Et je ne pense pas que jamais aucun théologien orthodoxe ait eu d'autres sentiments touchant cela; et ceux aussi qui liront mes Méditations n'auront pas sujet de croire que je n'aie point connu cette lumière surnaturelle, puisque, dans la quatrième, où j'ai soigneusement recherché la cause de l'erreur ou fausseté, j'ai dit, en paroles expresses, «qu'elle dispose l'intérieur de notre pensée à vouloir, et que néanmoins elle ne diminue point la liberté.»

Au reste, je vous prie ici de vous souvenir que, touchant les choses que la volonté peut embrasser, j'ai toujours mis une très grande distinction entre l'usage de la vie et la contemplation de la vérité. Car, pour ce qui regarde l'usage de la vie, tant s'en faut que je pense qu'il ne faille suivre que les choses que nous connoissons très clairement, qu'au contraire je tiens qu'il ne faut pas même toujours attendre les plus vraisemblables, mais qu'il faut quelquefois, entre plusieurs choses tout-à-fait inconnues et incertaines, en choisir une et s'y déterminer, et après cela s'y arrêter aussi fermement, tant que nous ne voyons point de raisons au contraire, que si nous l'avions choisie pour des raisons certaines et très évidentes, ainsi que j'ai déjà expliqué dans le discours de la Méthode. Mais où il ne s'agit que de la contemplation de la vérité, qui a jamais nié qu'il faille suspendre son jugement à l'égard des choses obscures, et qui ne sont pas assez distinctement connues? Or, que cette seule contemplation de la vérité soit le seul but de mes Méditations, outre que cela se reconnoît assez clairement par elles-mêmes, je l'ai de plus déclaré en paroles expresses sur la fin de la première, en disant «que je ne pouvois pour lors user de trop de défiance, d'autant que je ne m'appliquois pas aux choses qui regardent l'usage de la vie, mais seulement à la recherche de la vérité.»

En sixième lieu, où vous reprenez54 la conclusion d'un syllogisme que j'avois mis en forme, il semble que vous péchiez vous-mêmes en la forme; car, pour conclure ce que vous voulez, la majeure devoit être telle, «ce que clairement et distinctement nous concevons appartenir à la nature de quelque chose, cela peut être dit ou affirmé avec «vérité appartenir à la nature de cette chose.» Et ainsi elle ne contiendroit rien qu'une inutile et superflue répétition. Mais la majeure de mon argument a été telle: «Ce que clairement et distinctement «nous concevons appartenir à la nature de quelque «chose, cela peut être dit ou affirmé avec vérité de «cette chose.» C'est-à-dire, si être animal appartient à l'essence ou à la nature de l'homme, on peut assurer que l'homme est animal; si avoir les trois angles égaux à deux droits appartient à la nature du triangle rectiligne, on peut assurer que le triangle rectiligne a ses trois angles égaux à deux droits; si exister appartient à la nature de Dieu, on peut assurer que Dieu existe, etc. Et la mineure a été telle: «Or est-il qu'il appartient à la nature de «Dieu d'exister.» D'où il est évident qu'il faut conclure comme j'ai fait, c'est à savoir, «Donc on «peut avec vérité assurer de Dieu qu'il existe;» et non pas comme vous voulez, «Donc nous pouvons «assurer avec vérité qu'il appartient à la nature de »Dieu d'exister.» Et partant, pour user de l'exception que vous apportez ensuite, il vous eût fallu nier la majeure, et dire que ce que nous concevons clairement et distinctement appartenir à la nature de quelque chose ne peut pas pour cela être dit ou affirmé de cette chose, si ce n'est que sa nature soit possible ou ne répugne point. Mais voyez, je vous prie, la faiblesse de cette exception. Car, ou bien par ce mot de possible vous entendez, comme l'on fait d'ordinaire, tout ce qui ne répugne point à la pensée humaine, auquel sens il est manifeste que la nature de Dieu, de la façon que je l'ai décrite, est possible, parce que je n'ai rien supposé en elle, sinon ce que nous concevons clairement et distinctement lui devoir appartenir, et ainsi je n'ai rien supposé qui répugne à la pensée ou ait concept humain: ou bien vous feignez quelque autre possibilité de la part de l'objet même, laquelle, si elle ne convient avec la précédente, ne peut jamais être connue par l'entendement humain, et partant elle n'a pas plus de force pour nous obliger à nier la nature de Dieu ou son existence que pour détruire toutes les autres choses qui tombent sous la connoissance des hommes; car, par la même raison que l'on nie que la nature de Dieu est possible, encore qu'il ne se rencontre aucune impossibilité de la part du concept ou de la pensée, mais qu'au contraire toutes les choses qui sont contenues dans ce concept de la nature divine soient tellement connexes entre elles qu'il nous semble y avoir de la contradiction à dire qu'il y en ait quelqu'une qui n'appartienne pas à la nature de Dieu, on pourra aussi nier qu'il soit possible que les trois angles d'un triangle soient égaux à deux droits, ou que celui qui pense actuellement existe: et à bien plus forte raison pourra-t-on nier qu'il y ait rien de vrai de toutes les choses que nous apercevons par les sens; et ainsi toute la connoissance humaine sera renversée sans aucune raison ni fondement.

Note 54: (retour) Voyez secondes objections.

Et pour ce qui est de cet argument, que vous comparez avec le mien, à savoir, «S'il n'implique point que Dieu existe, il est certain qu'il existe: mais il n'implique point; donc, etc.,» matériellement parlant il est vrai, mais formellement c'est un sophisme; car dans la majeure ce mot il implique regarde le concept de la cause par laquelle Dieu peut être, et dans la mineure il regarde le seul concept de l'existence et de la nature de Dieu, comme il paroit de ce que si on nie la majeure, il la faudra prouver ainsi: Si Dieu n'existe point encore, il implique qu'il existe, parce qu'on ne sauroit assigner de cause suffisante pour le produire: mais il n'implique point qu'il existe, comme il a été accordé dans la mineure; donc, etc. Et si on nie la mineure, il la faudra prouver ainsi: Cette chose n'implique point dans le concept formel de laquelle il n'y a rien qui enferme contradiction: mais, dans le concept formel de l'existence ou de la nature divine, il n'y a rien qui enferme contradiction; donc, etc. Et ainsi ce mot il implique est pris en deux divers sens. Car il se peut faire qu'on ne concevra rien dans la chose même qui empêche qu'elle ne puisse exister, et que cependant on concevra quelque chose de la part de sa cause qui empêche qu'elle ne soit produite. Or, encore que nous ne concevions Dieu que très imparfaitement, cela n'empêche pas qu'il ne soit certain que sa nature est possible, ou qu'elle n'implique point; ni aussi que nous ne puissions assurer avec vérité que nous l'avons assez soigneusement examinée, et assez clairement connue, à savoir autant qu'il suffit pour connoître qu'elle est possible, et aussi que l'existence nécessaire lui appartient. Car toute impossibilité, ou, s'il m'est permis de me servir ici du mot de l'école, toute implicance consiste seulement en notre concept ou pensée, qui ne peut conjoindre les idées qui se contrarient les unes les autres; et elle ne peut consister en aucune chose qui soit hors de l'entendement, parce que de cela même qu'une chose est hors de l'entendement il est manifeste qu'elle n'implique point, mais qu'elle est possible. Or l'impossibilité que nous trouvons en nos pensées ne vient que de ce qu'elles sont obscures et confuses, et il n'y en peut avoir aucune dans celles qui sont claires et distinctes; et partant, afin que nous puissions assurer que nous connoissons assez la nature de Dieu pour savoir qu'il n'y a point de répugnance qu'elle existe, il suffit que nous entendions clairement et distinctement toutes les choses que nous apercevons être en elle, quoique ces choses ne soient qu'en petit nombre au regard de telles que nous n'apercevons pas, bien qu'elles soient aussi en elle, et qu'avec cela nous remarquions que l'existence nécessaire est l'une des choses que nous apercevons ainsi être en Dieu.

En septième lieu, j'ai déjà donné la raison, dans l'abrégé de mes Méditations, pourquoi je n'ai rien dit ici touchant l'immortalité de l'âme; j'ai aussi fait voir ci-devant comme quoi j'ai suffisamment prouvé la distinction qui est entre l'esprit et toute sorte de corps.

Quant à ce que vous ajoutez55, «que de la distinction de l'âme d'avec le corps il ne s'ensuit pas qu'elle soit immortelle, parce que nonobstant cela on peut dire que Dieu l'a faite d'une telle nature que sa durée finit avec celle de la vie du corps,» je confesse que je n'ai rien à y répondre; car je n'ai pas tant de présomption que d'entreprendre de déterminer par la force du raisonnement humain une chose qui ne dépend que de la pure volonté de Dieu.

Note 55: (retour) Voyez secondes objections.

La connoissance naturelle nous apprend que l'esprit est différent du corps, et qu'il est une substance; et aussi que le corps humain, en tant qu'il diffère des autres corps, est seulement composé d'une certaine configuration de membres, et autres semblables accidents; et enfin que la mort du corps dépend seulement de quelque division ou changement de figure. Or nous n'avons aucun argument ni aucun exemple qui nous persuade que la mort, ou l'anéantissement d'une substance telle qu'est l'esprit, doive suivre d'une cause si légère comme est un changement de figure, qui n'est autre chose qu'un mode, et encore un mode non de l'esprit, mais du corps, qui est réellement distinct de l'esprit. Et même nous n'avons aucun argument ni exemple qui nous puisse persuader qu'il y a des substances qui sont sujettes à être anéanties. Ce qui suffit pour conclure que l'esprit ou l'âme de l'homme, autant que cela peut être connu par la philosophie naturelle, est immortelle.

Mais si on demande si Dieu, par son absolue puissance, n'a point peut-être déterminé que les âmes des hommes cessent d'être au même temps que les corps auxquels elles sont unies sont détruits, c'est à Dieu seul d'en répondre. Et puisqu'il nous a maintenant révélé que cela n'arrivera point, il ne nous doit plus rester touchant cela aucun doute.

Au reste, j'ai beaucoup à vous remercier de ce que vous avez daigné si officieusement et avec tant de franchise m'avertir non seulement des choses qui vous ont semblé dignes d'explication, mais aussi des difficultés qui pouvoient m'être faites par les athées, ou par quelques envieux et médisants. Car encore que je ne voie rien entre les choses que vous m'avez proposées que je n'eusse auparavant rejeté ou expliqué dans mes Méditations (comme, par exemple, ce que vous avez allégué des mouches qui sont produites par le soleil, des Canadiens, des Ninivites, des Turcs, et autres choses semblables, ne peut venir en l'esprit de ceux qui, suivant l'ordre de ces Méditations, mettront à part pour quelque temps toutes les choses qu'ils ont apprises des sens, pour prendre garde à ce que dicte la plus pure et plus saine raison, c'est pourquoi je pensois avoir déjà rejeté toutes ces choses), encore, dis-je, que cela soit, je juge néanmoins que ces objections seront fort utiles à mon dessein, d'autant que je ne me promets pas d'avoir beaucoup de lecteurs qui veuillent apporter tant d'attention aux choses que j'ai écrites, qu'étant parvenus à lu fin ils se ressouviennent de tout ce qu'ils auront lu auparavant: et ceux qui ne le feront pas tomberont aisément en des difficultés, auxquelles ils verront puis après que j'aurai satisfait par cette réponse, ou du moins ils prendront de là occasion d'examiner plus soigneusement la vérité.

Pour ce qui regarde le conseil que vous me donnez de disposer mes raisons selon la méthode des géomètres, afin que tout d'un coup les lecteur les puissent comprendre, je vous dirai ici en quelle façon j'ai déjà tâché ci-devant de la suivre, et comment j'y tâcherai encore ci-après.

Dans la façon d'écrire des géomètres je distingue deux choses, à savoir l'ordre, et la manière de démontrer.

L'ordre consiste en cela seulement que les choses qui sont proposées les premières doivent être connues sans l'aide des suivantes, et que les suivantes doivent après être disposées de telle façon, qu'elles soient démontrées par les seules choses qui les précèdent. Et certainement j'ai tâché autant que j'ai pu de suivre cet ordre en mes Méditations. Et c'est ce qui a fait que je n'ai pas traité dans la seconde de la distinction qui est entre l'esprit et le corps, mais seulement dans la sixième, et que j'ai omis tout exprès beaucoup de choses dans ce traité, parce qu'elles présupposoient l'explication de plusieurs autres.

La manière de démontrer est double: l'une se fait par l'analyse ou résolution, et l'autre par la synthèse ou composition.

L'analyse montre la vraie voie; par laquelle une chose a été méthodiquement inventée, et fait voir comment les effets dépendent des causes; en sorte que si le lecteur la veut suivre, et jeter les yeux soigneusement sur tout ce qu'elle contient, il n'entendra pas moins parfaitement la chose ainsi démontrée, et ne la rendra pas moins sienne, que si lui-même l'avoit inventée. Mais cette sorte de démonstration n'est pas propre à convaincre les lecteurs opiniâtres ou peu attentifs: car si ont laisse échapper sans y prendre garde la moindre des choses qu'elle propose, la nécessité de ses conclusions ne paraîtra point; et on n'a pas coutume d'y exprimer fort amplement les choses qui sont assez claires d'elles-mêmes, bien que ce soit ordinairement celles auxquelles il faut le plus prendre garde.

La synthèse au contraire, par une voie toute différente, et comme en examinant les causes par leurs effets, bien que la preuve qu'elle contient soit souvent aussi des effets par les causes, démontre à la vérité clairement ce qui est contenu en ses conclusions, et se sert d'une longue suite de définitions, de demandes, d'axiomes, de théorèmes et de problèmes, afin que si on lui nie quelques conséquences, elle fasse voir comment elles sont contenues dans les antécédents, et qu'elle arrache le consentement du lecteur, tant obstiné et opiniâtre qu'il puisse être; mais elle ne donne pas comme l'autre une entière satisfaction à l'esprit de ceux qui désirent d'apprendre, parce qu'elle n'enseigne pas la méthode par laquelle la chose a été inventée.

Les anciens géomètres avoient coutume de se servir seulement de cette synthèse dans leurs écrits, non qu'ils ignorassent entièrement l'analyse, mais à mon avis parce qu'ils en faisoient tant d'état qu'ils la réservoient pour eux seuls comme un secret d'importance.

Pour moi, j'ai suivi seulement la voie analytique, dans mes Méditations, parce qu'elle me semble être la plus vraie et la plus propre pour enseigner; mais quant à la synthèse, laquelle sans doute est celle que vous désirez de moi, encore que, touchant les choses qui se traitent en la géométrie, elle puisse utilement être mise après l'analyse, elle ne convient pas toutefois si bien aux matières qui appartiennent à la métaphysique. Car il y a cette différence, que les premières notions qui sont supposées pour démontrer les propositions géométriques, ayant de la convenance avec les sens, sont reçues facilement d'un chacun: c'est pourquoi il n'y a point là de difficulté, sinon à bien tirer les conséquences, ce qui se peut faire par toutes sortes de personnes, même par les moins attentives, pourvu seulement qu'elles se ressouviennent des choses précédentes; et on les oblige aisément a s'en souvenir, en distinguant autant de diverses propositions qu'il y a de choses à remarquer dans la difficulté proposée, afin qu'elles s'arrêtent séparément sur chacune, et qu'on les leur puisse citer par après pour les avertir de celles auxquelles elles doivent penser. Mais au contraire, touchant les questions qui appartiennent à la métaphysique, la principale difficulté est de concevoir clairement, et distinctement les premières notions. Car, encore que de leur nature elles ne soient pas moins claires, et même que souvent elles soient plus claires que celles qui sont considérées par les géomètres, néanmoins, d'autant qu'elles semblent ne s'accorder pas avec plusieurs préjugés que nous avons reçus par les sens, et auxquels nous sommes accoutumés dès notre enfance, elles ne sont parfaitement comprises que par ceux qui sont fort attentifs et qui s'étudient à détacher autant qu'ils peuvent leur esprit du commerce des sens: c'est pourquoi, si on les proposait toutes seules, elles seraient aisément niées par ceux qui ont l'esprit porté à la contradiction. Et c'est ce qui a été la cause que j'ai plutôt écrit des Méditations que des disputes ou des questions, comme font les philosophes; ou bien des théorèmes ou des problèmes, comme les géomètres, afin de témoigner par là que je n'ai écrit que pour ceux qui se voudront donner la peine de méditer avec moi sérieusement et considérer les choses avec attention. Car, de cela même que quelqu'un se prépare à combattre la vérité, il se rend moins propre à la comprendre, d'autant qu'il détourne son esprit de la considération des raisons qui la persuadent, pour l'appliquer à la recherche de celles qui la détruisent.

Mais néanmoins, pour témoigner combien je défère à votre conseil, je tâcherai ici d'imiter la synthèse des géomètres, et y ferai un abrégé des principales raisons dont j'ai usé pour démontrer l'existence de Dieu et la distinction qui est entre l'esprit et le corps humain; ce qui ne servira peut-être pas peu pour soulager l'attention des lecteurs.



RAISONS
QUI PROUVENT
L'EXISTENCE DE DIEU, ET LA DISTINCTION QUI EST
ENTRE L'ESPRIT ET LE CORPS DE L'HOMME,
DISPOSÉES DUNE FAÇON GÉOMÉTRIQUE.


DÉFINITIONS.

I. Par le nom de pensée je comprends tout ce qui est tellement en nous que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes et en avons une connoissance intérieure: ainsi toutes les opérations de la volonté, de l'entendement, de l'imagination et des sens sont des pensées. Mais j'ai ajouté immédiatement pour exclure les choses qui suivent et dépendent de nos pensées; par exemple, le mouvement volontaire a bien à la vérité la volonté pour son principe, mais lui-même néanmoins n'est pas une pensée. Ainsi se promener n'est pas une pensée, mais bien le sentiment ou la connoissance que l'on a qu'on se promène.

II. Par le nom d'idée, j'entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons connoissance de ces mêmes pensées. De sorte que je ne puis rien exprimer par des paroles lorsque j'entends ce que je dis, que de cela même il ne soit certain que j'ai en moi l'idée de la chose qui est signifiée par mes paroles. Et ainsi je n'appelle pas du nom d'idée les seules images qui sont dépeintes en la fantaisie; au contraire, je ne les appelle point ici de ce nom, en tant qu'elles sont en la fantaisie corporelle, c'est-à-dire en tant qu'elles sont dépeintes en quelques parties du cerveau, mais seulement en tant qu'elles informent l'esprit même qui s'applique à cette partie du cerveau.

III. Par la réalité objective d'une idée, j'entends l'entité ou l'être de la chose représentée par cette idée, en tant que cette entité est dans l'idée; et de la même façon, on peut dire une perfection objective, ou un artifice objectif, etc. Car tout ce que nous concevons comme étant dans les objets des idées, tout cela est objectivement ou par représentations dans les idées mêmes.

IV. Les mêmes choses sont dites être formellement dans les objets des idées quand elles sont en eux telles que nous les concevons; et elles sont dites y être éminemment quand elles n'y sont pas à la vérité telles, mais qu'elles sont si grandes qu'elles peuvent suppléer à ce défaut par leur excellence.

V. Toute chose dans laquelle réside immédiatement comme dans un sujet, ou par laquelle existe quelque chose que nous apercevons, c'est-à-dire quelque propriété, qualité ou attribut dont nous avons en nous une réelle idée, s'appelle substance. Car nous n'avons point d'autre idée de la substance précisément prise, sinon qu'elle est une chose dans laquelle existe formellement ou éminemment cette propriété ou qualité que nous apercevons, ou qui est objectivement dans quelqu'une de nos idées, d'autant que la lumière naturelle nous enseigne que le néant ne peut avoir aucun attribut qui soit réel.

VI. La substance dans laquelle réside immédiatement la pensée est ici appelée esprit. Et toutefois ce nom est équivoque, en ce qu'on l'attribue aussi quelquefois au vent et aux liqueurs fort subtiles; mais je n'en sache point de plus propre.

VII. La substance qui est le sujet immédiat de l'extension locale et des accidents qui présupposent cette extension, comme sont la figure, la situation et le mouvement de lieu, etc., s'appelle corps. Mais de savoir si la substance qui est appelée esprit est la même que celle que nous appelons corps, ou bien si ce sont deux substances diverses, c'est ce qui sera examiné ci-après.

VIII. La substance que nous entendons être souverainement parfaite, et dans laquelle nous ne concevons rien qui enferme quelque défaut ou limitation de perfection, s'appelle Dieu.

IX. Quand nous disons que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d'une chose, c'est de même que si nous disions que cet attribut est vrai de cette chose, et qu'on peut assurer qu'il est en elle.

X. Deux substances sont dites être réellement distinctes quand chacune d'elles peut exister sans l'autre.



DEMANDES.

Je demande premièrement que les lecteurs considèrent combien foibles sont les raisons qui leur ont fait jusques ici ajouter foi à leurs sens, et combien sont incertains tous les jugements qu'ils ont depuis appuyés sur eux; et qu'ils repassent si long-temps et si souvent cette considération en leur esprit, qu'enfin ils acquièrent l'habitude de ne se plus fier si fort en leurs sens: car j'estime que cela est nécessaire pour se rendre capable de connoître la vérité des choses métaphysiques, lesquelles ne dépendent point des sens.

En second lieu, je demande qu'ils considèrent leur propre esprit et tous ceux de ses attributs dont ils reconnoîtront ne pouvoir en aucune façon douter, encore même qu'ils supposassent que tout ce qu'ils ont jamais reçu par les sens fût entièrement faux; et qu'ils ne cessent point de le considérer que premièrement ils n'aient acquis l'usage de le concevoir distinctement, et de croire qu'il est plus aisé à connoître que toutes les choses corporelles.

En troisième lieu, qu'ils examinent diligemment les propositions qui n'ont pas besoin de preuve pour être connues, et dont chacun trouve les notions en soi-même, comme sont celles-ci, «qu'une même chose ne peut pas être et n'être pas tout ensemble; que le néant ne peut être la cause efficiente d'aucune chose,» et autres semblables: et qu'ainsi ils exercent cette clarté de l'entendement qui leur a été donnée par la nature, mais que les perceptions des sens ont accoutumé de troubler et d'obscurcir; qu'ils l'exercent, dis-je, toute pure et délivrée de leurs préjugés; car par ce moyen la vérité des axiomes suivants leur sera fort évidente.

Eu quatrième lieu, qu'ils examinent les idées de ces natures qui contiennent en elles un assemblage de plusieurs attributs ensemble, comme est la nature du triangle, celle du carré ou de quelque autre figure; comme aussi la nature de l'esprit, la nature du corps, et par-dessus toutes la nature de Dieu ou d'un être souverainement parfait. Et qu'ils prennent garde qu'on peut assurer avec vérité que toutes ces choses-là sont en elles que nous concevons clairement y être contenues. Par exemple, parce que dans la nature du triangle rectiligne cette propriété se trouve contenue, que ses trois angles sont égaux à deux droits; et que dans la nature du corps ou d'une chose étendue la divisibilité y est comprise, car nous ne concevons point de chose étendue si petite que nous ne la puissions diviser, au moins par la pensée; il est vrai de dire que les trois angles de tout triangle rectiligne sont égaux à deux droits, et que tout corps est divisible.

En cinquième lieu, je demande qu'ils s'arrêtent long-temps à contempler la nature de l'être souverainement parfait: et, entre autres choses, qu'ils considèrent que dans les idées de toutes les autres natures l'existence possible se trouve bien contenue; mais que dans l'idée de Dieu ce n'est pas seulement une existence possible qui se trouve contenue, mais une existence absolument nécessaire. Car de cela seul, et sans aucun raisonnement, ils connoîtront que Dieu existe; et il ne leur sera pas moins clair et évident, sans autre preuve, qu'il est manifeste que deux est un nombre pair, et que trois est un nombre impair, et choses semblables. Car il y a des choses qui sont ainsi connues sans preuves par quelques uns, que d'autres n'entendent que par un long discours et raisonnement.

En sixième lieu, que, considérant avec soin tous les exemples d'une claire et distincte perception, et tous ceux dont la perception est obscure et confuse desquels j'ai parlé dans mes Méditations, ils s'accoutument à distinguer les choses qui sont clairement connues de celles qui sont obscures: car cela s'apprend mieux par des exemples que par des règles; et je pense qu'on n'en peut donner aucun exemple dont je n'aie touché quelque chose.

En septième lieu, je demande que les lecteurs, prenant garde qu'ils n'ont jamais reconnu aucune fausseté dans les choses qu'ils ont clairement conçues, et qu'au contraire ils n'ont jamais rencontré, sinon par hasard, aucune vérité dans les choses qu'ils n'ont conçues qu'avec obscurité, ils considèrent que ce seroit une chose tout-à-fait déraisonnable, si, pour quelques préjugés des sens ou pour quelques suppositions faites à plaisir, et fondées sur quelque chose d'obscur et d'inconnu, ils révoquoient en doute les choses que l'entendement conçoit clairement et distinctement; au moyen de quoi ils admettront facilement les axiomes suivants pour vrais et pour indubitables: bien que j'avoue que plusieurs d'entre eux eussent pu être mieux expliqués, et eussent dû être plutôt proposés comme des théorèmes que comme des axiomes, si j'eusse voulu être plus exact.



AXIOMES.
ou NOTIONS COMMUNES.

I. Il n'y a aucune chose existante de laquelle ou ne puisse demander quelle est la cause pourquoi elle existe: car cela même se peut demander de Dieu; non qu'il ait besoin d'aucune cause pour exister, mais parce que l'immensité même de sa nature est la cause ou la raison pour laquelle il n'a besoin d'aucune cause pour exister.

II. Le temps présent ne dépend point de celui qui l'a immédiatement précédé; c'est pourquoi il n'est pas besoin d'une moindre cause pour conserver une chose, que pour la produire la première lois.

III. Aucune chose, ni aucune perfection de cette chose actuellement existante, ne peut avoir le néant, ou une chose non existante, pour la cause de son existence.

IV. Toute la réalité ou perfection qui est dans une chose, se rencontre formellement ou éminemment dans sa cause première et totale.

V. D'où il suit aussi que la réalité objective de nos idées requiert une cause dans laquelle cette même réalité soit contenue, non pas simplement objectivement, mais formellement ou éminemment. Et il faut remarquer que cet axiome doit si nécessairement être admis, que de lui seul dépend la connoissance de toutes les choses, tant sensibles qu'insensibles; car d'où savons-nous, par exemple, que le ciel existe? est-ce parce que nous le voyons? mais cette vision ne touche point l'esprit, sinon en tant qu'elle est une idée, une idée, dis-je, inhérente en l'esprit même, et non pas une image dépeinte en la fantaisie; et, à l'occasion de cette idée, nous ne pouvons pas juger que le ciel existe, si ce n'est que nous supposions que toute idée doit avoir une cause de sa réalité objective qui soit réellement existante; laquelle cause nous jugeons que c'est le ciel même, et ainsi des autres.

VI. Il y a divers degrés de réalité, c'est-à-dire d'entité ou de perfection: car la substance a plus de réalité que l'accident ou le mode, et la substance infinie que la finie; c'est pourquoi aussi il y a plus de réalité objective dans l'idée de la substance que dans celle de l'accident, et dans l'idée de la substance infinie que dans l'idée de la substance finie.

VII. La volonté se porte volontairement et librement, car cela est de son essence, mais néanmoins infailliblement au bien qui lui est clairement connu: c'est pourquoi, si elle vient à connoître quelques perfections qu'elle n'ait pas, elle se les donnera aussitôt, si elles sont en sa puissance; car elle connaîtra que ce lui est un plus grand bien de les avoir que de ne les avoir pas.

VIII. Ce qui peut faire le plus, ou le plus difficile, peut aussi faire le moins, ou le plus facile.

IX. C'est une chose plus grande et plus difficile de créer ou conserver une substance, que de créer ou conserver ses attributs ou propriétés; mais ce n'est pas une chose plus grande, ou plus difficile, de créer une chose que de la conserver, ainsi qu'il a déjà été dit.

X. Dans l'idée ou le concept de chaque chose, l'existence y est contenue, parce que nous ne pouvons rien concevoir que sous la forme d'une chose qui existe; mais avec cette différence, que, dans le concept d'une chose limitée, l'existence possible ou contingente est seulement contenue, et dans le concept d'un être souverainement parfait, la parfaite et nécessaire y est comprise.



PROPOSITION PREMIÈRE

L'EXISTENCE DE DIEU SE CONNOÎT DE LA SEULE CONSIDÉRATION
DE SA NATURE.

DÉMONSTRATION

Dire que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d'une chose, c'est le même que de dire que cet attribut est vrai de cette chose, et qu'on peut assurer qu'il est en elle, par la définition neuvième;

Or est-il que l'existence nécessaire est contenue dans la nature ou dans le concept de Dieu, par l'axiome dixième:

Donc il est vrai de dire que l'existence nécessaire est en Dieu, ou bien que Dieu existe.

Et ce syllogisme est le même dont je me suis servi en ma réponse au sixième article de ces objections; et sa conclusion peut être connue sans preuve par ceux qui sont libres de tous préjugés, comme il a été dit en la cinquième demande. Mais parce qu'il n'est pas aisé de parvenir à une si grande clarté d'esprit, nous tâcherons de prouver la même chose par d'autres voies.



PROPOSITION SECONDE.

L'EXISTENCE DE DIEU EST DÉMONTRÉE PAR SES EFFETS,
DE CELA SEUL QUE SON IDÉE EST EN NOUS.

DÉMONSTRATION

La réalité objective de chacune de nos idées requiert une cause dans laquelle cette même réalité soit contenue non pas simplement objectivement, mais formellement ou éminemment, par l'axiome cinquième;

Or est-il que nous avons en nous l'idée de Dieu (par la définition deuxième et huitième), et que la réalité objective de cette idée n'est point contenue en nous, ni formellement, ni éminemment (par l'axiome sixième), et qu'elle ne peut être contenue dans aucun autre que dans Dieu même, par là définition huitième:

Donc cette idée de Dieu qui est en nous demande Dieu pour sa cause; et par conséquent Dieu existe, par l'axiome troisième.



PROPOSITION TROISIÈME.

L'EXISTENCE DE DIEU EST ENCORE DÉMONTRÉE DE CE QUE NOUS-MÊMES,
QUI AVONS EN NOUS SON IDÉE, NOUS EXISTONS.

DÉMONSTRATION.

Si j'avois lu puissance de me conserver moi-même, j'aurois aussi, à plus forte raison, le pouvoir de me donner toutes les perfections qui me manquent (par l'axiome huitième et neuvième), car ces perfections ne sont que des attributs de la substance, et moi je suis une substance;

Mais je n'ai pas la puissance de me donner toutes ces perfections, car autrement je les posséderois déjà, par l'axiome septième:

Donc je n'ai pas la puissance de me conserver moi-même.

En après, je ne puis exister sans être conservé tant que j'existe, soit par moi-même, supposé que j'en aie le pouvoir, soit par un autre qui ait cette puissance, par l'axiome premier et deuxième;

Or est-il que j'existe, et toutefois je n'ai pas la puissance de me conserver moi-même, comme je viens de prouver:

Donc je suis conservé par un autre.

De plus, celui par qui je suis conservé a en soi formellement ou éminemment tout ce qui est en moi, par l'axiome quatrième;

Or est-il que j'ai en moi la perception de plusieurs perfections qui me manquent, et celle aussi de l'idée de Dieu, par la définition deuxième et huitième:

Donc la perception de ces mêmes perfections est aussi en celui par qui je suis conservé.

Enfin, celui—là même par qui je suis conservé ne peut avoir la perception d'aucunes perfections qui lui manquent, c'est-à-dire qu'il n'ait point en soi formellement ou éminemment, par l'axiome septième; car ayant la puissance de me conserver, comme il a été dit maintenant, il aurait, à plus forte raison, le pouvoir de se les donner lui-même, si elles lui manquoient, par l'axiome huitième et neuvième;

Or est-il qu'il a la perception de toutes les perfections que je reconnois me manquer, et que je conçois ne pouvoir être qu'en Dieu seul, comme je viens de prouver:

Donc il les a toutes en soi formellement ou éminemment; et ainsi il est Dieu.



COROLLAIRE.

DIEU A CRÉÉ LE CIEL ET LA TERRE, ET TOUT CE QUI Y EST
CONTENU, ET OUTRE CELA IL PEUT FAIRE TOUTES LES CHOSES
QUE NOUS CONCEVONS CLAIREMENT, EN LA MANIÈRE QUE NOUS
LES CONCEVONS

DÉMONSTRATION

Toutes ces choses suivent clairement de la proposition précédente. Car nous y avons prouvé l'existence de Dieu, parce qu'il est nécessaire qu'il y ait un être qui existe dans lequel toutes les perfections dont il y a en nous quelque idée soient contenues formellement ou éminemment;

Or est-il que nous avons en nous l'idée d'une puissance si grande, que par celui-là seul en qui elle réside, non seulement le ciel et la terre, etc., doivent avoir été créés, mais aussi toutes les autres choses que nous concevons comme possibles peuvent être produites:

Donc, en prouvant l'existence de Dieu, nous avons aussi prouvé de lui toutes ces choses.



PROPOSITION QUATRIÈME.

L'ESPRIT ET LE CORPS SONT RÉELLEMENT DISTINCTS.

DÉMONSTRATION.

Tout ce que nous concevons clairement peut être fait par Dieu en la manière que nous le concevons, par le corollaire précédent.

Mais nous concevons clairement l'esprit, c'est-à-dire une substance qui pense, sans le corps, c'est-à-dire sans une substance étendue, par la demande II; et d'autre part nous concevons aussi clairement le corps sans l'esprit, ainsi que chacun accorde facilement:

Donc au moins, par la toute-puissance de Dieu, l'esprit peut être sans le corps, et le corps sans l'esprit.

Maintenant les substances qui peuvent être l'une sans l'autre sont réellement distinctes, par la definition X. Or est-il que l'esprit et le corps sont des substances, par les définitions V, VI et VII, qui peuvent être l'une sans l'autre, comme je le viens de prouver:

Donc l'esprit et le corps sont réellement distincts.

Et il faut remarquer que je me suis ici servi de la toute-puissance de Dieu pour en tirer ma preuve; non qu'il soit besoin de quelque puissance extraordinaire pour séparer l'esprit d'avec le corps, mais pource que, n'ayant traité que de Dieu seul dans les propositions précédentes, je ne la pouvois tirer d'ailleurs que de lui. Et il importe fort peu par quelle puissance deux choses soient séparées, pour connoître qu'elles soient réellement distinctes.



TROISIÈMES OBJECTIONS,

FAITES PAR HOBBES CONTRE LES SIX MÉDITATIONS OBJECTION Ier.


SUR LA MÉDITATION PREMIÈRE
DES CHOSES QUI PEUVENT ÊTRE RÉVOQUÉES EN DOCTE.

Il paroit assez, par ce qui a été dit dans cette Méditation, qu'il n'y a point de marque certaine et évidente par laquelle nous puissions reconnoître et distinguer nos songes d'avec la veille et d'avec une vraie perception des sens; et partant que ces images ou ces fantômes que nous sentons étant éveillés, ne plus ne moins que ceux que nous apercevons étant endormis, ne sont point des accidents attachés à des objets extérieurs, et ne sont point des preuves suffisantes pour, montrer que ces objets extérieurs existent véritablement. C'est pourquoi si, sans nous aider d'aucun autre raisonnement, nous suivons seulement le témoignage de nos sens, nous aurons juste sujet de douter si quelque chose existe ou non. Nous reconnoissons donc la vérité de cette méditation. Mais d'autant que Platon a parlé de cette incertitude des choses sensibles, plusieurs autres anciens philosophes avant et après lui, et qu'il est aisé de remarquer la difficulté qu'il y a de discerner la veille du sommeil, j'eusse voulu que cet excellent auteur de nouvelles spéculations se fût abstenu de publier des choses si vieilles.



RÉPONSE.

Les raisons de douter qui sont ici reçues pour vraies par ce philosophe n'ont été proposées par moi que comme vraisemblables: et je m'en suis servi, non pour les débiter comme nouvelles, mais en partie pour préparer les esprits des lecteurs à considérer les choses intellectuelles, et les distinguer des corporelles, à quoi elles m'ont toujours semblé très nécessaires; en partie pour y répondre dans les méditations suivantes, et en partie aussi pour faire voir combien les vérités que je propose ensuite sont fermes et assurées, puisqu'elles ne peuvent être ébranlées par des doutes si généraux et si extraordinaires. Et ce n'a point été pour acquérir de la gloire que je les ai rapportées; mais je pense n'avoir pas été moins obligé de les expliquer, qu'un médecin de décrire la maladie dont il a entrepris d'enseigner la cure.



OBJECTION IIe.

SUR LA SECONDE MÉDITATION.
DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN.

Je suis une chose qui pense: c'est fort bien dit. Car de ce que je pense ou de ce que j'ai une idée, soit en veillant, soit en dormant, l'on infère que je suis pensant: car ces deux choses, je pense et je suis pensant, signifient la même chose. De ce que je suis pensant, il s'ensuit que je suis, parce que ce qui pense n'est pas un rien. Mais où notre auteur ajoute, c'est-à-dire un esprit, une âme, un entendement, une raison: de là naît un doute. Car ce raisonnement ne me semble pas bien déduit, de dire Je suis pensant, donc je suis une pensée; ou bien je suis intelligent, donc je suis un entendement. Car de la même façon je pourrois dire, je suis promenant, donc je suis une promenade.

M. Descartes donc prend la chose intelligente, et l'intellection qui en est l'acte, pour une même chose; ou du moins il dit que c'est le même que la chose qui entend, et l'entendement, qui est une puissance ou faculté d'une chose intelligente. Néanmoins tous les philosophes distinguent le sujet de ses facultés et de ses actes, c'est-à-dire de ses propriétés et de ses essences; car c'est autre chose que la chose même qui est, et autre chose que son essence; il se peut donc faire qu'une chose qui pense soit le sujet de l'esprit, de la raison ou de l'entendement, et partant que ce soit quelque chose de corporel, dont le contraire est pris ou avancé, et n'est pas prouvé. Et néanmoins c'est en cela que consiste le fondement de la conclusion qu'il semble que M. Descartes veuille établir.

Au même endroit il dit:56 «Je connois que j'existe, et je cherche quel je suis, moi que je connois être. Or il est très certain que cette notion et connoissance de moi-même, ainsi précisément prise, ne dépend point des choses dont l'existence ne m'est pas encore connue.»

Note 56: (retour) Voyez Méditation II.

Il est très certain que la connoissance de cette proposition, j'existe, dépend de celle-ci, je pense, comme il nous a fort bien enseigné: mais d'où nous vient la connoissance de celle-ci, je pense? Certes, ce n'est point d'autre chose que de ce que nous ne pouvons concevoir aucun acte sans son sujet, comme la pensée sans une chose qui pense, la science sans une chose qui sache, et la promenade sans une chose qui se promène.

Et de là il semble suivre qu'une chose qui pense est quelque chose de corporel; car les sujets de tous les actes semblent être seulement entendus sous une raison corporelle, ou sous une raison de matière, comme il a lui-même montré un peu après par l'exemple de la cire, laquelle, quoique sa couleur, sa dureté, sa figure, et tous ses autres actes soient changés, est toujours conçue être la même chose, c'est-à-dire la même matière sujette à tous ces changements. Or ce n'est pas par une autre pensée que j'infère que je pense: car encore que quelqu'un puisse penser qu'il a pensé, laquelle pensée n'est rien autre chose qu'un souvenir, néanmoins il est tout-à-fait impossible de penser qu'on pense, ni de savoir qu'on sait: car ce serait une interrogation qui ne finiroit jamais, d'où savez-vous que vous savez que vous savez que vous savez, etc.?

Et partant, puisque la connoissance de cette proposition, j'existe, dépend de la connoissance de celle-ci, je pense, et la connoissance de, celle-ci de ce que nous ne pouvons séparer la pensée d'une matière qui pense, il semble qu'on doit plutôt inférer qu'une chose qui pense est matérielle qu'immatérielle.



RÉPONSE

Où j'ai dit, c'est-à-dire un esprit, une âme, un entendement, une raison, etc., je n'ai point entendu par ces noms les seules facultés, mais les choses douées de la faculté de penser, comme; par les deux premiers on a coutume d'entendre; et assez souvent aussi par les deux derniers: ce que j'ai si souvent expliqué, et en termes si exprès, que je ne vois pas qu'il y ait eu lieu d'en douter.

Et il n'y a point ici de rapport ou de convenance entre la promenade et la pensée, parce que la promenade n'est jamais prise autrement que pour l'action même; mais la pensée se prend quelquefois pour l'action, quelquefois pour la faculté, et quelquefois pour la chose en laquelle réside cette faculté.

Et je ne dis pas que l'intellection et la chose qui entend soient une même chose, non pas même la chose qui entend et l'entendement, si l'entendement est pris pour une faculté, mais seulement lorsqu'il est pris pour la chose même qui entend. Or j'avoue franchement que pour signifier une chose ou une substance, laquelle je voulois dépouiller de toutes les choses qui ne lui appartiennent point, je me suis servi de tenues autant simples et abstraits que j'ai pu, comme au contraire ce philosophe, pour signifier la même substance, en emploie d'autres fort concrets et composés, à savoir ceux de sujet, de matière et de corps, afin d'empêcher autant qu'il peut qu'on ne puisse séparer la pensée d'avec le corps. Et je ne crains pas que la façon dont il se sert, qui est de joindre ainsi plusieurs choses ensemble, soit trouvée plus propre pour parvenir à la connoissance de la vérité: qu'est la mienne, par laquelle je distingue autant que je puis chaque chose. Mais ne nous arrêtons pas davantage aux paroles, venons à la chose dont il est question.

«Il se peut faire, dit-il, qu'une chose qui pense soit quelque chose de corporel, dont le contraire est pris ou avancé et n'est pas prouvé.» Tant s'en faut, je n'ai point avancé le contraire et ne m'en suis en façon quelconque servi pour fondement, mais je l'ai laissé entièrement indéterminé jusqu'à la sixième Méditation, dans laquelle il est prouvé.

Eu après il dit fort bien «que nous ne pouvons concevoir aucun acte sans son sujet, comme la pensée sans une chose qui pense, parce que la chose qui pense n'est pas un rien;» mais c'est sans aucune raison et contre toute bonne logique, et même contre la façon ordinaire de parler, qu'il ajoute «que de là il semble suivre qu'une chose qui pense est quelque chose de corporel;» car les sujets de tous les actes sont bien à la vérité entendus comme étant des substances, ou si vous voulez comme des matières, à savoir des matières métaphysiques; mais non pas pour cela comme des corps. Au contraire, tous les logiciens, et presque tout le monde avec eux, ont coutume de dire qu'entre les substances les unes sont spirituelles et les autres corporelles. Et je n'ai prouvé autre chose par l'exemple de la cire, sinon que la couleur, la dureté, la figure, etc., n'appartiennent point à la raison formelle de la cire, c'est-à-dire qu'on peut concevoir tout ce qui se trouve nécessairement dans la cire sans avoir besoin pour cela de penser à elles: je n'ai point aussi parlé en ce lieu-là de la raison formelle de l'esprit, ni même de celle du corps.

Et il ne sert de rien de dire, comme fait ici ce philosophe, qu'une pensée ne peut pas être le sujet d'une autre pensée. Car qui a jamais feint cela que lui? Mais je tâcherai ici d'expliquer en peu de paroles tout le sujet dont est question.

Il est certain que la pensée ne peut pas être sans une chose qui pense, et en général aucun accident ou aucun acte ne peut être sans une substance de laquelle il soit l'acte. Mais d'autant que nous ne connoissons pas la substance immédiatement par elle-même, mais seulement parce qu'elle est le sujet de quelques actes, il est fort convenable à la raison, et l'usage même le requiert, que nous appelions de divers noms ces substances que nous connoissons être les sujets de plusieurs actes ou accidents entièrement différents, et qu'après cela nous examinions si ces divers noms signifient des choses différentes ou une seule et même chose. Or il y a certains actes que nous appelons corporels, comme la grandeur, la figure, le mouvement, et toutes les autres choses qui ne peuvent être conçues sans une extension locale; et nous appelons du nom de corps la substance en laquelle ils résident; et on ne peut pas feindre que ce soit une autre substance qui soit le sujet de la figure, une autre qui soit le sujet du mouvement local, etc., parce que tous ces actes conviennent entre eux, en ce qu'ils présupposent l'étendue. En après il y a d'autres actes que nous appelons intellectuels, comme entendre, vouloir, imaginer, sentir, etc., tous lesquels conviennent entre eux en ce qu'ils ne peuvent être sans pensée, ou perception, ou conscience et connoissance; et la substance en laquelle ils résident, nous la nommons une chose qui pense, ou un esprit, ou de tel autre nom qu'il nous plaît, pourvu que nous ne la confondions point avec la substance corporelle, d'autant que les actes intellectuels n'ont aucune affinité avec les actes corporels, et que la pensée, qui est la raison commune en laquelle ils conviennent, diffère totalement de l'extension, qui est la raison commune des autres. Mais après que nous avons formé deux concepts clairs et distincts de ces deux substances, il est aisé de connoître, par ce qui a été dit en la sixième Méditation, si elles ne sont qu'une même chose, ou si elles en sont deux différentes.



OBJECTION IIIe

SUR LA SECONDE MÉDITATION.

57 «Qu'y a-t-il donc qui soit distingué de ma pensée? Qu'y a-t-il que l'on puisse dire être séparé de moi-même?»

Note 57: (retour) Voyez Méditation II.

Quelqu'un répondra peut-être à cette question: Je suis distingué de ma pensée moi-même qui pense; et quoiqu'elle ne soit pas à la vérité séparée de moi-même, elle est néanmoins différente de moi: de la même façon que la promenade, comme il a été dit ci-dessus, est distinguée de celui qui se promène. Que si M. Descartes montre que celui qui entend et l'entendement sont une même chose, nous tomberons dans cette façon de parler scolastique, l'entendement entend, la vue voit, la volonté veut; et, par une juste analogie, on pourra dire que la promenade, ou du moins la faculté de se promener, se promène: toutes lesquelles choses sont obscures, impropres, et fort éloignées de la netteté ordinaire de M. Descartes.



RÉPONSE.

Je ne nie pas que moi, qui pense, ne sois distingué de ma pensée, comme une chose l'est de son mode; mais où je demande, qu'y a-t-il donc qui soit distingué de ma pensée? j'entends cela des diverses façons de penser qui sont là énoncées, et non pas de ma substance; et où j'ajoute, qu'y a-t-il que l'on puisse dire être séparé de moi-même? je veux dire seulement que toutes ces manières de penser qui sont en moi ne peuvent avoir aucune existence hors de moi; et je ne vois pas qu'il y ait en cela aucun lieu de douter, ni pourquoi l'on me blâme ici d'obscurité.



OBJECTION IVe.

SUR LA SECONDE MÉDITATION.

58 «Il faut donc que je demeure d'accord que je ne saurois pas même comprendre par mon imagination ce que c'est que ce morceau de cire, et qu'il n'y a que mon entendement seul qui le comprenne.»

Note 58: (retour) Voyez Méditation II.

Il y a grande différence entre imaginer, c'est-à-dire avoir quelque idée, et concevoir de l'entendement, c'est-à-dire conclure en raisonnant que quelque chose est ou existe; mais M. Descartes ne nous a pas expliqué en quoi ils diffèrent. Les anciens péripatéticiens ont aussi enseigné assez clairement que la substance ne s'aperçoit point par les sons, mais qu'elle se conçoit par la raison.

Que dirons-nous maintenant si peut-être le raisonnement n'est rien autre chose qu'un assemblage et un enchaînement de noms par ce mot est? D'où il s'ensuivroit que par la raison nous ne concluons rien du tout touchant la nature des choses, mais seulement touchant leurs appellations, c'est-à-dire que par elle nous voyons simplement si nous assemblons bien ou mal les noms des choses, selon les conventions que nous avons faites à notre fantaisie touchant leurs significations. Si cela est ainsi, comme il peut être, le raisonnement dépendra des noms, les noms de l'imagination, et l'imagination peut-être, et ceci selon mon sentiment, du mouvement des organes corporels, et ainsi l'esprit ne sera rien autre chose qu'un mouvement en certaines parties du corps organique.



RÉPONSE.

J'ai expliqué, dans la seconde Méditation, la différence qui est entre l'imagination et le pur concept de l'entendement ou de l'esprit, lorsqu'en l'exemple de la cire j'ai fait voir quelles sont les choses que nous imaginons en elle, et quelles sont celles que nous concevons par le seul entendement; mais j'ai encore expliqué ailleurs comment nous entendons autrement une chose que nous ne l'imaginons, en ce que pour imaginer, par exemple, un pentagone, il est besoin d'une particulière contention d'esprit qui nous rende cette figure, c'est-à-dire ses cinq côtés et l'espace qu'ils renferment, comme présente, de laquelle nous ne nous servons point pour concevoir. Or l'assemblage qui se fait dans le raisonnement n'est pas celui des noms, mais bien celui des choses signifiées par les noms; et je m'étonne que le contraire puisse venir en l'esprit de personne.

Car qui doute qu'un François et qu'un Allemand ne puissent avoir les mêmes pensées ou raisonnements touchant les mêmes choses, quoique néanmoins ils conçoivent des mots entièrement différents? Et ce philosophe ne se condamne-t-il pas lui-même, lorsqu'il parle des conventions que nous avons faites à notre fantaisie touchant la signification des mots? Car s'il admet que quelque chose est signifiée par les paroles, pourquoi ne veut-il pas que nos discours et raisonnements soient plutôt de la chose qui est signifiée que des paroles seules? Et certes de la même façon et avec une aussi juste raison qu'il conclut que l'esprit est un mouvement, il pourroit aussi conclure que la terre est le ciel, ou telle autre chose qu'il lui plaira; pource qu'il n'y a point de choses au monde entre lesquelles il n'y ait autant de convenance qu'il y a entre le mouvement et l'esprit, qui sont de deux genres entièrement différents.



OBJECTION Ve.

SUR LA TROISIÈME MÉDITATION.

DE DIEU

59«Quelques unes d'entre elles (à savoir d'entre les pensées des hommes) sont comme les images des choses auxquelles seules convient proprement le nom d'idée, comme lorsque je pense à un homme, à une chimère, au ciel, à un ange, ou à Dieu.»

Note 59: (retour) Voyez Méditation III.

Lorsque je pense à un homme, je me représente une idée ou une image composée de couleur et de figure, de laquelle je puis douter si elle a la ressemblance d'un homme ou si elle ne l'a pas. Il en est de même lorsque je pense au ciel. Lorsque je pense à une chimère, je me représente une idée ou une image, de laquelle je puis douter si elle est le portrait de quelque animal qui n'existe point, mais qui puisse être, ou qui ait été autrefois, ou bien qui n'ait jamais été. Et lorsque quelqu'un pense à un ange, quelquefois l'image d'une flamme se présente à son esprit, et quelquefois celle d'un jeune enfant qui a des ailes, de laquelle je pense pouvoir dire avec certitude qu'elle n'a point la ressemblance d'un ange, et partant qu'elle n'est point l'idée d'un ange; mais, croyant qu'il y a des créatures invisibles et immatérielles qui sont les ministres de Dieu, nous donnons à une chose que nous croyons ou supposons le nom d'ange, quoique néanmoins l'idée sous laquelle j'imagine un ange soit composée des idées des choses visibles.

Il en est de même du nom vénérable de Dieu, de qui nous n'avons aucune image ou idée; c'est pourquoi on nous défend de l'adorer sous une image, de peur qu'il ne nous semble que nous concevions celui qui est inconcevable.

Nous n'avons donc point en nous ce semble aucune idée de Dieu; mais tout ainsi qu'un aveugle-né qui s'est plusieurs fois approché du feu, et qui en a senti la chaleur, reconnoît qu'il y a quelque chose par quoi il a été échauffé, et, entendant dire que cela s'appelle du feu, conclut qu'il y a du feu, et néanmoins n'en connoît pas la figure ni la couleur, et n'a, à vrai dire, aucune idée ou image du feu qui se présente à son esprit.

De même, l'homme, voyant qu'il doit y avoir quelque cause de ses images ou de ses idées, et de cette cause une autre première, et ainsi de suite, est enfin conduit à une fin ou à une supposition de quelque cause éternelle, qui, pource qu'elle n'a jamais commencé d'être, ne peut avoir de cause qui la précède, ce qui fait qu'il conclut nécessairement qu'il y a un Être éternel qui existe; et néanmoins il n'a point d'idée qu'il puisse dire être celle de cet Être éternel, mais il nomme ou appelle du nom de Dieu cette chose que la foi ou sa raison lui persuade.

Maintenant, d'autant que de cette supposition, à savoir que nous avons en nous l'idée de Dieu, M. Descartes vient à la preuve de cette proposition, que Dieu (c'est-à-dire un Être tout-puissant, très sage, créateur de l'univers, etc.) existe, il a dû mieux expliquer cette idée de Dieu, et de là en conclure non seulement son existence, mais aussi la création du monde.



RÉPONSE.

Par le nom d'idée, il veut seulement qu'on entende ici les images des choses matérielles dépeintes en la fantaisie corporelle; et cela étant supposé, il lui est aisé de montrer qu'on ne peut avoir aucune propre et véritable idée de Dieu ni d'un ange: mais j'ai souvent averti, et principalement en ce lieu-là même, que je prends le nom d'idée pour tout ce qui est conçu immédiatement par l'esprit; en sorte que, lorsque je veux et que je crains, parce que je conçois en même temps que je veux et que je crains, ce vouloir et cette crainte sont mis par moi au nombre des idées; et je me suis servi de ce mot, parce qu'il étoit déjà communément reçu par les philosophes pour signifier les formes des conceptions de l'entendement divin, encore que nous ne reconnoissions en Dieu aucune fantaisie ou imagination corporelle, et je n'en savois point de plus propre. Et je pense avoir assez expliqué l'idée de Dieu pour ceux qui veulent concevoir le sens que je donne à mes paroles; mais pour ceux qui s'attachent à les entendre autrement que je ne fais, je ne le pourrois jamais assez. Enfin, ce qu'il ajoute ici de la création du monde est tout-à-fait hors de propos: car j'ai prouvé que Dieu existe avant que d'examiner s'il y avoit un monde créé par lui, et de cela seul que Dieu, c'est-à-dire un être souverainement puissant existe, il suit que, s'il y a un monde, il doit avoir été créé par lui.



OBJECTION VIe.

SUR LA TROISIÈME MÉDITATION

60Mais il y en a d'autres (à savoir d'autres pensées) qui contiennent de plus d'autres formes: par exemple, lorsque je veux, que je crains, que j'affirme, que je nie, je conçois bien à la vérité toujours quelque chose comme le sujet de l'action de mon esprit, mais j'ajoute aussi quelque autre chose par cette action à l'idée que j'ai de cette chose-là; et de ce genre de pensées, les unes sont appelées volontés ou affections, et les autres jugements.»

Note 60: (retour) Voyez Méditation III.

Lorsque quelqu'un veut ou craint, il a bien à la vérité l'image de la chose qu'il craint et de l'action qu'il veut; mais qu'est-ce que celui qui veut ou qui craint embrasse de plus par sa pensée, cela n'est pas ici expliqué. Et, quoique à le bien prendre la crainte soit une pensée, je ne vois pas comment elle peut être autre que la pensée ou l'idée de la chose que l'on craint. Car qu'est-ce autre chose que la crainte d'un lion qui s'avance vers nous, sinon l'idée de ce lion, et l'effet, qu'une telle idée engendre dans le coeur, par lequel celui qui craint est porté à ce mouvement animal que nous appelons fuite. Maintenant ce mouvement de fuite n'est pas une pensée; et partant il reste que dans ta crainte il n'y a point d'autre pensée que celle qui consiste en la ressemblance de la chose que l'on craint: le même se peut dire aussi de la volonté.

De plus l'affirmation et la négation ne se font point sans parole et sans noms, d'où vient que les bêtes ne peuvent rien affirmer ni nier, non pas même par la pensée, et partant ne peuvent aussi faire aucun jugement; et néanmoins la pensée peut être semblable dans un homme et dans une bête. Car, quand nous affirmons qu'un homme court, nous n'avons point d'autre pensée que celle qu'a un chien qui voit courir son maître, et partant l'affirmation et la négation n'ajoutent rien aux simples pensées, si ce n'est peut-être la pensée que les noms dont l'affirmation est composée sont les noms de la chose même qui est en l'esprit de celui qui affirme; et cela n'est rien autre chose que comprendre par la pensée la ressemblance de la chose, mais cette ressemblance deux fois.



RÉPONSE.

Il est de soi très évident que c'est autre chose de voir un lion et ensemble de le craindre, que de le voir seulement; et tout de même que c'est autre chose de voir un homme qui court, que d'assurer qu'on le voit. Et je ne remarque rien ici qui ait besoin de réponse ou d'explication.



OBJECTION VIIe.

SUR LA TROISIÈME MÉDITATION.

61«Il me reste seulement à examiner de quelle façon j'ai acquis cette idée, car je ne l'ai point reçue par les sens, et jamais elle ne s'est offerte à moi contre mon attente, comme font d'ordinaire les idées des choses sensibles, lorsque ces choses se présentent aux organes extérieurs de mes sens, ou qu'elles semblent s'y présenter. Elle n'est pas aussi une pure production ou fiction de mon esprit, car il n'est pas en mon pouvoir d'y diminuer ni d'y ajouter aucune chose; et partant il ne reste plus autre chose à dire, sinon que, comme l'idée de moi-même, elle est née et produite avec moi dès lors que j'ai été créé.»

Note 61: (retour) Voyez Méditation III.

S'il n'y a point d'idée de Dieu (or on ne prouve point qu'il y en ait), comme il semble qu'il n'y en a point, toute cette recherche est inutile. De plus, l'idée de moi-même me vient, si on regarde le corps, principalement de la vue; si l'âme, nous n'en avons aucune idée: mais la raison nous fait conclure qu'il y a quelque chose de renfermé dans le corps humain qui lui donne le mouvement animal, qui fait qu'il sent et se meut; et cela, quoi que ce soit, sans aucune idée, nous l'appelons âme.



RÉPONSE.

S'il y a une idée de Dieu (comme il est manifeste qu'il y en a une), toute cette objection est renversée; et lorsqu'on ajoute que nous n'avons point d'idée de l'âme, mais qu'elle se conçoit par la raison, c'est de même que si on disoit qu'on n'en a point d'image dépeinte en la fantaisie, mais qu'on en a néanmoins cette notion que jusqu'ici j'ai appelée du nom d'idée.



OBJECTION VIIIe.

SUR LA TROISIÈME MÉDITATION.

62«Mais l'autre idée du soleil est prise des raisons de l'astronomie, c'est-à-dire de certaines notions qui sont naturellement en moi.»

Note 62: (retour) Voyez Méditation III.

Il semble qu'il ne puisse y avoir en même temps qu'une idée du soleil, soit qu'il soit vu par les yeux, soit qu'il soit conçu par le raisonnement être plusieurs fois plus grand qu'il ne paroît à la vue; car cette dernière n'est pas l'idée du soleil, mais une conséquence de notre raisonnement, qui nous apprend que l'idée du soleil seroit plusieurs fois plus grande s'il étoit regardé de beaucoup plus près. Il est vrai qu'en divers temps il peut y avoir diverses idées du soleil, comme si en un temps il est regardé seulement avec les yeux, et en un autre avec une lunette d'approche; mais les raisons de l'astronomie ne rendent point l'idée du soleil plus grande on plus petite, seulement elles nous enseignent que l'idée sensible du soleil est trompeuse.



RÉPONSE

Je réponds derechef que ce qui est dit ici n'être point l'idée du soleil, et qui néanmoins est décrit, c'est cela même que j'appelle du nom d'idée. Et pendant que ce philosophe ne veut pas convenir avec moi de la signification des mots, il ne me peut rien objecter qui ne soit frivole.



OBJECTION IXe.

SUR LA TROISIÈME MÉDITATION.

63«Car, en effet, les idées qui me représentent des substances sont sans doute quelque chose de plus et ont pour ainsi dire plus de réalité objective que celles qui me représentent seulement des modes ou accidents. Comme aussi celle par laquelle je conçois un Dieu souverain, éternel, infini, tout-connoissant, tout-puissant, et créateur universel de toutes les choses qui sont hors de lui, a aussi sans doute en soi plus de réalité objective que celles par qui les substances finies me sont représentées.»

Note 63: (retour) Voyez Méditation III.

J'ai déjà plusieurs fois remarqué ci-devant que nous n'avons aucune idée de Dieu ni de l'âme; j'ajoute maintenant ni de la substance: car j'avoue bien que la substance, en tant qu'elle est une matière capable de recevoir divers accidents, et qui est sujette à leurs changements, est aperçue et prouvée par le raisonnement; mais néanmoins elle n'est point conçue, ou nous n'en avons aucune idée. Si cela est vrai, comment peut-on dire que les idées qui nous représentent des substances sont quelque chose de plus et ont plus de réalité objective que celles qui nous représentent des accidents? De plus, il semble que M. Descartes n'ait pas assez considéré ce qu'il veut dire par ces mots, ont plus de réalité. La réalité reçoit-elle le plus et le moins? Ou, s'il pense qu'une chose soit plus chose qu'une autre, qu'il considère comment il est possible que cela puisse être rendu clair à l'esprit, et expliqué avec toute la clarté et l'évidence qui est requise en une démonstration, et avec laquelle il a plusieurs fois traité d'autres matières.



RÉPONSE.

J'ai plusieurs fois dit que j'appelois du nom d'idée cela même que la raison nous fait connoître, comme aussi toutes les autres choses que nous concevons, de quelque façon que nous les concevions. Et j'ai suffisamment expliqué comment la réalité reçoit le plus et le moins, en disant que la substance est quelque chose de plus que le mode, et que s'il y a des qualités réelles ou des substances incomplètes, elles sont aussi quelque chose de plus que les modes, mais quelque chose de moins que les substances complètes; et enfin que s'il y a une substance infinie et indépendante, cette substance a plus d'être ou plus de réalité que la substance finie et dépendante: ce qui est île soi si manifeste qu'il n'est pas besoin d'y apporter une plus ample explication.



OBJECTION Xe.

SUR LA TROISIÈME MÉDITATION.

64«Partant, il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut considérer s'il y a quelque chose qui n'ait pu venir de moi-même. Par le nom de Dieu, j'entends une substance infinie, indépendante, souverainement intelligente, souverainement puissante, et par laquelle non seulement moi, mais toutes les autres choses qui sont (s'il y en a d'autres qui existent) ont été créées: toutes lesquelles choses, à dire le vrai, sont telles, que plus j'y pense, et moins me semblent-elles pouvoir venir de moi seul. Et par conséquent il faut conclure de tout ce qui a été dit ci-devant, que Dieu existe nécessairement.»

Note 64: (retour) Voyez Méditation III.

Considérant les attributs de Dieu, afin que de là nous en ayons l'idée, et que nous voyions s'il y a quelque chose en elle qui n'ait pu venir de nous-mêmes, je trouve, si je ne me trompe, que ni les choses que nous concevons par le nom de Dieu ne viennent point de nous, ni qu'il n'est pas nécessaire qu'elles viennent d'ailleurs que des objets extérieurs. Car, par le nom de Dieu, j'entends une substance, c'est-à-dire j'entends que Dieu existe (non point par une idée, mais par raisonnement): infinie, c'est-à-dire que je ne puis concevoir ni imaginer ses termes ou ses dernières parties, que je n'en puisse encore imaginer d'autres au-delà; d'où il suit que le nom d'infini ne nous fournit pas l'idée de l'infinité divine, mais bien celle de mes propres termes et limites: indépendante, c'est-à-dire je ne conçois point de cause de laquelle Dieu puisse venir; d'où il paroît que je n'ai point d'autre idée qui réponde à ce nom d'indépendant, sinon la mémoire de mes propres idées, qui ont toutes leur commencement en divers temps, et qui par conséquent sont dépendantes.

C'est pourquoi, dire que Dieu est indépendant, ce n'est rien dire autre chose, sinon que Dieu est du nombre des choses dont je ne puis imaginer l'origine; tout ainsi que dire que Dieu est infini, c'est de-même que si nous disions qu'il est du nombre des choses dont nous ne concevons point les limites. Et ainsi toute cette idée de Dieu est réfutée; car quelle est cette idée qui est sans fin et sans origine?

Souverainement intelligente. Je demande aussi par quelle idée M. Descartes conçoit l'intellection de Dieu.

Souverainement puissante. Je demande aussi par quelle idée sa puissance, qui regarde les choses futures, c'est-à-dire non existantes, est entendue. Certes, pour moi, je conçois la puissance par l'image ou la mémoire des choses passées, en raisonnant de cette sorte: Il a fait ainsi, donc il a pu faire ainsi; donc, tant qu'il sera, il pourra encore, faire ainsi, c'est-à-dire il en a la puissance. Or toutes ces choses sont des idées qui peuvent venir des objets extérieurs.

Créateur de toutes les choses qui sont au monde. Je puis former quelque image de la création par le moyen des choses que j'ai vues, par exemple de ce que j'ai vu un homme naissant, et qui est parvenu, d'une petitesse presque inconcevable, à la forme et à la grandeur qu'il a maintenant; et personne à mon avis n'a d'autre idée à ce nom de créateur mais il ne suffît pas, pour prouver la création du monde, que nous puissions imaginer le monde créé. C'est pourquoi, encore qu'on eût démontré qu'un être infini, indépendant, tout-puissant, etc., existe, il ne s'ensuit pas néanmoins qu'un créateur existe, si ce n'est que quelqu'un pense qu'on infère fort bien de ce qu'un certain être existe, lequel nous croyons avoir créé toutes les autres choses, que pour cela le monde a autrefois été créé par lui.

De plus, où M. Descartes dit que l'idée de Dieu et de notre âme est née et résidante en nous, je voudrais bien savoir si les âmes de ceux-là pensent qui dorment profondément et sans aucune rêverie: si elles ne pensent point, elles n'ont alors aucunes idées; et partant il n'y a point d'idée qui soit née et résidante en nous, car ce qui est né et résidant en nous est toujours présent à notre pensée.



RÉPONSE.

Aucune chose de celles que nous attribuons à Dieu ne peut venir des objets extérieurs comme d'une cause exemplaire: car il n'y a rien en Dieu de semblable aux choses extérieures, c'est-à-dire aux choses corporelles. Or il est manifeste que tout ce que nous concevons être en Dieu de dissemblable aux choses extérieures ne peut venir en notre pensée par l'entremise de ces mêmes choses, mais seulement par celle de la cause de cette diversité, c'est-à-dire de Dieu.

Et je demande ici de quelle façon ce philosophe tire l'intellection de Dieu des choses extérieures: car pour moi j'explique aisément quelle est l'idée que j'en ai, en disant que par le mot d'idée j'entends la forme de toute perception; car qui est celui qui conçoit quelque chose qui ne s'en aperçoive, et partant qui n'ait cette forme ou cette idée de l'intellection, laquelle venant à étendre à l'infini il forme l'idée de l'intellection divine? Et ce que je dis de cette perfection se doit entendre de même de toutes les autres.

Mais, d'autant que je me suis servi de l'idée de Dieu qui est en nous pour démontrer son existence, et que dans cette idée une puissance si immense est contenue que nous concevons qu'il répugne, s'il est vrai que Dieu existe, que quelque autre chose que lui existe si elle n'a été créée par lui, il suit clairement de ce que son existence a été démontrée qu'il a été aussi démontré que tout ce monde, c'est-à-dire toutes les autres choses différentes de Dieu qui existent, ont été créées par lui.

Enfin, lorsque je dis que quelque idée est née avec nous, ou qu'elle est naturellement empreinte en nos âmes, je n'entends pas qu'elle se présente toujours à notre pensée, car ainsi il n'y en auroit aucune; mais j'entends seulement que nous avons en nous-mêmes la faculté de la produire.



OBJECTION XIe.

SUR LA TROISIÈME MÉDITATION.

65«Et toute la force de l'argument dont je me suis servi pour prouver l'existence de Dieu consiste en ce que je vois qu'il ne seroit pas possible que ma nature fût telle qu'elle est, c'est-à-dire que j'eusse en moi l'idée de Dieu, si Dieu n'existoit véritablement, à savoir ce même Dieu dont j'ai en moi l'idée.»

Note 65: (retour) Voyez Méditation III.

Donc, puisque ce n'est pas une chose démontrée que nous ayons en nous l'idée de Dieu, et que la religion chrétienne nous oblige de croire que Dieu est inconcevable, c'est-à-dire, selon mon opinion, qu'on n'en peut avoir d'idée, il s'ensuit que l'existence de Dieu n'a point été démontrée, et beaucoup moins la création.



RÉPONSE.

Lorsque Dieu est dit inconcevable, cela s'entend d'une conception qui le comprenne totalement et parfaitement. Au reste, j'ai déjà tant de fois expliqué comment nous avons en nous l'idée de Dieu, que je ne le puis encore ici répéter sans ennuyer les lecteurs.



OBJECTION XIIe.

SUR LA QUATRIÈME MÉDITATION.

DU VRAI ET DU FAUX.

66«Et ainsi je connois que l'erreur, en tant que telle, n'est pas quelque chose de réel qui dépende de Dieu, mais que c'est seulement un défaut; et partant que pour faillir je n'ai pas besoin de quelque faculté qui m'ait été donnée de Dieu particulièrement pour cet effet.»

Note 66: (retour) Voyez Méditation IV.

Il est certain que l'ignorance est seulement un défaut, et qu'il n'est pas besoin d'aucune faculté positive pour ignorer; mais, quant à l'erreur, la chose n'est pas si manifeste: car il semble que si les pierres et les autres choses inanimées ne peuvent errer, c'est seulement parce qu'elles n'ont pas la faculté de raisonner ni d'imaginer; et partant il faut conclure que pour errer il est besoin d'un entendement, ou du moins d'une imagination, qui sont des facultés toutes deux positives, accordée à tous ceux qui se trompent, mais aussi à eux seuls.

Outre cela, M. Descartes ajoute: «J'aperçois que mes erreurs dépendent du concours de deux causes, à savoir de la faculté de connoître qui est en moi, et de la faculté d'élire ou bien de mon libre arbitre.» Ce qui me semble avoir de la contradiction avec les choses qui ont été dites auparavant. Où il faut aussi remarquer que la liberté du franc arbitre est supposée sans être prouvée, quoique cette supposition soit contraire à l'opinion des calvinistes.



RÉPONSE.

Encore que pour faillir il soit besoin de la faculté de raisonner, ou pour mieux dire de juger, c'est-à-dire d'affirmer et de nier, d'autant que c'en est le défaut, il ne s'ensuit pas pour cela que ce défaut soit réel, non plus que l'aveuglement n'est pas appelé réel, quoique les pierres ne soient pas dites aveugles pour cela seulement qu'elles ne sont pas capables de voir. Et je suis étonné de n'avoir encore pu rencontrer dans toutes ces objections aucune conséquence qui me semblât être bien déduite de ses principes.

Je n'ai rien supposé ou avancé touchant la liberté que ce que nous ressentons tous les jours en nous-mêmes, et qui est très connu par la lumière naturelle: et je ne puis comprendre pourquoi il est dit ici que cela répugne ou a de la contradiction avec ce qui a été dit auparavant.

Mais encore que peut-être il y en ait plusieurs qui, lorsqu'ils considèrent la préordination de Dieu, ne peuvent comprendre comment notre liberté peut subsister et s'accorder avec elle, il n'y a néanmoins personne qui, se regardant soi-même, ne ressente et n'expérimente que la volonté et la liberté ne sont qu'une même chose, ou plutôt qu'il n'y a point de différence entre ce qui est volontaire et ce qui est libre. Et ce n'est pas ici le lieu d'examiner quelle est en cela l'opinion des calvinistes.



OBJECTION XIIIe.

SUR LA QUATRIÈME MÉDITATION.

67 «Par exemple, examinant ces jours passés si quelque chose existoit véritablement dans le monde, et prenant garde que de cela seul que j'examinois cette question il suivoit très évidemment que j'existois moi-même, je ne pouvois pas m'empêcher de juger qu'une chose que je concevois si clairement étoit vraie; non que je m'y trouvasse forcé par une cause extérieure, mais seulement parce que d'une grande clarté qui étoit en mon entendement a suivi une grande inclination en ma volonté, et ainsi je me suis porté à croire avec d'autant plus de liberté que je me suis trouvé avec moins d'indifférence.»

Note 67: (retour) Voyez Méditation IV.

Cette façon de parler, une grande clarté dans l'entendement, est métaphorique, et partant n'est pas propre à entrer dans un argument: or celui qui n'a aucun doute prétend avoir une semblable clarté, et sa volonté n'a pas une moindre inclination pour affirmer ce dont il n'a aucun doute que celui qui a une parfaite science. Cette clarté peut donc bien être la cause pourquoi quelqu'un aura et défendra avec opiniâtreté quelque opinion, mais elle ne lui sauroit faire connoître avec certitude qu'elle est vraie.

De plus, non seulement savoir qu'une chose est vraie, mais aussi la croire ou lui donner son aveu et consentement, ce sont choses qui ne dépendent point de la volonté; car les choses qui nous sont prouvées par de bons arguments ou racontées comme croyables, soit que nous le voulions ou non, nous sommes contraints de les croire. Il est bien vrai qu'affirmer ou nier, soutenir ou réfuter des propositions, ce sont des actes de la volonté; mais il ne s'ensuit pas que le consentement et l'aveu intérieur dépendent de la volonté.

Et partant, la conclusion qui suit n'est pas suffisamment démontrée: «Et c'est dans ce mauvais usage de notre liberté que consiste cette privation qui constitue la forme de l'erreur.»



RÉPONSE.

Il importe peu que cette façon de parler, une grande clarté, soit propre ou non à entrer dans un argument, pourvu qu'elle soit propre pour expliquer nettement notre pensée, comme elle l'est en effet. Car il n'y a personne qui ne sache que par ce mot, une clarté dans l'entendement, on entend une clarté ou perspicuité de connoissance, que tous ceux-là n'ont peut-être pas qui pensent l'avoir; mais cela n'empêche pas qu'elle ne diffère beaucoup d'une opinion obstinée qui été conçue sans une évidente perception.

Or, quand il est dit ici que, soit que nous voulions ou que nous ne voulions pas, nous donnons notre créance aux choses que nous concevons clairement, c'est de même que si on disoit que, soit que nous voulions ou que nous ne voulions pas, nous voulons et désirons les choses bonnes quand elles nous sont clairement connues: car cette façon de parler, soit que nous ne voulions pas, n'a point de lien en telles occasions, parce qu'il y a de la contradiction à vouloir et ne vouloir pas une même chose.



OBJECTION XIVe.

SUR LA CINQUIÈME MÉDITATION.
DE L'ESSENCE DES CHOSES CORPORELLES.

68«Comme, par exemple, lorsque j'imagine un triangle, encore qu'il n'y ait peut-être en aucun lieu du monde hors de ma pensée une telle figure, et qu'il n'y en ait jamais eu, il ne laisse pas néanmoins d'y avoir une certaine nature, ou forme, ou essence déterminée de cette figure, laquelle est immuable et éternelle, que je n'ai point inventée, et qui ne dépend en aucune façon de mon esprit, comme il paroît de ce que l'on peut démontrer diverses propriétés de ce triangle.»

Note 68: (retour) Voyez Méditation V.

S'il n'y a point de triangle en aucun lieu du monde, je ne puis comprendre comment il a une nature, car ce qui n'est nulle part n'est point du tout, et n'a donc point aussi d'être ou de nature. L'idée que notre esprit conçoit du triangle vient d'un autre triangle que nous avons vu ou inventé sur les choses que nous avons vues; mais depuis qu'une fois nous avons appelé du nom de triangle la chose d'où nous pensons que l'idée du triangle tire son origine, encore que cette chose périsse, le nom demeure toujours. De même, si nous avons une fois conçu par la pensée que tous les angles d'un triangle pris ensemble sont égaux à deux droits, et que nous ayons donné cet autre nom au triangle, qu'il est une chose qui a trois angles égaux à deux droits, quand il n'y auroit au monde aucun triangle, le nom néanmoins ne laisseroit pas de demeurer. Et ainsi la vérité de cette proposition sera éternelle, que le triangle est une chose qui a trois angles égaux à deux droits; mais la nature du triangle ne sera pas pour cela éternelle, car s'il arrivoit par hasard que tout triangle généralement périt, elle cesseroit aussi d'être.

De même cette proposition, l'homme est un animal, sera vraie éternellement à cause des noms; mais, supposé que le genre humain fut anéanti, il n'y auroit plus de nature humaine.

D'où il est évident que l'essence, en tant qu'elle est distinguée de l'existence, n'est rien autre chose qu'un assemblage de noms par le verbe est; et partant l'essence sans l'existence est une fiction de notre esprit: et il semble que comme l'image d'un homme qui est dans l'esprit est à cet homme, ainsi l'essence est à l'existence; ou bien comme cette proposition, Socrate est homme, est à celle-ci, Socrate est ou existe, ainsi l'essence de Socrate est à l'existence du même Socrate: or ceci, Socrate est homme, quand Socrate n'existe point, ne signifie autre chose qu'un assemblage de noms, et ce mot est ou être a sous soi l'image de l'unité d'une chose qui est désignée par deux noms.



RÉPONSE

La distinction qui est entre l'essence et l'existence est connue de tout le monde; et ce qui est dit ici des noms éternels, au lieu des concepts ou des idées d'une éternelle vérité, a déjà été ci-devant assez réfuté et rejeté.



OBJECTION XVe.

SUR LA SIXIÈME MÉDITATION.

DE L'EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES.

69«Car Dieu ne m'ayant donné aucune faculté pour connoître que cela soit (à savoir que Dieu, par lui-même ou par l'entremise de quelque créature plus noble que le corps, m'envoie les idées du corps), mais au contraire, m'ayant donné une grande inclination à croire qu'elles me sont envoyées ou qu'elles partent des choses corporelles, je ne vois pas comment on pourroit l'excuser de tromperie, si en effet ces idées partoient d'ailleurs ou m'étoient envoyées par d'autres causes que par des choses corporelles; et partant il faut avouer qu'il y a des choses corporelles qui existent.»

Note 69: (retour) Voyez Méditation VI.

C'est la commune opinion que les médecins ne pèchent point qui déçoivent les malades pour leur propre santé, ni les pères qui trompent leurs enfants pour leur propre bien; et que le mal de la tromperie ne consiste pas dans la fausseté des paroles, mais dans la malice de celui qui trompe. Que M. Descartes prenne donc garde si cette proposition, Dieu ne nous peut jamais tromper, prise universellement, est vraie; car si elle n'est pas vraie, ainsi universellement prise, cette conclusion n'est pas bonne, donc il y a des choses corporelles qui existent.



RÉPONSE.

Pour la vérité de cette conclusion il n'est pas nécessaire que nous ne puissions jamais être trompés, car au contraire j'ai avoué franchement que nous le sommes souvent; mais seulement que nous ne le soyons point quand notre erreur feroit paroître en Dieu une volonté de décevoir, laquelle ne peut être en lui: et il y a encore ici une conséquence qui ne me semble pas être bien déduite de ses principes.



OBJECTION XVIe.

SUR LA SIXIÈME MÉDITATION.

70«Car je reconnois maintenant qu'il y a entre l'une et l'autre (savoir entre la veille et le sommeil) une très notable différence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns aux autres et avec toute la suite de notre vie, ainsi qu'elle a de coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés.»

Note 70: (retour) Voyez Méditation VI.

Je demande si c'est une chose certaine qu'une personne, songeant qu'elle doute si elle songe ou non, ne puisse songer que son songe est joint et lié avec les idées d'une longue suite de choses passées. Si elle le peut, les choses qui semblent ainsi à celui qui dort être les actions de sa vie passée peuvent être tenues pour vraies, tout de même que s'il étoit éveillé. De plus, d'autant, comme il dit lui-même, que toute la certitude de la science et toute sa vérité dépend de la seule connoissance du vrai Dieu, ou bien un athée ne peut pas reconnoître qu'il veille par la mémoire des actions de sa vie passée, ou bien une personne peut savoir qu'elle veille sans la connoissance du vrai Dieu.



RÉPONSE.

Celui qui dort et songe ne peut pas joindre et assembler parfaitement et avec vérité ses rêveries avec les idées des choses passées, encore qu'il puisse songer qu'il les assemble. Car qui est-ce qui nie que celui qui dort se puisse tromper? Mais après, étant éveillé, il connoîtra facilement son erreur.

Et un athée peut reconnoître qu'il veille par la mémoire des actions de sa vie passée; mais il ne peut pas savoir que ce signe est suffisant pour le rendre certain qu'il ne se trompe point, s'il ne sait qu'il a été créé de Dieu, et que Dieu ne peut être trompeur.


FIN DU TOME PREMIER.



TABLE

DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME PREMIER.

ÉLOGE DE DESCARTES

NOTES

DISCOURS DE LA MÉTHODE

MÉDITATIONS MÉTAPHYSIQUES

ÉPÎTRE

PRÉFACE

ABRÉGÉ DES SIX MÉDITATIONS

MÉDITATION PREMIÈRE

MÉDITATION DEUXIÈME

MÉDITATION TROISIÈME

MÉDITATION QUATRIÈME

MÉDITATION CINQUIÈME

MÉDITATION SIXIÈME

OBJECTIONS ET RÉPONSES

PREMIÈRES OBJECTIONS, FAITES PAR M. CATÊRUS

RÉPONSES

SECONDES OBJECTIONS, RECUEILLIES PAR LE P. MERSENNE.

RÉPONSES

TROISIÈMES OBJECTIONS, FAITES PAR M. HOBBES, ET RÉPONSES.







End of Project Gutenberg's Discours de la méthode, by René Descartes

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DISCOURS DE LA MÉTHODE ***

***** This file should be named 13846-h.htm or 13846-h.zip *****
This and all associated files of various formats will be found in:
http://www.gutenberg.net/1/3/8/4/13846/

Produced by Miranda van de Heijning, Renald Levesque and the Online
Distributed Proofreading Team. This file was produced from images
generously made available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica)


Updated editions will replace the previous one--the old editions
will be renamed.

Creating the works from public domain print editions means that no
one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
(and you!) can copy and distribute it in the United States without
permission and without paying copyright royalties. Special rules,
set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
such as creation of derivative works, reports, performances and
research. They may be modified and printed and given away--you may do
practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
subject to the trademark license, especially commercial
redistribution.



*** START: FULL LICENSE ***

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
Gutenberg-tm License (available with this file or online at
http://gutenberg.net/license).


Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States. If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed. Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
a constant state of change. If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.net

1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges. If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.net),
you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
has agreed to donate royalties under this paragraph to the
Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
must be paid within 60 days following each date on which you
prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
address specified in Section 4, "Information about donations to
the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
License. You must require such a user to return or
destroy all copies of the works possessed in a physical medium
and discontinue all use of and all access to other copies of
Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
electronic work is discovered and reported to you within 90 days
of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free
distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation. The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund. If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations. Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
Dr. Gregory B. Newby
Chief Executive and Director
gbnewby@pglaf.org

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

http://www.gutenberg.net

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

*** END: FULL LICENSE ***