Qui ? Qui est-ce ? Qui est-il ?... Depuis l'instant où il a fait son apparition, ils n'ont cessé de l'examiner impatiemment, de le scruter... Approchons-le de la lumière, retournons-le sur toutes ses faces... les indices sont encore faibles, peu de chose encore à se mettre sous la dent, mais il faut bien pour le moment s'en contenter : ce front haut, un front de penseur, cette bouche où se dessine déjà de la fermeté, ce menton... N'y a-t-il pas dans ce menton ?... Non, vous verrez, c'est un menton qui va, en se développant, montrer de la volonté, de la virilité, car pour être viril, ah, il n'y a pas à dire, c'est un vrai garçon, et avec ça, voyez ces longs cils, c'est même dommage, quel gâchis, quand tant de filles... et ses mains... vous avez remarqué ses longs doigts effilés de pianiste... Oui, vous pouvez le dire, c'est une grande chance, c'est un don du Ciel, c'est un vrai trésor.
Et lui aveugle, lui sourd, lui inconscient, tout comme ce jour-là, quand ils le laveront, l'habilleront, le coucheront sur le dos, lui croiseront les mains sur la poitrine, l'entoureront de fleurs, contempleront son haut front d'où les rides se sont effacées... Regardez comme il a l'air jeune, ses lèvres bien dessinées, son menton volontaire, ses paupières fermées bordées de longs cils... Vraiment il n'a jamais été plus beau.
Mais pourquoi remonter si haut, pourquoi descendre si bas, pourquoi se porter à de telles extrémités ?... D'un bout à l'autre du parcours ne cessent de glisser sur lui leurs regards, ne cesse autour de lui cette inaudible rumeur.
On dirait que circule entre eux un mot d'ordre tacite, qu'ils ont passé entre eux un accord pour lui donner la sensation de ne pas être vu, de ne pas rester dans leur mémoire, de ne pas animer leurs conversations, de ne jamais apparaître dans leurs rêves, dans leurs cauchemars, si bien qu'il a le plus souvent la rassurante impression de circuler parmi eux comme ce personnage de conte de fées coiffé du bonnet qui rend invisible.
Et tout à coup ces réveils brutaux... Que s'est-il passé ? Son bonnet protecteur a été arraché... Le voici exposé... il écarquille les yeux...
Qu'est-ce que c'est que ça ? mais ce n'est pas moi... — Allons donc, vous ne vous reconnaissez pas ? — Si, si, bien sûr... Je retrouve mes traits, je les ai vus reflétés dans des glaces, fixés sur des pellicules, mais jamais je n'ai vu... je n'ai jamais imaginé... Avouez que ce n'est pas ressemblant... — Pas ressemblant ? Mais au contraire, il y a peu de photos de vous qui aient comme cet instantané saisi... — Saisi ça ? — Quoi ça ? — Ce retroussement de la lèvre, ce regard de côté... Vous ne trouvez pas que j'ai là-dessus un air... — Quel air ? — Mais je ne sais pas... un air cruel, sournois...
Il scrute anxieusement leurs visages... rien dans leurs yeux, dans leurs sourires amusés, un peu narquois... rien, pas une nuance, pas la plus faible trace de méfiance, de répulsion... est-il possible qu'ils ne voient pas ?... Ou peut-être sont-ils si habitués à lui voir cette expression... Mais alors pourquoi, comment se fait-il que je ne vous fasse pas peur ? Vous ne trouvez pas que j'ai là-dessus un air sinistre ? Un visage de forban ?
Ils rentrent la tête dans les épaules, ils frissonnent très fort, ils rient... — Ah c'est vrai, je l'ai toujours pensé, il n'y a qu'à le regarder, pas besoin de photos, il me fait peur, il n'y a qu'à le voir, vous ne trouvez pas que c'est quelqu'un qu'on n'aimerait pas rencontrer au coin d'un bois ?... Et puis ils l'observent d'un air sérieux, un peu inquiet, surpris... a-t-on oublié combien il est sensible, il ne comprend pas la plus innocente plaisanterie... Ah il est bien toujours le même, toujours à vouloir se diminuer... à se faire du mal... Il voudrait, hein ? qu'on le remonte ? qu'on lui fasse des compliments...
Il sent s'étendre sur son visage un sourire d'enfant... ils l'aiment, c'est certain, ils sont ses amis, ils le connaissent, ils savent bien qu'il est franc comme l'or, qu'il est bon comme le pain, qu'il ne ferait pas de mal à une mouche... Il hoche la tête, il leur sourit, il soupire doucement... — Dieu, que vous êtes bêtes...
De leurs lèvres à peine entrouvertes c'est sorti... un murmure, un à peine perceptible chuchotement... — Son menton s'allonge, oui, j'en ai peur, il aura un menton en galoche... — Ah, comme l'oncle François... et ils se sont tus... Un regard, un signe échangé entre eux a dû les mettre en garde, les inciter à la prudence... Ils l'ont enveloppé de nouveau de silence, ils l'ont coiffé de nouveau du bonnet magique qui lui donne la sensation de ne pas être vu, comme si à la place de son corps, de son visage, il y avait un vide que leurs regards traversent, où rien ne les arrête... rien venant de lui n'atteint, ne trouble la surface calme, opaque de leurs yeux.
« Son »... Ils regardent, ils observent, placés à bonne distance, une forme qu'il ne peut pas voir, où il est enfermé, enserré, circonscrit, délimité, séparé, désigné par ce mot qu'ils appliquent sur lui : son.
De ce qu'ils voient quelque chose s'est détaché, quelque chose de dur, de percutant, un météorite qui a atterri en eux, s'est enfoncé, produisant ce crépitement, ce sifflement... « Son menton s'allonge... Un menton en galoche... »
Sur cette tête dont il est affublé maintenant, sur ce visage qu'il a et qui s'étale, comme leurs visages, sous tous les yeux, ça s'avance, ça s'allonge, un menton auquel le mot « galoche » est venu se coller... galoche, valoche, oche... la terminaison répugnante, molle, vautrée, adhère, leste, pèse, gonfle, étire, tire toujours plus bas, et à l'aide du g... galoche... relève hideusement le bout enflé... Impossible de l'arrêter, de le comprimer, ça pousse, ça va grossir toujours plus fort... un lourd appendice charnu... Autour de cela, comme autour de la pièce d'un puzzle, d'autres pièces se groupent, dans cela d'autres pièces viennent s'encastrer... ça s'insère entre les bouts cassés d'un faux col empesé... ça pend, ça recouvre presque en entier le nœud tout fait de la cravate, et c'est surmonté de ce visage qu'il n'a jamais pu regarder sans avoir envie de se détourner, de cette face légèrement grêlée, humide, d'un rose violacé, sur laquelle suinte toujours, s'étale une satisfaction, un contentement offensant, répugnant... Le grand corps un peu voûté est vêtu d'un costume noir... la main velue, les doigts aux ongles plats coupés droit, furètent, frôlent, caressent sa joue, son cou...
Insoutenable, impossible... Ça ne peut pas m'arriver, pas à moi, n'est-ce pas ? Ce n'est pas vrai... Dis-moi, est-ce vrai, ce que j'ai entendu ? Ils l'ont chuchoté, et puis ils se sont retenus... — Qu'a-t-il entendu, mon petit fou ? Quoi donc, dis-moi... Il cache son visage dans les plis de sa jupe... — Oh quelque chose d'horrible... Je serai hideux... J'aurai, je les ai entendus, tu sais quoi ?... — Mais comment veux-tu que je le sache, mon petit enfant ?... — J'aurai un menton en galoche... les syllabes s'étirent d'elles-mêmes, donnent au mot une hideuse intonation... Oui, en galoooche... Tu sais à qui je vais ressembler ? À l'oncle François... Elle lui relève la tête, elle la serre entre ses mains, elle tient enclos dans son regard tout son visage... — Tu sais que tu es fou, mon chéri... D'abord l'oncle François est très gentil... Il n'est pas beau, le pauvre, c'est vrai, mais tu ne lui ressembles pas... — Mais j'aurai son menton... J'aurai... — Mais où as-tu été chercher ça ? Tu n'as pas pu l'entendre, tu t'es sûrement fait des idées... Je ne devrais pas te le dire, ce ne sont pas des choses qu'on dit à un enfant... Mais tu es plutôt joli, mon petit lapin, je t'assure, tout le monde me le dit... Tu as plutôt de beaux traits bien réguliers... — Réguliers ? Réguliers ? Vraiment ?... Ré-gu-liers... chaque syllabe, nette, brève, légère, aucune plus lourde que les autres, ne peut tirer, traîner... cela frappe discrètement, juste des petits coups légers, et s'arrête... ré-gu-liers. Rien de mou, de vautré, de charnu, de pendant, rien qui enfle, épaissit... Rien qui dépasse, qui tire l'œil, par quoi il puisse être accroché et amené à s'étaler tout entier, comme cela arrive aux autres, sous tous les yeux. Mais chez lui tout est régulier. En règle. En ordre. Conforme aux exigences. Aux lois. Il n'y a rien à redire. Rien à en dire.
Regardez si vous voulez. Mais vous ne verrez rien qui puisse vous intéresser, les douaniers les plus méticuleux ne pourront rien découvrir qui ne soit autorisé, rien qui empêche de passer tranquillement l'octroi.
Son nom. Il l'a perçu distinctement. Son nom, comme un déclic derrière son dos, suivi d'une décharge de petits plombs : « Pas intelligent ? Vraiment ? Tu crois ?... — J'en suis sûr. Doué, c'est certain, mais pas intelligent. — Oui, peut-être, au fond... Il s'arrête, il flageole, la tête lui tourne, il va perdre connaissance, s'affaler... et eux le rattrapent... — Ah, enfin il nous attend... Lâcheur, va, grand rêveur. C'est qu'on a du mal à te suivre, tu cours devant nous comme un lièvre...
Sur le moment aucune douleur, juste cette faiblesse et une sensation inconnue, étrange, c'est elle que doivent éprouver ceux qui gisent, la moelle épinière blessée, quand ils veulent se relever et s'aperçoivent que leurs réflexes habituels ne jouent plus, que leurs jambes sont paralysées... un point vital en eux a dû être atteint.
Le centre. Le lieu secret où se trouvait l'état-major et d'où lui, chef suprême, les cartes étalées sous ses yeux, examinant la configuration du terrain, écoutant les rapports, prenant des décisions, dirigeait les opérations, une bombe l'a soufflé... il est projeté à terre, ses insignes arrachés, il est secoué, contraint à se relever et à marcher, poussé à coups de crosse, à coups de pied dans le troupeau grisâtre des captifs, tous portant la même tenue, classés dans la même catégorie : les imbéciles.
Impossible de se défendre, de contre-attaquer : il n'a plus d'arme. Impossible de s'évader, il n'y a pas où se réfugier, où qu'il aille il sera repris.
Et ça a commencé... c'est comme un dédoublement... Une part de lui-même par un effort pour survivre se détachant, se séparant, se traînant vers eux... essayant de se hisser à leur hauteur, de regarder à travers leurs jumelles, d'accommoder... Oui, je vois, je vois très bien... ce sont des dons. Je suis assez doué... Mais pour ce qui est... oui, vous avez raison. Ce n'est pas ce qu'on peut appeler de l'intelligence... Non... mais pourtant on ne peut pas me confondre avec les autres, ceux dont on dit... — Mais écoutez-le, c'est vraiment un cas curieux... Il reconnaît lui-même... C'est intéressant, ça mérite d'être examiné de plus près... — Ah, vous voyez, mon cas n'est pas désespéré... Je pourrais peut-être obtenir une révision... peut-être une réhabilitation ? — Mais voyons, comment voulez-vous ? Le malheureux essaie de nous tromper. Il répète comme un perroquet ce que nous disons. — Non, ce n'est pas juste, j'ai pris du recul depuis ce moment où j'ai appris... C'était un choc. Une révélation. Mais depuis... — Quoi depuis ? — Depuis, dès que je pense, quand je me permets de juger... je me dis : ce ne doit pas être ça. Je me dis : ça ne tient pas... courte vue, faiblesse du jugement... Forcément, puisque je ne suis pas intelligent. Il y a donc là, reconnaissez-le, une parcelle de moi sauvée, un peu de tissu vivant préservé, qu'il sera peut-être possible de cultiver, de développer, et avec quoi j'arriverai à expulser le reste... — C'est vraiment touchant... C'est rare, cette modestie, cette lucidité... Cette lucidité ? Tu commences, toi aussi, à m'inquiéter... Comment veux-tu que ce soit possible ? Bien sûr, aidé, poussé, soutenu par nous, soumis à nous, terrorisé, il parvient peut-être, sans savoir pourquoi, à force de répéter sans comprendre « je ne suis pas intelligent », à se persuader, à se méfier...
Ça apparaît, là, au-dehors... et puis là, et encore là... comme des petites lumières, des feux qui s'allument sur l'immense masse sombre... De l'un à l'autre une ligne court... s'estompe... revient... une forme encore vague se dessine... la voici qui ressort plus fort... — Que fais-tu ? — Qui ?... — Mais toi. — Moi ? Ah oui, je n'y étais plus... — En effet, tu t'oubliais... Reviens à toi... Tu sais ce que tu étais en train de faire là ? Tu sais comment on appelle ça ? — Je regardais... vous voyez... là et là... comme des points lumineux... et de l'un à l'autre... — Oui, c'est bien ce que nous te disions : tu pensais, figure-toi. Tu suivais ton idée, c'est ainsi qu'on nomme ça. Elle te plaisait, n'est-ce pas ? Tu l'admirais ? Allons, ne le nie pas, tu paraissais fasciné, tout béat... — C'est-à-dire qu'il m'avait semblé... — Bien sûr, c'est cruel d'insister... dans ce monde étriqué, aplati, où il est enfermé... au royaume des aveugles... une petite idée, juste à sa mesure... chacun trouve chaussure à son pied... son pauvre pied mal formé... Son petit cerveau d'où les idées sortent toujours désarmées... Son cerveau qui ne peut mettre au monde que des idées mort-nées, nourries de son sang, son lourd sang vicié...
Ne plus la voir... Aussitôt qu'elle se montre s'en détourner... empêcher que la pauvre chose débile se forme...
— À quoi penses-tu ? — À rien. — Si tu te voyais... Tu es là, tout rencogné... Je te trouve depuis quelque temps un air bizarre. Tu as l'air absent, un peu hagard... Qu'est-ce que tu as ? —Écoute, puisque tu m'en parles... Je voudrais te demander... Mais non, c'est complètement ridicule, je suis idiot... — Ah ça, c'est sûr. Mais encore, qu'est-ce que c'est ? — Eh bien voilà... Je voudrais que tu me dises franchement... Non, c'est trop bête... — Vas-y tout de même, qu'est-ce qu'il y a ? — Eh bien, tu vas te moquer de moi, mais depuis quelque temps, j'ai l'impression... dès que je pense... — Tu penses ?... Bon sourire qui écarte les bajoues... Tu penses ? Tu m'en diras tant... — Ne te moque pas de moi... C'est grave, plus grave que tu ne crois... Dès que je pense... — Excuse mon indiscrétion, dès que tu penses à quoi ? — Justement, peu importe... à n'importe quoi... Il suffit qu'il me vienne une idée... — Une idée, mais bravo ! C'est Einstein, je crois, qui a dit : Vous savez, c'est si rare, les idées... — Oh arrête, je t'en prie... — Bon, bon, je serai sérieux... Alors il te vient... et qu'elle soit la bienvenue, tu me permets quand même de dire ça ?... il te vient une idée... Mais ne prends pas cet air désolé... — Oui, elle me vient, elle m'amuse, elle me plaît... — Toujours modeste... — Oui, très modeste. Moi je ne compte pas... il n'y a qu'elle... c'est d'elle seule que je m'occupe, je m'oublie complètement... enfin, tu sais bien... — Bon et alors ? — Alors tout à coup je suis comme tiré... je fais ce qui s'appelle un retour sur moi-même. Je reviens à moi... Et moi... moi... je n'y avais jamais pris garde avant... Moi je ne suis pas intelligent... Alors elle aussi, forcément... et tout autour de moi... tout est contaminé, tu comprends... — Il y a longtemps que ça t'a pris ? — Oh, quelque temps... — Mais pourquoi tout à coup ? D'où t'est venue cette idée ? — Laquelle ? — Eh bien celle-là, que tu n'es pas intelligent. — Oh elle, justement, n'est pas venue de moi... ç'aurait été plutôt, rassurant... puisque moi tout ce que je pense est frappé de nullité... Impossible de m'en sortir, je suis enfermé... Toi seul, tu peux... Toi, tu es dehors... je ne le demanderais à personne d'autre... — Petit tricheur, tu sais que je suis comme le hibou : mes petits sont mignons... Non, mais sans rire, il me semble, à en juger par les résultats... — Mais ça, tu sais, ce n'est pas une preuve... J'ai quelques dons... Moi je te parle d'intelligence. Doué, c'est vrai, ils l'ont reconnu, mais pas intelligent... Je les ai entendus... — Qui « ils » ? Mais tu m'inquiètes... D'où venaient ces voix ? Qui a dit ça ?... — Non, n'aie pas peur, je ne suis pas encore fou, pas complètement, je déraille peut-être un peu parfois, mais pas à ce point-là... C'était réel. J'ai entendu de mes oreilles... quand je me promenais avec des copains... et ils me connaissent très bien... j'ai entendu mon nom... je marchais devant eux, ils croyaient que je ne pouvais pas les entendre... L'un d'eux a dit sans que les autres protestent... (juste : « Ah, tu crois ? Oui, peut-être bien, au fond... »), il a dit avec une telle conviction : « Il est doué, c'est vrai, mais pour ce qui est de l'intelligence, ça non, il n'est pas intelligent »... Alors, depuis, comprends-moi, je suis emprisonné, je tourne en rond sur moi-même... Par moments, une idée se présente... elle m'attire, m'aspire, je m'échappe vers elle au-dehors... et puis ça me reprend : « pas intelligent »... elle se recroqueville, tout autour de moi se rétrécit... c'est la réclusion perpétuelle, je suis enfermé à vie.
Il sent sur son épaule des tapotements. — Allons, allons, mon petit, ce sont des choses qui arrivent à ton âge... J'ai eu des crises de ce genre quand j'étais adolescent, tu verras, ça te passera... — Tu crois ? Alors ce n'est pas vrai ? Toi tu ne le penses pas ? — Je pense que tu te préoccupes trop de ce que tu es ou de ce que tu n'es pas. — Mais tu sais, c'est juste maintenant. Avant je n'y pensais jamais. Je n'étais rien, j'étais en dehors, au-delà ou en deçà, jusqu'à ce moment où ils se sont emparés de moi... Je suis maintenu pieds et poings liés... — Comment peux-tu ? A-t-on idée de se mettre dans de pareils états... hochant la tête, regardant devant soi, comme se parlant à lui-même... C'est tout de même insensé de se laisser impressionner à ce point par des petits imbéciles.
« Des petits imbéciles »... du tac au tac, répondre du tac au tac. Renvoyer la balle. Rendre à quelqu'un la monnaie de sa pièce. Renverser la vapeur. C'est ainsi qu'on nomme ça. C'est aussi ce qui s'appelle un retour de bâton. Bien d'autres expressions pourraient sans doute convenir à cette opération pratiquée avec succès dès l'école maternelle : « Puisque tu l'as dit, c'est toi-même »... Le coup ricoche, l'agresseur est frappé, match nul, on se sépare, apaisé, on s'éloigne l'un de l'autre, les mains dans les poches.
Voilà, le tour est joué, il suffisait d'y penser... Non, pas pour lui, pour lui y penser n'aurait pas suffi, il n'y avait d'ailleurs aucune chance qu'il y pense. Il a fallu que quelqu'un de bien plus fort ouvre sa cage, le soulève par la peau du cou, le sorte de là, et saisissant les vilains garnements les enferme à sa place... Regarde-les, n'aie plus peur, ils ne pourront plus te faire du mal. Ils sont pour toujours hors d'état de nuire... Mais tu dois absolument savoir te défendre. Il faut apprendre à les reconnaître, il faut les suivre à la trace. N'hésite jamais à les saisir dès qu'ils montrent le bout de l'oreille... Tu les vois ? Ce sont des imbéciles.