L’HORLOGE À COURT CIRCUIT.

 

 

Aragon, Breton, Vitrac et moi, habitons une maison miraculeuse au bord d’une voie ferrée. Le matin je descends sur la pointe des pieds l’escalier assourdi de tapis tricolores pour ne pas réveiller Mme Breton qui dort encore. C’est curieux comme les locomotives hurlantes crient dans mon poignet temporal. Péret m’attend en bas : nous nous en allons alors dans une île déserte. Le Zanzibar n’est peut- être pas une nourriture quand il n’y a plus de disques à donner aux entonnoirs prismatiques. Péret s’endort et je m’en vais. Aux fortifications les douaniers ricanent quand je passe et me demandent mon permis de conduire. Je suis à pied. Des sourires mielleux et de grossières insultes. Je me sauve mais ils restent sur le pas de la porte à remuer les bras et agiter leur casquette. Mais il n’y a personne dans Paris, plus personne, sauf une vieille épicière morte dont le visage trempe dans un plein compotier de sourires à la crème. Les tramways et les autobus sont alignés par deux. Les rues en plein midi sont éclairées à l’électricité. Les horloges sonnent ensemble des heures différentes.

 

Je rentre à la maison. Les portraits de Vitrac, de Baron, de M. et Mme Breton et d’Aragon sont cloués aux marches de l’escalier. Dans la chambre de Vitrac il y a un baril de whisky ; dans celle d’Aragon un cornet à piston ; dans celle de Baron un lot de vieilles chaussures ; sur la porte de la chambre de M. et Mme Breton il y a une inscription effrayante à la craie : « Numérotez vos abattis. » Je rentre, il y a la tête de Benjamin Péret dans la glace. Je cours vers l’île déserte, une éruption volcanique l’a détruite. Péret est sur un petit môle et me fait des signes et il lui pousse une barbe immense dans laquelle je m’embarrasse en essuyant mes pieds.

 

Adieu Péret. Adieu ! Quand François 1er mourut les orbes des sphères lumineuses n’ont laissé nulle trace sur les vitres des fenêtres cadenassées de crêpe. Adieu Péret.

 

Le train passait rapidement. Péret sauta dans ce train, Benjamin sur la route des floraisons chimiques. Pas assez vite cependant. Un de ses bras, le gauche, resta dans l’espace au-dessus du quai. À cinq cents kilomètres Benjamin me faisait encore des signes pour que je le lui envoie. Des troupeaux piétinèrent des angélus et des tapis de cheveux de femme. À quoi bon. Le bras de Benjamin Péret je l’ai laissé dans cette gare qui marque le pas, le bras de Benjamin Péret, seul dans l’espace, au-dessus du quai, indique la sortie, et au-delà, le Grand Café du Progrès, et au-delà… et au-delà…

 

De petits filaments lumineux poussent à mes vêtements de laine. « Fermez la portière, ou, dans ce compartiment, je ferai monter les signaux d’alarme et les villes horizontales les unes après les autres [ À quoi bon tirer le cordon ]. Le concierge brûle les petits canards dont sa femme accouche à chaque minute révolue. Il ne s’arrêtera pas et, d’ailleurs, quand il ouvrirait la porte, nous allons si vite, la maison en pastel de celluloïd serait loin, déjà en ruine, déjà détruite, reconstruite et, qui sait, peut-être habitée par ce monsieur qui tombe en faisant des cabrioles sans pouvoir m’entraîner. »

 

Je ferme les yeux. La magnifique toison qui m’énerve et me fait frissonner à des endroits précis, et au menton, et à la nuque, et à l’oreille, a un trou. À la suite de moi-même je m’amoindris au point de passer par ce trou, ce trou derrière lequel je me retrouve moi-même sur la toison sans envers.

 

La voix des femmes qui sort d’un lampadaire, la nuit, rue de Rivoli : « Veux-tu, chéri, cueillir des pigments biliaires au champ numéro 3 dans la campagne de la chansonnette ? »

 

Le champ numéro 3 ? J’y suis allé sur les mains. « Eh quoi, ce n’est qu’un palais avec trente-six allées plantées de colonnes. Un enfant joue au cerceau avec le soleil et le numéro 3 coupe le paysage en quatre parties. »

 

Une pythonisse me fait des signes. Une foule m’acclame. Les hommes ont retiré leurs pantalons et leurs caleçons ; ils les agitent au-dessus de leur tête. Le vent joue avec leur sexe négligemment. Quelques-uns même ont été emportés. Leur propriétaire alors était porté en triomphe autour de la statue d’une carafe et d’une lunette d’approche. Les femmes, elles, ne relevaient pas leurs jupes. Elles peignaient au ripolin des phrases en mon honneur sur le ventre de leurs maris.

 

« Ah non ! je ne veux pas être manchot. Qu’on affrète un train, un vapeur, un globe, pour moi seul et je partirai, car dans une gare je ne conçois pas qu’on sorte par la porte ni par les fenêtres mais par les échelles qui montent indéfiniment vers l’horizon. »

 

Toute la famille autour de la table à festin : le père, la mère, le fils (treize ans), la fille (quinze ans), les trois cousines (onze, douze, treize ans). L’oncle, la tante. Arrivé au dessert le père prononce en vers le discours d’usage :

 

« Ma barbe qui se roule

a fait tourner la procession

de Saint-André-du-Roule

au miroir des actions

 

Prenez exemple mes enfants

sur l’histoire du trousseau de clefs

qui vous a doté en naissant

d’une maîtresse sur un balai. »

 

Les trois cousines et la fille jouent alors un morceau à huit mains sur le cul des bouteilles. Le garçon récite une fable :

 

« La limpidité qui fonde ma justice

a l’ignorance des athlètes

Moralité : la chaude-pisse

est en germe en l’enfant qui tette. »

 

La mère couche son fils sur ses jambes, baisse la culotte, relève la chemise. Et une fessée ! Les trois petites cousines se pâment en silence, la sœur étouffe de volupté. Les autres en perdent le boire et le manger. La mère s’excite au jeu ; le garçon jouit dans les jupes de sa mère. Deux heures après elle s’arrête enfin, mais ce derrière rouge est si beau qu’on ne saurait se lasser de le voir. À genoux dans un coin, chemise épinglée sur les épaules et culotte bas.

 

Une heure après, dans la chambre à coté la sœur (quinze ans) et la cousine aînée fessent les deux autres petites. Et tout le monde de jouir. Les autres personnages se sont enfermés.

 

Dix ans après, les quatre filles sont putains Taverne de l’Olympia ; les parents sont paralysés et font de la dentelle ; le fils est capitaine au long cours. C’est lui qui m’a rapporté mon chapeau que le vent avait enlevé jusqu’aux Nouvelles Hébrides.

 

Depuis ce temps j’ai repris mon livre de mathématiques. Je ne vais à la Bibliothèque Nationale que pour lire des livres obscènes et je suis prêt à faire l’amour avec n’importe qui.

 

Mes narines sont l’entrée d’un métropolitain sonore. Mon ami Baignoire, mon amie, mon amie Verdure, mon ami, allons-nous ?

 

Cette bouteille de rhum me figure irrésistiblement les hémisphères de Magdebourg, et, si des souvenirs guerriers me conduisent parfois jusqu’au bout du soleil, d’autres pensées me trouent la cervelle d’oriflammes parallèles. Voici l’histoire de ma vie.

 

Des petits soldats en culottes rouges sur le fiacre en temps de pluie et la chanson sinistre de ce métropolitain l’axe de mon cœur. Je suis le chemin des forêts vierges que tracent les bordures des trottoirs. Ce serait un crime de piétiner ces ombres silencieuses et capables de mauvais desseins. Le Courrier de Lyon a volé mes cantiques aux lames du parquet sur lesquelles je nage voluptueusement vers des terres inconnues. Au moment suprême où je me noie je ferme les yeux à demi, les traits de mon visage descendent vers mon nombril et je ressemble à ce vieux gros monsieur qui porte une lanterne en guise de nom.

 

La maîtresse qui a des mains si douces qu’on désire en être frappé. Pourquoi ceux-ci pissent-ils et crachent ils si loin ? Moi je n’ai pas la force d’en faire autant. Douze drapeaux à la hampe de mon Angleterre à aube. La maîtresse anglaise qui vous frappe si doucement. Le criquet que j’avale chantera toute la vie durant.

 

La chanson que chante le marchand de cresson, la voici :

 

« Petits trous à soupçon de dentelles à fleurs

Je n’aurai jamais l’araignée horrible à vous réparer.

Mon Dieu ! mon Dieu ! à ces trous à marrées

Redonnez le son tricolore et l’amour de l’honneur. »

 

Et maintenant que je suis vieux comme un jeune capitaine, maintenant que l’escalier s’ouvre devant moi, après la porte fermée, je monte. Une ampoule à chaque étage le silence et j’ai peur de qui n’est pas là. Mon sang le monte derrière moi jusqu’à ma lèvre inférieure. Vite, vite je monte vite et je retombe toute la nuit.

 

Mon ombre alors sur les toits des hangars, mélangée à celle d’un individu et d’un objet. Quel regret de ne pouvoir projeter seulement la mienne propre. Je sors le bras dans l’espace. Le vent le rejette. Je ne suis vraiment seul que dans la foule.

 

La douleur volontairement subie de l’amour et des bonbons en costume marin m’accompagnait dans cette aventure.

 

L’ampoule éclaire la scène. Le policeman est immobile. Long silence. La pendule sonne trois coups. Silence. Un coup. Silence. Entrée de Baignoire et Verdure.

 

BAIGNOIRE : Le ruban fil de fer aime le parachute inouï dans son silence à ressort.

 

VERDURE : Dormir en chair ferme serait mon rêve mais je suis emporté au roulis de petits nuages téléphoniques capitonnés d’épures ingénieuses.

 

BAIGNOIRE : Riche parfum et gage de victoire le son des gaz lacrymogènes dans les manchons des fiancées inamovibles.

 

VERDURE : Erreur. Ce silence a le cœur amolli par la fuite dans des tuyaux obscurs où des académiciens tendent leurs casquettes à caducées aux aumônes des parapluies rouges.

 

BAIGNOIRE : Ton ticket de métro.

 

VERDURE : Le mien et le tien et ta valise.

 

BAIGNOIRE : La tienne et la mienne et ta couverture.

 

VERDURE : La mienne et la tienne et nos deux billets.

 

BAIGNOIRE : À quoi bon renfermer les fauves derrière des grillages si minces. Les curieux géophages qui mettent l’horizon en bobines leur disent tous la même parole désobligeante qui les incite à rester sédentaires.

 

L’horloge à court circuit.

 

La scène est limitée par des rideaux à carreaux de couleur. Pas trace de porte ni de fenêtre. On entre et sort en soulevant les rideaux. Une table, deux chaises.

 

Personnages :

 

L’AMPOULE, très grosse, pend très bas à un fil au-dessus de la table. Elle est allumée. Elle seule éclaire la scène.

 

LA PENDULE. Posé sur la table, un réveille-matin, de préférence à sonnerie bruyante.

 

LE POLICEMAN. En son et étoffe. Appuyé à la paroi dans un coin.

 

BAIGNOIRE} Age sexe et costume VERDURE} ad libitum.

 

VERDURE : Remonte l’escalier la montre le beau poteau.

 

BAIGNOIRE : On ne peut pas être et avoir été.

 

Ils sortent. Long silence.

 

LE POLICEMAN : Pourquoi n’ont-ils pas éteint l’électricité ?

 

Long silence, puis l’horloge sonne quatre coups. Silence. Un coup. Silence. Cinq coups. Silence… Et ainsi de suite. Arrivée à douze elle recommence. Les silences qui séparent les heures des demies deviennent de plus en plus courts jusqu’à se confondre avec les silences très courts qui séparent les coups. Le policeman de son et d’étoffe tombe par terre. La pendule sonne continuellement. Le rideau tombe.

 

« Robert Desnos, vous aimez cette femme. Pourquoi ne le lui dites-vous pas ?

 

— J’ai honte.

 

— Robert Desnos ce n’est pas la honte qui vous fait taire et pourtant vous n’êtes pas sentimental.

 

— Je ne suis pas sentimental mais je suis un être capable d’affection. Il est bon de jouer à la roulette avec son podex pour centre.

 

— Robert Desnos vous aimez vos amis.

 

— Je connais cette femme. Elle est mère d’une fille de quatorze ans. Les lèvres de la fille sont voluptueuses et habiles à préparer les amants aux voluptés maternelles. Ne me parlez pas de Baignoire. Il épie derrière les murailles les inversions de son fils en mimant de sa main droite le balancier des pendules. Vous savez ces pendules qui s’emballent à la douzième heure. »

 

Sur la plage, Louis Morin attend l’heure du bain. Il a treize ans, il séjourne dans une pension de famille. Arrivent le Capitaine et Miss Flowers. Le Capitaine est jeune, beau et peu compliqué, Miss Flowers pose à l’Américaine, monte à cheval, déjeune le matin en pyjama éclatant. Tous les trois vont se baigner. À cent mètres de la côte il y a un îlot. Ils nagent vers lui, ils arrivent, abordent. Du côté opposé à la côte il y a une plage, tous les trois s’y allongent. Soudain Miss Flowers s’accroupit sur les épaules de Louis Morin allongé sur le ventre. Surpris, il martèle le sable de ses pieds. Miss Flowers est lourde et sa chair à travers le maillot sent bon. Louis Morin est jeune, ému, fatigué. Cinq minutes après le beau Capitaine allongé soupire et amincit ses yeux. Miss Flowers console Louis qui, dépouille de son caleçon, geint et pleure doucement. On fouette beaucoup les garçons de cet âge en Amérique. Miss Flowers a chaud, elle se soulage à grandes claques sonores. Louis Morin n’a même plus la force de crier, sa croupe sursaute, se crispe, monte et descend. Pour regagner la côte il s’appuie sur le Capitaine et sur Miss Flowers. Le soir à la promenade il donne le bras à l’officier. L’Américaine les surveille maternellement, leur offre des bonbons, leur raconte des histoires. Quand sa main frôle l’enfant celui-ci rougit et baisse les yeux.

 

Les jours suivants les trois personnages ne se quittent plus, se baignent deux fois par jour ; Louis Morin marche difficilement. L’Américaine arrive à Paris. Un garçon fardé se promenait gare Saint-Lazare. Tous deux rentrent dans un hôtel. Qu’est-ce qu’elle peut bien me vouloir ?

 

« Voulez-vous me laisser faire ? » Elle retire le veston, le gilet, la chemise, le pantalon, le caleçon. Il est nu. Il a des souliers noirs, des bas gris attachés par des jarretelles à une ceinture noire qui maintient le ventre et fait saillir la croupe. « Qu’il est beau. —  Vous trouvez ? — Venez ici. » Et il n’en sera pas encore revenu le lendemain matin.

 

Le Capitaine, lui, monte un escalier. « Qu’est-ce que Monsieur désire ? Petit garçon ? Petite fille ? — Je veux un fauteuil et le Daily Mail. » Arrive Louis Morin. « Bonjour, petit bonhomme, ca va ? Que voulez-vous ? — Un lit à une place. » Arrive Miss Flowers. « Que voulez-vous ? -Mon cheval et ma cravache et trois filles avec leurs bas noirs, leurs souliers noirs et des jarretières rouges… et chacune deux verges.

 

Je m’arrête Pelican’s bar, un collier de perles dans chaque main et mes diamants à mes chevilles. Le nègre qui jouait de l’alto s’arrête. Il était mort. On le remplace en hâte. Le chef d’orchestre s’assoit, il était mort ; un garçon prend sa place. Le pianiste pousse un cri, il était mort-né. On ferme le piano. Je me retourne. L’inverti fuyait avec mes diamants et mes deux colliers de perles. Alors, je suis venue vous chercher. — C’est bien », dit le Capitaine, et d’un geste il brisa trois vitres à la fenêtre et l’ampoule. Puis tous les trois sortirent dans la rue.

 

Je passais à ce moment. Benjamin Péret était rentré dans son compartiment et Paris était vide. Boulevard Montparnasse, le Capitaine s’arrêta, posa son doigt sur ses lèvres : chut ! et s’enfonça dans l’obscurité d’une porte cochère.

 

Place de la Concorde Louis Morin s’arrêta, jeta son chapeau par terre. « Quelle imprudence, s’écria-t-il, quelle imprudence, il n’en reviendra pas ! » Il pleurait et nous serrait les bras « Que veut-il dire ? » demanda Miss Flowers.

Je ne savais.

 

« Vous ne pouvez pas comprendre, répondit le garçon, mais attendez-moi là. Dans une heure, si je ne suis pas de retour, vous n’aurez qu’à nous venger. »

Et il disparut vers le boulevard Saint-Germain.

Miss Flowers et moi nous restâmes seuls dans la nuit noire de la place de la Concorde non éclairée. Depuis que la ville était désertée le gaz avait brûlé onze jours durant, l’électricité avait lui huit jours mais depuis la veille tout était éteint, même les petites lanternes rouges qui signalent les chantiers et les rues barrées.

 

Peu de temps après le départ de Morin, trois horloges sonnèrent l’une deux coups, l’autre sept coups, la troisième onze coups. Miss Flowers me baisa sur la bouche.

« Est-il vrai, dis-je alors, est-il vrai que les flots acides aient la propriété de ronger les piles des ponts et que les grands points d’interrogation rouges et bleus qui jalonnent les voies ferrées des rapides se soient éteints à jamais ! »

 

J’ai connu plusieurs villes et des noms de femmes. Mais cette langue et ces lèvres ont une odeur, une saveur connues des seuls admirateurs des déesses du Sénégal et de ma ville natale.

Miss Flowers posa sa main sur mon bras. À ce moment, dans le lointain : un coup de feu, puis un deuxième, puis un troisième. Quelqu’un soupira profondément tout près de nous mais la nuit était si noire que nous ne pûmes rien distinguer. Derrière Notre-Dame et le Palais-Bourbon des fusées de couleurs violentes s’élevaient lentement et ne retombaient jamais. Les trois horloges résonnèrent. Malgré l’éloignement nous entendîmes distinctement le déclic des mécanismes et le déclenchement des roues dentées. Puis trois coups de feu séparés claquèrent encore au loin.

 

« Allons-nous-en, dit Miss Flowers. Ils sont morts, sûrement morts. »

 

Nous nous engageâmes dans l’avenue des Champs-Élysées. Un air de fête foraine nous parvenait à travers les arbres mais nous ne pûmes en découvrir l’origine.

 

Parfois sur la ville déserte c’était le cri prolongé plein et l’on eût dit très proche des locomotives. Quelles locomotives ? La place de l’Étoile était déserte et noire.

Miss Flowers s’arrêta.

 

« L’amour multiplié, me dit-elle, a le secret des bouches à l’envers. Des coquilles jonchent le chemin des amoureux alcaloïdes. Le guerrier numide qui me posséda a su imposer sa retenue honorable au congrès des murmures. N’écoutez point parler vos muscles ni le chant des vapeurs verticaux dans vos oreilles à mécanique. »

 

Le projecteur écrasait des personnages historiques sur le macadam humide où s’enfonçaient les réverbères que j’allumais un à un avec des allumettes-bougies. Quand toute la place fut lumineuse ma compagne m’entraîna dans un coin et me dit :

 

« Les diamants volés par l’inverti et les deux colliers de perles permettent d’accéder au plus puissant trône du globe. Je sais que le monarque est à l’agonie. Il faut retrouver les colliers et les diamants, Robert Desnos, il le faut.

 

— Oui, répondis-je, et venger nos compagnons. »

 

Le jour se levait, Paris était toujours enveloppé dans son silence et les pavés blanchis par les pluies récentes se succédaient toujours à l’infini. Deux rails inutiles coulaient vers l’inconnu avec la lumière du ciel. Les deux autres étaient à sec. « À ce soir, me dit Flowers. Allez dormir. Cette nuit nous nous retrouverons dans la salle désertée du Pelican’s bar. Je regagnai la maison miraculeuse au bord de la voie ferrée. Elle était toujours déserte. Les photos clouées jaunissaient sur les marches bleu blanc rouge.

 

Je m’assis d’abord dans un fauteuil puis je me couchai.

Benjamin Péret transparaissait dans la glace.

 

L’inverti voleur de bijoux a caché ceux-ci sous les arches de deux ponts métalliques. Retrouvez-les cette nuit si vous voulez voir régner la belle Américaine que vous aimez. Des puissances mauvaises vous surveillent et veulent votre perte. Il est inutile que vous interrogiez les cartes, dormez. La lutte sera chaude la nuit prochaine. Préparez votre automobile au réveil et chargez d’avance vos revolvers.

 

À cinq heures du soir je m’éveillai. Je remplis le réservoir de l’auto de course, je plaçai six revolvers à portée de la main, j’allumai le phare de droite et je partis vers la salle du Pelican’s bar. Les musiciens pourrissaient sur l’estrade ; Miss Flowers n’arrivait pas. Je composai de nombreux cocktails que je disposai régulièrement sur les tables. J’observai que des bouches invisibles les vidaient. Je savais ce que je voulais. D’un bond je fus dehors. Je verrouillai la porte sur mes talons et à toute la vitesse de mon auto je partis à la poursuite des ravisseurs. J’entendais les cris de Miss Flowers qui m’appelait à son secours. Je ne répondais pas pour ne pas signaler ma présence. Je remarquai qu’au tournant des rues l’auto des bandits cornait avec une trompe de pompiers. Et à travers Paris c’était une poursuite inconnue du poursuivi sous l’œil des horloges pneumatiques affolées.

 

Je rejoignis l’auto. J’apercevais Flowers nue des pieds à la ceinture. Elle portait un corsage noir rayé de rouge, un collier d’or, un chapeau de feutre. Au volant j’aperçus le Capitaine et à côté de lui Louis Morin.

 

Comme ils persistaient à ne pas me voir, je tirai deux coups de revolver, l’auto s’arrêta. Le Capitaine et Louis Morin étaient morts. Miss Flowers s’assit à côté de moi et notre auto reprit sa course vers la Seine. J’observais le triangle noir que dessinaient les cuisses nues et serrées de ma compagne.

 

« Le salut angélique, dis-je, a respiré le parfum végétal des couronnes mortuaires des autos neuves les jours de boue. Avez-vous remarqué que la sentinelle sanglotait au coin de la barrière d’acier ? Voulez-vous alors me tendre le bijou le beau bijou électrique… » mais je m’arrêtai. La jeune femme penchée vers moi baisait mes lèvres. Quand je relevai la tête le pont de Passy était là. Miss Flowers descendit. Cinq minutes après elle reparut avec les colliers et les diamants. Elle s’en fit une ceinture et nous repartîmes. Le jour peu de temps après se leva comme un rideau. Aux fenêtres de Paris fleurissaient des drapeaux verts brodés d’un triangle rouge et du mot Whisky.

 

L’air était calme. Tout était silencieux. Nous sortîmes par la porte Maillot.

 

À travers les routes et les sentiers nous gagnâmes Bordeaux. Un bateau en partance nous attendait. À peine embarqué il partit et plusieurs heures après nous débarquâmes à Casablanca, salués par une grue géante qui posait les pierres de la jetée.

Au bout de la jetée s’étendait une campagne aride plantée de palmiers nains. Un chameau à notre approche se leva et s’enfuit. Nous fîmes cent mètres et nous trouvâmes devant un lampadaire électrique et un trottoir de pierre de dix mètres de long environ. Il n’y avait pas d’autres vestiges d’habitation alentour.

 

« C’est ici Casablanca » me dit ma compagne. Elle s’enroula alors les perles autour des hanches et de l’aine, mit les diamants à ses chevilles et s’écria : « Le roi est mort de peur au creux des chansons italiques ; je suis la reine. »

 

La nuit tomba immédiatement et le lampadaire s’alluma.

 

J’enlaçai alors la jeune Américaine et nous nous aimâmes frénétiquement tandis que dans la rade le vapeur mugissait.

 

Au bout de deux heures d’étreintes nous nous relevâmes et laissant le lampadaire éclairer le désert autour de lui nous réembarquâmes.

 

Au large d’Espagne le capitaine du navire s’approcha de moi.

 

« Vous ne me reconnaissez pas ? Je vous ai rapporté jadis un chapeau emporté par le vent aux Nouvelles Hébrides et ma sœur et mes cousines ont bu des cocktails avec vous à la Taverne de l’Olympia.

 

D’un geste il arracha sa barbe. « Le Capitaine, m’écriai-je, mais je l’ai tué avec Louis Morin, il y a plusieurs jours à Paris, en délivrant ma maîtresse. »

 

Le Capitaine riait. Puis il me prit par la main et m’emmena à l’avant du bateau. Déshabillé et tatoué de dessins bleus Louis Morin était empalé. Le vent le faisait tourner dans tous les sens et par instants il soupirait profondément. « Vous voyez, me dit le Capitaine, il n’est pas mort. » Il appela trois marins qui retirèrent l’enfant du pal. Du sang avait coulé le long de ses cuisses et de ses mollets. Ils l’essuyèrent avec une éponge et tous les trois nous nous rendîmes dans la cabine de Miss Flowers.

 

À la vue du Capitaine et de son compagnon elle alluma une cigarette et nous en offrit une à chacun. Nous terminâmes la soirée à boire du porto et du cherry brandy et à manger de la pieuvre à la sauce mayonnaise, ce qui ressemble fort à du homard.

 

La nuit tomba avec un bruit de verre cassé. Nous nous séparâmes et je ne tardai pas à m’endormir. Je fus bientôt réveillé par un bruit léger au hublot. Un bras passait par l’ouverture. Au bouton de manchette je reconnus le bras de Benjamin Péret que j’avais laissé dans la gare. Il se dirigea vers moi me saisit au cou et m’aurait étranglé si je n’avais prononcé le mot fatidique – Araucaria. L’étreinte se desserra aussitôt, le bras ouvrit la porte et disparut dans le couloir. Je me rendormis. Le lendemain matin Miss Flowers avait mis une culotte de cheval et des bottes.

 

« Le bras vous a-t-il battu aussi, me dit-elle ?

— Non mais il a voulu m’étrangler. » Le Capitaine et Louis Morin partirent d’un franc éclat de rire.

Peu de temps après nous atterrîmes.

 

Paris murmurait des chansons à la mécanique au clair sanglot des ponts métalliques. Des pieds sillonnaient toutes rues. Nous nous dirigeâmes vers le lieu du crime. Le bras de Benjamin Péret étreignait encore le cou des cadavres. Il s’éloigna en poussant de grands cris. Quant aux cadavres eux-mêmes ils se relevèrent et disparurent au tournant de la rue.

 

Pelican’s bar, des canards sauvages jouaient à la marelle aux nations. Sur la porte ces mots étaient écrits : (équation) Sans nous arrêter à cela nous ouvrîmes la porte et nous installâmes à boire du porto jusqu’à la fin de la journée. Le lendemain matin comme nous descendions l’avenue des Champs-Élysées, nous vîmes au Rond-point un manège de chevaux de bois. Nous approchâmes. Bien qu’il n’y eut personne, il tournait régulièrement mathématiquement.

 

Des oreilles et des bouches se promenaient dans l’atmosphère. Quelques lèvres s’entrouvraient pour nous tirer la langue et c’était tout. Le lendemain des yeux se collèrent sans raison devant toutes les serrures, à toutes les vitres, et nous dûmes les crever à coups d’épingle pour rentrer dans notre logis. Miss Flowers de nouveau avait abandonné ses vêtements inférieurs. Nue des pieds à la ceinture, elle promenait par les rues désertes un corsage de soie bleu rayé d’argent, très serré à la ceinture. Des gants-dominos s’enfonçaient sous ses manches. Ses perles sanglaient son cou. Un grand chapeau à plume blanche sur le tout. La violoniste, ne bougez pas un petit oiseau va sortir. Le cœur de ses fesses et le triangle de ses cuisses. Et parfois ses baisers dans l’oreille. Le cinquième jour la tour Eiffel s’enfonça dans le sol, sans bruit. À la place il jaillit une fontaine à poissons de mer d’où s’échappèrent des crabes par les avenues et les boulevards. Le sixième ma maîtresse me montra à l’intérieur des immeubles les ascenseurs qui montaient et descendaient inlassablement. Le septième les avertisseurs d’incendie éclairèrent mieux que le soleil les carrefours où se trouvaient des boutiques de pharmaciens. De celles-ci s’échappaient des cris de locomotives et des hurlements de klaxons.

 

J’étais fatigué d’habiter la maison à signal. D’ailleurs les robinets sans arrêt déversaient des partitions et des églises dans les escaliers. Je m’aventurai un jour dans une maison close. Un phallus immense l’habitait seul. Il était traversé d’une épingle. Des brosses à dents tenaient lieu de tapis et le phallus me disait :

 

« si tu rougis du vieillard accordéon, que diront les sonnettes ?

 

« Si les sonnettes jaunissent la teinture bleu de tournesol, que diront les phonographes ?

 

« Si dans les entonnoirs le bleu devient oiseau, que te dira alors ta mère, que te dira ton père ?

 

« Ah ne tente pas autre chose que d’user le trottoir et la route aux frottis de tes mains. Les glaces sans tain simulent d’impossibles naufrages et des mâts de cocagne ne doivent pas en un stérile effort vertical transformer l’élan inutile des flèches et des obus. Des boussoles en guise de nombril conspueront les gardiens de squares. Les réverbères se noueront par leur milieu et ceci est la prophétie du sexe masculin sans vérole, sans désir sans refus sans dégoût. »

 

Je le quittai sans répondre. Des seringues vidaient les ampoules électriques de sorte que le congrès des Soleils menaça, si cela continuait, de déverser des bestiaux et des bidons de pétrole sur les trottoirs. Les seringues n’en tinrent aucun compte et les ruisseaux empoisonnèrent les poissons en signe de deuil.

 

Un homme nommé Dyethylmalonylurée et une femme appelée Hexaméthylènetétramine voulurent préserver la tour Eiffel qui était reparue de la paralysie générale que présageait le signe de Rombey dont elle est atteinte. Leurs efforts aboutirent à contracter des maladies honteuses et ils furent chassés honteusement de la cité.

 

Un beau soir les papillons reparurent. Ils volèrent la nuit durant autour de nos cigarettes ; au jour ils repartirent en laissant des cendres à nos pieds et ce fut tout.

 

Miss Flowers n’était jamais lasse et trouvait chaque matin un nouveau regain d’amour et une caresse pour moi. Je n’étais jamais las et voilà comment nous nous aimâmes dans la ville orthopédique.

 

Le Capitaine s’était reclus je ne sais où avec Louis Morin. Le son de leurs voix nous parvenait parfois par le téléphone. Mais nous n’osions prendre le récepteur car voici ce que nous y entendions chaque fois :

 

« Allô. Allô.

 

« La blancheur des médicaments l’amour à cinq heures du soir. Café de la botte à Zébu l’Afrique et l’enseigne des vapeurs opéra qui triste à l’Éléonore en fleurs ont inculqué le cran d’arrêt des couteaux en émail blanc et vert. L’étoile M. Poincaré prononce un discours décisif à Nancy. De petits Russes ont été dévorés par les secours américains. Le dollar à 2,50 fr. le mètre la bourse des injections à cadran horaire au radium et l’incurie des fonctions publiques chez les anémies de la némésis en argent contrôlé sur le Rhin. Tite. Stop. Allô. Allô. L’avocat qui piétine un parfum a navré le cœur du couple du papa. Lait – Cacao – Dubonnet. »

 

Certaines nuits des êtres humains filiformes sortirent de cet appareil et cassèrent les cordons de tirage des doubles rideaux.

Voilà pourquoi nous ne téléphonions plus.

 

Au roulement des quatre bouées de sauvetage nous drainâmes les colombes éparses dans Paris. Nos souvenirs transformaient le macadam en filaments alphabétiques qui écrivirent nos noms dans des couloirs de coton hydrophile. Debout sur le socle de creux oxygène le Capitaine parla :

 

« Je connais le secret du tube acoustique où des caravanes embranchent la discorde ménagère. Un porte-plume, en plein midi, un poivrier à l’extrémité d’un promontoire, un revolver au succès amoureux, ont plus de retentissement dans ma mémoire que la langue de Miss Flowers dans la lumière de mes nocturnes petits candélabres.

 

« La forêt où j’ai pendu mes vices est graissée d’une huile odoriférante. Un concert de poires d’angoisse souffle l’épouvante entre deux yeux minéraux et rugissants.

 

« Un clan de mérovingiens surgi du plus profond des régions sympathiques indique à tout venant la formule de l’acide et du silence des cygnes. »

 

Louis Morin parut alors. D’un coup de poignard il traversa les poumons dynamos du Capitaine. Celui-ci, sans rien ajouter, tendit sa canne et son gant à l’adolescent. Deux infirmières le conduisirent au lac prochain, d’où nous l’entendîmes commander à l’armée des ressacs éperdus.

 

« Close est ma chambre dans le palus, dit Louis Morin. Un parterre de trombones numérote la chance des jockeys impossibles à décrire. Les étoiles Léonides élèvent le tympan des coccinelles barbares » et il chanta une chanson :

 

« Au clair de lune sur la berge

Rôde l’homme aux trois cierges

La pucelle qui l’irrite

À détruit le pont des Arts

Donnez-moi un bouquet d’orchite

Et la note exacte des pétards.

 

« Pour redresser mes ruts plus rien ne pourra suffire. Des paquebots éventrés inondent de rhum enflammé les réservoirs semés de gazon et sur le tombeau du vieillard respectable j’ai couché une fille de dix-huit ans. Agenouillée pour sa prière elle a su me guider car elle était nue. Et depuis saignante et douloureuse elle attend les cuisses inondées de sang que le rut des passants veuille bien enfin défoncer le tympan matrimonial. »

 

Terrible, Miss Flowers courba sous sa main l’inverti cynique. Ses vêtements furent bientôt des loques dans le ruisseau. Un sexe flexible et masculin surgit au corps de la jeune Américaine. Elle réédita le supplice de la vierge sodomisée. Puis quand le garçon fut à jamais courbé dans l’humiliante posture elle trancha de ses ongles ce sexe supplémentaire au ras des testicules, l’abandonnant dans le corps secoué de spasmes. De nouveau femme, elle se redressa dans la splendeur de deux boucliers à l’acétylène tandis que la victime vomissait des lacs de lumière et d’alcool frelaté.

 

Dix-sept ans après je suis passé par là. Louis Morin dans la même posture gémissait sans vieillir. Miss Flowers et moi nous repartîmes. Dans un hôpital, dix-huit filles à plat ventre étaient reliées à des pompes à bicyclettes. Les baudruches éclatèrent quand elles atteignirent les tropiques. Dévorée par un cancer, la mère dix-huit fois douloureuse se prostituait aux chenils astrologiques et un petit peu de sauce mayonnaise fut l’emblème de cette partie de notre aventure. Baignoire et Verdure transformés en rampe d’escalier nous entraînaient au sommet du gratte-ciel. À chaque étage des femmes nues se jetaient dans le vide. Un bilboquet phallique éclairait la cité inhabitable d’où les vieillards s’enfuyaient. Arrivés au trente-septième étage nous vîmes que nous étions seuls. L’escalier disparut. En bas le phallus nous attendait en passant sa langue saliveuse sur les lèvres. D’un cri, nous nous jetâmes dans l’espace. Des voiliers nous recueillirent au nord de l’Irlande, des coraux tombaient sans cesse du ciel et les flots nous avaient couverts d’inscriptions. Voici ce qui était écrit sur le corps de Miss Flowers :

 

« Trois femmes empalées vives à l’image des fleurs artificielles. La Seine a vomi sur ses rives les reliques de ses pucelles.

 

Ni queue ni tête à vos amants par vos lèvres tranchées sans merci c’est le pal qui sincèrement révéla votre persil. »

 

Ne calculez pas le catalogue à l’envers. Les criminels ont le cœur à trois portes de music-hall. Narquois et querelleur voilà le plus beau des fœtus écureuil et le nom du Dieu de mes pères : carrosse. Un seul mot était écrit sur mon ventre : « Cornouaille. » J’en conçus aussitôt un grand orgueil, je meurtris le bastingage de mes bonds désordonnés et la place de la Concorde fut soudain peuplée de petits chiens bassets qui invoquaient la lune absente.

 

Flétri dans son silence mon espoir naquit alors dans le jupon de la femme à soufflet, mais Miss Flowers camouflée en homme poursuivait les poisons de César Borgia dans l’aquarium d’un réverbère. « Je ne saurais calculer cet horaire », disaient les membres qui se tortillaient sur le trottoir. Je reconnus la tête de Baignoire et de Verdure. Ils étaient coupés en morceaux et chaque partie de leur corps parlait en chœur par catégories :

 

Bouches.

 

Nous mordons les sommets neigeux aux flancs des génisses coloris de muscadin bâtard.

 

Pieds.

 

À fleur de tête à fleur de peau voici l’idéal des crevettes numériques. Abandonnez vos dents Abandonnez vos intestins

 

Abandonnez vos prunelles sans musique

 

Et le Niagara éclatera en colonels d’Afrique dévorés par les Burgraves.

 

Intestins.

 

La bobinette et la navrance des steamers et des boîtes à musique n’ont pas ressuscité le Christ. Nous avons assez longtemps rampé pour trouver le boa constrictor mais celui-ci n’est qu’un splendide éclat de rire dans l’enfer des oreilles inoculé.

 

Épouvanté je m’enfuis par la rue Royale. Les membres en se tortillant me précédèrent et dans cet équipage je me retrouvai soudain devant la porte de la maison. M’y enfermer fut un jeu.

 

Un cinématographe à la vapeur me révéla d’invraisemblables luxures auxquelles Benjamin Péret prêtait sa voix et sa critique puritaine.

 

Enfermé dans ma chambre je l’entendais lutter contre des multitudes de lézards dont les yeux perçaient les murailles de rayons X. À la fin, n’y tenant plus, j’ouvris la porte. Le cadavre de notre pauvre ami rampait dans l’ombre. Bientôt il eut disparu.

 

Sans maîtresse, sans ami, sans lutte je m’endormis. Au réveil, des liens très fins et très solides avaient fixé des soleils éteints au plafond de ma chambre. Quand je me levai ils se mirent à vrombir et à tourner vertigineusement. Pendant ce temps ma chambre changeait de formes. Les murailles élastiques se déformèrent. D’abord ovoïde puis circulaire, elle fut bientôt un grand triangle où des reines égyptiennes martyrisaient mes collections d’animaux rares. Insoucieux de ce spectacle je me contemplais dans la glace où parmi les algues et les phoques des spectres en habit noir s’empressaient autour d’une roulette qui vrombissait en tournant vertigineusement. La rue droite roulait sur d’invisibles roulettes. Des têtes d’enfants roulaient dans les égouts avec un bruit sourd. Au coin de deux boulevards une jolie mamelle m’arrêta. Une fleur poussait à la place du téton rose auquel j’aurais voulu sucer des Minerves en calomel. Bientôt la fleur fut entière et ses cinq pétales reproduisaient cinq couleurs changeantes. Peu à peu ces pétales se mirent à tourner et à vrombir vertigineusement.

 

Enfin le tout fit explosion. Je fus à demi enseveli sous les décombres de trois reines égyptiennes attardées dans ma pyramide.

 

Quand je me relevai, j’avais cessé de vivre. Un monde aquatique et muet frappait aux parois de mes tempes et des brochets voraces regardaient par les fenêtres de mes prunelles venir Miss Flowers enfin retrouvée.

 

« Ami, me dit-elle, un poulpe étrange étreint l’éponge où le sang de mes doigts va chercher sa substance. Je suis morte et tu dois l’être puisque tous les deux nous nous voyons et nous entendons. » Un baiser unit nos bouches et dans l’étreinte nos langues changèrent de place et depuis nous sommes condamnés à n’exprimer chacun que les pensées de l’autre.

 

Peu de temps après je fus admis dans la salle du trône.

 

Miss Flowers se leva et au moment où j’allais m’agenouiller pour baiser ses cuisses nues elle dit : « Un pucelage a refleuri sur moi. Il est d’acier chromé et de ceux qu’ambitionnent les Saintes catholiques. Tous les boucs du monde ne le pourraient pourfendre. Si je fus pour ta luxure celle dont tu ne pouvais heurter le fond avec ton membre je suis désormais la reine aux amours postérieures et matérielles. »

 

Elle passa et disparut sans que je puisse dire un mot.

 

J’observai alors que du siège du trône émergeait une verge d’ivoire et de corail. Grosse à souhait elle s’adaptait exactement à l’anatomie de ma maîtresse qui régnait ainsi dans une volupté perpétuelle. Bien des Reines avaient, immobilisées par ce viril fauteuil, contemplé leur sexe indéfloré. Bien des Rois avaient dans la splendeur de leur jeunesse étalé là leur orgueil solitaire. Plus tard ils avaient laissé pousser leur barbe pour dérober aux foules leurs parties génitales inutiles flétries par l’inaction.

 

Mais de ce membre de matière inerte je ne voulus connaître que les relations avec celle dont jamais plus je ne devais connaître la possession.

 

Mes lèvres se baissèrent vers le gland de corail. À peine mon baiser l’eut-il effleuré que des clarinettes invisibles se mirent à siffler une note semblable et sans arrêt. Un peu de fumée jaillit et à la place du phallus je reconnus Vitrac. Il portait sa tête sous son bras. D’un geste il la plaça entre ses jambes. J’observai alors qu’il n’avait ni culotte ni caleçon. Sur le pan de devant de sa chemise on lisait :

 

HONNEUR PATRIE

 

Sur celui de derrière :

 

MARENGO PAUL DÉROULÈDE SAUMON

 

Quant à la tête, elle tournait dans toutes les directions en léchant son propriétaire. Au moment suprême Vitrac ouvrit la bouche. Une nuée de phallus s’en échappèrent qui se mirent sur un rang de chaque côté de la rue.

 

Une voix annonça : « M. André Breton ». Immédiatement les phallus devinrent des réverbères à réflecteurs de sorte que je vis entrer à la fois vingt-cinq exemplaires de M. André Breton. Il me tendit les mains et me dit vingt-cinq fois :

 

« Le Mikado dans son magasin a flétri l’hirondelle en fleur L’impératrice a tranché ses seins d’un coup de dent de peigne et pleure. »

 

Il passa. Les phallus reprirent leur forme. Une voix annonça : « Mme Breton ». La rue ne fut plus alors bordée que de petites colonnes à claire-voie. Sur chacune Philippe Soupault se tenait à cloche-pied. À sa main droite il avait un rosier. Il chantait :

 

« Le cul la mer et l’artichaut

Ont ébranlé trois promontoires

Un vieux professeur d’histoire

D’expliquer ce mystère à chaud

Un collégien part en voyage

Sans oublier son parapluie

Un mari de femme volage

En percera son creux nombril. »

 

Mme Breton parut à cet instant. J’observai sa marche silencieuse. Tous les dix mètres elle se mirait dans le ruisseau. Quand elle s’en allait l’image restait en place. Le concierge d’un immeuble voisin en conçut un grand dépit. Il appela son fils et tous les deux coururent derrière Mme Breton. Affolé j’allais, oubliant que j’étais mort, me précipiter à son secours, mais toutes les images du ruisseau entourèrent les misérables. Quand j’arrivai, je constatai qu’ils étaient coupés en petits morceaux. Mme Breton me regardait. Elle me tendit la main et dit :

 

« La fleur du ruisseau simule un dirigeable. Je déplore votre mort. Une aventure épouvantable modifiera ce triste sort vous n’avez qu’à considérer l’hypoténuse et les planètes ce sont les phares en liberté qui vous rendront belle silhouette. »

 

Elle disparut.

 

Les phallus reparurent. Sur chacun d’eux le concierge et son fils alternativement étaient empalés. Au milieu de la rue, assis sur une chaise, Philippe Soupault jouait de la guitare. Les automobilistes en passant lui jetaient des fleurs et des confettis. Il en eut bientôt un grand tas près de lui. D’un geste il le balaya et le ciel fut couvert de jolis aéroplanes. Soupault les tenait par des fils de soie réunis dans sa main et c’est dans cet équipage qu’il quitta le cimetière où mon ombre achevait de se dissoudre dans une tasse à café en faisant des ronds blancs.

 

Max Morise porta la tasse à sa bouche. À peine l’eut-il touchée qu’il lui poussa des poils verts par tout le corps. Ils débordaient des manches de son veston, des jambes de sa culotte et cela m’amusa si fort que, tandis qu’il s’en allait en traînant sa toison, je déracinai de rire un calvaire inoccupé. Le Pape y voulut voir l’œuvre du diable. Il vint lui-même en automobile l’asperger avec un petit entonnoir en cristal rempli de quinquina. Grâce à cela je ressuscitai et je dispersai les morts dans les étoiles avoisinantes et le Pape dans le lit de la Seine dont il n’eût dû jamais sortir.

 

J’étais très gêné de me trouver nu au milieu du cimetière. Les morts dispersés dans les étoiles m’insultaient grossièrement. Je pensais réintégrer mon tombeau, quand une main se posa sur mon épaule. Je me retournai, c’était Louis Aragon. Il était vêtu d’une large culotte de cow-boy et d’une chemise de soie noire échancrée. Le large sombrero accroché à la ceinture pendait sur sa hanche droite, sur la tête il avait une couronne de diamants et au bras droit son brassard de première communion. D’un geste il me tendit celui-ci que je transformai en cache-sexe. Nous nous en allâmes.

 

Des filles nous épiaient dans les rues. Elles avaient toutes l’œil droit crevé et elles chantaient en chœur :

 

« Le polyglotte aux jambes torses nous apprendra l’alphabet morse pour aller au pôle aux morses apprendre le secret de l’amour et sa force. »

 

Passant devant une glace, je constatai que le brassard s’agitait sous mon ventre. J’y portai la main. J’attrapai un long serpent bicolore qui me siffla dans l’oreille :

 

« L’hiver tremble au bout du bambou et l’enfer a vomi des cylindres. La fiancée tient le bon bout du petit cuirassier qui ne saura que geindre. »

 

Mais je n’écoutai point cela. Du serpent je fis un lasso que je lançai vigoureusement dans la direction du troupeau de mustangs qui galopait à travers la savane. Le choc m’enleva et m’assit sur une cavale pétulante que je reconnus immédiatement. Aragon avait fait de même et nous galopions de concert vers un horizon de montagnes pigmenté de poissons rouges. Ceux-ci dévoraient les pommes aux arbres et nous faillîmes nous noyer en voulant les tuer à coups de revolver.

 

Mais quand je fus sûr que l’astrologue en bicarbonate était loin, je mis pied à terre. Malgré ses hennissements, je couchai la cavale à terre. Ce fut une terrible étreinte que celle qui nous mêla au milieu des ruades. Aragon chantait :

 

« Un petit télégraphiste a cassé la fleur d’omelette une dactylographe a camouflé mon regard. Qu’on me rende mes allumettes et je construis l’univers au pochoir.

 

Nous collions sur le ciel margarine l’image de nos luxures ça fait trois francs dans un magazine habitué à chanter l’orgueil des chairs en bures. »

 

Quand je me relevai la cavale s’était transformée. J’avais devant moi Miss Flowers.

 

Elle cria :

 

« L’inondation ravage un quartier méningite. Un fleuve a pirouetté sur l’axe de deux regards et la faveur des silences osseux permettra au peau-rouge de vous inculquer ses opinions philosophiques. »

 

Au galop du cheval d’Aragon, elle disparut vers la plaine. Nos appels ne la firent pas même retourner. Aragon me fit alors observer combien ma tenue était négligée, il me reprocha vivement l’abandon du brassard brodé. Mais tout cela n’était que des galères au creux de ma main. Nous nous assîmes en silence et lorsque le soleil sonna douze coups nous ne jetâmes aucune pièce de monnaie dans l’assiette que nous tendait Louis Morin.

 

Vers quatre heures de l’après-midi nous nous relevâmes. À peine avions-nous fait cent mètres que nous vîmes un spectacle étrange. Deux phallus que nous savions être ceux de Louis Morin et du Capitaine, accolés par les testicules, dansaient et parlaient. Le bras de Benjamin Péret battait la mesure au-dessus. Le tout était une belle panoplie.

 

Ce que disaient les deux phallus accolés :

 

« N’écoutez pas l’avocat carafe si je vous dis le bon chemin du bordel à champagne télégraphe et la faillite du vent du nord qui prend le train.

 

Je ne connais pas le trou du marquis Vieux Corse il est temps de mourir et la tête de Barrès à qui l’on arrache un sanglot d’entre les roues du rire.

 

Nicolas II sur la terrasse du pain et du mouron pour les vieilles peintures trois amoureux au coin d’un bois et la bécasse qui transforme les vierges en confitures. »

 

Comme ils s’étaient arrêtés le bras de Benjamin Péret tourna une petite manivelle qui saillait entre les testicules. Aussitôt l’ensemble repartit de plus belle :

 

« Frileuse la sonnette assouplit les muscles Victor le fox-trot et le petit vieillard à piston.

 

Dieu garde la fumée du vierge araucaria, les langues des locomotives au bout de tes tétons.

 

Messieurs de Goncourt vont à la Bible en cinéma rendre justice au petit cambrioleur qui tournait les manettes ça remplirait 244 litres. »

 

Nous aurions écouté longtemps ce langage charmant si Verdure n’était survenu. Je me levai. « Qu’allez-vous faire ? dit Aragon.

 

— L’amour, répondis-je.

 

— Mais c’est un homme.

 

— Homme ou femme, peu m’importe. Le bijou que je cherche est inclus dans son ventre palpitant. Je l’irai chercher. De mes mains j’étranglerai le soleil et les golfes à fleur d’oranger ne sauront qu’arrondir des échines luxurieuses pour la satisfaction de mon amour.

 

— Quelle erreur, me dit Aragon, vous n’avez jamais aimé les oignons crus et le son des mirages. » À ce moment le bras de Benjamin Péret saisit les sexes récitateurs et les emporta loin. Nous ne devions plus les revoir ni l’un ni les autres. À toute la vitesse de ses patins à roulettes Aragon s’en alla. Il bouscula au passage une horde de peaux-rouges en fleur de mai. Quand il ne fut plus qu’un point, je tournai le dos et marchai. Je devais marcher une grande partie de la nuit.

Les Pénalités de l'enfer ou les Nouvelles-Hébrides
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