J’aurais aimé faire rimer

 

J’aurais tant aimé  faire rimer pour vous les mots

Comme Clément Marot:

« En m’ébattant, je fais rondeaux et rimes

Et en rimant bien souvent je m’enrime;

Bref, c’est pitié d’entre nous rimailleurs,

Car vous trouvez assez de rime ailleurs ».

 

J’aurais tant aimé faire rimer pour vous la passion

Comme Louise Labé :

« Je vis  et meurs, me  brûle et me noie ;

Ai chaud extrême en endurant froidure

La vie m’est et trop molle et trop dure

J’ai grands ennuis entremêlés de joie ».

 

J’aurais tant aimé faire rimer pour vous la tendresse

Comme Marceline Desbordes-Valmore :

« T'es ma fille ! T'es ma poule !
    T'es le petit coeur qui roule
    Tout à l'entour de mon cœur !
    T'es le p'tit Jésus d'ta mère ! ».

 

J’aurais tant aimé faire rimer pour l’humanité

Comme Victor Hugo :

« Tout est grand ; sombre ou vermeil,
   Tout feu qui brille est une âme.
   L'étoile vaut le soleil ;
   L'étincelle vaut la flamme ».

 

J’aurais tant aimé faire rimer pour vous la profondeur

Comme Charles Baudelaire :

« La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers ».

 

J’aurais tant aimé faire rimer pour vous le vertige

Comme Arthur Rimbaud :

« J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,

Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,

La circulation des sèves inouïes,

Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! ».

 

Oui, j’aurais tant aimé faire rimer pour vous les mots

Comme ces grands poètes de jadis et ceux d’aujourd’hui

Qui ont su à travers la musique de leurs sonorités

Exprimer l’essence profonde de leurs émotions

Et nous faire percevoir

des dimensions inconnues, incroyables, infinies

 

Mais je ne sais pas  comment m’y prendre

Je n’ai pas le temps d’apprendre

Je manque de talent

Peut-être aussi est-ce l’époque qui veut cela

On ne dit plus de poésie à haute voix

Quand on a dépassé dix ans.

 

Plutôt que de vous faire des vers de mirliton

Je prends mes mots

Tout simples, tout nus

Et je m’efforce d’aller puiser

Au plus profond de ma sincérité,

Pour pallier mon absence de virtuosité.