CHAPITRE VII

J’ai quelque raison de me souvenir du 2 janvier 1608, année seizième de mon âge, pour ce que, à partir de ce jour, la froidure fut extrême en Paris et la gelée si âpre que la rivière de Seine fut immobilisée en son flux par les glaces, celles-ci emprisonnant les barques et les gabarres du quai au Foin devant le Louvre, à telle enseigne que les grands charrois qui se faisaient par les rivières à partir des villages d’amont furent interrompus, réduisant à la portion congrue gens et chevaux et renchérissant toute chose, mais en particulier le bois qui manqua d’autant plus vite que le froid contraignait les Parisiens à en brûler davantage.

Nous n’eûmes pas, quant à nous, à souffrir de cette incommodité, pour la raison qu’un vent violent ayant abattu quelque temps auparavant un frêne centenaire dans notre Seigneurie du Chêne Rogneux, mon père le fit tailler en bois de chauffage et, pensant se garnir pour deux hivers, en amena une grande charrette en notre hôtel parisien, tant est que, notre bûcher étant plein, il fallut entasser le reste, qui était considérable, contre le mur qui nous séparait de la rue du Chantre.

Peut-être dois-je rappeler ici que notre hôtel se dresse entre la rue du Champ Fleuri où porte cochère et porte piétonne permettent de pénétrer en notre cour, et de l’autre côté, la rue du Chantre, par laquelle on ne peut entrer dans notre jardin que par une petite porte en plein cintre si bien remparée qu’il faudrait, selon mon père, rien moins qu’un pétard de guerre pour en venir à bout.

Mon père, au moment de nos guerres civiles, avait rehaussé les murs nous séparant de l’une et l’autre rue, la Ligue ayant tenté, par deux fois, de l’assassiner. Pour la même raison, il avait loué l’Aiguillerie qui, de l’autre côté de la rue du Champ Fleuri, commandait des vues sur notre cour. Et il y avait logé Franz, notre maggiordomo, et sa femme, Greta. La paix revenue, et la Ligue, sinon morte, du moins tapie dans ses terriers, mon père observant que les bandes de mauvais garçons avaient pris dans tous les quartiers, même ceux proches du Louvre, le relais des attaques nocturnes, des pillages et des meurtreries, n’avait rien changé à ses dispositions défensives et il gardait le jour à l’attache, et détachés la nuit, deux grands dogues dans le jardin et un autre dans la cour, celle-ci lui paraissant moins vulnérable pour la raison que nos soldats y logeaient.

La froidure continuant plus âpre que jamais et le bruit s’étant répandu dans notre rue que nous avions abondance de bois, nous eûmes de nos voisins de pressantes demandes, une bûche – vous avez bien lu, une bûche – se vendant jusqu’à cinq sols à Paris.

Mon père eut à ce sujet un petit entretien fort animé avec la Duchesse de Guise : elle tenait que mon père se devait de donner de son bois aux familles nobles de sa rue, fort peu aux bourgeois et pas du tout aux gens mécaniques[32]. Mais de vente point ! Cela déshonorerait le Marquis de Siorac.

— Cependant, Madame, vous vendez votre bois dans vos terres, et moi dans les miennes !

— Fi donc ! Monsieur ! Je ne suis pas partie à ces barguins ! Mon intendant s’occupe de tout.

— Et prélève en passant sa dîme, laquelle doit bien s’élever à la moitié des pécunes.

— Il se peut.

— Ne pourriez-vous pas au moins mettre le nez dans ses comptes ?

— Y pensez-vous ? Cela ne serait pas digne de mon rang !

— Votre rang vous coûte cher, Madame. Et puisque nous en sommes à méditer sur le point d’honneur de la noblesse, expliquez-moi, de grâce, pourquoi il est déshonorant de vendre quelques bûches au détail et honorable de vendre tout un bois par l’intermédiaire d’un coquin d’intendant qui vous vole effrontément ?

— Je ne saurais l’expliquer. C’est ainsi.

Mon père fit mine de s’incliner, le « c’est ainsi » dressant une évidente borne à la discussion. Mais elle reprit dans un autre registre avec le Chevalier de La Surie.

— Le préjugé de la noblesse étant si fort contre la vente au détail, lui dit mon père en ma présence, je ne l’affronterai pas et me garderai bien d’apparaître dans ces transactions. Elles se feront par Franz à l’Aiguillerie, de majordome à majordome. Il vendra au prix fort aux nobles et aux bourgeois. Et aux gens mécaniques, véritablement démunis, du moins ceux de la rue du Champ Fleuri, car je ne veux pas chauffer la ville entière, il donnera cinq bûches gratis.

— C’est trop, dit La Surie.

— Comment, c’est trop ?

— Mon Pierre, dit La Surie, j’ai là un grand avantage sur vous. J’ai vécu dans l’extrémité de la misère et j’en connais les arcanes. Le pauvre de votre rue à qui vous allez donner cinq bûches en brûlera deux dans sa cheminée et vendra les trois autres au prix fort.

— J’entends bien. Pour manger.

— Ou pour boire, dit La Surie, et sa femme restera sans feu. En outre, recevoir l’aumône est humiliant. Faites-lui faire un petit travail pour ses deux bûches et celles-ci consumées, vous serez certain de le revoir à votre porte.

— Monsieur mon père, dis-je, me ferez-vous à moi-même l’aumône de quelques bûches ?

— À vous, Monsieur mon fils ! dit mon père en riant, et à qui les allez-vous donner ?

— À Mademoiselle de Saint-Hubert. Quand je suis allé la quérir ce matin pour ma leçon, elle avait les lèvres bleues de froid, alors qu’elle sortait tout juste de son logis.

Je vis bien, dans les yeux de La Surie, poindre un petit giòco au sujet de ces lèvres-là, mais il eut le bon goût de se brider.

— Je lui en ferai porter de quoi lui durer un mois, dit mon père. Je n’ignore pas qu’elle est fort resserrée depuis la mort de son père. Dieu veuille que prenne fin enfin cet âpre gel ! Il a déjà tué tant de monde !

Ce souhait ne fut pas entendu et la froidure persista sans discontinuer jusqu’à la fin du mois, nous fournissant aussi quelques bonnes raisons de nous ébahir.

Une nuit, côté jardin, nos deux dogues se déchaînèrent si fort et si longtemps, que Poussevent, bientôt suivi par Pissebœuf, tous deux emmitouflés comme des boyards et armés, eurent le courage de quitter leur chaude couche et de gagner le jardin, où la lune s’étant cachée derrière de gros nuages noirs, c’est à peine s’ils purent distinguer nos deux chiens appuyés les deux pattes de devant contre le tas de bois rangé contre le mur et le museau levé, aboyant comme fols. Nos soldats approchèrent à pas de loup et nos dogues, les sentant, vinrent les flatter et, encouragés par leur renfort, s’en retournèrent au tas de bois, hurlant et grondant de plus belle. L’un d’eux fit même une tentative pour bondir au sommet du tas, mais il était trop haut pour lui, il y faillit et jappa quelque peu en retombant, une bûche lui ayant blessé la patte.

Poussevent souffla à l’oreille de Pissebœuf d’aller en silence quérir une échelle, et quand il l’eut apportée, sans encombre et non sans mérite, le jardin étant fort sombre, Poussevent la plaça à l’angle du mur mitoyen et du mur sur rue – cette rue étant la rue du Chantre, comme le lecteur se ressouvient. Les deux soldats grimpèrent alors sur le sommet du tas de bois, lequel avait au moins sept pieds de haut, et attendirent que la lune voulût bien se dégager des nuages noirs qui la couvraient, ce qui était une bien incertaine gageure car, en levant les yeux, à peine voyaient-ils filtrer çà et là quelques lueurs entre des masses noires.

En même temps, ils écoutaient. « Que j’avais l’oreille, dit Poussevent avec sa verve gasconne, avancée à deux pouces de la tête tellement je la tendais ! Mais de bruit, pas le moindre sauf un léger souffle et un petit frôlement. “Un chat !” me souffla Pissebœuf. Pense un peu ! Un chat ! Comme si les dogues allaient se bouger pour si peu ! Les chats, quand le temps est beau, ils se trantolent toutes les nuits sur nos murs mitoyens et c’est à peine si nos dogues ouvrent un œil. »

Poussevent résolut d’en avoir le cœur net et cheminant à croupetons sur les bûches, et malgré les abois des chiens entendant toujours le souffle et le frôlement avec plus de netteté, mais sans en comprendre l’origine, il allait poursuivre sa progression quand un objet fort froid vint lui battre le visage. Il se recula, le cœur lui battant la chamade et un juron étouffé sur ses lèvres. Il hasarda la main « comme un chat, dit-il, que sa patte, elle avance à peine qu’elle est déjà sur le recul » et rencontrant une cordelette qui pendait, il se garda de la tirer, ses doigts se contentant de la parcourir. En haut, il découvrit un bâton et en bas, tâchant d’encercler une bûche, un nœud coulant. « Capdediou ! dit Poussevent, un quidam assis sur un mur par un froid à se geler le chouard qui tâchait de nous pêcher une bûche ! »

De la cordelette remonter au bâton, du bâton remonter au bras, saisir le bras, le tirer à soi à la volée, faire basculer le quidam sur le tas de bois, l’assommer d’une pitchounette sur la nuque, le ficeler avec sa propre cordelette et, avec l’aide de Pissebœuf, le descendre par l’échelle, fut un jeu pour Poussevent et il ne songea même pas à gasconner là-dessus quand, l’ayant juché sur son épaule, il nous apporta le prisonnier dans la salle du logis où tous, maîtres et valets et chambrières, étaient descendus la chandelle à la main, alertés par les abois des chiens et les cris de nos soldats après la prise qu’ils avaient faite.

Mon père commanda à Guillemette de jeter un fagot sur les braises de la cheminée et à Mariette de préparer pour tous un vin chaud, et demanda à Poussevent de dépaqueter le prisonnier, lequel avait la tête couverte par un capuchon et nous fit l’effet, à le voir étendu à nos pieds, d’être un petit galapian. Il ne bougeait ni ne pipait, soit qu’il fût terrorisé par l’avenir qui l’attendait, soit que la pitchounette de Poussevent l’eût à moitié assommé. Poussevent ne se pressa pas de le déficeler, ayant à cœur de nous faire de sa prise un récit épique dont j’ai donné un aperçu. Mais, les liens ôtés, il fallut bien, quoi qu’il en eût, venir à bout du conte.

— Décapuchonne-le, dit mon père, qu’on lui voie sa face, à ce petit pécheur de bûches.

Le capuchon tenait à un méchant manteau usé jusqu’à la corde et, par endroits, rapiécé. Et quand Poussevent avança la main pour l’en défaire, le galapian fit soudain un geste vif pour se dérober mais Pissebœuf l’agrippant aussitôt, Poussevent lui découvrit rudement le visage.

On vit alors sa longue chevelure débouler sur sa nuque. Comme j’écris ceci, je revis cet instant dans ma remembrance avec sa couleur, son relief, les couleurs des grandes flammes dans l’âtre, le cercle de nos gens et le vin chaud que Mariette nous versait.

Ce fut, à coup sûr, l’affaire d’une seconde, mais ils tombèrent le long de son dos en si gracieuses volutes, en des plis si lourds, si drus et si dorés, que leur déroulement me parut durer un temps infini. Mais il se peut que cette impression soit née en moi du fait qu’ayant tant aimé ce moment, je l’ai souvent depuis puisé dans ma mémoire pour me le répéter.

Personne ne pipa d’abord, nos yeux étant fixés, incrédules, sur cette toison d’or et sentant bien que cette seule vue changeait beaucoup les choses. Le seul à ouvrir le bec fut le moins causant de tous. Et bien que sa remarque bravât l’honnêteté, il l’articula sans y voir malice et pour obéir à son coutumier souci d’exactitude.

— Eh bé ! dit Pissebœuf, quoi que ce fût qu’elle s’est gelée à califourchon sur le mur, ce n’était pas le chouard, la chose est sûre.

Aucun sourire n’honora cette réflexion, et Poussevent, qui disait souvent pire, la trouva si disconvenable qu’il donna du coude dans l’estomac de son camarade.

— Garce, comment es-tu montée sur ce mur ? dit mon père, en se donnant quelque peine pour faire le juge et le sévère.

La caillette fut un temps avant de répondre, tremblant de tous ses membres, mais, à mon sentiment, beaucoup plus de froid que de peur.

— Par une méchante chanlatte que nous avions chez nous, dit-elle, parlant d’une voix faible, mais en s’exprimant fort poliment, toute gueuse qu’elle fût.

— Vous autres, dit mon père aux soldats, votre vin bu, il va falloir aller quérir cette chanlatte. Garce, où loges-tu ?

— Rue du Coq, pour vous servir.

— N’as-tu point d’autre métier que la volerie ?

— Voleuse point n’étais jusqu’à ce jour ! dit-elle.

Et elle reprit, comme si elle énonçait un titre de noblesse :

— Je suis couseuse de soie. Mais ma mère étant saisie de fièvre tierce avec le début du grand gel, je suis demeurée au logis pour la soigner et mon maître m’a désoccupée.

— Est-ce ta mère qui t’a poussée à me venir voler ?

— Que nenni. La pauvrette est morte hier. Et me voyant seule, sans feu, sans pain et non plus sans un sol vaillant pour quérir notre curé d’ouvrir le sol pour enterrer ma mère, j’ai pensé à vous larronner d’une bûche afin d’avoir un peu moins froid avant que la mort ne m’emporte.

— Ne savais-tu pas que je donne deux bûches à ceux de ma rue qui n’ont rien ?

— Par malheur, je ne suis pas de votre rue.

— Comment savais-tu que j’avais ce grand tas de bois ?

— Dans notre paroisse, il n’est fable que de ce bois-là. Et je l’ai appris ce dernier dimanche à la messe.

— Mariette, dit mon père après un silence, assieds-moi cette garce sur un tabouret, là, près du feu, et donne-lui du vin chaud et une tranche de pain.

Ce que Mariette fit bien volontiers, me sembla-t-il, ayant la fibre maternelle. Il y eut un grand silence chez tous et toutes, debout autour de la garcelette, tandis quelle buvait son vin chaud et mangeait sa tartine.

— Garce, dit mon père, ne mange point ton pain si vite ! Que ton gaster va le rendre ! Mange par petites bouchées et mâchelle chacune d’elles.

J’eusse fait cette gageure que cela nous faisait à tous grand plaisir de la voir se goulafrer ainsi – à tous, sauf à Toinon qui l’envisageait fort froidureusement, tenant toute femme pour son ennemie qui avait jeunesse et beauté, et certes, pour la petite pêcheuse de bûches, il ne serait que de la débarbouiller pour qu’elle brillât de sa face presque autant que de ses cheveux d’or.

— Comment te nomme-t-on, garce ? dit mon père d’un ton plus doux.

— Margot, pour vous servir.

— Tu parles au Marquis de Siorac, fillette, dit Mariette en posant une main large comme un jambon sur l’épaule de la voleuse.

— Pour vous servir, Monsieur le Marquis, dit Margot.

— Eh bien, Margot, dit mon père, qu’allons-nous faire de toi ?

À cela, elle haussa les sourcils et haussa les épaules d’un air plus résigné qu’effrayé, ne se voyant pas d’avenir au-delà de la minute présente et sachant bien que voler une bûche, fût-ce par grand froid, était crime et puni de corde.

Comme elle ne répondait point, Toinon dit d’une voix forte et claire :

— La remettre au prévôt pour qu’il la pende ! Vol ou tentative de vol, c’est tout un !

— Que voilà une impiteuse pécore ! dit Poussevent, qui, de toute façon, n’aimait guère Toinon qui haussait fort le bec avec lui, ayant été une des « nièces » de Monsieur de Bassompierre et assumant en notre logis les fonctions que l’on sait.

— Margot, dit mon père, sans daigner jeter l’œil sur Toinon, je m’arrangerai avec le curé Courtal pour qu’il ouvre la terre pour ta mère en son cimetière sans qu’il t’en coûte. En attendant, tu peux demeurer céans, le temps du grand froid. Mariette te donnera à coudre, point tant de soie que de toile et de lin. Et maintenant, reprit-il d’un ton expéditif, puisque le vin est bu, que chacun retourne se coucher en sa chacunière.

Quoi oyant, Margot alla à lui et, sans dire un mot, lui baisa la main, ce qui fit que nos chambrières échangèrent des regards. Je dis bonsoir à mon père et montai à l’étage où je me rencontrai avec le Chevalier de La Surie dont la chambre jouxtait la mienne.

— Chevalier, dis-je à mi-voix, ne craignez-vous pas que ma bonne marraine monte sur ses grands chevaux quand elle verra céans ces cheveux d’or et ce minois ?

— Mon neveu, il faut savoir affronter quelques petites incommodités quand on fait son devoir.

En prononçant le mot « devoir », La Surie fit un petit sourire et son œil marron se mit à briller tandis que son œil bleu restait froid.

Le gel continua dans les semaines qui suivirent et gagna même en intensité, tant est que des rochers, dans la forêt de Fontainebleau, se fendirent et d’autres même éclatèrent en fragments, ce qui m’étonna fort car je croyais, jusque-là, que « geler à pierre fendre » n’était qu’une façon de parler. Dans les rues, le guet trouvait chaque nuit des personnes que le froid avait saisies, engourdies et tuées. Le quatorze janvier, à la pique du jour, notre laitière fut retrouvée morte, allongée sur le pavé, la tête appuyée sur son pot de lait.

Mais le quinzième jour de janvier, qui était un samedi, il arriva quelque chose de beaucoup plus surprenant. Mon père et La Surie ayant été appelés au Louvre, j’étais seul dans la grand’salle du logis avec Mademoiselle de Saint-Hubert, occupé à apprendre de sa bouche l’italien et aussi à la regarder (Toinon, en sa jaleuseté ne manquant jamais de traverser la pièce et de jeter l’œil sur nous) quand Franz vint et me dit qu’un cavalier tournait et retournait devant notre porte cochère comme s’il voulait demander l’entrant, mais sans donner de la voix ni démonter, ni frapper à l’huis, son cheval, en revanche, hennissant comme fol. Je mis manteau et chapeau, et suivi de Pissebœuf et de Poussevent, je sortis par la porte cochère pour voir ce que nous voulait cet étrange visiteur.

— Il ne vous le dira pas. Monsieur. Il est gelé à mort, dit Franz qui, originaire de Lorraine, savait mieux que nous ce qu’était le froid.

— Mais s’il était gelé, dis-je, il tomberait de cheval.

— Il ne le peut, dit Poussevent, en posant la main sur la cuisse de l’homme. Elle est raide comme bois, de sorte que la pince de ses jambes le tient assis sur sa monture comme un soldat de plomb.

Je voulus en avoir le cœur net et commandai qu’on ouvrît la porte cochère et qu’on l’amenât dans la cour. Mais on eut toutes les peines du monde, le cocher Lachaise accouru à notre aide, pour enlever le cavalier de sa monture, ses deux jambes faisant l’arceau autour du ventre du cheval, et un arceau rigide. Il fallut enlever la sangle de la selle et enlever celle-ci de dessous lui en le soulevant afin de donner plus de jeu, et de cette façon on réussit, poussant et tirant, à le faire passer par-dessus la tête du cheval, et le mettre à terre où toutefois, quoi qu’on fît, ses jambes gardèrent la forme d’arceau et leur angle bizarre par rapport au corps. Ce qui fit dire à Pissebœuf : « Celui-là, je me demande bien quelle sorte de cercueil il lui faudra faire pour le porter en terre ! »

Personne de chez nous, et nos voisins non plus, ne reconnaissait l’homme, mais le cheval, un hongre alezan de bonne taille, nous était bien familier. Mon père, deux mois plus tôt, l’avait vendu au Roi. Ce qui expliquait que son cavalier faillant à le diriger, le hongre devenu son propre maître l’avait conduit à nos écuries, lesquelles il préférait sans doute aux écuries royales, le picotin étant moins chiche ou le valet plus caressant.

J’envoyai un de nos pages au prévôt qui me dépêcha son lieutenant et fit enlever le quidam dans un chariot ouvert, ce qui suscita de vives curiosités dans notre rue et dans les rues circonvoisines pour la raison que le corps du pauvre gelé gardait dans la mort son étrange posture.

Vitry nous manda dans la soirée, mon père et La Surie étant de retour au logis, que le cavalier avait été reconnu pour être un courrier du Roi envoyé la veille à Amiens et qui, fort pressé (par une amourette qui lui tenait fort à cœur) de s’en retourner à Paris, commit l’imprudence de voyager la nuit et s’endormit sur sa monture. Sommeil qui lui fut fatal. Vitry ajoutait que le Roi trouvait bon que mon père gardât le hongre, ses courriers étant trop superstitieux pour monter un cheval sur lequel l’un d’eux avait trouvé la mort.

Le lendemain était un dimanche et mon père ayant été appelé tôt le matin au Louvre, j’allai avec La Surie à la messe à Saint-Germain-l’Auxerrois où officiait Monsieur le curé Courtal, lequel consacra son prêche à la mauvaiseté de la saison en laquelle il voyait une terrible punition du ciel pour les impiétés et iniquités des hommes.

— Car jamais, dit-il, on n’avait vu de mémoire d’homme le gel tuer tant de monde à Paris, et chose bien étrange encore et de bien sinistre augure, le vin se geler dans le calice de l’église de Saint-André-des-Arts au moment où le prêtre fallait consacrer ! Comment, pourtant, s’en étonner, quand trois mois plus tôt, le 7 septembre 1607 (ces trois sept n’annonçant eux-mêmes rien de bon), était apparue dans le ciel une grande comète, suivie d’une queue fort large et fort longue : signe indubitable de la colère de Dieu. Et en effet, trois mois ne s’étaient pas écoulés qu’un grand froid, tombé du ciel, gelait routes et rivières et, faute de charrois, réduisait notre moderne Babylone à la disette, de sorte que lorsque le gel ne tuait pas les gens incontinent, il les condamnait à une mort plus lente en les affamant. Hélas ! Il n’était que trop clair, comme l’affirmaient les astrologues, qu’étant advenu trois mois après la comète, le gel resterait trois mois encore parmi nous, faisant chaque jour davantage de victimes.

En conclusion, Monsieur le curé Courtal exhorta ses ouailles à prier, à se repentir de leurs fléchés, à se montrer plus assidues à confesse et à la communion, à faire des neuvaines et des chemins de croix, à brûler chandelles devant le maître-autel et à faire dire des messes afin que le nombre, la force et, pour ainsi parler, la violence de toutes ces prières, forçant les portes du ciel, pussent fléchir le courroux du Seigneur et amener la discontinuation des maux dont il avait visité les fautes de ses créatures.

Au dîner que le Chevalier et moi primes au bec à bec en notre hôtel du Champ Fleuri, mon père n’étant pas encore de retour, je lui demandai ce qu’il pensait du prêche que nous venions d’ouïr.

— À ouïr notre bon curé, dit La Surie, il semblerait que ce soient les Parisiens les plus pauvres qui sont aussi les plus grands pécheurs. Car ce sont eux qui payent de leur vie la cruauté du froid, la disette et la cherté des bûches. Toutes choses qui n’affectent guère les chrétiens bien garnis. Quant à nous, si ce froid excessif nous a été envoyé par le Seigneur, il faut croire alors qu’il nous aime tout particulièrement, car il nous a permis de vendre un seul frêne centenaire au prix de tout un bois, d’enrichir notre écurie d’un beau cheval et d’embellir notre logis d’une petite couseuse de soie.

 

*

* *

 

Quand je répétai le lendemain à mon père les propos de La Surie, il en rit d’abord puis, reprenant tout soudain son sérieux, il dit :

— Cette façon de raisonner est familière aux prêtres et fait partie de leur métier. Il n’empêche que le curé Courtal fait bien le sien, n’étant ni tracassant, ni fanatique, ni impiteux aux pauvres. Il a surtout à mes yeux un grand mérite : il est fidèle au Roi. Vous ressouvenez-vous il y a deux ans de l’expédition d’Henri à Sedan ? Il alla y prendre le Duc de Bouillon par son petit cou et le ramena à Paris pardonné, mais humilié. Les protestants dans tout le royaume en firent des cris et des grincements de dents. Et pour les apaiser, Henri leur permit d’élever un temple à Charenton. À ce coup, que de hurlades chez les catholiques ! Quoi ! criaient-ils, à Charenton ! À deux lieues de Paris ! Alors qu’il est stipulé noir sur blanc dans l’Édit de Nantes que les hérétiques ne pourront célébrer leur culte démoniaque à moins de quatre lieues de Paris ! Les sacristies frémirent, les églises s’agitèrent et on en fit des prêches un peu partout, sauf…

— À Saint-Germain-l’Auxerrois.

— Oui-da ! Monsieur le curé Courtal se tut, trouvant que de deux lieues à quatre lieues, il n’y avait pas une différence qui justifiât un tel tohu-bohu.

Dans la semaine qui suivit, je me fis un gros souci, non point tant pour Henri que pour mon père, car je craignais que recommençât entre lui et Madame de Guise une de ces grandes picoteries qui, dans le passé, m’avaient tant assombri, tant je les aurais voulus unis et soudés jusqu’à la mort, les aimant également l’un et l’autre. Ayant retourné la chose en mon esprit et croyant alors, non sans naïveté, que Margot ne demeurerait avec nous pas plus longtemps que le gel, je pris sur moi de tirer Mariette à part et de lui recommander, le front fort sourcillant, de mettre un bœuf sur sa langue parleresse. Elle me le promit. Mais je m’avisai que ce que je redoutais de son étourderie, je pourrais le redouter tout autant de la perfidie d’une autre et à midi, pendant ma sieste avec Toinon, une fois que nous eûmes terminé nos tumultes, j’attendis de reprendre mon souffle et, soulevé sur mon coude, la regardant œil à œil, je lui demandai :

— Toinon, iras-tu dire à Madame de Guise qu’il y a chez nous une nouvelle venue ?

— Qu’arrivera-t-il, si je le fais ? dit-elle d’un air fort rebéqué.

— Mon père te chassera tout de gob pour avoir fait la zizanieuse. Et j’en serai bien peiné.

— Vramy ? dit-elle, radoucie. Vous en seriez marri ?

— Oui-da.

Elle se réfléchit un peu là-dessus et reprit :

— Ce n’est point que l’envie ne m’en démange. Je vous le dis tout net. Je hais cette façonnière pécore, avec son museau chattemite, ses grands airs et ses cheveux pisseux.

Je faillis relever « les cheveux pisseux », mais me bridai juste à temps, sentant bien tout le péril qu’il y aurait à défendre la toison dorée de Margot.

— Façonnière ? dis-je, me rabattant là-dessus.

— N’avez-vous point vu comme elle se hausse du bec pour ce qu’elle est couseuse de soie ? Et qu’est cela, je vous prie ? Un métier mécanique !

— En sais-tu davantage toi-même ?

— Assurément. De même qu’il y a septante diables dans l’enfer, il y a septante caresses par lesquelles une femme peut rendre un homme heureux et je les connais toutes.

— Comment sais-tu qu’il y a septante diables dans l’enfer ?

— Je l’ai ouï dire ainsi.

Je ne voulus pas débattre là-dessus et revins à mon propos.

— Mais, dis-moi, pourquoi as-tu si mauvaise dent contre Margot ?

— La pécore est de la dernière insolence.

— Elle ? Avec qui ?

— Ah ! Je ne l’entends pas comme cela. C’est sa chance qui est insolente. Elle vient contre notre mur sur une méchante chanlatte pêcher une bûche et elle attrape un marquis.

— C’est donc qu’un chevalier ne te suffit point, dis-je, piqué.

— Oh ! mon mignon ! dit-elle avec un sourire et passant sur ma nuque une main légère, vous êtes cent fois à ma suffisance.

Fût-ce l’effet du compliment ou une des vertus des septante caresses de l’enfer, je ne sais, mais je sentis bien que je me dépiquais.

— Ainsi, repris-je, tu ne le diras pas à Madame de Guise.

— Tant promis, tant tenu. Voyez-vous cela, dit-elle, toute fiérote, comme mon beau mignon a peur de me perdre ! De reste, ajouta-t-elle avec un air de tristesse, cela arrivera tôt ou tard.

— Et pourquoi ?

— Parce que je voudrais un mari à mener par le bout du nez, une maison qui soit à moi et une servante à qui commander.

— Mais seras-tu plus heureuse ainsi ?

— Je ne sais.

Elle reprit :

— C’est pourtant bien ce que je veux.

 

*

* *

 

Les astrologues, suivant leurs savants calculs, Monsieur le curé Courtal, en se fondant sur la valeur mystique du chiffre trois, avaient annoncé que l’âpre gel dont Paris souffrait depuis le premier janvier allait durer trois mois. Il n’en fut rien. Le vingt-six janvier, le dégel survint et se poursuivit les jours suivants, transformant les rues de la capitale en bourbier et amenant à sa suite un brouillard épais et puant. Mais, en dépit des souffrances dont souffrirent nez et gorges, le soulagement parmi les plus pauvres fut immense du fait que les charrois sur la rivière de Seine reprirent, la disette cessa et les prix baissèrent.

Notre petite couseuse de soie ne partit pas avec la fonte des neiges et personne, en notre domestique, ne s’en étonna ni n’en jasa, les langues, sur ce sujet, restant gelées. Ce silence me fit entendre combien il avait été de ma part sottement officieux de faire la leçon à Mariette et à Toinon : la mise en garde avait dû venir plus tôt, de plus haut, et avec plus de poids.

Je surpris deux ou trois fois les yeux de Toinon adressant à Margot de méchantes pistolétades. Mais le bec n’osa pas prendre le relais de l’œil. Margot restait close derrière ses paupières baissées, belle et dorée comme une image, taciturne, discrète, et aux repas de nos gens qui se prenaient dans la cuisine, mangeant sans mot dire, regardée, mais non regardante. De reste, nulle péronnelle n’eût pu l’assaillir, et nul homme lui donner le bel œil, tant Mariette montait autour d’elle une vigilante garde. Et assurément nul, mâle ou femelle, n’eût osé affronter Mariette en ses colères, tant on avait peur de sa terrible langue.

Margot était, de reste, la plupart du temps, invisible dans sa chambre, laquelle s’ouvrait sur l’escalier de la tour d’angle, juste au-dessus de celle de mon père. Douze marches l’en séparaient. J’ouïs dire, par Mariette, qui la couvait comme sa fille, que la garcelette était fort laborieuse et qu’il fallait ne lui point donner trop d’ouvrage à la fois : sans cela elle eût veillé pour l’achever. Il lui arrivait, en compagnie de Mariette, de prendre l’air dans le jardin, après le dîner et, de ma fenêtre, je l’y vis plusieurs fois, distrait de mes livres par ses cheveux d’or. Mais, oyant une fois un cocher demander l’entrant à la porte cochère de la cour pour son carrosse, elle s’envola comme une tourterelle jusqu’au viret de la tour d’angle et je l’entendis qui en montait les trois étages pour se réfugier dans sa chambre, verrouillant l’huis derrière elle.

Quant à Mariette, elle passa vivement du jardin à la cour pour s’assurer s’il y avait lieu de redouter la personne qui allait descendre du carrosse (lequel, étant de louage, ne portait pas de blason) et moi-même quittant ma chambre pour aller me poster près d’une fenêtre où j’avais des vues sur le nouveau venu, devant qui, sans le voir encore, Mariette multipliait les révérences. Le doute cependant subsista dans mon esprit jusqu’à ce que, la porte étant ouverte par un valet, et le marchepied déplié, je vis se poser dessus une mule de satin bleu ornée de perles.

Cela me suffit. Je me retirai vivement de l’embrasure et, me peignant les cheveux de mes doigts, et boutonnant mon pourpoint, je descendis le viret pour aller à la rencontre de la Duchesse, le cœur me battant comme si c’était moi qui lui avais manqué.

Je me ressouviens qu’en descendant les marches pour l’aller accueillir (mon père ne se trouvant pas au logis), j’éprouvais des sentiments fort mêlés. J’avais scrupule et mésaise à ce que tout un chacun, en ce logis, se liguât pour tromper ma bonne marraine, mais, en même temps, je n’eusse pas voulu qu’elle apprît ce qu’il en était, tant j’en redoutais les conséquences pour mon père, et pourquoi ne pas le dire aussi, pour Margot, non que je fusse amoureux d’elle, mais de sa seule beauté, et fort content que j’étais de la voir rayonner en silence de la nouvelle joie qu’elle prenait à vivre, elle qui, sans cette chanlatte, cette canne à pèche et cette bûche, serait morte de faim et de froid en son misérable logis, à côté du corps de sa mère.

Le gel reprit quelque peu en février, mais moins âpre, et pour peu de temps, et à la fin du mois, mon père m’apprit la mort du Duc de Montpensier qui survint six mois à peine après le bal de la Duchesse de Guise où je l’avais vu étique et fort atténué, souffrant depuis quatorze ans de cette terrible blessure à la mâchoire qu’il avait reçue à la bataille de Dreux et qui le réduisait à se nourrir de lait de femme.

À l’occasion du service funèbre du Duc de Montpensier, mon père eut l’occasion de voir le Roi et comme si sa vue eût réveillé chez Sa Majesté un projet, il le fit appeler après la cérémonie, lui parla au bec à bec et lui dit qu’il n’oubliait pas le Chevalier de Siorac, qu’il songeait à lui donner un emploi, où son savoir et son talent trouveraient à s’employer. Je sautai de joie quand mon père me rapporta ce propos, mais il me fallut attendre de longs mois avant qu’Henri donnât corps et vie à son dessein et moi, de tout ce temps, je n’osai quitter Paris, ni me rendre dans le Périgord où mon grand-père qui touchait maintenant aux bords de l’extrême vieillesse, m’aurait voulu auprès de lui pendant les mois d’été. L’été, toutefois, se passa sans que Sa Majesté se ressouvînt du Chevalier de Siorac encore qu’il vît assez souvent mon père pour ses missions secrètes.

Ce n’est que le treize novembre que le Roi me tira de cette rongeante impatience. Il nous manda au Louvre mon père et moi « après dîner ». Mais en raison des heures irrégulières de Sa Majesté, lesquelles contraignaient ses cuisiniers à préparer toujours deux ou trois repas de suite, afin qu’il ne mangeât pas froid, nous étions résignés à une longue attente, et moi-même bouillant d’impatience et de curiosité car c’était la première fois, depuis qu’il m’avait nommé chevalier, que le Roi me convoquait au Louvre en même temps que mon père.

Nous eûmes toutefois le nez fin d’arriver à l’heure précise, car à peine avions-nous pris langue avec Monsieur de Praslin au guichet du Louvre qu’un petit page survint, s’enquit de nous et nous mena au jardin où le Roi venait de terminer son Conseil des ministres, lequel il avait tenu en se promenant dans les allées, profitant de ce clair soleil du début novembre.

Dès qu’il nous vit, à peine eûmes-nous le temps de lui baiser la main que déjà il nous prenait chacun par le bras et, le visage souriant, nous entraînait à l’écart.

— Mon petit cousin, me dit-il, penchant vers moi sa tête faunesque et malicieuse, tiendrais-tu au-dessous de ta dignité d’être mon truchement[33] ?

— Sire, dis-je, il n’est petit service que je ne tiendrais à très grand honneur de rendre à Votre Majesté.

— Mais, ce ne sera point un petit service. Bien loin de là. Quelles langues entends-tu ?

— Pour commencer, le latin.

— Je n’écris guère au Pape.

— L’italien.

— Je n’écris pas beaucoup plus au Grand-Duc de Toscane.

— L’espagnol.

— Je n’écris point du tout à Philippe III d’Espagne. C’est, je crois, Villeroi, qui s’en charge. À moins que ce ne soit Don Pedro.

Ici, je me permis de sourire, car Henri feignait de confondre son propre ministre avec l’ambassadeur d’Espagne. Henri sourit à son tour et dit, en se tournant vers mon père :

— Marquis, ce béjaune est fin.

— Avec un tel nez, comment s’en étonner ? dit mon père en renvoyant le compliment.

— Mais bon chien ne chasse pas toujours de race ! dit Henri avec un soupir. Voyez Condé ! Tout Bourbon qu’il soit, il n’a même pas assez de nez pour suivre une chienne et la couvrir.

— Sire, qu’importe le Prince de Condé ! dit mon père. Grâce à Dieu, vous avez le Dauphin, et c’est un bel enfant.

— Que le ciel me le garde ! dit Henri, son visage ridé s’éclairant d’une lueur joyeuse. Il n’empêche, poursuivit-il en reprenant son ton enjoué, que le chiot que voilà vaut à lui seul tous ceux que ma bonne cousine de Guise a eus du Magnifique… Je suis prêt à gager cent écus qu’il saurait mieux qu’aucun d’eux démêler les bois d’un cerf[34] ! Quelles langues sais-tu encore, Chevalier ?

— L’anglais.

— Ha ! voilà qui va bien ! J’écris souvent à Jacques d’Angleterre et à Maurice de Hollande, lequel entend lui aussi l’anglais. Que deviendraient-ils si je ne les mettais en garde contre les faux-fuyants de l’encorné Espagnol et de son rare talent pour donner le change. Et l’allemand ? Sais-tu l’allemand ?

— Non, Sire.

— Ventre Saint-Gris, Chevalier ! Il faut apprendre l’allemand ! Les princes luthériens d’Allemagne sont les plus forts de ma meute ! Inébranlables dans la créance et grands hurleurs ! Combien de temps te faut-il pour apprendre l’allemand ?

— Quelques mois, Sire, si j’ai un maître suffisant.

— Suffisant ? dit Henri avec un petit sourire de l’œil qui étoila sa patte-d’oie. Il sera bien plus que suffisant ! J’en prends la gageure. Tu seras suspendu à ses lèvres et il te donnera plus de bon lait que la plus grasse nourrice à son nourrisson. Or sus ! Chevalier ! L’affaire est résolue ! Dans trois mois, tu sauras l’allemand et tu devras aussi chiffrer les lettres que tu écriras pour moi.

— Mais, Sire, je ne sais pas chiffrer.

— C’est bien pourquoi il te faudra l’apprendre. Marquis, un mot !

Et entraînant mon père à deux pas de moi, il lui glissa quelques mots à l’oreille. Après quoi, il nous fit à tous deux un petit geste de la main, me tourna le dos et à grands pas s’en alla.

J’attendis d’être rentré en notre logis du Champ Fleuri et assis au bec à bec avec mon père dans la grand’salle pour lui poser toutes les questions qui me pesaient sur la langue.

— Monsieur mon père, pourquoi eût-il été en dessous de ma dignité d’être le truchement du Roi ?

— Vous n’ignorez pas les absurdes préjugés des nobles catholiques pour qui le seul service honorable est l’épée. C’est à peine s’ils respectent Sully, pour ce qu’il sert le Roi par la plume et l’arithmétique. Et tout bon poète qu’il soit, Malherbe lui-même ne serait pas reçu, s’il n’était pas gentilhomme.

— J’entends bien, mais j’imagine que le Roi a tous les truchements qu’il lui faut.

— Assurément. Mais ses truchements sont à ses ministres et à ses secrétaires d’État et il a peu fiance en eux. Le Roi veut trouver en vous, comme il a dit, un truchement « inébranlable en sa créance ».

— Et que veut dire ceci ?

— C’est langue de vénerie. Cela se dit d’un faucon qui, après avoir pris son vol, revient fidèlement sur le poing de son maître. Par extension, cela se dit aussi d’un chien.

— S’il faut choisir entre les deux, je serai donc faucon.

— Mission périlleuse, mon fils, dit mon père avec gravité.

— Pour ce qu’on me pourra transpercer en plein vol pour surprendre mon message ?

— Vous ne volerez pas. Le Roi a ses courriers secrets. Mais c’est déjà un grand danger que d’écrire et chiffrer une lettre que Don Pedro donnerait une fortune pour connaître. La pécune, comme on sait, est souvent la sœur de la dague.

— Étant Siorac par mon père et Bourbon par ma mère, je ne saurais qu’être vaillant.

— Monsieur, vous parlez à la volée ! dit mon père froidement. Vos ancêtres ne sont pas garants de vos qualités. Ils ne répondent pas non plus des sottises que vous pourriez commettre. En outre, il y a vaillance et vaillance. Et celle dont vous aurez besoin ne tient pas à celle de l’épée. Elle est infiniment plus difficile.

— En quoi consiste-t-elle ? dis-je, la crête très rabattue, mon père me parlant rarement sur ce ton.

— À ne jamais paraître ce que vous serez. Et parfois même à jouer les étourneaux, tout en vous gardant de tous et de tout, avec le souci du moindre détail et une vigilance dont vous n’avez aucune idée.

Il continua dans cette veine pendant une demi-heure, son discours tirant substance de toutes les embûches qu’il avait connues dans ses missions. Et entendant bien, à la fin, que sa grande amour pour moi et ses inquiétudes pour mes sûretés lui avaient inspiré et sa petite rebuffade et ses conseils, je les ouïs d’un bout à l’autre avec une attention dont il se trouva sans doute satisfait car au moment de me donner congé, il me bailla une forte brassée et me baisa gravement sur les joues.

— Et ce merveilleux maître d’allemand que le Roi va me donner, dis-je au départir, savez-vous qui c’est ?

— Je n’en ai aucune idée, dit-il avec un sourire qui me laissa quelques doutes sur son ignorance.

Je le quittai là-dessus, le moment étant venu de ma sieste, mais l’attrait de la nouvelle existence où j’allais entrer et qui, malgré que le Roi m’eût traité de « béjaune » et de « chiot », m’apparaissait comme la première étape de ma vie d’adulte, emplit à ce point ma pensée que je demeurai un long moment inerte et taciturne dans les bras de la pauvre Toinon. Avec la curiosité et l’adresse propres à son sexe, elle me posa, me voyant si rêveux, des questions à l’infini. Elle s’essaya même, pour vaincre mon silence, à quelques larmelettes, mais tout fut vain. Je restai bouche cousue. Me voyant en mon âme si bien remparé, de guerre lasse, elle se rabattit sur la bête et mettant en œuvre toutes les magies où elle était experte, elle eut tout le succès qu’elle espérait, mais sans pouvoir tirer de moi autre chose que des sons inarticulés. Assurément, après que la bonace eut succédé à nos tempêtes, me jugeant aussi affaibli que Samson après qu’on l’eut tondu, elle ne laissa pas de renouveler doucettement ses questions, mais je pris alors le parti le plus simple : je m’endormis sans la moindre vergogne. Je me ressouviens que ma dernière pensée en m’ensommeillant fut pour me féliciter d’avoir fait preuve de la circonspection recommandée par mon père. Et vramy, on eût dit, tant je m’en paonnais, que c’était là un grand exploit !

Quinze jours s’écoulèrent ensuite sans qu’il se passât rien, du moins rien qui m’intéressât et je commençais à me demander si le Roi avait oublié ses projets touchant ma personne, ce dont je me fusse senti bien marri, n’étant pas homme à replier sur moi mes ailes dans le lit familial.

Fogacer vint nous voir un vendredi et tout en dévorant à notre table une superbe carpe, il nous apprit que la reine Margot venait de faire donation aux Augustins déchaussés d’une partie du jardin de son hôtel, afin qu’ils y élevassent un couvent où l’on pût éternellement prier le Seigneur et le remercier pour ses bienfaits.

— Belle répartition des tâches ! dit Fogacer en arquant son sourcil diabolique sur son œil noisette. Les Augustins, en leur chapelle, chantent les louanges de Dieu et Margot célèbre en son hôtel les délices de sa charnelle enveloppe avec ses favoris.

Mon père aimait tant dénoncer chez nos catholiques de cour la proximité paisible des prières et des putaneries que je crus qu’il allait faire un sort à cette plaisanterie, mais c’est à peine s’il en sourit. Le nom de Margot, dans ce contexte de débauche, avait mal sonné à ses oreilles. La chose crevait les yeux : il était tout enveloppé et cousu par ces cheveux d’or et fort content de l’être, l’œil en fleur, je ne sais quoi de victorieux en sa démarche, et, malgré ses rides, le visage lisse des gens heureux.

Quant à Fogacer, en dépit de ses petites gausseries gauloises – mais le curé Courtal, au sujet des jésuites, s’y livrait tout aussi volontiers –, il devenait chaque jour plus ensoutané. Il ne parlait plus du tout de son athéisme et presque plus de sa bougrerie, lesquelles pourtant avaient été, pendant tant d’années, ses parures. « Révérend abbé, dit La Surie, vous verrez que, sur vos vieux jours, vous deviendrez un saint homme. »

Comme Geneviève de Saint-Hubert savait un peu d’allemand, je décidai, pour meubler mon interminable attente, de me dégrossir avec elle, ce qu’elle accepta bien volontiers, sans aller au-delà de l’élémentaire.

— Peter, disait-elle de sa voix chantante, ich bin Ihre Lehrerin.

Et je répondais :

— Ich bin Ihr Schüler.

Je ne savais pas encore à quel point son accent allemand était anglais et je riais d’aise en prononçant avec elle ces quelques mots. Notre unique étreinte n’était plus qu’un souvenir que nous avions de concert enfoui dans la gibecière de nos mémoires, mais en même temps que de la compassion, j’avais encore pour elle quelque douceur de cœur.

Le vingt-huit novembre – je l’ai marqué dans mes tablettes –, un petit page vint me dire un peu avant dîner que le carrosse de Monsieur de Bassompierre viendrait me prendre sur les trois heures de l’après-midi. Je lui fis répéter deux fois son message pensant qu’il s’agissait de mon père et non de moi. Mais, « indubitablement », comme il voulut bien me le dire (cet adverbe faisait toujours rage chez nos poupelets), c’était au Chevalier de Siorac et non point au Marquis qu’il s’adressait. Je croyais aussi que le carrosse viendrait seul, le Comte n’allant pas se déplacer pour me quérir. Mais à peine son cocher chamarré eut-il obtenu l’entrant dans notre cour que Bassompierre passa sa tête par la portière et me dit de monter à ses côtés avec ce célèbre sourire qui, à la cour, faisait battre tant de cœurs féminins. Il parut content de me voir et aussi, en la circonstance, que j’eusse fait quelques frais de vêture, le goût spartiate de ma famille n’étant guère à son gré.

À la différence du nôtre, son carrosse, tiré par de fort beaux chevaux, était tout velours cramoisi, broderies, dorures, glands, passementeries et parfums, et lui-même resplendissait de tous les feux de la dernière mode, sans compter les perles qui luisaient à profusion sur son pourpoint de satin violet. Et comment ne pas mentionner aussi, brillant d’une lueur étrange à son annulaire, la bague de la fée allemande que, de moment en moment, il portait à ses lèvres, comme pour y puiser l’inspiration de l’heure ?

Bien qu’Allemand, Bassompierre était plus Français qu’un Français naturel, plus Parisien qu’un natif de Paris, et plus courtisan que tous les courtisans du Louvre mis à tas. Après mon père, je n’admirais personne plus que lui. Je lui enviais sa science, son esprit, sa grâce et les beautés célèbres qui lui voulaient du bien. Tout ce qu’il faisait avait l’air cavalier. J’aimais surtout que malgré mon âge, il ne mît aucune distance entre lui et moi et me taquinât comme si j’avais été son frère ou son ami.

À peine assis dans son carrosse, sa splendide vêture me donna furieusement dans la vue et je fus un moment à la détailler en silence. Quand j’eus bien rassasié mes yeux de ce parangon de cour, ma curiosité reprit le dessus et j’osai quérir de lui où il me menait.

— Mais cela va de soi, mon Pierre, dit-il du ton le plus uni. Je vous conduis chez votre maître d’allemand.

À ouïr cette nouvelle, j’eusse pu sauter de joie sur les coussins capitonnés de son carrosse, si je ne m’étais bridé. Mais je craignis d’en dire trop. Je voyais bien la main du Roi dans cette intervention de Bassompierre, mais ne savais pas jusqu’où Sa Majesté l’avait mis dans sa confidence. Je pris donc le parti de faire un peu le difficile et je dis :

— Eh quoi ! Ce maître d’allemand est-il si haut qu’il ne puisse venir chez moi ?

— Point du tout. Il est aussi humble que sa condition le demande. Mais il se trouve être si vieil, goutteux et mal allant qu’il ne saurait se déplacer sans ses béquilles. Toutefois, mon Pierre, cette mortelle enveloppe, aussi peu ragoûtante que celle de Socrate, enferme, comme elle, des trésors. C’est du miel que sa parole. Vous en serez ravi !

Là-dessus, il porta la bague de la fée à ses lèvres et se tut avec tant de réserve que je n’osai le questionner plus avant. Cependant, il souriait doucement, non à moi, mais à lui-même, songeant sans doute à ses félicités passées et plus délicieuses encore, à celles que la protection de la fée tenait en réserve pour lui.

Comme Bassompierre ne pipait pas et demeurait perdu dans ses méditations, je fus à toute liberté pour suivre des yeux le chemin que nous prenions. Le carrosse passa d’abord devant le Louvre, puis prit par le quai de la Mégisserie et, tournant à droite, traversa la rivière de Seine par le Pont Neuf, lequel me donna, comme toujours, un plaisir dont je ne me lassais pas, d’abord parce qu’il était véritablement neuf, n’ayant pas plus d’un an d’existence, et ensuite parce qu’il était fort beau, et enfin parce que Henri l’avait conçu et fait bâtir, ainsi (comme j’ai dit) que la rue Dauphine, qui lui faisait suite et aboutissait à la Porte de Buci.

Toutefois, notre carrosse ne franchit pas l’enceinte fortifiée, comme je m’y attendais, et, tournant à droite avant d’atteindre la Porte de Buci, s’engagea dans la rue des Bourbons et s’arrêta devant un hôtel de si belle apparence que je fus étonné qu’un maître d’école pût y loger.

— Il n’y a point là miracle, dit Bassompierre : Il est précepteur des enfants d’une noble famille, celle qui loge en ces murs. Le bonhomme y a sa chambrette.

— Eh quoi ! dis-je, vais-je être instruit en même temps que des enfantelets ?

— Que nenni ! dit Bassompierre. On aura grand soin de vous : on vous prendra à part.

Dès qu’on eut obtenu l’entrant dans la cour, un chambellan qui, sur le chapitre de la bedondaine, n’avait rien à envier à Monsieur de Réchignevoisin – mais comme on sait, un majordome gras honore une grande maison – nous précéda dans une salle qui, pour ne pas être aussi magnifique que celle de la Duchesse de Guise, dépassait de beaucoup la nôtre en richesse, étant abondamment garnie de tapisseries des Flandres, de tapis de Turquie, de rideaux de velours, de chaires à bras, de tabourets à tenailles et de très jolis cabinets d’Allemagne marquetés et fort sveltes, étant juchés sur des pieds de noyer. Ils m’attirèrent l’œil aussitôt.

Le chambellan nous fit asseoir, se retira en révérences et je m’attendis à une longue attente. Il allait de soi qu’avant de faire venir le précepteur, Bassompierre allait me présenter à la maîtresse du lieu et on sait bien qu’aucune personne du sexe n’oserait se montrer aux regards d’un homme, même en son intérieur, sans redonner quelque éclat à son teint. Je me trompais. Deux minutes ne s’étaient pas écoulées qu’une dame d’apparence majestueuse, et fort belle de visage, apparut au bout de la grand’salle. Bassompierre se leva et alla au-devant d’elle d’un pas vif, tandis que je restais debout auprès de ma chaire à bras, n’osant avancer avant qu’il m’appelât. Ce qu’il ne me parut pas disposé à faire incontinent, s’entretenant avec notre hôtesse avec animation. Comme il était maintenant assez loin de l’endroit où je me tenais, me tournant le dos et parlant à mi-voix, je ne pouvais ouïr ce qui se disait entre eux. Mais, à bien observer la physionomie de son interlocutrice, il me sembla qu’elle le tenait à distance, mais sur un pied de familiarité, comme si elle le connaissait de longue date, sans l’aimer autant qu’il l’eût voulu, habitué qu’il était à voir tomber devant lui toutes les vertus de la cour. Mais celle-ci paraissait d’une tout autre plume que celle de ces perruches dont on disait qu’il était couvert. Son visage portait un je ne sais quoi de sérieux et de grave, ce qui contraignait, à ce qu’il me sembla, Bassompierre à plus de respect qu’il n’en montrait d’ordinaire aux dames. À un moment, je la vis froncer le sourcil et elle haussa quelque peu la voix pour dire sur le ton de la réprimande : « Décidément, Comte, vous êtes incorrigible ! »

Comme cet a parte durait plus longtemps que je ne m’y étais attendu, j’eus le temps de détailler l’appareil dans lequel la maîtresse de maison apparut, et fus surpris de constater qu’il était fort simple, consistant en un corps de cotte bleu pâle en serge de soie et d’un vertugadin de même tissu sans broderie aucune, ni passementerie, ni perles et sans autre bijou qu’un pendentif en or incrusté de petits diamants qui ornait un décolleté des plus modestes. La raison pour laquelle cette simplicité, pour ne pas dire cette simplesse, ne m’avait pas frappé d’abord, était que je n’avais eu de prime d’yeux que pour son beau visage, ses yeux sombres, sa magnifique chevelure noire et la façon peu courante dont sa coiffure dégageait son front, lequel en valait la peine, étant de nobles proportions et du blanc le plus pur. Il me sembla que c’était là une sorte de haute dame que je n’avais pas rencontrée au bal de Madame de Guise et qui mettait quelque fierté à ne pas se parer comme une idole, se plaisant à soi comme elle était, et ne cherchant pas à en rajouter pour plaire.

Bassompierre, se retournant enfin, me fit signe de le venir rejoindre. Ce que je fis, bien moins assuré en mon for que j’eusse voulu paraître, pénétré que j’étais des beautés que je voyais et devinant les mérites qui se cachaient derrière elles. Je m’arrêtai à deux pas de notre hôtesse, lui fis une révérence et attendis que Bassompierre lui dît qui j’étais avant de m’avancer plus outre.

— Gräfin, dit Bassompierre, darf ich Ihnen Ihren Schüler vorstellen[35] ?

Tous les mots allemands de cette phrase m’étaient connus et me plongèrent dans une telle stupeur que sans souci de l’étiquette qui voulait que je ne lui adressasse pas la parole le premier je m’écriai :

— Madame, serai-je vraiment votre élève ?

Ce qui fit rire Bassompierre aux éclats et, sur les lèvres de la dame, amena un sourire plus gêné que véritablement amusé.

— Chevalier, dit-elle, je n’étais pas partie à ce petit tour que vous a joué Monsieur de Bassompierre. Il n’y a pas céans de vieil homme goutteux et podagre. C’est à moi que le Roi a demandé de vous enseigner l’allemand : je suis Ulrike von Lichtenberg.

— Madame, dis-je, votre condescendance me pénètre de gratitude et je puis vous assurer que vous n’aurez pas un écolier plus assidu que moi.

La Volte des vertugadins
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