Absence d'observations dans cet isthme jusqu'à ces derniers temps.—Aspect général du pays qui entoure Panama.—Collines isolées ou en petits groupes se dressant sur une surface plane; cours d'eau multipliés; le Chagres et le Trinidad navigables.—Les voyageurs et les marchandises vont de Chagres à Gorgona ou à Cruces par le Rio Chagres, et de là se rendent à Panama à dos de mulet.—Cours d'eau sur le versant de l'Océan Pacifique: le Caïmito, le Rio Grande; leurs affluents: la Quebra Grande, le Farfan, le Bernardino.—Ce passage est fréquenté depuis longtemps; c'est par là que passa François Pizarre, quand il alla conquérir le Pérou.—Route pavée qui a existé de Cruces à Panama.—Négligence malhabile du gouvernement espagnol.—Bolivar fait étudier l'isthme par MM. Lloyd et Falmarc; opérations de ces ingénieurs; elles se réduisent à mesurer la hauteur d'un point de partage déterminé entre les deux océans et la différence de niveau entre les deux océans.—Il résulte de ces opérations que cette localité n'est pas plus défavorable que d'autres où l'on a fait passer un canal.—Études nouvelles par M. Morel au nom de la compagnie franco-grenadine; il indique un point de partage extrêmement déprimé; si bien qu'on pourrait ménager un véritable détroit artificiel.—Trajet de 75 kilomètres seulement entre Panama et Chagres.—Ces résultats surprenants, inouïs, sont démentis; néanmoins la localité demeure très favorable.—Reproches encourus par le gouvernement espagnol.—Le tracé proposé aujourd'hui l'avait été en 1528.—Réflexion au sujet des découvertes qui se perdent et se retrouvent.
Des débouchés du canal en mer.—Le port de Chagres est déjà passable.—Par une coupure qui communiquerait avec la baie de Limon on aurait un port excellent.—Du côté de Panama ce serait plus difficile; le port de la ville de Panama est à une certaine distance au large contre un groupe de trois îles.—Il faudrait creuser en mer et garantir par des jetées un chenal entre ce mouillage et la terre ferme.—Diverses manières de déboucher eu mer.
Rareté des travailleurs indigènes; on aurait besoin d'emmener des ouvriers d'Europe.—Précautions à prendre alors pour l'hygiène.—Emploi d'hommes disciplinés et dociles tels que les soldats du génie.
De la baie de Mandinga et d'un passage possible derrière la Boca del Toro.—Mines de charbon.
Au commencement du siècle, M. de Humboldt se plaignait de ce que, dans l'isthme de Panama, la hauteur de la Cordillère qui forme l'arête de partage fût aussi peu connue qu'elle pouvait l'être avant l'invention du baromètre et l'application de cet instrument à la mesure des montagnes. Il n'existait ni un nivellement de terrain, ni une détermination géographique bien exacte des positions de Panama et de Porto-Belo, quoique la couronne d'Espagne eût dépensé des sommes énormes pour fortifier ces deux places et en faire de grands établissements destinés à garder, comme de vigilantes sentinelles, chacun l'un des deux océans. De toutes parts, on disait que le canal de Panama serait une œuvre à illustrer un règne et un siècle, et pas un ingénieur n'y était envoyé pour en mesurer, même approximativement, les difficultés. D'intrépides navigateurs, Dampier et Wafer, étaient passés par là et y avaient fait un séjour; ils avaient observé comme le bourgeois de Londres ou de Paris le plus étranger à la science géodésique l'aurait pu faire. Tout ce qu'ils avaient rapporté de ces lieux, au sujet de la configuration du terrain, se réduisait à cette information vague, qu'à l'œil le pays ne paraissait pas hérissé de montagnes; que la chaîne centrale, dont les proportions ne dépassaient pas celles de collines, était morcelée, et qu'on y trouvait des vallées laissant un libre cours aux rivières, un facile passage aux chemins. Bouguer et La Condamine étaient restés trois mois dans l'isthme, ainsi que les astronomes espagnols don George Juan et Ulloa, leurs compagnons de labeurs. Ni les uns ni les autres n'avaient eu la curiosité de consulter leur baromètre pour apprendre au monde quelle était la hauteur du point le plus élevé sur la route qu'ils avaient suivie entre les deux océans.
L'aspect général du pays qui entoure Panama et s'étend par-derrière jusqu'à l'autre océan est celui d'une surface plane, de laquelle s'élèvent en grand nombre des collines isolées les unes des autres ou groupées en petits massifs, entre lesquels se déroulent, en se contournant, des vallées boisées et quelquefois des savanes ou prairies sans arbres. Les sommets ont rarement plus de 100 à 150 mètres au-dessus de leur base. Entre Chagres d'un côté et la baie de Chorrera, située sur le Pacifique, à 17 kilomètres à l'ouest de Panama, ils deviennent encore plus rares et moins élevés; sauf quelques pitons solitaires, on dirait un sol uni; c'est l'impression qu'il a laissée sur plusieurs navigateurs qui ont défilé sur ces côtes. Les cours d'eau sont multipliés; ceux du versant de l'Atlantique se réunissent et du nord et du midi pour former le Rio Chagres, qui débouche au port du même nom, et qui, dans la partie de son cours où la marée se fait sentir, et particulièrement jusqu'au confluent du Trinidad, présente une profondeur de 5 mètres et demi à 6 mètres 75 centimètres, et plus encore, suivant le rapport du commandant Garnier, de la marine française. Le cours général du Chagres figure un demi-cercle dont la corde est au nord. Il coule d'abord au sud-ouest, puis, se détournant insensiblement, il finit par se diriger vers le nord-ouest, et atteint ainsi l'Océan. Il est navigable, pour de grandes pirogues, depuis Cruces, qui est placé dans l'isthme aux trois cinquièmes de sa largeur, à partir de l'Atlantique, et en suivant les sinuosités du fleuve à 82 kilomètres du rivage. Son principal affluent, le Rio Trinidad, qu'il rencontre à 21 kilomètres de son embouchure, vient du midi et lui apporte beaucoup d'eau; le Trinidad est navigable lui-même assez avant. Depuis longtemps, le voyage entre les deux océans s'effectue d'abord au moyen de pirogues qui remontent les voyageurs et les objets de Chagres à Gorgona ou plus haut, de préférence, à Cruces, ensuite avec des mulets, sur le dos desquels hommes et marchandises franchissent l'intervalle de 25 à 30 kilomètres qui sépare Cruces ou Gorgona de Panama[59]. Sur le versant du Pacifique, les cours d'eau moins centralisés, si je puis ainsi dire, se rendent plus isolément à la mer. L'un d'eux, le Caïmito, qui se décharge dans la baie de Chorrera, et qu'on appelle Quebra Grande dans sa partie supérieure, a ses sources très voisines de celles du Trinidad. Un autre, le Rio Grande, qui se jette dans la baie de Panama, semble appelé aussi à jouer un rôle dans la communication des deux océans. Parmi ses affluents, on distingue le Farfan (ou Falfan), qui s'y verse par la droite, tout près du rivage.
Depuis longtemps, la facilité des communications d'un océan à l'autre par Panama avait été remarquée. À l'origine de la colonisation du Nouveau-Monde, ce fut une route fréquentée. C'est par là que passa François Pizarre, quand il revint d'Europe plein d'espoir, avec les encouragements du grand Cortez[60], à la tête d'une petite armée destinée à conquérir le Pérou, dont il avait vu les côtes en un premier voyage. Bien plus, si l'on s'en rapporte à la tradition, cet homme entreprenant fit construire une route pavée au travers de l'isthme, entre Cruces et Panama. Aujourd'hui et depuis longues années, cette route est défoncée, méconnaissable. Dans nos pays de l'Europe tempérée, c'est de l'herbe qui s'efforce de croître entre les pavés des chemins ou entre les assises des monuments: dans les climats voisins de l'équateur, ce sont des arbres qui y poussent; à moins que la main vigilante de l'homme ne soit là sans cesse, ses ouvrages périssent bientôt, et c'est avec effort qu'on en retrouve les traces. M. Léon Leconte a cependant très bien reconnu les vestiges de la route attribuée à Pizarre[61].
Panama resta jusqu'au milieu du XVIIIe siècle le rendez-vous des trésors de l'Amérique méridionale se dirigeant vers la métropole. À Panama, qui était bien fortifié sur le Pacifique, répondait, sur l'autre océan, Porto-Belo (ou Puerto-Belo), ainsi nommé par Christophe Colomb, lorsqu'il le découvrit en 1502, parce que c'est un port excellent. Les galions d'Espagne venaient prendre à ce dernier port les espèces du Pérou et du Chili. Une mauvaise route unissait Porto-Belo à Panama, mais il ne paraît pas qu'il y ait jamais eu un service organisé de transport en diligence ou même en charrette.
L'abandon où l'isthme a été laissé pendant les deux derniers siècles pourrait donner lieu de croire, ainsi que quelques personnes l'ont écrit, que «l'Espagne, par une politique ombrageuse, voulait refuser aux autres peuples un chemin au travers de possessions dont elle a dérobé longtemps la connaissance au monde entier.» Mais c'était plutôt de l'incurie que du calcul. Si quelque nation entreprenante avait voulu se rendre maîtresse de l'isthme, elle l'eût pu dans l'état d'inculture et de dépeuplement où il restait sous la domination espagnole. On y trouvait, en effet, de belles fortifications, mais pas de bras pour les défendre. Il est du moins certain que l'Espagne ne faisait rien pour utiliser ce passage si bien indiqué. On voyait, il y a quarante ans, des productions des provinces de la Nouvelle-Grenade, riveraines du Pacifique, se rendre dans l'Océan Atlantique par une longue navigation de Guayaquil à Acapulco, c'est-à-dire d'un port situé bien au midi de la pointe méridionale de l'isthme à un port placé bien au nord de l'autre extrémité, pour franchir ensuite les deux cents lieues d'Acapulco à la Vera-Cruz à dos de mulet, au travers des aspérités colossales du sol mexicain.
À peine Bolivar eut-il affranchi la Colombie et assuré à Ayacucho l'indépendance du Pérou, dont les patriotes avaient imploré son secours, que son attention se tourna du côté de l'isthme de Panama proprement dit, dépendance de la république aux destinées de laquelle ce grand homme présidait. Un ingénieur anglais, M. Lloyd, reçut de lui, en novembre 1827, la mission de dresser le plan de l'isthme et d'y rechercher la meilleure ligne à suivre pour faire communiquer les deux océans par un canal ou par une route macadamisée. M. Lloyd arriva à Panama en mars 1828, et y fut joint par le capitaine Falmarc, ingénieur suédois au service de la Colombie. Ces deux commissaires jugèrent que, pour mieux remplir leur mandat, et d'abord pour déterminer le niveau relatif des deux mers, ils n'avaient rien de mieux à faire que de suivre la vieille route de Panama à Porto-Belo, jusqu'à la rencontre de la rivière Chagres, qui, avons-nous dit, se jette dans l'autre océan, et de descendre ensuite cette rivière jusqu'au port de Chagres. C'était un circuit de 150 kilomètres environ, entre deux points qui ne sont éloignés l'un de l'autre, à vol d'oiseau, sur la carte publiée par M. Lloyd, que de 65. On ne peut s'expliquer le choix de ce tracé que par le désir de faire jouir des avantages de la communication océanique la cité renommée jadis de Porto-Belo. Il s'en faut de peu que Panama et Porto-Belo ne soient exactement vis-à-vis l'une de l'autre sur l'isthme; mais rien ne donnait l'espoir de rencontrer dans cette direction une dépression extraordinaire de la ligne de faîte entre les deux océans. Il résulte au contraire du mémoire de M. Lloyd, inséré dans les Transactions philosophiques de la Société royale de Londres (1830), que la configuration du sol devient de plus en plus montueuse entre Panama et Porto-Belo, à mesure qu'on s'approche de cette dernière ville, et qu'un canal y serait impraticable.
Le point de partage entre Panama et la rivière Chagres fut trouvé à Maria-Henrique, qui est éloigné de 21 kilomètres 3/4 de Panama et de 15 kilomètres de la rivière. La hauteur du point de partage entre les deux océans, mesurée ainsi pour la première fois dans l'isthme de Panama proprement dit, fut de 196 mètres 39 centimètres au-dessus de la mer moyenne à Panama, et de 197 mètres 46 centimètres au-dessus de l'Atlantique à Chagres; car le niveau des deux mers n'est pas le même: à marée moyenne, le Pacifique est de 1 mètre 7 centimètres au-dessus de l'Atlantique. Moyennant une tranchée semblable à celles qu'on pratique journellement, le niveau de l'eau, dans le bief de partage du canal, serait ramené aisément à 180 mètres environ au-dessus de l'Atlantique (178 mètres 93 centimèt. au-dessus du Pacifique)[62].
M. Lloyd ne dit rien sur la possibilité de conduire un approvisionnement d'eau convenable au point culminant de Maria-Henrique. Il est évident, pour quiconque parcourt son mémoire, qu'il se proposait de faire d'autres études, et qu'il sentait le besoin de les faire; mais après deux campagnes qui pourtant avaient duré seulement, l'une du 5 mai au 30 juin, l'autre du 7 février à la fin d'avril, craignant de prolonger son séjour dans une contrée malsaine pour les Européens non acclimatés, ou peut-être par d'autres motifs, il revint en Angleterre[63]. D'ailleurs, en supposant qu'on pût conduire à Maria-Henrique la quantité d'eau nécessaire pour alimenter le canal, et en faisant abstraction des proportions extraordinaires à donner ici aux écluses, on se fût trouvé, pour les pentes à racheter, en-deçà des limites habituelles. La pente, en effet, eût été réduite sans la moindre peine, sur le versant de l'Atlantique, à 180 mètres, sur celui du Pacifique, à 179; total, 359 mètres. D'après ce qui a été rapporté plus haut, ce n'est qu'un peu plus des deux tiers du canal de Bourgogne, et beaucoup moins de la moitié du canal, à demi exécuté présentement, de la Chesapeake à l'Ohio, où la pente et la contre-pente, avons-nous dit, seront de 963 mètres.
Quelque incomplet qu'ait été le travail de MM. Lloyd et Falmarc, et quoique leur nivellement n'ait pas été répété, ainsi que M. Lloyd le reconnaît, on est cependant autorisé à en conclure non seulement, ce qu'au surplus on savait déjà, que l'isthme est déprimé aux environs de Panama, mais encore qu'il l'est notablement plus dans certaines directions que dans celle de Maria-Henrique; car M. Lloyd, qui paraît avoir assez bien examiné le pays, conclut formellement en signalant pour le chemin de fer, si l'on en voulait un entre les deux océans, deux tracés s'écartant peu de la ligne droite qui unirait Panama et Chagres. Ces deux tracés ne diffèrent qu'en ce qu'ils aboutissent sur le Pacifique, l'un à Panama même, l'autre à la baie de Chorrera. D'ailleurs, au lieu d'aller jusqu'au port de Chagres, ils se terminent au confluent du Rio Chagres et du Rio Trinidad, le Rio Chagres pouvant être remonté jusque là, on l'a déjà vu, par de forts navires.
À l'égard d'un canal, son opinion est que probablement le meilleur tracé consisterait à remonter le Trinidad, de manière à venir se rattacher à l'un des cours d'eau qui se déversent dans l'Océan Pacifique. D'ailleurs M. Lloyd ne songeait pas à un canal maritime, et, circonstance qui l'excuse, la question ne lui en avait point été posée.
Pendant dix années, à partir de l'exploration de MM. Lloyd et Falmarc, il n'y eut aucune étude nouvelle. Le temps se passa en vains efforts pour constituer des compagnies financières capables de mener à fin ce grand œuvre. Enfin la compagnie franco-grenadine, jusqu'à ces derniers temps sinon aujourd'hui encore investie du privilége de la communication des deux océans par Panama, envoya de la Guadeloupe, où résident ses chefs français, MM. Salomon, un ingénieur, M. Morel, qui a dû prendre la question au point où l'avaient laissée les deux ingénieurs commissionnés par Bolivar. Il a cherché le tracé d'un canal un peu au midi de la ligne droite qui serait conduite de Chagres â Panama, en se plaçant dans l'angle compris entre le Rio Chagres et le Rio Trinidad.
Le Bernardino, l'un des tributaires du Rio Caïmito, résulte de la jonction de deux ruisseaux, dont l'un garde le nom de Bernardino, et l'autre a reçu celui de Yequas. Les diverses variantes du canal des deux océans qu'a présentées M. Morel consistent à venir chercher l'un ou l'autre de ces rameaux en passant tantôt à droite, tantôt à gauche d'un monticule qui les sépare. Le terrain situé dans l'angle du Rio Chagres et du Rio Trinidad est marécageux; on y trouve des eaux stagnantes, de véritables lacs, dont l'un, celui de Vino Tinto, a plus d'une lieue de diamètre. M. Morel projetait d'abord de traverser le Vino Tinto, afin de venir aux sources du Yequas; de là, après s'être tenu quelque temps latéralement au Bernardino, on se fût dirigé, au travers d'autres marécages, sur le Rio Farfan (ou Falfan), affluent du Rio Grande, et on sait que celui-ci baigne pour ainsi dire les faubourgs de Panama. Un autre tracé de M. Morel, plus récent encore, partirait du confluent même du Trinidad et du Chagres, et laisserait à droite le lac de Vino Tinto pour traverser un autre lac non dénommé encore, car c'est un terrain tellement vierge, que les traits les plus caractéristiques de la configuration du sol, montagnes, rivières et lacs, n'y ont pas même de nom. De là, en longeant le Lyrio, affluent du Caño Quebrado, qui lui-même se jette dans le Chagres au-dessus du Trinidad, on s'avancerait en ligne droite jusqu'aux sources du Bernardino proprement dit, et on le suivrait jusqu'à 5 kilomètres environ de la baie de Chorrera. On prendrait ensuite à gauche pour contourner les collines de Cabra (nommées collines de Biqué sur les plans de M. Morel), en passant à leur pied du côté de la mer. On continuerait ainsi jusqu'au Rio Farfan et au Rio Grande. Par l'un et l'autre de ces tracés, le canal est très court, et, au dire de M. Morel, le point de partage eût été déprimé à un degré inespéré. Entre le lac de Vino Tinto et l'Yequas, M. Morel l'indiquait à 11 mètres 28 centimètres seulement au-dessus de la mer moyenne à Panama. En venant du confluent du Trinidad et du Chagres rejoindre le Bernardino proprement dit, cette élévation n'eût plus été que de 10 mèt. 40 cent. À ce compte donc, il eût suffi que la mer montât de la hauteur d'une des maisons les plus basses de Paris pour que les deux océans fussent joints naturellement, et que l'Amérique méridionale devînt une île entièrement séparée de l'Amérique du Nord. Et comme rien n'est plus facile ni plus usuel que de creuser des tranchées de 15 à 16 mètres de hauteur, et qu'on va même sans grand effort au-delà de 20 mètres, on voit qu'en restant dans la limite des travaux habituels, on eût pu creuser le canal, même en donnant à sa cuvette la grande profondeur de 7 mètres, de telle façon qu'il s'alimentât, au moment même des plus basses marées, avec les seules eaux de la mer. C'eût été alors littéralement un détroit artificiel. Mais dans le terrain marécageux qui forme cette vallée transversale d'océan à océan, on devrait avoir toute facilité pour s'approvisionner d'eau sans recourir à la mer. Un canal situé de la sorte aurait requis d'ailleurs un faible approvisionnement d'eau, quelles qu'en fussent les dimensions, car, en ce terrain bas et humide, l'infiltration, qui, de toutes les causes de dépense d'eau sur les canaux, est la plus active, ne serait aucunement à craindre.
Quant à la longueur du canal entre Chagres et Panama par le dernier tracé de M. Morel, qui, pour se conformer au texte de la loi de concession votée par le congrès de la Nouvelle-Grenade, ne s'est arrêté ni au Rio Farfan ni même au Rio Grande, et s'est avancé jusque dans l'intérieur de Panama à la Playa Prieta, elle ne serait que de 75,400 mètres, et déduction faite de la navigation dans le lit du Chagres, de 54 kilomètres et demi, dont 28 sur le versant de la mer du Sud, et 26 et demi sur celui de l'Atlantique. Ce serait donc l'un des canaux les plus courts du monde. En admettant les nivellements présentés par M. Morel, il eût été plus curieux encore par l'absence des écluses, car il ne lui en aurait fallu aucune, si ce n'est à chaque extrémité, pour corriger l'effet des marées en retenant, au moyen des portes dont toute écluse est munie, les eaux à un niveau fixe dans le canal pendant le flux et le reflux.
Lorsque ces résultats furent soumis au gouvernement français par MM. Salomon, au nom de la compagnie franco-grenadine, ils furent jugés, je ne dirai pas surprenants, ce ne serait point assez, mais merveilleux. Les hommes de l'art les qualifièrent d'incroyables, tant c'était de l'imprévu, de l'inouï. Cependant MM. Salomon semblaient ne pouvoir être, pour nous servir d'une vieille formule des traités de philosophie scolastique, ni trompés ni trompeurs. Trompeurs, comment l'eussent-ils été? ils sollicitaient du gouvernement qu'il fît vérifier leurs indications par un ingénieur de son choix. Trompés, c'était tout aussi malaisé à penser: ils se portaient forts pour leur ingénieur, et celui-ci assurait avoir répété ses opérations et les avoir contrôlées les unes par les autres. Cependant il y a tout lieu de croire aujourd'hui que M. Morel s'était mépris lui-même et qu'il avait mal observé. De premières opérations sommaires ont conduit le savant ingénieur que le gouvernement a envoyé sur les lieux à présumer que le point de partage signalé par M. Morel serait plus élevé d'une centaine de mètres au-dessus de la mer. Le chiffre de M. Morel n'était rien moins que miraculeux; celui-ci serait encore remarquable et heureux à un degré extrême. Nous supposerons qu'on pratiquerait au point culminant une tranchée fort profonde, d'une cinquantaine de mètres, afin de diminuer le nombre des écluses, d'augmenter les facilités de l'approvisionnement d'eau et d'en restreindre la consommation. Et répétons-le, avec les armes perfectionnées qu'a aujourd'hui l'ingénieur dans son arsenal, une pareille tranchée serait possible et raisonnable, sauf le cas où l'on rencontrerait des roches dures à l'excès ou des sables mouvants, ce qui serait pire encore, ou à moins que le sol ne présentât dans les environs du point de partage une déclivité trop uniforme, de sorte que pour donner à la tranchée cette profondeur au point culminant, il fallût la faire démesurément longue.
Cette centaine de mètres de surplus d'élévation se résoudrait probablement en un surcroît de dépense de 35 ou de 40 millions[64]. La somme est forte; pourtant si les gouvernements des grandes puissances songeaient à prendre l'entreprise sous leur patronage ou à leur charge, elle ne saurait les arrêter.
L'erreur plus que probable aujourd'hui de M. Morel, quelque grave qu'elle soit, peut s'expliquer par des circonstances atténuantes: les nivellements à opérer autrement qu'au baromètre (et un nivellement barométrique n'est que sommaire et approximatif) ne sont pas aisés dans les régions tropicales, là particulièrement où le sol est humide. Ce n'est pas seulement qu'alors le pays est insalubre, et que les insectes dévorants sont multipliés dans l'atmosphère au point de l'épaissir. C'est plus encore que la végétation acquiert une force extraordinaire et une densité dont, en Europe, nous ne pouvons avoir l'idée. Ce sont des fourrés où il faut une force armée pour se frayer un étroit passage, et qui se ferment sur les pas de ceux qui viennent de les ouvrir. Je me souviens d'un conte de fée où figurait un personnage doué d'une ouïe si fine qu'il entendait l'herbe croître. Cette hyperbole est bonne à citer pour faire comprendre la rapidité et la vivacité avec laquelle les arbres et les lianes poussent et s'entrelacent, sous le soleil des tropiques, dans les terres basses où l'eau abonde, et quels obstacles l'ingénieur qui veut arpenter le terrain rencontre devant lui. M. Morel aurait eu besoin d'avoir sans cesse avec lui vingt ou trente intrépides auxiliaires comme nos sapeurs-mineurs, qu'en pareil cas nos officiers ont employés aux colonies avec succès pour dégarnir le sol.
Mais rien ne peut excuser le gouvernement espagnol de n'avoir pas utilisé, dans l'intérêt général des relations humaines, cette extraordinaire vallée. Il disposait d'hommes héroïques qui traversaient la chaîne des Andes à la plus grande élévation, au milieu des neiges, sans vivres, presque sans vêtement, malgré les précipices affreux et les bêtes féroces, malgré les flèches empoisonnées des Indiens, les angoisses de la faim et la rudesse indomptable du climat dans les passages entre les cimes neigeuses. À trois siècles tout juste en arrière de nous, il n'avait pas à appeler et à exciter les hommes entreprenants, il n'avait qu'à les laisser faire. Quel fléau n'a pas été Philippe II, et quelle malédiction n'a pas méritée sa mémoire!
Qu'on me permette une autre réflexion: nul moins que moi n'est porté à déprécier le temps présent. Le genre humain, en ce siècle, se montre grand par l'audace et l'étendue de ses entreprises sur la nature qui l'entoure, sur la planète qui lui a été donnée pour demeure. Il est vraiment doué d'une puissance de mise en œuvre qui excite mon admiration et mon respect. Une circonstance pourtant me frappe et humilie ma vanité d'enfant du XIXe siècle. Ce canal de l'isthme, au tracé duquel nous venons enfin d'arriver, les conquistadores espagnols en avaient eu la révélation et en avaient conçu le dessein. En 1528, quinze ans seulement après que l'existence de la mer du Sud eut été constatée, un canal avait été proposé précisément par ce même tracé, du Rio Chagres, du Rio Trinidad, et du Caïmito ou du Rio Grande; mais on n'y avait plus songé depuis. Quelque endormeur de la civilisation avait sans doute dit à Madrid que c'était difficile, impraticable, ou, qui sait? funeste au maintien de la domination espagnole dans le Nouveau-Monde; chacun l'avait répété; il y avait eu chose jugée. Et voilà que cette même idée reparaît de nos jours comme une nouveauté, pour recevoir, je l'espère, la sanction de la pratique. La civilisation est comme un trésor que les nations successivement portent en avant de station en station, en y ajoutant sans cesse des richesses nouvelles tirées du fonds de leur génie, et quelquefois il faut le sauver à la hâte, comme le pieux Énée emportait ses pénates du sac de Troie. Mais le faix est lourd: il faut pour le mouvoir de robustes épaules sous lesquelles s'agite un grand cœur. À certains instants, des peuples noblement inspirés ou poussés par le flot du genre humain tout entier le déplacent et l'avancent en un clin d'œil bien au-delà des limites aperçues par leurs devanciers. D'un bond, l'on croirait qu'ils vont franchir l'espace qui nous sépare du but définitif; lorsque tout-à-coup, par l'épuisement de leurs forces, ou à la suite de quelques grandes fautes qui les troublent, ou par l'effet d'un vice dans leur tempérament, ou bien par l'égoïsme et l'ineptie de leurs chefs, on les voit chanceler dans leur marche, et le rôle sublime de coryphées du genre humain passe à d'autres. Cette substitution est violente, et dans le choc il s'égare plus que des parcelles du précieux dépôt. Plus tard on retrouve ces riches joyaux abandonnés sur le bord du chemin, et presque toujours quelque tradition des anciens temps, religieusement transmise dans l'ombre, a aidé à cette seconde découverte. En ajoutant ces nouveaux fleurons à la couronne de l'humanité, on est trop enclin à oublier que ce qu'on lui donne n'est que la dépouille d'un siècle antérieur, et on s'affranchit de la reconnaissance qu'on doit à de grands esprits et à des cœurs bienfaisants auxquels pourtant cette récompense est bien méritée; car l'injustice des contemporains et l'amertume de la vie semblent, par une loi fatale, former le patrimoine des hommes en qui la providence a mis le feu sacré de l'invention. Le vautour de Prométhée n'est point une fable; c'est une histoire véritable de tous les jours.
Pour une communication océanique, avons-nous dit, de bons débouchés en mer aux deux extrémités ne sont pas moins indispensables que de favorables conditions topographiques et hydrauliques, telles qu'une faible épaisseur de terre ferme à trancher, l'absence des montagnes et un approvisionnement d'eau suffisant pour alimenter une belle ligne de grande navigation. Tant que, sous ce rapport maritime, l'isthme entre Chagres et Panama n'aura pas donné satisfaction, les avantages qu'il présente pour le creusement d'un canal large et profond seront encore comme non avenus. Or donc, y a-t-il et à Panama et à Chagres un bon port, aisé à rendre accessible pour les navires arrivant de l'intérieur par le canal, tout comme pour ceux qui viendraient de la pleine mer?
Le port de Chagres est formé par la rivière de ce nom. Sur la barre de la rivière, suivant le capitaine Garnier, commandant le brick le Laurier, de la marine française, on trouve encore une profondeur d'eau de 4 mètres et demi[65], et, d'après, ce même officier, dans des circonstances favorables, un navire calant 4 mètres peut y entrer. Quand le vent est fort, la barre est presque infranchissable. On va alors dans la baie de Limon, qui est à 6 ou 7 kilomètres à l'est de Chagres (M. Lloyd estime cette distance à 4,800 mètres seulement).
La barre offre sous le sable un rocher calcaire tendre, qui, se redressant au milieu, forme le banc de la Laja, par lequel l'embouchure de la rivière est partagée en un double chenal. Ce banc, situé à une encablure de la pointe sur laquelle s'élève le château San Lorenzo, rend l'entrée dangereuse; car, lorsqu'on double la pointe du fort pour entrer, le vent refuse souvent, et le courant jette le bâtiment sur les brisants. Il serait possible de miner le banc de la Laja de manière à élargir la passe; on pourrait espérer de même, en faisant jouer la mine, d'accroître la profondeur de l'eau sur la barre, partout où le roc se présente sous une faible épaisseur de sable ou de vase. Mais la suppression du roc ne suffirait pas pour faire disparaître la barre. La cause qui occasionne ces dépôts à l'embouchure de tous les fleuves continuant à agir, il se pourrait que la barre persistât après ces travaux sous-marins, et qu'en dépit de tous les draguages, à la suite de chaque tempête elle regagnât la même hauteur qu'elle a aujourd'hui. Ensuite, dans le port de Chagres, tel qu'il est, les plus forts navires ne seraient pas suffisamment abrités contre les vents du nord. Heureusement on a la ressource de substituer à l'entrée de la rivière de Chagres la baie de Limon, où les vaisseaux de ligne eux-mêmes peuvent mouiller, et qui n'est séparée de la rivière de Chagres que par une plage sablonneuse tout unie, dans laquelle il serait facile de creuser un canal. Il faudrait cependant une jetée dans la baie pour défendre les navires des vents du nord. Ce serait alors un des ports les plus sûrs et les plus spacieux.
Une fois dans la rivière, les navires ont, sous le fort San-Lorenzo, qui commande la ville de Chagres, un mouillage de 5 mètres et demi à 7 mètres 32 cent.; puis, dans le chenal, au moins jusqu'au Trinidad, ils trouvent une profondeur à peu près égale[66]. Du côté de la pleine mer, l'eau va en s'approfondissant fort vite. À 1,800 mètres de la barre, au large, il y a 17 mètres d'eau.
On serait donc servi à souhait du côté de l'Atlantique. Sur le versant du Pacifique, le port qui s'indique naturellement est celui de Panama, qu'on pourrait, avec plus de raison, qualifier de rade ou même de golfe, car c'est un espace ouvert parsemé de jolies îles. Nulle part les bâtiments n'y peuvent atterrir. La plage plonge doucement, et ce n'est guère qu'à 2,000 mètres de terre que l'on trouve à marée basse 6 mètres d'eau. Les navires, pour être très bien abrités, vont se ranger sous un groupe de trois îles qui sont à 3,500 mètres au sud de la ville, en face de l'embouchure du Rio Grande, et que l'on nomme Lleñao, Perico et Flamingo. De là les cargaisons s'envoient en ville sur des pirogues[67].
Le Rio Grande, par lequel on peut supposer provisoirement que le canal déboucherait dans l'Océan Pacifique, présente à sa barre fort peu de profondeur. À marée basse, c'est d'un mètre à deux, et de même ce n'est qu'à une certaine distance en mer qu'on trouve un mouillage dont puisse s'accommoder une corvette de guerre ou un paquebot transatlantique sur le modèle actuellement en construction; mais, tout le long de cette plage, existe sous la vase, à peu de profondeur, un calcaire madréporique, corail grossier qui se prêterait facilement à un creusement sous-marin. Le groupe des trois îles contre lesquelles se tiennent de préférence les navires étant vis-à-vis de l'embouchure du Rio Grande, on pourrait, moyennant des travaux hydrauliques, qui pourtant seraient considérables, établir entre ces îles et l'emplacement actuel de la barre un bon port, d'un accès facile et du côté de la terre et du côté de la mer.
Il y aurait lieu d'examiner si, du côté de la baie de Chorrera, il ne serait pas plus aisé qu'à Panama même de ménager un mouillage commode, profond et sûr, bien accessible et du côté de la pleine mer et du côté de la terre, et si par conséquent ce n'est point là que devrait aboutir le canal, en suivant le Caïmito, ou en coupant au travers de la plage, afin d'éviter la barre de cette rivière.
Autant qu'on peut en juger avec les renseignements insuffisants auxquels on est réduit encore en Europe, la dépense requise pour établir des ports irréprochables à chacune des extrémités du canal de Chagres à Panama serait égale à celle du canal lui-même.
Panama passe pour un endroit salubre; mais Chagres est très malsain. Le nom de Chagres commence à être fort connu en Europe. Les documents publiés par les gouvernements français et anglais lui ont donné une sorte de célébrité. Ce n'est pourtant qu'un amas de huttes éparses au milieu de la boue sur une plage marécageuse. Et quelles huttes! non pas de ces habitations en briques cuites au soleil, et aux murailles blanchies à la chaux, qui forment les jolis villages du plateau mexicain, mais quelque chose comme les misérables gourbis qui servent d'asile aux Arabes dans la plaine de la Mitidja; de méchants abris en roseaux, couverts de feuilles de palmier, que peuplent trois cent cinquante à quatre cents créatures humaines, dénuées de tout, ignorant de la civilisation toute chose, minées par la fièvre intermittente et dévorées de la lèpre. Le fort de San-Lorenzo qui commande la place est un mauvais réduit que le commandant du Laurier trouva gardé par huit miliciens, sans canon ni poudre, manquant même d'un drapeau pour montrer aux navires venus du large chez quelle nation ils arrivaient. Je ne connais pas une seule relation de voyage qui ne dépeigne Chagres comme un lieu empesté, aussi horrible à voir qu'il est dangereux à habiter. On doit penser cependant que l'insalubrité de Chagres serait de beaucoup diminuée si l'on voulait dans ce but prendre quelque peine. Ce qu'il y aurait de mieux à faire probablement consisterait à déplacer la ville et à la transporter sur la rive gauche, à la pointe de Arenas. Ce site est beaucoup mieux aéré. On y aurait la brise dont présentement on est privé, parce que l'emplacement actuel est masqué par la colline sur laquelle est bâti le château. L'espace bas et humide qu'occupe aujourd'hui Chagres pourrait être consacré à agrandir le port. Mais si le véritable port auquel aboutirait le canal était transporté dans la baie de Limon, c'est là que s'élèverait aussitôt une ville nouvelle, et Chagres serait déserté.
Dans l'isthme de Panama, la population est clairsemée, et elle est généralement peu amie du travail. Au sujet du nombre des ouvriers qu'on pourrait rassembler avec le concours actif du gouvernement grenadin, des renseignements fort contradictoires ont été produits. La présomption est qu'il serait indispensable d'emmener d'Europe des maçons, des mineurs, des terrassiers même. Voulussent-ils travailler, les indigènes ne le savent pas. Ils n'ont jamais eu occasion de pratiquer ni même de voir de grands déblais ou de grands remblais, et à plus forte raison des excavations sous-marines.
D'un autre côté, il y a une responsabilité effrayante à enrôler des ouvriers européens afin de les conduire dans l'isthme. C'est, en effet, un climat dangereux pour qui n'y est pas né ou ne s'y est pas préparé, meurtrier pour qui s'expose à l'ardeur du soleil ou qui respire les miasmes des marécages et ceux qu'exhale toute terre fraîchement remuée. On aurait à abriter les travailleurs, à les camper, à pourvoir à leur bien-être; il faudrait leur tracer les règles dune bonne et sévère hygiène, et, ce qui est bien plus difficile, même en leur en fournissant tous les moyens, les leur faire observer malgré les tentations semées sur leurs pas. Pendant les six mois de la saison des pluies, de mai en octobre, tout travail à ciel ouvert serait forcément suspendu. Que ferait-on alors de cette multitude? Comment la garantir du mal du pays et de toutes les plaies que l'oisiveté engendre?
Ce ne sont point des impossibilités que je signale, ce sont des difficultés, de celles que des hommes capables, d'une volonté forte et d'un esprit éclairé, savent lever. Ce serait une prétention fort déplacée que d'esquisser ici, même sommairement, le programme de ce qu'il y aurait à faire pour s'assurer le concours d'une grande quantité de bras dans l'isthme, et pour empêcher que le canal des deux océans ne fût obtenu qu'au prix de milliers de victimes humaines. Cependant, il me semble, et je ne le dis que pour indiquer comment à mes yeux l'obstacle n'est point insurmontable, que des hommes disciplinés d'avance, dressés à la règle militaire, habitués à se suffire dans les cas imprévus, tels enfin que nos admirables soldats du génie, pourraient, transportés en corps sous la conduite de leurs braves et savants officiers, en qui ils ont toute confiance, entreprendre l'œuvre avec chance de succès, et aborder, sans crainte d'être terrassés par elle, la nature des régions équinoxiales, quelque rude jouteuse qu'elle soit, quelque séduction qu'elle sache employer pour énerver celui qui résiste à ses caresses perfides. C'est probablement à une détermination semblable qu'il faudrait en venir. Rien de plus simple, au surplus, si les gouvernements des deux grands peuples de l'Europe occidentale, qui sont les deux premières puissances maritimes du monde, jugeaient à propos de se concerter pour l'accomplissement d'un aussi beau dessein.
Enfin l'isthme de Panama n'offrirait point cette abondance de vivres de toute espèce, à vil prix, qu'on trouverait sur les bords du lac de Nicaragua. Il faudrait y faire venir des convois de subsistances de bonne qualité pour les campements de travailleurs.
Au-delà de la ligne tracée de Panama à Chagres, on rencontre la baie de Mandinga, où, comme nous l'avons dit, l'isthme est réduit à sa moindre épaisseur, et où, d'après M. Lloyd, se présenterait une vallée transversale de mer à mer, au fond de laquelle il serait possible de creuser un canal. Rien n'indique cependant qu'un nivellement exact y ait été opéré. C'est un pays qui reste encore à découvrir, car les Européens y ont à peine mis le pied. M. Wheelwright assure qu'il est peuplé d'Indiens qui n'ont jamais reconnu d'autre gouvernement que celui de leurs caciques. Lui-même lorsqu'il voulut, après avoir exploré la côte, pénétrer dans l'intérieur, n'en put obtenir la permission de ces chefs méfiants. C'était, il est vrai, en 1829; depuis lors si quelque autre observateur a été plus heureux, les détails de son examen n'ont point été livrés au public. On ignore même si de bons ports s'y offriraient en regard l'un de l'autre, aux extrémités d'une ligne de percement.
En-deçà de la ligne de Panama à Chagres, dans la province de Veragua, est une localité bien digne d'attention aussi. À la Boca del Toro, à 250 kilom. à l'ouest de Chagres, se présente sur l'Atlantique un magnifique mouillage où les navires de toute grandeur peuvent s'abriter en toute sûreté. Il touche à la spacieuse baie de Chiriqui. Sur l'autre versant de l'isthme, vis-à-vis de la Boca del Toro, une rivière navigable portant le même nom de Chiriqui, autant que les fleuves et les plus grands traits de la topographie ont des noms dans ces pays sauvages, se décharge dans l'Océan Pacifique, et au dire de M. Wheelwright, l'embouchure du Chiriqui forme un port excellent, c'est ce qu'il nomme le port de Chiriqui (ou Cherokee). En remontant cette rivière qui est naturellement praticable pour des bâtiments de cent tonneaux, on se trouve aussitôt en présence d'un terrain houiller, parfaitement caractérisé selon M. Wheelwright. Ce gîte carbonifère avait été reconnu par M. A. Salomon, qui paraît même s'en être rendu propriétaire au moins en partie. M. Wheelwright y à fait quelques recherches sommaires du côté de la ville de Saint-David de Chiriqui, située à 25 kilomètres environ de l'Océan Pacifique et à 65 au plus du port de la Boca del Toro. Ainsi l'isthme en cet endroit aurait au plus 90 kilomètres d'épaisseur. Essayé à bord d'un des navires à vapeur de la Compagnie de navigation de l'Océan Pacifique, le charbon extrait de l'affleurement d'une des veines s'est montré inférieur au charbon de New-Castle, dans le rapport de 13 à 18; mais il n'y a aucune conclusion à tirer d'essais faits sur du charbon d'affleurement. Un fait important est acquis, c'est l'existence du terrain carbonifère en cette partie de l'isthme. Le bassin houiller semble traverser l'isthme de part en part, car on trouve du charbon à l'embouchure du Chiriqui, et M. Wheelwright en a reçu des échantillons de la Boca del Toro. Voilà donc une localité doublement privilégiée: deux bons ports y sont placés en face l'un de l'autre sur les deux versants de l'isthme, et la ligne qui les joint traverse un gîte carbonifère. Si entre ces deux ports la ligne de faîte n'oppose aucun obstacle extraordinaire, il faut convenir qu'il y aurait par là un tracé du canal des deux océans éminemment propre à réunir tous les suffrages. Mais il y a peu lieu d'espérer qu'on trouverait un passage favorable dans les montagnes. Dans la province de Veragua, la chaîne forme un plateau élevé désigné sous le nom de la Mesa (la Table), il est très peu probable qu'au pied des cimes, dans le massif du plateau, la nature ait ménagé une fente profonde que pût suivre un grand canal. Dans tous les cas, la présence de mines de charbon en ce point est une bonne fortune dont on tirerait parti pour l'approvisionnement des dépôts à Panama, à Chagres et dans le voisinage.[Table des matières]
CHAPITRE IX.
CINQUIÈME PASSAGE.—ISTHME DE DARIEN.
Dépression qu'offre la vallée de l'Atrato.—Communication projetée à la fin du siècle dernier entre la vallée de l'Atrato et le port de Cupica par le Naipipi.—Elle est impossible.—Communication entre la vallée de l'Atrato et celle du San-Juan, par le vallon de la Raspadura; on n'en ferait jamais un canal des deux océans.
Nous avons encore à examiner un autre passage, celui de l'isthme de Darien, au sujet duquel un moment on s'était bercé des plus belles espérances. L'isthme de Darien présente certainement une dépression extraordinaire du sol. Sur son flanc méridional, les montagnes se dressant tout-à-coup, les Andes de l'Amérique du Sud apparaissent inopinément dans toute leur majesté et déploient leurs escarpements sans pareils. Dans le voisinage immédiat des abruptes Cordillères de Quindiù et du Choco, où le voyageur ne peut même plus se fier au pied pourtant si sûr des mules, et où l'homme qui n'a pas la force de grimper est réduit à se faire porter sur les épaules de l'homme; à côté de cimes couvertes de neiges au moins une grande partie de l'année, ce qui, sous l'équateur, suppose une hauteur extrême, on voit les montagnes s'effacer tout-à-coup, et une vallée transversale s'ouvrir d'océan à océan. Un beau fleuve, le Rio Atrato, qui coule droit du midi au nord pour venir se jeter dans le golfe de Darien, à peu près au milieu de l'espace compris entre Porto-Belo et Carthagène, et qui est navigable sur une grande étendue, passe fort près d'autres cours d'eau qui sont tributaires de l'autre Océan. L'un de ses affluents, le Naipipi, qui est navigable pour des canots, se rapproche beaucoup du port de Cupica, situé sur le Pacifique, entre le cap Corrientes et le golfe San Miguel. Il n'y a que cinq à six lieues (24 à 28 kilomètres) de Cupica à l'embarcadère du Naipipi, et on avait assuré à M. de Humboldt que cet intervalle était occupé par un espace tout-à-fait aplani. À la fin du siècle dernier, des projets avaient été présentés au gouvernement espagnol, afin de diriger par là le commerce entre les deux océans. Cupica devait devenir une nouvelle Suez. Mais un officier anglais, le capitaine Cochrane, qui descendit l'Atrato en 1824, donne des renseignements en contradiction avec ceux auxquels M. de Humboldt avait ajouté foi. Il en résulterait que l'établissement d'un canal entre l'Atrato et Cupica par la vallée du Naipipi est impossible[68]. Le trajet d'un océan à l'autre serait par là de 250 à 300 kilomètres.
Plus haut, près de Novità, l'Atrato est aisé à mettre en rapport avec le San-Juan, qui se jette dans l'Océan Pacifique, à Chirambarà, et qui est navigable. M. Cochrane, qui a visité les lieux avec soin (particularly inspected), dit-il, estime à 360 mètres environ la distance qui sépare le San-Juan, ou plutôt la Tamina, son tributaire, de la Raspadura, affluent de l'Atrato. Les deux cours d'eau, ainsi voisins, portent canot l'un et l'autre. Pour les faire communiquer, il faudrait une tranchée presque entièrement dans le roc, d'environ 20 mètres de profondeur[69]. Les deux océans seraient ainsi joints l'un à l'autre. D'après une note annexée au remarquable rapport qu'a présenté, le 2 mai 1839, M. Mercer à la chambre des représentants des États-Unis, aux deux extrémités de la ligne on aurait de bons ports. D'un côté, la principale des bouches de l'Atrato, appelée Barbacoa, est sur la baie même de Candelaria, qui offre un mouillage sûr et profond, agité seulement pendant les vents du Nord. De l'autre côté, dans la baie de Chirambirà, où se termine le cours du San-Juan, les navires sont de même fort bien abrités. Mais cette jonction des deux océans aurait 500 kilom., sans compter les détours des deux fleuves, et avec ces détours 650 à 700[70], sinon davantage. La seule inspection de chiffres pareils suffit pour trancher la question. Sans doute, à peu de frais, on établirait par là une communication praticable pour des barques légères pendant une partie de l'année; mais si l'on voulait une navigation permanente pour des navires de mer, ce serait un travail de titans, car il faudrait alors une ligne artificielle presque tout le long de cette énorme distance.[Table des matières]
CHAPITRE X.
CONCLUSION DES CINQ CHAPITRES PRÉCÉDENTS.—ÉTUDES À FAIRE.
Deux tracés se recommandent: l'un par Chagres et les environs de Panama, l'autre par le pays de Nicaragua.—Dépense à laquelle il faut s'attendre avec l'un et avec l'autre; elle serait considérable, mais non au-dessus des forces des gouvernements des trois premières puissances maritimes réunies.—Plan d'une étude générale à Panama, au lac de Nicaragua, à la baie de Mandinga, à la Boca del Toro.—Il faudrait un personnel nombreux d'ingénieurs et un plus nombreux d'agents subalternes.—Soldats du génie et matelots à la suite des ingénieurs.—Études médicales à joindre à celles des ingénieurs, afin d'être prêt, au cas où des ouvriers européens ou du nord de l'Amérique devraient être envoyés dans l'isthme.—Il conviendrait que la France se chargeât de ces études; le gouvernement en retirerait beaucoup d'honneur, et ce serait conforme à sa politique.
L'examen des cinq passages par lesquels il est naturel de chercher à joindre les deux océans, conduit à cette conclusion, que, sur beaucoup de points, il est possible d'opérer des jonctions d'utilité locale que les pouvoirs publics des différents États entre lesquels l'isthme est partagé ne sauraient trop encourager; mais les communications qui pourraient exercer de l'influence sur le commerce général du monde, et abréger la navigation entre l'extrémité orientale et l'extrémité occidentale du vieux continent, ou d'un revers à l'autre de l'Amérique, sont très peu nombreuses. À moins d'une découverte imprévue du côté de la baie de Mandinga ou d'une autre moins probable, à la Boca del Toro, deux seulement peuvent être proposées, celle du lac de Nicaragua et celle de Chagres à Panama, ou à la baie de Chorrera. Ces deux tracés se ressemblent par un côté. Avec l'un comme avec l'autre le canal des deux océans coûterait fort cher. Pour le canal de Chagres à Panama, on avait parlé d'une somme de 13 à 15 millions; c'est le décuple qu'il fallait dire, en tenant compte des travaux maritimes à effectuer à chacune des deux extrémités. M. Stephens a été beaucoup moins loin de la vérité quand il a évalué le canal de Nicaragua à 20 ou 25 millions de dollars (107 à 144 millions de francs). Du moment qu'on voudrait un canal praticable pour les grands trois-mâts du commerce ou pour les paquebots transatlantiques, il ne faudrait pas s'attendre à une dépense de moins de 150 millions de francs. Mais la jonction des deux grands océans vaut bien 150 millions, et 200, et plus encore. Après tout, pour les trois gouvernements de la France, de l'Angleterre et des États-Unis, associés dans cette intention, un déboursé pareil dans un espace de temps de cinq ou six années, n'aurait rien qui pût, je ne dirai pas les effrayer, mais les émouvoir. Cette élévation des frais de premier établissement est la seule similitude qu'il y ait entre les deux tracés. Par l'isthme de Panama proprement dit, la coupure est courte; par le lac de Nicaragua, elle est longue; à la vérité, la nature en a fait les frais sur une grande part. D'un côté, un climat salubre presque partout; un pays peuplé, là du moins où se déploierait la partie artificielle de la ligne, des vivres de toute espèce en abondance; de l'autre, une contrée meurtrière quant à présent, n'offrant ni bras pour le travail ni une subsistance assurée pour les travailleurs venus du dehors.
En ce moment, l'option entre ces deux tracés de Panama et de Nicaragua serait fort malaisée. Elle ne sera possible et ne pourra être bien motivée qu'après que des études sérieuses et complètes auront été faites. Un ingénieur en chef des mines envoyé par le gouvernement français, M. Napoléon Garella, est dans les environs de Panama accompagné d'un conducteur des ponts-et-chaussées, M. Courtines. C'est quelque chose, mais ce n'est pas assez, même pour ce seul passage. Il y a des études de navigation à faire à chaque extrémité de la ligne, je veux dire des projets à préparer pour l'amélioration des ports dans lesquels le canal déboucherait, afin de les rendre accessibles aux navires qu'amènerait le canal et parfaitement sûrs. Une exploration soignée du pays de Nicaragua est nécessaire. De même pour le pays situé derrière la baie de Mandinga. Entre la Boca del Toro et la rivière Chiriqui, il y a peu d'espoir de découvrir une direction qu'un canal des deux océans pût suivre; cependant la localité se recommande par trop de titres pour qu'on ne la fasse pas examiner; et, en tout cas, il est bon de se rendre compte du parti qu'on peut tirer des mines de charbon de Saint-David. En organisant ces diverses études, il serait bon de prévoir le cas où quelques uns des ingénieurs seraient atteints des maladies auxquelles est sujet quiconque, entre les tropiques, supporte la chaleur du jour; et, par conséquent, il serait opportun de les multiplier. Il conviendrait de les entourer d'un personnel nombreux d'agents subalternes, parce qu'ils ne trouveraient dans le pays personne qui fût familier avec le maniement des instruments les plus simples, et il serait avantageux de les affranchir de toute nécessité d'assistance. Chacun de ceux qui auraient à opérer sur la terre ferme devrait emmener avec lui vingt-cinq ou trente soldats du génie, robustes, éprouvés déjà par le séjour des colonies autant que possible. De même ceux qui auraient à étudier les mouillages devraient être suivis de matelots choisis. Les matelots et les soldats du génie sont industrieux, d'excellent secours, bons à toute chose. Cet entourage rendrait les plus grands services aux ingénieurs pen-[TN: texte manquant] leurs agents dans ces pays plus encore que dans d'autres.
Des médecins expérimentés devraient concourir à ces études, afin de rechercher les bases du régime le plus propre à conserver la vie des ouvriers européens, dans le cas où il serait reconnu nécessaire d'en envoyer. Nous avons vu que, par Chagres, selon toute apparence, ce serait indispensable.
Sans être animé d'un patriotisme outrecuidant, je crois pouvoir dire que les études préliminaires devraient être effectuées par la France plutôt que par toute autre grande puissance maritime et notamment l'Angleterre. La France ne donne aucun ombrage aux jeunes gouvernements de l'Amérique espagnole. On ne lui prête aucune pensée d'envahissement en ces contrées. À tort ou à raison, l'Angleterre y excite, au contraire, les appréhensions les plus vives, et il faut convenir que sa prise de possession de l'île de Roatan et les démarches de ses agents, à propos d'un soi-disant cacique des Mosquitos érigé en souverain prétendu indépendant, sont de nature à inspirer des alarmes aux États de l'Amérique Centrale et de la Nouvelle-Grenade. Des explorateurs envoyés par le gouvernement français seraient parfaitement accueillis dans le pays. Il n'en serait pas de même de commissaires britanniques.
Cette exploration, attentive, désintéressée, serait conforme aux aptitudes et aux penchants de notre nation, aux allures de notre politique généreuse, à nos tendances humanitaires, dont on peut se railler, mais qui n'en sont pas moins éminemment honorables et au surplus invincibles. Elle profiterait à un gouvernement qui cherche dans les œuvres de la paix son affermissement et sa gloire.[Table des matières]
CHAPITRE XI.
DU PERCEMENT DE L'ISTHME DE SUEZ.
L'isthme est nivelé; bassin des Lacs Amers qui est au-dessous de la mer Rouge; l'épaisseur de l'isthme est rigoureusement de 115 kilomètres.—Inégalité de niveau des deux mers.—Difficulté d'avoir un port sur la Méditerranée.—Le canal de l'isthme de Suez a existé.—Canal des Rois de Suez au Nil, du temps de l'antique Égypte.—Restauration du temps des Ptolémées et sous l'empereur Adrien.—Travaux des mahométans.—Projets du général en chef Bonaparte.—Études que fit alors M. le Père.—Une fois dans le Nil, il faudrait atteindre la Méditerranée; le seul port de ces parages est Alexandrie; coup d'œil d'Alexandre-le-Grand.—Il serait bien difficile de rejoindre Alexandrie depuis le débouché du canal de Suez au Nil.—Convenance d'un canal direct de Suez à la Méditerranée; autrement ce ne sera jamais une communication maritime; mais les sables que dépose la mer, en rendant difficile l'existence d'un port sur la Méditerranée à Péluse, y font obstacle.—Ce qu'était la traversée d'Europe aux Indes autrefois et ce qu'elle est aujourd'hui.—Abréviation que procurerait aux navires à voiles la coupure de l'isthme de Suez.
Il est un projet de canal auquel on ne peut s'empêcher de comparer celui de l'isthme américain. Je veux parler du percement de l'isthme de Suez. Ces deux isthmes sont associés dans tous les esprits; il n'est pas une intelligence pour qui Suez ne rime à Panama. Ce sont, en effet, les deux passages qui s'indiquent pour pénétrer d'Europe dans le grand Océan, l'un au levant, l'autre au couchant, en évitant un long circuit et des parages dangereux; jusqu'à un certain point, ils se font concurrence, et l'on est fondé à penser que, pour ses rapports avec les immenses régions que le grand Océan baigne, l'Europe a plus à attendre encore du percement de l'isthme de Suez que de celui de Panama. Il ne sera donc pas inopportun d'exposer ici sommairement la question de l'isthme égyptien.
L'isthme de Suez se présente au premier abord sous l'aspect le plus avantageux pour le creusement d'un canal. C'est un sol bas que les eaux n'ont encore qu'à demi abandonné. Il est impossible à l'observateur de ne pas demeurer convaincu qu'autrefois la mer passait par là, et que l'Afrique, complètement détachée de l'Asie, fut longtemps une île; car, lorsque de Suez on se dirige sur Thyneh, qui est à côté des ruines de Péluse, sur l'autre revers de l'isthme, baigné par la Méditerranée, on rencontre d'abord un bassin allongé, si creux que le fond en est à 16 mètres au-dessous de la basse mer à Suez: c'est celui des Lacs Amers de Pline, que les Arabes ont appelés la Mer du Crocodile. Il n'a pas moins de 40 kilomètres, et il se développe exactement dans la direction de Suez à Péluse: à peu de distance se montre, toujours dirigé de même, le lac Temsah; puis ce sont des lagunes qui communiquent enfin avec la vaste nappe du lac Menzaleh, limite occidentale de la plaine de Péluse. Ainsi, quand on traverse l'isthme de part en part, on a sans cesse à ses côtés, presque sans solution de continuité, des lagunes et des lacs, le tout épars sur des sables semblables à ceux de la mer, et jamais devant soi un pli de terrain. Le nivellement effectué par M. le Père, lors de l'expédition de Bonaparte en Égypte, a indiqué pour les points les plus élevés des hauteurs de 5 mètres, 6 mètres, 7 mètres et demi, et une seule fois de 10 mètres 62 centimètres au-dessus de la basse Méditerranée. Or, le Nil au Caire, pendant les crues, est au moins à 12 mètres au-dessus de cette même mer.
Par son rétrécissement, l'isthme semble non moins favorable à l'établissement d'un canal. Il n'y a que 120 kilomètres de Suez à la plage de Faramah, sur laquelle est Thyneh; et si l'on tient compte de ce que le flot s'étend sur un espace de 5 kilomètres au nord de Suez à la marée haute, le minimum de la distance qui constitue vraiment l'isthme est réduit à 115 kilomètres. Ce serait moins encore, si du côté de la Méditerranée on considérait comme une dépendance de la mer le lac Menzaleh, qui en effet communique avec elle.
L'inégalité de niveau d'une mer à l'autre, qui se présente déjà à l'isthme de Panama, se reproduit ici bien plus marquée. Les nivellements de M. le Père ont montré que la basse mer de vive eau[71] dans la mer Rouge à Suez est de 8 mètres 12 centimètres au-dessus de là basse Méditerranée à Thyneh. La marée de vive eau à Thyneh est de 35 centimètres seulement; à Suez, elle est de 1 mètre 89 centimètres: de sorte que la différence extrême entre les deux mers est de 9 mètres 90 centimètres.
De cette élévation relative de la mer Rouge et de la dépression générale du sol de l'isthme, il suit qu'un canal de la mer Rouge à la Méditerranée, même sur de belles dimensions, serait aisé à creuser et à approvisionner. Il s'alimenterait de la mer Rouge elle-même, dont, à marée haute, les eaux seraient recueillies dans les Lacs Amers, convertis en un réservoir. L'entretien et le curage exigeraient des soins à cause des sables mouvants du désert; mais on y subviendrait sans une peine extraordinaire. Le plus grand embarras serait de trouver un bon port pour déboucher dans la Méditerranée. En cela, le problème est plus difficile que du temps des anciens, parce que les navires modernes tirent plus d'eau que ceux des Phéniciens, des Grecs et des Romains, ou que les galères du moyen-âge, et que la côte s'atterrit sans cesse à l'est du Nil par l'effet des sables que charrient les courants, et par les troubles du fleuve lui-même qui viennent s'y déposer.
Le canal de l'isthme de Suez n'est pas seulement un projet; il a existé. L'histoire le dit, et les voyageurs en ont retrouvé les vestiges. Strabon semble l'attribuer au grand Sésostris; Hérodote et Diodore de Sicile en font honneur à Néchos, fils de Psammetique. Darius, roi de Perse, le fit continuer, et il paraît que ce fut lui qui l'acheva, quoiqu'on en ait revendiqué le mérite pour le deuxième des Ptolémées, qui probablement se borna à le restaurer. Mais ce canal ne coupait pas l'isthme précisément et ne mettait pas Suez en communication directe avec Péluse, soit que les rois d'Égypte eussent redouté l'encombrement du canal par les sables mobiles qu'on rencontre dans le désert, soit qu'ils n'eussent pas voulu déboucher dans la Méditerranée, qualifiée chez eux de mer orageuse, soit par suite de la politique d'isolement qu'ils avaient adoptée vis-à-vis des autres peuples, soit enfin qu'un canal tracé tout droit de Suez à Péluse leur eût paru une communication extra-égyptienne; et en effet elle se fût développée en dehors de l'Égypte proprement dite, et n'eût été directement d'aucun service aux populations de la vallée du Nil. Le Canal des Rois, c'était son nom, unissait Suez à la branche pélusiaque du Nil, presque comblée aujourd'hui; le point de jonction était à Bubaste, à une certaine distance au-dessous de l'emplacement actuel du Caire. Il avait de grands dimensions. Sa largeur était de 33 à 50 mètres; sa profondeur d'au moins 5 mètres; Pline dit le double. Il s'alimentait du Nil, qui, pendant les crues, est plus élevé non seulement que la mer Rouge, mais que tout le pays adjacent. De Bubaste sur la branche pélusiaque, il s'étendait droit à l'est dans une grande vallée qu'on appelle l'Ouady, se détournait ensuite vers le midi pour rejoindre la grande dépression occupée par les Lacs Amers, d'où par une coupure de 22 kilomètres on gagnait le port de Suez. Sa longueur totale était d'environ 165 kilomètres.
Lors de la grande halte que fit, avant de redescendre, la civilisation antique parvenue au comble de sa majesté, à la faveur du calme dont jouissait l'empire romain au IIe siècle, le canal fut rétabli; le bras artificiel du Nil qui lui amena alors des eaux fut nommé le fleuve Trajan par l'empereur Adrien, en mémoire de son père adoptif.
Comblé de nouveau par les sables, dont l'action dévastatrice s'aidait de celle des Arabes nomades, intéressés à être, avec leurs chameaux, les rouliers du désert, le canal fut réparé encore une fois par les Sarrasins. Ce fut par la volonté d'Omar, le même qu'on dépeint si farouche, et auquel la déesse aux cent voix, en cela au surplus convaincue de mensonge, a attribué l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie. Amrou venait de conquérir l'Égypte; Omar lui ordonna de rétablir les communications entre la vallée du Nil et la mer Rouge, dans l'intérêt de la ville sainte de la Mecque. On modifia cependant le canal en changeant une fois de plus la prise d'eau, déjà déplacée par les Romains, et en la portant plus haut, au Caire, afin d'avoir plus de courant. Après les travaux d'Amrou, le canal porta le nom du Prince des Croyants. Il semblait être dans sa destinée que tous les conquérants de l'Égypte se proposassent d'y attacher leur nom.
Quand les Français, conduits par Bonaparte, furent les maîtres de l'Égypte, le général en chef voulut le rétablissement de cet antique ouvrage. Il y mettait tant de prix, qu'il en commença la reconnaissance en personne. Il alla jusqu'à Suez, parcourut les environs de cette ville et, dans cette excursion, il fut exposé aux plus grands périls. Sa présence d'esprit seule le sauva d'une mort pareille à celle du Pharaon acharné à la poursuite du peuple hébreu.
Les ordres du vainqueur des Pyramides furent ponctuellement exécutés par M. le Père, ingénieur des ponts-et-chaussées, et c'est de son important travail que j'extrais les renseignements qu'on va lire.
Le canal, tel que M. le Père l'a proposé, suivrait à peu près la ligne du Canal des Rois. Il aurait 153 kilomètres et demi, partagés en quatre biefs; les Lacs Amers en feraient partie intégrante. Il emprunterait ses eaux du Nil: pendant les crues qui donnent l'abondance, le niveau du Nil est à 4 mètres 74 centimètres au-dessus de la basse mer à Suez; mais à l'étiage, quand il est réduit à sa dernière limite, il est au contraire au-dessous de la mer Rouge de 4 mètres 62 centimètres: ainsi, dans la saison des hautes eaux seulement le canal serait praticable. Pendant quatre à cinq mois, chaque année, la navigation serait interrompue. Ce serait un inconvénient extrême. Nous ne sommes plus aux jours où l'on se contentait de communications intermittentes. Le temps est passé où, par exemple, les galions d'Espagne pouvaient n'aller à Porto-Belo que de trois en trois ans, sans que personne réclamât. En cela comme en mille autres choses, les hommes veulent aujourd'hui être en permanence les rois de la création.
Comment faire cependant pour avoir une navigation du Nil à Suez toute l'année? Il faudrait, vers le milieu du canal, un bassin plus spacieux que le lac Mœris et aux bords élevés, qui se remplirait pendant les crues, lorsque le fleuve serait à sa plus grande hauteur; le canal amènerait lui-même les eaux nourricières du fleuve à ce réservoir, qui les lui restituerait peu à peu en les faisant durer autant que possible. Ce réservoir devrait avoir une très grande contenance, ce qui ici ne se pourrait qu'avec une très grande superficie; ce serait un ouvrage sur l'échelle de ce que jadis les rois d'Égypte faisaient de plus colossal. Mais, à cause de la rapidité de l'évaporation dans ces chaudes contrées, sous l'influence des vents secs du désert, on perdrait une forte proportion de l'eau ainsi mise en réserve, et probablement le réservoir ne remplirait qu'imparfaitement sa destination. Pour la portion du canal attenante à la mer Rouge, on recourrait naturellement aux eaux de cette mer. Il y aurait lieu peut-être, pour le reste, de tenter de suppléer partiellement à la ressource d'un réservoir par des machines qui puiseraient de l'eau dans le Nil et l'élèveraient à la hauteur nécessaire; on a déjà recours à ce procédé sur plusieurs canaux. Avec la condition d'une navigation non interrompue pendant toute l'année, le canal du Nil à Suez devient, on le voit, fort difficile. Cependant qui pourrait dire que la civilisation moderne soit forcée de reculer devant des entreprises semblables à ce que, dans la limite de ses besoins, savait accomplir la civilisation antique? Si quelque part le progrès n'est pas un vain mot, c'est dans l'art des constructions hydrauliques.
Une fois parvenu de Suez au Nil, on ne serait encore qu'à moitié chemin de la Méditerranée. Le fleuve, il est vrai, descend à cette mer; malheureusement dans les basses eaux il ne laisse plus passer que de petites barques, et ses deux bras principaux, celui de Rosette et celui de Damiette, débouchent par des passes étroites et périlleuses où ne pourrait se hasarder aucun navire d'un tirant d'eau même médiocre[72]. Ce fut ce qui donna naissance à Alexandrie. Alexandre, qui était non seulement un grand capitaine, mais aussi un grand esprit et un grand roi, conçut le dessein de nouer des rapports réguliers entre la Grèce et les Indes. Deux lignes s'offraient à lui, celle du golfe Persique et celle du golfe Arabique ou mer Rouge. Il ne choisit pas: il les prit toutes deux. Son ambition était infinie; mais ses facultés étaient prodigieuses: son pouvoir sur les hommes et sur la nature n'avait pas de bornes. Il n'y avait que lui-même à qui il ne sût pas toujours commander. Pour développer le commerce entre l'Orient et l'Occident (la Grèce était l'Occident alors), il fonda Alexandrie en un point du désert où se trouvait, par exception, un bon port. Ce fut une des conceptions les plus intelligentes et les plus hardies de cette tête audacieuse et capable, une des plus heureuses entreprises de cet homme auquel tout réussit.
Les navires venant de Suez par le canal devraient se diriger sur Alexandrie, parce que c'est le seul point de tout le rivage de l'Égypte par lequel un bâtiment d'un tonnage un peu fort, venant de l'intérieur, puisse entrer dans la Méditerranée. Comment atteindre ce port, comment s'en rapprocher même, pendant la longue saison où le Nil n'est plus accessible qu'à de petites barques? À cet effet, de vastes travaux seraient indispensables. Il faudrait, 1o améliorer la navigation du fleuve dans son lit, à partir du débouché du canal de Suez, en y relevant le niveau de l'eau par des barrages de retenue, ou bien creuser un canal latéral; 2o unir Alexandrie au Nil par un canal. Cette dernière partie de l'œuvre est accomplie, mais fort imparfaitement, par le canal Mahmoudiéh construit ou plutôt restauré par le vice-roi Méhémet-Ali. Le Mahmoudiéh a 80 kilomètres[73]. La portion du fleuve à améliorer par des barrages ou à remplacer par un canal latéral serait d'environ 180 kilomètres; il y aurait donc une étendue totale de 260 kilomètres, sur laquelle d'importants travaux seraient indispensables. Avec le canal de Suez au Nil, la distance totale entre Suez et Alexandrie s'élèverait à 413 kilomètres environ. C'est bien long pour une ligne partout plus ou moins artificielle, et ce serait bien cher.
Aussi y a-t-il lieu de se demander si un canal direct de Suez à la Méditerranée ne serait pas préférable. Le trajet en ligne droite est d'un peu plus de 100 kilomètres. La ligne qu'a suivie M. le Père aurait environ 150 kilomètres; mais les Lacs Amers y sont compris pour 40 kilomètres, et ces lacs offrent toute la profondeur désirable. Sur presque toute la distance, le lit du canal semble avoir été préparé par la nature. «Nous croyons, dit M. le Père, qu'il n'y aurait (depuis Suez) que quelques parties de digues à construire jusqu'au Ras-el-Moyeh (c'est-à-dire sur la majeure partie du parcours). Le désert s'élevant de toutes parts au-dessus de ce bas-fond, la navigation pourrait y être constante, et il serait facile d'y entretenir une profondeur plus considérable que sur le canal de Suez au Caire.» S'il était possible de créer un port auprès de l'ancienne Péluse, ce parti serait assurément le meilleur. Là gît la principale difficulté de la jonction directe des deux mers par l'isthme de Suez.
M. le Père pensait que, ce port une fois creusé sur le bord de la Méditerranée, on pourrait y opérer ce qu'on nomme des chasses, à l'aide des eaux de l'autre mer, qu'on amasserait dans des bassins spacieux dont les Lacs Amers tiendraient lieu, et qu'on lâcherait ensuite de manière à nettoyer le chenal et à entraîner les sables que les courante auraient pu amener dans le port. Mais ces chasses n'auraient d'effet qu'autant qu'on aurait uni le canal au Nil, afin d'y jeter pendant les crues les eaux du fleuve. Le niveau du Nil étant fort élevé alors, les chasses auraient un courant d'une grande vivacité. L'illustre Prony, qui a rendu compte officiellement du travail de le Père, ne considérait pas la conservation du port comme impossible moyennant cette dernière précaution. C'est donc à examiner.
Il n'y a pas d'autre moyen de percer l'isthme de Suez, dans l'intérêt du commerce général du monde, que de pratiquer un canal direct de Suez à la Méditerranée. Clot-Bey a eu raison de le dire dans sa description raisonnée de l'Égypte actuelle, les données du problème exigent impérieusement que le canal de jonction des deux mers soit dirigé de Suez à Péluze.
Jusqu'à ce que cet ouvrage soit accompli, et abstraction faite des effets que pourrait avoir le percement de l'isthme de Panama, les marchandises iront d'Europe aux Grandes-Indes et en Chine sur des navires doublant le cap de Bonne-Espérance. Suez ne sera un point de passage que pour les voyageurs et les dépêches qui franchiront chacune des deux mers sur les ailes de la vapeur. En ce moment on a quelquefois des nouvelles de Bombay à Paris en trente et un jours, malgré le temps perdu pour prendre du charbon à Aden et pour traverser l'isthme. Trente et un jours! et les anciens en mettaient quarante pour parcourir la mer Rouge seule. Des améliorations nouvelles se préparent; l'agent anglais qui a organisé ce service pour le compte de l'Angleterre, M. Waghorn, espère réduire le trajet à vingt-sept jours de Bombay à Londres. En 1774, les Anglais, pour la première fois, commencèrent à se servir de l'isthme de Suez pour le transport des dépêches des Indes. On put alors avoir des lettres de quatre-vingt-dix jours de date, et quand c'était de quatre-vingts jours on criait au miracle.
M. le Père, comparant la navigation de l'Inde par le cap de Bonne-Espérance à celle par la Méditerranée, l'Égypte et la mer Rouge, a trouvé que la différence de trajet serait de 26,100 kilomètres à 13,300, ou de près de moitié. Il estimait que, si l'on coupait l'isthme de part en part de Suez à Thyneh, la traversée pourrait être réduite de cinq mois à trois. L'art de la navigation s'est perfectionné depuis lors; mais dans les deux directions, par l'isthme et par le Cap, le voyage en serait également abrégé[74], et le rapport des durées des traversées resterait le même.
L'Égypte a maintenant pour souverain un prince qui a déployé un grand zèle pour les travaux publics. Le détail des ouvrages de canalisation qu'il a exécutés, et dont Clot-Bey a donné le relevé, est surprenant. Et pourtant alors Méhémet-Ali avait la charge d'un état militaire énorme sur terre et sur mer. Depuis quatre ans, un grand changement s'est opéré dans sa situation. D'une part, il a acquis plus de sécurité, puisque la possession de l'Égypte a été déclarée héréditaire dans sa famille sous la garantie des grandes puissances. D'autre part, il a dû réduire les forces militaires qui absorbaient la majeure partie de ses ressources, et renoncer à des projets dispendieux de conquête. Il reste donc avec toute la puissance de ses revenus, avec des employés, européens ou indigènes, de plus en plus intelligents, de plus en plus exercés, avec des populations soumises et bien ployées au travail, et il ressent toujours le stimulant d'une ambition que l'âge n'a pu amortir, et qu'une haute capacité rend légitime. Au lieu de la domination qu'il poursuivait naguère sur les provinces de la Syrie et de l'Asie-Mineure, il serait digne de lui d'appliquer l'énergie de sa volonté et l'étendue de son pouvoir à la pacifique entreprise du percement de l'isthme de Suez par un canal maritime. Ce ne serait qu'un jeu pour un homme accoutumé, ainsi qu'il l'est, à faire de grandes choses, et matériellement, eu égard au peu que lui coûte la main-d'œuvre, le canal, par les péages qu'il produirait, lui serait une bonne opération financière. Ce travail donnerait définitivement à l'Égypte l'importance dont le pressentiment a dirigé vers elle tour à tour les plus grands conquérants de l'antiquité, des temps modernes, de tous les âges, et détourna de ses profondes méditations l'un des plus puissants penseurs que la civilisation ait connus, Leibnitz, pour le faire descendre dans les régions de la politique pratique et lui inspirer un mémoire au roi Louis XIV. Que le but de Méhémet-Ali soit de donner la mesure de ses forces à ceux qui s'étaient flattés de l'abaisser, ou de laisser de lui un monument impérissable qui fasse vivre à jamais son nom dans la reconnaissance des peuples civilisés, ou de marquer par un signe éclatant le point de départ d'une dynastie digne de se perpétuer, il n'a rien d'aussi bien à faire. Il serait remarquable qu'un prince appartenant à une race parmi nous réputée barbare, donnât aux gouvernements des grands États de l'Europe l'exemple le plus éclatant des manifestations qu'aujourd'hui les hommes attendent des pouvoirs de la terre.[Table des matières]
CHAPITRE XII.
COMMENT POURRAIT ÊTRE EXÉCUTÉ LE CANAL DE L'ISTHME DE PANAMA.
Bonnes dispositions du gouvernement de la Nouvelle-Grenade.—Immunités à attendre de lui.—Excellents sentiments manifestés à l'origine par le gouvernement fédéral de l'Amérique Centrale.—Triste situation de ce pays aujourd'hui; cependant les États de Nicaragua et de Costa-Rica que traverserait le canal de Nicaragua sont tranquilles et offrent des garanties.—Une compagnie ne pourrait exécuter le canal, quel que soit celui des deux tracés qu'on adopte.—Bénéfices à attendre d'un péage; nombre de navires qui se rendent dans le Grand-Océan par le cap Horn ou par le cap de Bonne-Espérance.—Il n'y aurait que les gouvernements de la France et de l'Angleterre qui pussent creuser le canal; il conviendrait qu'ils s'associassent dans ce but avec celui des États-Unis.
Des deux tracés qui se recommandent en ce moment pour le percement de l'isthme de Panama par un canal maritime, l'un traverse le sol de la Nouvelle-Grenade, l'autre est situé dans l'Amérique Centrale.
On trouverait le gouvernement de la Nouvelle-Grenade animé des dispositions les meilleures, pourvu qu'il ne vît aucun péril pour ses droits de souveraineté, dont il est justement jaloux. C'est un gouvernement éclairé: il sent quel prix l'ouverture du canal de Panama donnerait à une grande portion du territoire de la république; il n'a cessé d'appeler l'industrie européenne à s'en charger; il a accueilli à bras ouverts tous les prétendants qui se sont présentés, en mettant à leurs pieds, on peut le dire, les conditions les plus brillantes. Tour à tour le baron Thierry, qui se présentait pour son propre compte, et M. Charles Biddle, des États-Unis, envoyé par le cabinet de Washington, sur le vœu exprimé par le sénat de l'Union en faveur du creusement d'un canal maritime dans l'isthme, ont été l'objet de ses prévenances empressées. Il n'est bonne disposition qu'il n'ait témoignée ensuite à la Compagnie franco-grenadine, quoique, à l'instigation d'agents étrangers, les fonctionnaires locaux n'aient pas été bienveillants pour elle. Un jeune Français plein de courage, déjà nommé plus haut, M. Léon Leconte, qu'un noble sentiment a déterminé à faire plusieurs voyages dans l'isthme, à l'effet de rechercher le meilleur tracé du canal des deux océans et de placer cette entreprise sous le patronage de son pays, se plaît à rendre bon témoignage de la sollicitude dont il a vu animés à cet égard les chefs de la république et, en particulier, le président, avec lequel il s'en est entretenu.
Tout récemment, désespérant de l'industrie privée livrée à elle-même, le gouvernement grenadin a officiellement adressé aux grandes puissances maritimes un avis ainsi conçu:
«Le gouvernement de la Nouvelle-Grenade, désirant procurer au commerce des nations les avantages que doit produire une voie de communication entre l'Océan Atlantique et la mer Pacifique à travers l'isthme de Panama, a résolu d'engager les gouvernements des principales nations maritimes à conclure un traité, à l'effet de réaliser cette grande entreprise, soit que les gouvernements prissent pour leur compte l'exécution de cette œuvre, soit qu'ils garantissent la neutralité de la voie de communication entre les deux mers et l'accomplissement des conditions stipulées pour l'exécution. En conséquence, le gouvernement a envoyé des pleins pouvoirs au chargé d'affaires de la république près le gouvernement de Sa Majesté Britannique pour traiter avec les plénipotentiaires qui seraient nommés à cet effet par les gouvernements mentionnés[75].»
Quiconque voudra se charger de l'entreprise aura tout ce que le gouvernement grenadin peut accorder: les terrains, les matériaux qu'offre le voisinage, un tarif de péages suffisamment élevé, des facilités d'entrepôt. La Nouvelle-Grenade entend seulement rester maîtresse chez elle, et veut que le passage soit neutre, c'est-à-dire ouvert à tous les pavillons qui seraient ses amis, sans qu'aucune puissance ait la faculté de le fermer à ses propres ennemis ou à ses rivaux.
Dans l'Amérique Centrale de même, aussitôt après l'indépendance, le gouvernement fédéral se montra jaloux de favoriser l'ouverture de l'isthme par le lac de Nicaragua. Il fit un appel, dès 1825, aux capitalistes étrangers. En 1826, il donna une concession à M. Palmer de New-York; la même année, il transféra provisoirement le privilége à une compagnie hollandaise, représentée par le général Verveer, dont le premier intéressé était le roi des Pays-Bas, l'industrieux Guillaume de Nassau, et avec laquelle les négociations se continuèrent pendant les années suivantes. On en était au dernier terme quand la révolution belge éclata. Le roi Guillaume alors fut contraint d'abandonner ses projets sur le fleuve San-Juan de Nicaragua et ses arrangements avec l'Amérique Centrale pour concentrer son attention et ses efforts sur les bouches de l'Escaut et pour s'entendre avec la Conférence de Londres.
Tout homme, qui a dans le cœur l'amour du genre humain et dont l'esprit a du penchant pour les idées grandes, lira avec un vif attrait les documents émanés des gouvernements de la Colombie et de l'Amérique Centrale. On y voit l'empreinte profonde du désir de servir les intérêts généraux du genre humain, de favoriser la cause de la liberté et de la paix. Ainsi, dans le décret du congrès national de l'Amérique Centrale, qui stipulait en détail les clauses de la concession à la compagnie hollandaise, un article interdisait l'usage du canal aux navires de toute nation en guerre avec qui que ce fût, toutes les fois qu'ils porteraient des munitions. Un autre repoussait les bâtiments négriers. Toutes les réserves imaginables en faveur de la neutralité et de l'usage commun à tous les pavillons étaient expressément formulées. Nous ne parlons pas des offres de terrain et de matériaux faites à la compagnie, ni du tarif, ni des garanties qui lui étaient accordées. On lui donnait une hypothèque sur toutes les terres de l'État, et particulièrement sur celles qui bordent les lacs de Nicaragua et de Leon, leurs îles et la rivière Tipitapa, sur la largeur d'une lieue. Les matériaux, outils et effets à l'usage des travailleurs étaient affranchis de tout droit de douanes. On concédait à la compagnie un privilége pour la coupe des bois précieux que produit l'Amérique Centrale, à l'un des débouchés du canal, ou sur un point quelconque du littoral ou dans quelques unes des îles dépendant de la république, sur une vaste étendue. On lui promettait tous les efforts possibles pour lui procurer des ouvriers du pays. La construction d'une ville commercialement libre et investie de nombreuses prérogatives était ordonnée sur les bords du canal ou à l'une de ses extrémités. Les employés de la compagnie étaient qualifiés d'hôtes de la nation, et à ce titre devaient jouir de plusieurs immunités. Le décret offrait aussi l'empreinte de la vieille courtoisie castillane: un monument en l'honneur du roi Guillaume devait être élevé avec des inscriptions commémoratives, pour attester à la postérité la reconnaissance de la République envers un prince qui lui donnait un gage aussi éclatant de son amitié.
Depuis lors l'Amérique Centrale a éprouvé de grandes infortunes. La confédération a été rompue violemment, et les États les plus importants de ceux qui la composaient ont cessé d'être animés de l'esprit de l'Europe. À la suite d'une horrible guerre civile, l'État de Guatimala a subi le joug d'un forcené. En armant ou en soutenant le condottiere Carrera pour écarter et finalement exécuter le général Morazan, digne représentant des idées européennes, les classes qui possédaient sous le régime colonial le plus d'influence se sont donné un maître sanguinaire à elles-mêmes et au pays. Des ténèbres semblables à celles qui couvrirent les ci-devant provinces de l'Empire romain après l'invasion des Barbares, s'appesantissent sur ces belles contrées qu'on aurait crue si bien faites pour une domination meilleure. Heureusement, pourtant, les États de Nicaragua et de Costa-Rica, que traverserait le canal des deux océans, sont exempts de cette servitude brutale, et on aurait de leur part toutes les facilités désirables. J'ai dit déjà qu'une intervention de la France dans les affaires du canal serait par eux vue de très bon œil, et que dans l'assistance évidemment désintéressée de notre patrie ils seraient heureux d'apercevoir la promesse d'un patronage dont ils sentent le besoin envers d'autres que le sauvage Carrera.
Quant à la question de savoir si une compagnie pourrait accomplir l'œuvre par ses seules ressources, on ne pourrait la résoudre que moyennant une connaissance exacte du chiffre de la dépense, et l'on n'en a même pas une idée approximative. Seulement, on peut tenir pour certain que ce chiffre serait très élevé. Le nombre et le tonnage des navires qui entrent dans le Grand-Océan ou qui en sortent, tant par le cap de Bonne-Espérance que par le cap Horn, sont déjà considérables, et ils vont toujours croissant. D'après les Documents sur le commerce extérieur que publie le ministère du commerce, en ne comptant que les quatre principales puissances commerciales: l'Angleterre, la France, les États-Unis et les Pays-Bas, le mouvement a été, entrée et sortie réunies, en 1839, de 2,453 navires et de 983,890 tonneaux; en 1840, de 2,532 navires et de 1,000,995 tonneaux; en 1841, de 2,966 navires et de 1,203,762 tonneaux. Le rétablissement des relations commerciales avec la Chine et les engagements contractés par le Céleste Empire envers le commerce européen font présager pour ces chiffres un accroissement rapide. À 10 fr. de péage par tonneau, pour le parcours entier du canal, en supposant que le canal de l'isthme eût les deux tiers du tonnage, total que nous bornerons à 1,200,000 tonneaux, la recette brute serait de 8 millions, et, sauf accidents, il resterait 6 à 7 millions de produit net. Le chiffre de 10 fr. par tonneau n'est pas excessif, quand on tient compte du temps qu'on épargnerait, des mauvaises mers qu'on éviterait, et de l'élévation des primes d'assurance perçues aujourd'hui sur tout ce qui double le cap Horn. Cependant si les frais d'établissement, y compris les travaux maritimes, allaient à 150 ou 200 millions, et il faut se tenir prêt à des dépenses de cet ordre, il n'y aurait pour des actionnaires qu'un intérêt insuffisant. D'ailleurs en des affaires pareilles, il y a tant d'éléments problématiques ou incertains, tant de causes de mécompte, que des capitalistes se décideraient difficilement à y aventurer leurs fonds, le profit net parût-il devoir être beaucoup plus fort, à moins que de puissants gouvernements, tels que ceux de la France et de l'Angleterre, ne leur apportassent leur garantie et leur concours.
Du reste, on ne voit pas pourquoi les gouvernements de ces deux grands pays ne s'accorderaient pas entre eux et avec celui des États-Unis en faveur de cette opération, pour l'accomplir eux-mêmes après qu'elle aura été soigneusement étudiée. L'Europe, ou, pour mieux dire, la race européenne, car c'est elle qui peuple aussi le nouveau continent, est livrée à un mouvement d'expansion en vertu duquel la planète tout entière semble devoir être bientôt rangée sous sa loi. Elle veut être la souveraine du monde; mais elle entend l'être avec magnanimité, afin d'élever les autres hommes au niveau de ses propres enfants. Rien de plus naturel que de renverser les barrières qui l'arrêtent dans son élan dominateur, dans ses plans de civilisation tutélaire. Qu'y aurait-il d'étrange à ce que les deux nations les plus puissantes et les plus avancées de l'Europe se concertassent entre elles et avec celui des peuples de l'Amérique qui est le premier par le nombre, par la richesse, par l'esprit d'entreprise et par l'extension de sa navigation, afin d'abattre la muraille qui barre le chemin du Grand-Océan et de ses rivages infinis? Le moyen de faire aimer la paix et d'en perpétuer le règne, c'est de la montrer non seulement féconde, mais pleine de majesté et même d'audace. Il faut qu'elle possède le don d'étonner les hommes, de les passionner s'il se peut, en même temps que celui de les enrichir. Malheur à elle, ou plutôt malheur à nous-mêmes, si elle paraissait condamnée à être froidement égoïste dans ses sentiments, mesquine dans ses conceptions, pusillanime dans ses entreprises! De ce point de vue, le projet de couper l'isthme de Panama se recommande hautement; et cette œuvre ne servît-elle qu'à établir, par la communauté d'efforts, un lien de plus entre la France et l'Angleterre, lors même qu'il devrait en coûter à notre trésor 50 millions ou même 100, convenons qu'on a souvent plus mal dépensé l'argent des contribuables.
J'insiste ici sur la convenance et la nécessité de faire concourir les États-Unis à cette œuvre par beaucoup de motifs. D'abord c'est incontestablement de tous les peuples de l'Amérique celui qui pèse le plus, dont les progrès sont le plus éclatants, qui a le plus le goût et l'intelligence des grands travaux d'utilité publique. Ce sont les plus hardis des navigateurs, les plus alertes des commerçants. Leur pavillon est un de ceux qu'on rencontre le plus dans le Grand-Océan, et ils n'y ont accès que par l'isthme de Panama, tandis que l'Europe a la faculté de s'y présenter par les deux isthmes. Ils sont donc intéressés plus que qui que ce soit au percement de l'isthme de Panama, et ils seraient empressés d'y contribuer matériellement autant que leur situation financière et la constitution fédérale le permettrait. Depuis longtemps le gouvernement des États-Unis a les yeux fixés sur l'isthme de Panama, et les citoyens n'ont pas cessé de l'exciter à s'en occuper. C'est même à lui que le gouvernement de l'Amérique Centrale s'adressa, à l'origine, pour le convier à intervenir. M. Clay, lorsqu'il était secrétaire d'État, sous la présidence de M. Adams, en 1825, y avait donné une attention particulière.
Le choix de la ville de Panama pour le siége du congrès, auquel toutes les républiques nouvellement écloses à cette époque avaient été convoquées pour consacrer leur fraternité entre elles et avec les États-Unis, montre ce qu'a été pour l'Amérique tout entière, dès les premiers jours de son émancipation, le percement de l'isthme. C'est une œuvre qui importe au Nouveau-Monde en masse. Au milieu de tous ces États, l'Union de l'Amérique du Nord étant comme l'aînée de la famille, tenter de creuser le canal des deux océans sans le concours des États-Unis, sans s'être entendu avec eux, équivaudrait presque à l'entreprendre sans la permission de l'Amérique. Or, l'Amérique est libre aujourd'hui; elle a rompu les lisières par lesquelles elle tenait à l'Europe, et l'on ne pourrait ainsi traiter d'elle, chez elle et sans elle, sans y soulever dans les cœurs les mêmes sentiments de haine énergique et implacable que provoquerait une atteinte audacieuse à son indépendance même. Si l'on trouvait cette assertion exagérée, et qu'on prétendît que la Nouvelle-Grenade ou les États de Nicaragua et de Costa-Rica, en vertu de leur souveraineté, sont les maîtres de concéder le canal de jonction des deux océans à qui leur plaît, et, par exemple, à la France et à l'Angleterre, nous remontrerions que depuis vingt années l'Angleterre, la France, les États-Unis et la Hollande travaillent à se supplanter les uns les autres pour avoir le patronage de cette œuvre, que tous ces efforts opposés se paralysent et que le canal est toujours à commencer. Qu'est-il donc besoin de rappeler que, seule, l'union fait la force? Du jour où les deux premières puissances maritimes de l'Europe et du monde, et la nation prépondérante du nouveau continent s'accorderont à vouloir que l'isthme de Panama soit tranché, elles seront écoutées, et l'isthme s'abaissera devant leurs pavillons réunis. Ainsi que nous le disions pour la France et l'Angleterre il n'y a qu'un instant, ce concert serait une garantie de plus acquise à la paix du monde, et l'on ne saurait trop multiplier les gages en faveur de cette sainte cause.
TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE PREMIER.
Forme générale de l'isthme de Panama.
Sa grande longueur.—Sur cette longueur, cinq localités où l'on peut rechercher un passage: 1o isthme de Tehuantepec; 2o à l'est de la baie de Honduras; 3o lac de Nicaragua; 4o isthme de Panama proprement dit: minimum d'épaisseur de l'isthme à la baie de Mandinga; ligne de la Boca del Toro à l'embouchure du Chiriqui; 5o isthme de Darien.—Obstacle qu'oppose dans toute l'Amérique au passage d'un océan à l'autre la chaîne les Andes; immense étendue de cette chaîne.—L'isthme est montagneux; mais la chaîne s'y abaisse précisément aux cinq endroits ci-dessus. 1
CHAPITRE II.
Recherche d'un passage entre l'Océan Atlantique et l'Océan Pacifique, depuis la découverte du Nouveau-Monde.
Objet du voyage de Colomb.—Découverte de l'Océan Pacifique par Vasco Nuñez de Balboa, le 25 septembre 1513—Héroïsme de Balboa; sa persécution par Pedrarias Davila.—Caractère de Fonseca.—Tentatives successives pour passer d'un océan à l'autre.—Emulation entre l'Espagne et le Portugal.—Vasco de Gama.—Le Secret du Détroit.—Expédition partie de San Lucar en 1508, sous Vicente Yañez Pinzon et Juan Diaz de Solis.—Second voyage de Juan Dias de Solis.—Expéditions des frères Cortereal pour le compte du Portugal.—Voyage de Magellan en 1520.—Découverte du cap Horn par les Hollandais Lemaire et Schouten en 1616.—Efforts de Fernand Cortez pour découvrir le Secret du Détroit; ses questions à Montezuma.—Navigateurs anglais à la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle: Davis, Hudson, Baffin.—Au XVIIIe siècle, le Suédois Behring voyage pour le compte de la Russie.—Troisième voyage de Cook.—Projet de M. de Chateaubriand. Navigateurs anglais au XIXe siècle.—Grandeur de l'Espagne au XVIe siècle.—Canaux projetés d'après Gamara en 1551 à Tehuantepec, au lac de Nicaragua et à l'isthme de Panama, proprement dit; Philippe II arrête l'essor de l'Espagne.—Efforts de Cortez; communication grossière qu'il établit dans l'isthme de Tehuantepec; on l'améliore un peu à la fin du XVIIIe siècle; prix exorbitant du transport.—Communication par Panama, fort imparfaite.—Tort que se faisait l'Espagne en négligeant ainsi des voies de transport aussi importantes; elle justifiait d'avance sa dépossession future. 11
CHAPITRE III.
Nature et proportions de la communication à établir.
Objet de la communication à ouvrir.—Services à attendre du percement de l'isthme pour l'Europe.—Les voyages qu'on abrégerait sont ceux qui ont lieu par le cap Horn; énumération des contrées où l'on se rend d'Europe par cette voie.—Pour la Chine et le Japon, eu égard à la régularité des vents, aux courants et à la beauté de la mer, il y aurait, malgré un plus long trajet, économie de temps et accroissement de sécurité à l'aller, mais non au retour.—Avantages de l'Océan Pacifique.—Le percement de l'isthme profiterait plus encore aux États-Unis.—Bons effets à en espérer pour le versant occidental de l'Amérique, plus retardé que celui qui regarde l'Europe.—La communication devrait s'effectuer au moyen d'un canal; ce canal devrait être praticable pour les grands bâtiments du commerce et pour les navires à vapeur de l'ordre des paquebots transatlantiques.—Un canal sur une échelle moindre serait d'utilité locale et ne profiterait à l'Europe qu'indirectement.—Des dimensions à donner au canal.—Exemples du canal Calédonien et du canal hollandais du Nord, qui sont des canaux maritimes.—Dimensions des canaux ordinaires en France, en Angleterre, aux États-Unis.—Ce qu'ont coûté les canaux Calédonien et du Nord, et les canaux ordinaires français, anglais et américains.—Prix d'une grande écluse à Brest.—Nécessité pour un canal maritime de déboucher au mouillage même des navires; à Panama cette condition ne se remplirait pas très aisément.—Conditions de salubrité; on y satisferait par le creusement même du canal. 35
CHAPITRE IV.
Des difficultés que les ingénieurs sont accoutumés à franchir en creusant des canaux.
Différences entre un canal et une rivière: un canal consomme beaucoup moins d'eau; le canal du Midi comparé à la Seine.—Ce qu'on nomme un bief.—En quoi consiste une écluse, ou appareil en maçonnerie pour passer d'un bief à l'autre.—Ce qu'on appelle la pente rachetée par un canal, ou la chute rachetée par une écluse; contre-pente.—La difficulté d'un canal dépend principalement de la longueur du canal et de la somme des pentes et contre-pentes.—Exemples des longueurs ainsi que des pentes et contre-pentes de canaux français, américains ou anglais;—Conversion de ces canaux, qui sont à dimensions ordinaires, en canaux pareils au canal Calédonien ou au canal hollandais du Nord.—De l'approvisionnement d'eau des canaux.—Les régions des tropiques, surtout dans l'isthme, semblent devoir offrir sous ce rapport plus de facilités que nos pays tempérés de l'Europe. 51
CHAPITRE V.
Première localité indiquée pour le percement de l'isthme.—Isthme de Tehuantepec et du Guasacoalco.
Dépression qu'y éprouve le plateau mexicain.—Port qu'offre l'embouchure du Guasacoalco.—Essais de Cortez.—Projets de canal après lui.—La découverte, au château de Saint-Jean d'Ulua, de canons venus de Manille, réveille ces projets en 1771.—Exploration du terrain par deux ingénieurs, et leurs conclusions favorables.—Plan du vice-roi Revillagigedo. Le canal de l'isthme de Tehuantepec est voté par les cortès espagnoles en 1814.—Études du général Orbegoso en 1825; ses conclusions sont moins favorables; difficulté d'alimenter un canal sur le versant de l'Océan Pacifique.—Mauvais port à Tehuantepec.—Le général Orbegoso se réduit à une route entre l'Océan Pacifique et le Guasacoalco.—Sol fertile qu'on traverserait; projet de colonisation qu'on pourrait reprendre avec avantage.—Concession récente à don José Garay.—Projet de ce concessionnaire. 59
CHAPITRE VI.
Second passage.—Isthme de Honduras.
Hautes montagnes qui bordent la baie de Honduras; plateau élevé en arrière des montagnes; délicieuse situation de la ville de Guatimala; dangers que lui font courir les volcans.—Les montagnes s'abaissent sur le bord méridional de la baie.—Trouée que fait le Golfe Dolce; cette trouée se prolonge par le fleuve Polochic; mais les montagnes viennent ensuite.—Plus au sud-est, vallée de Comayagua, où coulent le Jagua et le Sirano; il n'y a pas d'espoir non plus de pratiquer par là un canal maritime.—Vallée du Motagua; le cours du fleuve franchit la plus grande partie de la distance des deux océans, mais il serait impossible de descendre dans l'Océan Pacifique; élévation du sol sur les bords du haut Motagua.—Terre froide; sens qu'il faut attacher à ce mot.—Partage des eaux à Chimaltenango.—Il n'y a rien à espérer pour un canal maritime de l'isthme de Honduras. 69
CHAPITRE VII.
Troisième passage.—Le pays de Nicaragua.
Grande déchirure occupée par le lac de Nicaragua et le fleuve San-Juan de Nicaragua.—Golfe de Papagayo et golfe de Nicoya.—Lac de Leon ou de Managua, et fleuve Tipitapa, qui prolongent le lac et le fleuve précédents.—Dimensions de ces lacs; développement des fleuves.—Tracés possibles au nombre de cinq: 1o du lac de Nicaragua au golfe de Papagayo; 2o du même lac au golfe de Nicoya; 3o et 4o de la pointe nord-ouest du lac de Leon à Tamarindo et à Realejo; 5o du lac de Leon à la rivière Tosta; 6o du même lac ou golfe de la Conchagua.—Régime du fleuve San-Juan; rapides et récifs.—Bon port de San-Juan à l'embouchure du fleuve.—Amélioration du fleuve San-Juan; ce qui prouve qu'elle serait peu difficile, c'est qu'avant 1685 les trois mâts le remontaient; en 1685, on l'obstrua pour barrer le passage aux flibustiers; le Colorado s'ouvrit alors.—D'une amélioration qui permette de recevoir les plus grands trois-mâts du commerce et les paquebots transatlantiques.—De la navigation du Tipitapa; sa pente; beau site de la ville de Tipitapa.—La traversée du lac de Nicaragua n'offre pas de péril sérieux.
Des canaux à ouvrir entre l'Océan pacifique et le lac de Leon ou le lac de Nicaragua.—Sol peu élevé malgré la présence de volcans très hauts.—Tous les voyageurs s'accordent à dire que du lac de Leon à Realejo ou à Tamarindo le pays est plat.—Illusion possible.—On n'a fait de nivellements qu'entre la ville de Nicaragua et le port de San-Juan du Sud.—Nivellement de don Manuel Galisteo avant la révolution française.—Nivellement de M. Bailey depuis l'indépendance.—Il faudrait un souterrain par ce dernier tracé; de quelle longueur; comparaison avec la longueur d'autres souterrains.—Impossibilité d'admettre des souterrains sur un canal destiné à des bâtiments de mer.—De quelles dimensions devraient être des souterrains pour de grands trois-mâts démâtés.—Pour les autres lignes, les renseignements manquent.—Donnée relatée dans l'ouvrage intitulé: Mexico and Guatimala.
Des ports qu'on trouverait aux deux extrémités du canal.—San-Juan du Sud; le port est petit, mais sûr; les ports de la baie de Nicoya et Tamarindo sont bons aussi; Realejo est magnifique.—Absence de la fièvre jaune là où le canal serait à creuser; population nombreuse qui fournirait des travailleurs.
Au-delà du lac de Nicaragua, les montagnes se redressent entre les deux océans jusqu'à ce qu'on soit aux environs de Panama.—Études qu'il y aurait lieu de faire à la baie de Mandinga, et entre la Boca del Toro et la rivière Chiriqui. 75
CHAPITRE VIII.
Quatrième passage.—Isthme de Panama proprement dit.
Absence d'observations dans cet isthme jusqu'à ces derniers temps.—Aspect général du pays qui entoure Panama.—Collines isolées ou en petits groupes se dressant sur une surface plane; cours d'eau multipliés; le Chagres et le Trinidad navigables.—Les voyageurs et les marchandises vont de Chagres à Gorgona ou à Cruces par le Rio Chagres, et de là se rendent à Panama à dos de mulet.—Cours d'eau sur le versant de l'Océan Pacifique: le Caïmito, le Rio Grande; leurs affluents: la Quebra Grande, le Farfan, le Bernardino.—Ce passage ait fréquenté depuis longtemps; c'est par là que passa François Pizarre, quand il alla conquérir le Pérou.—Route pavée qui a existé de Cruces à Panama.—Négligence malhabile du gouvernement espagnol.—Bolivar fait étudier l'isthme par MM. Lloyd et Falmarc; opérations de ces ingénieurs; elles se réduisent à mesurer la hauteur d'un point de partage déterminé et la différence de niveau entre les deux océans.—Il résulte de ces opérations que cette localité n'est pas plus défavorable que d'autres où l'on a fait passer un canal.—Études nouvelles par M. Morel au nom de la compagnie franco-grenadine; il indique un point de partage extrêmement déprimé; si bien qu'on pourrait ménager un véritable détroit artificiel.—Trajet de 75 kilomètres seulement entre Panama et Chagres.—Ces résultats surprenants, inouïs, sont démentis; néanmoins la localité demeure très favorable.—Reproches encourus par le gouvernement espagnol.—Le tracé proposé aujourd'hui l'avait été en 1528.—Réflexion au sujet des découvertes qui se perdent et se retrouvent.
Des débouchés du canal en mer.—Le port de Chagres est déjà passable.—Par une coupure qui communiquerait avec la baie de Limon on aurait un port excellent.—Du côté de Panama ce serait plus difficile; le port de la ville de Panama est à une certaine distance au large contre un groupe de trois îles.—Il faudrait creuser en mer et garantir par des jetées un chenal entre ce mouillage et la terre ferme.—Diverses manières de déboucher en mer.
Rareté des travailleurs indigènes; on aurait besoin d'emmener des ouvriers d'Europe.—Précautions à prendre alors pour l'hygiène.—Emploi d'hommes disciplinés et dociles tels que les soldats du génie.—De la baie de Mandinga et d'un passage possible derrière la Boca del Toro.—Mines de charbon. 105
CHAPITRE IX.
Cinquième passage.—Isthme de Darien.
Dépression qu'offre la vallée de l'Atrato.—Communication projetée à la fin du siècle dernier entre la vallée de l'Atrato et le port de Cupica par le Naipipi.—Elle est impossible.—Communication entre la vallée de l'Atrato et celle du San-Juan, par le vallon de la Raspadura; on n'en ferait jamais un canal des deux océans. 137
CHAPITRE X.
Conclusion des cinq chapitrés précédents—Études à faire.
Deux tracés se recommandent: l'un par Chagres et les environs de Panama, l'autre par le pays de Nicaragua.—Dépense à laquelle il faut s'attendre avec l'un et avec l'autre; elle serait considérable, mais non au-dessus des forces des gouvernements des trois premières puissances maritimes réunies.—Plan d'une étude générale à Panama, au lac de Nicaragua, à la baie de Mandinga, à la Boca del Toro.—Il faudrait un personnel nombreux d'ingénieurs et un plus nombreux d'agents subalternes.—Soldats du génie et matelots à la suite des ingénieurs.—Études médicales à joindre à celles des ingénieurs, afin d'être prêt, au cas où des ouvriers européens ou du nord de l'Amérique devraient être envoyés dans l'isthme.—Il conviendrait que la France se chargeât de ces études; le gouvernement en retirerait beaucoup d'honneur et ce serait conforme à sa politique. 141
CHAPITRE XI.
Du percement de l'isthme de Suez.
L'isthme est nivelé; bassin des Lacs Amers qui est au-dessous de la mer Rouge; l'épaisseur de l'isthme est rigoureusement de 115 kilomètres.—Inégalité de niveau des deux mers.—Difficulté d'avoir un port sur la Méditerranée.—Le canal de l'isthme de Suez a existé.—Canal des Rois de Suez au Nil, du temps de l'antique Égypte.—Restauration du temps des Ptolémées et sous l'empereur Adrien.—Travaux des mahométans.—Projets du général en chef Bonaparte.—Études que fit alors M. le Père.—Une fois dans le Nil, il faudrait atteindre la Méditerranée; le seul port de ces parages est Alexandrie; coup d'œil d'Alexandre-le-Grand.—Il serait bien difficile de rejoindre Alexandrie depuis le débouché du canal de Suez au Nil.—Convenance d'un canal direct de Suez à la Méditerranée; autrement ce ne sera jamais une communication maritime; mais les sables que dépose la mer, en rendant difficile l'existence d'un port sur la Méditerranée à Péluse, y font obstacle.—Ce qu'était la traversée d'Europe aux Indes autrefois et ce qu'elle est aujourd'hui.—Abréviation que procurerait aux navires à voiles la coupure de l'isthme de Suez. 147
CHAPITRE XII.
Comment pourrait être exécuté le canal de l'isthme de Panama.
Bonnes dispositions du gouvernement de la Nouvelle-Grenade.—Immunités à attendre de lui.—Excellents sentiments manifestés à l'origine par le gouvernement fédéral de l'Amérique Centrale.—Triste situation de ce pays aujourd'hui; cependant les États de Nicaragua et de Costa-Rica que traverserait le canal de Nicaragua sont tranquilles et offrent des garanties.—Une compagnie ne pourrait exécuter le canal, quel que soit celui des deux tracés qu'on adopte.—Bénéfices à attendre d'un péage; nombre de navires qui se rendent dans le Grand Océan par le cap Horn ou par le cap de Bonne-Espérance.—Il n'y aurait que les gouvernements de la France et de l'Angleterre qui pussent le creuser; il conviendrait qu'ils s'associassent dans ce but avec celui des États-Unis. 163
ERRATA.
- Page 91, ligne 2: après très dure, mettre ou des sables coulants.
- Page 121, ligne 19: après dures à l'excès, mettre ou des sables mouvants, ce qui serait pire encore.
Note 1: Pour bien préciser quelques termes dont nous nous servirons souvent, rappelons qu'on désigne sous le nom d'Océan Atlantique la portion de l'Océan qui est bordée, d'un côté par l'Europe et l'Afrique, de l'autre par les deux Amériques. La vaste mer qui s'étend de la Chine et de l'Inde au pôle austral, et du versant occidental des Amériques au revers oriental de l'Afrique, est le Grand-Océan. Dans le voisinage de l'Amérique, entre les tropiques, celui-ci est nommé l'Océan Pacifique, à cause de la sécurité qu'il présente aux navigateurs, plus particulièrement dans l'hémisphère austral. Au contact de l'isthme de Panama, sur les côtes du Mexique et de l'Amérique centrale jusqu'à l'Amérique méridionale, on l'appelle souvent la mer du Sud. Nous emploierons ces trois dénominations de Grand-Océan, d'Océan Pacifique et de mer du Sud. La portion de l'Atlantique qui baigne l'isthme se compose du golfe du Mexique et de la mer des Antilles.
Les rameaux de la chaîne des Andes, qui se développe d'une extrémité à l'autre de l'Amérique, sont désignés par le nom de Cordillères, qui implique ainsi l'idée d'un contre-fort de la chaîne ou de l'ensemble d'une crête, et non celle d'un sommet isolé. La crête centrale est habituellement qualifiée de même.[Retour au texte principal.]
Note 2: Le golfe du Mexique a 1,650 kilomètres de l'est à l'ouest et 1,200 du nord au midi. Ce sont à très peu près les dimensions de la Méditerranée entre l'Espagne et la Grèce, entre l'Afrique et la France.[Retour au texte principal.]
Note 3: L'étendue de la vallée du fleuve des Amazones est égale à douze fois environ celle de la France.[Retour au texte principal.]
Note 4: On trouve des volcans en Amérique, non seulement entre les tropiques, mais jusqu'aux deux extrémités. Le mont Saint-Élie, placé au terme habitable de l'Amérique du Nord, est un volcan. Plusieurs volcans sont plus au nord encore, dans l'Amérique russe. L'Amérique du Sud se termine par la Terre-de-Feu, ainsi nommée à cause de ses volcans.[Retour au texte principal.]
Note 5: M. Thompson (Official visit to Guatimala, p. 239) fait remarquer que les volcans de Guatimala ont une élévation de 4,026 mètres au-dessus de leur base. Le Chimborazo est élevé de 6,530 mètres au-dessus de la mer; mais, sa base étant de 2,902 mètres, il ne reste que 3,628 mètres pour la hauteur au-dessus de la base. Au Mexique, le Popocatepelt, l'une des montagnes de la Sierra Nevada de Mexico, a 5,400 mètres au-dessus de la mer; mais sa hauteur au-dessus de sa base n'en est que la moitié.[Retour au texte principal.]
Note 6: Ces deux opinions étaient fondées l'une et l'autre. La terre étant ronde, pour se rendre d'un point à un autre, on est également certain d'arriver en prenant à droit ou à gauche sur le grand cercle de la sphère tracé par ces deux points; mais ces deux chemins ne sont pas également courts, et l'un peut être infiniment plus long que l'autre. Pour qu'ils fussent également égaux, il faudrait que les deux points se trouvassent aux extrémités d'un même diamètre sur ce grand cercle. Colomb, par une bien heureuse erreur, s'imaginait que le trajet serait moins long d'Europe en Chine en marchant de l'est à l'ouest qu'en prenant le tour de la terre à rebours, c'est-à-dire de l'ouest à l'est.[Retour au texte principal.]
Note 7: Il est hors de doute aujourd'hui que les navigateurs scandinaves avaient pénétré dans le Nouveau-Monde dès la fin du Xe siècle. Ils y avaient même fondé quelques établissements. Mais les relations ainsi créées entre les deux continents s'étaient interrompues, et le souvenir s'en était perdu. L'Europe méridionale, c'est-à-dire les deux péninsules ibérique et italique, l'Angleterre et la France, n'en avaient jamais été informées. Colomb avait visité l'Islande, dans les bibliothèques de laquelle on a retrouvé, assez récemment, la preuve positive des voyages des Scandinaves en Amérique. On a assuré qu'il avait acquis dans cette île des éléments de conviction au sujet de l'existence des terres à l'occident de l'Europe. Mais ce fait n'est pas démontré. Au contraire, il est parfaitement certain, ainsi que nous l'avançons ici, que Colomb croyait aller en Chine par une route différente de celle qu'on croyait la meilleure, et même la seule possible.[Retour au texte principal.]
Note 8: L'expédition partit de Cadix le 11 mai 1502, et rentra le 7 novembre 1504. Colomb y découvrit la côte de l'isthme de Panama depuis Honduras jusqu'à l'Amérique du Sud, dont il reconnut une partie. Il mourut le 20 mai 1506. Les deux premiers voyages de Colomb l'avaient conduit à l'archipel des Antilles. Le troisième l'avait mené sur la Côte-Ferme, au Delta de l'Orénoque et sur la côte de Paria, et par conséquent loin de l'isthme; il y avait pris terre le 1er août 1498. C'était la première fois que Colomb abordait sur le continent américain. Jusqu'alors il n'avait vu que les îles; mais, dès le 24 juin 1497, Sébastien Cabot, envoyé par les Anglais, avait découvert le continent de l'Amérique du Nord.[Retour au texte principal.]
Note 9: Le premier qui navigua sur ces eaux mystérieuses fut Alonzo Martin de San-Benito, l'un des compagnons de Balboa, qui, avant la prise de possession par celui-ci, découvrit une descente au golfe de San-Miguel, sur lequel il trouva un canot.[Retour au texte principal.]
Note 10: L'Orénoque a son embouchure par le 9e degré de latitude boréale.[Retour au texte principal.]
Note 11: Le cap Saint-Augustin est, de l'autre côté de la ligne, dans le Brésil, à 8 degrés 20 minutes de latitude australe.[Retour au texte principal.]
Note 12: El Almirante; c'est le nom sous lequel Christophe Colomb est désigné dans l'Amérique espagnole.[Retour au texte principal.]
Note 13: Le départ de Vasco de Gama est du 8 juillet 1497. Il doubla le Cap le 2 novembre 1497, et arriva à Calecut le 20 mai 1498. Le troisième départ de Colomb est du 30 mai 1498.[Retour au texte principal.]
Note 14: C'est ce que cherchait Ponce de Léon et ce qui lui fit faire ses périlleuses expéditions en Floride.[Retour au texte principal.]
Note 15: Il y succomba pareillement, et son frère, l'aîné des trois, Vasqueanes Cortereal, gouverneur de Terceire, fit armer, en 1503, une caravelle à ses frais, afin d'aller à la recherche de ses frères Gaspar et Miguel. Le roi don Manuel l'empêcha de partir par un ordre formel.[Retour au texte principal.]
Note 16: Ils ne le furent que quelques années après la découverte du détroit de Magellan. Le premier débarquement de Pizarre au Pérou est de 1526.[Retour au texte principal.]
Note 17: Le détroit de Magellan s'ouvre par 52-1/2 degrés de latitude australe, c'est-à-dire bien loin de l'équateur. Le cap Horn est de 3 degrés plus éloigné encore vers le pôle.[Retour au texte principal.]
Note 18: Le passage de Rio Frio, entre la Vera-Cruz et Mexico, est à 3,196 mètres au-dessus de la mer à la Vera-Cruz. Mexico est à 2,276 mètres. De là, pour aller à Cuercavaca, on franchit l'ancien camp de Cortez, situé à 2,996 mètres, pour redescendre à 516 mètres, et remonter encore à 1,380 mètres à Chilpanzingo.[Retour au texte principal.]
Note 19: Je dis quelques uns, car je ne suis pas de ceux qui accusent le gouvernement espagnol d'avoir été barbare et exterminateur dans l'administration de ses colonies. Dans l'ensemble, il s'y est montré humain, quoiqu'on lui ait fait une réputation contraire. Les colons ont eu individuellement de grands reproches à se faire; mais l'esprit des ordonnances espagnoles envers les indigènes du Nouveau-Monde et les efforts de l'administration coloniale ont été favorables à la cause de l'humanité et de la civilisation, en ce qui concernait ces populations.[Retour au texte principal.]
Note 20: Ce sont les distances directes sans détours. Les distances itinéraires, c'est-à-dire réellement parcourues par les navires, seraient plus fortes d'un quart ou d'un cinquième.[Retour au texte principal.]
Note 21: Le Grand-Océan cependant ne mérite tout-à-fait le nom de Pacifique que du parallèle de Coquimbo à celui du cap Corrientes, entre le 30e degré de latitude australe et le 5e degré de latitude boréale. Il est là d'une sérénité constante. Au-delà il n'en est pas de même; dans la saison des pluies, particulièrement le long des côtes de l'Amérique, la navigation y devient dangereuse.[Retour au texte principal.]
Note 22: C'est le pilote don Francisco Maurelli qui eut ce courage, au commencement du siècle, pour apporter aux Philippines la nouvelle de la rupture entre l'Angleterre et l'Espagne.[Retour au texte principal.]
Note 23: Si le Chili surpasse en prospérité les autres républiques de la côte occidentale de l'Amérique, on peut l'attribuer à ce que par le cap Horn il est d'un accès plus facile. C'est pour cela que probablement, pour s'y rendre d'Europe, le passage du cap Horn pourrait continuer à être préféré.[Retour au texte principal.]
Note 24: Le canal latéral à la Garonne a des dimensions un peu plus fortes; le canal d'Arles à Bouc est un peu plus large encore que le canal latéral à la Garonne, et les écluses, très peu nombreuses d'ailleurs, ont 50 mètres de long sur 8 de large.[Retour au texte principal.]
Note 25: Le canal Érié se reconstruit depuis quelques années avec plus de largeur et de profondeur. Il surpassera même le canal du Midi et le canal latéral à la Garonne. Le canal de la Chesapeake à l'Ohio est à peu près à l'image de nos canaux à grande section. Le canal latéral au Saint-Laurent dans le Canada a 30 mètres et 1/2 de largeur à la ligne d'eau et 3 mètres de profondeur.[Retour au texte principal.]
Note 26: Le développement de la ligne tout entière est de 85 kilomètres; mais il n'y a de canal creusé que sur 34 et 1/2 kilomètres; le reste est dans le lit des lacs ou des rivières.[Retour au texte principal.]
Note 27: Ce ne sont que des écluses régulatrices nécessitées par la marée qui change à chaque instant le niveau de la mer, tandis que, dans le canal, on a besoin d'un niveau constant.[Retour au texte principal.]
Note 28: On doit croire que la substitution des hélices aux roues à aubes, comme organes moteurs des navires à vapeur, permettra de réduire la largeur des écluses destinées à les recevoir, puisqu'ils seront alors dégagés des grands et incommodes tambours qu'ils portent sur leurs flancs. On réduirait alors la longueur de la coque, et on en augmenterait la largeur. Un paquebot de 450 chevaux pourrait dès lors entrer dans l'écluse, des vaisseaux à trois ponts, qui a 67 mètres 60 centimètres de long et 18 mètres 22 centimètres de large. Quant à la profondeur d'une écluse, elle a pour minimum absolu le tirant d'eau des navires auxquels elle est réservée, augmenté d'environ un demi-mètre, car il faut bien que ces navires y restent à flot.[Retour au texte principal.]
Note 29: Le canal hollandais du Nord est pourtant ainsi; mais la Hollande est un pays exceptionnellement nivelé par la nature.[Retour au texte principal.]
Note 30: On ne s'en est pas toujours assez préoccupé en France.[Retour au texte principal.]
Note 31: L'eau pluviale représente tous les ans à Paris une couche de 50 à 55 centimètres: entre les tropiques, dans le nouveau continent, c'est communément de 2 mètres 70 centimètres à 3 mètres.[Retour au texte principal.]
Note 32: «Les observations barométriques ne méritent qu'une confiance médiocre. Le seul baromètre que possédât la commission avait été fait par moi, et il est probable qu'il avait pris l'air pendant le voyage, ce qui peut avoir influé sur l'exactitude des points mesurés. Leur hauteur respective doit néanmoins être assez exactement déterminée. Nos calculs ont été corrigés par les observations que nous avons faites plus tard à Tehuantepec.» (Extrait du rapport de don Juan Orbegoso.)[Retour au texte principal.]
Note 33: Pour le faire sortir, il fallut l'alléger de son artillerie. Un vaisseau de ligne tirant de 7 à 8 mètres d'eau, il faut qu'il trouve sur la barre d'un fleuve une profondeur d'eau de 9 à 10 mètres.[Retour au texte principal.]
Note 34: La latitude de l'embouchure du Guasacoalco est de 18 degrés 8 minutes; celle de la côte près de Tehuantepec est de 16 degrés 11 minutes; celle de l'embarcadère du Saravia sur le Guasacoalco est de 17 degrés 12 minutes, et les trois points sont à peu près sur le même méridien.[Retour au texte principal.]
Note 35: À San-Miguel, le Chimalapa est à 173 mètres au-dessus de la mer: le village de Santa-Maria est à 286 mètres; mais le Guasacoalco est de beaucoup plus bas que le village. À 13 kilomètres en aval, il est à 160 mètres 10 centimètres, ce qui permet de supposer que le niveau du fleuve à Santa-Maria est à 170 mètres environ.[Retour au texte principal.]
Note 36: Eu égard, sans doute, aux sommes dont pourrait disposer le gouvernement mexicain.[Retour au texte principal.]
Note 37: D'après la dernière carte de l'Amirauté anglaise, le pic d'Omoa, qui est situé derrière le port du même nom sur la baie de Honduras, a environ 7,000 pieds anglais (2,130 mètres), et le pic de Congrehoy (ou Congrejal), placé 150 kilomètres plus à l'est, 7,500 pieds (2,290 mètres). Ces deux montagnes sont sur le bord méridional de la baie, là où la chaîne qui la borde cesse d'être continue et laisse des ouvertures.[Retour au texte principal.]
Note 38: C'est le nom du Mexique dans la langue des Aztèques.[Retour au texte principal.]
Note 39: Le Sirano, que nous citions tout-à-l'heure, y fait cependant exception.[Retour au texte principal.]
Note 40: Nous adoptons ici, pour le lac de Nicaragua et pour les rivières San-Juan et Tipitapa, les évaluations de M. Bailey, rapportées par M. Stephens, en supposant, ce que nous avons pu vérifier, que les milles dont il se sert en ce qui les concerne soient des milles géographiques de 1,851 mètres, quoique ailleurs M. Stephens emploie le mille de 1,609 mètres. Les autres observateurs et géographes attribuent au lac de Nicaragua de plus grandes dimensions. Quant à la profondeur, ils lui en assignent une moindre, mais plus que suffisante pour de grands navires. MM. Rouhaud et Dumartray donnent au lac[A] 45 lieues de longueur sur 25 de largeur, et une profondeur de 75 pieds. En supposant que la lieue dont ils se servent soit la lieue marine de 5 kilomètres et demi, le lac aurait 250 kilomètres de long sur 137 de large. Les nouvelles cartes de l'Amirauté anglaise et du Dépôt de la Marine française, dressées d'après les résultats de l'expédition du commodore Owen, se rapprochent des indications que nous avons adoptées.[Retour au texte principal.]
Note A: Page 8 de leur Notice sur l'Amérique Centrale.[Retour à la note principale.]
Note 41: On désigne ainsi les points où le courant est beaucoup plus vif et oppose un grand obstacle aux navires qui remontent. Quand un rapide est bien caractérisé, il interrompt la ligne navigable. Voici, d'après les renseignements communiqués à M. Stephens par M. Bailey, comme sont distribués les rapides et comment se présente le fleuve à partir du lac de Nicaragua:
À partir du lac jusqu'à la rivière des Savalos, sur 33 kilomètres environ, le fleuve San-Juan a une profondeur de 3 mètres 65 centimètres à 7 mètres 30 centimètres. Alors commencent les rapides d'El Toro, dont l'étendue est de 1,850 mètres, et où la profondeur de l'eau est de 2 mètres 75 centimètres à 3 mètres 65 centimètres. Pendant un intervalle de 7,400 mètres, on trouve une navigation facile; mais, arrivé à Castillo Viejo, on rencontre d'autres rapides d'environ 1,000 mètres de développement, où il y a de 3 mètres 65 centimètres à 7 mètres 30 c. d'eau. Après un nouvel espace d'une bonne navigation, long de 3,700 mètres, où l'eau a une profondeur de 4 mètres 50 c. à 4 mètres, se présentent les rapides de Mico et de las Balas, qui se succèdent et n'ont pas ensemble un développement de plus de 1,850 mètres; la profondeur du chenal y varie de 1 mètre 83 centimètres à 5 mètres et demi. Après un autre espace navigable de 2,800 mètres, viennent les rapides de Machuca, de 1,850 mètres de longueur; ce sont les plus dangereux de tous, parce que le fleuve y court sur un lit hérissé de pointes de rochers. Après un nouveau bassin naturel de 18 kil. et demi, où il y a de 3 mètres 65 centimètres d'eau à 13 mètres, on est au confluent du San-Carlos. 20 kilomètres plus loin, le San-Juan reçoit le Sarapiqui, seule communication entre l'État de Costa-Rica et le port San-Juan ou la mer. Dans ce trajet sont distribuées des îles, et la profondeur est de 1 mètre 83 centimètres à 11 mètres; les points les moins profonds étant aux coudes du fleuve, il s'y est accumulé de la boue et du gravier. Enfin, après on parcours de 13 kilomètres, on est à la séparation du Colorado. De là à la mer il y a 24 kilomètres qu'on réduirait facilement à 18 et demi. Tous les sondages relatés ici ont été pris à basses eaux. Remarquons que, à ce compte, le développement du fleuve serait de 129 kilomètres, au lieu des 146 indiqués ailleurs par M. Stephens.
Les barrages à placer à chacun des quatre rapides auraient de 80 à 100 mètres. Sur quelques autres points il faudrait des dragages.[Retour au texte principal.]
Note 42: L'opinion de M. Bailey, telle que la rapporte M. Stephens, serait que ce port est parfait (unexceptionable), mais petit. Tous les autres témoignages sont d'accord à lui reconnaître au contraire beaucoup d'étendue. MM. Rouhaud et Dumartray disent (page 7 de leur notice) qu'il est vaste et de toute sécurité, ce que «ne présente aucun autre point de la côte orientale de l'Amérique Centrale.» De savants marins français qui ont été chargés de l'examiner en 1843 disent expressément que c'est un asile vaste et sûr, une belle situation, un excellent port, et, ajoutent-ils, un bon mouillage près de terre.[Retour au texte principal.]
Note 43: Ce barrage aurait 410 mètres de long.[Retour au texte principal.]
Note 44: Suivant M. Stephens, toute la pente de la rivière Tipitapa, montant à 8 mètres 74 centimètres, serait accumulée sur les 10 premiers kilomètres à partir du lac de Leon. M. Rouhaud, qui a pris part aux opérations topographiques faites dans le pays, m'a dit que la pente de 8 mètres 74 centimètres était répartie ainsi: 5 mètres 49 centimètres en une chute à Tipitapa, et le reste, soit 3 mètres 25 centimètres, de Tipitapa au lac de Nicaragua.[Retour au texte principal.]
Note 45: M. Rouhaud assure qu'il est extrêmement rare de voir arriver des malheurs aux pirogues (non pontées) fort mal construites, qui servent aux transports sur le lac.[Retour au texte principal.]
Note 46: La longueur totale de la tranchée est de 20,585 mètres. L'écoulement des lacs a exigé quelques autres travaux moins importants, et l'opération entière a absorbé 31 millions de francs, en comptant, à la vérité, les frais de beaucoup d'écoles, d'essais avortés et de fausses manœuvres.[Retour au texte principal.]
Note 47: Cette tranchée, creusée dans un terrain composé alternativement d'une roche compacte et d'une argile très dure, a coûté exactement 3,667,345 fr. Le canal y est réduit à la largeur de 7 mètres. Le canal d'Arles à Bouc a été construit par M. Garella, inspecteur-divisionnaire des ponts et chaussées, père de M. Garella, ingénieur en chef des mines, qui explore maintenant l'isthme de Panama. La tranchée de la Lèque avait été commencée par M. Boudon.[Retour au texte principal.]
Note 48: Ce projet a été tracé, d'après les nivellements de M. Bailey, par M. Horace Allen, habile ingénieur des États-Unis, auquel M. Stephens a communiqué ses notes. Peut-être M. Bailey, d'après les connaissances qu'il avait des lieux, particulièrement sous le rapport des eaux à employer pour l'approvisionnement du canal, l'eût-il tracé fort différemment, en ce sens qu'il ne l'eût pas élevé au-dessus du niveau du lac.[Retour au texte principal.]
Note 49: Après avoir reproduit le tableau des cotes de nivellement, M. Stephens dit que 1,600 mètres seulement du bief de partage devraient être en souterrain. C'est ce qui m'a semblé inadmissible. L'élévation de son bief de partage au-dessus de l'Océan Pacifique est de 61 mètres 60 centimètres. Or, à 5,377 mètres de l'Océan Pacifique, en un point qu'occuperait le bief de partage, le sol est à 87 mètres d'élévation, et c'est seulement 3,300 mètres plus loin qu'on revient à la cote de 82 mètres, qui comporte, pour redescendre au niveau du bief de partage, une tranchée de 27 mètres de profondeur, y compris 6 mètres pour la cuvette du canal. Pour réduire le souterrain à 1,600 mètres, il faudrait pousser la tranchée, sur chacune des têtes du souterrain, un peu au-delà de la profondeur de 50 mèt. Afin d'éviter absolument un souterrain, on comprend qu'on aille en tranchée jusque là; mais du moment qu'on en admet un, il y a presque toujours avantage à arrêter la tranchée en deçà de cette limite.[Retour au texte principal.]
Note 50: En supposant qu'on se mît en souterrain lorsque la tranchée aurait été portée à 25 mètres environ de profondeur.[Retour au texte principal.]
Note 51: Voir, pour les dimensions des souterrains de plusieurs canaux ou chemins de fer, le Cours de Construction de M. Minard, pag. 303.[Retour au texte principal.]
Note 52: Mexico and Guatimala, t. II, 285.[Retour au texte principal.]
Note 53: En ajoutant 6 mètres pour la profondeur du canal, au-dessous de la ligne d'eau qui se confondrait avec le niveau du lac.[Retour au texte principal.]
Note 54: Je fais abstraction ici de la différence de niveau entre les deux océans.[Retour au texte principal.]
Note 55: Un marin expérimenté, M. d'Yriarte, qui a beaucoup parcouru ces parages, certifiait à M. Stephens que les vents du nord, qui de novembre à mai sont dominants sur le lac de Nicaragua et le golfe de Papagayo, ont à San-Juan du Sud une telle violence, qu'ils empêcheraient un navire d'entrer dans le port. Mais cet obstacle ne pourrait-il pas être vaincu par des remorqueurs à vapeur? On avait dit aussi à M. de Humboldt que cette côte était fort orageuse, tandis que d'autres témoignages l'avaient à peu près rassuré sur ce point. Presque tout est entaché de doute sur ces contrées, et elles réclament une minutieuse exploration, presque au même degré qu'il y a trois siècles.[Retour au texte principal.]
Note 56: Juarros, traduction anglaise de M. Baily, lieutenant de la marine anglaise; 1823, p. 337.[Retour au texte principal.]
Note 57: En 1825, M. de Humboldt estimait le minimum de largeur de l'isthme à 14 lieues marines (78 kilomètres). Les cartes plus récentes réduisent ce minimum assez notablement.[Retour au texte principal.]
Note 58: Les cartes récentes de l'amirauté anglaise, dressées d'après les observations du commodore Owen, indiquent, dans la province de Veragua, plusieurs cimes de plus de 7,000 pieds anglais (2,130 mètres), une, le mont Chiriqui, de 11,266 (3,435 mètres), et une autre, le mont Blanc, de 11,740 (3,580 mètres). Le pic de Néthou, le plus élevé des Pyrénées, n'a que 3,404 mètres.[Retour au texte principal.]
Note 59: Quelquefois on s'arrête à Gorgona, qui est un peu au-dessous de Cruces. Gorgona est, de même que Cruces, agréablement située sur un sol élevé, au bord du Chagres. La route de Gorgona à Chagres est plus unie que celle de Cruces. Pendant la belle saison elle est plus agréable; dans le temps des pluies elle se détrempe trop. Celle de Cruces est fort inégale et fort pierreuse. Les muletiers, qui ont leurs habitudes à Cruces, font tous leurs efforts pour y amener les voyageurs.[Retour au texte principal.]
Note 60: François Pizarre débarqua à Nombre-de-Dios, port de l'Atlantique entre Chagres et Porto-Belo. Il avait rencontré en Espagne Fernand Cortez, entouré alors de la gloire que lui avait value la conquête du Mexique. Cortez, qui avait une grande âme et se plaisait à encourager la jeunesse dans d'audacieuses entreprises, fournit des fonds à François Pizarre. De Nombre-de-Dios, ce dernier se rendit à Panama où l'attendait son ancien compagnon de fatigue et futur compagnon de succès, Almagro.[Retour au texte principal.]
Note 61: M. Wheelwright, ancien agent supérieur de la Compagnie anglaise des navires à vapeur de l'Océan Pacifique, qui, durant dix-huit ans, a fréquenté l'isthme, constate également que la route de Cruces à Panama fut jadis pavée; il ajoute que les pierres dont avait été faite la chaussée sont aujourd'hui très incommodes pour les voyageurs. C'est ce qui lui ferait préférer le chemin de Panama à Gorgona pendant la belle saison.[Retour au texte principal.]
Note 62: D'après le mémoire publié par M. Lloyd, la mer moyenne à Panama serait plus élevée qu'à Chagres de 1 mètre 7 centimètres; différence huit fois moindre qu'entre la mer Rouge à Suez et la Méditerranée aux bouches du Nil. À Panama, la différence de la haute à la basse mer (ce qu'on nomme la marée) serait, deux jours après la pleine lune, de 6 mètres 47 centimètres; mais quelquefois, sous l'influence de certains vents et par le concours de diverses circonstances, elle irait à 8 mètres 37 centimètres. À Chagres, elle ne serait que de 32 centimètres. Le moment de la haute mer est d'ailleurs le même dans les deux ports. Régulièrement tous les jours, à un certain instant, la mer serait à Panama de 4 mètres 13 centimètres plus haute qu'à Chagres. Au moment de la basse mer, elle serait plus basse de 1 mètre 99 centimètres, et à la mer moyenne elle reprendrait une supériorité, avons-nous dit, de 1 mètre 7 centimètres.
On voit par là que la marée est très faible à Chagres et très marquée à Panama. D'un pays à l'autre, et même d'un port au suivant, la marée, on le sait, varie beaucoup. Sur la cote des États-Unis, le long de l'Atlantique, elle est, au midi de New-York, de 1 mètre et demi à 2 mètres. Au nord, elle augmente successivement; elle est à Boston de 3 mètres et demi, et sur le littoral de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, dans la baie de Fundy, de 10, 15, et même, dit-on, de 20 mètres. À Brest, elle est de 7 mètres, à Saint-Malo de 13, et à Granville de 14.
Mais M. Lloyd a exagéré les marées de l'Océan Pacifique à Panama. D'après les observations tout récemment rapportées de la mer du Sud par l'expédition de la Danaïde, que commandait M. Joseph de Rosamel, capitaine de vaisseau, à Panama les plus fortes marées sont de 5 mètres, et les plus faibles de 3 mètres 25 centimètres.[Retour au texte principal.]
Note 63: MM. Lloyd et Falmarc se mirent à l'œuvre le 5 mai 1828, quoique la saison des pluies eût commencé. Leur nivellement partait de la rue Sal-si-Puede, qui touche à la mer, à l'endroit de la plage appelé Playa-Prieta. À 36,760 mètres de Panama, ils rencontrèrent la rivière Chagres. Après s'être élevés, à Maria-Henrique, à 196 mètres 39 centimètres au-dessus de la mer Pacifique, ils étaient là redescendus à 49 mètres 76 centimètres. Tel était le niveau du Chagres en ce point le 7 février 1829. De là à Cruces, ils trouvèrent par la rivière une distance du 31,070 mètres, et une pente de la rivière de 34 mètres 95 centimètres. De Cruces à l'embouchure, il y a une distance de 82 kilomètres, et la pente n'est que de 15 mètres 88 centimètres. À partir de la Bruja, qui est encore à 18 kilomètres de Chagres, la rivière n'a plus de pente.
Il résulte du profil tracé par M. Lloyd que le terrain entre Panama et le Rio Chagres, selon la direction qu'il a suivie, est bombé, et s'élève graduellement dans les deux sens, non cependant sans quelques ondulations, au lieu d'offrir, comme l'a trouvé M. Bailey, entre le lac Nicaragua et l'Océan Pacifique, au milieu du trajet, une crête saillante qu'il suffit de percer par un souterrain assez court pour être dispensé de gravir la majeure partie de la pente.[Retour au texte principal.]
Note 64: Sur le canal Calédonien on a dû construire vingt-trois écluses pour racheter une pente et contre-pente qui est de 56 mètres 13 centimètres: ici, ce serait de 120 mètres environ; il faudrait donc cinquante écluses. Aux prix de Brest (page 48), ces écluses reviendraient à 20 millions.[Retour au texte principal.]
Note 65: La mesure donnée par le commandant Garnier est de 14 pieds de France (4 mètres 54 centimètres). M. Wheelwright dit 14 pieds anglais (3 mètres 49 centimètres) qu'il réduit à 12 et demi, parce que, dit-il, les pluies avaient gonflé de 18 pouces la rivière, à la barre même, ce qui semble difficile à admettre.[Retour au texte principal.]
Note 66: Rapport du commandant Garnier, du brick le Laurier, au contre-amiral Arnoux, page 36 d'une publication faite en 1843 par MM. Salomon, à Londres.[Retour au texte principal.]
Note 67: L'expédition de la Danaïde, commandée par M. Joseph de Rosamel, a dressé de la côte de Panama une excellente carte, à laquelle nous empruntons les renseignements cités ici. Cette carte est due particulièrement à M. Fisquet, enseigne de vaisseau.[Retour au texte principal.]
Note 68: Voici le passage du capitaine Cochrane: «Le Naipipi est en partie navigable, mais c'est une navigation très dangereuse. Le commerce ne saurait y recourir. Quant à construire un canal ou un chemin de fer, c'est impossible, du moins c'est ce qui résulte des renseignements que me donna, à Citerà, un officier colombien, le major Alvarès, qui venait par là de Panama. Il me dit qu'il avait trouvé le Naipipi sans profondeur, d'un courant rapide, et hérissé de rochers; que, du Naipipi à Cupica, on avait à franchir trois rangées de collines (three sets of hills), et qu'il ne voyait pas comment on pourrait opérer une jonction du Naipipi au Grand-Océan. De toutes les observations qu'il m'a été possible de recueillir à ce sujet, je tire la conséquence que le baron de Humboldt (qui n'a pas été sur les lieux) aura été mal informé à l'égard de cette communication avec l'Océan.» (Journal of a residence and travels in Columbia, during the years 1823 and 1824, par le capitaine Ch. Stuart Cochrane, vol. II, p. 449.)[Retour au texte principal.]
Note 69: On avait même dit à M. de Humboldt que cette jonction avait été opérée par les soins d'un moine industrieux, curé de Novità, et que par ce canal des canots chargés de cacao étaient venus d'une mer à l'autre. Probablement ce récit se fonde sur quelques travaux d'amélioration qui auront été opérés dans le lit de la Raspadura.[Retour au texte principal.]
Note 70: La note dont il vient d'être question, rédigée par un Péruvien de Lima et transmise avec éloge à M. Mercer par Ch. W. Radcliff, qui a étudié avec soin la question du percement de l'isthme, porte à 410 milles (660 kilomètres) la distance de Quibdò (on Citerà) aux bouches de l'Atrato. Citerà n'est guère qu'à la moitié du trajet. Cette évaluation est donc exagérée.[Retour au texte principal.]
Note 71: Les marées de vive eau sont celles qui ont lieu après la pleine ou la nouvelle lune; ce sont les plus grandes. Les marées qui ont lieu aux deux autres quartiers de la lune sont les plus faibles.[Retour au texte principal.]
Note 72: Le Boghaz (c'est ainsi qu'on nomme chacune de ces passes) de Damiette est le meilleur des deux; mais on n'y trouve qu'une profondeur assez régulière d'ailleurs de 2-1/3 mètres à 2-1/2 mètres quand le fleure est bas, de 3-1/4 mètres pendant les crues. Le Boghaz de Rosette n'a dans les mêmes circonstances que de 1-1/3 mètre à 1-1/2 mètre, et de 2-1/3 mètres à 2-1/2 mètres. Ce sont d'ailleurs des passages mal abrités pendant l'hiver.[Retour au texte principal.]
Note 73: Le Mahmoudiéh a sa prise d'eau dans le Nil à Fouah. L'ancien canal avait la sienne à Rahmanyéh, qui est plus haut et un peu plus à l'est, et sa longueur était, selon M. le Père, d'environ 94 kilomètres. On s'en est écarté sur quelques points lors de la restauration ordonnée par Méhémet-Ali, de manière à en abréger le parcours.[Retour au texte principal.]
Note 74: M. le Père supposait que le but du voyage serait Pondichéry et que le point de départ serait Lorient, dans le cas du trajet par le Cap, et Marseille dans l'autre cas.[Retour au texte principal.]
Note 75: Ce sont les termes textuels d'une dépêche en date du 30 septembre 1843, adressée de Bogota par le ministre des relations extérieures de la Nouvelle-Grenade, M. Mariano Ozpina, aux gouvernements des grandes puissances européennes.[Retour au texte principal.]