18
Monsieur Lafaye, les bras croisés, ne quittait pas Lucy des yeux. Elle venait de plier monsieur Wood en deux, et elle le rangeait tout au fond de l’étagère, comme son père le lui avait ordonné. Puis elle referma le placard.
Assise sur son lit, Caro regardait la scène en silence, l’air troublé.
— Est-ce qu’on peut fermer ce placard à clé ? demanda monsieur Lafaye.
— Non. Non, pas vraiment, répondit Lucy, la tête baissée.
— Tant pis, ça ira comme ça. Lundi, je le rapporte à la boutique. En tout cas, je t’interdis d’y toucher d’ici là.
— Mais, Papa…
Il leva la main pour lui imposer silence.
— Il faut qu’on en discute, supplia Lucy. Tu dois m’écouter. Ce qui est arrivé ce soir… ce n’était pas une blague. Je…
Son père se détourna avec une expression très peinée.
— Lucy, je suis désolé. Nous parlerons demain. Ce soir, ta mère et moi, nous sommes trop fâchés et trop bouleversés pour discuter…
— Mais, Papa…
Sans la regarder, il sortit de la chambre. Elle écouta ses pas pressés dans l’escalier. Puis elle se tourna lentement vers Caro.
— Alors, tu me crois maintenant ?
— Je ne sais plus ce… ce qu’il faut croire, répliqua Caro. C’était tellement… incroyablement grossier ! Et pourtant, ça ne peut être que toi !
— Caro, je… je…
— Papa a raison. On parlera demain, coupa sa sœur. Je suis sûre que tout sera plus clair et plus calme.
Mais Lucy ne put trouver le sommeil. Elle se tournait dans tous les sens, mal à l’aise, complètement réveillée. Elle se cacha la tête sous l’oreiller pendant un long moment, appréciant le silence, puis, énervée, elle le balança par terre.
« Je n’arriverai plus jamais à dormir », se dit-elle.
Chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle revoyait l’abominable scène du concert. Elle entendait les cris scandalisés du public, ces gens qu’elle connaissait, ses copains et leurs parents. Et elle entendait aussi les cris devenir des hurlements de dégoût quand le liquide immonde s’était écoulé du pantin.
Écœurant. Tellement écœurant.
Et tout le monde pensait qu’elle était responsable.
« Ma vie est finie, pensa Lucy. Je ne pourrai plus jamais revenir en arrière. Je ne retournerai pas au collège. Je ne peux plus me montrer nulle part. Ma vie est gâchée par cet ignoble pantin. »
À ce moment, un frisson de terreur la parcourut des pieds à la tête. Monsieur Wood… Elle seule savait qu’elle n’était pas responsable de ce qui était arrivé. Et personne n’aurait pu manipuler le pantin à distance pour le faire agir comme il l’avait fait. Non, personne. Le seul coupable possible, c’était…
Soudain Lucy perçut un bruit. Comme un crissement. Un pas léger.
Elle retint son souffle, l’oreille aux aguets. Silence à présent. Un silence tellement lourd qu’elle entendait les battements de son propre cœur.
Puis un autre pas léger. Une ombre s’agrandit sur le mur. Ou était-ce seulement son imagination ? Non. Quelqu’un marchait vers la porte de la chambre. Très doucement, en silence.
Le cœur battant, Lucy se redressa en essayant de ne pas faire le moindre bruit. Elle retint sa respiration. L’ombre s’approchait doucement de la porte.
Lucy posa les pieds par terre, scrutant l’obscurité, sans quitter des yeux la silhouette silencieuse. Que se passait-il ?
Elle perçut un frottement contre la porte, qu’elle entendit s’ouvrir.
Lucy se mit debout. Les jambes tremblantes, elle se lança à la poursuite de l’ombre.
Le palier. Il y faisait encore plus sombre parce qu’il n’y avait aucune fenêtre.
L’escalier. L’ombre accéléra l’allure.
Lucy suivit, pieds nus, se déplaçant sans bruit sur le tapis mince.
Elle rattrapa l’ombre en haut de l’escalier.
— Eh ! chuchota-t-elle.
Elle saisit la silhouette par l’épaule, la forçant à se retourner.
Et se trouva face à la figure souriante de monsieur Wood.