ni chier la honte!

Le plus kroum des vieux noeuds se met à psalmodier j'sais pas quoi, qu'en vertu des pouvoirs qui lui furent confédérés, nani nanère.

Le cher prince a remis sa mano dans la manette de sa favorite. Maintenant, je te parie, c'est de trois doigts qu'il lui honore la babasse, mam'zelle.

Elle a du mal àtenir son éventail et son sérieux, la drôlesse. Mets-toi àsa plaú! T'es là, devant cinquante mille personnes, àagiter un plumeau pour chasser les mouches et messire le king te fourrage la boîte à gants!

Elle cambre les reins, mine de rien. «a l'envole, Ninette, ces trois doigts de cour. Compasser avec des gouzi-gouzis de cette ampleur, bernique!

Moi, dans le fond, je le trouve plutôt farce, Bézaphon. Tant qu'à faire de monarcher, autant que ça tombe sur un marrant, non? T'imagines le prince Dédain-Bourre en train de chipoter la frigoune à sa mégère pendant son discours au Parlement? Y aurait de l'effervescement chez misters les Lords!

La gapette des Windsor roule dans le fossé, pour le coup! C'est peut-être pour ça qu'il garde toujours ses paluches dans son dos, Philippe? Pas être tenté d'aller chahuter l'ordre de la jarretière dans les solennités. Ou alors c'est pour tirlipoter la braguette placée derrière lui, hein? Je pose justç la question, du temps qu'on en cause.

Mais faut qu'on reviende à la cérémonie. En pleine palabre du vieillard (c'est lui qui a d˚ craquer son joint de fémur car il pousse des petits cris en jactant), voilà mon sultan qu'exécute un soubresaut. Comme un qu'est pris au dépourvu. qui croyait à un simple pet silencieux et qui se paie la chiasse du siècle à l'improviste. Sa main droite abandonne la chagatte de Miss Eventail et tombe le long du trône. Et puis Sa Majesté a un nouveau sursaut, moins prononcé. Moi, roublard averti, briscard expérimenté, je me rends compte qu'il se passe quelque chose.

Et tu sais quoi, Eloi?

Il se passe que Bézaphon II pleure du sang!

«a dégénère en film d'épouvante, sa surboum. Deux grosses larmes lui déboquillent des soucoupes et roulent sur ses joues bronzées. Et il en vient d'autres, en surabondance. «a forme un double ruisselet qui coule sur son bel uniforme.

Pendant un petit brimborion de moment, personne se gaffe de rien. Le débris continue de dévider ses lithinés (Béni dixit). Et puis une exclamation retentit dans l'assistance, puis quatre, puis mille! Une rumeur terrifiée s'élève. Le sultan pique alors du pif et s'abat en avant. Son corps dévale les marches. II percute l'aréopage des sages qui, déjà en position instable, s'écroulent à leur tour.

C'est la confusion, la panique! le big bordel. Les gusmen de la téloche indonésienne se hasardent, caméra à l'épaule. La chère moman du souverain manqué va jouer Phèdre sur le cadavre de son fils bien-aimé. Tumulte! Cris!

Y a-t-il un médecin dans la salle? Le cirque! La foule affolée se met à

bouillonner et àgirater comme dans une machine à laver. Blanc et moi sommes soulevés, puis emportés par la vague de fond! C'est le malaxage, le piétinage. Y aura d'autres morts! A bas les cardiaques! Suce aux vieillards, aux égrotants, aux stropiats. La foule foule aux pieds les faibles. Je suis entraîné en direction du trône. Des gardes gourdinent à

toute matraque pour endiguer le flot montant.

Vlan! Pan! Tchoc! Bing! Bong! Plouf! Et j'en passe!

Je vois plus grand-chose de la suite des événéments. J'ai perdu Jérémie. Je suis happé, dirigé, digéré, chié derrière le palais, sur le parkinge aux voitures. Des officiels commencent de s'y pointer et qui vois-je-t-il?

Je ne te donne pas en mille, je t'en fais cadeau: l'ambassadeur de France accompagné de sa gerce, ultra-choucarde dans une robe de satin bleu France de chez Scherrer. Il est en bleu croisé, avec une rosette, un noeud pap' et une mine contrariée dont je ne te dis que ça.

- Mes respects, Excellence!

Il haut-le-corpse et me défriche le déguisement. Puis, les yeux en fenêtres gothiques et la bouche kif celle d'une baleine remplaçant la vache qui rit au pied levé:

- Seigneur! C'est vous, commissaire?

Mondain, illico, il me présente à son épouse.

- Ma douce amie, voici le fameux San-Antonio dont vous connaissez les hauts faits.

Je saisis une main veloutée, modestement baguée, comme il sied à une épouse de diplomate représentant un gouvernement socialiste. M'incline, au risque de lui filer la pointe de mon bada chinois dans les carreaux.

- que vient-il de se perpétrer, San-Antonio? Un attentat, n'est-ce pas?

- Cela m'en a tout l'air, Excellence.

- On a énucléé le sultan, révèle Victor Delagrosse. Je me trouvais au premier rang, j'ai tout vu: le souverain a reçu une balle dans chaque oeil.

Mais c'était d'étranges projectiles.

- qu'entendez-vous par là, Excellence?

- Eh bien, cela brillait au soleil, comme de l'argent neuf. Et puis le sang s'est mis à couler... quelle horreur!

On est bousculés par le reflux des gens soucieux de récupérer leur tire.

- Cela vous ennuierait de me prendre avec vous? m'enquiers-je.

- Avec un vif plaisir, m'assure cet être exquis. O˘ en êtes-vous?

collaborateur et moi, le Suey Sing Tong aux trousses et c'est miracle que nous soyons encore vivants.

Il

pétrifie de la glotte, Victor.

-

Le Suey Sing Tong!

-

Vous connaissez?

-

Et comment. II a déjà détruit davantage de gens que la bombe d'Hiroshima!

Nous atteignons sa tire, une Renault 25 dont le fanion tricolore accélère les battements de mon coeur.

-

que leur avez-vous fait pour qu'ils vous poursuivent de leur vindicte, au Suey? demande l'ambassadeur.

-

Rien dont je sois vraiment conscient. Disons que nous nous sommes défendus lorsqu'on nous a attaqués, je ne sais rien de plus.

-

San-Antomo, fait-il, il est indispensable et urgent que vous rentriez en France. Laissez- tout tomber! Votre vie ne tient qu'à un fil.

La jolie dame est déjà installée à l'arrière du véhicule.

-

Impossible de vous réembarquer depuis Djakarta, vous seriez repérés par leur service de contrôle, poursuit mon bienfaiteur. H faut trouver autre chose. Montez!

Avant de m'exécuter, je périscope les alentours dans l'espoir insensé de repérer M. Blanc. Mais autant essayer de trouver un poil de cul blond dans une soupe chinoise.

-

C'est votre ami noir que vous cherchez?

-

J'essaie.

-

Cela m'étonnerait que vous le repériez dans une telle cohue. Etes-

vous convenus d'un point de ralliement?

-

Hélas non.

-

Vous occupez une chambre d'hôtel?

-

Elle était trop insalubre, nous l'avons désertée.

Mais c'est bien le diable si je ne le retrouve pas, plus tard.

Alors je m'installe sur la banquette arrière et l'Excellence, pas bégueule, va poser ses noix sur le siège passager, près du conducteur.

On roule au pas. Les ailes avant de la Renault heurtent des fesses, des cuisses, des mains. Charrue labourant la populace! Bravo, Santantonio, ça c'est de la métaphore qui fait reluire!

La passagère m'examine à la dérobée. Si elle se dérobait, quel spectacle!

Coulée au moule comme la voilà! Elle sent extrêmement bon. On en mangerait, même avec les doigts.

- Euréka! s'écrie tout à coup l'Excellence, comme le fit le cher Archimède en constatant que sa biroute avait tendance à remonter à la surface de l'eau lorsqu'il prenait son bain.

Il fait claquer ses doigts.

- Madame doit se rendre à Bali par avion demain matin, me dit-il.

A son ton, je réalise soudain qu'il y a gourance et que Delagrosse m'a présenté à la femme, mais qu'il a omis de me la présenter.

- Madame n'est pas M'~ Delagrosse? coupé-je.

- Aurais-je oublié de faire les présentations dans l'émotion de l'attentat!

s'écrie-t-il, éploré. Je vous conjure l'un et l'autre de me le pardonner.

M'~ Monbauc-Surtabe dirige le service culturel à l'ambassade, précise le cher homme. C'est une personne extrêmement performante.

Sur un matelas, elle doit vachement suractiver ton métabolisme de base, espère!

- Pour en revenir à mon idée, fait-il, Ninette, pardon: ~me Monbauc-Surtabe, doit se rendre à Bali pour présider un séminaire qu'elle organise sur l'influence de Voltaire dans la littérature indonésienne. Voici le plan que j'échafaude : Ninette, pardon,

Mmc Mombauc-Surtabe, au lieu de prendre un avion des lignes intérieures va se rendre à Bali avec cette voiture, en prenant le ferry-boat des Peini-Lines assurant le passage Java-Bali. Vous l'accompagnerez et, le surlendemain, prendrez un vol des Singapore Airlines pour Singapour, depuis l'aéroport de Denpasar. Il est improbable que les gens du Suey Sing Tong aillent vous guetter là-bas. Je vous ferai retenir une place d'avion par mes services.

- Deux, si cela ne vous contrarie pas trop, Excellence, car je compte bien récupérer mon adjoint d'ici ce soir.

- Entendu.

- Ces nouvelles dispositions ne perturbent pas les projets de madame?

galantiné-je un brin, en distribuant des oeillades sirupeuses à

l'intéressante intéressée.

- Pas le moins du monde, assure-t-elle, mais toi, Totor, pardon, je veux dire, vous, Excellence, comment regagnerez-vous Djakarta?

- Mon collègue belge me fera une place dans sa voiture, fait désinvoltement Delagrosse.

Bon, ça usine pas mal. N'empêche que je suis marri de voir mon enquête s'achever de cette façon foireuse. qu'est-il advenu de Lassale-Lathuile?

Existe-t-il une corrélation quelconque entre sa venue à Kelbo Salo et l'assassinat du sultan?

Si oui, laquelle? Comment se pourrait-il qu'un contrôleur des finances parisien puisse être associé à un attentat perpétré en Asic?

Je suis troublé au point de ne pas m'apercevoir tout de suite que j'ai le genou de M~C Monbauc-Surtabe contre le mien.

C'est te dire!

Je suis aveuglé par la détresse et l'affolement, car je n'ai pas retrouvé

Jérémie. Je l'ai guetté des heures

durant, devant la maison de Gwendoline, comptant que le madré viendrait y rôdailler. Mais que t'chi! J'ai arpenté la rue principale de Kelbo Salo, puis ses nies agaçantes, et jusqu'à ses moindres venelles: toujours en vain. Le grand fauve aux bretelles mauves est invisible.

Alors l'oreille et la queue basses, j'ai rejoint mon ambassadeur à son hôtel, comme il me l'avait conseillé. Un homme formidable, Victor Delagrosse. La prochaine fois que je verrai Tonton, je lui signalerai les qualités de son représentant en Indonésie. Ce sont les hommes comme lui qui assurent encore à la France un reste de pérennité, comme on disait puis à

Jallieu, dans les années de feu.

Elle a une suite, l'Excellence, dans la meilleure crèche du patelin. Son attachée culturelle, à laquelle il semble lui-même très attaché, dort "

officiellement "dans le salon. Victor dit que je passerai la noye dans l'entrée, laquelle est vaste. On m'aménagera une couche de fortune.

Voyant mon abattement, il essaie de me réconforter.

- Il paraît que les gardes du sultan, puis la police, affolés par l'attentat, ont arrêté un tas de gens, à tort et à travers, pour vérifications d'identité. Comprenons-les, ils sont contraints de " faire quelque chose " à tout prix afin de sauver la face, car il est mal vu de laisser flinguer son monarque en pleines fêtes du couronnement lorsqu'on a mission de le protéger.

Il rêvasse et ajoute:

- Je tenterais bien d'intervenir, mais ce serait attirer l'attention sur lui, et comme vous avez le Suey Sing Tong surpuissant aux trousses, tous les deux...

- Ne serait-ce pas cette organisation qui aurait mis à mort Bézaphon Il, Excellence?

- qu'est-ce qui vous le donne à penser?

- Mon instinct, seulement mon instinct. On dirait qu'elle a cru, depuis le départ, que nous avions

l'intention d'intervenir à Kelbo Salo et qu'il fallait co˚te que co˚te nous éliminer. Voyez-vous, cher ami, la grande inconnue c'est Lassale-Lathuile.

Votre ancien condisciple est partie prenante dans cette affaire. Comment?

Pourquoi? Là sont les robustes questions que j'ai à résoudre. Se trouvait-il sur l'esplanade au moment de l'attentat? Et quel rôle a-t-il pu jouer?

Mystère! C'est en nous voyant sur les traces de LassaleLathuile qu'on nous a condamnés à mort, Blanc et moi; conclusion, d'après le Suey Sing Tong nous risquions de compromettre sa mission.

-

Passionnant, déclare l'Excellence. Savez-vous ce que je viens d'apprendre? Le sultan n'a pas été tué par balles!

J'en reste comme deux ronds, que dis-je! cent ronds de flan.

-

Mais j'ai vu le sang jaillir de ses yeux crevés! effaré-je.

-

Le bruit court, dans les milieux autorisés, qu'on l'aurait énucléé

au rayon laser.

-

On glisse dans la science-fiction!

-

Les faits parlent, San-Antonio ses orbites étaient vides. Les blessures ont été pratiquées dans la tête sur une dizaine de centimètres, lésant le cerveau après avoir saccagé le nerf optique; mais elles ne recélaient aucun corps étranger.

-

Voyons, Excellence, comment une telle chose serait-elle possible ici? Ne pensez-vous pas qu'il s'agit là de racontars de gens soucieux de mettre du merveilleux sur oette sorte de régicide, ou plutôt de sultanicide?

-

Pas du tout, cher cartésien de Français, sourit mon protecteur, je tiens la chose de l'ambassadeur de Suisse qui a parlé avec le médecin ayant examiné Sa Majesté. Le praticien en question est professeur à la faculté de médecine de Zurich. Cousin de mon confrère helvétique, en vacances à Java, il avait accompagné

celui-ci à cette manifestation exceptionnelle. Lorsque Bézaphon s'est écroulé, il a eu le réflexe médical et s'est précipité sur lui. Il s'agit d'un homme ‚gé, d'une grande autorité, qui a participé activement aux premiers examens et c'est lui qui a sondé les blessures.

Je hoche la tête.

-

Bon, alors, perforation au laser? soupiré-je.

-

Il s'agit d'une supposition un peu dérivée des bandes dessinées actuelles, convient Delagrosse. Elle essaie de répondre à cette question : Comment peut-on crever les yeux d'un homme à distance sans employer un matériau quelconque?

-

Oui, évidemment...

Une grande animation règne dans les rues. Le peuple traumatisé par l'événement n'en finit pas de commenter l'incroyable assassinat. «a crée une énorme houle; une rumeur creuse, infinie comme le bruit de la mer.

-

Voulez-vous que nous retournions sur la place du couronnement, San-Antonio? Supposez que votre ami vous y attende?

Tiens, il a raison Totor, je n'avais pas envisagé cette éventualité.

-

Volontiers, Excellence.

Et nous revoilà partis! Ce qu'il faut se remuer le prose, dans la vie, c'est rien de le dire. " On s'use jusqu'à la trame à tourniquer dans la cage de notre destin ", comme l'a écrit la reine Fabiola dans ses souvenirs de jeunesse intitulés " Timide et humide ". Et comme elle a bellement raison, la chère souveraine, si modeste sur son petit trône pliant. La mousse, c'est bien fini. C'est quand Pierre roule qu'il affure du grisbi, moi je te l'annonce!

L'esplanade est totalement déserte. Des soldats montent la garde devant le palais. Les drapeaux du sultanat sont en berne. Ils représentent une énorme courgette verte sur fond blanc avec, écrit en demi-cercle et en 182

LE CRI DU MORPION

caractères dorés, cette fière devise des sultans de Kelbo Salo: " Foutl

‚ Dan Lkuou L'Kong ".

Malgré la brièveté de la fête saccagée, une infinité de papiers jonchent le sol. Le vent du crépuscule joue avec eux les transformant en une horde de rats qui galopent dans une direction, puis obliquent vers une autre dans un murmure de branchages agités (1).

Nous opérons lentement le tour de la vaste place, mais il n'y a pas davantage de Jérémie ici que de beurre dans la calotte glaciaire dont les pôles protègent leur calvitie.

- Une mesure pour rien, soupire Victor Delagrosse.

Et puis mézigue, mettant M. Blanc en " mémoire "pour me consacrer à

l'enquête, de m'écrier:

- Voulez-vous m'arrêter devant le temple, Excellence, et m'attendre cinq minutes?

Il souscrit à ma requêquette. Nous descendons de la Renault 25. Lui pour allumer une cousue, moi pour m'élancer dans l'escalier.

Je me respire les trente-huit marches du premier palier en six secondes deux. Sans ralentir et bien que la seconde volée soit plus abrupte, je me hisse jusqu'à la plate-forme suivante. Là, le guignol me manquant, je m'octroie un très court répit que j'aproflte pour mater le panorama.

Superbe! Le palais brille dans le couchant. Loin, derrière, l'horizon indigo passe majestueusement au violet sombre. Allez, l'Antoine, du nerf!

En route pour le troisième niveau. Les degrés se font de plus en plus étroits et de plus en plus verticaux. Je continue stoÔquement, me réservant de respirer à tête reposée plus tard.

Une fois atteinte la petite plate-forme qui circularise (1)

Cette phrase, d'une grande puissanú évocatrice, a valu à son auteur un paquet de Bonux lors de la remise des prix décernés par l'Académie française.

LE CR1 DU MORPION

183

autour de la grosse cloche de pierre, j'ai la poitrine en feu. Mon pote l'ambassadeur est tout mignard, en bas. Pas plus gros qu'un bouchon de champagne. Bon, alors ça se présente comme suit. Ce que j'appelle une cloche (parce que c'en a la forme) est, en réalité, une espèce de petit temple au sommet du grand. Tu te respires encore quatre marches, des saillies plus exactement, t'enjambes un parapet haut d'une cinquantaine de centimètres. Dedans, cela forme comme une cage àzoiseaux ronde, au milieu de laquelle un énorme bouddha boudiné est assis en tailleur. Il tend sa main droite en direction du palais et, de la gauche, se tient les couilles.

Des profanes~inf‚mes et insanes l'ont, bien entendu couvert de graffiti.

Une main, que je devine aubervillienne, a écrit: " Y ressemb à Carlos, hein Rirette? "

Le reste de jour s'attarde au sommet de l'édifice. Le brave bouddha jette un regard désenchanté sur le sultanat endeuillé. Note qu'il en a vu d'autres, l'ami! Les hommes et leurs turpitudes, faut pas lui en conter!

Profitant de l'ultime lumière, je fais le tour de la statue en examinant attentivement le lieu. Je suis gonflant pour un flic. Ces pressentiments, qui me taraudent, parfois. Des flashes, te dis-je. Ainsi, depuis l'esplanade, j'ai levé les yeux sur la coupole o˘ je me trouve et j'ai ressenti quelque chose d'indéfinissable. M'est venue la sensation que j'avais un rendez-vous àne pas manquer, au sommet de l'édifice. Oui, comme une notion d'y être attendu; étrange, non?

Eh bien! m'y voici! Et alors, mon devin commissaire? Je parcours entièrement la rotonde, matant le sol, les murs, les meurtrières, le bouddha impavide. Zob! L'obscurité gagne à toute vibure. Je ne-distingue plus l'ambassadeur, en bas. Le ciel est noir, avec, très loin sur l'océan qu'on pressent, une mince ligne mauve.

Je halète encore de mon ascension précipitée. Indécis, je pose un bord de miche sur le garde-dingue,

184

LE CRI DU MORPION

comme un moine tricheur sur la miséricorde de sa stalle.

Je me tourne vers le palais o˘ les préparatifs de la fête ont tourné court.

J'espère qu'ils possèdent des chambres froides et pourront conserver le bouffement du couronnement jusqu'à l'enterrement.

Il y a encore le praticable du trône. Dépouillé de l'auguste siège et des tapis, il ressemble à celui d'un échafaud. Je me dis qu'on est aux premières loges, ici, pour zinguer Bézaphon. Tu me donnes un fusil àlunette, et moi aussi je suis chiche de lui praliner les coquilles en deux secondes, serviú compris. Au flingue ou au laser! Mais la deuxième hypothèse ne me convainc pas.

Je ne suis pas porté sur les techniques; tout de même je me gaffe bien que c'est pas une lampe de poche qui peut fournir un rayon capable d'énucléer un homme! L'engin doit bien être gros au moins comme un appareil de projection, non? J'sais pas, je cause juste pour dire. Faudrait vérifier dans l'encyclopédie des techniques, mais j'en ai pas à dispose dans le temple. Timagines des mecs coltinant ce fourbi jusqu'ici, puis le rapatriant après usage, alors que c'est l'effervescence policière?

Je me lève. Ai-je bien tout vérifié? Mon fameux instinct me chuchote que non point. Ben alors, Nestor? qu'aurais-je omis?

J'interroge le bouddha, mais ce con feint de ne pas me voir. «a pèse combien, une statue de pierre pareille? Des tonnes et des tonnes, non? Et encore, c'est creux. Putain! C'EST CREUX! Ben voilà ú qu'il convenait de penser, vieux bandeur: c'est creux! Donc, ça peut servir de réceptacle à

une arme! Suffit de percer! Aurait-on ménagé un trou dans ces blocs de pierre? Comment le savoir à présent qu'il fait nuit noire? Redescendre pour chercher une loupiote? peutêtre que Son Excellence en possède une dans sa boîte àgants. Seulement ça va se voir de loin, un point LE CRi DU MORPION

185

lumineux au sommet du temple. Avec les perdreaux énervés qui draguent, je risque d'avoir de la visite.

Une cavité! Mais comment forer un trou dans cette pierre épaisse sans alerter le voisinage? Un ciseau àfroid et un maillet, tu parles d'une musique de chambre! Surtout à cette hauteur. A tous les échos, mon neveu!

Non, je me fourvoie. Il y a autre chose. La lune succède au jour. En bas, Victor Delagrosse doit se demander ce que je deviens. Une luminosité blême amène de la fantasmagorie dans l'immense cage de pierre.

J'interpelle le bouddha. Je l'exhorte comme quoi, s'il a un secret, il doit me le livrer toutes affaires oessantes. C'était quelqu'un de bien, Bouddha.

Un être de sagesse et de bonté, merde! Alors? Il continue de fixer l'infini. J˘stement, madame la lune baigne sa frime énigmatique. Et bon, moi, c'est pareil que quand tu t'entortilles un fil de fer autour de la verge et que tu y fait passer un courant de douze volts comme dans les clôtures àvaches, tu sais? Le grand frisson profond. «a me trémulse les roustons, tout le bas-bide, me grimpe au coeur. Je tape le cent vingt! Si ça augmente, je risque de me faire retirer mon permis de vivre pour excès de vitesse! Mais voilà, il a pigé, Antonio l'Unique! Tout! «a fait une sensation, crois-le!

Je m'approche de la statue. Dur de s'y agripper, comme disait Agrippine.

C'est énorme et c'est lisse. Je parviens pourtant à me jucher sur la main tendue en direction du palais. Le perchoir est solide. Ma main gauche remonte jusqu'à la tête du bouddha. Son oreille droite saille assez pour que je puisse l'empoigner. Voilà, la prise est assurée. Ma droite s'avance à son tour.

Mais oui, j'ai bien pigé, mon canard. Pas surprenant qu'il ait un regard si profond, le faux Carlos : il a des trous en guise de prunelles. Considérés d'en bas, on ne s'en aperçoit pas, à cause de l'épaisseur de la pierre.

186

LE CRI DU MORPION

J'engage ma paluche investigatrice dans la cavité, le plus loin possible.

Je touche quelque chose de rond et de métallique. Avec beaucoup de mal je parviens àretirer l'objet. Il ressemble à une bouteille de spray, ou de laque. «a mesure environ vingt-cinq oentimètres, pour un diamètre de six ou sept. C'est léger. Je coule la chose dans ma ceinture. Ma main inassouvie revient au visage de bouddha pour fourgonner dans l'autre oeil. Je l'enquille le plus loin que je peux, mais tout ce que j'arrive à faire c'est de caresser une surface polie trop enfoncée dans la tête pour que je réussisse à l'emparer. Le peu qui m'est permis, c'est d'effleurer la chose.

Faudra revenir plus tard, de jour, avec un escabeau et un crochet. Mais je sais de quoi il retourne.

Allez, beau travail, l'Antoine. Félicie peut être fière de son grand. Il est toujours détenteur du chou le plus monumental de la planète et de sa périphérie.

Sorti de la guitoune à bouddha, je suis presque ébloui par l'intensité du clair de lune. Un vrai soleil de nuit. Je dégaine le cylindre pour l'examiner. Il est pourvu d'un couvercle qui se dévisse aisément. la boîte est vide et ne contient qu'un peu d'eau. Je note que les parois de ce cylindre sont garnies d'un épais isolant. En fait, il s'agit d'une bouteille thermos longue et étroite.

Tenant ce b‚ton de maréchal en main, je descends prudemment l'escadrin; pas le moment de se flinguer une guitare!

Il a consumé (et consommé) une dizaine de sèches, Victor, dans l'énervement de l'attente; leurs mégots sont en rond autour de lui.

- Merci de votre patience, Excellence, lui dis-je, mais vous ne devriez pas tant fumer sinon le vilain petit crabe va vous sauter sur les soufflets!

Faut-il que je sois joyce pour balancer de telles vannes à un diplomate!

H sourit.

LE CRI DU MORPION

-

Mon père qui a quatre-vingt-deux deux paquets de Gauloises par jour. demander ce que vous tenez à la main,

-

La clé de l'énigme, Excellence.

187

ans grille ses Puis-je vous commissaire?

LES COLLES DES FEMMES

Là-bas, dans la doulce France, une sonnerie de téléphone retentit. Elle produit un bruit de vieux réveille-m‚tin (1) ou d'alarme de petite gare provinciale annonçant l'arrivée d'un prochain convoi (qu'on voit).

Alors que je vais renoncer et exécuter ú geste tragique et définitif consistant à reposer le combiné sur ses fourches caudines: clic! on décroche.

Une bouche, de toute évidence emplie d'aliments br˚lants, articule une phrase que seul un initié, comprenant parfaitement le béruréen moderne peut saisir. Ladite est:

- Chié, bordel, on peut plus bouffer ses tripes peinards, non d' Dieu d'merde! Et l'aut' grosse vachasse qui continue d'goinfrer; tu croives qu'é

r'muererait son cul, la salope pou'v'nir répond', charognerie vivante! Non, faut qu' ma‚me se piffre comme une gorette. Berthe, j't' tiens à l'oeil, ça fait déjà deux fois

(1)

Parfaitement : un accent circonflesque sur le " a " de m‚tin car le terme est pris dans son sens familier et ledit réveille est réservé

àl'usage des personnes malicieuses.

LE CRI DU MORPION

189

qu' tu t'ayes resservie; si j't'voye en reprend' encore, c'est ma main su'

la gueule. Allô! Allô?

-

Toujours aussi sublime dans tes tirades, Gros, apprécié-je. Un talent comme le tien ferait le bonheur du Thé‚tre français.

Le ton change, l'intelligibilité s'opère car il vient d'avaler son chargement de tripes d'une glottée de boa. Le roi boa!

-

Minú, c'est toi, l'grand! J'ai trouvé ton message dont tu m'avais laissé su' mon répondreur; j'en ai eu les larmes aux cieux. T'es rentré de Donésie?

-

Pas encore.

-

Et on peut causer d'si loin?

-

J'parle fort!

-

Faut qu'j'pousse ma sono, moi z'aussi?

-

Non, c'est parfait.

-

Ton m‚churé est toujours av'c toi?

-

Il a disparu.

-

Bon débarras!

-

Ne parle pas comme ça, Gros: je crains pour sa vie.

-

Pas moi!

Il est des haines irréductibles et le mieux est d'éluder la question.

-

J'ai besoin de toi, Gros.

-

J'arrive! Y a un train à quelle heure?

-

Non, c'est de Paris que tu peux m'aider.

-

Bon, tant pis, j's'rais bien été te filer un coup d'paluche dans ton coinceteau perdu. J'sus pas un ses-dents-en-terre, moi. La bougeotte m'empare au bout d'quéqu' mois de Franchouille. Berthe! J'te guigne, t'sais! Tu viens de reprendre une cuillérerée d'tripes, espèce d'pute! Si la converse avec Sana dure cinq minutes, j'fais ballon de rab, moi, c'est couru! Comment t'est-ce tu peux engranger c'te bouffaille, saucisse! Ell'

va me balancer des louises tout' la noye! Et des pas sympas, j'prévois.

Ecoute, grand, dis-moi

190

LE CRI DU MORPION

vite et rapid'ment ce dont tu veux, biscotte j'ai un problo grave avec ma Baleine.

-

Cela concerne Lassale-Lathuile, mec.

-

Comme par hasard!

-

J'aimerais que tu fasses quelques vérifications quant à son emploi du temps de la semaine dernière.

-

C'est fait.

Il me scie, le Mammouth.

-

Comment cela, Tarte molle?

-

Tu croives qu'j'reste les deux pets dans l'même sabot, hé, Lajoie?

que sitôt vot' départ, toi et ton nègre de merde, j'ai voulu n'avoir l'cúur net de ces bracadabrances. Alors j'm'aye att'lé à la t‚che, sans en causer au Vieux ni à quique ce soit.

-

Et alors?

-

C'est longuet, t'n'voudrais pas m'rappeler plus tard, j'sus en brise bise av'c ma morue, dont si je régu' pas c't'affaire tout d'sute, j'vais être fait aux pattes pour une question importante.

-

Ecoute, Gros, laisse-la finir les tripes, tu iras en bouffer à mes frais chez le père Finfin, je passerai payer en rentrant; mais ça urge et je me trouve à des milliers de bornes de Paris. Alors, accouche!

Dompté, le fauve des bistrots rengracie.

-

Tu sais, Finfin n'fait pas des tripes tous les jours, j'croive même qu'il les affiche s'l'ment l'vendredi parce que c'est jour maigre; mais enfin, bon : je prendrai des andouillettes. Alors voilà.

Il parle.

J'écoute.

Et quand il se tait, moi je mouille. Tu ne veux pas me croire? Tiens, go˚te!

L'étrave du ferry fend les eaux d'un bleu profond du Pacifique. Accoudé au bastingage, près de Mrne Monbauc-Surtabe, je suis distraitement le mouvement des

LE CRI DU MORPION

191

vagues se courant après dans la somptueuse lumière du soleil sans jamais se rattraper. Je pense. A ce que m'a appris Béru. A mes trouvailles du temple.

A la disparition de mon pauvre Jérémie... Et puis un hymne de reconnaissance retentit dans mon coeur, en l'honneur de notre ambassadeur, cet être d'élite, si efficace, si chaleureux et si discret aussi.

Il

ne m'a pas questionné. Et comme je n'avais pas envie de parler, je ne lui ai rien dit. Ce qui est fou de ma part car, si le Suey Sing Tong me carbonise dans les heures qui viennent, la vérité sera à tout jamais ignorée des autorités et aussi de toi qui, pourtant, as payé ce book! Mais un certain fétichisme m'a incité à me taire. La démarche mentale est la suivante : " Détenteur d'un secret carabiné, je n'ai pas le droit de mourir avec. Donc, il faut que je vive pour le préserver. Tu piges? "On est mal fagotés du bulbe, les hommes. On se complique tout: la vie, la mort, l'amour.

-

Comme vous semblez loin, commissaire! remarque ma charmante voisine de coude.

Je réagis, lui souris. Elle est radieuse, pétillante. Beau produit de notre terroir! Cette nuit, Victor l'a limée à mort et les plaintes que lui arrachait l'amour ressemblaient à de la musique sensorielle: celle qui te ifie le tricotin pour plusieurs jours. J'ai mal dormi avec mon m‚t de misère dressé sous ma roupane. De l'avoir près de moi, maintenant, continue de m'astiquer le mandrin.

C'est pas une ravelure, la mère! Putain, ce ch‚ssis! Je la clouerais bien au sommier de tortures, seulement j'ai trop le sens de l'honneur et, plus fort encore, celui de la reconnaissance. Tu me vois calcer cette superbe, alors qu'elle agrémente les nuits de Son Excellence! Mais j'oserais pas me regarder dans une glace et je devrais me raser devant une brosse à cheveux.

-

Je récapitule les données de ma petite affaire, réponds-je.

192

LE CRI DU MORPION

Elle est un peu au courant car, la veille au soir, je l'ai expédiée discrètement à l'hôtel des Lassale-Lathuile pour mater leur comportement; seulement ils n'y étaient plus, ayant paraît-il reçu de mauvaises nouvelles qui les contraignirent de quitter Kelbo Salo tôt le matin, bien avant les funestes cérémonies!

Devant nous, au loin, des falaises couronnées de palmiers. Bali! Nous approchons. L'air a une douceur de chatte bien entretenue : on le lécherait s'il avait davantage de consistance.

- 11 doit être merveilleux de venir ici en voyage d'amour, fais-je, la voix ailleurs. J'éprouve de la honte à y aborder en fuyard, simplement pour y prendre un avion, le plus discrètement possible.

Sa main rampe sur la rambarde vernie jusqu'à la mienne et s'en saisit.

- Vous y reviendrez plus tard, essaie-t-elle-de-me-consoler.

Elle ajoute:

- D'ailleurs, votre vol pour Singapour n'est programmé que pour demain soir...

La phrase est sibylline et les points suspensifs qui la terminent ouvrent la porte des rêves troubles.

" Tiens-toi à la rampe, Tonio! Ne succombe pas comme un pleutre à la sordide tentation. "

J'imite un éternuement pour avoir prétexte à récupérer ma pogne.

Le Bali Verne Palace est b‚ti en bordure de mer. Caserne de luxe composée de multiples b‚timents. Flore tropicale. Piscine immense (la plus grande d'Asie, prétend le dépliant). quatre restaurants, dont un presque valable.

Night-club, tennis, galerie marchande... Le luxe tel que l'imagine le directeur d'une maison de commerce de Pithiviers ou de Vaison-laRomaine.

Tout comme au Hilton de Djakarta, un orchestre (si LE CRI DU MORPION

193

j'ose appeler ainsi les cacophoniques' brothers en exercice devant leurs cloches et leurs courgettes évidées) sévit dans l'immense hall d'entrée.

Cette musique te porte aux nerfs et aux tympans. Tas envie, soit de te sauver, soit de virguler des baquets d'eau bouillante dans la frite des musicos à tronches musée-grévines.

- Faites-vous discret, recommande Ninette, je m'occupe d'annoncer notre venue.

Sachant qu'elle a raison, je vais me dissimuler dans un renfoncement o˘ se tient la boutique du photographe de l'hôtel. Minuscule: six mètres carrés à

tout caser. Des rayonnages en croisillons o˘ sont accumoncelées les pellicules vierges. Une banque de rotin avec un Chinois derrière qui tient le commerce. A l'extérieur, l'est un panneau amovible, qu'il rentre à la fermeture de son échoppe, sur lequel se trouvent punaisées des photos des clients en train de prendre leur gros panard au Bali Verne Palace. Tas les naÔades irisées de la piscaille, les b‚freurs du restau indonésien, portant une orchidée sur l'oreille et les nichons d'une " hôtesse " sur l'épaule.

Tas les cracks de la raquette en train de smasher (sur les pieds) et puis t'as les drilles très joyces de la boîte de nuit, avec des serpentins autour du cou. En attendant le retour de la chère médème Mombauc-Surtabe, je suis les gestes harmonieux de la mignonne petite vendeuse occupée àchanger les photos, car le culte est de passage, il ne sédente jamais longtemps et faut toujours amorcer les nouveaux.

Elle a un choucard pétrousquin, Fleur de Rizière, mais pas de seins. Ici, les dames ignorent ce que c'est. N'empêche que ses mignonnes noix me font imaginer quelle magnifique gaine elles deviendraient pour Mister Popol.

La voilà qui placarde une danseuse balinaise au charbon sur la scène du night. En couleur. Fardée poupée, avec de grands yeux cons et une bouche 194

LE CRI DU MORPION

surdimensionnée. Et puis la salle qui l'applaudit, sur une deuxième image.

Je frime, désabusé, ces têtes d'hilares, qu'un rien enchante. Ces abrutis congénitaux, toujours prêts à photographier une langouste ou àse croire élus des fées parce qu'on leur a mis un petit chapeau pointu sur la tronche!

Et là, oui, exactement à ce point précis de ma délectation lugubre (le morose étant dépassé), ma compagne vient me récupérer.

- Voilà qui est fait, dit-elle, mais hélas l'hôtel est archicomble et je n'ai pu obtenir de chambre pour vous: nous devrons bivouaquer dans la mienne; à la guerre comme à la guerre!

Elle réussit à garder son sérieux en me balançant cette jolie fable. Moi, je commence à sentir fléchir mon fameux sens de l'honneur. Une nuit en tête à tête avec Ninette, ça risque de m'ébrécher la conscience. Faudra que je me réserve à outrance, que 'e cède du terrain pied à pied (c'est le cas d'y dire). Si c'est la grosse troussée qu'elle subodore, l'attachée au culturel, zob! Une petite minette frileuse, je ne dis pas, histoire de lui calmer les sensibilités, et avec peut-être deux doigts frétillants, par politesse, avec, le cas échéant, un troisième dans l'oeil de bronze, manière de la suractiver, mais basta!

Le bagagiste en costar national attend avec son chariot portant la valoche de ma gente compatriote. Je la suis. Fais deux pas, peut-être trois? Oui, à

la réflexion j'en fais trois.

Et il m'arrive un drôle de cracziboum dans la théière, comme si je venais de me faire écumer le cervelet à la crosse de Colt.

Je rebrousse chemin et fonce vers la jeune Asiatique au petit cul délicieux. M'incline sur la photo représentant le public du nitclub (c'est commak que les ricains écrivent le mot).

Tu sais quoi? Ah! mamma mia, quelle émotion.

LE CRI DU MORPION

195

quelle surprise (en anglais : surprise)! Dans l'angle du haut qu'aspers-je?

Le couple Lassale-Lathuile devant une boutanche de roteux. Lui a la main sur le dossier de sa compagne et, du bout des doigts, lui glandille la glandaille. L'air éméché, coquinet tout plein, Lucien. En pleine java, si je puis parler ainsi à Bali.

La commotion, non? «a décoiffe, une découverte de ce troisième type. Mais tout cela n'est rien. Si t'écartes en grand tes vasistas, Stanislas, tu peux découvrir, en fond presque perdu (mais pas pour tout le monde), une tache noire à l'intérieur de laquelle se trouvent trois minuscules taches blanches. En la matant avec ton coeur ou alors avec une forte loupe, tu reconnais M. Blanc. Je répète: tu reconnais M. Blanc!

C'est pas mi-ra-cu-leux (mire-rat-cul-oeufs), ça? Enfin merde! t'en lis beaucoup des polars o˘ les coups de bite et de thé‚tre sont à ce point nourris? Avec le prix de ce book, Melbrook, t'aurais même pas de quoi t'acheter dix grammes de caviar! Et qu'est-ce que tu foutrais de dix grammes de caviar sur un toast, hmm? Tu pourrais revendre, dix grammes de caviar après usage, comme tu vas revendre cet ouvrage à ton bouquiniste?

Fume!

Je prodigue trop, moi. Je gaspille. Mes confrères me font la gueule comme quoi je g‚che le métier. J'en donne trop pour l'argent. J'ai déjà eu des rappels àl'ordre de mon syndicat. II me somme de faire moins long. Je casse la cabane en produisant des oeuvres du jour, garanties pur fruit, de trois cent mille signes et davantage! «a s'est jamais vu, un phénomène de cette ampleur. Ponton du Sérail, il tirait à la ligne, lui.

Genre:

Oh! "

" - quoi? "

" - C'est vous? "

"-Moi, qui? "

" - Vous, vous! "

196

LE CRI DU MORPION

" - Oui, c'est moi, moi! "

" - Non! "

" - Si! "

" - Parole? "

" - Parole! "

Des kilos, qu'il en déchargeait sur le quai de la gare. Le héros, pour entrer dans la chambre de la dame, lui fallait seize pages, et cinqualite de mieux pour la baiser. Et encore, à mots et à bite couverts! Tandis que l'Antonio, je te vous demande pardon, la came est livrée en temps et en or.

C'est pas de la ponte dévaluée. La triche, connais pas! Tout en noyer massif! Les autres s'en sortent plus, tu penses! Juste avec leur petite vie racornie, à bonnir! Eux et moi, c'est l'eau d'une pissotière comparée à

celle du Rhône!

Pardon? qu'est-ce que tu dis? J'en rajoute? Je biche la big tronche? Peau d'hareng, tu sais bien que je plaisante. Si j'étais ce que je dis, j'aurais mon fauteuil quai Conti, mon couvert chez Drouant, mon billet pour Stockholm et une minerve pour pouvoir me tenir droit avec décorations, le 14 ofjuly.

-

Ces photographies sont à vendre, Miss? je demande à Mam'zelle Safran.

-

On doit les commander et vous les aurez demain matin.

Je dépunaise celle qui m'intéresse et lui mets un bif de 10 dollars dans la main.

-

Je n'ai pas le temps d'attendre, mon petit coeur, la vie n'est pas un long fleuve tranquille, mais un torrent en crue!

-

qu'arrive-t-il? questionne M'~ Mombauc-Surtabe? en reprenant sa marche. Vous paraissez complètement surexcité.

-

Je le suis.

Elle murmure, se causant familièrement à ellemême, car c'est une personne spontanée qui ne prend pas de gants pour se l'envoyer dire: LE CRI DU MORPION

197

-

J'adore les hommes surexcités.

Sa chambre est agréable. Une loggia pour le pucier, avec, sous l'escalier qui y grimpe, un bar et un réfrigérateur. Le salon est élégant, faut reconnaître ; y a même la télé, c'est-à-dire, en ce qui concerne l'Indonésie, qu'il y a un poste avec un tube catholique et tout une bordellerie de bistougnets derrière. Mais sur l'écran, tout ce que t'as droit, c'est à la vie édifiante du président Suharto, à ses pompes, à ses zoeuvres, et surtout à son armée.

-

Je vais pouvoir coucher sur ce canapé si confortable! préviens-je.

Ninette ne répond rien.

-

Me rendriez-vous un petit service, douce amie d'aventures?

-

Je n'espère que cela!

Je dépose la photo sur une table, en pleine lumière. Mon extraordinaire médius (beaucoup de femmes te le confirmeront) désigne le couple.

-

Ici, les gens que je file.

De l'index, plus sérieux, presque bien élevé, je montre la petite tache noire aux trois points blancs.

-

Et là, mon collaborateur disparu.

-

II est seul et n'a rien d'un homme traqué, observe-t-elle.

-

Je crois comprendre ce qui s'est passé, rouledémécaniqué-je. La chose que j'ai à implorer de votre gentillesse, madame Mombauc-Surtabe...

-

Appelez-moi Henriette.

-

Oh! voui! Donc, lumineuse Henriette, ce que j'auends de vous c'est que vous vous informiez auprès du personnel à propos de ces trois personnes. Depuis quand sont-elles arrivées? Le numéro de chambre, tout bien. Bref, réunissez le maximum de renseignements avec le maximum de discrétion.

-

J'y vais.

198

LE CRI DU MORPION

Elle glisse le cliché dans son sac et, se ravisant, murmure:

- En échange, vous pourriez défaire ma valise, je déteste cette corvée.

- Pour moi, ce sera le bonheur,assuré-je.

qu'après tout, hein, l'honneur ne se situe pas au-dessous de la ceinture, et si vraiment cette pécore a envie de me débigorner la membrane, faut pas être plus catholique que le pape!

Si elle voulait me laisser palper ses dessous pour attiser mes sens, c'est gagné! Ma doué, cette panoplie de courtisane! Il ne doit pas se cailler la laitance, Victor, avec une attachée culturelle aussi minutieusement attifée (attifée, toi que voilà, pleurant sans cesse...).

Le choc me vient d'un porte-jarretelles blanc. Contrairement à ce que s'imaginent d'aucuns (voire d'aucunes), les porte-jarretelles blancs sont very plus exitinges que les noirs. Ensuite, des bas fumés avec un semis de menues fleurettes roses le long de Jean Lacouture. Les soutien-loloches hautement frivole~, ne sont pas dégueulasses non plus (ou plutôt si : ils le sont en plein !). Mais le top est constitué par une armada de slips qui arrêteraient net le hoquet (sur gazon) d'un moribond. Il y en a des black, des white, des fumés, des bleu p‚le, des rouge vif; des moins grands que la main, des fendus (pour celles qu'ont de l'entregent et de l'entrejambe), des qu'existent à peine tant tellement ils sont arachnéens. Rien que de palper ça, tu chopes une godanche déferlante. «a te typhone les bourses au plus profond du linge. T'as l'oeil de bronze qui en cligne des paupières, Pierre.

Lorsque la môme se repointe, je marche au pas de ma mère l'oie dans le salon. Salingue à outrance, son premier regard est pour la périphérie de mon kangourou. Gagné! Elle a retapissé l'effervescence; le mons LE CRI DU MORPION

199

tre branle-moi le combat à bord de mon kangourou. «a lui promet une nuit d'ivresse, Henriette. Elle ne sera pas en rade de radada. Mais ces garces, tu les connais, hein? Le coup de saveur était si rapide qu'il faut mon oeil à moi pour le repérer.

- J'ai vos renseignements, commissaire.

Elle me tend un feuillet de bloc à en-tête du Bali Verne Palace. Je lis: Jérémie Blanc, appartement Orchidée 8; M. et ~ Lassale-Lathuile, appartement Azalée 17.

- Vous êtes un archange, Henriette, complimenté-

Elle sourit.

- A propos de mot, dit-elle, Son Excellence m'en a remis un pour vous avant de me quitter.

Elle fouille dans son réticule (comme on écrit puis quand on veut éviter là

répétition du mot sac à main) et y prend une carte de visite sous enveloppe cachetée. Je dépucelle cette dernière et prends connaissance du message.

Victor Edmond Delagrosse

Ambassadeur de France à Djakarta

est convaincu que le charmant cicérone du commissaire San-A ntonio ne laissera pas celui-ci indifférent. Il invite cordialement le commissaire à

ne pas laisser échapper cette affaire qu'il n'hésite pas à qualifier de sensationnelle.

J'éclate d'un rire bordé de reconnaissance. Ah! le cher homme. Ah! le bel esprit malicieux. Ah! comme il est beau de faire preuve d'une telle générosité. que de délicatesse! que de perspicacité! Comme un tel message révèle bien la connaissanú de l'humain dont fait montre notre représentant en Indonésie. Il va falloir le rapatrier d'urgence, ce diplomate si diplomate et si avisé. Le garder au quai d'Orsay, pas qu'il risque de choper une vérolerie dans les forêts et les chattes 200

LE CRI DU MORPION

tropicales! Le bel et sublime ami que j'ai trouvé sur cet archipel de merde! Il faudra que je l'invite à la maison. M'man lui confectionnera sa blanquette des grandes liesses. Il boira mon Yquem vénéré. Je lui montrerai le beau cul noir et frisé de Maria, mon irremplaçable ancillaire. Pour un peu, je baiserais cette carte de visite, comme Roxane la lettre de Cyrano qu'elle croyait écrite par ce grand con dont j'ai oublié le blaze, mais tant mieux!

- Vous paraissez bien réjoui? fait Henriette Mombauc-Surtabe.

- Je le suis. Delagrosse est un être exquis, assuré-je.

J'enfouille le poulet et vais m'asseoir devant l'appareil téléphonique pour y composer le numéro interne de la chambre Orchidée 8.

On ne répond pas.

Je sonne, tout de suite after, l'apparte Azalée 17; sans plus de succès.

Ces messieurs et cette dame sont sortis. Ce qui s'est produit. Ah, je le subochodonosore dans les grandes lignes. Après le meurtre du sultan, M.

Blanc, par un con court de circonstances heureux, a aperçu LassaleLathuile et s'est mis à le filocher. L'autre a d˚ foncer sur Bali et mon Noir bien-aimé est parvenu à le courser jusque-là je ne sais trop comment. Ne sachant o˘ me joindre, il n'a pas eu le loisir de m'avertir. Et maintenant qu'il est à pied d'oeuvre, Jérémie, flic émérite, continue stoÔquement notre enquête. Seul! Chapeau bas! C'est un vrai pro!

La seule chose cohérente que je puisse faire pour l'instant, c'est de m'en payer une tranche avec robinet en attendant le retour du trio. T'avoueras que le hasard est grand, qui m'a conduit dans cet hôtel. Car enfin il n'existe pas que le Bali Verne Palace sur cette île légendaire.

LE CRi DU MORPION

201

- Vous n'avez pas faim, commissaire? demande Henriette.

- Si, dis-je: de vous.

Alors, elle dresse le couvert.

Je la commence par la " tulipe batave ", une nouveauté que j'ai inscrite à

mon menu tout récemment. J'ai donné ce nom à cette prestation l'ayant expérimentée pour la première fois avec une petite touriste hollandaise prise en stop boulevard Saint-Michel. Elle voulait se rendre dans le Midi.

Je lui promis de lui faire faire un bout de chemin et l'invitai à descendre sa culotte pour commencer, sans avoir besoin de beaucoup d'arguments.

Nous nous trouvions coincés dans un flot de chignoles par un heureux accident de la circulante. Ayant déslipé la donzelle, je trompai le temps en lui chatoyant la marguerite. Puis, comme elle avait le frifri extra-clean, malgré un sac à dos qui ne laissait rien présager de tel, j'inventai une position ignorée du public jusqu'à ce jour, gr‚ce à laquelle je pouvais demeurer à mon volant et lui entonner la tyrolienne clodoaldienne sans pour autant nous oifr~i~ ~ ê ~*, ti~ 4i~idh1tt!sC iq~k7n. ~a figure hasardeuse fut possible gr‚ce à la mobilité du siège passager, réglable dans trois directions, et au large accoudoir de ma Maserati. La chère Néerlandaise connut un moment d'exúption, qui me fut confirmé par le geste d'un clodo piqué au bord du trottoir, lequel me brandisit un pouce enthousiaste.

Après cette séance mémorable, je respectai ma promesse de rapprocher la Batave de la Côte d'Azur en la déposant Porte d'Italie. Dans le fauteuil o˘

je me tiens, je reconstitue l'exploit du boulevard SaintMichel; et tu vois si la recette est exquise : M~ Mombauc-Surtabe, ravie, crie sa joie à tout Bali comme un coq survolté par l'aurore.

L'exquise attachée culturelle me prouve sa recon 202

LE CRI DU MORPiON

naissance en me chevauchant en amazone. Délicatesse extrême. L'instant est d'une grande intensité. Je la laisse fol‚trer du fion sur le nez de Pinocchio (qui n'a pas besoin que je dise des mensonges pour croître et embellir).

Par la baie donnant sur le jardin privé, je contemple la sublime flore de ce lieu enchanteur, ce qui ajoute encore à mon plaisir. quand on est un véritable artiste, on fait mouillance de tout.

Et brusquement (comme je me plais souvent àadverber), mon envol superbe de martinet gavé d'azur a des ratés.

J'avise un spectacle singulier : celui de deux hommes en blouse blanche coltinant une civière. Ils empruntent le jardin pour ne pas être trop remarqués. Les hôteliers sont gens pudiques qui cachent la maladie et la mort de leurs clients comme un chien les os qu'il entend consommer plus tard.

Les brancardiers rasent les murs et marchent sur les pelouses bien ratissées. L'homme qu'ils coltinent a un bras qui pend du brancard. Or ce bras est noir!

Mon sang n'écoutant que mon courage à deux mains, ne fait qu'un tour. Je largue ma frénétique Henriette pour sauter par la baie dans le jardin et courir jusqu'aux infirmiers, tout en refoulant Coquette dans ses appartements. Ma survenance les contriste et ils pressent le pas. Mais leur lourde charge ne s'accommode pas d'une course à pied. En huit enjambées grand format je les ai rejoints, ce qui me permet de découvrir ú à quoi je m'attendais : Jérémie!

Il

gît sur le brancard, p‚le sous sa négritude. Le regard clos, la bouche ouverte.

-

Il est mort? demandé-je à ses porteurs.

-

Pas encore, me répondent-ils avec optimisme.

-

que lui est-il arrivé?

-

Probablement une crise cardiaque, émet le brancardier de tête.

LE CRI DU MORPION

203

Je coule d'autorité ma main sur la poitrine de M. Blanc. Le coeur bat, très lentement et de façon irrégulière.

- Il y a un hôpital ici?

- A Denpasar.

J'imagine l'hosto en question! Les hauts lieux touristiques sont rarement équipés médicalement. On y embellit les vacances sans se préoccuper de la mort. Les gens s'y pressent pour le plaisir, non pour la souffrance, et quand, d'aventure, un quidam gît sur le carreau, c'est tant pis pour sa pomme! Malheur à ceux qui restent en route!

- Vous êtes docteur? demande le brancardier de queue.

- En lettres.

«a leur suffit pour me plonger dans l'océan de leur mépris et ils poursuivent leur chemin.

quand je reviens à la chambre, Ninette est en train de s'oindre le mollusque farceur à la p‚made de phalanges. Très ravissant spectacle, toujours émouvant mais que, vu les circonstances, je n'ai guère le coeur àapprécier. Sitôt qu'elle s'est exorcisé l'intime, je la rencarde à propos du drame et lui demande de foncer àl'hosto pour qu'on tente l'impossible sur Jérémie. qu'elle excipe de ses fonctions diplomatiques afin de veiller au salut (s'il est possible) d'un ressortissant français.

Une jouisseuse, certes, Ninette, mais néanmoins une femme d'action! La voilà reculottée, jupabaissée, déterminée! Elle part pour la croisade de la dernière chance.

Et moi, pauvre créature démunie, flic à la con, paumé dans les méandres d'une sinistre aventure, je cache mon visage dans mes mains implorantes en réclamant au Seigneur le salut de mon pote. Je porte la complète responsabilité de ce qui lui arrive, l'ayant entraîné à la légère dans ces c...~trées néfastes, lui, un

204

LE CRI DU MORPiON

père de famille nombreuse! Lui, l'époux d'une femme admirable! Il n'est pas possible que le Suey Sing Tong l'ait fabriqué! Non, non! Je regimbe!

Et pour commencer, j'appelle Paris afin de fournir au Dabe un rapport circonstancié des événements. La vérité vraie doit être connue! Toute la vérité! Je ne puis emporter ú secret dans la tombe.

LABEL DU SEIGNEUR

Un couple de Balinais en uniforme jaune achève de faire le ménage chez les Lassale-Lathuile au moment o˘ je m'y pointe (d'asperge). Gens d'une extrême gentillesse, ils m'abreuvent de joyeux " bonjour ", sans même se demander ce que je viens branler dans cet appartement qui n'est pas le mien. Mais ils ne sont pas taraudés par ce genre de questions, d'autant que, d'emblée, je leur attrique un bouquet de dix pions uéssiens.

Le local est identique à celui que je partage avec Henriette. Le couple d'employés doit, en fin de compte, me prendre pour l'occupant de la chambre, car le gars me montre qu'il vient de changer le papier chiotte, la corbeille de fruits et de placer des chocolats sur les deux tables de chevet.

Il

me gazouille dans son langage d'oiseau-homme:

-

Vous n'avez pas dormi à l'hôtel, Sir?

-

Pourquoi me demandez-nous cela?

Il

désigne le plumard:

-

Le lit n'était pas défait.

Voilà qui est intéressant.

-

Non, je dis, je n'ai pas dormi ici.

Et je ne précise pas davantage car il se fout tellement de ce que j'ai fait de ma nuit que t'aurais le temps de

206

LE CRI DU MORPiON

confectionner un pot-au-feu avant que le sujet commence à titiller son attention.

Les deux larbins repartent à reculons, en récitant leurs sincères remerciements auxquels ils ajoutent l'expression de leur considération distinguée.

Après leur départ, j'explore les armoires: pas une fringue! Deux valises subsistent sur la table à claire-voie chargée de les héberger, mais elles sont strictement vides.

Moi qui possède une caméra électronique à la place du regard, je peux t'assurer qu'il ne s'agit plus des valdingues que j'ai aperçues à Djakarta.

Là-bas, Lucien et sa radasse possédaient des bagages de marque, tandis que là, il s'agit de tristes valoches de bazar.

M'est avis que mon pauvre Jérémie s'est laissé fabriquer dans les grandes largeurs. Il a filé mon surprenant contrôleur depuis la place du couronnement et s'est arrangé pour l'escorter jusqu'à Bali. Seulement il s'est fait repérer.

Hier soir, Lassale-Lathuile et sa donzelle sont allés dans le nitclub.

quand ils sont rentrés, M. Blanc a été persuadé qu'ils allaient se zoner et que la journée était finie. Il a donc gagné sa propre chambre et s'est couché. Les deux autres en ont profité pour déménager à la cloche de bois.

Comment se sont-ils procuré des valises vides pour servir de trompe-l'oeil?

Sans doute jouissent-ils de complicités à Bali? Le Suey Sing Tong a neutralisé mon poteau noir pendant son sommeil, ce qui explique qu'il n'ait pas répondu à mon appel, tout àl'heure. C'est en venant faire la chambre que les domestiques du Bali Verne Palace l'ont découvert inanimé et ont donné l'alerte.

O˘ sont-ils maintenant les maudits amants? Envolés vers d'autres cieux? Je furète dans l'appartement, sans but et sans espoir. Ils l'ont à peine occupé, n'y ont pas dormi et, de surcroît, le ménage vient d'être fait! Par acquisition de conscience (comme dit le Gravos), je LE CRI DU MORPION

207

traîne mon pif un peu partout, en pure perte. ils n'ont pratiquement fait qu'entrer et sortir de cet appartement...

Je guerre lasse sans me décider à m'évacuer. Une chose que j'ai remarquée au cours de ma puissante carrière, c'est que les lieux parlent toujours des gens qui les ont occupés, f˚t-ce brièvement. L'homme imprègne son milieu, je dirais plutôt qu'il le pollue.

Voilà que je me love dans un fauteuil, les jambes repliées, dans la position d'une jeune fille pubère relisant pour la oent quinzième fois la lettre de son amoureux. J'évoque Lassale-Lathuile, lors de mes visites à

son redoutable bureau fiscal. Je plaidais pour mes notes de frais, l'enfant que j'ai à charge, m'man qui ne touche qu'une ridicule et symbolique pension de veuve. Il m'écoutait, l'oeil froid, son siège déjà fait. Un visage très p‚le, marqué de plaques rousses. Ses yeux sont d'un drôle de gris métallisé, au Lucien. Maintenant que je sais ce que je sais (et que je te révélerai peut-être plus tard, si t'es pas trop chiant), je comprends combien une telle bouille convient à cet invididu. Un type tout en acier trempé! Insensible! Il hait l'humanité entière, jusqu'à lui-même, je parierais. Une absence d'‚me qui le rend impitoyable à tout. Une mécanique de haute précision, tu vois?

Bon, il respecte son programme. Jusqu'à Kelbo Salo, je pige. Mais pourquoi Bali? Tourisme pour de bon, tu crois? Il joint l'agréable à l'utile et vit son voyage de noces buissonnières avec la souris qu'il convoie? Tiens, en voilà une sur laquelle je ne sais rien, mais il serait intéressant de lui défricher le pedigree, non?

que fouté-je ici? A m'attarder sans but, alors que mon Jérémie a peut-être trépassé? Allons, cours vivre ta pauvre vie, mon Sana accablé! Et gaffe à

tes plumes car des gens s'occupent de ta santé. N'espère pas qu'ils abandonneront, ce sont des coriaces, des pugnaces intraitables. Des Chinois verts de la pire espèce!

208

LE CRI DU MORPION

Je me déroule, tel le boa après sa sieste de plusieurs jours. Gagne la porte à regi~et. Il me semblait que... que quoi? que j'allais découvrir un petit quelque chose? j'exagère avec mes intuitions. Je vais tourner cartomancien, si ça continue. Ou bien ligoter l'avenir dans les taches de foutre ou le marc de Bourgogne. Putain, ce que j'en ai quine de tout!

Vivement maman qu'elle me recommence. C'est une envie qui me cherche noise depuis lulure. Je voudrais retourner foetus et que Félicie me recoltine en son sein. Elle me repondrait ailleurs, dans une contrée perdue, une île crusoenne, tiens. Je boufferais des racines, des fruits, du poissecaille et j'enfilerais Vendredi pour me dépurer les humeurs. Je la vois grosse comme une maison, ma hutte de branchages, si je puis dire (et que ne puis-je pas dire, grand Dieu!). La chèvre naine attachée à un pieu, non loin de la porte. Des espèces de volailles apprivoisées picoreraient les grains que j'aurais fait pousser par miracle. M'man me confectionnerait une blanquette de veau, sans veau ni crème. Y aurait du soleil à chier partout, avec juste un peu de mousson de temps en temps, et on se claquemurerait pour jouer au scrabble. On meurt de trop posséder, les Oúidentaux. Air connu. Le vrai bonheur, c'est rien du tôut, avec de l'eau fraîche, un cul et de la chaleur (urbi et orbi) autour!

J'open the door, comme disent les petits Italiens quand ils apprennent l'anglais. J'ai déjà un pied dehors. Et c'est mon panard resté encore à

l'intérieur qui entend la sonnerie du téléphone.

J'hésite pour si ça parvient vraiment de la chambre ou merde. Oui : c'est bien le biniou de l'apparte. Alors, d'un pas déterminé, je vais décrocher.

-

Hello! je désarticule.

Une voix de gonzesse l‚che:

-

Billy?

-Yes.

LE CRI DU MORPION

209

-

Ah! bon. quand j'ai demandé les deux autres et qu'on m'a dit de ne pas quitter, j'ai failli raccrocher. Comment se fait-il que tu sois encore sur place?

The colle, hein? Tu répondrais quoi, à ma place, tézigo? Tu resterais bien con, la gueule grande ouverte sur du silence, je parie? Mais Sana, c'est le gazier d'élite, que veux-tu que je te dise. Le mec extrêmement exceptionnel.

Bref regard à la pièce pour l'inspire. Mes yeux se posent sur les deux valoches.

-

A cause des valises; une couillerie! dis-je.

-

Laquelle?

-

Je ne peux pas parler.

-

C'est pour ça que tu chuchotes?

-

Affirmatif.

-

Je vois. Si tu veux assister à une superbe crémation, il y en a une de prévue demain à dix heures à S‚liSang. Salut!

Elle raccroche, moi aussi.

Tu vois, Benoît? Je savais que j'avais quelque chose à espérer de cette chambre.

J'attends le retour d'Henriette. C'est long. La télé indonésienne m'offre un documentaire formidable sur~ le président M. Suharto faisant prêter serpent aux cadets de l'école navale. N'ensuite on te montre le même président M. Suharto échenillant les orchidées de son jardin, car c'est un homme très simple. Puis c'est le président Suharto donnant à des jeunes filles la recette du nazie-gorang. Après quoi, on nous propose le président Suharto assistant à un ballet à Boraboudur, oeuvre magistralement magistrale qui s'achève par l'incendie du palais sur la scène de plein air, lequel incendie est figuré par deux bottes de paille sur lesquelles un machino vient vider le contenu d'un jerrican d'essence avant de les enflammer avec son briquet Bic.

210

LE CRI DU MORPiON

Juste au moment o˘ l'on commence à nous passer le générique d'un film sur la vie du président Suharto, Henriette fait retour.

Je braque mes projos sur son visàge. L'anxiété me donne envie de gerber.

-

Alors? balbutié-je.

Tu sais quoi?

Voilà ma jolie attachée culturelle d'embrassade qui, en guise de réponse se défait de sa robe plus vitement qu'une effeuilleuse professionnelle: elle jaillit en soutien-loloches et slip chuchoteur. Envoie cela à dache et s'allonge, en croix de Saint-André, sur la moquette.

-

Il s'en tirera, annonce-t-elle. Finis-moi!

C'est donc dans l'allégresse que je reprends les choses, là o˘ elles avaient été sinistrement interrompues. Si nous n'atteignons pas la fin de ce très remarquable ouvrage que les étudiants du vingt et unième siècle après Jésus-Christ auront à disséquer, je t'offrirai la liste et la description de mes fesses d'armes en l'occurrence. Seulement il se fait tard, le papier est cher, mon éditeur économe et les bateaux à vapeur vont bientôt t'arriver.

Brièvement, je t'indique que je lui termine la " tulipe batave " en la ponctuant d'un trémolo fantasque sur l'ergot de concentration. Puis, c'est l'inévitable " trois et un quatre ", exercice d'une grande précision nécessitant un rigoureux polissage des ongles, car trois doigts dans la moniche et un dans l'oeil de bronze, ça ne pardonne pas si tu as les griffes trop longues ou qui accrochent.

Oserai-je préciser que, parallèlement à oette activité, elle a droit à un mordilage de cuisse et à un titillage langoureux des embouts caoutchoutés.

Tu l'avais déduit de toi-même, ô mon lecteur complice, si délibérément aimé

de moi que je ne lui cèle rien de mes secrets, fussent-ils d'alcôves.

L'adorable, l'exquise

LE CRI DU MORPION

211

dame, conçoit de ces voluptés un plaisir qu'elle me sonorise admirablement.

Une femme qui vocalise la jouissance fait passer Mozart pour un con. quel chant plus doux, plus beau, plus mélodieux que ces r‚les émaillés de cris, que ces plaintes ponctuées d'appels, que cette mélopée interrompue par d'inoubliables rugissements? Ah! donzelles, mes chères chéries, comme je vous aime! Vous êtes les seuls véritables instruments de musique de ce monde.

Après le " trois et un quatre ", elle est apte au forage grec. Surtout, gamin, situ entends le pratiquer, n'oublie jamais d'opérer quelques aller et retour à la papa préalables, histoire de te lubrifier le pollux. Et n'engage celui-ci qu'avec une extrême courtoisie, sans cesser de te prodiguer totalement, afin de maintenir l'effervescence. Pour qu'un feu prenne, on doit lui souffler dessus. Alors, souffle! Souffle sur la femme que tu honores et qui se consent. quand le feu a bien pris, qu'il est vif et crépitant, parachève, mon fils! Et surtout parle! L'usage de la parole ne nous a été consenti que pour ces instants-là. Nous aurions pu nous en passer, sinon. Les seuls mots vraiment utiles sont ceux qui transcendent l'extase. Ceux qui ne sont plus répétables et qu'il convient d'oublier sitôt leur mission remplie.

Là, c'est de la folie, Ninette! Elle entonne ma gloire éternelle, celle de mes aÔeux. Comme quoi y en a qu'un au monde et elle l'a dans le brasero. Le combien elle est l'élue pour morfler un chibre pareil, si noble, vigoureux, intelligent et tout! De la bête de raú inoubliable. Pour concours international. Premier aux imposés, premier aux figures chibres! Dur et flexible à la fois. Durandal et roseau pensant. Nerveux comme un étalon arabe. Toujours piaffant. Feu des quatre fers et foutre des deux roustons.

Le temps, ensuite, d'un passage sous l'onde tiède cadumisée, et voilà ma Jehanne d'Arc de braguette repartie pour une nouvelle épopée sur l'avers.

Là, ça

212

LE CRI DU MORPION

déglingue, espère! Tu l‚ches tout le quadrige, les rênes te servant de fouet. Hue, dia! Hop! Cette chevauchée, ma doué! Les Comanches? Des petits va-de-la-gueule peinturlurés. Les Cosaques? Des jouvencelles de manège!

Même le prince Charles, quand il joue au polo, monté sur Di, sa jument poulinière, il ressemble àun postillon de Longjumeau, le grand fané, comparé àMessire Moi-même.

Lorsque j'abandonne ma cavalière après cette fantasia héroÔque, elle est crouni complet! Notre attachée au culturel, tu pourrais pas lui tirer la moindre fable de La Fontaine, le plus fastoche alexandrin d'Hugo " Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là! " Refermée comme une huître farouche, la voici. So˚lée de paf, de sensations fortes. Après une ramonée pareille, elle doit se gaffer de pas paumer ses légumes en . marchant. C'était un séisme, quoi! Typhon sur le dito! La matrice en portefeuille! Les cuisses en parenthèses. La toison défrisée. Le pubis déboîté. Le bas-ventre en flammes. Va lui falloir huit jours pour récupérer son sensoriel et la panoplie de ménage qui va avec. Durant ce laps, elle ne pourra guère être baisée que par un tube de vaseline, et encore sans le contenant! Elle chuchote, en état second, voire tertiaire, que je suis un assassin de frifri, un chatticide, un dévasteur de cramouille! que je lui ai mis le sac à sac. que j'y ai arraché les trompes, disloqué l'obturateur au point qu'elle a maintenant le pot plus grand qu'une porte de grange! Un soudard vandale à se pisser contre! Un nergumène du zob! Mon braque, c'est un pic pneumatique! Fait pour dépaver les rues! Entreprendre une gonzesse avec un tel outil, c'est faire d'elle une épave du frigounet. Tu la froisses papier-cul, la pauvrette! Lui cigognes le soubassement pis qu'une secousse sismique! Elle conclut en affirmant que c'était fabuleusement bon tout de même et, pour tout dire, royal.

Je nous sers deux scotches. Pas réparateurs le moin LE CRI DU MORPION

213

dre. L'alcool ne répare jamais rien, mais faut bien se donner l'air de héros de cinoche. Toujours, si t'as remarqué, après la lonche grand style, ces monsieur-dame éclusent un whisky.

-

Henriette de France, lui dis-je en caressant son pied de mon pied, il serait temps que tu t'expliques àpropos de mon ami Jérémie.

-

Il revient de loin!

-

Je m'en doute, Metz-Angkor?

Elle m'en raconte une vachement raide, je te prie. Du jamais vu! Faut être négro pour vivre une semoulée pareille!

Gure-toi que, dans la noye, tandis qu'il en concassait, mon pote, deux mecs se sont introduits dans sa turne, masqués. L'ont réveillé en sursaut. L'un d'eux le menaçait d'une pétoire énorme. Il lui tenait le canon braqué dans les narines. " Si tu cries, ta tête explose! ". Alors, M. Blanc la cadenasse, c'est humain. Le deuxième mec sort d'une sacoche un étrange appareil qui ressemble à une pompe à vélo, en moins long et en beaucoup plus large. Le type lui a déclaré qu'il lui appliquait ça sur le coeur, que c'était un piston à air comprimé terminé par une lancette empoisonné. qu'il allait crever instantanément et très proprement. Bon, il pose l'engin contre le thorax de Jérémie. Celui-ci exécute alors un saut de carpe fantastique. Mais, en même temps, le coup part et mon pote retombe, foudroyé. Les deux mecs se sont tirés, certains que leur victime avait trépassé.

En réalité, il s'est produit ceci : l'agresseur a tiré àtravers le pyjama.

Or, M. Blanc porte sur sa poitrine une amulette qui lui a été remise par le père de Ramadé, sa très chère épouse, lequel, je le rappelle àceux qui ont de la paille d'emballage en guise de cerveau, est sorcier sur les rives du fleuve Sénégal. L'amulette en question est confectionnée en peau de porc-

épic d'une résistance à toute épreuve. La lancette 214

LE CRI DU MORPION

à air comprimé l'a frappée sans la percer, mais l'a enfoncée dans la chair du négus, à cinq úntimè~res du coeur, à droite en entrant. Le poison (du cul-rare) s'est écoulé à l'intérieur de la poche ainsi formée. C'est la violence de l'impact qui a fait perdre connaissance àmon vaillant. Il est resté plusieurs heures dans une espèce de k.-o. voisin du coma et n'a repris connaissance qu'à l'hôpital d'infortune de Denpasar o˘, en l'auscultant, un médecin a découvert l'amulette enfouie dans la chair et l'en a retirée proprement. Gr‚ce à Dieu et à son amulette, M. Blanc est sauf! Henriette lui a fait quitter l'hosto pour le confier à des Français amis qui tiennent un commerce d'exportation d'art local dans l'île.

Admirable fille!

Dis, elle mérite l'hyper-coup de rapière que je lui ai administré, non?

De savoir mon camarade sain et sauf me plonge dans une euphorie infinie.

La môme me caresse encore les testicules, mais en camarade, comme Prost caresse le capot de sa guinde quand il vient de remporter une course.

- Je vais devoir vaquer à ma mission, s'excuse-telle. Je me demande comment je vais pouvoir clamer les louanges ne notre pays dans l'état de délabrement o˘ tu m'as mise, voyou chéri!

La pelle ardente du pardon, après l'appel des sens. Elle aime. En revoudrait déjà, mais son devoir avant tout, non?

- C'est quoi, la France, selon toi, beau commissaire casanovesque?

questionne-t-elle, songeuse.

- Une peuplade de prolétaires endettés, répondsje, en espérant que le président Mitterrand ne lira pas ce livre.

Elle sourit, merci.

- que vas-tu faire en mon absence, mon amour dur comme l'acier?

LE CRI DU MORPION

215

-

T'attendre, sublime forniqueuse au cul enchanteur et à la chatte délectable. Boire un peu pour tromper le temps, en visionnant quelques documentaires consacrés à la vie et à l'oeuvre édifiantes du président Suhardo. Je sens que cet homme éminent est en train de me devenir indispensable.

L'AR»NE MORTE

S‚li-Sang est une petite localité située à une vingtaine de kilbus de Denpasar (si Denpasar on te donnera autre chose). Les maisons y sont humbles, comme presque partout à Bali, les échoppes nombreuses, o˘ l'on vend des babioles d'argent ciselé : bijoux de semi-pacotille que les touristes marchandent d'autant plus ‚prement qu'ils valent des prix dérisoirement bas. Un temple un peu plus fameux que les autres célèbre la foi bouddhiste. Des autochtones portant le sarong viennent y déposer des offrandes en pyramides précaires dressées sur des plateaux d'osier tressé.

Une quantité de nourritures bigarrées. pagis ~ ~e~ts et de bonbons, fruits exotiques, poulets rôtis, sacs de riz, fleurs, pièces d'étoffe, artistiquement assemblés et fixés, ornés de rubans aux teintes vives. Les nabus du coin queueleuleutent et disposent leurs pièces montées sur l'entablement des espèces d'autels en plein air, sous les regards atones des statues et des prêtres, pour la plus grande allégresse des mouches à

reflets bleus. Ils se prosternent, ravis d'offrir, eux si pauvres, des denrées qu'ils estiment riches à ces divinités roupillantes. Ils surveillent en coin l'offrande du voisin, plus somptueuse ou plus modeste que la leur, car même en pleine crise de foi, les hommes sont vermines que tu peux pas savoir l'à

LE CRI DU MORPION

217

quel point, bordel! A s'entre-jalouser comme des gorets!

Henriette et moi les regardons manigancer. Des touristes épars flashent à

tout va, quand bien même ils ne sont pas japonais. Voleurs d'images!

Agaçants grappilleurs d'existences. Voyeurs de rien! Connards! Connards! Et je dirai même : connards!

Elle a l'habitude, M'~ Monbauc-Surtabe, de cicéroner les personnalités gouvernementales en déplacement à Bali. Un vrai guide bleu des Vosges, la mère. Te récite par coeur le pourquoi du comment des trucs. L'origine des traditions. L'historique, tout bien. En connaît un monstre rayon sur les moeurs, les races, les religions et tout le bazar. Very interesting, je la trouve. D'ailleurs, même si elle était analphabète, avec un cul pareil et un brio amoureux aussi performant, elle ne me laisserait pas indifférent.

La crémation annoncée par la mystérieuse voix féminine au pseudo-Billy dont je tenais le rôle au pied levé, va avoir lieu dans vingt minutes. Comme nous étions en avance, Henriette m'a montré le temple Polotour de S‚liSang, parce que, justement, c'est la fête religieuse du Nantankungong.

Elle se met au volant de sa petite chignole de louage et nous allons attendre la cérémonie crémateuse sur l'esplanade y affectée. On se gare sous des eucalyptus poussiéreux, dans un coin du terre-plein. Il fait doux, le soleil brille et ma braguette chante sa joie de vivre. Deux b˚chers sont dressés.

- Ils font philippine? demandé-je.

- Oui, sourit ma conquête. Le mari et la femme sont morts dans un accident de mobylette, selon ce que j'ai appris.

Sa main caresse ma cuisse. On dirait que ses avaries de réchaud sont réparées et qu'elle se trouve de nouveau opérationnelle, la jolie chérie.

Je sens, aux effluves qui partent d'elle, combien elle regnanate du 218

LE CRI DU MORPION

frifri. Avant notre envol de l'aprème, Jérémie et moi, faudra que je lui ménage une séance d'adieu, Hennette.

Une bouillave langoureuse, je pressens. A la nostalgique, côte à côte dans le pucier. Juste je lui tiendrai, une jambe levée, pas qu'elle fatigue trop.

Tout ça après la préface habituelle, oeuf corse. Le petit compliment débité

à bout portant sur le bistouguet. Je la planterai nonchalamment en 1w récitant des pages entières de mon adaptation personnelle de Gamiani.

J'irai d'une allure primesautière, sans forcer la cadence. Valse anglaise, tu vois? Pas du tout la harde sauvage. Je ferai jouer les violons. Hier, c'était du Wagner; today, ce sera du Chopin. Pratiquer l'alternance, comme en présidence de République. Un septennat t'as François Mitterrand, le septennat d'ensuite, t'as Mitterrand François, tandis que Double-patte et Patachon s'en vont vendre des moules dans leurs circoncisions (comme dit Bérurier-le-puissant).

Elle soupire, en tirant sur la sonnette d'alarme de ma fermeture Eclair:

-

Pourquoi tiens-tu tellement à voir cette crémation, Antoine? Par curiosité?

-

Point tant, réponds-je. Tu sais, sur le chapitre des émotions fortes, j'ai déjà donné. Mais il y avait comme de l'ironie dans le ton de la fille au téléphone, quand elle a prévenu son copain Billy que celle-là

allait avoir lieu.

-

Et tu en conclus quoi?

-

Rien, sinon que je ne dois pas la rater.

Elle a glissé sa main preste dans l'encolure de mon slip pour un brin de causette avec Nestor. O˘ tu constates la gonzesse expérimentée, c'est la manière qu'elle le chope par le cou avec un mouvement de pas de vis (et non pas de vice). Toujours à dispose, Matéose! Il a droit à un petit bisou affectueux qui le pavane à bloc.

LE CRI DU MORPION

219

Sans doute pousserait-elle plus loin sa manoeuvre si une musique n'éclatait à cet instant au coeur du village. Cloches èt tambours, comme partout! Bach aurait vécu ici, il se zinguait recta.

- Les voilà! fait-elle, bien qu'on ne doive pas parler la bouche pleine.

Je remets Coquette à la niche, par déúnce. J'ai rien de morbide et je suis pas le genre d'auteur à se faire tailler un calumet devant des cadavres, Dieu merci beaucoup!

Maintenant, faut que je vais te décrire les b˚chers. ils sont placés côte à

côte, à environ trois mètres dix de distance. Chacun se compose de deux espèces de palissades faites de troncs de bananiers (ceux-ci ne br˚lent pas et retiennent les braises). Entre cette double palissade sont accumulés des fagots sur une hauteur d'environ deux mètres. Le b˚cher est surmonté d'un dais de papier aux couleurs " flamboyantes ", situ me permets l'expression, vu la circonstance. quatre autres troncs de bananiers le soutiennent. A l'extrémité de l'un des b˚chers, un trépied supporte une espèce de lance-flammes en tôle servant d'embout à un tuyau de caoutchouc qui serpente sur la terre galeuse jusqu'à un baril rouillé juché sur un praticable. Tu mords le topo, Toto?

Alors ne me reste plus qu'à laisser arriver le cortège et, justement, le voilà qui débouche. En tête marchent les musiciens, coiffés d'étranges bonnets orangés. Tout de suite derrière viennent les catafalques mortuaires, joyeux, pimpants, portés à dos d'homme par les costauds du patelin. Ils sont garnis de guirlandes jaunes et rouges, d'étoffes chamarrées. Des offrandes sont accrochées tout autour du dais: des poulets vivants pendus par les pattes, des fruits, des fleurs, des couronnes de papier. Le prêtre marche à côté, poussant son Solex du retour. Il est en jean et porte un T-shirt aux armes de Coca-Cola et un bonnet-turban cradoche.

220

LE CRI DU MORPION

La foule suit en bavassant. Rien de triste dans cette cérémonie funèbre.

La compagnie se déploie sur l'esplanade; les porteurs exécutent trois tours des b˚chérs, tandis que le rythme de la musique s'amplifie à devenir insoutenable. Et puis les catafalques stoppent chacun devant le b˚cher dévolu au client qu'ils amènent. Des hommes les escaladent et dégagent les étoffes recouvrant les défunts. Ils se saisissent alors des corps enveloppés dans un linceul blanc, raides et étroits car, en fin de compte, la mort est menue et, ce con de duc de Guise excepté, un homme paraît encore plus foutriquet lorsqu'il a trépassé que quand il est vivant.

On coltine chaque macchabe sur un b˚cher et commence une série de rites bizarroÔdes consistant àasperger de parfum les dépouilles, à les parsemer de fleurs, à leur délivrer de touchants présents: les derniers.

Juché sur un bout d'échelle, le prêtre vient faire l'ultime toilette des morts. Il commence par le corps de l'homme dont il écarte le suaire. Il verse de l'eau bénite (ou assimilé). La sempiternelle musique continue de retentir à t'en scier les nerfs. Par instants, elle semble faiblir, mais une phase du rituel la relance et elle repart dans l'insoutenable.

- Curieux, non? murmure Henriette.

- Descends de la voiture, chérie, et va repérer dans la foule les assistants étrangers au pays, en particulier les Blancs, ordonné-je.

Docile, l'étrangleuse de pafs quitte la tire et se fond dans la populace.

Je continue de mater le déroulement des opérations.

ï

Maintenant, on en a terminé avec l'homme et on s'occupe de l'épouse. Le cérémonial est identique. Et pourtant, à un moment donné, voilà que ton faramineux Santonio (et je pèse mes termes) ouvre sa bouche grand comme l'entrée du tunnel sous la Manche (côté

LE CRI DU MORPION

anglais). Je profite de ce qu'elle 5ée pour sourire avant de la refermer, comme l'écrivait M. Maurice Schumann dans son livre.

Laissant là toute prudence, je me dévoiture à mon tour. Moi, y en a chien de chasse, que veux-tu! Je ne peux résister à l'appel de mon dur métier, en comparaison duquel celui d'écailler est de tout repos, malgré le maniement du redoutable couteau à huîtres qu'il implique.

Hardiment, je fends la foule afin de me porter au premier rang et voir le "

spectacle " de plus près.

Ayant ardemment regardé, je me prends en tête àtête pour une conférence intime. L'une des plus importantes que j'aie eue à tenir depuis que je trimbale une carte barrée de tricolore contre mon coeur.

Dois-je, ou ne dois-je-t-il pas?

Faut-il ou ne fauché-je point?

Cruelle indécision.

J'écoute, dans la coquille creuse de~ ma mémoire, la voix du Vieux, hier, au bigophone, quand il me disait:

" - Pas de vagues, mon petit. Il vaudrait mieux solutionner cela d'une manière radicale mais discrète, si je me fais bien comprendre? Une telle affaire, si elle éclatait au grand jour, ferait trop de bruit. C'est la France qui en p‚tirait, Antoine, vous le comprenez bien, n'est-ce pas? "

Et moi de bredouiller en comprimant mes rancoeurs:

" - qu'entendez-vous par " solutionner cela d'une manière radicale ", monsieur le directeur? "

Son silence dans lequel défilaient des points d'exclamation, comme une cohorte de petits soldats de plomb!

" - Mon cher, il est des réponses qu'on ne peut décemment articuler. "

Joli, non?

Et puis nous avons raccroché presque simultanément, mais tout de même, lui le premier, m'a-t-il semblé. Et à présent que j'ai vu, à présent que je sais, le

222

LE CRI DU MORPiON

doute me vient encore, bien qu'il n'ait plus de raison d'être. Faire quoi?

Me précipiter, thé‚tral? Haranguer la foule? Interrompre cette cruelle cérémonie-spectacle? Créer l'incident? Ne sois pas con toute ta vie, Antoine. Essaie de marcher au pas, de temps à autre, pour aller plus s˚rement vers tes vieux jours! Et puis, surtout, il y a mieux à faire.

Au pied du b˚cher, je me détrancane la matière grise. " Si la fille qui croyait parler à un dénommé Billy, hier, à l'hôtel, lui a conseillé de venir assister à cette double crémation, c'est qu'elle comptait y participer elle-même, non? De toute façon, on peut penser que, selon toute logique, quelqu'un du Suey Sing Tong est présent à " la fiesta ". Ne serait-ce que pour vérifier que tout se passe au poil. Le quelqu'un est, sans aucun doute possible, en train de m'observer. Il a, à cet instant, l'oeil rivé à moi. Je sens d'ailleurs l'intensité de ce regard sur ma nuque. Alors, tu sais quoi, Tonio? Tu vas te retourner brusquement.

L'éclair! Et, en une fraction de seconde, il te faudra repérer qui t'observe, pas laisser le temps à l'intéressé de déporter ses yeux. Putain, si je disposais au moins d'un petit miroir, je m'en servirais comme périscope. Tu y es, Antoine? Go!

Je volte d'un bloc. Si promptement que la langue préhensile du caméléon gobant une mouche pourrait passer pour un trombone à coulisse, en comparaison.

" Elle " est là, à trois rangs, pile devant moi. Au côté d'un gros Chinois adipeux (a dit peu, mais a pense beaucoup!). Une rousse coiffée serré

malgré l'écheveturc naturelle de ses crins. queue-de-bourrin, tu vois?

Nouée par un ruban. Pantalon blanc, corsage jaune. The sun! Kif si je me trouvais en état second, je marche droit à elle.

-

Bonjour, lui lancé-je, farceur.

Elle a récupéré de sa surprise et, pour lors, la feint:

-

Monsieur?

LE CRI DU MORPION

223

-

Je suppose que vous espériez me trouver ici, dis-je.

-

Mais, monsieur...

-

En constatant votre erreur, hier, vous avez d˚ en déduire que, puisque je n'étais pas Billy, j'étais moi-même, non?

Je viens de la choper par le bras. Elle agite violemment son aile afin de se dégager. Mais l'étreinte santoniaise, pardon, t'as plus vite fait de te libérer d'une camisole de force!

Son compagnon intervient.

-

L‚chez mon amie, il ordonne (de culasse) (1).

Mais mézigue, j'en ai plein les bottillons de cette équipe.

-

Moule-moi, figure de courge. quand c'est plus l'heure, il faut raccrocher les rapières au portemanteau!

Je poursuis, m'adressant à la fille:

-

Une supposition, poupée: je m'élance jusqu'au b˚cher de droite, je tire un pain dans la gueule du prêtre, j'écarte les plis du linceul et montre à la foule que la dame qui va cramer est une Blanche, blonde comme les blés. Tu vois d'ici la réac de ces gens?

Putain, que m'arrive-t-il? Le gros Chinois a sorti un stylet de sa fouille, dont il fait jaillir la lame du pouce. Le déclic qui m'a alerté. Moi, prompt comme tout ce que tu voudras, j'amorce une esquive et lui biche le poignet. Il donne une secousse pour se dégager, réaction à laquelle je m'attends. Au lieu de lui opposer une résistance, j'accompagne son geste.

Dès lors, son bras mollit. Je le lui remonte en arc de cercle et dans le mouvement, sa foutue lame se plante dans son aine. Pas profondément, mais comme ces gens du Suey

(1)

San-Antonio, distrait, voulait écrire, au lieu de " il ordonne "il

" enjoint " ce qui e˚t justifié l'adjonction parenthésée de " de culasse ".

224

LE CRI DU MORPiON

travaillent au curare, l'égratignure suffit pour l'envoyer à dache. Il y part rapidos, dirait mon cher Antoine Decaune, qui en dira bien d'autres, j'aime autant te prévenir!

Le gros Chinetoque fait une bouche rectangulaire comme une boîte à dominos, son regard débride, il fléchit et coule sur soi-même, telle une bougie.

Nase! De profundis! II pratique avec une telle discrétion que les spectateurs ne s'en aperçoivent même pas. Ils ont mobilisé toute leur attention sur le premier b˚cher qu'on vient d'allumer. Pour commencer, en fourrant un tampon imbibé d'essence au creux du bois, puis en braquant sur ce début de brasier la lance du tuyau. Dès lors, ça se met à cramer haut et fort! Des flammes joyeuses s'élèvent. que ce soit pour un feu de cheminée ou une crémation, les flammes sont toujours gaies. Vivifiantes, elles qui anéantissent si bien. Oui, vivifiantes parce que purificatrices. «a détruit les saloperies, sais-tu? Et Dieu que les hommes en font partie, les pauvres! Elles anéantissent tout avec la même verve: les chalets pimpants, comme les charognes odieuses. Pour commencer, elles se dressent vers les montants du dais et encrament la décoration de papier gaufré : vraoufff!

D'un coup! que ça me rappelle papa quand, au dessert, il formait un rouleau léger avec le faf enveloppant les oranges, puis mettait le feu au sommet du frêle cylindre. Le papier était posé sur son assiette à dessert, pas risquer de carboniser la belle nappe empesée de m'man. Il br˚lait jusqu'aux deux tiers et, brusquement, ce qui subsistait s'élevait, rectiligne, au-

dessus de l'assiette, semblable à une montgolfière miniature. Et c'était beau, je te garantis. Le moutard que j'étais matait avec extase l'élévation floue. J'ignorais que c'était déjà l'‚me de p'pa qui s'en allait un peu.

Maintenant, je le sais. On enveloppe de moins en moins les oranges, mais quand j'en rencontre une,

LE CRI DU MORPiON

225

encore habillée de cette robe légère, à mon tour je roule son emballage, puis l'enflamme juste pour ressusciter un instant perdu. On est puérils, les adultes, beaucoup plus que les mômes.

Mais revenons à la situation tendue. La fille, du temps que je m'occupais de son compagnon, tu parles qu'elle a dégainé en souplesse. Un mignon pétard àgros mufle, nickelé comme un carter de Bugatti. Du revolver à

barillet assez infaillible dans ses oeuvres. Elle le dirige sur mon ventre et son oeil étincelant exprime les pires menaces.

Elle murmure entre ses dents:

- Eloignons-nous d'ici, sans affolement.

L'air commence à sentir le cochon br˚lé. Car, en cramant, l'homme, tu le sais, pue le porc. C'est révélateur, non? On est parents dans l'olfactif comme dans le comportement, le goret et nous.

- Vous mettez vos deux mains dans votre dos et vous avancez!

Le ton est tranchant, n'admet aucune discussion. Je sais qu'elle défouraillera sans barguigner, s˚re de n'être pas gênée dans sa fuite ensuite, car la musique de cloches est intolérable pour les étagères à

crayons, et un coup de feu, au sein d'une telle populace, ne serait pas davantage perçu qu'un pet de dame patronnesse durant le grand largo de Haendel à l'orgue.

- O˘ dois-je aller? lancé-je par-dessus mon épaule.

- Direction village!

O.K., je ne suis pas sectaire.

En m'éloignant, le destin supérieurement agencé me fait croiser Henriette occupée à fureter. Je lui fais les gros yeux et, par une mimique follement éloquente, l'avertis de ce qui se passe. La chère bandeuse encaisse le message et disparaît.

Bon, alors on continue de marcher. «a fouette de plus en plus et la foule se clairsème à force de lui aller àcontre-courant.

Nous voici en bout d'esplanade. J'avise une Range Rover couleur caramel métallisé, qui étincelle au soleil. Et puis j'entends presque simultanément, un choc, un cri, un bruit d'éboulement. Je me retourne: mon agresseuse est au tapis, gigotant comme une nasse pleine de langoustes fraîchement pêchées. Henriette, effarée, la regarde, balançant au bout de son bras la grosse pierre dont elle vient de se servir pour estourbir la radasse du Suey Sing Tong.

- Vous êtes la plus exquise des compagnes, Ninette, soupiré-je en ramassant l'arme toute bêtasse qui gît dans la poussière.

Tu dirais un bull-dog stylisé, ce revolver.

- Je crois que cette jeune femme vient d'être frappée d'insolation, déclaré-je. Conduisons-la jusqu'à notre voiture, chérie, en la soutenant chacun par un bras.

Nous regagnons la tire à petits pas. Personne ne s'occupe de nous. Là-bas, sur son b˚cher, LassaleLathuile flambe comme un mannequin bourré de paille.

L'un de ses bras noirci pend sinistrement hors du b˚cher et un gazier des pompes funèbres balinaises le refoule dans le brasier avec l'extrémité d'un petit tronc de bananier. Dantesque! quelle étonnante fin pour un contrôleur du fisc!

Ma question la laisse peu de temps perplexe, Hennette. J'ai rarement vu une gonzesse aussi délurée. Pour la prendre au dépourvu, celle-là, il faudrait commencer par la faire macérer dans un baril de ciment frais, et encore cette maligne réussirait à renverser le tonneau et à se laisser rouler jusqu'à son adversaire pour le télescoper! Y a des frangines, comme eHe, pas beaucoup mais j'en connais. Des qu'ont jamais froid aux ch‚sses et qui font joujou avec l'adversité.

Elle murmure, songeuse:

- Si vous voulez vraiment un endroit tranquille, il n'y a que la nature, fait-elle. Je nous vois mal regagner l'hôtel avec cette fille. Et vous n'y seriez pas à votre aise pour l'interroger. Je connais un endroit désolé : la forêt de Zobpandan, qui entoure le petit lac de Papamankul. Hormis des singes en liberté, on y rencontre peu de monde.

- C'est loin?

- Rien n'est très loin dans une petite île, pertinance-t-eIle en se mettant au volant.

Pour mon humble part, je m'installe à l'arrière avec la rouquine. Je ne sais pas si ça vient de la chaleur, mais elle coucougnousse vachement de l'épiderme, cette morue! Elle n'est pas arrivée à bons pores, médème!

228

LE CRI DU MORPiON

Charogne, cette fouettaison! J'en biche plein les naseaux. «a me rappelle une ménagerie que j'ai beaucoup aimée. Moi qui déteste les parfums, je rêve de prendre un bain dans une piscine emplie de 5 de Chanel. «a me morose les trous de nez. L'olfactif, tu sais la place prépondéreuse qu'il tient dans ma vie sensorielle? Incapable de briffer des venaisons, je suis. Non plus que du Munster. Je franchis jamais la limite du Saint-Marcellin à coeur.

(que c'est notre pire point commun, à François Mitterrand et à moi, il me l'a dit:

le Saint-Marcellin. Ses paroles textuelles c'est : Il n'y a que deux produits remarquables dans le Dauphiné : le Saint-Marcellin et vous!).

Elle s'est récupérée, la parfumeuse. Les gnons à la calebasse, c'est ou bien mortel, ou bien peu de chose. Chemin roulant, je songe que je ne l'ai pas fouillée et qu'avec une souris appartenant au Suey Sing Tong, c'est là

une lacune qui ferait chier un Vénitien. Alors je la palpe en conservant le groin du revolver braqué sur son estomac.

- Bien entendu, vous ne tentez rien d'héroÔque, lui conseillé-je, ça allongerait la liste du nécrologue. On en est à la demi-douzaine de boy-scouts à vous tombés au champ d'horreur, et j'aimerais rester sur ú compte rond.

Elle schlingue si fort que, rien que de palper ses hardes, mes doigts se mettent à puer la rouquasse. Ayant contrôlé son devant (les roberts se portent bien, et sans monte-charge, merci), je l'invite à se mettre àgenoux sur la banquette. Dans la malle arrière de son pantalon blanc, je déniche une chose que les dames de bonne compagnie trimbalent rarement sur elles: une paire de menottes et un couteau de modeste dimension logé dans une gaine de cuir. Probable qu'il est empoisonné, lui aussi, d'o˘ cette précaution?

Je pourrais écrire un manuel sur les multiples utilisations d'une paire de menottes. Je crois avoir tout essayé

LE CRI DU MORPION

229

comme combinaisons. Alors, tu sais quoi, dans l'eau cul rance présente?

comme dit le Mastar. Je 1w emprisonne une cheville et un poignet, et ça, côté inconfort, c'est breveté S.G.D.G. Voilà donc la pauvrette penchée sur la banquette avant, se cognant le front àchaque cahot et bouillonnant si intensément de rage que ça stimule ses effluves de putois.

Henriette, magistrale, drive comme une championne de rallye, que tu croirais M~ Mouton dans ses oeuvres. Elle emprunte des routes de plus en plus étroites et, bientôt, nous roulons sur des chemins ravinés qui s'enfoncent dans une nature à la Paul and Virginie, aux senteurs végétales.

On longe des rivières tumultueuses, des arbres géants, des fleurs de sous-bois mystérieuses. «a bucole à fond la caisse. On s'arrêterait ici pour y b

‚tir la hutte dont je t'ai dit rêver depuis des millénaires et on tirerait des coups fumants sur la mousse fraîche. On boufferait des baies (en regardant la baie par la baie, o˘ passe un cheval bai tirant un bébé qui bée).

La chignole montagnerusse de plus en plus. Le chemin devient sentier, le sentier sente, la sente plus rien du tout car nous sommes parvenus au bord de la rive sud du lac Papamankul. Une fois le moteur coupé, le ramage des oiseaux et le crépitement des insectes prennent possession de nos trompes d'Eustache. Un instant de féerie auditive! C'est plus beau que le Concerto Branle-Bourgeois, plus harmonieux encore que les m‚les accents de Michael Jackson. In-di-cible! Point d'exclamation à la ligne.

Avec bonheur, je descends de la tire. Henriette en fait autant.

- N'est-ce pas un coin fabuleux? fait-elle.

- Le paradis terrestre, admets-je, n'en étant plus àun cliché près dans ce putain de métier, tu penses!

Elle chuchote

- Vous n'avez pas l'impression que cette femme rousse sent abominablement fort?

230

LE CRI DU MORPION

-

Non, réponds-je, j'en ai la oertitude; marchons un peu pour nous aérer les poumons.

-

Mais elle?

-

Inoffensive.

On s'offre quelques pas et la môme, gagnée par l'enchantement du lieu, me saisit les soeurs Brontè. Délicatement, rassure-toi, car elle sait combien ces choses-là sont fragiles et la manière suave dont ils convient de les palper, tout comme les tomates m˚res.

-

Tu me produis un effet inouÔ, dit-elle. J'ai envie de toi en permanence.

-

Il m'a semblé le comprendre, souris-je m‚lement.

-

Tu ne veux pas que nous...

-

Si, mais après. Après quoi?

-

II faut auparavant que je parle à la rouquine, mon coeur, car j'entends avoir l'esprit dégagé pour m'exprimer physiquement. On fait mal l'amour lorsqu'on est préoccupé.

-

Alors fais vite, mon bel étalon, car j'ai le corps en feu.

En feu.

Pourquoi ces deux syllabes me font-elles penser àArsène le morpion? Je l'avais totalement occulté, cézigue. Me semble qu'il est en train de sonner à la porte de ma braguette. Ou mieux, qu'il me hèle dans le silence entier de mon subconscient. Arsène, le morpion morbide, le morpion mord bite.

L'infernal petit pou annonciateur de mort. Je porte ma main à ma poche. Le revolver que j'y ai remisé après avoir menotté la donzelle ne s'y trouve plus. La salope me l'a chouravé proprement de sa main restée libre, mettant à profit les cahots du véhicule. Je ne perds pas un instant. Vran! Je renverse Henriette dans les espèces de hautes fougères qui prolifèrent au bord du lac. Elle croit que j'ai changé d'idée et que c'est ma fougue sensuelle qui s'exprime. Se détrompe en entendant claquer des coups de feu.

LE CRI DU MORPION

231

quatre bastos cisaillent les plantes autour de nous. L'une d'elles se loge même dans un f˚t moussu àquelques centimètres de ma tempe. Charognene de femelle! Comment qu'elle m'a eu! Et moi, royal con, qui prenait mes aises à

côté d'elle! Moi qui, d'un ton suffisant, l'annonce " inoffensive ".

- «a va, mon coeur? je chuchote à l'oreille de Ninette.

- «a irait mieux si tu pesais sur moi pour le bon motif, répond-elle.

Une sacrée luronne, l'attachée culturelle!

- Coule-toi doucement derrière ce f˚t!

- Et toi?

- quand on a commis une connerie, on la répare. Je vais aller la désarmer.

Pour l'instant, silence complet.

Et, parallèlement, je me raconte ceci : la rouquine a tiré par la portière, sinon je l'aurais entendue quitter l'auto. Notre tactique consiste à ne plus nous montrer. Au bout d'un moment, elle va vouloir vérifier o˘ nous en sommes. Donc elle sortira de voiture et alors je m'élancerai, profitant de sa difficulté de manoeuvre, tu saisis?

Je fais le mort. Si les oiseaux gosillaient pas comme des poissonnières napolitaines, ce serait le silence absolu.

Du temps s'écoule. Long à s'en fendiller le rectum d'impatience. Et puis l'inattendu s'opère, comme toujours!

ras envie de savoir?

Banco, je suis bon prince!

Un ronflement de moteur! Parole! Là, le Brabant tombe! Je veux dire : les bras m'en choient! Oh! la rusée! Au lieu de risquer de tomber dans le piège que je lui tendais, elle a préféré passer par-dessus le dossier de la banquette et s'installer au volant. Bon, piloter une caisse quand on a le menton à la hauteur du tableau de

232

LE CRI DU MORPiON

bord et la main droite reliée à sa cheville, c'est pas le bonheur absolu; mais, avec de la ténacité on y parvient à preuve!

Je me hisse hors des fougères. Avise la rousse recroquevillée à la place conducteur. D'une seule main, il lui faut enclencher les vitesses et piloter. De plus, elle a une manoeuvre à exécuter, puisque la chignole est face au lac. Alors j'accours. Elle s'escrime. L'auto se met à reculer dans les hautes herbes, patine un peu, a une ruée brusque. Le moteur cale. Elle le rambine. J'arrive. Elle me décèle. Arrête de manoeuvrer et me vise. Je plonge une nouvelle fois. Elle l‚che ses deux dernière quetsches dans son affolement. Dis, c'est les cacatoès qu'elle vise? Un clic! Deux clics! Elle est marron : le magasin est vide. Pour toute recharge s'adresser à

l'armurerie Cantine-Reinette.

Je m'avance en souriant, les paluches en fouille, sifflotant Rose de Picardie, mon air favori.

Sans m'affoler, je viens m'asseoir à son côté sur le siège passager. Je sors son couteau de l'étui, l'ouvre et contemple la lame brillante mais souilliée d'une matière brun‚tre. J'enfonce la pointe, à plat dans l'étoffe du grimpant. La gonzesse ne moufte pas. Son regard fixe est embué

d'angoisse. Lentement, je cisaille le pantalon en remontant vers l'aine.

Elle se cambre à bloc. Je continue de couper le tissu.

- Arrivé au bas-ventre, je ne m'arrêterai pas, assuré-je. Alors, vous devez répondre vite et bien à mes questions, Miss, sinon ce sera jour de fête pour les poissons de ce lac. Vous appartenez bien au Suey Sing Tong, n'est-ce pas?

- Oui! s'écrie-t-elle.

Ouf! Elle se rend!

Dans oes cas-là, dès que tu as répondu " oui ", tu as tout dit!

UN HOMME SE PENCHE SUR SON PASS…

Singapour, c'est pas un pays, c'est un bazar. De luxe. Tu y trouves tout ce dont un individu moyen n'a pas tellement besoin. A des prix défiant toute concurrence.

Les touristes, tu remarqueras, dès qu'un produit est hors taxes, ils l'achètent, quand bien même ils n'en ont pas l'utilité. Ils achètent des rabais, en somme. Moi, je marchanderais un Nikon (ce qu'à Dieu ne plaise), je dirais au marchand:

" - Cet appareil co˚te soixante pour cent de son prix français, je n'ai besoin que des ~tÔarante pour oent de différence, vous me les laisseriez moyennant dix pour cent? "

On ferait vite du Raymond Devos, avec ce principelà.

Jérémie marche un peu courbé, biscotte le terrible traumatisme que lui a causé l'appareil à air comprimé. Son amulette (suédoise), il se l'est morflée dans la viande sur cinq centimètres de profondeur, tant l'impact a été violent. «a lui fait une sorte de cratère

ros‚tre dans le baquet. Mais il dit qu'à notre arrivée, Ramadé lui pratiquera un merdan flac tougou, onguent

délicat qui nécessite, lui, de l'urine de femme descendante de sorcier (ce qui est son cas).

On parcourt les allées d'un immense magasin, vérita bic caverne d'Ali Baba moderne. Il emplette quelques gadgets pour ses chiares, genre montre-calculatrice, stylo-podomètre, etc. Pour ma part, j'acquiers un poste de radio-grille-pain destiné à ma Félicie, un taille-crayon en forme de sexe féminin à l'intention de Toinet, et une reproduction en savon du temple Sn Mariamman pour Maria, ma bonne amoureuse.

M.

Blanc arque de plus en plus mollement.

-

T'as l'air groggy, mec, je remarque.

Il

en convient. Sa blessure le taraude durement.

Aussi gagnons-nous le restaurant chinois de l'hôtel Mandarin pour une bouffe à épisodes, servie par une petite Jaunette au sourire cantharidesque, dont, tu boufferais le cul avec des baguettes si le menu était moins copieux.

Le grand Noircicot caresse sa blessure, ou plutôt il la masse en fermant les yeux.

- J'ai eu du pot, dit-il. quelle secousse! Il m'a semblé que mon corps explosait.

Je remarque

- Je crois savoir que tu es catholique, mec, ce qui est rare pour un Sénégalais.

- Et alors?

- Comment se fait-il qu'étant chrétien, tu portes une amulette sur toi?

- Deux précautions valent mieux qu'une, répond M. Blanc.

Il mange avec application ses langoustines sur canapés aux graines de sésame (ouvre-toi!)

- Tu as une idée de l'endroit o˘ se trouvent Lassale-Lathuile et sa maîtresse?

Aussi sanglant que cela puisse paraître, nous n'avons pas parlé une seconde de l'affaire depuis nos retrouvailles. Il semblait si fatigué, Jéjé, si lointain, et moi, dè mon côté, j'éprouvais une immense saturation de ce fourbi insensé~

Alors on s'est remis à coexister en causant d'autre chose. Nous avons pris congé d'Henriette, on a grimpé dans le Boeing des Singapore Airlines et, aussi glandu que ça puisse te paraître, nous avons boquillé des paupières pendant le trajet. A l'arrivée, on s'est laissé

happer par la magie de cette ville-Etat, sorte de New York neuf, d'une propreté méticuleuse (exception faite du vieux quartier chinois). J'y habiterais pas, mais elle est bien commode pour faire ses commissions.

M.

Blanc églutit d'un coup sec, propre en ordre. Il me paraît plus noir que d'ordinaire, le grand!

Comme je m'attarde dans les flous artistiques, il insiste

-

Hein, o˘ est-il ton contrôleur?

Ma pomme de lui désigner le ciel que chatouillent les buildinges de la cité.

-

Tu aperçois ce petit nuage qui arrive du sud, Jérémie? Eh bien il est possible que Lassale-Lathuile et sa sauteuse en fassent partie.

Il

s'arrête, ses baguettes en suspens, que tu croirais un chef d'orchestre bègue.

-

Veux-tu dire?

-

Oui.

-

qu'ils sont?

-

Oui.

-

Morts?

-

Tourgueniev! fais-je, le sachant lettré.

-

Fumée? me donne-t-il raison.

-

Exactement.

-

Merde!

-

Exactement!

-

Mais comment?

-

Honegger! poursuis-je, le sachant également musicologue.

- Jeanne au b˚cher?

-

Gagné!

-

Comment la chose a-t-elle été possible?

-

Tout est possible au Suey Sing Tong.

236

LE CRI DU MORPION

-

C'est l'organisation qui les a...?

-

Oui.

-

Pourquoi?

-

Pour que personne ne puisse raconter la vérité sur l'assassinat mystérieux de Bézaphon II, et surtout pas son meurtrier.

-

Parce que c'est Lassale-Lathuile qui ?...

-

En effet.

-

Comment?

-

Avec l'arbalète qu'il a achetée à Djakarta. Il est un champion incontesté de cette étrange discipline, depuis des années. D'ailleurs, tu as d˚ remarquer sa collection lorsque nous étions chez lui?

-

C'est un meurtrier?

-

Pire : un tueur!

-

Lui?

-

A gages! Sous sa belle façade de fils de bonne famille et de fonctionnaire d'un certain niveau, il trucide môyennant finances, mon bon.

Textuel!

-

Comment as-tu découvert cette chose effarante? Je lui narre par le détail. D'abord, ma découverte sous la cloche de pierre couronnant le temple de Tankilyora Deshôm. Dans les cavités figurant les yeux du bouddha, j'ai trouvé, d'un côté, une arbalète démontée, mais elle était trop enfoncée pour que je puisse la récupérer, de l'autre, un carquois d'un genre particulier.

-

En quoi est-il particulier? questionne cet esprit curieux.

-

Il s'agit d'un carquois thermique, mon chéri.

-

Pourquoi thermique?

-

Parce qu'il contenait, tiens-toi bien à tes baguettes, deux flèches faites dans une matière particulière.

-

quelle matière?

-

L'eau.

-

Comprends pas, potage-t-il avec ses grosses lèvres LE CRI DU MORPiON

237

mauves semblables à une aubergine coupée en deux dans le sens de la longueur.

-

Lassale-Lathuile a tué le sultan avec des flèches de glace!

-

Tu déconnes!

-

Point du tout, mon matou. Il a fait congeler de la flotte dans un moule résultant de l'empreinte d'une flèche ordinaire. Ensuite, il a placé

les flèches ainsi obtenues dans son carquois thermique. En position, bien avant l'arrivée de la foule, au sommet du temple, àl'abri de la cloche, il a eu tout son temps, au cours de la cérémonie, pour viser Bézaphon II et l'énucléer proprement! Un jeu d'enfant pour un Guillaume Teil de sa force.

Avec l'intense chaleur qui régnait, les projectiles de glace ont fondu immédiatement, le temps de la confusion ambiante. Superbe, non?

-

Pourquoi ne pas avoir employé des flèches classiques?

-

Deux raisons, à mon avis. Primo, les flèches de glace ne permettent aucune identification postérieure. Secundo, elles corsent le mystère. Pour les autochtones, cette double énucléation sans projectiles tient du miracle. Comme le nouveau sultan était un joyeux loustic réprouvé par le peuple, de là à croire à un ch‚timent divin, il n'y a qu'un pas qui doit être déjà franchi à l'heure o˘ nous devisons.

Blanc se remet à piocher des denrées consommables dans son bol.

-

«a, c'est chié, approuve-t-il. Pour être chié, c'est chié!

-

Son meurtre accompli, il a tranquillement démonté son arbalète et l'a enfouie dans un oeil du bouddha; puis il a également planqué le carquois. Ne lui restait plus qu'à redescendre parmi les assistants en délire.

-

Pourquoi dis-tu que Lassale-Lathuile est un tueur professionnel?

242

LE CRI DU MORPION

" Le signal d'alarme du magasin que tu croyais avoir neutralisé de main de maître, grand con, tu n'as pas eu de mal; il n'était pas branché! "

-

qu'en sais-tu? mortifié-je.

-

Après le départ des assassins du Chinois et de son giton, qui donc l'aurait rebranché? On n'a pas pensé àça plus tôt.

-

C'est vrai, amendhonorablé-je. Même Einstein avait des distractions. que veux-tu, on ne peut pas être un surhomme vingt-quatre heures sur vingt-quatre!

Le bruit d'une assiette brisée le fait tressaillir.

-

Voilà que je deviens nerveux, s'excuse-t-il; mais il y a de quoi; parce que, enfin, Antoine, le Suey a totalement liquidé Lassale-Lathuile et sa maîtresse pour clarifier la situation, faire place nette. Seulement il reste nous deux qui savons trop de choses. Tu penses bien qu'ils finiront par nous passer à la casserole!

Je branle tu sais qui? Le chef!

-

Dors tranquille, pov' nég', sur tes deux oreilles grandes comme des harnais de chevaux.

-

Tu crois?

Là, je lui retrace l'ultime épisode du lac.

-

La femme qui m'a tout balancé est devenue, de ce fait, notre alliée. Je lui ai expliqué que j'avais déjà compris l'essentiel et que j'en avais référé à mes chefs, ce qui est exact: le Vieux est au courant. Tu sais comme il est frileux. La perspective qu'un contrôleur du fisc français soit en fait un tueur aux meurtres nombreux, coupable d'avoir zingué un monarque, lui glace les meules. Il m'avait ordonné de liquider LassaleLathuile et d'oublier " tout ça ". Donc, les intérêts du Suey et ceux de la police française se rejoignent. La môme a compris que l'instant était venu de nous ignorer radicalement les uns les autres et de poursuivre nos routes. De nouvelles vagues rouges risqueraient de tout compromettre.

LE CRI DU MORPION

243

Jérémie roule sa crêpe au canard après l'avoir enduite de sauce brune sucrée.

- Oublier " tout ça ", dit-il d'un ton noyé, oublier " tout ça ", c'est facile à dire.

On se remet à grignoter.

En silence.

FIN

Arsène, le morpion, abando venait de s'abreuver à longs t piquer un somme dans le repli rement volumineux sur leqt follets au contact agréable.

Dans cette niche naturelle, i et vigoureux grattages de son t risquaient de le mettre à mal.

Il commençait à s'assoupir 1 e˚t dit tellurique l'arracha àchercha la cause de ce trembic que le gardien de la paix Ba~ lors d'une étreinte de celui-ci train de s'oindre le bas-venti d'un produit sombre et vague pestilentielle.

Arsène songea que ce ne soit pas de l'ongu~ imparable! ".

Trois doigts chargés de I contournaient les couilles de I yeux et recommanda sa pau~ poux de corps, le dieu Morb~ et un annulaire tournaient nna le pore de peau o˘ il :raits. Repu, il décida de i d'un testicule particuliè~ ici végétaient des poils

1 était à l'abri des f‚cheu,~ ~‘te dont les rudes ongles orsqu'une secousse qu'on ses songes naissants. Il ~ment de chair et comprit classe, qu'il avait affrété, avec une pute, était en e (ainsi que les burnes) ~ment crémeux à l'odeur

" Mon Dieu, pourvu ~nt gris, ce morpionicide la redoutable substance 'agent. Arsène ferma les 're ‚me au Seigneur des

~c. Un index, un médius dans la zone o˘ il se

246

LE CRI D.U MORPION

planquait. Le malheureux espéra un court instant qu'il échapperait à la battue; mais comme si une intelligence satanique l'avait démasqué, les trois ~doigts, impitoyables, s'abattirent sur lui.

Arsène poussa un cri terrible, tenta désespérément de conserver sa respiration, mais elle lui échappa, et la vie du même coup!

Je me dresse, hagard (du Nord. Pas toujours SaintLazare qu'on va me croire du parti pris). Le cri désespéré résonne encore dans mes portugaises.

Je mate mes abords. Je suis dans mon bureau de la Maison Poupoule o˘ je roupillais, terrassé par le décalage horaire. Jérémie lit le Firo g‚, un journal de son pays auquel il est abonné.

Le buste dressé, la bouche béante, il regarde en direction de la porte.

J'en fais totem.

Ah! le cauchemar! J'avise un être d'un mètre quarante; peut-être de sexe féminin puisqu'il porte une jupe? Avec une bosse grosse comme une hotte de vendangeur! Presque chauve, le reste des tifs étant d'un gris qui fut teint en roux l'année dernière. Le regard affligé d'un strabisme si divergent que celui de mon pauvre Sartre ressemblait à un pince-nez, en comparaison. Le pif en bec de toucan. Des verrues mahousses comme des fraises de concours un peu partout. Un sourire pareil aux ruines du Reischtag incendié! La vraie angoisse déambulante. Mais qui déambule mal puisque " l'être " marche en s'aidant d'une béquille. C'est cette surgissance impromptue qui a fait hurler M. Blanc. Gendre de sorcier, tu parles qu'il croit aux démons, le frangin!

Nous regardons, fascinés. L'extase de l'horreur, en somme! Bérurier se tient à côté de la chose d'un autre monde, jovial, triomphant.

-

Tiens, v's'êt' rentrés de vos galopineries, les

LE CRI DU MORPION

247

Siamois? mugit-il. «a tombe bien, c'soir j'fête l'anniff àmédème...

Puis, pompeux:

-

J'vous r'présente Agathe, ma maîtresse.

FIN FIN

Avez-vous

le dernier grand

SANANTONI

I

La vieille

qui

marchait

dans la me

FLELflIåP~

Prix T.1

Un succès reten~ salué unanimement p

lu format?

.C. 94 F

issant,

or la presse