CHAPITRE III

De «Cinq-Mars» à la «Chronique de Charles IX».

De ces leçons le roman historique ne devait pas profiter tout d'abord. C'est ici une période fort peu intéressante de son histoire. Les oeuvres abondent, comme de raison; mais les belles oeuvres, ou même les oeuvres sérieuses et qui méritent un moment d'attention, y sont par contre fort rares. Les Chouans mis à part, elles ne vaudraient même pas d'être signalées, si nous ne considérions comme de notre devoir de tracer, au moins à larges traits, l'histoire du genre.

Deux raisons justifient ce rapide développement. D'abord, on continue à aimer l'histoire, et c'est d'elle,—sans succès, il est vrai,—mais c'est d'elle tout de même qu'on emprunte la matière de l'ouvrage d'art. Puis, il fallait que le roman historique s'imposât dès lors avec une singulière puissance, pour faire accepter des pauvretés comme Philippe de Flandre ou les Prisonniers du Louvre, Jeanne la Folle ou Haldan de Knüden, manuscrit danois du XVe siècle. Que de telles oeuvres aient pu obtenir les honneurs seulement de la lecture,—et nous savons qu'elles ont eu du succès, comme tant d'autres d'ailleurs,—c'est la meilleure preuve et que le roman historique avait alors une vitalité admirable et qu'aucune forme littéraire ne pouvait mieux convenir aux imaginations. Ces motifs sont peut-être suffisants pour nous justifier de parler un instant du Fray-Eugenio de Mortonval ou du Roi des Montagnes de Barginet.

«Voici encore un roman politique, un plaidoyer pour le trône contre l'autel, un conseil donné aux rois de s'affranchir du joug des prêtres: leçon inutile, faite sans bonne foi, accueillie comme elle le mérite.» Le rédacteur du Globe a raison: «Fray-Eugenio n'est qu'un pamphlet.» «Le peuple espagnol ne paraît nulle part» dans ce livre. Et qu'y viendrait-il faire en vérité? Mortonval, auteur du Tartufe moderne, a-t-il pour objet de ressusciter devant nous l'Espagne du XVIIe siècle? et par une peinture, sinon profonde, au moins exacte, de l'esprit et du caractère de la nation espagnole, de nous expliquer que l'Inquisition ait pu s'acclimater dans ce pays et y vivre si longtemps? Car enfin «un auto-da-fé a ses conditions comme toutes choses. Cette barbarie absurde fait nécessairement partie d'un système complet de civilisation qui la rend possible. C'est ce que l'auteur d'Eugenio ne nous paraît pas assez comprendre.» Il y avait cependant matière à un beau roman historique. Mortonval ne l'essaie même pas, et il court tout de suite à son véritable sujet, c'est-à-dire à la satire violente et déclamatoire. Ce n'était pas la peine en vérité de mettre «tant de temps et de soins» à compulser les documents authentiques; car il a lu des relations et des mémoires. Il faut louer la conscience de Mortonval et regretter qu'elle l'ait si mal servi.

Cependant, tout Mortonval qu'on soit, on n'écrit pas impunément après Walter Scott. Il y a par endroits comme des échos de la narration écossaise, et des bouts de dialogue ne manquent pas de naturel. C'est peu, évidemment; mais il faut avoir lu d'un trait les quatre volumes de Fray Eugenio pour comprendre le plaisir que peuvent donner quelques lignes qui ne soient pas exclusivement mauvais goût, monotonie, froideur ou style ampoulé et déclamatoire.

A Barginet, de Grenoble,—c'est ainsi qu'il signait ses romans,—nous ne pouvons accorder aussi qu'une mention rapide. Il est intéressant cependant; car il ne se contente pas d'emprunter sa manière à l'Écossais, il l'imite encore jusque dans sa matière; et tout ainsi que les «Waverley Novels» nous décrivaient les moeurs des Highlands, les_Dauphinoises_, la_Cotte rouge ou l'insurrection de 1626_ et le Roi des Montagnes ou les Compagnons du Chêne, tradition dauphinoise du temps de Charles VIII nous feront connaître celles des Terres-Froides. C'était une intéressante innovation. L'auteur n'avait malheureusement pas assez de talent pour se faire lire. Le Roi des Montagnes a beau n'être qu'une mosaïque de Walter Scott: il se pourrait qu'aux yeux de la postérité la recommandation fût encore insuffisante.

Bouginet, de Grenoble, a cependant gagné à s'être rendu familiers Rob Roy, Quentin Durward et Ivanhoe.

Le tournoi du premier volume se laisse lire, égayé qu'il est par les réflexions des paysans et des bourgeois, comme celui d'Ashby par les réflexions des Normands et les bouffonnes saillies de Wamba; la narration en est pleine de mouvement et d'animation. Ce n'est pas que tout y soit remarquable; il y a encore des couleurs fausses, des mouvements peu naturels ou forcés: l'ensemble n'en produit pas moins une impression satisfaisante.

Plus encore que le récit, le dialogue témoigne de l'heureuse influence qu'a subie l'auteur. Il est vif en général, bien conduit, ne manque ni d'à-propos, ni d'intérêt, et nous y retrouvons, pour la première fois, un assez fidèle écho de la voix des foules d'Ivanhoe ou de Kenilworth.

«Que Dieu, continua un autre bourgeois, que Dieu allonge la corde qui a servi à pendre Olivier le Diable, afin qu'elle puisse rendre le même office à tous les bayles de la province.

«C'est cela, mes bonnes oies grasses de la ville, répondit le fonctionnaire avec véhémence, criez contre la mémoire du roi Louis, et vous verrez qui paiera les frais de ces tournois. Mais, dites-moi, mon brave ami, les trompettes ne sonnent plus; suivant toute apparence, les nobles chevaliers sont las de s'assommer; que fait le roi dans ce moment?

      «Par Notre-Dame de Bon Secours! dit le colporteur… Voici un
      seigneur qui lui remet un parchemin roulé.

      «Bon, bon, que Dieu le bénisse! regardez toujours au nom de tous
      les saints.

      «Huchez-le sur votre balle, l'ami, s'écria un des bourgeois
      obstinés, et après cela vous pourrez le montrer pour de l'argent.

«Bien trouvé, maître, crièrent en riant les voisins du pauvre bayle.

«Vous ne diriez pas cela partout ailleurs, répondit le colporteur, sans que vos peaux d'âne ne sentissent le poids d'un bâton. (Le Roi des Montagnes, vol. I, p. 72.)

On dirait une traduction de Walter Scott, et c'en est une, ou à peu près.

Un an après le Rob Roy du Dauphiné paraissaient les Chouans. C'était encore une étude de moeurs provinciales; mais elle portait cette fois le nom de Balzac.

Tous les critiques ont signalé l'influence et l'imitation de Walter Scott dans la première oeuvre qu'ait avouée le grand romancier. Les critiques ont raison: les Chouans ou la Bretagne en 1799 ne sont qu'un roman historique exécuté avec les procédés mêmes d'Ivanhoe. La vérification en est aisée. Il sera aussi facile de constater que c'est surtout de cette intelligente imitation que viennent les progrès qu'entre 1826 et 1829 le genre a pu réaliser.

Tout d'abord, l'oeuvre ne dément pas le titre, et le titre est significatif. C'est bien une peinture de la Bretagne en 1799 que l'écrivain a voulu nous donner, plutôt que le spectacle des amours inquiètes du jeune chef pour Marie de Verneuil et des intrigues de Corentin. On peut trouver cependant que, dans ce livre, ces amours et ces intrigues tiennent une grande place. C'est constater simplement que Balzac est déjà là tout entier, peintre incomparable de la passion et ami des folles intrigues, auteur des Illusions perdues et du Père Goriot, et aussi de l'Histoire des Treize et de la Dernière incarnation de Vautrin. Mais, quelque importance que finisse par y prendre l'intrigue, les Chouans n'en conservent pas moins, et avant tout, un intérêt historique profond. La Bretagne pendant la Révolution, ses antipathies profondes pour le nouveau régime, l'universelle résistance aux armées comme aux institutions républicaines, la guerre contre les bleus prêchée comme une croisade et une guerre sainte, voilà bien le sujet principal du roman, et qui domine tout de même le marquis de Montauran, Mlle de Verneuil et leurs tragiques et romantiques amours. Comme dans Ivanhoe ou Quentin Durward, passions et intérêts particuliers disparaissent ici pour faire place aux intérêts et aux passions de tout un peuple. Si c'est là une des conditions essentielles du roman historique de Walter Scott, les Chouans la remplissent assez bien, et l'Écossais pouvait facilement se reconnaître dans l'oeuvre française. Il pouvait même s'y mieux reconnaître que dans Cinq-Mars. Pour beaucoup de raisons, dont la principale était que Balzac avait un autre sentiment de la réalité et de la vie qu'A. de Vigny, le milieu, dans les Chouans, devait être établi, et avec une puissance singulière, dans sa vérité abondante et sa complexité touffue. Il faut lire, tout au commencement de l'ouvrage, le long passage que l'écrivain consacre à l'étude du passé, des moeurs, du sol même de la Bretagne, et voir comment, et du premier coup, l'ouvrage est définitivement situé. Walter Scott n'apportait pas plus de scrupules à nous faire comprendre les Highlands.

La peinture des moeurs bretonnes est naturellement plus détaillée et plus forte encore. Décrire les moeurs a toujours été le triomphe de Balzac: le jeune romancier inaugure brillamment sa carrière. L'esprit de toute une province revit dans les Chouans. Enthousiasme religieux poussé jusqu'au plus aveugle fanatisme, la cause de la Bretagne confondue avec la cause même de Dieu, des gars qui attendent avec impatience la fin de la messe pour aller envoyer dans les corps des bleus les balles que le recteur a bénies, les femmes mêmes et les jeunes filles prêtant leurs sourires et leurs grâces à l'oeuvre sainte d'extermination: n'est-ce point la physionomie d'un pays bien distincte et à une époque bien précise? Et quelles figures vivantes que celles des personnages en qui s'incarne l'esprit même de la race, Coupiau, Pille-Miche, Marche-à-Terre et surtout l'abbé Gudin!

Le prône de Marignay est un chef-d'oeuvre; c'est comme le centre du roman, la partie qui explique toutes les autres, d'où les autres partent et où elles viennent aboutir. «Mes très chers frères, nous prierons d'abord pour les trépassés: Jean Cochegrue, Nicolas Laferté, Joseph Brouet, François Parquoi, Sulpice Coupiau, tous de cette paroisse et morts des blessures qu'ils ont reçues au combat de la Pèlerine et au siège de Fougères… De profundis… Ces défenseurs de Dieu vous ont donné l'exemple du devoir… C'est de votre salut, chrétiens, qu'il s'agit. C'est votre âme que vous sauverez en combattant pour la religion et pour le roi. Sainte Anne d'Auray m'est apparue elle-même avant-hier, à deux heures et demie. Elle m'a dit comme je vous le dis: «Tu es un prêtre de Marignay?—Oui, madame, prêt à vous servir.—Eh bien, je suis sainte Anne d'Auray, tante de Dieu à la mode de Bretagne. Je suis toujours à Auray et encore ici, parce que je suis venue pour que tu dises, aux gens de Marignay qu'il n'y a pas de salut à espérer pour eux, s'ils ne s'arment pas. Aussi, leur refuseras-tu l'absolution de leurs péchés, à moins qu'ils ne servent Dieu. Tu béniras leurs fusils, et les gars qui seront sans péché ne manqueront pas les bleus, parce que leurs fusils seront sacrés. D'ailleurs, chaque bleu jeté par terre vaut une indulgence, etc…» Ce n'est pas la violence de Balfour de Burley des Puritains, mais le sermon de l'abbé Gudin est tout aussi caractéristique.

Puisqu'il y a des gars et des bleus, des républicains et des royalistes, aux moeurs des uns devront s'opposer les moeurs des autres: Gérard, Merle, Hulot, et leurs soldats ne sont pas moins nettement dessinés, ni moins expressifs que le marquis de Montauran et ses chouans.

Pour ne parler que de lui, Hulot est le véritable soldat des premières armées de la République, intrépide, ne connaissant que son devoir et la consigne, plein d'admiration déjà pour celui qui sera un jour Napoléon, mettant au-dessus de tout la gloire militaire et croyant naïvement que tout doit s'incliner devant une baïonnette française. Il a les manières rudes, la voix brève et impérieuse, premier modèle de ces immortels «grognards», avec lesquels l'empereur allait bientôt conquérir l'Europe.

A la montée de la Pèlerine, sa compagnie ne marche pas à son gré. «Que diable ont donc tous ces muscadins-là? s'écria-t-il d'une voix sonore. Nos conscrits ferment le compas au lieu de l'ouvrir!» Personne ne possède plus que lui «l'art de parler la langue pittoresque du soldat». «Il ne faut pas que de bons lapins comme nous se laissent embêter par des chouans, et il y en a ici, ou je ne me nomme pas Hulot. Vous allez, à vous quatre, battre les deux côtés de cette route. Le détachement va filer le câble. Ainsi, suivez ferme, tâchez de ne pas descendre la garde, et éclairez-moi cela vivement!» Sa colère d'avoir laissé échapper le gars lui souffle des expressions encore plus pittoresques. «Il y a donc quelquefois du bonheur à n'être qu'une bête comme moi?… Tonnerre de Dieu! Si je rencontre le gars, nous nous battrons corps à corps, ou je ne me nomme pas Hulot; car, si ce renard-là me l'amenait à juger, je croirais ma conscience aussi sale que la chemise d'un jeune troupier qui entend le feu pour la première fois.»

Ceux qui «ne sortent pas des rangs» comme lui ne lui inspirent que mépris et pitié. «Je ne suis jamais allé à l'école, répliqua brusquement le commandant. Et de quelle école sors-tu donc, toi?—De l'Ecole polytechnique.—Ah! ah! oui, de cette caserne où l'on veut faire des militaires dans des dortoirs!» Et il est encore plus sévère pour la diplomatie et les intrigues des muscadins de Paris, dont il ne comprend ni la portée ni la finesse. «Ne nous recommandent-ils pas les plus grands égards pour leurs damnées femelles? Peut-on déshonorer de bons et braves patriotes comme nous en les mettant à la suite d'une jupe! Oh! moi, je vais droit mon chemin et n'aime pas les zigzags chez les autres. Quand j'ai vu à Danton des maîtresses, à Barras des maîtresses, je leur ai dit: «Citoyens, quand la République vous a requis pour la gouverner, ce n'était pas «pour autoriser les amusements de l'ancien régime.» «Vous me direz à cela que les femmes…? Oh! on a des femmes! c'est juste. À de bons lapins, voyez-vous, il faut… de bonnes femmes. Mais assez causé quand vient le danger. À quoi donc aurait servi de balayer les abus de l'ancien temps, si les patriotes les recommençaient? Voyez le premier consul, c'est là un homme: pas de femmes, toujours à son affaire. Je parierais ma moustache gauche qu'il ignore le sot métier qu'on nous fait faire ici.»

Veut-on voir maintenant comment cette intelligence simple sait comprendre et résumer une situation? «Nos armées sont battues sur tous les points, reprit Hulot en étouffant sa voix de plus en plus. Les chouans ont intercepté deux fois les courriers, et je n'ai reçu mes dépêches et les derniers décrets qu'au moyen d'un exprès envoyé par Bernadotte, au moment où il quittait le ministère. Des amis m'ont heureusement écrit confidentiellement sur cette débâcle. Fouché a découvert que le tyran Louis XVIII a été averti par des traîtres de Paris d'envoyer un chef à ses canards de l'intérieur. On pense que Barras trahit la République. Bref, Pitt et les princes ont envoyé, ici, un ci-devant… qui voudrait, en réunissant les efforts des Vendéens et ceux des chouans, abattre le bonnet de la République. Ce camarade-là a débarqué dans le Morbihan, je l'ai su le premier, je l'ai appris aux malins de Paris; le Gars est le nom qu'il s'est donné. Tous ces animaux-là, dit-il en montrant Marche-à-Terre, chaussent des noms qui donneraient la colique à un honnête patriote, s'il le portait. Or, notre homme est dans ce district… Mais on n'apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, et vous allez m'aider à ramener mes linottes à la cage, et pus vite que çà! Je serais un joli coco si je me laissais engluer comme une corneille par ce ci-devant qui arrive de Londres sous prétexte d'avoir à épousseter nos chapeaux!»

Tous ces traits ne forment-ils pas une physionomie singulièrement vivante et attachante? Hulot, du reste, est plus qu'une physionomie, c'est un type. Il rappelle Cédric, c'est-à-dire qu'en lui revit toute la physionomie, sinon d'une époque, au moins d'une partie de cette époque. Tout en restant nettement particulière, la figure a un caractère général; elle est éminemment représentative. C'est le premier portrait vigoureux qu'ait dessiné Balzac; il pouvait en faire hommage à Walter Scott; Hulot n'est que le frère—ou le fils—des héros principaux des «Waverley Novels».

A ces figures de premier plan, ajoutez les personnages secondaires, Coupiau, Galope-Chopine et Marche-à-Terre, du côté des Chouans; le capitaine Gérard, Merle, Beau-Pied et la Clef-des-Coeurs, du côté des républicains; au milieu de ces rudes et énergiques physionomies, placez Corentin en incroyable, le regard aigu, inquisiteur, le visage impénétrable et tout pétri de finesse; ajoutez cette «jeune dame noble, jetée par de violentes passions dans la lutte des monarchies contre l'esprit du siècle et poussée par la vivacité de ses sentiments à des actions dont pour ainsi dire elle n'était pas complice», jouant, «comme beaucoup de femmes» alors, un rôle «héroïque ou blâmable dans cette tourmente»; voyez le chef de l'insurrection, le marquis de Montauran, si bien déguisé qu'il faut l'oeil infaillible du policier Corentin pour le reconnaître sous les divers costumes dont il s'affuble et sous les diverses professions qu'il s'attribue; entendez ses compagnons et ses amis qui se donnent pour les plus fidèles tenants de la cause royaliste, lui demander une part des dépouilles d'un adversaire qui n'est pas encore abattu, tandis que les Chouans, endoctrinés par l'abbé Gudin, ne pensent qu'à viser juste, quittes à soulager les bleus de leurs habits et de leur monnaie, une fois qu'ils les auront couchés par terre: toutes ces convoitises et ces intrigues, cette foi naïve et cet amour du pillage, ces égoïsmes et ces désintéressements, ces révoltés affiliés à l'association du Sacré-Coeur, ce mélange incroyable de bals et de chapelets, tous ces traits marquent une époque, lui impriment un caractère particulier et la fixent pour toujours dans le souvenir. «La bordure» du roman est aussi «exacte» que pourra l'exiger plus tard Sainte-Beuve; le fond en est aussi large, aussi solide, aussi historique, plus historique même que dans Ivanhoe, et peut-être n'est-il pas téméraire d'affirmer que si Balzac avait «persévéré», ou s'il avait pu «persévérer», c'est avec lui que la France aurait enfin trouvé son Walter Scott[27].

[Note 27: Là-dessus on nous a prêté le regret ingénu que Balzac se soit détourné si tôt d'un genre où ses débuts avaient été si brillants. Sans compter qu'elle n'aurait rien de particulièrement flatteur pour nous, l'insinuation est encore toute gratuite. On n'a donc pas lu la suite, et notamment la page 154? Il nous paraît difficile cependant d'être plus explicite.]

Car—il est à peine besoin de le faire remarquer, et c'est une conséquence nécessaire, assez visible au surplus, de tout ce que nous avons dit jusqu'ici—la couleur locale extérieure, dans les Chouans, est aussi exacte, aussi parfaite que la couleur locale intérieure. Costumes et façons des gars et des bleus sont tout aussi détaillés que leurs moeurs ou leurs sentiments, et avec la même netteté et la même justesse. On sait les soins minutieux que Balzac a toujours apportés à décrire les divers milieux où s'agitent ses personnages, et les habits qu'ils portent, et les maisons qu'ils habitent, et dans ces maisons leurs pièces préférées. On trouve déjà ici la même attention et la même sollicitude,—et on voit assez où il en a pris le modèle.

C'est une qualité qui éclate dès la première page. «Ce détachement (de paysans et de bourgeois) divisé en groupes plus ou moins nombreux, offrait une collection de costumes si bizarres et une réunion d'individus appartenant à des localités ou à des professions si diverses, qu'il ne sera pas inutile de décrire leurs différences caractéristiques pour donner à cette histoire les couleurs vives auxquelles on met tant de prix aujourd'hui; quoique, selon certains critiques, elles nuisent à la peinture des sentiments.» Nous connaissons un au moins de ces critiques, et c'est Stendhal. Mais Balzac ne croit pas qu'une vérité puisse porter préjudice à l'autre et la preuve en est qu'il consacre tout de suite deux grandes pages à décrire «les différences caractéristiques» de ses futurs héros.

Chez lui d'ailleurs, comme chez Walter Scott, c'est plus qu'un procédé, c'est une méthode. Un personnage ne se présente jamais, dût son rôle rester toujours insignifiant, que le romancier ne nous décrive aussitôt sa physionomie et son costume. Il serait long et inutile d'en citer des preuves. On les trouvera à la page 10 pour le portrait de Marche-à-Terre[28], caressé avec le même amour que les portraits de Gurth et de Wamba, qu'il rappelle en plus d'un point; à la page 31, pour le jeune chef; à la page 61, pour le costume, très détaillé aussi, de Corentin; à la page 71, pour le marquis de Montauran, peint en pied cette fois et non plus sous l'équipement d'un gars, mais en tenue d'élève de l'École polytechnique; et on lira enfin les pages 77 et 223 si on est curieux de savoir quelle différence de beauté peut offrir Mlle Marie de Verneuil en toilette de bal ou en simple costume de voyage.

[Note 28: Édition Calmann-Lévy, 24 volumes.]

Vigny avait essayé de mettre le peuple en scène et de lui donner la place à laquelle il avait droit dans les mouvements avant-coureurs de la Fronde. Vigny avait échoué. Tout prédisposait Balzac à y réussir, sa nature aussi bien que son talent. Tempérament vulgaire ou même grossier, n'ayant rien des délicatesses ou des dégoûts raffinés d'un grand seigneur, mais «peuple», comme disait déjà La Bruyère, de nature et d'instinct;—d'un talent admirable et sans rival pour saisir et fixer ce que les sentiments humains ont de plus largement et de plus franchement populaire; aussi vrai, aussi saisissant dans ses analyses des gens du commun que prétentieux, insupportable et faux dans ses portraits de marquis ou de duchesses; —excellant enfin à traduire ces vulgarités dans des scènes plantureuses, toutes grouillantes et fourmillantes de vie comme des kermesses flamandes, il devait être un des premiers à faire parler le peuple comme nous avons vu qu'il sait parler dans les romans écossais. Aussi la foule est-elle ici tout de suite en scène, et la compagnie du capitaine Hulot s'offre-t-elle dès le début à nos regards.

Et il est visible que l'écrivain est de coeur avec ces braves gens qui défendent, en maugréant quelque peu, les intérêts de la République naissante. Il ne fait point rire à leurs dépens, il ne remarque pas qu'ils sont sales, déguenillés, ou s'il fixe un instant notre attention sur leurs accoutrements misérables, c'est pour nous les faire plaindre ou même admirer. Il nous les montre cheminant,—gaîment en général,—dans un pays difficile, tout en ravins et en fondrières, et oubliant leurs fatigues et leurs peines à quelque affectueuse «bourrade» du commandant ou à quelque vive plaisanterie du loustic de la bande. Il faut lire le récit du combat de la Pèlerine pour bien comprendre le rôle nouveau que la foule vient occuper dans le roman. La narration s'élargit comme la scène décrite; elle est vive, pleine de mouvement et de feu: ardeur de l'attaque et intrépidité de la défense, cris des Chouans et plaisanteries, sous les balles, des hommes de Hulot, tout a l'apparence de la réalité et de la vie. La narration s'est faite abondante et copieuse; elle a pris de l'horizon et de l'ampleur. Ce n'est plus simplement le prélude d'un art nouveau, comme dans Cinq-Mars, c'est cet art lui-même et avec tous ses caractères essentiels.

Balzac sait animer et faire mouvoir les foules: il sait mieux encore nous faire entendre leurs ordinaires propos. Talent naturel de l'écrivain, assurément; non moins incontestablement aussi, imitation et influence directe de Walter Scott. Pour n'en donner qu'une preuve, où donc aurait-il pris, sinon dans la lecture assidue des «Waverley Novels»—et là plus encore que partout ailleurs,—où donc aurait-il pris ces perpétuelles comparaisons empruntées au règne animal, quadrupèdes ou volatiles, si fréquentes chez l'auteur d'Ivanhoe et si caractéristiques de son oeuvre? Car on remarquera que ce n'est pas sur les lèvres seules de Pille-Miche, de Marche-à-Terre, de Galope-Chopine—sentez-vous déjà toute la saveur populaire de ces appellations?—de Beau-Pied ou de la Clef-des-Coeurs, qu'elles fleurissent naturellement. La vérité est que tous, à des degrés divers, il faut l'avouer, mais tous, parlent ce langage. «Gare à toi, Merle, dit Gérard. Les corneilles coiffées sont accompagnées d'un citoyen assez rusé pour te prendre dans un piège.—Qui? Cet incroyable dont les petits yeux vont incessamment d'un côté du chemin à l'autre, comme s'il y voyait des chouans; ce muscadin duquel on aperçoit à peine les jambes, et qui, dans le moment où celles de son cheval sont cachées par la voiture, a l'air d'un canard dont la tête sort d'un pâté! Si ce dadais-là m'empêche jamais de caresser la jolie fauvette…—Canard! fauvette! Oh! mon pauvre Merle, tu es furieusement dans les volatiles. Mais ne te fie pas au canard! Ses yeux verts me paraissent perfides comme ceux d'une vipère et fins comme ceux d'une femme qui pardonne à son mari. Je me méfie moins des chouans que de ces avocats dont les figures ressemblent à des carafes de limonade.» La comparaison n'est pas peut-être fort suivie, et voilà bien des métaphores incohérentes, d'autant que Hulot, parlant toujours de «la fauvette», dira sentencieusement de Merle: «Avant de prendre le potage, je lui conseille de le sentir»: cet abus des images à la Walter Scott n'est-il donc pas assez significatif?

Ce qui n'est pas moins évident aussi, c'est qu'à marcher sur les traces de Walter Scott, nos écrivains s'exerçaient à faire parler leurs personnages, tous leurs personnages, comme parlent les hommes dans la vie ordinaire. Ils dépouillaient les fausses élégances, la froideur distinguée d'autrefois pour le naturel, la vérité, la saveur, le pittoresque. A la lettre, le roman historique a été encore ici leur meilleure école. Et c'est donc du romantisme lui-même que Walter Scott reste toujours l'auxiliaire et le propagateur.

Sentiment profond de la réalité, talent admirable à comprendre les âmes du peuple et à parler leur langage, génie incomparable dans la peinture des moeurs: de si sérieuses et de si fortes qualités auraient pu faire de Balzac le Walter Scott français. L'hypothèse serait assez raisonnable. Malheureusement pour le roman historique, l'auteur des_Chouans_ n'a pas voulu rivaliser de gloire avec son illustre modèle. Après avoir commencé par sacrifier au goût de l'époque, il se détourna vers des sujets plus modernes—et il fit bien, s'il faut en juger par les succès qu'il y devait recueillir. Par ses goûts, ses aspirations, sa philosophie, par toutes ses racines enfin, l'auteur de la Comédie humaine tenait trop profondément à la société contemporaine; il ne pouvait guère s'en détacher pour se confiner dans le roman historique.

Balzac a donc bien fait de ne pas «persévérer»; mais ses premiers pas dans la carrière devaient y laisser une forte empreinte. Les Chouans ne tiennent peut-être pas une place de tout point remarquable dans l'oeuvre de Balzac: le roman historique au XIXe siècle ne compte pas de production plus considérable, et nous ne voyons guère à leur comparer—et à leur opposer—que la Chronique de Charles IX.

CHAPITRE IV

La «Chronique du temps de Charles IX»[29].

[Note 29: C'est le titre de la première édition (1829). La 2° (1832) portait: Chronique du règne de Charles IX. On l'appelle plus communément par abréviation: Chronique de Charles IX.]

D'où vient alors que, malgré leurs éminentes qualités, les Chouans n'ont jamais fait brillante figure parmi les romans historiques du XIXe siècle? Car on les a toujours un peu considérés comme étouffés entre Cinq-Mars et la Chronique de Charles IX. C'est qu'ils ne réalisaient qu'imparfaitement l'idéal des romantiques. Il y a sans doute de l'histoire dans les Chouans; mais cette histoire venait à peine de se faire; en 1829, c'était de l'histoire de la veille, et il lui manquait ce dont tous les esprits étaient alors si friands, la poésie même de l'éloignement et le charme du passé. Les personnages n'en paraissaient point assez pittoresques: il était encore trop tôt pour sentir ce que peut offrir de beauté le spectacle de soldats républicains en guenilles. D'un mot, l'oeuvre manquait de perspective; elle était presque contemporaine: les contemporains ne pouvaient la goûter pleinement. Ils ne s'y sentaient pas assez dépaysés et il leur fallait d'autres évocations. La Chronique les leur offrait, et en abondance: on la préféra aux Chouans. Oeuvre médiocre, dit-on cependant, insignifiante, presque indigne de l'auteur de Carmen et de Colomba, et que Mérimée lui-même n'aimait guère. C'est possible, encore que le jugement soit bien sommaire et d'une sévérité assurément excessive. Il n'en est pas moins certain qu'à cette oeuvre médiocre nous sommes obligé de réserver dans cette étude la place d'honneur[30], parce que, avec tous ses défauts, ses lacunes ou ses faiblesses, elle demeure le chef-d'oeuvre du roman historique français à cette période.

[Note 30: Nous rappelons que ce jugement doit être envisagé du point de vue particulier où nous nous plaçons dans cette étude, et que la Chronique ne peut en aucune manière supporter la comparaison avec Colomba et Carmen, à plus forte raison avec Notre-Dame de Paris.]

Sans être historien comme Michelet ou antiquaire comme Walter Scott, Mérimée a toujours eu cependant du passé une curiosité très éveillée et très vive. L'histoire, de très bonne heure, lui a été familière, et il n'en détourna jamais ses regards. Il ne se contente pas d'ailleurs de la connaître: il la connaît encore de la bonne façon. «Je n'aime dans l'histoire que les anecdotes», parce qu'on est sûr d'y «trouver une peinture vraie des moeurs et des caractères à une époque donnée». «Je l'avoue à ma honte, je donnerais volontiers Thucydide pour des mémoires authentiques d'Aspasie ou d'un esclave de Périclès; car les mémoires fournissent seuls ces portraits de l'homme (c'est lui qui souligne) qui m'amusent et qui m'intéressent»; il pouvait ajouter: «… et qui sont aussi le véritable, le seul objet du roman historique», Walter Scott nous l'a appris depuis longtemps. Et quant à la question de ne pas défigurer l'histoire au profit d'une politique ou d'une philosophie, on pouvait compter sur le scepticisme de Mérimée. Catholiques ou huguenots, ligueurs ou fidèles serviteurs du roi, il les considère tous avec la même indifférence, pour ne pas dire avec le même mépris. De toute nécessité, la Chronique de Charles IX devait être un bon roman historique.

D'autant que chez Mérimée l'artiste égalait l'érudit. Personne n'excelle comme lui à faire tenir tout un caractère dans un mot ou toute une situation en quelques lignes. Cet art devient particulièrement admirable, on l'a dit, quand il s'applique à des époques «où les passions se montrent dans leur verdeur et leur brutalité naïve». Et c'est une de ces époques que la Chronique décrit.

Une seule et même cause explique les mérites de l'oeuvre, et c'est la préoccupation exclusive de fidélité.

Cette préoccupation commence par réduire l'intrigue au point de la supprimer ou presque. On ne voit pas en effet quelle pourrait bien être ici son utilité. Tout ce qu'on lui demandera, c'est de créer un lien léger entre les tableaux pour lesquels seuls est fait le roman. C'est l'espèce d'intrigue du Misanthrope; c'est aussi celle de la Chronique. Elle circule, lâche et flottante, donnant une apparence de liaison et d'unité à des chapitres qui ne sont guère que descriptifs et dont la plupart forment tableau: les Reîtres, les Jeunes Courtisans, le Converti, le Sermon, un Chef de parti, les Chevau-légers. Le livre achevé, on se demande quel en est le vrai sujet. Le massacre de la Saint-Barthélémy? Mais alors l'ouvrage serait bien mal composé, et les longueurs en seraient invraisemblables. N'aurait-on voulu que nous montrer les horreurs de la guerre civile et les dangers du fanatisme? Mérimée sourirait de cette explication. Reste que ce soit les amours de Diane et de Mergy. Mais savons-nous seulement comment ces amours finissent? «Mergy se consola-t-il? Diane prit-elle un autre amant? Je le laisse à décider au lecteur qui, de la sorte, terminera toujours le roman à son gré.» Ce sont les dernières lignes du livre. Évidemment l'intrigue ne compte plus. Il était même difficile de traiter plus cavalièrement l'antique favorite.

La même raison empêchera les personnages historiques d'usurper le premier rang. Puisqu'il ne s'agit que de donner une idée exacte de toute une société à une époque déterminée, pourquoi les rois et les ministres et toutes les puissances occuperaient-ils plus de place que les autres et seraient-ils plus en vue? Leur individualité, pour peu qu'elle soit forte, les fera plutôt négliger, et Mérimée les néglige en effet de façon fort cavalière: lisez son Dialogue entre le lecteur et l'auteur.

Il en soignera d'autant plus les caractères généraux, les types représentatifs, et tout ce qui peut donner l'impression exacte de l'époque décrite, ce qui veut dire qu'on peut s'attendre à trouver dans la Chronique de la couleur locale. Elle abonde en effet; et même le livre ne renferme guère autre chose.

Il faut distinguer cependant. Il y a assez peu de couleur locale extérieure; mérite singulier, presque extraordinaire: nous sommes en 1829, et la description sévit dans la littérature avec une effroyable intensité. Mérimée n'en reste pas moins sobre. De pages proprement et exclusivement pittoresques, vous n'en trouverez pas dans la Chronique.—Le sujet y prêtait cependant de façon singulière!—Oui; mais la description chez Mérimée n'a pas pour objet de faire voir; elle explique toujours; et l'ordinaire mérite d'une explication est dans sa brièveté.

Et pourtant… Considérons par exemple le personnage de Bernard de Mergy. Nulle part il n'est décrit en pied; mais nous apprenons successivement qu'il monte un «bon cheval alezan» et qu'il est «assez élégamment vêtu»; qu'il a une houssine dont il «frappe sa botte de cuir blanc»; «sa physionomie ouverte et riante» rassure l'aubergiste, et c'est une exclamation incrédule de l'hôte qui attirera notre attention sur son habit «de velours vert» et sa «fraise à l'espagnole». Quand il pénètre dans la cuisine, il salue «en soulevant avec grâce le bord de son grand chapeau ombragé d'une plume jaune et noire». Manque-t-il au tableau une seule touche importante? La description frappe si peu qu'on la croirait volontairement négligée par l'auteur. Elle existe néanmoins, très nette et à peu près complète. Mais en se disséminant, en se fragmentant, elle se dérobe. C'est comme une ruse qui dupera le lecteur trop naïf. Mérimée eut toujours un goût très vif pour la mystification.

Pour ce qui est de l'autre couleur locale, l'intérieure, il lui était sans doute difficile de la dissimuler. Peut-être même trouvera-t-on qu'il l'étale avec trop de complaisance. Ce n'est pas nous qui, en l'espèce, aurons le courage de lui en faire un reproche.

Le monde de la cour occupant la première place dans le roman, ce sont les moeurs de la cour que le romancier s'est attaché à reproduire.

Elles sont brillantes et frivoles. Tous les jeunes gens sont «vêtus avec beaucoup d'élégance» et mènent grand train; leurs laquais sont «richement habillés», et dans la rue ils marchent derrière leurs maîtres, «chacun portant à la main, dans le fourreau, une de ces longues épées à deux tranchants que l'on appelait des duels, et un poignard dont la coquille était si large qu'elle servait au besoin de bouclier.» Cette jeunesse est turbulente, tapageuse et étourdie: elle salue les femmes «bien mises, avec un mélange de politesse ou d'impertinence,» ou prend plaisir à «coudoyer rudement de graves bourgeois en manteaux noirs».

Insouciance, légèreté, gaîté pétulante et malicieuse, sont les moindres défauts de nos jeunes courtisans, toujours à l'affût des ridicules et prompts à les saisir. «Voyez-vous ce conseiller si pâle et si jaune? C'est messire Petrus de finibus, en français Pierre Séguier, qui, dans tout ce qu'il entreprend, se démène tant et si bien, qu'il arrive toujours à ses fins… Voici l'archevêque de Bouteilles, qui se tient assez droit sur sa mule, attendu qu'il n'a pas encore dîné.—Voici… le brave comte de La Rochefoucauld, surnommé l'ennemi des choux. Dans la dernière guerre, il a fait cribler d'arquebusades un malheureux carré de choux que sa mauvaise vue lui faisait prendre pour des lansquenets.»

Mais ces hardis espiègles ont encore plus de générosité que d'esprit. Comminges et Bernard vont avoir un duel à mort. Mergy est tout nouvellement arrivé à Paris, et peut éprouver quelque peine à se procurer une rapière de même longueur que celle de son adversaire. Comminges lui dit du ton le plus simple du monde: «Je vous recommande Laurent, au Soleil-d'Or, rue de la Ferronnerie; c'est le meilleur armurier de la ville. Dites-lui que vous venez de ma part, et il vous accommodera bien.» Même devant la mort, ils conservent leur insouciance et leur sourire, et ils vont au Pré-aux-Clercs comme à un rendez-vous ou à un bal.

Deux occupations absorbent les loisirs de nos gentilshommes: la galanterie et la garde jalouse de leur honneur. Se faire aimer d'une des beautés de la cour, couper fièrement la gorge aux insolents rivaux qui osent lever les yeux sur elle et faire à sa maîtresse comme un piédestal de gloire des soupirants dont on aura triomphé sur le Pré-aux-Clercs, ils n'ont que cette ambition et que ce rêve. Et comme ils prennent feu au moindre soupçon exprimé sur la vertu de celle qu'ils aiment! «Cela est faux! s'écriait le chevalier de Rheincy.—Faux! dit Vaudreuil. Et sa figure, naturellement pâle, devint comme celle d'un cadavre… Tu mens par ta gorge!… Je te ferai avaler le démenti jusqu'à ce qu'il t'étouffe!…» Et voilà un bon coup d'épée de plus qu'une coquette aura attiré à un trop naïf et trop susceptible cavalier. La galanterie est si bien un de leurs plus constants et essentiels soucis qu'ils ne parlent guère d'autre chose. Voyez le chapitre des Jeunes Courtisans et certains détails de l'Aveu. D'ailleurs on comprend l'importance dans leur vie des choses sentimentales. S'il est vrai que le succès encourage, la confiance de nos raffinés doit être sans borne. George a l'air préoccupé et triste. «Je gage cent pistoles, dit avec modestie un de ses compagnons, qu'il est encore amoureux de quelque dragon de vertu. Pauvre ami! je te plains; c'est avoir du malheur que de rencontrer une cruelle à Paris.» C'est le ton ordinaire de leurs propos.

Ils ont beau être galants, ils sont encore plus raffinés. «Un raffiné est… un homme qui se bat quand le manteau d'un autre touche le sien, quand on crache à quatre pas de lui, ou pour tout autre motif aussi légitime.» C'est la définition même qu'en donne Rheincy. Jamais en effet gentilshommes n'eurent l'épiderme plus chatouilleux. Pour ramasser le gant que la comtesse de Turgis a laissé tomber devant Mergy, Comminges pousse assez rudement le jeune homme, trop ému à ce moment pour remarquer cette espèce d'affront. Mais il y a dans la galerie des yeux charitables qui veillent; et puis, pour un véritable gentilhomme, l'honneur d'un ami n'est-il pas aussi sacré que le sien? Encore ébloui de la vision charmante qu'il vient d'avoir, Mergy est plongé dans une rêverie profonde. On lui frappe doucement sur l'épaule. C'est Vaudreuil qui, «le prenant par la main, le conduisit à l'écart pour lui parler, disait-il, sans crainte d'être interrompu». L'affaire est en effet fort grave; et rien de plaisant comme l'importance que s'attribue Vaudreuil.

«Mon cher ami, dit le baron (c'est encore un trait de moeurs que cette rapidité à traiter avec tant d'affection des gens que l'on connaît à peine), vous êtes tout nouveau dans ce pays, et peut-être ne savez-vous pas encore comment vous y conduire.—Mergy le regarda d'un air étonné.—Votre frère est occupé et ne peut vous donner des conseils; si vous le permettez, je le remplacerai… Vous avez été gravement offensé, et, vous voyant dans cette attitude pensive, je ne doute pas que vous ne songiez aux moyens de vous venger.—Me venger? et de qui? demanda Mergy, rougissant jusqu'au blanc des yeux.—N'avez-vous pas été heurté rudement tout à l'heure par le petit Comminges? Toute la cour a vu l'affaire et s'attend que vous allez la prendre fort à coeur.—Mais, dit Mergy, dans une salle où il y a tant de monde, il n'est pas extraordinaire que quelqu'un m'ait poussé involontairement.» C'est le langage même du bon sens, et l'art de Mérimée est admirable à dégager nettement la différence qu'il y a entre le raisonnable Bernard et le raffiné baron de Vaudreuil. La réplique de celui-ci est exquise et tous les mots méritent d'en être longuement savourés; elle fait penser à certaines scènes de Molière.

«Monsieur de Mergy, je n'ai pas l'honneur d'être fort connu de vous. (Pourquoi donc l'appelait-il son «cher ami» il n'y a qu'un instant?) Mais votre frère est mon grand ami, et il peut vous dire que je pratique, autant qu'il m'est possible (jamais restriction ne fut plus nécessaire en effet), le divin précepte de l'oubli des injures. Je ne voudrais pas vous embarquer dans une mauvaise querelle (le baron n'est que charité, désintéressement et justice), mais en même temps je crois de mon devoir de vous dire que Comminges ne vous a pas poussé par mégarde. Il vous a poussé parce qu'il voulait vous faire affront; et, ne vous eût-il pas poussé, il vous a offensé cependant: car, en ramassant le gant de la Turgis, il a usurpé un droit qui vous appartenait. (L'admirable et subtil casuiste!) Le gant était à vos pieds, ergo, vous seul aviez le droit de le ramasser et de le rendre…» C'est une conclusion en forme. Pour la rendre irréfutable, il ne sera point mauvais de faire appel aux circonstances et de les envenimer encore quelque peu. «Tenez, d'ailleurs, tournez-vous, vous verrez au bout de la galerie Comminges qui vous montre au doigt et se moque de vous.» L'effet de l'insinuant et charitable discours ne se fait pas attendre. «Rien ne prouvait (à Mergy) qu'il fût question de lui dans ce groupe (de jeunes gens qui entouraient Comminges); mais, sur la parole de son charitable conseiller, Mergy sentit une violente colère se glisser dans son coeur.» La page n'est pas éloignée d'être parfaite,—et c'est la transcription exacte des moeurs de l'époque.

Ardents à s'offenser, nos héros mettent une opiniâtreté admirable à ne jamais avouer leurs torts. Un gentilhomme n'a qu'une parole, et quand il a donné sa parole pour un duel, ce serait se déconsidérer à tout jamais que d'avoir même la pensée de la reprendre. Rien de plus futile, au fond, que cette affaire de Bernard et de Comminges; il suffirait d'un mot pour la faire évanouir, et ce mot, le frère de Mergy n'hésitera pas à le prononcer. «Monsieur, dit-il à Comminges, je crois qu'il est de mon devoir de faire encore un effort pour empêcher les suites funestes d'une querelle qui n'est pas fondée sur des motifs touchant à l'honneur; je suis sûr que mon ami réunira ses efforts aux miens.» Mais Béville, qu'il désigne, «fit une grimace négative.» Que d'autres raisons d'ailleurs pour arrêter là les choses! Bernard est «très jeune, sans nom comme sans expérience aux armes, obligé par conséquent de se montrer plus susceptible qu'un autre», motif vraiment chevaleresque et qui sent bien son gentilhomme. Au contraire, la réputation de Comminges est faite «et son honneur n'aura rien qu'à gagner s'il veut bien reconnaître que c'est par mégarde…» Un grand éclat de rire arrête court le capitaine, et cette fois l'insulte directe arrive vite. «Plaisantez-vous, mon cher capitaine, et me croyez-vous homme à quitter le lit de ma maîtresse de si bonne heure… à traverser la Seine, le tout pour faire des excuses à un morveux?» George riposte: «Vous oubliez, Monsieur, que la personne dont vous parlez est mon frère, et c'est insulter…—Quand il serait votre père, que m'importe? Je me soucie peu de toute la famille.» Comminges, lui aussi, ne pratique pas mal «le divin précepte de l'oubli des injures».

A toute force, cependant, cette querelle a-t-elle au moins un semblant de raison. Que de duels moins motivés, ou plutôt tout gratuits! «Comminges, dit Vaudreuil, mena un jour un homme au Pré-aux-Clercs; ils ôtent leur pourpoint et tirent l'épée.—N'es-tu pas Berny d'Auvergne? demanda Comminges.—Point du tout, répond l'autre; je m'appelle Villequier, et je suis de Normandie.—Tant pis, repartit Comminges, je t'ai pris pour un autre; mais, puisque je t'ai appelé, il faut nous battre. Et il le tua bravement.» Et Vaudreuil lui-même en racontant ce bel exploit éprouve comme un frémissement d'admiration. Comminges et Vaudreuil sont bien de leur époque.

Ils en sont encore plus, si c'est possible, eux et tous leurs amis, par leur façon toute particulière de comprendre et de pratiquer leur religion. C'est évidemment la partie du tableau que Mérimée a exécutée avec le plus d'amour. Son scepticisme y avait la partie belle: peut-être l'a-t-il prise plus belle encore. Il y a des excès, et, ce qui est plus grave, des invraisemblances. George de Mergy, par exemple, on l'a très bien dit, est «un voltairien qui se trompe de siècle». Mais la malice de l'écrivain lui a fait tout de même rencontrer quelques bonnes et dures vérités.

La matière, à vrai dire, était admirable. C'est alors comme un froissement perpétuel de toutes les croyances, une lutte incessante de toutes les idées. La fermentation intellectuelle est terrible. Sur une religion battue en brèche, une religion nouvelle cherche à s'élever, et le spectacle seul de cette rivalité devait suffire à jeter quelques esprits dans le doute. Chaque jour, d'ailleurs, élargit les horizons de la pensée. C'est la fin du moyen âge et l'aurore des temps nouveaux. Quelles secousses les esprits ont-ils pu recevoir de ce tressaillement universel? Quels changements mystérieux se sont opérés dans les urnes et de quelles secrètes angoisses se sont-elles tout d'un coup senties saisir? Ou, si ces profondeurs sont trop troublantes et trop obscures, quelle importance avait alors la religion dans les actions des hommes? Comment le sentiment s'en était-il altéré ou même corrompu? A quelles pensées profanes, superstitieuses ou criminelles, se mêlait-elle quelquefois? Et quels caractères particuliers les passions pouvaient-elles recevoir de ce mélange? Mérimée n'a guère traité que les questions de ce dernier ordre, rapetissant comme à plaisir un grand sujet, n'osant pas envisager le côté sérieux et profond des choses, comme l'avait fait, quoique la matière en fût bien moins large et intéressante, Walter Scott dans les Puritains. Mais après tout, si réduit soit-il, ce dessein n'a pas été trop mal réalisé, et la peinture des moeurs religieuses est loin d'être ce que la Chronique offre de moins excellent.

Elle est d'abord d'une variété remarquable. Que religion et débauche puissent cohabiter dans le même coeur, le baron de Vaudreuil en est un assez bon exemple. «Béville, il vous arrivera malheur pour vos mauvaises railleries des choses sacrées.—Voyez un peu cette mine de saint, dit Béville à Mergy: c'est le plus fieffé libertin de nous tous, et pourtant il s'avise de temps en temps de nous prêcher.—Laissez-moi pour ce que je suis, Béville, dit Vaudreuil; si je suis libertin, c'est que je ne puis dompter la chair; mais du moins, je respecte ce qui est respectable». C'est avoir la conscience accommodante. Il se pourrait cependant qu'il n'y eût que formalisme et routine dans ce singulier respect. La prière qu'en se mettant à table notre personnage récite «à voix basse et les yeux fermés» induirait en tentation de le croire. «Laus Deo, pax vivis, salutem defunctis, et beata viscera Virginis Mariae quae portaverunt AEterni Patris Filium!» Il ne sait pas trop «ce que cette prière veut dire»; mais une une de ses tantes, dont il la tient, «s'en est toujours bien trouvée», et, depuis qu'il «s'en sert» lui-même, il n'en a vu «que de bons effets». Il aurait vraiment bien tort de ne pas la continuer.

Les convictions religieuses du baron de Vaudreuil ne sont pas bien profondes; celles de Béville ont encore plus de légèreté et d'inconsistance; et, circonstance particulièrement aggravante, elles attendent l'agonie du pauvre gentilhomme pour s'étaler dans toute leur faiblesse. «George, mon camarade, dit Béville d'une voix lamentable, dis-moi donc quelque chose; nous allons mourir… c'est un terrible moment!… Est-ce que tu penses encore maintenant comme tu pensais quand tu m'as converti à l'athéisme?—Sans doute; courage! dans quelques moments nous ne souffrirons plus.—Mais ce moine me parle de feu… de diable… que sais-je, moi?… mais il me semble que tout cela n'est pas rassurant.—Fadaise!—Pourtant, si cela était vrai?» Cette invraisemblable discussion se poursuit encore quelques instants, et Béville finit par où il est visible qu'il aurait dû commencer tout de suite. «Allons, mon père! faites-moi dire mon Confiteor, et soufflez-moi, car je l'ai un peu oublié.» Et il meurt «en bon catholique». Il y a eu sans doute, au XVIe siècle, des morts à la Béville. L'excès, néanmoins, est ici trop sensible, et le libre penseur a fait tort à l'historien.

Le portrait de frère Lubin vaut mieux. Le vigoureux dessin et la belle couleur! Mais surtout la parfaite ressemblance! Son ironie et son scepticisme devaient ici servir, et admirablement, Mérimée. A voir seulement ce «gros homme, à la mine réjouie et enluminée», à n'entendre que les propos qu'il tient avec quelques-uns de ses auditeurs avant de paraître en chaire, on devine le fond de son éloquence. Et en effet, par sa conception de la religion vulgaire, épaisse, presque toute matérielle, frère Lubin réalise assez bien le type des prédicateurs d'alors. Il en est l'expression parfaite par la forme même de ses sermons. Imprévu de l'exorde, subtilité des divisions, hardiesses et libertés qui vont jusqu'à l'indécence, un mélange incroyable de bouffissure et de platitude, de grossièreté et de préciosité, le tout si parfaitement conforme au goût du temps que protestants et catholiques applaudissent toujours à l'envi: la peinture n'est pas simplement vivante, elle est éclatante de vérité. Frère Lubin est un type, comme Frère Tuck, et Mérimée a bien fait d'en présenter de façon si vive la joyeuse et bouffonne silhouette.

Mais la création qui, de ce côté, reste encore et de beaucoup la plus originale, la plus hardie et la plus vraie, est celle de la comtesse Diane de Turgis. Il y a chez elle une naïveté d'inconscience, une candeur d'immoralité vraiment admirables. Ce n'est évidemment pas la belle âme de Bernard de Mergy qui l'a séduite, et le jeune cavalier doit son foudroyant succès à des qualités moins immatérielles. C'est cependant à cette âme qu'elle pense tout de suite, c'est cette âme qu'elle a soif, et tout de suite, de sauver. Son premier entretien avec Bernard ressemble assez exactement à une controverse théologique. «Exposer sa vie n'est rien; mais vous exposez plus que votre vie,—votre âme… Vous allez jouer un vilain jeu. Une éternité de souffrances sur un coup de dé; et les six sont contre vous!» Pour le préserver des atteintes possibles de l'épée du raffiné Comminges, elle lui donne une relique. La relique sera efficace; mais elle ne sauvera jamais que la vie de Mergy, et c'est de son salut éternel que Diane paraît exclusivement avide. Il faudra, pour arriver à cette fin, un présent bien plus considérable, bien plus précieux que la «petite boîte d'or très plate» qu'elle vient d'offrir au jeune homme. «Monsieur Bernard, dit la comtesse d'une voix émue,… n'y a-t-il aucun moyen de vous toucher? Vous convertirez-vous enfin, grâce à moi?… Dites-moi franchement… Si une femme… là… qui aurait su…» Elle s'arrêta. «Oui; est-ce que… l'amour, par exemple?… Mais soyez franc! parlez-moi sérieusement… Oui, est-ce que l'amour que vous auriez pour une femme d'une autre religion que la vôtre, est-ce que cet amour ne vous ferait pas changer?… Dieu se sert de toute sorte de moyens.»

A plus forte raison ne les négligera-t-elle pas elle-même. Elle commence par les prodiguer. Mais en dépit de tant de générosité, malgré son habileté à choisir pour «argumenter» contre Bernard «les instants où il avait le plus de peine à lui refuser quelque chose», la conversion du jeune homme se fait bien attendre, et ces retards mettent à la torture une âme naturellement charitable et dévouée jusqu'au plus complet sacrifice. «Cher Bernard, lui disait-elle un soir, appuyant sa tête sur l'épaule de son amant, tandis qu'elle enlaçait son cou avec les longues tresses de ses cheveux noirs; cher Bernard, tu as été aujourd'hui au sermon avec moi. Eh bien! tant de belles paroles n'ont-elles produit aucun effet sur ton coeur. Veux-tu donc rester toujours insensible?» Et comme le jeune homme y paraît en effet tout disposé: «Va, dit-elle avec un peu de tristesse, je vois bien que tu ne m'aimes pas comme je t'aime; si cela était, il y a longtemps que tu serais converti.» Elle continue dans un redoublement d'ardeur: «Si je pouvais te sauver, que je serais heureuse! Tiens, Bernardo, pour te sauver, je consentirais à doubler le nombre des années que je dois passer en purgatoire.» Et ses transports allant toujours augmentant: «Oui… Si je pouvais sauver ton âme, tous mes péchés me seraient remis; tous ceux que nous avons commis ensemble, tous ceux que nous pourrons commettre encore… tout cela nous serait remis. Que dis-je? nos péchés auraient été l'instrument de notre salut!—En parlant ainsi, elle le serrait dans ses bras de toute sa force.» La situation est d'un comique profond qu'en vrai dilettante de l'ironie Mérimée savoure à longs traits et délicieusement, et dont il fait bien goûter au lecteur la saveur singulière. La figure n'est pas seulement vivante: Diane a dû exister, et il est certain que l'époque de Charles IX a connu de ces étranges soeurs d'Éloa, qui commencent par leur propre chute l'oeuvre de rédemption.

C'est ainsi que la fidélité des moeurs fait, exclusivement, tout l'intérêt de la Chronique. Il serait facile de montrer maintenant qu'elle explique l'organisation intime de l'oeuvre et des détails qui paraissent d'abord inutiles. Si des deux frères l'un est resté fidèle à sa religion et si l'autre a abjuré en faveur du catholicisme, c'est pour rendre plus vraisemblables, plus douloureuses et aussi plus inutiles, les discussions qu'ils pourront avoir au sujet de leur foi; c'est encore pour amener le dénoûment et en centupler l'horreur. Il fallait de même que les deux amants fussent de religion différente et que ce fût Diane qui professât le culte catholique. Et ainsi du reste.

Il n'est pas jusqu'aux plus minces détails qui ne puissent se réclamer du même principe. Le chapitre des Reîtres en offre de bien intéressants exemples. Cette scène d'auberge n'est rattachée à l'ouvrage que par des liens assez lâches. Mergy y est fort honnêtement dépouillé de son argent et on lui enlève aussi, de façon fort civile, son bon cheval alezan: en quoi la conduite du roman peut-elle en dépendre? Dès son arrivée à Paris notre étourdi n'est-il pas abondamment pourvu, et du nécessaire et même du superflu? Supprimez le chapitre, la composition y gagnera; mais nous y perdrons un des plus jolis Téniers du roman historique; tout un caractère de l'époque rentrera dans l'ombre, et nous comprendrons moins tout ce que les pauvres aubergistes et les malheureux paysans, ce qui veut dire le peuple, avaient à souffrir de la rude et impitoyable soldatesque d'alors.

Or, le peuple tient sa place dans la Chronique. On le vole, on le ruine, et quand il réclame, c'est une manière de paiement assez usitée que de le rouer de coups. Mais, si on ne le ménage pas, il ne ménage guère à son tour quand en vient l'occasion: relisez le Vingt-quatre août et les Deux Moines.

Le roman historique réalisait ainsi chez nous son premier chef-d'oeuvre, et la future école avait un de ses premiers modèles.

En effet, tandis que les classiques s'efforçaient toujours, à travers les modifications que les pays, les temps et les circonstances peuvent apporter aux sentiments et aux passions des hommes, d'atteindre à ce que ces passions et ces sentiments conservent de permanent, d'immuable et d'éternel, c'est au contraire à l'expression de l'accidentel et du relatif que les novateurs devaient borner les efforts de leur art. Plus simplement, à la place de la vérité humaine, ils devaient mettre la vérité locale. La Chronique réalisait assez bien ce nouvel idéal. L'affection mutuelle de George et de Bernard n'est point analysée pour elle-même, mais dans les modifications particulières que lui fait éprouver la différence de religion des deux frères. Que savons-nous du caractère de Diane de Turgis et de son amour pour Mergy? C'est un amour violent et passionné, sans doute. Que de nuances cependant peuvent distinguer cette passion et cette violence! Hermione est violente, mais pas à la façon de Roxane, et la passion de Roxane ne ressemble guère à celle de Phèdre. Quelle est la nature de l'amour de Diane? Mérimée n'a même pas songé à se le demander: il a seulement écrit le chapitre du Catéchumène, c'est-à-dire qu'il s'est contenté d'attirer notre attention sur ce singulier mélange de prosélytisme religieux et de passion, de préoccupations de salut éternel et d'abandon aux voluptés terrestres, qui n'a guère pu se rencontrer que dans une femme du XVIe siècle. Il semble assez difficile en effet de dépayser Diane.

Tous ces personnages cependant, si particuliers soient-ils, retiennent encore une large part d'humanité. Ici encore, comme dans tout le reste ou à peu près, la juste mesure a été atteinte; l'équilibre est parfait. Il va se rompre presque aussitôt, et Notre-Dame de Paris va marquer avec éclat la première étape de la décadence.

CHAPITRE V

«Notre-Dame de Paris»

C'est bien en effet la décadence qui commence. Sans doute, les qualités poétiques de l'oeuvre sont éblouissantes, l'exécution prestigieuse par endroits, et il semble que le livre doive occuper dans la littérature romantique la place qui revient dans l'art du moyen âge à l'admirable cathédrale, qui en est justement le principal personnage. Nous le savons encore, jamais roman historique n'obtint succès plus rapide et ne garda si longtemps vogue plus triomphale. Mais ce n'est pas le prodigieux talent de l'auteur qui est ici en cause. Son oeuvre est-elle un bon roman historique? Voilà toute la question. Et certains aveux, terriblement imprudents, de Victor Hugo lui-même, vont nous fournir les éléments essentiels de la réponse.

«Il y a quelques années qu'en visitant, ou, pour mieux dire, en furetant Notre-Dame, l'auteur de ce livre trouva, dans un recoin obscur de l'une des tours, ce mot gravé à la main sur le mur: 'ANALKH… Il se demanda, il chercha à deviner quelle pouvait être l'âme en peine qui n'avait pas voulu quitter ce monde sans laisser ce stigmate de crime ou de malheur au front de la vieille église… C'est sur ce mot qu'on a fait ce livre.»

L'idée est aussi belle qu'elle peut devenir féconde, et elle offre matière à un admirable roman de philosophie, à une espèce de tragédie d'Eschyle en prose. Mais les romans historiques ne s'imaginent pas, ne se construisent pas ainsi de toutes pièces et a priori, et la conception n'en doit venir que lentement, après de patientes études et des investigations laborieuses. Que Victor Hugo n'ait pas étudié sa matière, nous n'allons certes pas jusqu'à le prétendre, et nous pourrions au contraire, si besoin était, indiquer ses sources. Ce travail préliminaire cependant n'a été ni assez long ni assez sérieux; et c'est une première raison pour empêcher Notre-Dame de Paris d'être, à notre point de vue, un chef-d'oeuvre.

Il y en a une autre, plus grave, qui devait l'empêcher d'être même un bon roman historique, et ce n'est rien de moins que la volonté même de l'auteur. «Le livre n'a aucune prétention historique, si ce n'est peut-être de peindre avec quelque science et quelque conscience, mais uniquement par aperçus et échappées (c'est nous qui soulignons), l'état des moeurs, des croyances, des lois, des arts, de la civilisation enfin au XVe siècle. Au reste, ce n'est pas là ce qui importe dans le livre. S'il a un mérite, c'est d'être une oeuvre d'imagination, de caprice, de fantaisie.» Ainsi donc, la seule matière possible du roman historique, on ne la traitera que «par aperçus et échappées»: elle «n'importera» guère. Il n'y paraîtra que trop en effet; mais l'aveu est significatif, et nous devions l'enregistrer. Le moindre danger auquel s'expose une peinture de moeurs toute en «aperçus et échappées» est d'être insuffisante, et Notre-Dame de Paris ne l'a point évité. Les moeurs populaires elles-mêmes, qui sont bien la partie du roman la plus considérable et la plus soignée, en offrent une preuve assez forte et vraiment curieuse. L'auteur nous les montre dans toute une série de tableaux: représentation d'un mystère, fête des fous, cour des Miracles, pilori et supplice «en place de Grève», etc. Mais c'est toujours à ce qu'elles ont de superficiel et d'extérieur que le peintre s'arrête. Certes, le spectacle du Bon jugement de madame la vierge Marie, la description de la place forte des Truands, celle de la procession grotesque dont Quasimodo est le héros difforme, sont des pages incomparables de netteté et de relief et d'admirables eaux-fortes. En pénétrez-vous plus profondément dans l'âme des personnages? Connaissez-vous mieux leurs sentiments? Avez-vous une intelligence plus nette de ces énormes bouffonneries que devait alors tolérer l'Église? et si vous savez plus exactement ce dont les truands peuvent être capables, savez-vous avec la même exactitude ce que c'est qu'un truand et comment on le devient[31]? L'art de l'écrivain, d'une si vigoureuse puissance à décrire et à faire voir les réalités extérieures, néglige volontiers l'intérieur; il n'éclaire que les surfaces sans pénétrer jusqu'aux dessous; et dans une représentation populaire du moyen âge, au milieu d'une foule grouillante de manants et de bourgeois, dont il rend fort bien le grouillement, à l'intérieur d'une salle gothique, dont il découpe à plaisir les rosaces et fait étinceler les ogives, il ne sait qu'analyser avec quelque sûreté et quelque détail les angoisses d'un poète qui craint de voir sa première pièce sifflée.

[Note 31: Il est vrai qu'à la rigueur Jehan Frollo pourrait nous l'apprendre. Cf. livre X, chap. II et III, Faites-vous truand et Vive la joie!]

—Mais peut-être les âmes de toutes ces bonnes gens du peuple nous apparaîtront-elles plus manifestes dans leurs ordinaires propos?—Il y a en effet beaucoup de dialogues populaires dans Notre-Dame; on peut même dire que le développement en égale le nombre. Cependant ils n'offrent guère de traces de sentiments particuliers à une époque; et en dehors des passions communes à toutes les foules dans les mêmes circonstances, il semble difficile de démêler dans cette foule du XVe siècle des émotions ou des idées qui lui appartiennent en propre, qui soient bien locales, et d'où elle reçoive par conséquent une physionomie bien distincte et personnelle. On lui fait attendre le commencement du «mystère»; elle s'agite, elle devient houleuse, ironique, menaçante, demande la tête du bailli, sauf à prendre en attendant celle de ses sergents et des acteurs. Changez les noms de «bailli» et de «sergents»: c'est une scène dont le XVe siècle n'a pas eu le privilège et qui depuis s'est renouvelée assez souvent.

Quelques pages cependant ne sont point méprisables, telle la découverte du petit Quasimodo exposé sur le seuil de Notre-Dame, et les impressions qu'elle produit. Effroi des bonnes haudriettes, imperturbable assurance de maître Mistricolle et férocité inconsciente de tous provoquée par la crainte des artifices du Mauvais: ces naïvetés, ces angoisses et ces cruautés ne pouvaient se rencontrer que dans des âmes du moyen âge, et Victor Hugo, dans ce passage, a été bien servi par son imagination. Malheureusement, de pareilles trouvailles sont rares.

Car il ne semble pas avoir été plus heureux ni plus habile dans la connaissance et l'analyse des types particuliers que dans la peinture des moeurs générales. Cependant, la méthode qu'il suivait était excellente; c'était même la seule bonne, la méthode de Walter Scott dans Ivanhoe. Si le procédé est le même, les applications en sont singulièrement différentes, et c'est avec la mise en oeuvre que commence l'infériorité.

Claude Frollo n'est pas une exception dans l'Église. La superbe de l'intelligence et le démon de la sensualité n'avaient sans doute pas attendu jusqu'au XVe siècle pour faire des victimes parmi ses prêtres, et d'autres ont certainement connu les horribles tortures dont le coeur de l'archidiacre est déchiré. Mais s'il est vrai comme personnage particulier, il cesse de l'être dès que l'écrivain, volontairement ou non, a l'air d'en faire un type général; et c'est justement cette impression que, par le seul effet de l'isolement, le misérable rival de Phoebus et de Quasimodo arrive tout de suite, et nécessairement, à produire. Il fallait, ou l'entourer d'autres prêtres dont l'esprit simple et la piété douce auraient donné d'ailleurs et par le seul effet du contraste le plus saisissant relief à cette ardeur farouche et à cet orgueil rigide, ou n'en pas faire le personnage principal d'une oeuvre où tous les héros, par une nécessité fatale du genre même et plus encore de la méthode suivie, arrivent à représenter la classe tout entière dont ils font partie.

Le raisonnement vaut pour les autres personnages, et on peut leur faire à presque tous la même critique. L'aristocratie n'est pas plus représentée par Phoebus de Châteaupers que le clergé par Claude Frollo. Non que ce type de sous-officier—comme nous dirions aujourd'hui—ait dû être rare au XVe siècle et dans les milices de Louis XI. Il est probable, au contraire, que les Phoebus n'ont jamais été plus abondants. Mais c'est le seul personnage de grande naissance qui joue un rôle dans le roman; il représente donc la noblesse, et, au XVe siècle, les descendants de chevaliers français avaient tous la grâce exquise de ses manières, l'élégance souveraine de son langage, son courage et son esprit,—comme tous les auditeurs au Châtelet, l'imbécillité susceptible et féroce de Florian Barbedienne, et tous les procureurs du roi en cour d'Église, la solennité niaise de maître Charmolue?

Il y a plus de vérité dans le type de Jehan Frollo, nous voulons dire plus de vérité générale. Ce «petit diable blond, à jolie et maligne figure», espiègle et d'une malice qui va facilement jusqu'à la méchanceté; d'une perversité native qu'a encore développée sa vie d'écolier paresseux et vagabond, présent partout où il y a quelque méchant tour à jouer, mais toujours absent de la salle où enseignent ses professeurs; insouciant et généreux à sa façon; gaspillant en folles orgies l'argent que lui donne son frère «archidiacre et imbécile»; ronflant assez souvent, «avec une basse-taille magnifique», en pleine rue, la tête reposant doucement «sur un plan incliné de trognons de choux, ces oreillers du pauvre que les riches flétrissent dédaigneusement du nom de tas d'ordures», et d'excès en excès, de débauche en débauche, tombant jusqu'à la cour des Miracles et se faisant truand: ce type d'écolier ironique et inquiétant a toujours été assez commun en France; au reste le XVe siècle n'a pas dû l'ignorer, et c'est la figure du roman de beaucoup la mieux attrapée. Mais quoi! tous les écoliers d'alors ressemblaient à Jehan Frollo du Moulin? Aucun n'était appliqué et diligent? Ils se faisaient tous tuer sur les barricades, nous voulons dire à l'attaque de Notre-Dame? et, pour parler une fois de plus le langage contemporain, l'espèce des «forts-en-thème» n'était pas encore inventée?… L'excès est toujours visible, et il a toujours la même cause.

Il y a d'autres défauts dans l'oeuvre, ou plutôt il y a d'autres excès. Si l'observation des moeurs est insuffisante, la description surabonde; des deux couleurs locales, l'intérieure manque ou à peu près, et l'extérieure y est trop généreusement prodiguée. Négliger les moeurs est dangereux, ne penser qu'au pittoresque ne l'est guère moins: Notre-Dame de Paris en est une assez belle preuve.

Certaine «note ajoutée à l'édition de 1832», en guise de nouvelle préface, pouvait inspirer des craintes sérieuses. Que dit-elle en effet? Que l'auteur aime l'architecture gothique et qu'il en propagera le culte, ce dont il convient de le féliciter; mais aussi, mais surtout, elle laisse malheureusement entrevoir que, cet art du moyen âge dont il comprend si bien les merveilleuses beautés, l'écrivain n'en aperçoit pas avec la même sûreté les conditions d'existence et la formation historique. Dans Notre-Dame de Paris, la cathédrale n'est plus faite pour abriter les fidèles. Au milieu des tours massives, les cloches bourdonnent ou sonnent à toutes volées joyeuses, mais les chrétiens du XVe siècle restent sourds à leur incessant appel; les nefs de l'immense édifice sont toujours désertes et on n'entend murmurer sous les hautes voûtes aucun chuchotement de prière.

C'était cependant une idée de génie, dans un roman sur le moyen âge, de faire de l'art gothique le personnage principal. C'était surtout une idée féconde. Dresser au milieu de la ville la «majestueuse et sublime» cathédrale, la montrer couvrant de son ombre protectrice les maisons groupées à ses pieds de colosse et la cité tout entière, établir entre la formidable église et les fils de ceux qui l'avaient construite une communion mystérieuse et de tous les instants, l'animer de la vie même de ce peuple, d'un mot en faire son âme collective: le beau, l'admirable sujet! Le poète semble bien l'avoir entrevu. Pourquoi donc ne s'en est-il pas souvenu davantage dans le développement de son oeuvre? La grandiose basilique n'était-elle plus l'abri et l'asile naturel de la douleur? Manants et vilains avaient-ils cessé dès lors de venir s'y enivrer des parfums de l'encens et s'y éblouir de la splendeur des cérémonies? Cependant la mystérieuse église n'ouvre ses portes que pour une cérémonie d'expiation funèbre; on y sent si peu palpiter le coeur de la foule que c'est au contraire un monstre hideux, Quasimodo, qui en est toute «l'âme»; et dans le délire de son imagination, Hugo ira jusqu'à dire que, Quasimodo une fois disparu, Notre-Dame n'est plus qu'une chose «morte, un squelette, comme un crâne où il y a encore des trous pour les yeux, mais plus de regard»! Il était difficile de rapetisser davantage une plus grande matière et de gâter plus complètement un plus merveilleux sujet.

Cette réserve faite,—il est vrai qu'elle est capitale,—on a toute liberté d'admirer. Personne n'a eu un sentiment plus vif des beautés du moyen âge, mais personne aussi n'a possédé au même degré l'art merveilleux de faire avec des mots de la beauté plastique, comme les architectes d'autrefois en faisaient avec des pierres. Victor Hugo était fait pour ce livre, comme Walter Scott pour Ivanhoe, et Notre-Dame est le triomphe du pittoresque et de la couleur.

La couleur y éclabousse chaque page et la fait miroiter et resplendir. Tout ce qui attire l'oeil et le retient, costumes bariolés, armures luisantes, vives arêtes où se brise la lumière, tout est observé et rendu par un des peintres les plus habiles et les plus amoureux de son art. Dans la grand'salle, la cohue est «en surcot, en hoqueton et en cotte hardie». Mais en attendant de faire celle de la cohue, il convient de donner une description détaillée de la grand'salle; et rien n'y manque en effet. Il y a «une double voûte en ogive, lambrissée en sculptures de bois, peinte d'azur, fleurdelysée en or». Le pavé est «alternatif de marbre blanc et or». Puis, «un énorme pilier, puis un autre, puis un autre».—Sentez-vous l'effet de perspective naissante et d'enfoncement?—Autour des piliers, «des boutiques de marchands, tout étincelantes de verres et de clinquants» ou «des bancs de bois de chêne, usés et polis par le haut-de-chausse des plaideurs». A l'entour de la salle, «l'interminable rangée des rois de France depuis Pharamond; les rois fainéants, les bras pendants et les yeux baissés; les rois vaillants et bataillards, la tête et les mains hardiment levées au ciel». Chaque mot fixe une attitude. «Puis, aux longues fenêtres ogives, des vitraux de mille couleurs; aux larges issues de la salle, de riches portes finement sculptées; et le tout, voûtes, piliers, murailles, chambranles, lambris, portes, statues, recouvert du haut en bas d'une splendide enluminure bleu et or.» C'est une profusion, une orgie de couleurs; déjà les yeux éblouis songent à demander grâce, et cette description n'est que la première du livre.

Il y en a beaucoup dans Notre-Dame et surtout de plus belles. Inutile de les rappeler, encore moins de les analyser: elles sont présentes à tous les yeux. Notre-Dame, Paris à vol d'oiseau, la cour des Miracles, surtout l'attaque de la cathédrale, en pleine nuit, par les truands, sont incomparables parmi des tableaux dont on est tenté de dire aussi qu'ils sont incomparables. Jamais la langue n'a été plus expressive. Architecture, peinture, gravure, elle lutte victorieusement contre tous ces arts réunis. Elle élève de grandioses monuments, brosse des toiles admirables, fait grouiller et grimacer d'énergiques eaux-fortes. Dans son désir d'évoquer et de faire voir, elle va même jusqu'à demander des secours au vocabulaire d'un autre âge, et elle accueille, elle cherche des archaïsmes, dont quelques-uns sont expressifs sans doute, mais dont la plupart sont inutiles.

C'est grâce à ce prestigieux talent de description que les choses vivent ici d'une vie plus profonde que les personnages eux-mêmes, et donc attirent à elles le meilleur de l'intérêt. L'expédition nocturne des truands n'a pour objet que de délivrer l'infortunée et charmante bohémienne. On oublie cependant bientôt la jeune prisonnière, et l'attention se détourne tout entière sur la prison. Ce n'est plus dans la triste créature que réside le pathétique, c'est dans l'énorme et mystérieuse cathédrale, qui saura bien défendre ce qu'on lui a confié. On essaie de forcer la porte principale: une énorme poutre tombée du ciel écrase les plus audacieux des truands. «Ils regardaient l'église, ils regardaient le madrier. Le madrier ne bougeait pas. L'édifice conservait son air calme et désert». Alors Clopin Trouillefou se sert de la poutre comme d'un bélier, et le madrier porté par une foule d'hommes semble «une monstrueuse bête à mille pieds attaquant tête baissée la géante de pierre.» Sous le premier choc, «la cathédrale tout entière tressaillit et l'on entendit gronder les profondes cavités de l'édifice.» La riposte d'ailleurs suit l'attaque de près, et voilà les tours qui «secouent leurs balustrades sur la tête» des agresseurs. Ce n'est point l'intrépide sonneur qui défend Notre-Dame, c'est Notre-Dame elle-même qui fait appel à tous ses monstres pour tenir tête à l'ennemi. Les «guivres» ont «l'air de rire», on croit entendre «japper des gargouilles», les «salamandres soufflent» dans le feu, les «tarasques» éternuent dans la fumée, «et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre…, il y en avait un qui marchait et qu'on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher, comme une chauve-souris devant une chandelle». Mais guivres et gargouilles, salamandres et tarasques sont également impuissantes. Les truands commencent déjà l'escalade. Alors, par un surprenant effet de cette imagination qui sait mieux animer les pierres que faire vivre des hommes, ce n'est plus une lutte entre des voleurs et un édifice. En investissant la cathédrale, les truands, par une puissance mystérieuse qui les a soudain transformés, deviennent des monstres de pierre, comme ceux contre qui ils essaient de lutter. Ce ne sont plus que des choses qui combattent ensemble. «On eût dit que quelque autre église avait envoyé à l'assaut de Notre-Dame ses gorgones, ses dogues, ses drées, ses démons, ses sculptures les plus fantastiques. C'était comme une couche de monstres vivants sur les monstres de pierre de la façade.» Il n'est plus question de truands, et l'homme a disparu.

C'est le triomphe de cet art; c'en est aussi l'insuffisance et le danger. Le pittoresque a supprimé l'analyse, l'homme a été absorbé par le décor et l'ancien roman historique est presque devenu un opéra. Mais les mêmes excès ne devaient-ils pas amener la mort du romantisme? Ainsi se poursuivait la transformation qui supprimait la vérité générale, ou même particulière, des sentiments, au profit exclusif de la couleur locale. Ici encore, le roman historique est le précurseur, mais son influence a été néfaste. Avant de compromettre le romantisme, nous allons le voir se discréditer, se déshonorer lui-même; et c'est l'histoire de sa décadence et de sa ruine qu'il nous reste à exposer.

CHAPITRE VI

De «Notre-Dame de Paris» à «Isabel de Bavière».

C'est un spectacle vraiment affligeant que celui d'une créature vivante, pleine de vigueur et de force, arrêtée en plein développement par un coup mortel. C'est le spectacle que nous offre en ce moment le roman historique. Autour de lui, ses serviteurs s'empressent pour hâter son agonie, comme si la force des choses ne devait pas à elle seule assez rapidement l'amener. Tout ce qui pourrait encore maintenir une apparence de vie dans cet agonisant, ils le négligent, uniquement occupés à développer les principes qui lui seront le plus certainement funestes. Les moeurs, dans ces oeuvres qui se prétendent inspirées de Walter Scott? Elles existent à peine. Les sentiments? Ils ne sont remarquables que par leur obscénité ou leur violence. Quant à la partialité des auteurs, on peut s'en égayer à la longue,—à moins qu'elle ne fatigue et rebute tout de suite. Mais quelques-uns de ces trop consciencieux romanciers avaient découvert une véritable merveille, le dernier point que d'après eux il fût sans doute permis à l'art d'atteindre: à leurs productions insignifiantes et vides une imitation puérile du vieux langage français devait tenir lieu de toutes autres qualités,—comme si ce n'était point la plus artificielle et la plus inutile des reconstitutions!

Nous en avons fait maintes fois la remarque; il ne fut jamais plus à propos de la répéter: hors de la peinture des moeurs, pas de salut pour le roman historique. Entre tous ces prétendus émules de Walter Scott, c'est cependant à qui s'écartera le plus de sa manière et réussira le mieux à ne pas lui ressembler. Et sans doute quelques-uns d'entre eux ne sont pas sans érudition; mais leur malheur à tous est de s'arrêter, et exclusivement, à des détails de descriptions et de costumes, pittoresques sans doute, mais dont l'éternelle répétition a vite fait d'amener la satiété et le dégoût. Nous savons fort exactement et par le menu comment on s'habillait à telle époque, quelle devait être pour un homme à la mode l'épaisseur des fraises ou la longueur des poulaines et comment il seyait à un jeune seigneur de porter son toquet de velours; la physionomie des rues, l'aspect extérieur ou l'économie intime des habitations, églises ou charniers, palais seigneuriaux ou rôtisseries et misérables échoppes, l'écrivain ne nous fait grâce d'aucun détail: il n'oublie que de nous faire connaître ses personnages. Le cadre a tout absorbé; il ne reste plus de place pour le tableau. Comment ces hommes ont-ils pensé, senti, aimé, souffert? Nos amateurs de langage gothique n'en ont cure.—Mais c'est la partie essentielle du roman historique!—Il n'y en a pas qu'ils aient plus complètement dédaignée. Feuilletez seulement le Trésor ou le Grand Oeuvre, la Sarbacane, l'Estrapade, les Deux Fous et les Francs-Taupins.

Il y a pourtant des oeuvres distinguées au milieu de tout ce fatras, et des pages fortes ou des scènes vigoureuses dans le Vicomte de Béziers et le Comte de Toulouse, de Frédéric Soulié, comme dans le Jean Cavalier, d'Eugène Sue. Mais ce n'est jamais de la fidèle peinture des moeurs que ces romans historiques tirent leur intérêt; et si on ne peut pas dire qu'elle en soit complètement absente, il serait encore moins exact de prétendre qu'elle y occupe une place distinguée, et cela de par la volonté même de l'auteur.

Un de ces écrivains néanmoins aurait pu la rencontrer—par des chemins un peu détournés, il est vrai. Pour laisser d'une époque un tableau assez ressemblant, ce ne sera jamais un moyen bien recommandable que de n'en mettre qu'un côté en lumière, et on risquera fort de ne pas être impartial, si, des divers partis politiques qui s'y sont disputé l'influence ou le pouvoir, on prend fait et cause pour l'un, au grand préjudice des autres. L'oeuvre pourra être violente—on se souvient que c'est un des caractères de Cinq-Mars—sans devenir complètement fausse. Car enfin tous les sujets de Louis XIV n'ont pas dû avoir pour la royauté absolue les adorations des courtisans, et on peut blâmer la guerre des Camisards. A se faire ainsi le contemporain de ces impatiences difficilement réprimées et de ces sourdes révoltes, l'auteur a toute faculté de mettre sous nos yeux de vraies âmes du XVIIe siècle. Même l'intérêt du spectacle peut devenir fort vif. Ce sera comme le contraire de l'histoire officielle et l'envers de la toile.

Mais la méthode a un danger.

Le romancier doit être sûr de ne pas prêter gratuitement aux héros de son oeuvre ses propres sentiments. Vigny détestait Richelieu: M. le Grand et le coadjuteur ne l'aimaient pas davantage. Au nom des immortels principes proclamés par la Révolution, Eugène Sue n'avait pas assez de colère et d'indignation contre le despotisme du Grand Roi, témoignant ainsi de la générosité et de l'indépendance de son âme: mais est-il bien certain que le chevalier de Rohan, quand il conspirait contre Louis XIV, obéissait aux «immortels principes», et l'«impatience» et les «frémissements» de ce nouveau Cinna n'avaient-ils leur source que dans l'horreur profonde que la tyrannie de l'Auguste de Versailles inspirait à son âme intransigeante et farouche de républicain? Si oui, c'est tout un aspect nouveau du XVIIe siècle, et donc l'occasion d'une peinture de moeurs qui, sans trop de peine, peut être saisissante; si non, la collection des romans historiques-pamphlets, à la Dinocourt ou à la Mortonval, se sera enrichie d'un assez curieux échantillon.

Et telle a été, en effet, la destinée du Latréaumont d'Eugène Sue. La préface a beau nous dire que «l'auteur a obéi à toutes les exigences, à tous les développements de cette donnée entièrement historique, avec la plus scrupuleuse abnégation d'invention»: est-ce pousser cette «abnégation» bien loin que de nous parler sans cesse de la «personnalité sordide» de Louis XIV, de son «incurable et grossière fatuité», de sa «fatuité niaise, prétentieuse et rengorgée», comme si l'auteur avait à venger sur lui une injure personnelle? Ce sont là les sentiments de Rohan ou de Maurice d'O? Ce sont les moeurs de l'époque? Eugène Sue croyait-il de bonne foi écrire un roman historique? Alors les dernières lignes de l'oeuvre—sans préjudice des autres lignes semblables répandues à profusion dans le courant du récit—témoigneraient d'une belle naïveté ou d'une inexplicable maladresse. «Après tant d'horreurs, en comparant ces temps-là à ceux où nous vivons, une pensée douce et consolante vient à l'esprit, c'est que les hommes et les choses ont assez progressivement marché pour que, désormais, un tel GRAND ROI et un tel GRAND SIÈCLE soient absolument impossibles.» A la bonne heure! Nous savons maintenant ce que l'auteur veut dire. Mais il aurait bien dû laisser échapper ce soupir de soulagement dès sa préface: ceux qui ne cherchent dans un roman historique que la peinture des moeurs auraient été dispensés de lire le volume.

Puisque le roman historique se vide ainsi de sa propre substance, que va-t-il donc enfin contenir? Une intrigue de la plus monstrueuse invraisemblance en général ou de la plus révoltante obscénité, à moins qu'elle ne soit à la fois mélodramatique et licencieuse.

A cet égard déjà Notre-Dame de Paris ne pouvait qu'inspirer de légitimes inquiétudes, avec son extraordinaire histoire d'Esmeralda et de la recluse. Ces défauts de Victor Hugo, ses successeurs vont les aggraver encore. Ils vont faire appel aux plus violents contrastes, entasser les situations les plus imprévues, faire chevaucher les unes par-dessus les autres les péripéties les plus invraisemblables et les plus répugnantes. L'intrigue était sombre, ils l'assombriront davantage; elle était violente, elle deviendra forcenée; elle ménageait encore les nerfs des lecteurs, elle les fera crier continûment, sans répit et sans pitié. Ce ne seront que «secousses électriques», comme il est dit dans l'Écolier de Cluny, et nous assisterons au triomphe complet de la sensation brutale. On nous fera voir une scène d'écartèlement dans les Francs-Taupins, et la soeur du pauvre petit martyr n'arrivera que pour rester béante d'horreur devant le corps de son frère en lambeaux. Jehan, écolier de Cluny, au retour d'une orgie immonde, rencontrera dans une rue le cadavre de sa mère abandonné, le crâne ouvert. Jean Cavalier nous étalera tout au long des scènes de catalepsie dans un sombre château dont, au travers de la nuit, il fera luire les hautes fenêtres comme des lucarnes infernales. Nous verrons éventrer un condamné et nous entendrons grésiller ses entrailles sanglantes sur des barreaux de fer rouge. On déterrera même des cadavres. Meurtres, viols, mutilations, véritables scènes de boucherie humaine, on ne nous épargnera aucune épouvante, aucune horreur, sous prétexte que le moyen âge a connu ces choses et qu'il faut avoir de la vérité historique un respect sacré.

Pour achever de déconsidérer un genre hier encore glorieux et respecté, il ne fallait plus qu'ajouter l'obscénité à la violence. Le bibliophile Jacob, Roger de Beauvoir, Regnier-Destourbet, et tous enfin, étalèrent à qui mieux mieux, et presque d'un bout à l'autre de leurs prétendus romans historiques, les plus répugnantes indécences. «Le latin dans les mots brave l'honnêteté»: le vieux français aussi, et l'obscénité passe à la faveur de l'archaïsme. Quelques-uns s'établirent tout à leur aise dans la langue de Rabelais. Et c'est ainsi que le genre cher à Walter Scott,—à Walter Scott, le plus scrupuleux, le plus chaste des romanciers et qui regretta toujours quelques touches un peu chaudes dans le portrait d'Effie, —sombrait dans le dégoût, au milieu des protestations indignées qui ne se firent pas attendre.

Il se mourait donc bien, le pauvre roman historique, et ce n'est assurément pas Alexandre Dumas qui pouvait le ressusciter.

Il est arrivé un jour à Dumas de se caractériser admirablement dans une de ses amusantes et exubérantes Causeries. «Lamartine est un rêveur, Hugo est un penseur; moi, je suis un vulgarisateur». On ne saurait mieux dire, et l'aveu est de la plus délicieuse ingénuité. Dumas a toujours vulgarisé, «tout et le reste, et le reste du reste», mais plus particulièrement l'histoire.

Le vulgarisateur vient, en littérature, immédiatement au-dessus du plagiaire. C'est un plagiaire qui avoue et signe ses plagiats. Isabel de Bavière est la vulgarisation de l'Histoire des Ducs de Bourgogne. La méthode était nouvelle: en voici les résultats.

Vulgariser un livre d'histoire, pour en faire un roman, n'est pas le résumer. C'est en donner une espèce de transposition plus attrayante, au sens vulgaire du mot. On supprime les parties arides ou seulement trop sérieuses, et l'on développe à l'excès ce qui contient un élément de pathétique facile ou de curiosité banale. Et c'est ainsi que dans cette Chronique de France, comme son auteur l'appelle avec modestie, la peinture des misères de la patrie livrée aux horreurs de l'invasion et de la guerre civile occupe à peine autant de place que le supplice d'un vulgaire polisson, ou que le tableau—bien propre à faire frémir la foule—de la décollation du bourreau Cappeluche par le bourreau Gorju son successeur.

Il y avait cependant dans Isabel de Bavière un beau sujet, et qu'avait vite deviné le flair merveilleux de notre romancier. Mais encore fallait-il au moins esquisser ce tableau des malheurs de la France sous un roi insensé et une reine adultère. On aura peine à le croire: c'est justement ce que Dumas a le plus complètement oublié. En se traînant lourdement, le roman atteint la fin du second volume: le tableau des funérailles de Charles VI.—Et Isabel? demandez-vous.—Il n'en est plus question depuis longtemps. Le roi seul est redescendu dans les sombres caveaux de Saint-Denis, et l'épouse infidèle n'est pas revenue dormir près de lui son sommeil éternel sur la «simple tombe de marbre noir» où le début du livre nous les a montrés «couchés côte à côte, les mains jointes et priant». Certes, il n'est pas commun de voir un romancier oublier son héroïne. Mais Dumas ne fait pas oeuvre de romancier. D'une main il feuillette le livre de Barante, de l'autre il écrit le sien. L'Histoire des Ducs de Bourgogne ne parle d'Isabel de Bavière que par rapport à Charles VI et donc ne raconte qu'indirectement ses tristes aventures. Dans son ardeur à «découper», comme il dit, l'ouvrage de l'historien, notre vulgarisateur a perdu de vue le début du sien propre. Il a cru écrire un roman; mais à suivre de trop près l'histoire, il a laissé le roman à mi-chemin, et le vulgarisateur a supprimé l'artiste.

L'artiste n'était d'ailleurs capable que de faire de l'enluminure et de mettre l'histoire en images d'Epinal. Parcourez les premières pages du livre: l'entrée de la reine dans Paris, les divertissements populaires, les acclamations, les splendeurs du cortège: quelle merveilleuse occasion de description locale! Et songez au parti qu'en auraient pu tirer Walter Scott ou Balzac, Hugo ou Mérimée. Là où ils auraient réussi, Dumas échoue piteusement: faute de génie, sans doute, et parce qu'il n'était pas fait pour décrire; mais aussi, mais surtout, parce qu'il doit vulgariser des descriptions que Barante s'est contenté d'établir. Et de fait, il ne semble décrire que pour satisfaire la curiosité naïve d'un peuple de badauds. A travers ces pages on voit la foule, «les yeux élevés, la bouche ouverte», extasiée devant ces magnificences de princes et de rois. Il n'y manque vraiment que les exclamations de surprise admirative du bon «populaire» de Paris. Une Gorgo et une Praxinoa eussent admirablement complété le tableau, et il est bien dommage que Dumas n'ait pas mieux connu Théocrite.

Il est par trop évident que, dans une oeuvre ainsi comprise, il ne saurait y avoir place pour les moeurs historiques. En revanche on nous étalera des sentiments, on nous présentera des personnages, dignes de l'admiration d'une foule à la représentation d'un mélodrame. Voyez seulement le rôle d'Odette. C'est la jeune fille céleste, la femme-ange, d'une douceur et d'une piété suaves, source inépuisable d'ineffables tendresses et d'extatiques consolations, dévouée jusqu'à la mort, et jusque dans l'agonie souriant à celui pour qui elle meurt; au reste, si avide de se consacrer au bonheur d'autrui qu'elle n'hésite pas à lui faire le sacrifice de sa vertu; et cependant, toujours si chaste dans l'abandon, toujours si pure dans la faute, qu'il est impossible de ne pas avoir pour elle des trésors, non pas seulement d'indulgence, mais même d'admiration, et qu'on ne peut se défendre de l'appeler, les larmes aux yeux, «la sainte et l'angélique créature». N'est-ce pas l'héroïne idéale du mélodrame? La «pauvre enfant» est triste, le duc ne l'aime plus; comment en douter? il ne l'a pas aperçue dans le cortège. «Vous n'aviez de regards que pour la reine; vous n'avez pas entendu le cri que j'ai poussé lorsque je me suis évanouie et que j'ai cru mourir; car vous n'écoutiez que la voix de la reine, et cela est tout simple, elle est si belle! Ah!… Ah! mon Dieu! mon Dieu!» A ce ton de colombe gémissante et résignée, reconnaissez-vous le langage particulièrement cher à certaines héroïnes?

Mais si elle a le coeur tendre, Odette a l'âme encore plus compatissante et généreuse, et jamais elle ne consentira à faire le malheur de «madame Valentine». Bien mieux, elle ira trouver elle-même la duchesse, lui avouera tout, se jettera en pleurs dans ses bras, et le bonheur des autres lui fera trouver de la douceur à son sacrifice. Pour mieux oublier le duc, elle entrera dans un couvent…—D'où elle sortira dans un dessin assez profane!—D'où elle sortira, pour se sacrifier encore et pour sauver le roi. Car Odette est partout où il y a une larme à essuyer, une douleur à consoler: c'est l'ange de la pitié et du dévouement; elle meurt martyre, —comme Jeanne d'Arc. Nous demandons pardon de ce rapprochement, mais la lecture d'Isabel l'impose, quoi qu'on en ait. Nous ne savons pas de condamnation plus radicale des personnages de Dumas. Car tous ressemblent à Odette; ce n'est pas toujours le même degré, mais c'est bien toujours la même nature.

Après cela, il importe assez peu que Dumas ait déployé ici ses ordinaires qualités, lesquelles d'ailleurs ne sont point méprisables. Mauvais roman historique à la Courtilz de Sandras, de caractère et d'exécution nettement mélodramatiques: c'est la définition qu'on pourrait donner d'Isabel de Bavière, et c'en est aussi la condamnation.

Le roman historique a donc vécu[32]. Les circonstances devaient amener fatalement sa ruine: il l'a hâtée par ses propres excès. Le lendemain même de son triomphe, tout s'est retourné contre lui et à la fois, et les mêmes principes qui l'avaient fait vivre et grandir ont été les agents les plus actifs de sa destruction. Il devait son succès au pittoresque et à la couleur locale: la couleur locale et le pittoresque l'ont perdu. Il avait introduit un principe nouveau dans l'étude des moeurs: l'exagération de ce principe conduisait aux pires excès et aux pires violences. Enfin il avait préparé le triomphe de l'histoire, et l'histoire devenait tous les jours sa plus dangereuse, sa plus intraitable ennemie. C'était contre le pauvre genre une coalition trop forte: il devait être, et il fut, rapidement vaincu.

[Note 32: Des oeuvres comme le Roman de la Momie ou Salammbô ne sont que des tentatives isolées et ne peuvent donc infirmer la constatation.]

* * * * *

LIVRE IV

CE QUE L'HISTOIRE ET LE ROMAN RÉALISTE AU XIXe SIÈCLE
DOIVENT AU ROMAN HISTORIQUE

Avoir correspondu à des besoins profonds et de premier ordre est une condition assurée de survivance, au moins partielle. Un organe, même quand il a cessé d'être nécessaire, met du temps encore à s'atrophier,—à moins qu'il ne se transforme pour satisfaire à des besoins nouveaux. C'est ce qui est arrivé pour le roman historique. On peut parler des acquisitions qu'il a rendues possibles: elles ne sont pas insignifiantes. L'intelligence et l'art lui sont également redevables. En renouvelant, ou plutôt en créant véritablement l'histoire, c'était la pensée française elle-même qu'il élargissait; et, pour avoir préparé l'avènement du roman réaliste, il est à la source même de l'art contemporain. On peut être fier pour lui d'aussi fécondes influences.

CHAPITRE PREMIER

Le Roman historique et l'Histoire au XIXe siècle.

Comme le XVIIe siècle avait été le siècle de la tragédie, le XIXe fut celui de l'histoire. Il y a à peine de plus belles conquêtes: il n'y en avait pas alors de plus nécessaire.

Déclamations pompeuses et froides, vérité systématiquement déformée au profit d'une idée sociale ou d'une théorie politique, travestissements ridicules comme dans les plus ridicules productions des Catherine Bédacier Durand ou des Lhéritier de Villandon: on pourrait dire qu'il n'y a aucun outrage que ces prétendus historiens d'avant Chateaubriand et Walter Scott n'infligent au genre qu'ils croient naïvement traiter.

Nous avons vu quelques erreurs de Mézeray.

Voici le P. Daniel,—qui justement trouve Mézeray «sec et froid», et qui fait de sa manière une assez vive satire. Il a pour sa part, du moins il le dit, la préoccupation de l'exactitude; il veut reproduire «l'aspect et le langage de chaque époque», et il recommande soigneusement à ses confrères de ne pas «s'émanciper jusqu'à feindre des épisodes romanesques, pour égayer la narration et varier l'histoire», comme le sieur de Vacillas qui, dans son Histoire de François Ier, conte les amours du roi avec Mme de Chasteau-Briant «et la fin infortunée de cette Dame»; mais il conseille aussi d'«orner l'Histoire», de la «fournir», de la «soutenir» et cela «en se tenant toujours dans les bornes de la sincérité»;—la contradiction ne laisse pas d'être piquante. «Il aime aussi la vérité des moeurs», mais il proscrit impitoyablement «les petits faits», qui sont certainement le meilleur moyen d'arriver à cette vérité; et il conte encore avec assez d'animation, mais son règne de saint Louis est exclusivement oratoire, et quand il cite Joinville il n'arrive qu'à nous faire regretter davantage le doux «ramage» du plus naïf de nos chroniqueurs.

Mably, à son tour, s'emportera contre ces travestissements du passé, et écrira par exemple sans sourciller que «Charlemagne connaissait les droits imprescriptibles du peuple.»

C'est partout d'ailleurs la plus froide uniformité; tout se ressemble—comme dans les tragédies contemporaines; tout est figé sous le même implacable vernis de fausse et fade élégance. On ne sait pas encore qu'il faut «distinguer au lieu de confondre» et que «à moins d'être varié, l'on n'est point vrai.» Voilà pourquoi «il manque à ces histoires, si bien intentionnées, la vie, la couleur, la vérité locale»; voilà pourquoi les personnages n'y sont que «des ombres sans couleur, qu'on a peine à distinguer l'une de l'autre… Les grands princes et surtout les bons princes, sont loués dans des termes semblables… On dirait que c'est toujours le même homme, et que, par une sorte de métempsychose, la même âme, à chaque changement de règne, a passé d'un corps dans l'autre… Le roi purement germanique et le roi gallo-frank de la première race, le César franco-tudesque de la seconde, le roi de l'Île-de-France au temps de la grande féodalité», ont la même physionomie, invariable[33]. Ils sont tous généreux comme ce Philippe-Auguste «en armure d'acier, à la mode du XVIe siècle, posant sa couronne sur un autel le jour de la bataille de Bouvines» et l'offrant à celui de ses chevaliers qui s'en estimerait plus digne que son roi; et peu s'en faut qu'ils ne rivalisent de galanterie avec ce pauvre Childéric, «prince à grandes aventures, l'homme le mieux fait de son royaume», qui «avait de l'esprit, du courage», mais dont le coeur trop «tendre» causa la perte. L'ignorance des hommes et des choses du moyen âge était complète. «Vers 1800, il y avait en France pénurie d'historiens et peu de goût pour l'histoire.» Et nous savons comment Napoléon entendait encourager la renaissance et le développement des études historiques.

[Note 33: Thierry, Lettres sur l'Histoire de France.]

Vers 1820 on commence à connaître les «Waverley Novels»; et l'histoire, qui n'avait été jusqu'alors qu'«un squelette décharné», recouvre «ses muscles, ses chairs et ses couleurs[34].» De cette transformation capitale, c'est Barante, en date, le premier ouvrier.

[Note 34: Mercure du XIXe siècle, 1815, XI, pp. 502-510. De la réalité en littérature.]

Il nous a confié, dans sa Préface, qu'il n'avait pas eu d'autre modèle que Walter Scott. Il ne l'aurait pas dit qu'on en resterait convaincu tout de même. L'influence écossaise est même si évidente dans son oeuvre qu'on ne distingue qu'elle, à vrai dire; et l'Histoire des Ducs de Bourgogne n'a guère d'autre originalité que de la manifester à ce degré et d'une façon complète. Si mince que le mérite puisse nous paraître aujourd'hui, on comprend que les contemporains en aient été émerveillés. Il n'était pas inutile, peut-être même était-il nécessaire, qu'avant de se dégager et de prendre sa forme définitive, l'histoire commençât par se distinguer à peine de la chronique ou du roman historique. C'est avec Barante qu'elle fit son apprentissage du pittoresque. Variété, couleur, intérêt, c'est-à-dire les qualités qui jusqu'alors avaient le plus manqué aux historiens, le nouvel ouvrage ne prétendait pas à davantage. Il suffisait amplement pour l'heure. Trouver à un genre, autrefois si rebutant, si sec, si froid, le charme même des «Waverley Novels», quelle nouveauté et quelle surprise! Le public ne pouvait pas ne pas faire fête à l'Histoire des Ducs de Bourgogne.

Un roman n'a d'autre objet que le récit: la narration fut l'unique ambition de Barante. Scribitur ad narrandum; il a même été trop implacablement fidèle à sa devise. C'est sur le ton narratif que l'ouvrage commence—et qu'il s'achève. Introduction, conclusion, idées générales, vues synthétiques en sont également absentes, et on le regrette amèrement plus d'une fois. Mais en trouve-t-on dans Walter Scott et dans Froissard? L'un et l'autre s'attardent aux menus incidents, à condition qu'ils soient pittoresques, ou même simplement divertissants. De même chez Barante la narration n'est jamais pressée d'arriver, puisqu'elle n'a d'autre objet qu'elle-même. Elle traîne, elle flotte, lente, sinueuse et pleine de négligence. La perspective peut disparaître, la monotonie même survenir à la longue: jamais le récit ne se hâte, ne se ramasse, ne se concentre. Il continue à tout accueillir, à se charger d'autant qu'il avance davantage. Une simple expédition l'arrête aussi longtemps qu'une guerre générale, et le narrateur conte les intrigues qui se forment autour du mariage d'un duc de Bourgogne, avec l'ampleur dont il parlerait de la succession d'un empire. Il n'a d'autre but que d'évoquer, comme Walter Scott, l'image de la société passée, et, sinon de la faire comprendre, au moins de la faire voir. L'accumulation des détails peut y suffire: Barante ne les épargne pas. Expéditions, guerres, emprunts, fêtes, tournois, mariages, festins, il veut tout raconter, tout mettre sous les yeux. Le roi voyage: nous connaîtrons le menu de la cour. C'est fête à la cour de Bourgogne: on nous déploiera toute la garde-robe du duc. Les moindres personnages auront leur biographie comme Quentin et Cédric; Pierre Dubois et le fils d'Artevelde nous rappelleront les héros secondaires d'Ivanhoe, et le duel de Gauvain-Micaille et de Fitz-Water sera détaillé comme la rencontre de Quentin et du Bâtard ou la passe d'armes d'Ashby. C'est l'abondance écossaise, un peu épaissie et moins vive; Barante n'a pas le talent de Walter Scott, mais il reste bien son élève.

Il y a beaucoup de descriptions dans les «Waverley Novels»: elles abonderont dans l'Histoire des Ducs. Et comme Barante a l'imagination tempérée et moyenne, plutôt aimable que forte, il bariolera sa toile, sans trop de souci de l'ordonnance artistique et sans tenir assez compte de la ligne d'horizon. Sans doute il ne tombera pas dans la confusion et le désordre, mais il aura d'aimables négligences de «primitif» qui s'amuse des lignes capricieuses que trace son pinceau, en sourit et tout le premier les trouve charmantes. Tous ces tournois, toutes ces fêtes, ces entrées de rois et de reines, ces festins plantureux, il est visible que tout cela l'enchante. Son imagination se joue agréablement sur toutes ces choses. C'est l'aimable laisser-aller, la naïve négligence de ses modèles. Tout ce pittoresque, à la longue, paraît un peu fade et surtout monotone; et après tout mieux vaut encore lire Walter Scott ou Froissart. Mais les contemporains n'avaient pas nos exigences, et on comprend que l'Histoire des Ducs leur ait d'abord suffi.

On pouvait cependant donner encore plus de variété au récit et l'animer d'une vie nouvelle. En faisant du dialogue la partie principale du roman, Walter Scott l'avait rendu dramatique. Ici encore, ici surtout, Barante imita son modèle. Ses personnages historiques eurent entre eux d'aussi longues conversations que les héros des récits écossais, ou du moins aussi fréquentes. Clisson, Roger Everwin et Jacques Evertbourg, Pierre Dubois et le fils d'Artevelde, Pierre Dubois et Aterman, un connétable et un prieur des Chartreux, les bourgeois de Gand et ceux d'Audenarde, nous les entendons dialoguer avec la même liberté, la même aisance, le même naturel que leurs frères d'Ivanhoe, ou de Kenilworth, de Peveril du Pic ou des Aventures de Nigel. Les princes et les rois suivent leur exemple; et au lieu des discours ridiculement emphatiques que leur avaient toujours prêtés les historiens, ils daignent enfin parler le langage ordinaire des hommes, avoir comme tout le monde de la simplicité ou même de la familiarité, en un mot renoncer pour quelques instants à leur rôle officiel.

Cette fois, c'était bien de l'histoire «Walter-Scottée», comme dira plus tard Balzac. Jamais disciple ne fut plus diligent, plus respectueux—et moins original. Barante avait avoué l'Écossais pour modèle, Walter Scott devait chérir le Français comme son élève. «L'Histoire des Ducs de Bourgogne est un des meilleurs livres modernes de la littérature européenne», a-t-il écrit dans la préface d'Anne de Geierstein. L'éloge est certainement exagéré, mais Walter Scott savait reconnaître son bien.

C'étaient là d'assez grandes nouveautés pour l'époque. Il y a cependant une autre innovation, que Barante a toujours tirée de la même source. Ce ne sont plus ici les rois et les puissances qui occupent seuls et exclusivement la première place ou même la place la plus importante. De nouveaux acteurs sont entrés en scène, et le peuple, s'il ne commence pas à jouer un rôle, commence du moins à faire entendre sa voix. On l'écrase de tailles et d'impôts: il se soumet, mais nous entrevoyons sa morne tristesse et ses longs désespoirs. Il n'est pas encore le protagoniste de l'histoire; pour lui rendre cet honneur, il faudra une intelligence plus profonde, une sympathie plus frémissante que l'intelligence et la sympathie du chroniqueur Barante. Mais comment ne pas être frappé de pareils passages? Le roi Charles VI vient de mourir. «Ah! cher prince, disait-on en pleurant par les rues; jamais nous n'en aurons un si bon que toi; jamais plus nous ne te verrons; maudite soit ta mort; puisque tu nous quittes, nous n'aurons jamais que guerres et que malheurs. Toi, tu t'en vas au repos; nous demeurons dans la tribulation et la douleur; nous semblons faits pour tomber dans la détresse où étaient les enfants d'Israël durant la captivité de Babylone.»

Le peuple ne siège pas encore au Conseil des rois, mais il leur présente des suppliques et leur adresse de libres paroles. Au cours des conférences qui suivirent la bataille de Montlhéry, le roi Louis XI trouva un jour, «en rentrant, une foule de bourgeois qui étaient à la porte pour savoir des nouvelles». «Hé bien, mes amis, leur dit-il, les Bourguignons ne vous feront plus tant de peine que par le passé.—À la bonne heure, sire, répliqua un procureur au Châtelet; mais en attendant, ils mangent nos raisins et vendangent nos vignes sans que rien les en empêche.—Cela vaut toujours mieux, reprit le roi, que s'ils venaient à Paris boire le vin de vos caves.» Ce n'est évidemment pas le ton des harangues officielles.

De cette conception nouvelle, de ce changement complet de perspective, d'autres devaient tirer un meilleur parti, et il sera temps alors d'examiner la puissante fécondité du nouveau principe. Ce qu'il fallait marquer ici, c'est que, s'il a été entrevu, ou même découvert par Chateaubriand, c'est encore Walter Scott qui l'a vulgarisé, nous voulons dire qui lui a donné toute sa force, fait produire tous ses résultats, et qu'ainsi son influence se retrouve encore, formelle et profonde, dans Augustin Thierry et dans Michelet.

C'est cependant la croyance générale qu'Augustin Thierry n'est guère redevable qu'à Chateaubriand, que la lecture des Martyrs a éveillé sa vocation d'historien et que c'est donc au glorieux ancêtre qu'il faut exclusivement le rattacher. Et cette conviction, on sait comment Thierry lui-même l'a établie dans la préface de ses Récits mérovingiens.

En 1810,—Thierry avait alors quinze ans,—j'achevais mes classes au collège de Blois, lorsqu'un exemplaire des Martyrs, etc.

La page est fort belle, trop belle peut-être, et elle sent l'arrangement. Mais le témoignage n'en est pas moins formel et il est impossible de le révoquer en doute. Est-ce une raison de l'admettre sans examen et tout entier? Ne peut-on pas se demander si la valeur en est aussi décisive qu'on l'a cru—et qu'on le croit encore? Et quoique son indéniable authenticité permette toujours de le produire, ne convient-il pas d'y apporter des réserves qui l'expliquent et l'atténuent?

On a beau se souvenir qu'il est d'Augustin Thierry, et qu'Augustin Thierry était une belle âme, aussi délicate que généreuse, très noble et très pure, et donc à tout jamais incapable de tromper: il pouvait se tromper, ou tout au moins commettre des inexactitudes involontaires. A trente ans de distance, et quand il s'agit des impressions de la quinzième année, il est bien difficile, en les rapportant, de ne pas les voir comme on voudrait qu'elles eussent été en réalité, et de ne pas leur donner tour et façon en conséquence. Quiconque écrit des mémoires devient toujours un peu poète: notre historien l'a été sans le savoir. De là les obscurités, les contradictions, les invraisemblances même du beau passage. L'avisé Sainte-Beuve les a bien aperçues, et ce n'était pas uniquement pour faire pièce à Chateaubriand et lui retirer malicieusement une de ses influences, qu'il demandait «ce que c'est qu'une impulsion qu'on reçoit et qu'on oublie durant plusieurs années», et si cela peut bien alors s'appeler «une impulsion décisive». On pourrait ergoter encore et subtiliser et se servir contre l'historien des armes mêmes qu'il nous donne[35]. Il n'a eu «aucune conscience de ce qui venait de se passer» en lui! Son «attention ne s'y arrêta pas»! Beau témoignage en vérité de ce que les psychologues de nos jours appellent les sensations subconscientes! Il n'est pas ordinaire cependant que les coups de foudre passent inaperçus et que les brusques révélations laissent insensible. Au contraire, c'est bien le Anche io son' pittore qui reste la règle générale. Il n'y aurait pas de plus glorieuse exception que celle d'Augustin Thierry.

[Note 35: Il y a un peut-être qui n'est pas sans importance: «Ce moment d'enthousiasme fut peut-être décisif pour ma vocation…» Aug. Thierry, de son propre aveu, n'en serait donc pas aussi sûr qu'on le croit d'ordinaire?]

Ces impressions—et, comme dit Sainte-Beuve, Thierry en est assurément seul juge—notre historien les a oubliées «durant plusieurs années». Quand donc s'en est-il ressouvenu? À l'époque où, une fois passés les «inévitables tâtonnements pour le choix d'une carrière», il préparait pour le Courrier Français et le Censeur Européen ses futures Lettres sur l'Histoire de France? De tout côté, pour ainsi dire, on voyait renaître les études historiques. L'occasion était belle, certes, de reporter à Chateaubriand le principal mérite de cette renaissance, de l'appeler duca, signor et maëstro. Et il ne le nomme même pas! Dès ce moment néanmoins, «toutes les fois qu'un personnage ou un événement du moyen âge» lui «présentait un peu de vie ou de couleur locale», il «ressentait une émotion involontaire». Avait-il déjà oublié qui lui avait donné le premier frisson de cette vie et de cette couleur? Et surtout comment expliquer que, dans cette même préface, écrite en 1827, il nomme si complaisamment Sismondi, Guizot, Barante, et se taise toujours sur le grand ancêtre? qu'en écrivant son «épopée» de la Conquête d'Angleterre, il n'évoque pas le souvenir—qui s'imposait, semble-t-il—de l'épopée des Martyrs? et qu'il n'ait donné qu'en 1840 un témoignage qu'il pouvait rendre d'autant plus éclatant qu'il l'avait fait attendre davantage?

A la lumière des circonstances, tout s'éclaire et tout s'explique. Chateaubriand, à cette époque, était devenu fort sympathique à l'école libérale: elle lui en témoignait sa reconnaissance. Il y avait comme un renouveau de popularité en faveur du vieil écrivain. On en était avec lui «à un prêté-rendu universel de louanges et de compliments». Pour sa part, Augustin Thierry, depuis quelque temps déjà, était l'objet des mentions les plus flatteuses de l'auteur des Études historiques et de l'Essai sur la littérature anglaise. L'admiration engendre l'admiration et l'éloge attire l'éloge. Chateaubriand avait fait de Thierry l'Homère de l'histoire: Thierry fit de Chateaubriand le Virgile des historiens. L'historien gagnait à la comparaison; mais c'était «le vieux Sachem» lui-même qui avait pris les devants et qui avait atteint le premier les limites extrêmes de la flatterie.

Est-ce à dire que l'auteur des Martyrs n'a exercé aucune influence sur celui des Récits mérovingiens? Personne n'oserait le prétendre. Tout ce que nous voulons dire ici, c'est que l'influence de Walter Scott a été plus soutenue, sinon plus profonde; que l'Écossais est devenu de très bonne heure le modèle de Thierry et n'a jamais cessé de l'être; que le Français l'a toujours eu présent sous les yeux et n'en a jamais complètement détaché ses regards. Les témoignages du grand historien en faveur de Chateaubriand sont rares—et assez peu décisifs: de ceux dont Walter Scott est l'objet, le nombre égale la rigueur et l'importance. Nous n'en citerons qu'un. «Ce fut avec un transport d'enthousiasme que je saluai l'apparition du chef-d'oeuvre d'Ivanhoe. Walter Scott venait de jeter un de ses regards d'aigle sur la période historique vers laquelle, depuis trois ans, se dirigeaient tous les efforts de ma pensée. Avec cette hardiesse d'exécution qui le caractérise… il avait coloré en poète une scène du long drame que je travaillais à construire avec la patience de l'historien. Ce qu'il y avait de réel au fond de son oeuvre, les caractères généraux de l'époque où se trouvait placée l'action fictive, et où figuraient les personnages du roman, l'aspect politique du pays, les moeurs diverses et les relations mutuelles des classes d'hommes, tout était d'accord avec les lignes du plan qui s'ébauchait alors dans mon esprit. Je l'avoue, au milieu des doutes qui accompagnent tout travail consciencieux, mon ardeur et ma confiance furent doublées par l'espèce de sanction indirecte qu'un de mes aperçus favoris recevait ainsi de l'homme que je regarde comme le plus grand maître qu'il y ait jamais eu en fait de divination historique». Faites la part de la reconnaissance dans cet enthousiasme, ou même de l'orgueil,—l'orgueil légitime du jeune écrivain flatté de se rencontrer avec un homme de génie—: le témoignage n'en demeure pas moins capital.

L'Histoire des Ducs de Bourgogne avait fait une révolution dans la manière d'écrire l'histoire: elle n'en avait guère élargi l'intelligence. Il y a du pittoresque dans cette Chronique de 1824; mais c'est à peine si on aperçoit les coeurs sous les oripeaux qui affublent les corps. C'est en plein coeur, au contraire, qu'à l'exemple de Walter Scott Thierry voulut s'établir. L'histoire moderne était découverte.

La nouvelle méthode ne s'arrête pas au pittoresque; elle le dépasse, mais elle l'exige. Elle l'aurait même créé à elle seule, s'il n'avait pas déjà existé. Puisque désormais c'est l'homme qui nous intéresse, que c'est lui qu'il faut montrer faisant vraiment l'histoire, la souffrant, la vivant, rien de ce qui le touche ne pourra nous être étranger, et nous serons d'autant plus sûrs de nous intéresser à lui qu'il nous sera présenté sous des formes plus distinctes et plus concrètes. Il y a de la couleur locale dans l'Histoire de la Conquête d'Angleterre. Tout y est précis et pittoresque, dramatique et vivant; sans doute parce que Thierry a un talent d'écrivain autrement puissant que celui de Barante, mais aussi parce qu'il lui était impossible de ne pas nous faire voir distinctement les combattants avant de les mettre aux prises,—comme il était impossible à Walter Scott de ne pas nous donner, avant de les faire heurter les uns contre les autres, une impression vive de Front-de-Boeuf et de Cédric, du Templier et d'Ivanhoe, des Normands et des Saxons.

De là, et presque à chaque ligne de ces pages admirables, ces détails caractéristiques, les seuls capables d'évoquer et de peindre. C'est le roi du Northumberland, Edwin, qui laisse son épouse Éthelberghe «professer la religion chrétienne, sous les auspices de l'homme qu'elle avait amené, et dont les cheveux noirs et le visage brun et maigre étaient un objet de surprise pour la race à chevelure blonde des habitants du pays». Ce sont les Normands qui chantent, quand ils viennent d'incendier quelque canton du territoire chrétien: «Nous leur avons chanté la messe des lances; elle a commencé de grand matin, et elle a duré jusqu'à la nuit». Ils arrivent, ces mêmes Normands, «par le vent d'est, en trois jours de traversée», sur des «barques à deux voiles», toujours en voyage «sur la route où marchent les cygnes». La veille de la guerre, les Danois détachent «du poteau enfumé leur grande hache de bataille ou la massue hérissée de pointes de fer, qu'ils nommaient l'étoile du matin». Rien ne serait plus facile que de multiplier ces traits.

Mais voici des passages où, à travers le pittoresque ou le dramatique de la situation, ce sont les âmes mêmes qui se manifestent. L'indignation contre Guillaume le Conquérant est devenue générale, et aux noces de Raulf de Gaël et d'Emma, le vin délie la langue des seigneurs. «C'est un bâtard, un homme de basse lignée, disaient les Normands…—Il a empoisonné, disaient les Bas-Bretons, Conan…, dont tout notre pays garde encore le deuil.—Il a envahi le noble royaume d'Angleterre, s'écriaient à leur tour les Saxons…—C'est vrai, c'est la vérité, s'écriaient tumultueusement tous les convives; il est en haine à tous, et sa mort réjouirait beaucoup d'hommes».

Il semble cependant que la scène la plus significative de l'ouvrage à cet égard soit la scène des funérailles mêmes du roi Guillaume.

Tous les évêques et abbés de la Normandie s'étaient rassemblés pour la cérémonie; ils avaient fait préparer la fosse dans l'église, entre le choeur et l'autel; la messe était achevée; on allait descendre le corps, lorsqu'un homme, sortant du milieu de la foule, dit à haute voix: «Clercs, évêques, ce terrain est à moi; c'était l'emplacement de la maison de mon père; l'homme pour lequel vous priez me l'a pris de force pour y bâtir son église. Je n'ai point vendu ma terre, je ne l'ai point engagée, je ne l'ai point forfaite, je ne l'ai point donnée; elle est de mon droit, je la réclame. Au nom de Dieu, je défends que le corps du ravisseur y soit placé, et qu'on le couvre de ma glèbe.» L'homme qui parla ainsi se nommait Asselin, fils d'Arthur, et tous les assistants confirmèrent la vérité de ce qu'il avait dit. Les évêques le firent approcher, et, d'accord avec lui, payèrent soixante sous pour le lieu seul de la sépulture, s'engageant à le dédommager équitablement pour le reste du terrain.

Ni la marqueterie de Barante, ni l'art même de Chateaubriand ne nous avaient ouvert ces perspectives, et c'est bien pour la première fois qu'à tant de dramatique l'histoire ajoutait tant de profondeur.

C'était aussi pour la première fois, nous l'avons dit, qu'un historien déplaçait le centre de l'histoire, donnait le premier rang dans l'oeuvre à la foule obscure—si oubliée jusque-là, qu'on pouvait croire qu'elle n'existait pas encore—et faisait tout son sujet du drame terrible qui s'était joué dans ces coeurs simples et dont ils avaient été moins les acteurs que les victimes. Là est l'éternelle et originale beauté de l'Histoire de la Conquête. La science historique contemporaine n'admet plus l'idée fondamentale de l'oeuvre; mais nous n'en admirerons pas moins Thierry d'avoir donné le premier, et à l'exemple de Walter Scott, un modèle des nouveautés qui allaient bientôt devenir si fécondes. Il n'y a pas de Cédric dans l'ouvrage français, mais il y a la foule des Normands dont nous savons que le vieux franklin n'était que la vivante représentation; et c'est à cette foule que vont tout d'abord les sympathies de l'historien et les nôtres. C'est elle que nous voyons souffrir chaque jour davantage sous la brutalité toujours plus révoltante des triomphateurs. Comme pour les héros d'une tragédie lamentable, nous pourrions compter leurs sanglots et leurs plaintes. Jamais l'intérêt et le pathétique n'avaient jailli avec tant de force de l'histoire, et on pourrait presque dire de l'oeuvre de Thierry que, comme celle de Michelet, elle ruisselle de pitié.

Dès 1074 «la triste destinée du peuple anglais paraissait déjà fixée sans retour. Dans le silence de toute opposition, une sorte de calme, celui du découragement, régna par tout le pays». Ses conquérants se disputent ses dépouilles: nouvelles souffrances plus vives encore que les premières. D'ailleurs, le roi Guillaume lui-même donne l'exemple de la tyrannie. D'après la légende, sa femme Mathilde aurait plus d'une fois disposé son âme à la clémence, mais «les faits manquent pour constater cet accroissement d'oppression et de misère pour le peuple vaincu, et l'imagination ne peut guère y suppléer, car il est difficile d'ajouter un seul degré de plus au malheur des années précédentes». Années «pesantes», en effet, et «pleines de douleurs», comme dit la chronique saxonne, dont on peut lire les détails dans la seconde moitié du livre VII.

Il ne reste aux opprimés que la consolation de se réjouir des malheurs de leurs tyrans. Le roi Henry, après le meurtre de Thomas Becket, se soumet à la pénitence des évêques et expose «sa chair nue à la discipline des verges… De la main des évêques, la discipline passa dans celle des simples clercs, qui étaient en grand nombre, et la plupart Anglais de race. Ces fils des serfs de la conquête imprimèrent les marques du fouet sur la chair du petit-fils du conquérant, non sans éprouver une secrète joie, que semblent trahir quelques plaisanteries amères consignées dans les récits du temps».

Les différends du roi Etienne et de la reine Mathilde, que détermina la défaite de la reine, furent funestes aux deux partis. Les Anglais eurent à en souffrir, mais ils se réjouirent aussi «de cette joie frénétique qu'on éprouve au milieu de la souffrance, en rendant le mal pour le mal. Le petit-fils d'un homme mort à Hastings éprouvait un moment de plaisir en se voyant maître de la vie d'un Normand, et les Anglaises qui tournaient le fuseau au service des hautes dames normandes riaient d'entendre raconter les souffrances de la reine Mathilde à son départ d'Oxford; comment elle s'était enfuie avec trois chevaliers, la nuit, à pied, par la neige, et comment elle avait passé, en grande alarme, tout près des postes ennemis, tremblant au moindre bruit d'hommes et de chevaux ou à la voix des sentinelles».

Les malheurs d'une reine, on le voit, ne sont plus présentés et décrits pour eux-mêmes, mais par rapport à la foule qui peut les apprendre et s'en réjouir. C'est un changement complet de perspective. Des hauteurs brillantes et superficielles où elle s'était toujours tenue, l'histoire descend dans les bas-fonds obscurs où les événements ont les répercussions les plus profondes et les plus terribles. Elle fait sa matière de l'âme même des petits, des humbles et des malheureux. L'historien n'est plus le héraut sonore et froid des majestés et des puissances: il devient le poète tragique des foules. On comprend que, dans l'oeuvre ainsi conçue toutes les passions dramatiques, douleur, colère, pitié, trouvent naturellement leur place; qu'elles animent l'histoire et réchauffent; d'un mot qu'elles fassent d'elle la manifestation, nouvelle et particulièrement grandiose, d'une grande âme humaine collective: la plus belle histoire sera toujours celle qui nous parlera des hommes qui l'ont vraiment faite et vraiment vécue.

Et voilà pourquoi les moindres détails par où s'exprime cette âme ont tant d'éloquence pour nous et de signification. Le pittoresque de Barante était monotone, et c'était moins par l'insuffisance du peintre qu'à cause de sa méthode, tout extérieure et de surface. Chez Thierry, au contraire, comme dans les «Waverley Novels», le pittoresque est toujours intéressant, parce qu'il est toujours significatif d'une situation ou d'un sentiment. Il ne charme pas simplement les yeux, c'est l'intelligence et le coeur qu'il réussit toujours à atteindre.

Il y en a des exemples célèbres dans l'Histoire de la Conquête. Comment ne pas penser à la mélancolique Édith, «la Belle au cou de cygne», à qui l'amour fait si facilement découvrir le corps d'Harold que les moines n'avaient point reconnu? ou à la scène d'Edwin exposant à ses guerriers pourquoi il changeait de religion?—Le chef des prêtres a approuvé le roi.

Un chef des guerriers se leva ensuite et parla en ces termes:

«Tu te souviens peut-être, ô roi, d'une chose qui arrive parfois dans les jours d'hiver, lorsque tu es assis à table avec tes capitaines et tes hommes d'armes, qu'un bon feu est allumé, que ta salle est bien chaude, mais qu'il pleut, neige et vente au dehors. Vient un petit oiseau qui traverse la salle à tire d'aile, entrant par une porte, sortant par l'autre; l'instant de ce trajet est pour lui plein de douceur, il ne sent plus ni la pluie, ni l'orage; mais cet instant est rapide, l'oiseau a fui en un clin d'oeil, et de l'hiver il repasse dans l'hiver. Telle me semble la vie des hommes sur cette terre, et son cours d'un moment, comparé à la longueur du temps qui la précède et qui la suit. Ce temps est ténébreux et incommode pour nous; il nous tourmente par l'impossibilité de le connaître; si donc la nouvelle doctrine peut nous en apprendre quelque chose d'un peu certain, elle mérite que nous la suivions.»

Il tient, dans cet épisode, toute une partie de l'âme barbare,—et tout un fragment aussi de son histoire.

Voilà les merveilles que Chateaubriand n'a point révélées à Augustin Thierry et auxquelles devait fatalement conduire l'application de la méthode écossaise. A étudier surtout «les relations mutuelles des classes d'hommes», à établir l'histoire au centre même de la société, en plein coeur et dans son âme, il était nécessaire que l'histoire devînt, non pas seulement pittoresque et colorée, mais vivante, mais dramatique et pleine d'émotions, mais humaine. Ce sera l'originalité de l'histoire au XIXe siècle. Elle ressuscitera les époques passées, nous les fera voir et surtout comprendre, nous faisant revivre, à force d'intelligence et de sympathie, la vie même des peuples qui depuis longtemps ne sont plus et dont elle nous aura rendus pour un instant les contemporains. C'était donc un principe vivifiant que celui-là, un principe fécond. De Walter Scott où il l'avait découvert, Thierry put l'enseigner à Michelet. L'auteur de l'Histoire de France pouvait venir après celui de l'Histoire de la Conquête. Il pouvait tout au long de son oeuvre faire éclater ses cris d'angoisse ou d'allégresse. Les voies lui avaient été préparées: par l'intermédiaire de Thierry, c'est à Walter Scott lui-même qu'il donne la main.

Ainsi s'élargissait le domaine de l'intelligence et de la pensée françaises. Elle comprenait le passé, l'intérieur aussi bien que l'extérieur, l'âme et le fond aussi complètement que l'enveloppe et la surface. La poésie devait y découvrir de nouvelles sources d'inspiration; l'histoire, nous l'avons vu, en était renouvelée, ou pour mieux dire, créée; la critique elle-même en recevait élargissement et richesse: on peut entrevoir les rapports qui unissent la méthode de l'Écossais aux méthodes de Villemain et de Sainte-Beuve; et ainsi c'est des auteurs de la Légende des siècles et des Poèmes barbares, du Cours de littérature française, des Causeries du lundi et de l'Essai sur Tite-Live, que Walter Scott reste encore le meilleur préparateur—et collaboratteur.

CHAPITRE II

Le Roman historique et le Roman réaliste.

Le roman historique ne pouvait pas ne pas exercer d'influence sur le roman lui-même. Il l'a profondément modifié en effet. Avant de le constater avec quelque détail, enregistrons d'abord un résultat.

On ne peut pas dire qu'avant le succès de Walter Scott le roman ait joui chez nous d'une faveur bien grande. La cause en était-elle son ordinaire frivolité, ou se souvenait-on que les fournisseurs attitrés du genre étaient de pauvres gens de lettres, presque toujours besoigneux et souvent peu recommandables? Toujours est-il que, si on ne s'interdisait pas la lecture des romans, on se faisait scrupule d'y prendre ou de paraître y prendre un plaisir trop vif. Encore au commencement du XIXe siècle, ces scrupules n'avaient rien perdu de leurs forces ni cette proscription de sa sévérité. «Il y a dix ans qu'un homme sérieux se cachait pour lire un roman; aujourd'hui, à moins qu'on ne soit janséniste, on ne fait plus mystère de pareille lecture. Dans dix ans, on dira que la fiction d'Ivanhoe est tout aussi noble que celle de la Jérusalem, et infiniment supérieure à celle de la Henriade, de la Messiade, de la Lusiade, voire même de l'Énéide…» L'enthousiasme—où perce une ironie—du Globe (8 août 1826) l'emportait trop loin: il n'en est pas moins certain que c'est Walter Scott, et ses disciples à la suite, qui ont relevé le genre de la condition humiliée et servile où il avait langui jusque-là, et du pauvre paria ont fait un citoyen.

Qu'apportaient donc de si nouveau les récits de l'Écossais? Leur mérite était tout simplement d'offrir aux lecteurs l'utile en même temps que l'agréable et des connaissances historiques à côté d'émotions romanesques. On ne pouvait répondre plus victorieusement à l'éternel reproche de frivolité. Ce n'est plus un simple divertissement que de lire l'Abbé, Quentin Durward ou Kenilworth: on n'en connaîtra que mieux les règnes de Marie Stuart, d'Élisabeth et de Louis XI. D'inutile ou même de dangereux qu'il avait presque toujours été, le roman est devenu tout d'un coup sérieux et utile. Loin de le proscrire, on lui donne dans les bibliothèques une place d'honneur. Les enfants, et d'autres personnes aussi qui ne sont plus toutes jeunes, y complètent leur éducation historique de la façon la plus charmante. D'un mot, il est le plus agréable, le meilleur des «précepteurs»; il réalise le rêve du docte Huet. On comprend que les antiques sévérités aient fait place aux plus bienveillants empressements,—d'autant que George Sand et Balzac allaient bientôt entrer dans la carrière. Cependant, ce n'étaient jamais que des lettres de naturalisation. Les lettres de noblesse ne se firent pas trop longtemps attendre: en 1858, l'Académie française l'invita à venir prendre officiellement sa place à côté des autres genres dès longtemps anoblis, dont il devenait ainsi l'égal. Ce jour-là, ce fut Walter Scott, le véritable parrain de Jules Sandeau.

Il avait été, bien avant, celui de Balzac, et c'est encore un plus beau titre.

La prétention peut paraître grande, au premier abord, de soutenir que les vraies origines de Balzac sont dans Walter Scott. Et d'aucuns en effet l'ont nié formellement, Zola tout le premier. «Ce que je saisis moins, écrit-il dans les Romanciers naturalistes, c'est la profonde admiration de Balzac pour Walter Scott. A plusieurs reprises, il témoigne un enthousiasme extraordinaire.» On sait l'éclatant témoignage qu'il lui a rendu dans l'Avant-propos de la Comédie humaine. «Il est très curieux de voir le fondateur du roman naturaliste se passionner ainsi pour l'écrivain bourgeois qui a traité l'histoire en romance.» Et quelques pages plus loin: «Le roman historique paraît l'avoir fort préoccupé. N'est-ce pas étonnant? Voilà un écrivain qui va créer le roman naturaliste moderne, et il ne paraît s'inquiéter que des guenilles de ces romans prétendus historiques si faux, d'une lecture si indigeste à cette heure… Je ne vois pas comment l'auteur de la Cousine Bette peut admettre l'auteur d'Ivanhoe, jusqu'à le proclamer le grand homme du siècle.»

Nous, au contraire, c'est l'étonnement même de Zola qui nous étonne. N'est-il donc pas assez visible que les romans de Balzac sont directement imités de ceux de l'Écossais, au point même de n'en être qu'une transposition,—une transposition de génie, sans doute, et telle que l'auteur de la Comédie humaine pouvait seul la faire,—mais enfin et malgré tout une transposition? Et nous ne parlons pas, bien entendu, des progrès dont l'art du roman lui-même est redevable à Walter Scott: composition dramatique, descriptions pittoresques, dialogue naturel et vivant, toutes nouveautés dont Balzac a profité au même titre que Vigny, Mérimée ou Victor Hugo, et qui donc ne sont pas ici qualités strictement personnelles. Mais où aurait-il pris, si ce n'est dans Ivanhoe, Quentin Durward ou l'Abbé, cette foule de détails précis,—les seuls caractéristiques,—que la littérature avait dédaigneusement rejetés jusque-là comme par trop infimes ou bas, et que le roman historique avait fait accepter par le charme particulier de leur antiquité ou de leur exotisme?

Ce sera la gloire éternelle de Balzac et du roman réaliste d'avoir fait comprendre que les choses les plus mesquines, les spectacles les plus communs et les plus vulgaires portent en eux leur intérêt, et que la vie familière avec le pêle-mêle de ses menus incidents quotidiens et dans son cadre habituel, peut offrir encore de la poésie. Mais qui ne voit qu'il a suffi, pour assurer cette conquête, d'appliquer à l'époque moderne les procédés que Walter Scott avait appliqués aux siècles passés, et qu'il n'y a là qu'une transposition de la couleur locale? Ivanhoe nous montre le misérable accoutrement des serfs ou des outlaws, le brillant équipage du Templier, la robe de velours et la mise raffinée du Prieur, l'humble salle à manger de la ferme de Rotherwood ou la splendeur massive du château féodal de Torquilstone: nous verrons dans la Comédie humaine et décrits par le menu, les costumes de Lucien de Rubempré ou du père Goriot, l'appartement de la duchesse de Maufrigneuse ou du baron Hulot, l'auberge de la maison Vauquer ou le cabinet d'un médecin pauvre, etc., etc. Les rues mêmes, les maisons, les pièces des maisons et les divers objets qui meublent ces pièces, l'«archéologue du mobilier social» ne nous fera grâce de rien, et cela dès ses premières nouvelles. Il entassera les descriptions, insistera, redoublera, au point de faire trouver les morceaux descriptifs de Walter Scott, admirables de légèreté et d'une brièveté insignifiante. Et il est vrai que de toutes ces longueurs il tirera des effets extraordinaires et que, dans son intelligence à comprendre et à interpréter le réel, il laissera bien loin derrière lui son propre modèle; mais ce sont bien ses procédés qu'il lui emprunte, les «moyens d'exécution» sont identiques: Balzac n'avait pas tort de témoigner à l'Écossais admiration et reconnaissance.

Mieux encore, il pourrait bien avoir pris aux «Waverley Novels» sinon «l'étoffe» même de ses récits, au moins l'idée de les confectionner d'une étoffe semblable[36]. Plus simplement Balzac pouvait trouver dans Walter Scott le modèle du roman de moeurs—dont il devait laisser lui-même d'incomparables modèles.

[Note 36: Ce qui ne signifie pas que «Balzac soit tout entier dans Walter Scott, qu'il lui doive son génie et ses chefs-d'oeuvre», comme on a voulu nous le faire dire. L'affirmation serait en effet par trop étrange.]

Qu'est-ce, en effet, qu'un bon roman historique, sinon un roman de moeurs sous sa forme parfaite? L'intérêt des Chouans, de la Chronique, des meilleures parties de Cinq-Mars et de presque tous les romans de Walter Scott, ne reste-t-il pas toujours, et exclusivement, dans la peinture des moeurs? Roman de moeurs dont la matière n'est pas à portée de vérification immédiate, ainsi pourrait-on définir le roman historique; roman historique de l'époque où vivait son auteur; cette définition du roman de moeurs lui-même ne serait point trop mauvaise; et le roman de Balzac n'est, en effet, que le roman de Walter Scott vidé de sa substance archaïque et rempli de matière moderne. Les «Waverley Novels» évoquaient des sociétés disparues: avec plus de vérité et un relief plus saisissant, la Comédie humaine fera revivre toute une époque moderne dans la prodigieuse multiplicité de ses détails et l'innombrable variété de ses contrastes; et pour la première fois le roman aura complètement atteint son objet et sera la plus exacte et la plus parfaite des «images sociales». Intérêt, variété, étendue, profondeur, que de mérites il se donne du même coup et nécessairement!

Et comme il va élargir l'ancienne forme, si grêle et si mesquine!

Et voici qu'en effet, sur un sol ingrat et qui paraissait stérile à force de porter toujours les mêmes récoltes chétives et rabougries, il fait germer les plus vigoureuses, les plus luxuriantes moissons. Marianne, le Doyen de Killerine, la Nouvelle Héloïse, Adolphe, René, Corinne, oeuvres attrayantes sans doute, profondes même par endroits, mais d'un objet si restreint après tout et d'un horizon si borné! N'y a-t-il donc rien au monde d'intéressant que l'histoire d'une âme, et les hommes n'ont-ils été faits que pour éprouver «les passions de l'amour»? Les autres passions humaines, ambition, vanité, égoïsme, orgueil, etc., etc., ne s'exercent donc jamais dans des coeurs humains et ne peuvent y causer d'aussi effrayants ravages que l'amour lui-même?

D'ailleurs, à côté de l'individu, dont le roman s'est exclusivement soucié jusqu'alors, n'existe-t-il pas la société? S'il y a des intérêts privés, ne peut-on pas dire qu'il y a aussi des intérêts sociaux? et sans jamais négliger les passions individuelles, ne convient-il pas de faire une place aux passions sociales? C'est justement ce qui fait la supériorité de Walter Scott, et nous croyons l'avoir assez dit. Ses prédécesseurs n'ont jamais retenu nos yeux que sur un coin de paysage, à la vérité plein de finesse et de charme; lui, c'est sur le paysage tout entier, sur le large et profond horizon qu'il nous fait poser les regards. L'admirable modèle pour Balzac! et comme il a eu raison de s'y attacher!

Et en effet de tous les côtés de la Comédie humaine surgissent les scènes les plus variées et les physionomies les plus saisissantes et les plus caractéristiques. L'«image sociale» est complète, et aucun groupe ne manque au tableau. Vie privée, vie de province, vie parisienne, vie militaire, vie politique, vie de campagne, toutes les manifestations, toutes les modifications possibles de la vie s'y rencontrent,—comme chez Walter Scott les serfs vivent à côté des seigneurs, les Normands à côté des Saxons et les archers de la garde écossaise à côté des rois de France. Actions et réactions mutuelles des individus sur les milieux et des milieux sur les individus y sont étudiées et décrites,—comme dans l'Abbé ou Kenilworth les influences réciproques des reines et des cours. L'auteur descendra même jusqu'au fond de l'âme moderne pour en étaler à nu et sous une lumière cruelle la nouvelle passion, qui est la soif inassouvie de l'or,—comme Ivanhoe nous expliquait l'antagonisme irréductible des vainqueurs normands et des vaincus saxons. C'est le même procédé d'éclairer une époque sur toutes ses surfaces et, si on le peut, jusque dans ses plus secrètes et plus mystérieuses profondeurs.

Aussi Balzac et Walter Scott, réserves faites sur leur génie respectif, sont-ils arrivés au même résultat: tous deux ont écrit des romans historiques, et pour plus d'une raison, ceux de l'Écossais ne sont pas les meilleurs. On peut discuter l'exactitude des reconstitutions de Walter Scott: les peintures de Balzac sont immortelles de vérité; et s'il y a dans la littérature française de vrais, de bons, d'excellents romans historiques, ce ne sont ni Cinq-Mars, ni même la Chronique de Charles IX, encore moins Notre-Dame de Paris, mais bien Un ménage de garçon, les Illusions perdues—et quelques oeuvres encore de la Comédie humaine. Mais c'est avec les propres armes de Walter Scott que Balzac a réussi à battre Walter Scott, et le romancier français a assez d'autres supériorités sur le conteur écossais pour que nous puissions reconnaître à l'auteur d'Ivanhoe celle d'être venu le premier.

Vérité large de l'observation, netteté précise de la description, pêle-mêle des menus détails devenu matière d'art, d'un mot l'objet propre du roman enfin réalisé dans sa plénitude et sa perfection: c'étaient des acquisitions précieuses et solides et dont nos écrivains contemporains ont bien compris toute l'importance et toute la beauté. Ainsi se préparait ce qu'on pourrait appeler la poésie du réalisme; et il n'a vraiment manqué à Balzac pour en laisser le premier chef-d'oeuvre, que d'être un grand écrivain. Vienne un romancier capable d'observer comme Balzac et de traduire ses observations en une langue presque digne de Chateaubriand dans sa sobriété plus châtiée, et l'on aura le chef-d'oeuvre attendu. C'est Madame Bovary, dont les origines se trouvent ainsi véritablement dans Ivanhoe. Cette poésie du réalisme, une des plus sûres, une des plus glorieuses conquêtes de notre siècle,—avant qu'elle fût déshonorée à son tour par les prétendus disciples de Flaubert et de Balzac,—on voit sans doute à qui il convient d'en rapporter la possibilité et donc le premier honneur.

CONCLUSION

L'évolution du roman historique est complète; il a donné tous ses fruits, et nous pouvons conclure.

A ne considérer que sa genèse si laborieuse et ses débuts si incertains, il ne paraissait pas viable. On l'a cru et on l'a dit en effet. Le jugement était hâtif. La vérité est qu'il avait voulu naître trop tôt, avant que les circonstances lui eussent rendu la vie possible, avant même d'avoir ses organes essentiels, et il ne pouvait en effet que languir, toujours menacé de voir se tarir les sources mêmes de sa misérable existence.

Mais à l'aurore du XIXe siècle, les cieux se font cléments et la saison lui devient hospitalière. L'avorton se met à grandir, ses organes se développent, il achève enfin de se constituer. Il mourait de faim autrefois; il trouve maintenant partout la plus abondante, la plus fortifiante nourriture. Il ne peut vivre que par l'histoire: elle est en train de se faire. La couleur locale lui est indispensable: on vient de la découvrir. Par la plus heureuse rencontre enfin, il est le plus actif collaborateur de la révolution littéraire qui se prépare: les futurs romantiques ne pouvaient que l'acclamer. Ce fut la période d'éclat, et il régna quelque temps en maître incontesté.

Mais ce succès devait être bien éphémère. Le triomphe du romantisme assuré, l'histoire mieux étudiée et surtout mieux comprise, la couleur locale entrée dans les moeurs littéraires, c'est-à-dire le serviteur ayant rendu tous les services qu'il pouvait rendre et qu'on avait attendus de lui, sans reconnaissance, sans pitié, on le rejeta, et il retomba dans l'oubli d'où l'on peut dire avec raison qu'il avait à peine achevé de sortir. Impossible avant 1820, il devenait inutile après 1830; et ses derniers fidèles n'eussent-ils pas mis tous leurs efforts à l'anéantir le plus rapidement et le plus sûrement possible, il ne pouvait plus que recommencer à végéter comme autrefois. Ses beaux jours étaient passés; il devait s'éteindre: il s'éteignit.

Mais en disparaissant il laissait quelque chose de lui-même; et comme pour le romantisme, les nouvelles conquêtes qu'il assurait valaient mieux que l'instrument de ces conquêtes. C'est la mélancolie de sa destinée: les choses dont il a aidé le développement et préparé le triomphe ont toujours contribué, sitôt établies, et parce qu'elles étaient des manifestations d'art d'un intérêt plus général et d'une signification plus profonde, ont toujours contribué à son oubli et à sa ruine. Il pouvait disparaître après tout: son existence avait été assez remplie. L'histoire ressuscitée, le roman réaliste organisé, l'intelligence française enrichie et élargie, la meilleure partie de l'art contemporain rendue possible: c'était une belle oeuvre, solide et forte, pour un genre si longtemps dédaigné et toujours traité—bien légèrement sans doute—de genre incertain et bâtard. La carrière du roman historique a été rapide: elle n'en reste pas moins singulièrement féconde.

* * * * *

TABLE DES MATIÈRES

AVERTISSEMENT

* * * * *

LIVRE PREMIER

Le Roman historique avant le Romantisme.

Lente genèse du roman historique en France.
Les trois courants: idéaliste, réaliste, pittoresque.

CHAPITRE PREMIER.—Le courant idéaliste.

Le roman au XVIIe siècle.—Pourquoi il prend la forme du roman historique, et pourquoi aussi le roman historique était alors impossible.—L'histoire au XVIIe siècle.—Étranges et ridicules déformations que lui font subir les romanciers.—Contradictions des oeuvres et des préfaces.—Ce que le roman historique doit à ce groupe.

CHAPITRE II.—Le courant réaliste.

Le roman et l'école de 1660.—Le roman et l'histoire contemporaine.—Vérité relative des personnages et du milieu.—L'histoire rejetée à l'arrière-plan.—Avantages de la méthode: changement complet dans la perspective de l'oeuvre et dans le ton.—Le genre peu à peu se détermine.

CHAPITRE III.—Le courant pittoresque.

Chateaubriand et l'histoire.—Chateaubriand et la couleur locale.—La couleur locale avant Chateaubriand.—L'art psychologique des classiques et l'art pittoresque des romantiques.—Pourquoi Chateaubriand devait être le principal ouvrier de cette transformation.—Ses personnages; ses descriptions; constitution définitive du milieu ou du cadre.—La Gaule poétique de Marchangy.—Le roman historique est enfin possible.

CHAPITRE IV.—Le roman historique dans Walter Scott.

Pourquoi Walter Scott devait exceller dans le roman historique: l'érudit, l'antiquaire, le conteur.—Organisation définitive du genre.—Principe de cette organisation.—Ses conséquences: l'intrigue, les sentiments, les personnages-types, la couleur locale.—Walter Scott véritable fondateur du roman historique.

* * * * *

LIVRE II

Le Roman historique de Walter Scott et le Romantisme.

CHAPITRE PREMIER.—Historique du succès de Walter Scott en France.

Premier accueil fait aux «Waverley Novels».—Popularité complète dès 1820 et enthousiasme universel.—Le Conservateur littéraire, l'Abeille, le Voyage historique et littéraire en Angleterre et en Écosse, d'Amédée Pichot.—Mémoires et correspondances du temps.—La mort de Walter Scott est un deuil public.—Les traductions françaises des «Waverley Novels».

CHAPITRE II.—Walter Scott et le Romantisme.

Raisons profondes de ce succès.—Comment il se manifeste par des imitations.—Témoignages de la presse, de la librairie, de la littérature.—Le roman historique et le mouvement romantique.—Comment les «Waverley Novels» ont favorisé le développement du romantisme.—Place de Walter Scott dans l'histoire de la littérature française.

CHAPITRE III.—Walter Scott et le pittoresque dans les personnages.

Sécheresse et stérilité de la littérature sous l'Empire et la Restauration.—La tragédie et le roman. Personnages conventionnels. —Les personnages des «Waverley Novels»: pittoresques, dramatiques, vivants.—Personnages secondaires, personnages principaux, personnages historiques.—Le pittoresque dans les personnages et l'esthétique romantique.

CHAPITRE IV.—Walter Scott et le pittoresque dans la description.

L'école descriptive de Delille.—La description dans Chateaubriand; ce qui lui manquait encore au jugement des futurs romantiques.—Le pittoresque dans les «Waverley Novels», et comment il répondait aux désirs de l'époque.—Ivanhoe et l'Abbé au Cénacle.—La description dans Walter Scott et l'esthétique romantique.

CHAPITRE V.—Walter Scott et le pittoresque dans le récit et le dialogue.

Le pittoresque dans la littérature française.—Le pittoresque dans le récit écossais. Comment tout y est dramatique et en tableaux.—Le dialogue dans Walter Scott; pittoresque et saveur; familiarités et trivialités expressives.—Le dialogue dans Walter Scott et l'esthétique romantique.

* * * * *

LIVRE III

Le Roman historique à l'époque romantique.

CHAPITRE PREMIER.—Le roman historique avant «Cinq-Mars».

Pourquoi le roman historique «à la Walter Scott» s'organise en France si lentement.—Julia Sévéra ou l'an 492.—L'Héritière de Birague et Clothilde de Lusignan.—Les Contes historiques de Musset-Pathay.—L'Urbain Grandier, de Bonnelier.—Faiblesse de toutes ces oeuvres.

CHAPITRE II.—«Cinq-Mars».

Cinq-Mars et les «Waverley Novels».—L'intrigue politique, les moeurs, les personnages, le milieu.—Défauts et insuffisances de Cinq-Mars.—Violences et partialité.—Personnages historiques au premier plan.—Le peuple dans Cinq-Mars.

CHAPITRE III.—De «Cinq-Mars» à la «Chronique de Charles IX».

Lente organisation du roman historique. Mortonval; Fray-Eugenio. Barginet, de Grenoble; les Dauphinoises.—L'organisation définitive: les Chouans, de Balzac.—Les Chouans et Ivanhoe.—La couleur locale, les moeurs, les personnages, le peuple.—Le dialogue et le pittoresque.

CHAPITRE IV.—La «Chronique du temps de Charles IX.»

Que la Chronique est le chef-d'oeuvre du roman historique
français.—L'historien et l'artiste chez Mérimée.—La Chronique et les
«Waverley Novels».—L'intrigue, les personnages historiques, les moeurs.
Personnages-types: Diane de Turgis, Comminges, Bernard et George de
Mergy.—La Chronique de Charles IX et le romantisme.

CHAPITRE V.—«Notre-Dame de Paris».

Décadence du roman historique.—Le véritable objet du roman de Victor Hugo.—Insuffisance de la peinture des moeurs.—Les personnages, et comment ils arrivent à paraître faux.—Excès de la couleur locale et triomphe exclusif du pittoresque.—Germes de ruine du roman historique et du romantisme.

CHAPITRE VI.—De «Notre-Dame de Paris» à «Isabel de Bavière».

Agonie et mort du roman historique.—La peinture des moeurs chez Paul Lacroix, Roger de Beauvoir, Eugène Sue, Frédéric Soulié, et par quoi ils la remplacent.—Intrigue mélodramatique et obscénités.—Le vulgarisateur Alexandre Dumas.—Composition, descriptions, sentiments.—Désorganisation du roman historique.

* * * * *

LIVRE IV

Ce que l'histoire et le roman réaliste du XIXe siècle doivent au roman historique.

CHAPITRE PREMIER.—Le roman historique et l'histoire au XIXe siècle.

L'histoire avant le XIXe siècle.—Le roman historique et l'intelligence de l'histoire.—Barante et l'Histoire des Ducs de Bourgogne.—La chronique historique; narration, description, dialogue.—Rôle du peuple.—Insuffisances de l'Histoire des Ducs.—Augustin Thierry et Chateaubriand. Augustin Thierry et Walter Scott.—L'Histoire de la Conquête et Ivanhoe.—Pittoresque et dramatique; pathétique et humanité.—Thierry et Michelet.—Ce que la poésie, l'art et la critique doivent au roman historique.

CHAPITRE II.—Le roman historique et le roman réaliste.

Le roman en France avant et après 1820.—Les «Waverley Novels» et la
Comédie humaine.—La peinture des moeurs dans Walter Scott et dans
Balzac.—Comment le roman devient vraiment une «image sociale»;—Walter
Scott et le roman réaliste français.

CONCLUSION.

* * * * *

ABBEVILLE.—IMPRIMERIE F.PAILLART

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*** START: FULL LICENSE ***

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To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License (available with this file or online at http://gutenberg.org/license).

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is in the public domain in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country outside the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org

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1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg-tm License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread public domain works in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE.

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1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate

Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

Le Roman Historique a l'Epoque Romantique - Essai sur l'Influence de Walter Scott
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