STAR WARS : DARTH MAUL : SABOTEUR
Published by Ballantine Books Traduit de l’américain par Gabrielle Brodhy
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Darth Maul : Saboteur :
© 2001 by Lucasfilm Ltd. et ™ All rights reserved.
Used Under Authorization. Édition originale : DEL REY BOOKS.
© 2012 Pocket, département d’Univers Poche, pour la traduction en langue française.
ISBN : 978-2-266-22644-8
Les mondes du secteur de Videnda avaient presque tous un charme particulier – des mers chaudes salées, des forêts verdoyantes, des prairies cultivables qui s’étiraient jusqu’à de lointains horizons. La planète éloignée connue sous le nom de Dorvalla avait un petit peu de chaque. Ce qu’elle avait en abondance en revanche était le minerai de lommite, composant essentiel à la production du transparacier – un métal transparent et très résistant utilisé dans toute la galaxie pour les verrières et les écrans de visualisation, tant sur les vaisseaux stellaires que dans les constructions terrestres. Dorvalla était si riche en lommite qu’un quart de la maigre population de la planète participait à son industrie, soit pour le compte de Lommite Limited, soit pour celui de son rival querelleur, InterGalactic Ore.
L’extraction du minerai crayeux se faisait dans les régions tropicales de Dorvalla. Le chantier de Lommite Limited était basé dans l’hémisphère occidental de la planète, au cœur d’un vaste fossé tectonique recouvert d’épaisses forêts et délimité par de vertigineux à-pics. Là, dans ce lieu que des mers désormais asséchées avaient à une époque habité, des bouleversements du manteau planétaire avaient projeté de colossales buttes escarpées arrachées à la terre. Et dans ces hautes montagnes rocheuses dressées telles des îles, d’un blanc que le soleil rendait aveuglant, et coiffées de végétation rampante, d’arbres et de fougères de l’époque primaire, jaillissaient les sources de minces chutes d’eau qui se jetaient du haut de milliers de mètres dans le fond de la vallée.
Mais ce qui avait été une région sauvage n’était plus aujourd’hui qu’un site d’extraction parmi d’autres. D’énormes droïdes démolisseurs avaient taillé de larges routes jusqu’aux bases de la plupart des grandes falaises, et deux aires circulaires de lancement, assez vastes pour accueillir des dizaines de navettes spatiales inesthétiques avaient été creusées dans la forêt. Les buttes elles-mêmes étaient évidées et sillonnées de mines, et de profonds cratères pleins d’une eau polluée reflétaient le soleil et le ciel comme des miroirs dépolis.
Le travail incessant des droïdes était soutenu par une main-d’œuvre d’apprentis humains et aliens pour qui le minerai avait une super fonction égalisatrice. Quelle que soit la couleur la peau, des cheveux, des plumes ou des écailles du mineur, tous devenaient aussi blancs que l’aube galactique. Tout le monde s’accordait à reconnaître que les êtres sensibles méritaient un meilleur sort, mais Lommite Limited ne possédait pas les fonds nécessaires pour avoir recours à une main-d’œuvre exclusivement droïde, et Dorvalla, par ailleurs, offrait un choix très limité en matière d’emplois.
Ce qui n’empêchait pas certains de rêver.
Patch Bruit, le chef des opérations sur le terrain de Lommite Limited – humain sous l’inévitable couche de poussière de minerai –, avait longtemps rêvé de repartir de zéro, de retourner sur Coruscant ou un autre des Mondes du Noyau, et de se refaire une vie. Mais ce ne serait de toute façon pas avant des années, et peut-être même jamais s’il continuait à restituer son maigre salaire à LL en le dépensant dans les boutiques de la compagnie avant de dilapider le peu qu’il lui restait sur les tables de jeu et en boissons.
Il y aurait bientôt vingt ans qu’il travaillait à LL, deux décennies durant lesquelles il avait peu à peu gravi les échelons jusqu’à un poste à responsabilités. Mais la charge de ses fonctions s’était de ce fait alourdie plus qu’il ne l’aurait souhaité, et plusieurs incidents récents de sabotage industriel avaient sérieusement émoussé sa patience.
Le poste de contrôle dans lequel Bruit passait le plus clair de ses journées de travail donnait sur la forêt de buttes ainsi que sur l’aire de lancement et d’atterrissage des navettes. Les nombreux écrans vidéo de la station offraient diverses vues des plate-formes des turboélévateurs en train de hisser des groupes d’ouvriers jusqu’aux gueules béantes des grottes artificielles qui perforaient les flancs abrupts des montagnes. Ailleurs, l’élévation des plate-formes se faisait avec le concours de bêtes au dos solide – les « monte-charge », au cou souple et au regard doux.
Les techniciens qui faisaient équipe avec lui au poste aimaient travailler en musique, mais le vrombissement incessant des énormes perforatrices, les meuglements sourds des monte-charge et les grondements des navettes en partance empêchaient la plupart du temps d’entendre quoi que ce soit.
La triple épaisseur des murs du poste de contrôle – en transparacier et épais comme un pouce – était censée ne pas laisser passer le plus petit grain de poussière de minerai. En fait, fine comme de l’argile, la poudre résineuse s’insinuait par les moindres interstices et recouvrait tout. Et il avait beau faire, Bruit était incapable de s’en débarrasser, pas plus sous l’eau de la douche que dans les bains soniques. Il la respirait partout où il allait, en retrouvait le goût dans les assiettes servies par les restaurants de la compagnie, et il lui arrivait même de s’infiltrer dans ses rêves. Cette poussière de lommite était si envahissante que, de l’espace, Dorvalla semblait être ceinturée d’une écharpe blanche.
Par chance, tout le monde, à cent kilomètres à la ronde, aussi bien les mineurs que les commerçants et le personnel des cantinas, était logé à la même enseigne. Mais cette grande famille de la lommite était loin d’être aussi heureuse qu’elle aurait dû l’être. Les incidents récurrents de sabotage avaient installé une ambiance de méfiance et de suspicion, parfois même parmi les ouvriers qui travaillaient épaule contre épaule dans les mines.
— Navettes du Groupe Deux chargées et prêtes à décoller, chef, annonça un des techniciens humains.
Bruit reporta son attention sur les engins de transport mécanisés et conduits par des droïdes, et dont le rôle était de faire remonter la lommite le long du puits gravitationnel. En orbite haute, les charges étaient transférées sur la flottille de barges de LL, lesquelles convoyaient le minerai brut vers des mondes industriels le long de la Voie marchande de Rimma et, occasionnellement, jusqu’au distant Noyau.
— Lance le signal, dit-il.
Le technicien pressa une série de commandes sur la console, et des haut-parleurs se mirent à hululer. Mineurs et droïdes de maintenance s’écartèrent de l’aire de lancement. Bruit se tourna vers les écrans qui affichaient des gros plans des navettes. Il les étudia attentivement, s’efforçant de repérer la plus petite anomalie.
— Aire de lancement dégagée, annonça le même technicien. Navettes parées à décoller.
Bruit hocha la tête.
— Donne le feu vert.
La procédure serait répétée une bonne douzaine de fois avant que Bruit termine sa journée, et comme d’habitude bien après le coucher du soleil.
Les huit vaisseaux autoguidés, propulsés par l’énergie des répulseurs, quittèrent le sol et pirouettèrent pour pointer leurs nez bombés vers le sud-ouest. La chaleur ondulait sous leurs ventres. Quand ils furent à une cinquantaine de mètres du sol, leurs moteurs subluminiques, d’un bleu flamboyant, se mirent en marche et catapultèrent les navettes très haut dans le ciel chargé de poussière.
Le sol trembla légèrement, et Bruit éprouva comme une vibration rassurante dans les os. Prenant une profonde inspiration, il se détendit lentement. Il avait une heure, maintenant, pour relâcher un peu la pression. Il se détournait de l’aire de lancement quand ses os et ses oreilles l’avertirent d’une altération dans le rugissement : une infime baisse du volume qui n’aurait pas dû se produire.
Il en ressentit une soudaine appréhension. Son front et ses paumes se couvrirent d’une sueur glacée. Se retournant brusquement, il colla son visage sur le panneau de transparacier donnant au sud. Très haut dans le ciel, il put voir deux des navettes entamer un changement de trajectoire ; leurs traînées de condensation amorçaient des courbes qui s’écartaient de celles, droites, de l’ascension des autres vaisseaux du groupe.
— Quatorze et Seize, annonça le technicien. J’essaie de fermer les subluminiques et de les ramener aux répulseurs… Ça ne répond pas. Elles accélèrent !
Bruit avait le regard scotché sur le ciel.
— Donne-moi une direction.
— Elles reviennent vers nous !
Bruit se passa la main sur le front.
— Enclenche l’autodestruction.
Les doigts du technicien volèrent sur la console.
— Pas de réponse.
— Utilise les déverrouillages d’urgence.
— Toujours pas de réponse. Ils ont été bousillés.
Bruit jura vertement.
— Actualisation vecteur.
— Elles foncent droit vers le Château.
Bruit lança un regard vers la butte indiquée. C’était une des plus grosses mines, ainsi baptisée en raison des spires naturelles qui ornaient ses faces ouest et sud.
— Lance l’évacuation. Priorité absolue.
De lointaines sirènes retentirent. Un court instant après, Bruit put voir les ouvriers jaillir des ouvertures de la mine et sauter sur les plate-formes volantes. Deux d’entre elles, chargées à bloc, commençaient déjà de redescendre.
— Dis aux pilotes des plate-formes de garder tout le monde en l’air ! aboya Bruit. Ce ne sera pas plus sûr au sol que dans les mines. Et commence aussi à évacuer les droïdes et les monte-charge !
Une énorme perforatrice bipédale apparut à l’entrée d’une des mines, enclencha son turboélévateur et s’élança dans le vide.
— Impact dans trente secondes, annonça le technicien.
— Largue les droïdes de guidage des navettes.
— Droïdes largués !
Bruit serra les poings. Les deux navettes, privées de gouvernail, tombaient côte à côte, comme deux rivales luttant pour coiffer l’autre au poteau. Les techniciens étaient déjà parvenus à fermer le subluminique de la Quatorze, et Bruit vit celui de la Seize s’éteindre. Mais plus rien désormais ne pourrait les arrêter. Elles étaient en chute libre balistique.
Au poste de contrôle, aussi bien les droïdes que les êtres sensibles se réfugiaient, accroupis, derrière les consoles – tous sauf Bruit qui refusait de bouger, apparemment indifférent au fait que la commotion pourrait à elle seule transformer les panneaux de transparacier de la cabine en une grêle de missiles meurtriers.
Les navettes atteignirent le Château presque en même temps et le percutèrent juste au-dessus de la plus haute des mines, à quelque cinquante mètres peut-être au-dessous du sommet tarabiscoté de la butte.
Le Château disparut sous un flamboiement explosif et aveuglant. Puis le fracas des déflagrations se propagea sur tout le secteur, répercuté avec force craquements et crépitements par les escarpements jumeaux. D’énormes fragments de roche fusèrent du flanc de la butte, et deux de ses élégantes spires basculèrent. Les bouches de la mine crachèrent des flots de poussière comme si le Château expectorait lui-même tout son minerai. L’air fut bientôt saturé de volutes neigeuses et bouillonnantes. Et presque immédiatement, le minerai commença à se précipiter, à se déverser et tout recouvrir telle une cendre volcanique à plus de cent mètres du flanc de la montagne.
Bruit ne bougea toujours pas – jusqu’à ce que le nuage atteigne le poste de contrôle et que la visibilité devienne totalement nulle.
Le siège de Lommite Limited était niché au pied de l’escarpement est de la vallée. Mais même là, un demi-centimètre de poussière de lommite couvrait les pelouses grasses et les jardins fleuris que le directeur de LL, Jurnel Arrant, avait réussi, à force de patience, à faire pousser dans le sol acide.
Les bottes de Bruit laissèrent leurs empreintes dans la poussière alors qu’il approchait du bureau d’Arrant, lequel offrait une vue dégagée de la vallée et des lointaines buttes. Bruit tenta de se débarrasser le plus possible de cette poudre blanche en tapant des pieds et en frottant ses vêtements, en pure perte bien sûr.
Jurnel Arrant, debout devant la fenêtre, tournait le dos à la porte quand Bruit entra.
— Une belle pagaille, dit-il quand il entendit la porte se refermer d’elle-même derrière Bruit.
— Vous trouvez ? Attendez qu’il pleuve. Ce sera un vrai bourbier, là-bas.
Bruit avait espéré que sa remarque allégerait l’atmosphère, mais l’expression irritée d’Arrant lorsqu’il se retourna vers lui le détrompa.
Le directeur de Lommite Limited était un humain mince, aux traits harmonieux et d’âge moyen. Quand il avait débarqué sur Dorvalla après avoir quitté sa Corellia natale, il n’avait pas hésité à retrousser ses manches et à se mettre au travail là où on avait besoin de lui. Mais alors que LL commençait à prospérer sous sa houlette, Arrant était devenu toujours plus tatillon et détaché, choisissant de laisser Bruit se charger des opérations quotidiennes. Il avait une prédilection pour les tuniques chères et de couleurs sombres, aux épaules invariablement empoussiérées de lommite qu’il portait comme une distinction honorifique. Si son statut de non-autochtone avait initialement été retenu contre lui, il s’en trouvait peu désormais pour critiquer cet homme qui avait à lui seul transformé la compagnie provinciale de Lommite Limited en une société qui traitait à présent avec de nombreux mondes importants.
Arrant baissa les yeux sur les empreintes blanches que les bottes de Bruit avaient laissées sur la moquette. Soupirant ostensiblement, il lui fit signe de s’asseoir et s’installa lui-même derrière un vieux bureau en bois.
— Qu’est-ce que je vais faire de vous, Bruit ? dit-il d’un ton théâtral. Quand vous m’avez demandé davantage de matériel de surveillance, je vous l’ai accordé. Et quand vous avez souhaité avoir plus de personnel de sécurité, je vous l’ai donné aussi. Avez-vous besoin d’autre chose ? Ai-je oublié de vous fournir du matériel ou je ne sais quoi ?
Les lèvres serrées, Bruit secoua la tête.
— Vous n’avez pas de famille. Vous n’avez pas de petite amie, du moins pour autant que je sache. Peut-être vous désintéressez-vous simplement de votre travail, c’est ça ?
— Vous savez bien que non, mentit Bruit.
— Alors pourquoi ne faites-vous pas ce qu’on attend de vous ?
Arrant s’accouda sur la table et se pencha vers lui.
— C’est le troisième incident en quelques semaines, Bruit. Je ne comprends pas comment cela peut arriver. Avez-vous la moindre idée sur ce qui peut provoquer la chute de ces navettes ?
— Nous en saurons plus si les droïdes de guidage peuvent être retrouvés et analysés, répondit Bruit. Pour l’instant, ils sont enfouis sous cinq ou six mètres de poussière.
— Eh bien, mettez-vous tout de suite au travail. Je veux que vous démasquiez les saboteurs, et que vous consacriez toutes vos ressources et votre temps à cette enquête. Pensez-vous pouvoir vous en charger, Bruit, ou faut-il que je fasse venir des spécialistes ?
— Ils ne pourront rien découvrir de plus que moi, dit Bruit. Le déclin d’InterGalactic Ore est inversement proportionnel au succès de LL. En plus, nous n’avons pas seulement affaire à une rivalité industrielle. Beaucoup de familles qui travaillent pour Inter-Gal sont en guerre contre certaines que nous employons. Deux au moins des récents incidents ont été motivés par des rancunes personnelles.
— Que suggérez-vous, alors, Bruit ? Que je renvoie tout le monde et que je fasse venir dix mille mineurs de Fondor ? Quelles seront les répercussions sur la production ? Et, plus important encore, est-ce que ma réputation sur Dorvalla ne risque pas d’en souffrir ?
Bruit haussa les épaules.
— Je n’ai pas de réponses à vous donner. Il est peut-être temps pour vous de porter cette affaire devant le Sénat Galactique.
Arrant le fixa avec incrédulité.
— La soumettre à Coruscant ? Nous ne sommes pas au cœur d’un conflit interstellaire, Bruit. Il s’agit d’une rivalité d’entreprises, et j’ai été sur le terrain assez longtemps pour savoir qu’on a toujours intérêt à régler ce genre de choses par soi-même. De plus, je ne veux pas que le Sénat s’en mêle. Le conflit entre Lommite Limited et InterGalactic se résumerait à savoir lequel des deux peut donner les plus gros dessous-de-table au plus grand nombre de Sénateurs.
Il secoua la tête avec colère.
— Nous nous retrouverions sur la paille bien plus vite qu’avec ces sabotages.
Bruit s’apprêtait à répondre quand l’intercom d’Arrant se manifesta et que la voix de son droïde protocolaire retentit dans le haut-parleur.
— Désolé de vous déranger, monsieur, mais vous avez une holotransmission prioritaire d’un Neimodien, Hath Monchar.
Arrant fronça les sourcils.
— Monchar ? Je ne connais pas ce nom. Mais allez-y, passez-le-moi.
Du disque de l’holoprojecteur fixé dans le sol au centre du bureau apparut l’holoprésence grandeur nature d’un Neimodien aux yeux rouges et à la peau olivâtre, drapé dans une somptueuse tunique et portant sur la tête un couvre-chef noir censé être une couronne.
— Je vous salue au nom de la Fédération du Commerce, Jurnel Arrant, dit Hath Monchar. Le Vice-Roi Nute Gunray vous transmet son meilleur souvenir, et souhaite vous assurer que la Fédération du Commerce a été navrée d’apprendre que vous aviez essuyé un nouveau contretemps.
Arrant fronça les sourcils.
— Comment se fait-il que, chaque fois qu’un problème grave se pose, les premiers à se manifester soient les Neimodiens ?
— Nous sommes une espèce douée de compassion, répondit Monchar dans un basic dont son accent à couper au couteau étirait les mots.
— Compassion et neimodien sont antinomiques, Monchar. Et à propos, comment avez-vous entendu parler de notre « contretemps », comme vous dites ? La Fédération du Commerce aurait-elle quelque chose à voir là-dedans ?
Les membranes nictitantes des yeux rouges de Monchar commencèrent à être agitées de frémissements spasmodiques.
— La Fédération du Commerce ne ferait jamais rien qui puisse nuire à ses relations avec un associé potentiel.
— Un associé ?
Le rire d’Arrant était un rien ironique.
— Ayez au moins la décence de parler clair, Monchar. Vous voulez nos routes commerciales. J’ignore ce que vous avez dû verser au Sénat Galactique pour obtenir une franchise afin d’opérer en toute impunité dans les zones de libre-échange, mais vous n’arriverez pas à vous offrir le Secteur Videnda.
— Vous pourriez pourtant transporter dix fois plus de minerai de lommite dans un seul de nos cargos que dans une vingtaine de vos plus grosses barges.
— Exact. Mais à quel prix ? Avant longtemps le coût de nos transports dépasserait nos bénéfices. Ce n’est pas pour rien que vous pouvez vous offrir ces tuniques hors de prix.
Monchar prit un instant avant de répondre.
— Nous préférerions nettement que notre association repose sur des bases solides. Nous serions navrés de voir Lommite Limited pris au piège d’une situation qui ne lui laisserait d’autre solution que de se tourner vers nous.
Arrant se raidit et bondit sur ses pieds.
— Serait-ce une menace, Monchar ? Qu’avez-vous en tête, au juste ? Nous envahir avec vos droïdes ?
Monchar eut un geste agacé.
— Nous sommes des marchands, pas des conquérants.
— Alors arrêtez de parler en conquérant si vous ne voulez pas que j’en réfère à la Commission du Commerce sur Coruscant.
— Vous êtes contrarié, dit Monchar en caressant nerveusement son large nez. Peut-être devrions-nous reporter cette discussion à un autre moment.
— Ne m’appelez pas, Monchar. Je vous appellerai.
Arrant désactiva l’holoprojecteur et retomba dans son fauteuil en laissant un long soupir filtrer de ses lèvres pincées.
— Des charognards, dit-il après un instant. Je préférerais voir LL déposer son bilan plutôt que de se vendre à la Fédération.
Dans le bref silence qui suivit, des ploc ploc insistants leur parvinrent de l’extérieur des grandes baies vitrées du bureau.
— Quoi encore ? demanda Arrant en faisant pivoter son fauteuil vers le bruit.
— La pluie, dit Bruit, à peine audible.
En dépit de ses riches gisements de lommite, ou de l’attention répétée qu’elle recevait de la Fédération du Commerce, Dorvalla n’était, pour la plupart des observateurs, guère plus qu’un grain de poussière dans la marche des systèmes solaires qui formaient la République Galactique. Mais parmi les quelques rares individus à avoir suivi les événements qui s’y déroulaient, aucun ne l’avait fait avec plus d’intérêt que Dark Sidious, le Seigneur Noir des Sith.
— La rivalité entre Lommite Limited et InterGalactic Ore m’intrigue, déclara Sidious en arpentant le très spacieux bureau qui lui tenait lieu à la fois de sanctuaire et de resserre.
Sa capuche était relevée sur son visage ridé, et l’ourlet de sa tunique traînait sur le sol luisant. Sa voix était râpeuse, dénuée d’émotion, mais non dépourvue cependant d’inflexions intentionnelles.
— Je vois une façon pour nous d’exploiter cet imbroglio à notre avantage, continua-t-il. Un petit coup par-ci, un petit coup par-là, et les deux compagnies minières finiront par déposer le bilan. Après quoi nous pourrons livrer Dorvalla à la Fédération du Commerce – le minerai, les voies commerciales, le vote de Dorvalla au Sénat… – et gagner ainsi la nouvelle allégeance du Vice-Roi Gunray et de ses larbins.
Sidious sortit ses mains des amples manches de sa tunique.
— Le Vice-Roi Gunray affirme être convaincu de l’intérêt qu’il y a à nous servir, mais je veux qu’il soit totalement sous notre coupe, de sorte qu’il ne subsiste aucun doute quant au respect total qu’il aura de mes ordres. Une fois Dorvalla sous contrôle, il sera vraisemblablement nommé à un poste permanent au conseil d’administration de la Fédération du Commerce. À partir de là, nous pourrons avancer les pions de notre plus grand plan.
Sidious, sous son capuchon, tourna son regard vers un coin sombre de la pièce où Dark Maul était assis, aussi silencieux qu’une statue, son visage tatoué baissé de sorte que Sidious ne pouvait rien voir d’autre que la couronne de courtes cornes qui hérissaient son crâne chauve.
— Vos pensées vous trahissent, mon jeune Apprenti, remarqua-t-il. Vous êtes intrigué par l’intérêt insistant que je porte aux Neimodiens.
Dark Maul releva la tête, et la faible lumière présente parut se recroqueviller. Si son Maître représentait tout ce qu’il y avait d’occulte et de mystérieux chez les Sith, Maul était l’incarnation de leur aspect effrayant.
— À vous, Maître, je ne peux pas cacher ce que je ressens. Les Neimodiens sont cupides et veules. Je les trouve indignes d’intérêt.
— Vous avez oublié « fourbes » et « pleurnicheurs », dit Sidious.
— Ce qu’ils sont plus que tout, Maître.
Sidious esquissa ce qui, pour lui, se rapprochait le plus d’un sourire.
— Des traits rien moins qu’admirables, j’en conviens, mais très utiles pour notre objectif.
Il s’approcha de Maul.
— Afin d’atteindre notre but, nous serons forcés de frayer avec toutes sortes d’êtres, tous plus abjects les uns que les autres. Mais nous n’avons pas le choix. Je peux vous assurer que les Neimodiens auront un rôle très important à jouer dans notre effort pour installer un ordre nouveau dans la galaxie.
Les yeux jaunes de Maul soutinrent le regard perspicace de Sidious.
— Maître, comment aiderez-vous le Vice-Roi Gunray et la Fédération du Commerce à protéger Dorvalla ?
Sidious s’immobilisa à quelques mètres de lui.
— Vous serez mon bras droit dans cette affaire, Dark Maul.
Aussitôt, Maul rebaissa la tête.
— Quels sont vos ordres, Maître ?
Sidious posa les mains sur ses hanches.
— Levez-vous, Dark Maul, et venez devant moi.
Il accorda quelques secondes à son apprenti pour s’exécuter avant de poursuivre.
— Jusqu’à présent, votre apprentissage a été irréprochable. Votre détermination n’a jamais fléchi et vous avez accompli vos tâches sans le moindre faux pas. Quant à votre art au maniement de l’épée, il est exceptionnel.
— Mon Maître, dit Maul. Je suis né pour vous servir.
Sidious garda le silence un instant – ce qui n’était
jamais bon signe.
— Il y a des certitudes, Dark Maul, dit-il enfin, mais il y a aussi des imprévus. Le pouvoir du Côté Obscur est illimité, mais seulement pour ceux qui acceptent le doute. Et cela exige la capacité de se soumettre à certaines possibilités.
Dark Sidious leva la main droite, paume en avant.
Avant que Maul puisse s’y opposer – même s’il avait choisi de le faire – le long cylindre qu’était son sabre laser double-lame vola directement de sa ceinture où il était suspendu à son Maître. Mais au lieu de l’attraper, Sidious arrêta le sabre en plein vol, à quelques centimètres de sa main levée, et le fit tournoyer sur lui-même devant lui, sous le regard ouvertement admiratif et respectueux de Maul.
Sidious ordonna au sabre laser de s’allumer. Et de chaque extrémité jaillit une lame de feu vermeille d’un mètre de long, d’une incandescence hypnotique par son intensité. L’arme flottante pivota vers la gauche, puis vers la droite, en produisant Une sorte de raclement qui, alors qu’il s’intensifiait, devint menaçant.
— Une arme raffinée, dit Sidious. Dites-moi, mon jeune apprenti, à quoi pensiez-vous lorsque vous l’avez conçue ? Pourquoi celle-ci plutôt qu’une lame unique, ainsi que le préfèrent les Jedi ?
— La lame unique a ses limites, Maître, aussi bien pour l’attaque que pour la défense. Et il m’a semblé judicieux de pouvoir frapper des deux côtés à là fois.
Sidious émit un son d’approbation.
— Vous devrez garder cela à l’esprit lorsque vous irez sur Dorvalla, Dark Maul. Mais n’oubliez pas une chose : ce qui est fait en secret possède un grand pouvoir. Un maître bretteur sait que, en brandissant son ’ épée, il révèle ses intentions. Soyez prudent. Il est trop tôt pour nous dévoiler.
— Je comprends, Maître.
Sidious désactiva le sabre laser et le renvoya à Maul qui le reçut comme s’il s’agissait d’un trésor. Puis il s’approcha de lui et lui tendit la disquette de données.
— Étudiez-la pendant le voyage. Elle contient des noms et des descriptions des êtres que vous rencontrerez, et d’autres informations qui vous seront utiles.
Sidious lui fit ensuite signe de le suivre vers le mur du fond de leur sombre repaire. Comme ils en approchaient, un grand panneau s’ouvrit, révélant une vue plongeante de la ville-planète qu’était Coruscant.
— Vous découvrirez que Dorvalla offre un paysage bien différent de Coruscant, Dark Maul.
Sidious se tourna légèrement vers lui, l’évaluant d’un regard dissimulé par son capuchon.
— J’ai le sentiment que vous prendrez plaisir à cette expérience.
— Et vous, Maître, où serez-vous ?
— Ici, répondit Sidious. J’attendrai que vous reveniez pour m’annoncer la réussite de votre mission.
Il avait fallu deux jours pour localiser et exhumer les droïdes de guidage des navettes en bouillie, et sous une pluie incessante. Le Château était ceinturé d’un bourbier de trois mètres de haut. Bruit avait insisté pour superviser les recherches ; il tenait à être sur place quand les droïdes seraient analysés.
Peu d’employés de LL étaient autorisés à pénétrer sur l’aire de lancement, et plus rares encore étaient ceux qui avaient accès aux navettes mécanisées elles-mêmes. Ce sabotage qui avait abattu les navettes avait sans doute laissé des indices caractéristiques sur le slicer responsable des précédents actes de malveillance. Les sources de Bruit avaient déjà découvert qu’il s’agissait d’un agent d’InterGalactic Ore, mais son identité restait encore à découvrir.
L’équipe que Bruit avait affectée à la récupération était un panachage d’êtres en provenance des systèmes stellaires relativement proches de Clak’dor, Sullust et Malastare – autrement dit des Bith, des Sullustéens et des Grans transplantés. Tous étaient équipés de lunettes de protection, de respirateurs et de gros croquenots qui les empêchaient de s’enfoncer trop profondément dans le minerai que la pluie avait transformé en gadoue gélatineuse. Tous sauf Bruit qui avait enfilé des cuissardes dans l’espoir de rester un minimum propre.
— Aucun doute là-dessus, chef, déclara l’un des Sullustéens au regard noir limpide après avoir lancé une série de tests sur l’un des droïdes de guidage de série R. Celui qui s’est slicé un chemin dans cet engin est le même que celui qui a mis les transporteurs HS le mois dernier. Je suis prêt à miser ma paye là-dessus.
— Pas la peine, dit Bruit. Tu viens juste de confirmer ce que tout le. monde savait déjà.
Il eut un mouvement de tête rageur.
— Qu’on boucle les aires de lancement jusqu’à nouvel ordre – interdites à tout le monde. Ensuite, qu’on m’amène tous les membres des équipes de maintenance et de préparation au lancement pour interrogatoire.
— Et pour le minerai, chef ? demanda un des Bith.
— On fera venir des équipes temporaires, même si on doit aller jusqu’à Fondor pour trouver les gars qu’il nous faut. Et une fois qu’on sera prêts à repartir, on doublera les vols de navettes.
Conscients de ce que cela signifiait, tout le monde soupira.
— Et qu’est-ce que le boss pensera de tout ça ? demanda le Sullustéen.
Bruit jeta un coup d’œil en direction des bâtiments administratifs. Arrant était déjà au courant de la récupération des droïdes de guidage, et il attendait dans son bureau que Bruit vienne lui faire son rapport.
— Je vous dirai ça à mon retour, dit-il.
Il se dirigea vers le speeder qu’il avait laissé devant la cabine de contrôle, mais il n’avait pas fait dix mètres quand son pied gauche s’embourba désespérément dans la gadoue. Il saisit le haut de la cuissarde, pensant pouvoir simplement dégager son pied, mais perdit l’équilibre, bascula sur le côté et s’enfonça jusqu’à l’épaule. Il resta un moment dans cette position peu glorieuse, tout en essayant d’imaginer à quoi la vie pouvait ressembler sur Coruscant…
— Vous aviez raison : la situation pouvait encore empirer, déclara Arrant quand Bruit entra dans son bureau, couvert de boue et en chaussettes.
— J’avais aussi raison pour InterGal. Les droïdes de guidage ont révélé exactement ce que nous nous attendions à découvrir.
Une expression maussade gâcha quelque peu le physique avantageux d’Arrant.
— Cette affaire est allée trop loin, déclara-t-il après un instant de réflexion. Bruit, vous savez que je suis un gars patient, et plutôt pacifique. J’ai toléré ces actes de vandalisme et de sabotage, mais là, la coupe est pleine. La perte de ces deux navettes… Et Engineering Corellien vient de s’adresser à InterGalactic pour une expédition que nous ne pouvions pas assurer – exactement comme InterGal l’avait prévu, c’est évident.
— Ça ne se reproduira pas, déclara Bruit. J’ai fait fermer les zones de lancement, et je fais venir des équipes de remplacement.
— Vous avez une journée, dit Arrant.
Bruit en resta bouche bée.
— Eriadu nous a passé de très grosses commandes, à nous et à InterGal, expliqua Arrant. Nous devons livrer à la fin de la semaine, ce qui nous donne tout juste le temps de charger les barges et de sauter dans l’hyperespace. C’est un contrat-ultimatum, Bruit. Ça passe ou ça casse. Et Eriadu l’accordera à celui qui pourra livrer à temps et sans incident. Il est impératif que LL arrive le premier, vous comprenez ?
Bruit acquiesça d’un signe de tête.
— Les navettes seront prêtes à partir dans moins de vingt-quatre heures.
— Ce n’est que le début, dit Arrant avec circonspection. Comme il est évident que vous n’aurez pas démasqué les saboteurs d’ici là, je veux que vous fassiez en sorte que nous rendions la monnaie de sa pièce à InterGalactic.
Il laissa à Bruit le temps d’absorber l’information.
— Je veux que nous les frappions très fort, Bruit. Mais pas directement.
Bruit considéra un temps la proposition.
— Je suppose que nous pourrions nous adresser à une des organisations criminelles. Peut-être le Soleil Noir ?
Arrant agita la main pour le congédier.
— Ça, c’est votre rayon, Bruit. Moins j’en saurai, mieux ce sera. L’essentiel, c’est que personne ne soit en mesure de nous faire chanter ensuite.
— Dans ce cas, mieux vaudrait faire appel à des free-lances.
— Faites ce que vous avez à faire – et ne regardez pas à la dépense.
Bruit prit une forte inspiration.
— J’ai l’impression que Dorvalla ne sera plus la même à partir de maintenant.
Vêtu d’une combinaison de travail légère et d’une cape noire dont il avait relevé la capuche pour se protéger de la pluie torrentielle, Dark Maul descendit la rue principale de la ville bâtie par la compagnie Lommite Limited au beau milieu de ce qui avait été à une époque une forêt tropicale impénétrable. Sous la cape, il portait son sabre laser double-lame suspendu à sa ceinture, qu’il pouvait aisément saisir si besoin était. En raison de la pesanteur de Dorvalla légèrement inférieure à celle à laquelle il était habitué, sa démarche n’était pas dépourvue d’une certaine grâce.
Avec son quadrillage de rues en permabéton, la ville était un véritable labyrinthe de bâtisses en préfabriqué et de baraques en bois dont la plupart n’avaient même pas de transparacier à leurs fenêtres. De la musique sortait des cantinas et des restaurants, et des gens de toutes sortes titubaient, éméchés, sur les trottoirs surélevés. L’endroit évoquait ces villes frontières qui avaient poussé un peu partout dans les systèmes stellaires reculés, avec l’habituel brassage d’aliens, d’humanoïdes et de droïdes de la vieille génération, avec le mélange de stérilité et de contamination, et la cohabitation de véhicules à répulseurs et de bêtes de somme à quatre ou six pattes.
On ressentait chez les habitants – d’une part ceux qui travaillaient directement pour Lommite Limited, de l’autre ceux qui les escroquaient – l’étrange union entre une certaine indépendance face aux lois qui régissaient la vie dans les mondes du Noyau et une soumission à un travail épuisant et à la pauvreté.
Contrairement à Coruscant, où chacun agissait et se déplaçait avec résolution, il régnait ici une atmosphère d’indétermination, de désintérêt de la vie, comme si les êtres qui avaient eu la malchance de naître sur place, ou d’émigrer ici pour une raison ou une autre, s’étaient résignés au désespoir. A l’instar des crève-la-faim qui vivaient hors de toute loi dans les entrailles de Coruscant, ils semblaient accomplir les gestes quotidiens de façon purement machinale plutôt que de s’efforcer de vivre leur vie et de la façonner en fonction de ce qu’ils en attendaient.
Ce constat fascina Maul tout autant qu’il le démoralisa. Il lui faudrait regarder au-delà des apparences.
L’air était imprégné d’une chaleur humide, et il percevait les bruissements et les pépiements de la forêt toute proche, ainsi que les combats, les poursuites et l’omniprésente lutte pour la survie. Et cet esprit de la forêt s’était communiqué à la ville dont certains habitants n’hésitaient pas à chasser et à tuer pour subsister. Un semblant de loi régulait ce genre de chose, mais sous ce vernis se cachait une moralité bien plus terre à terre qui autorisait les adversaires à régler leurs différends sans craindre l’intrusion de gardiens de la paix, de représentants de la justice ou, pire, de Chevaliers Jedi.
La vie ne valait pas grand-chose.
Maul leva la main et attrapa un insecte de la taille d’un poing en plein vol. Étourdie, la bestiole, une sorte de luciole, resta prostrée dans sa paume, se demandant peut-être, à un niveau primitif, sur quel genre de prédateur elle était tombée. Ses six pattes gigotaient et ses paires d’antennes frémissaient. Ses deux gros yeux globuleux et sa carapace luisaient à la faible bioluminescence verdâtre.
Dark Maul étudia l’insecte, puis l’envoya rejoindre tous ceux qui bourdonnaient dans la ville.
Son Maître lui avait montré de nombreux endroits, mais il avait toujours été accompagnée Or à présent il se retrouvait seul. Un étranger dans un monde étrange.
Il se demanda si, sans Dark Sidious et la vie qu’il lui avait donnée, il aurait pu trouver un endroit comme Dorvalla. Il avait été élevé dans la croyance qu’il était exceptionnel, et il avait fini par l’accepter. Mais il arrivait que, de loin en loin, le doute s’immisce en lui sans y être invité, instillant en lui une certaine perplexité.
Il chassa cette intrusion mentale et hâta le pas.
Sa formation Sith lui permettait de repérer les faiblesses de caractère ou de constitution de chacun des divers êtres qu’il croisait. Il puisa dans ses instincts du Côté Obscur pour qu’ils le guident vers la meilleure façon de mener sa mission à bien.
Maul s’arrêta devant l’entrée d’une cantina bruyante. C’était le genre d’endroit où celui qui en poussait la porte était automatiquement détaillé et jaugé par la clientèle, aussi fit-il très vite, au point de n’être qu’une forme indistincte aux yeux de la plupart, et un simple ouvrier venant s’abriter de la pluie pour les autres. Il s’assit sur un tabouret, au bar, gardant sa capuche et présentant son profil à la barmaid humaine qui approcha.
— Qu’est-ce que je vous sers, l’étranger ?
— De l’eau, gronda Maul.
— Oh… On est un grand dépensier, hein ?
Maul esquissa un geste désinvolte de la main.
— Apportez-moi mon verre et fichez-moi la paix.
Il étendit sa vision périphérique afin d’englober les deux salles contiguës, utilisa le miroir derrière le bar pour découvrir ce que ses yeux ne pouvaient voir, et puisa dans le Côté Obscur pour combler le reste.
La cantina, d’une propreté douteuse, sentait l’alcool et le graillon. L’éclairage était délibérément faible. Des insectes de toutes tailles voletaient autour des lampes, et des enfants de diverses espèces s’amusaient à courir entre le bar et l’extérieur. Mâles et femelles fraternisaient ouvertement, avec une sorte d’inconséquence et de désinvolture. Un groupe de vauriens, des Bith et des Ortolans grassouillets, fournissait la musique. Au bar, des Weequays discutaient avec des Ugnaughts, des Twi’leks avec des Gands. Toutefois, bien qu’il n’y eût pas d’autre Iridonien que lui sur place, Maul n’était pas seul à être l’unique représentant d’une espèce.
Si certains des résidents qu’il avait croisés dans la rue étaient les chasseurs, les chats manka, ici se trouvaient les nerfs dont les chats se nourrissaient – ceux qui s’adonnaient à l’alcool, aux drogues, aux jeux de hasard et autres vices. C’était l’absence totale de discipline qui l’écœurait. C’était elle la clé du pouvoir : une discipline à toute épreuve qui avait fait de lui un maître bretteur et un guerrier. La discipline était ce qui lui permettait de défier la pesanteur et de ralentir les irruptions sensorielles, de sorte qu’il pouvait agir au moment voulu.
Aiguisant ses facultés, il étendit la portée de son ouïe afin de suivre les conversations autour de lui. La plupart étaient aussi prosaïques qu’il l’avait imaginé – ragots, flirts, jérémiades, et projets qui ne verraient jamais le jour.
Puis il perçut le mot « sabotage » et dressa l’oreille. Le client qui l’avait prononcé était un humain costaud, assis à la droite de Maul dans un box contre le mur du fond de la cantina. Un autre humain, un grand type au teint bistre, lui faisait face. Les deux hommes portaient les combinaisons standard des employés de Lommite Limited, grises et légères, mais l’absence de poussière de lommite dans leurs cheveux ou sur leurs vêtements révélait sans risque de se tromper qu’ils ne travaillaient pas à la mine.
Un troisième homme, au dos droit et de robuste constitution, s’approcha. Maul, qui observait la scène du coin de l’œil, but une gorgée de son eau et se tourna insensiblement vers le box.
— J’étais sûr de vous trouver là, tous les deux, dit le nouvel arrivant.
Le costaud sourit et lui fit une place sur le banc rembourré.
— Assieds-toi avec nous ; c’est notre tournée.
L’homme s’assit mais secoua la tête à sa proposition.
— Peut-être plus tard.
Les deux autres échangèrent un regard surpris. Maul lut la réflexion du plus grand sur ses lèvres :
— S’il ne boit pas, c’est que la situation est grave.
— Le chef organise une réunion spéciale. Il veut qu’on soit chez lui dans une demi-heure.
— Tu sais à propos de quoi ? s’enquit le costaud.
— Sûrement de l’accident des navettes, dit l’homme en face de lui. Bruit doit avoir une idée, pour les coupables.
Maul reconnut le nom. Bruit était le chef des opérations sur le terrain de Lommite Limited. Les trois hommes étaient sans doute chargés de la sécurité.
— Comme si on ne les connaissait pas, les coupables, ironisa le costaud.
— C’est plus grave que ça, dit le troisième homme en baissant la voix, à tel point que Maul dut faire un effort pour l’entendre. Arrant a donné ses ordres sur la façon dont on va répondre.
Le costaud s’écarta de la table qui scindait le box en deux.
— Eh ben c’est pas trop tôt.
— Ouais, et ça mérite bien une autre tournée, renchérit son copain.
Maul continua à écouter, mais ses yeux n’étaient plus fixés sur les hommes, mais sur quelque chose qu’il avait remarqué sur le mur au-dessus du box. Quelque chose qui ressemblait à la luciole bioluminescente qu’il avait capturée plus tôt. Celle-ci, cependant, ne bougeait pas de sa place. Pour une raison évidente que Maul découvrit en la sondant à l’aide de la Force. Non seulement elle était fausse, mais c’était de plus un dispositif d’écoute.
Maul scruta la salle, puis se tourna pour faire face au miroir. L’appareil n’était pas très sophistiqué ; sa taille à elle seule en était la preuve. Ce n’était pas pour autant que celui qui espionnait ces hommes de la sécurité était dans la cantina, mais Maul le soupçonnait pourtant d’y être. Sans le regarder, il se concentra sur le faux insecte et filtra tous les sons étrangers – les battements rythmiques de la musique, les dizaines de conversations isolées, les tintements des verres qu’on entrechoque ou qu’on remplit d’un alcool quelconque. Une fois qu’il put discerner les bips muets du mouchard, il chercha à repérer le récepteur auquel il était relié.
A une table de la salle voisine étaient assis un Rodien et deux Twi’leks, de toute évidence en train de jouer aux cartes – au sabacc, probablement. Maul les observa un moment. Leur jeu était décousu. Il continua d’étudier leurs expressions tandis que les agents de la sécurité poursuivaient leur conversation. Quand un des hommes disait quelque chose d’intéressant, une lueur s’allumait fugacement dans les yeux à facettes du Rodien dont le museau se retroussait. Au même moment, les tentacules, sur la tête des Twi’leks, frémissaient et leurs visages au teint terreux s’empourpraient très légèrement.
Un écouteur était fiché dans l’oreille gauche du Rodien, et la réception, pour les Twi’leks, se faisait sous forme de patchs camouflés en tatouages lekku.
Maul était certain que les trois hommes étaient des sbires employés en sous-main par le rival local de Lommite Limited : InterGalactic Ore. Il reconnut le Rodien pour l’avoir vu sur le disque que Sidious lui avait donné. Il était très possible que tous trois soient les saboteurs eux-mêmes.
Il reporta son regard sur le dispositif d’écoute et les hommes de la sécurité. Des êtres enfermés dans leur routine qui occupaient probablement le même box soir après soir, n’imaginant pas une seconde que leurs conversations puissent être sur écoute. Ce genre d’irréflexion exaspérait Maul au point de le rendre furieux. Ces hommes n’auraient pas volé les ennuis qui allaient sans le moindre doute leur tomber dessus.
Les trois agents quittèrent la cantina à pied et s’engagèrent sur un chemin tracé dans la forêt épaisse. Maul les suivit discrètement à distance, restant dans l’ombre quand la lune de Dorvalla, pleine et argentée, se leva.
Le chemin aboutit bientôt à un lotissement d’habitations précaires et pour la plupart montées sur pilotis afin de ne pas baigner dans les mares d’eau polluée laissées par la pluie. L’humidité était oppressante.
La maison où se dirigèrent les trois hommes était un cube surélevé avec un toit métallique incliné de façon à canaliser l’eau de pluie dans une citerne en ferrobéton. Son unique porte n’était accessible que par des marches plus proches de l’échelle que de l’escalier.
Un landspeeder rouillé, au pare-brise étoilé, était garé juste devant sur le terrain boueux.
Maul resta à couvert derrière les arbres tandis qu’un humain bien bâti répondait aux coups donnés par le costaud sur la porte.
— Entrez, dit l’homme. Tous les autres sont déjà là.
Bruit. Dark Maul attendit que les trois agents soient entrés avant de sortir de l’ombre pour aller rapidement se poster sous une fenêtre ouverte sur le côté. Pas satisfait de son choix, il plongea sous la maison et grimpa à un des pieux des pilotis pour se hisser entre les poutrelles de la pièce en façade. Au-dessus de lui, quelqu’un remplissait des verres.
Maul sortit un enregistreur miniature de la poche de poitrine de sa combinaison et le fixa sous les lattes mal taillées du plancher.
— – Donc voilà le topo, commença Bruit pendant qu’on finissait de servir les boissons. Arrant a décidé qu’il était temps de contre-attaquer. On va frapper InterGal à Eriadu. Nos cargaisons atteindront la planète, mais pas les leurs.
Quelqu’un manifesta son étonnement par un sifflement.
— Le patron se rend compte dans quoi il met les pieds, au moins ? demanda un homme, peut-être celui qui venait de siffler. Ça va dégénérer en guerre ouverte, cette histoire.
— Je tiens ce qui suit directement de Arrant, répondit Bruit. Les coups durs, ça le connaît. C’est sa décision, il l’a prise, et c’est lui qui mène le jeu.
— Possible, mais c’est notre gagne-pain, remarqua quelqu’un. Il doit bien y avoir un meilleur moyen de régler le problème. Pourquoi est-ce qu’on n’irait pas s’adresser au Sénat ? Il pourrait intervenir.
— Le remède peut être pire que le mal, objecta un autre, ce qui amusa beaucoup Maul. Le Sénat refilera le bébé à des comités de bureaucrates gangrenés jusqu’à l’os. Et ça prendra des mois pour arriver devant un tribunal.
— Pas de Sénat, pas de tribunal, trancha Bruit. Ces solutions ont déjà été éliminées. C’est à nous d’en trouver une.
— Et qu’est-ce qu’il se passera à Eriadu ?
— On a réussi à connaître la route de l’hyperespace que les cargos d’InterGal vont emprunter. Ils arriveront par Rimma 13, et il est prévu qu’ils sortiront de l’hyperespace à 14 heures, heure locale d’Eriadu. Les gars que nous embauchons pour exécuter le coup pourront calculer précisément les coordonnées de rentrée.
— Qui est-ce qu’on embauche ?
— Le clan Toom.
Ce fut la consternation générale.
— De vrais assassins, dit quelqu’un.
— Absolument, confirma Bruit. Mais nous avons besoin de faire équipe, pour cette mission, et Arrant est prêt à débourser ce qu’il faut. En ayant recours à eux, personne ne nous soupçonnera, et Arrant, de toute façon, ne veut pas en savoir plus que nécessaire. Comme il veut garder les mains propres, il me laisse contacter qui il faut. En plus, les Toom ont les moyens de faire ce boulot.
— Et pas le moindre scrupule pour l’accomplir.
— Ils sont d’accord sur les conditions ?
— Ils l’ont été dès que je les ai contactés, dit Bruit. Mais j’avoue que je rêve parfois de voir les deux compagnies – InterGal et Lommite – rayées de la carte, comme ça quelqu’un de vraiment prévoyant pourrait rebâtir une meilleure structure sur les ruines des deux autres.
Plusieurs verres s’entrechoquèrent.
— Donc quel est notre rôle dans cette affaire, chef, si le marché a déjà été conclu ?
Bruit eut une sorte de rire étranglé.
— Nous devons nous préparer pour la riposte d’InterGal.
Maul récupéra l’enregistreur sous le plancher et redescendit sur le sol riche en terreau. Il resta immobile un long moment sous la maison, accroupi dans l’obscurité, à écouter distraitement les rires distants et les stridulations des nuées d’insectes alentour. Puis il songea à Coruscant, et à la question que son Maître lui avait posée au sujet de son sabre laser double-lame.
« Il m’a semblé judicieux de pouvoir frapper des deux côtés à la fois », avait-il répondu.
« Tu devras garder cela à l’esprit lorsque tu iras sur Dorvalla », avait dit son Maître avec un signe d’approbation.
Maul glissa la main sous sa cape pour détacher le long cylindre de sa ceinture. Une extrémité et l’autre, songea-t-il. Les deux, pour atteindre un objectif unique.
Maul attendit que la lune ait disparu sous l’horizon avant de gagner le siège de Lommite Limited au pied de l’escarpement. Les accidents dus aux sabotages avaient eu pour conséquence de mettre le site industriel en état d’alerte maximale. Des sentinelles armées patrouillaient, certaines avec un molosse en laisse, et de puissants projecteurs braquaient des flaques de lumière brillante sur le terrain. Une barrière électrifiée de cinq mètres de haut cernait la zone.
Il passa une heure à étudier les allées et venues des sentinelles, le balayage régulier des projecteurs, et les lasers détecteurs de mouvements qui quadrillaient la vaste pelouse au-delà. Il était certain que des cams à infrarouge scannaient le secteur, mais il n’y pouvait pas grand-chose à moins de laisser des preuves de son entrée illégale. Un droïde-sonde aurait pu lui révéler tout ce qu’il voulait savoir, mais il n’avait pas le temps et de toute façon il préférait le faire lui-même.
Afin de vérifier son hypothèse quant à la présence de détecteurs dans le sol, il utilisa la Force pour lancer des pierres par-dessus le grillage. Comme elles atterrissaient sur des endroits spécifiques de la pelouse, il observa les gardes postés devant le portail de l’entrée, lesquels ne manifestèrent pas la moindre réaction.
Après avoir bien mémorisé les résultats de ce travail de reconnaissance, il ôta sa cape et bondit par-dessus le grillage pour retomber exactement là où avaient atterri certaines des pierres qu’il avait lancées. Puis, au terme d’une série de bonds qu’il fit à une vitesse telle que, à moins de l’étudier au ralenti, il passerait inaperçu sur un éventuel enregistrement, il parvint au pied du mur de la bâtisse principale.
La première porte qu’il atteignit était verrouillée, aussi fit-il le tour du bâtiment en essayant les autres ainsi que les fenêtres, qui toutes étaient également bien fermées.
Ensuite, comme pour la pelouse, il procéda sur le toit plat à des essais pour s’assurer qu’il n’était pas équipé de détecteurs de pression avant d’y monter. L’atteignant d’un bond, il découvrit une surface encombrée d’une batterie de panneaux solaires, de projecteurs et de conduits de refroidissement. S’avançant vers le plus proche projecteur, il alluma son sabre laser. Il était prêt à en plonger la lame dans le panneau de transparacier quand il s’immobilisa pour l’étudier plus attentivement. Les chaînes de monofilaments insérées dans le transparacier déclencheraient l’alarme sitôt qu’elles seraient sectionnées.
Désactivant sa lame, il raccrocha son sabre laser et s’assit pour réfléchir. Il était peu probable que l’ordinateur central de Lommite Limited soit autonome. Il devait être accessible de l’extérieur du site. Bruit y avait certainement accès à distance. Maul se traita de tous les noms pour n’avoir pas pensé plus tôt à cette éventualité. Il n’était pas trop tard pour réparer cet oubli.
Maul fut de retour devant chez Bruit juste avant le lever du soleil. Contrairement au siège de la compagnie, la maison juchée sur pilotis n’était équipée d’aucun système de sécurité. Soit le chef des opérations sur le terrain n’avait pas d’ennemis, soit il ne voyait pas l’utilité d’en installer un. Peut-être était-il trop résigné à son destin pour cela. Aucune importance, de toute façon.
Il fit le tour de la maison, se hissant de temps à autre sur un rebord dé fenêtre pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. Il découvrit Bruit dans la pièce du fond, étalé sur un lit bricolé et à demi recouvert d’une moustiquaire censée empêcher les insectes nocturnes de ripailler à bon compte en lui pompant le sang. Il était tout habillé, ronflait doucement, et cuvait une bonne cuite. Une bouteille de cognac à demi-vide trônait sur la petite table de chevet.
Maul serra les dents. Toujours la négligence, toujours l’absence de discipline. Cet homme ne lui inspirait pas la moindre compassion. Les faibles devaient être éliminés.
Il entra par la porte non verrouillée et étudia la pièce de devant. Il découvrit ainsi que Bruit ne possédait visiblement pas grand-chose, et que ce n’était pas le genre soigneux. Son intérieur était aussi chaotique que sa vie semblait l’être. Une odeur de pourri flottait dans l’espace restreint dont la poussière de lommite recouvrait toutes les surfaces d’une fine couche blanche. L’eau gouttait d’un robinet qui aurait pu aisément être réparé, et des araignées avaient tissé des toiles parfaites aux quatre coins de la pièce.
Maul repéra l’ordinateur de Bruit dans la chambre. C’était un appareil portable, pas plus grand qu’une main humaine. Il le fit venir à lui et l’activa ; l’écran s’anima et un menu apparut. Il ne lui fallut que quelques secondes pour atteindre l’ordinateur central de Lommite Limited que, pour la seconde fois ce soir, il trouva verrouillé.
L’ordinateur exigeait de voir les empreintes de Bruit.
Maul aurait pu pénétrer dans l’ordinateur central, mais pas sans laisser une piste aisément repérable. Or tout ce qui est fait en secret possède un grand pouvoir, lui avait dit son Maître.
Il regarda Bruit. Un simple mouvement de la main gauche, et l’homme roula de lui-même sur le dos. Probablement provoqué par quelque rêve glauque, un long gémissement s’échappa de ses lèvres. Maul, d’un geste, lui fit lever le bras droit, paume ouverte. Puis, sans bruit, il apporta l’ordinateur et pressa doucement les doigts tendus sur l’écran. Une fois que l’appareil eut émis un tintement musical de reconnaissance, Maul relâcha le bras de Bruit qu’il fit de nouveau rouler sur le côté.
Lorsqu’il quitta la chambre, le répertoire des bases de données défilait sur l’écran. Maul repéra les dossiers concernant la livraison imminente à Eriadu et les ouvrit.
La cantina était en pleine effervescence pour le déjeuner quand Dark Maul y entra. Il choisit d’aller s’asseoir à une table d’angle dans une plus petite salle. Dehors, un déluge déprimant noyait la ville. Gardant sa capuche dégoulinante sur la tête, il se plaça de sorte à tourner le dos aux autres clients et ignora les quelques regards qui s’attardèrent sur lui.
Deux des agents de la sécurité de Lommite Limited, qui occupaient leur box habituel, se gavaient de cuisine grasse en discutant la bouche pleine. Pas très loin de la table de Maul, le Rodien et les deux Twi’leks qu’il avait identifiés la veille au soir comme étant des sbires d’InterGalactic Ore étaient installés autour d’une table de jeu. Bientôt ils furent rejoints par une humaine aux cheveux noirs qui posa un tas de crédits de la compagnie sur la table avant de se joindre à la partie de sabacc en cours. Maul n’eut aucun mal à voir que le bijou qu’elle portait à l’oreille gauche n’était autre qu’un récepteur.
Il attendit pour agir que tous les quatre soient occupés à suivre la conversation des agents de la sécurité. Puis, d’un infime mouvement de la main, et avec l’aide de la Force, il décrocha la fausse luciole du mur, dans le box, et l’envoya directement dans la petite salle où elle se posa au beau milieu de la table de jeu.
Le Rodien se recula sur sa chaise. De toute évidence, il n’avait pas reconnu leur bestiole factice.
— Tiens ! Un nouveau joueur vient de s’inviter.
Un des Twi’leks leva la main.
— Pas pour longtemps.
L’autre Twi’lek, aux ongles longs, était prêt à écraser l’insecte de son poing quand l’humaine lui agrippa le poignet pour prévenir le coup.
— Une minute, murmura-t-elle d’un ton pressant. J’ai entendu ta voix.
— Évidemment, puisque j’ai parlé, répondit le Twi’lek.
— Dans mon écouteur, précisa-t-elle avec un signe discret. Et maintenant, c’est ma voix que j’entends.
— Moi aussi je l’entends, dit le Rodien, déconcerté.
— Mais qu’est-ce que…
Le Twi’lek s’interrompit à mi-phrase, et les quatre agents se redressèrent sur leurs chaises au dossier droit, les yeux rivés sur le faux insecte enregistreur.
— C’est le nôtre, dit la femme après un instant de silence.
Le Rodien se tourna vers elle.
— Qu’est-ce qu’il fait ici ?
Maul, s’aidant de la Force, fit bouger l’appareil.
— Il se promène, voilà ce qu’il fait, dit l’un des Twi’leks d’une voix où perçait l’angoisse.
Il lança un coup d’œil par-dessus son épaule vers les agents de la sécurité en pleine discussion, puis se retourna vers ses compères.
Maul activa la commande à distance qu’il avait réglée sur la fréquence de l’insecte émetteur.
— « Ce qui suit vient directement du clan Toom », transmit le mouchard aux oreillettes et aux patchs que portaient les conspirateurs qui, tous, échangèrent des coups d’œil ahuris. « Donc, voilà le topo : Arrant a décidé de prendre des mesures contre les expéditions d’InterGalactic Ore. Il ne veut pas porter l’affaire au Sénat. Il préfère une guerre ouverte. Ces décisions-là sont prises, il ne reviendra pas dessus. »
Absorbée par ce qu’elle entendait, la femme pressa son index sur son écouteur pour avoir une meilleure réception.
— « Le clan Toom a un moyen de régler le problème – un remède pour le mal. InterGal peut contre-attaquer en nous engageant pour frapper à Eriadu. Nous, du clan Toom, voulons que LL soit rayée de la carte. Quelqu’un de vraiment prévoyant pourrait reconstruire une meilleure structure sur des ruines.
« On a réussi à connaître la route de l’hyperespace que les cargos de Lommite Limited vont emprunter, et les coordonnées de rentrée. Ils arriveront par Rimma 18, et il est prévu qu’ils sortiront de l’hyperespace à 13 heures, heure locale d’Eriadu.
« Les coups durs, ça nous connaît. C’est notre gagne-pain. On peut intervenir et exécuter le coup. Les Toom ont les moyens de faire ce boulot. Personne ne nous soupçonnera. Nous n’avons pas le moindre scrupule sur ce qu’il se passera.
« Pour faire équipe, soyez prêts à débourser ce qu’il faut. Contactez-nous. »
Maul avait passé toute la matinée à contrefaire son enregistrement de la discussion chez Bruit, et à recomposer les phrases découpées afin qu’elles semblent avoir été prononcées par une seule personne. Le résultat semblait avoir produit l’effet souhaité. Les quatre agents continuaient à fixer le mouchard qu’ils avaient eux-mêmes installé. La bouche de l’humaine béait légèrement, et les tentacules des Twi’leks étaient agités de soubresauts.
Maul fut ravi d’entendre le Rodien déclarer :
— Il faut en avertir directement le grand patron – et tout de suite.
Le clan Toom avait une devise : « Payez-nous ce qu’il faut, et nous pousserons des mondes à se télescoper. »
Ils avaient débuté en tant que sauveteurs légitimes qui, avec leur puissant vaisseau Interdictor, secouraient les vaisseaux coincés dans l’hyperespace. En adoptant la technique du mass shadow, l'Interdictor avait le pouvoir de ramener les vaisseaux en danger dans l’espace réel. Pourtant, si ce travail était rémunéré de façon tout à fait substantielle, il ne l’était jamais assez pour satisfaire l’insatiable rapacité du clan. Si bien que, en quelques années, le groupe avait embrassé la nouvelle carrière de pirates et se servait de l'Interdictor contre les passagers et les vaisseaux de fret, quand il ne se louait pas aux organisations criminelles pour intercepter les transports d’épices ou d’autres denrées interdites.
Toutefois, et contrairement aux Hutts et au Soleil Noir, qui avaient chacun la réputation d’honorer les termes de leurs contrats, le clan Toom n’était motivé que par le profit, et rien d’autre. Et en tant que petite entreprise, ils estimaient ne pas avoir les moyens de refuser des jobs en vertu de quelque éthique criminelle fumeuse – une attitude qui leur avait valu d’être exclus au sein même de leur propre engeance.
Basé dans un camp souterrain au plus profond des régions désolées et inhabitées du nord de Dorvalla, le clan recevait régulièrement des dessous-de-table à la fois de Lommite Limited et d’InterGalactic Ore pour assurer la sécurité de leurs navettes et de leurs cargaisons de minerai. Et les Toom, à leur tour, redistribuaient le plus gros de ces fonds en pots-de-vin aux commandants du corps d’armée spatiale de volontaires afin qu’ils garantissent leur propre sécurité – avec l’engagement tacite que le clan s’abstiendrait d’opérer dans le secteur Videnda.
Étant donné qu’Eriadu était hors du secteur – et même s’il était déjà payé par InterGalactic –, le clan avait accepté l’offre généreuse de Lommite Limited en crédits républicains pour accomplir un petit boulot de sabotage. InterGalactic devrait simplement comprendre que la nature de leur accord avec le clan Toom avait changé. Et, plus important, le contrat avec LL n’excluait pas la possibilité pour le clan de signer un contrat similaire avec InterGal – ce qui serait vraisemblablement le cas après l’opération d’Eriadu. Pour tout dire, le clan avait déjà prévu de contacter InterGal pour le leur suggérer.
Personne dans le clan ne s’était attendu à ce qu’InterGalactic les contacte avant Eriadu.
Weequay au visage tanné, Nort Toom avait accepté en personne l’holotransmission de Gaba’Zan, chef de la sécurité d’InterGalactic Ore. Le clan était en grande partie composé de Weekays et d’humanoïdes Nikto venus de contrées très éloignées, mais des Aqualish, des Abyssins, des Barabels et des Gamorréens faisaient également partie du lot.
— Je veux discuter de votre toute récente proposition, commença l’holoprésence de Caba’Zan.
C’était un presque-humain Falleen, solidement charpenté et au teint verdâtre.
— Notre toute récente proposition ? répéta prudemment Nort Toom.
— Sur la destruction des vaisseaux de Lommite Limited à Eriadu.
Les yeux caves de Toom passèrent rapidement de l’holoprojecteur à un de ses acolytes Weequay posté à deux pas.
— Oh, cette proposition-là. Nous avons tellement d’opérations en cours qu’il est parfois difficile de se tenir au courant de tout.
— Ravi d’apprendre que les affaires sont florissantes, dit Caba’Zan d’un ton sournois.
— Et j’ai l’impression qu’elles vont le devenir plus encore.
Le Falleen alla droit au but.
— Nous sommes prêts à payer cent mille crédits républicains.
Toom s’efforça de ne pas danser sur place. L’offre était le double de ce que Patch Bruit lui avait donné.
— Je crains que vous ne deviez aller jusqu’à deux cents.
Caba’Zan secoua son crâne chauve.
— Nous irons jusqu’à cent cinquante – si vous nous garantissez les résultats.
— Marché conclu, dit Toom. Dès que les crédits auront été transférés, nous prendrons les mesures nécessaires.
Caba’Zan n’avait pas l’air convaincu.
— Vous êtes sûrs des coordonnées de rentrée pour les cargos de LL à Eriadu ?
— Peut-être que nous devrions les revoir ensemble une fois de plus, dit Toom.
— Vous avez dit Rimma 18, à 13 heures, heure locale – à moins d’un changement depuis.
— Tout est pour le mieux, dit Toom, rassurant. Pour le mieux.
— Et vous ferez en sorte que ça ait l’air d’un accident.
— C’est préférable, vous ne pensez pas ?
— Nous ne voulons pas qu’InterGalactic soit mêlé à ça.
— Nous nous en assurerons.
Toom désactiva l’holoprojecteur et se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, ses grosses mains croisées derrière la tête.
— Tu crois qu’ils sont au courant que LL nous a engagés ? demanda son complice avec une incrédulité manifeste.
— Il ne m’en a pas donné l’impression.
— InterGalactic nous offre trois fois le prix que nous a offert Lommite. Est-ce qu’on va rendre son argent à Bruit ?
Toom se redressa avec détermination dans son siège.
— Je ne vois aucune raison pour ça. Nous devrons juste nous assurer que nous honorons les deux contrats.
Il arbora un large sourire.
— Je dois admettre que ma prédilection pour les coups déloyaux en est titillée.
— Tu veux dire que…
— Exactement. On sabote les vaisseaux de l’un et de l’autre.
Eriadu, planète des lointains systèmes stellaires, était en pleine expansion. Située à deux pas de l’intersection de la Voie marchande de Rimma et de la Voie Hydienne, elle vouait un véritable culte à l’industrie dans l’espoir d’atteindre son objectif : devenir la plus importante du secteur. À cette fin, il y avait même été montée une petite entreprise de construction navale, dirigée par les propriétaires eux-mêmes – des cousins éloignés du Chancelier Suprême de Valorum qui présidait le Sénat Galactique sur Coruscant.
Les installations orbitales d’Eriadu ne gagneraient rien à être comparées à celles de Corellia et de Kuat, bien sûr, mais dans la catégorie des chantiers navals de plus petite envergure, ceux d’Eriadu venaient juste après ceux de Sluis Van, sur la route de la Bordure Intérieure et aux abords des voies principales.
Le lieutenant gouverneur d’Eriadu avait beaucoup œuvré pour faciliter l’éclosion d’une association entre Eriadu et Dorvalla, insistant sur l’absurdité pour Eriadu de devoir faire venir la lommite de la Bordure Intérieure quand Dorvalla était pratiquement un voisin céleste. Les quantités de minerai requises par les complexes industriels d’Eriadu et les chantiers de Valorum étaient telles que ni LL, ni InterGal n’auraient pu y satisfaire à eux seuls, mais le Lieutenant Gouverneur Tarkin refusait de considérer cela comme un problème. Il affirmait n’avoir jamais cherché à mettre les deux compagnies en compétition, même si on ne pouvait nier que c’en était incontestablement une, et avait même déclaré publiquement que celle qui décrocherait le contrat très juteux serait probablement en mesure de faire main basse sur l’autre.
Tarkin avait fait en sorte qu’un des habitats orbitaux d’Eriadu accueille une cérémonie destinée à ratifier l’éventuelle association, et en présence de tous les principaux protagonistes : Jurnel Arrant et son homologue d’InterGalactic, les cadres des Manufactures Eriadu et des Chantiers de Valorum, de très nombreux membres du personnel administratif qui espéraient bien tirer profit de cette nouvelle association, et, bien entendu, Tarkin lui-même, en tant que représentant des intérêts politiques d’Eriadu.
Arborant ce qu’on faisait de mieux en matière de manteaux et de tuniques de cérémonie, les participants s’étaient rassemblés au niveau de la terrasse des installations orbitales en attendant l’arrivée des transports de minerai envoyés par LL et InterGal. Il était prévu que les flottilles arriveraient à une heure d’intervalle, heure locale.
— Je suis convaincu que cette cérémonie est de très bon augure pour nous tous, confia le lieutenant gouverneur à Arrant et au directeur des Manufactures Eriadu.
Tarkin était un homme mince, doté d’un esprit vif et d’un tempérament qui l’était davantage encore. Il se tenait aussi raide qu’un commandant militaire et pas la moindre lueur d’humour ou d’empathie ne luisait dans ses yeux bleus.
— Dites-moi, Arrant, demanda-t-il, croyez-vous que le jour viendra où Lommite Limited pourra à elle seule satisfaire aux demandes que nous atteindrons dans un proche avenir ?
— Naturellement, répondit Arrant avec assurance. Il s’agit simplement pour nous d’accroître nos activités.
Se tournant, il inclut Patch Bruit dans la conversation.
— Bruit est notre chef des opérations sur le terrain, entre autres choses. Il vient de m’informer de la découverte d’un important filon à moins de cent kilomètres de notre siège actuel.
Bruit confirma d’un hochement de tête.
— Notre équipe de reconnaissance… commençait-il quand il fut interrompu par l’un,des agents de la sécurité de LL.
— Chef, désolé de vous couper, mais il faut que je vous parle en privé.
Tous deux s’éloignèrent sous l’œil visiblement inquiet d’Arrant.
— Que se passe-t-il ? demanda Bruit quand ils furent hors de portée d’oreilles.
— Quelque chose a arraché les barges de l’hyper-espace juste avant leurs coordonnées de rentrée. On en ignore la cause. Ça pourrait être un problème du côté des générateurs d’hyperespace, ou peut-être un obstacle non répertorié.
Des exclamations atterrées derrière lui poussèrent Bruit à se retourner. Tous les yeux étaient rivés sur les immenses écrans de contrôle qui affichaient des vues des chantiers orbitaux. Au large de ces chantiers,
largement déviées de leur cap, plusieurs barges spatiales repartaient vers l’espace réel.
— Bruit, ce sont nos vaisseaux ? demanda Arrant d’un ton où perçait l’anxiété.
— Oui, mais il doit y avoir une bonne raison pour qu’elles arrivent plus tôt.
— C’est très étrange, remarqua Tarkin. Très, très étrange.
Une nouvelle exclamation étouffée monta de l’assemblée tirée à quatre épingles, et sous les yeux hébétés de Bruit, un deuxième groupe de vaisseaux commença d’émerger de l’hyperespace.
— InterGalactic, dit, éberlué, son agent de sécurité.
— Ils vont se rentrer dedans ! s’exclama quelqu’un.
— Bruit ! cria Arrant, livide. Faites quelque chose !
Bruit se contenta de détourner les yeux.
Les hurlements, les cris, les pleurs et les gémissements, ainsi que les éclairs de lumière explosive illuminant avec un effet stroboscopique l’esplanade de l’habitat lui dirent tout ce qu’il avait besoin de savoir. Les vaisseaux de LL et d’InterGal avaient été manipulés pour se percuter. Sans avoir besoin d’ouvrir les yeux, Bruit pouvait voir le minerai de lommite se déverser des coques broyées et recouvrir tout ce qui l’entourait d’une poudre aussi blanche que la rage qui brûlait derrière ses paupières hermétiquement closes.
— Le clan Toom ! aboya-t-il à ses agents de la sécurité. Ils nous ont doublés !
Quelqu’un le bouscula par-derrière. C’était Jurnel Arrant, qui, frappé d’une horreur muette, s’éloignait à reculons des écrans de contrôle.
— Nous sommes ruinés, marmonnait-il. Nous sommes ruinés.
Secouant la tête pour s’éclaircir les idées, Bruit agrippa son agent par les épaules.
— Envoyez un message à Caba’Zan, d’InterGalactic, ordonna-t-il. Dites-lui que nous devons nous rencontrer dans les plus brefs délais.
Joliment façonné, le dispositif d’écoutes était la copie parfaite d’une luciole. Il était posé entre Bruit et Caba’Zan sur la table basse du salon de Bruit, et chantait sa petite chanson :
— « Donc, voilà le topo : Arrant a décidé de prendre des mesures contre les expéditions d’InterGalactic Ore. Il ne veut pas porter l’affaire au Sénat. Il préfère une guerre ouverte. Ces décisions-là sont prises, il ne reviendra pas dessus… »
Caba’Zan passa la main sur son crâne chauve.
— C’est bizarre. On dirait bien votre voix.
Bruit ferma les yeux avant de les rouvrir pour rencontrer ceux du Falleen.
— C’est parce que sous le faux enregistrement, il y a ma voix. J’ai prononcé ces mots’, enfin la plupart, en tout cas, dans cette pièce même.
Le front de Caba’Zan se plissa.
— Je ne comprends pas.
— J’étais en train de briefer mes hommes sur le plan pour les vaisseaux d’InterGal à Eriadu. Quelqu’un a enregistré la conversation.
— Un de vos hommes ?
Bruit secoua la tête avec consternation.
— Je n’en sais rien.
— Un de ceux du clan Toom, alors.
Bruit se mordilla pensivement la lèvre.
— Dans ce cas pourquoi avoir falsifié l’enregistrement et être allé faire cette mise en scène pour votre équipe ? En plus, les Toom ne pouvaient en aucun cas avoir accès à la base de données de LL et obtenir les coordonnées de rentrée de nos vaisseaux. Ils ne sont pas assez intelligents pour ça. Ça ne peut être que l’un de vos hommes.
— Ils ne sont pas assez intelligents non plus, dit Caba’Zan. Ni aussi méticuleux. Nous n’aurions rien su de vos plans s’il n’y avait pas eu cette bestiole.
Bruit considéra en silence le faux insecte et, rageur, serra les dents.
— Je trouverai qui c’est plus tard. D’abord je veux en finir avec le clan Toom.
Les yeux de Caba’Zan s’étrécirent.
— Ils se sont fichus de nous deux, Bruit. Si c’est de vengeance que vous parlez, je veux participer.
Caché sous la maison juchée sur pilotis, Dark Maul sourit pour lui-même, se laissa retomber au sol et se fondit rapidement dans l’obscurité.
Maul n’avait jamais douté que les Toom passeraient un contrat avec chacune des deux compagnies minières. Et il était tout aussi certain que le clan tiendrait sa promesse de saboter les vaisseaux de l’une et de l’autre. Aussi avait-il jugé inutile de se rendre sur Eriadu pour assister aux collisions fatales. Il avait préféré passer le temps en regardant les membres du clan mettre la clé sous la porte et abandonner leur base à Dorvalla. Supposant à juste titre que, au vu de leur trahison, LL et InterGal s’uniraient contre eux – ne serait-ce que provisoirement –, les mercenaires avaient décidé de prendre le large pendant qu’il était encore temps.
Maul les avait pistés jusqu’à Riome, une petite planète recouverte de glace et profondément enfouie dans le système de Dorvalla, où ils avaient déjà établi une base secrète.
Des hors-la-loi doués d’un peu plus de jugeote auraient sans doute choisi de mettre autant de distance que possible entre eux et Dorvalla. Mais peut-être les Toom étaient-ils convaincus que même les forces de sécurité de Lommite Limited et d’InterGalactic combinées ne seraient pas de taille contre eux. Quoi qu’il en soit, la tâche suivante de Maul consista à s’assurer que Bruit découvre l’adresse du nouveau refuge de Riome, et donc à laisser un indice dans l’ancienne base des Toom.
Maul passa une journée entière à attendre l’arrivée de Bruit et de ses hommes dans un froid polaire et un vent glacial. Armés de blasters et d’une panoplie d’armes plus puissantes encore, ils jaillirent de la navette qui les avait amenés depuis l’équateur de Dorvalla et se ruèrent dans la base souterraine. Les accompagnaient le Falleen et plusieurs aliens sous ses ordres, y compris les quatre saboteurs que Maul avait démasqués dans la cantina.
Frustrés de trouver la base déserte, ils entreprirent de passer les lieux au peigne fin, déterminés à découvrir un indice susceptible de les mettre sur la piste des mercenaires. Pendant un bon moment, Maul fut convaincu qu’il devrait intervenir dans leurs recherches pagailleuses afin de leur mettre sous le nez ces preuves qu’il avait si ingénieusement disséminées. Ils finirent toutefois par les découvrir sans son aide.
Maul était dans son vaisseau quand Bruit et les autres remontèrent à bord de la navette pour repartir vraisemblablement en direction de Riome. La perspective de l’imminente rencontre le revigora. Il ne se tenait plus d’impatience à l’idée de pouvoir participer.
Riome, blanche comme la mort, surgit dans l’obscurité de l’espace.
À bord de son vaisseau plus petit et plus rapide, Maul arriva avant l’équipe mélangée de justiciers en puissance. Son vaisseau survola des terres enneigées, fila au-dessus de collines ondoyantes, longea les rivages d’une mer grise houleuse d’où émergeaient des îles hérissées de blocs de glace escarpés. Il n’avait vu aucun signe de l’Interdictor du clan en orbite, et supposait que les mercenaires l’avaient dissimulé dans l’amas d’astéroïdes tournant autour de Riome.
Les mercenaires avaient installé leur base dans le coin le plus chaud du petit monde. C’était une région volcanique très active, avec des glaciers titanesques mouchetés de lumière bleu glacée, et des touffes d’herbe épaisse baignant dans des mares d’eau sombre que le magma portait à ébullition. La base elle-même était une enfilade de bunkers semi-cylindriques qui avait à une époque hébergé des scientifiques. Depuis, les droïdes et le matériel que l’équipe avait laissés derrière elle étaient devenus de bizarroïdes sculptures de glace.
Maul avait atterri à un kilomètre de la base. Pas plus que lors de sa première visite il n’avait trouvé trace d’une éventuelle installation radar. Il regarda la navette de Bruit descendre des cieux azur, survoler la zone et se poser sur une aire circulaire de permabéton, à côté d’un cargo corellien en forme de disque et d’un destroyer de la même taille.
Le clan Toom ne pouvait pas ne pas avoir remarqué l’arrivée de la navette, mais Bruit avait tout de même réussi à prendre les mercenaires de court. Sa vingtaine d’hommes sortit de la navette à bord d’un transport de troupes équipé à la fois de moteurs à répulseurs et de lourdes chenilles pour les déplacements au sol.
Prompts à organiser leur défense, les Tooms les canardèrent avec leurs blasters depuis des meurtrières improvisées et l’emplacement indépendant d’un canon laser. Les agresseurs répondirent avec les blasters à répétition et le lanceur de roquettes montés sur le toit du transport, et une vigueur ne laissant pas de doute quant à leur détermination d’en finir avec le clan avant le coucher du soleil.
Les décharges de laser bleues égratignèrent les répulseurs du transport qui s’enfonça profondément dans la neige. Emmitouflés dans des tenues calorifuges et équipés de casques à visière teintée, les hommes de Bruit bondirent des banquettes. Une frappe directe du canon laser réduisit le transport en miettes. Des éclats d’alliage fondu fusèrent tous azimuts et grésillèrent en retombant en pluie brûlante sur le sol gelé.
Les forces des compagnies minières se répartirent en éventail et entamèrent une approche méthodique des bunkers, s’abritant derrière les rochers abandonnés par les glaciers qui les avaient arrachés aux flancs des montagnes. Ce que Bruit ignorait, cependant, c’est que la base ne pouvait être prise par un assaut frontal – en tout cas pas par une malheureuse poignée d’hommes équipés d’armes datant de plus de vingt ans. Le premier bunker avait été fortifié avec des portes anti-feu, et le tapis d’herbe rude, juste devant, fourmillait de mines à fragmentation et autres pièges.
Maul décida qu’il était temps pour lui de se montrer.
Il apparut brièvement sur une élévation, à l’est de la base – étranger bipède vêtu d’une longue cape, silhouette noire se découpant sur le champ de neige. Le prenant pour un membre du clan, les assaillants firent aussitôt feu. Maul se hissa vers le sommet à grand renfort de bonds et de rebonds, encore qu’ils n’avaient pas la puissance, loin s’en fallait, de ceux dont il était capable. Bruit fit le bon choix : il scinda l’équipe, présumant, ainsi que Maul l’avait prévu, que cet ennemi isolé connaissait un autre chemin d’accès à la base.
Restant à dessein bien visible, Maul esquiva les décharges de blaster de ses poursuivants sans se servir de son sabrolaser. Il n’aurait pu les guider mieux s’il avait été l’un d’eux. À la faveur d’une congère qui le dissimulait à leurs yeux, il fît appel à la Force pour s’enfoncer profondément dans la neige en tournant à la manière de l’hélice métallique d’un tire-bouchon. Et du fond de cette tombe de glace dans laquelle il venait de s’ensevelir lui-même, il entendit les hommes de Bruit se ruer vers l’entrée pratiquement non défendue où il les avait conduits.
Une fois certain que le dernier d’entre eux avait franchi l’ouverture, il ressortit de son trou par le mouvement inverse de celui qui lui avait permis d’y entrer et les suivit à l’intérieur. Les détonations sifflantes des blasters ainsi que la puanteur âcre du feu et de la chair cautérisée lui avaient fait bouillir le sang à telle enseigne qu’il était à deux doigts de tirer son sabre laser et de descendre à son tour dans l’arène. Mais un massacre n’était pas à l’ordre du jour. Les plans de son Maître seraient mieux servis si les mineurs et les mercenaires s’entre-tuaient – encore qu’il devrait probablement s’occuper des derniers survivants.
La progression de l’assaut portait à croire que c’était aux forces de Bruit qu’il aurait affaire. Bien qu’inférieurs en armes et en nombre, les mineurs étaient de toute évidence galvanisés par la colère légitime de ceux qui ont été trahis. Même avec un bon tiers de leurs combattants déjà sur le carreau – blessés ou morts –, Bruit et son homologue d’InterGalactic persévéraient, s’acharnant sur les Toom qui tenaient le fond du bunker, abrités derrière des comptoirs de laboratoire et divers autres appareils renversés.
Des déflagrations en provenance du bunker d’entrée l’informèrent que l’équipe de Bruit s’était forcé un passage dans la mine. Très peu de temps après, les survivants déversaient une avalanche de tirs sur les portes anti-explosion dans l’espoir de se forcer un passage.
Maul longea le long mur du bunker central et trouva un poste d’observation idéal pour pouvoir à loisir suivre l’assaut. Afin de contenir son impatience, il se mit à observer les techniques de combat d’un combattant ou d’un autre, s’amusant à deviner qui serait tué par qui, et à quel moment. Ses prédictions se firent toujours plus précises à mesure que les deux camps se rapprochaient l’un de l’autre.
Une puissante détonation ébranla soudain le bunker d’entrée. Les portes anti-explosion s’ouvrirent avec un crissement douloureux, et cinq assaillants se ruèrent à travers un nuage d’épaisse fumée bouillonnante. Deux furent terrassés avant d’avoir franchi dix mètres. Les autres se plaquèrent contre les parois pour progresser.
Au vu de la férocité du combat, il était clair que pas plus un camp que l’autre n’était prêt à envisager une reddition. C’était une lutte à mort – le genre que Maul préférait, de toute façon. Son attention revenait régulièrement à Patch Bruit. En dépit de la pagaille qu’était sa vie, l’audace dont il faisait preuve à cet instant justifiait amplement les responsabilités dont on l’avait investi à Lommite Limited. Maul était impressionné. Il n’avait pas envie de le voir tomber sous les décharges des mercenaires qui, eux, ne valaient pas plus que les blasters derrière lesquels ils se réfugiaient lâchement.
Bruit et le Falleen menèrent la charge finale, leurs forces unies avançant main dans la main avec les Weequay et les Aqualish du clan dont les armes étaient vides. Les mineurs n’eurent pas la moindre pitié, et la bataille fut réglée en quelques secondes, ne laissant que Bruit, le Falleen et cinq autres combattants encore debout au milieu du carnage.
Maul se demanda brièvement s’il pouvait laisser les choses en l’état. Bruit rendrait compte au directeur exécutif de Lommite Limited de la trahison du clan Toom envers les deux compagnies, et lui dirait que les mercenaires l’avaient payée de leurs vies. Mais il était peu probable que Bruit en reste là. Il chercherait à savoir qui avait bricolé le faux enregistrement, et il pourrait même découvrir que les informations quant aux voies de navigation de LL à Eriadu avaient été saisies sur son ordinateur personnel. Alors il repenserait au dispositif d’écoutes de la cantina, et peut-être irait-il voir d’un peu plus près les enregistrements de contrôle disponibles. Qui sait si l’image d’un Iridonien au visage couvert de tatouages rouges et noirs n’apparaîtrait pas sur l’un d’eux ?…
Évidemment, il n’y avait pas de danger qu’on le piste jusqu’à Coruscant, et encore moins jusqu’au repaire de son Maître. Mais la perspective que Dark Sidious découvre sur HoloNet le visage de son apprenti sur une quelconque liste d’individus les plus recherchés de la galaxie n’était pas pour le réjouir.
Maul devait terminer ce qu’il avait commencé.
Sortant son sabre laser, il en alluma les deux extrémités, et sauta dans le bunker en préfabriqué.
Bruit, le Falleen et les autres se retournèrent tout d’un bloc en entendant le bourdonnement de son arme que Maul fit tourner au-dessus de sa tête et autour de ses épaules. Mais personne ne tira. Ils restaient là à le fixer, interdits, immobiles, comme s’il s’agissait d’une hallucination née de leur soif de sang ou de la cécité des neiges.
Maul se rendit compte qu’il devrait les pousser à faire ce qu’il attendait d’eux. Il s’avança donc vers eux, les foudroyant de son regard jaune, montrant les dents, et enfin quelqu’un se décida à tirer – le Rodien de la cantina. Maul lui renvoya directement la décharge avec la plus basse de ses lames et continua à avancer.
— Nous n’avons rien contre vous, Jedi, cria le Falleen.
La remarque l’arrêta net dans son élan.
— C’est un problème entre nous, continua l’humanoïde. Il ne concerne pas Corascant.
Maul se remit à avancer en grondant.
S’agenouillant brusquement, un Twi’lek tira, et Maul pivota sur lui-même, déviant les décharges de ses lames jumelles écarlates. Le Twi’lek et un autre des agents de sécurité tombèrent.
Et soudain ce fut la fusillade générale. Maul bondit et zigzagua, tourna et roula – l’incroyable numéro d’un acrobate impossible à atteindre. Il s’arrêta à un moment pour lever la main et faire pleuvoir par la Force sur ses adversaires une tourmente de bris de verre et d’instruments tranchants. Puis il tourna les blasters les uns contre les autres et projeta un des combattants sur une table avec assez de violence pour lui briser la colonne vertébrale.
Quand son arme de poing fut vide, le Falleen se rua sur lui. Tournant sur lui-même, le pied tendu, Maul lui fractura le bras. Puis, dans le même mouvement, il lui brisa la nuque.
Ne restait plus que Bruit encore debout. Le chef, hébété, qui regardait Maul avec incrédulité, laissa tomber le blaster de sa main rigide. Maul continua à approcher, les lames de son sabre laser à l’horizontale.
— Je ne sais pas comment, et je ne sais pas pourquoi, dit Bruit, mais je sais que vous devez être derrière tout ce qui est arrivé.
Maul choisit de le laisser parler.
— Vous avez enregistré mes conversations. Ensuite vous avez truqué les enregistrements pour tromper les saboteurs que vous aviez repérés à la cantina. Et vous avez sûrement fait en sorte que nous découvrions ce repaire.
Bruit engloba toute la situation d’un geste large.
— Je peux au moins savoir pourquoi avant que vous me tuiez ?
— C’est quelque chose qui devait être fait… dans le cadre d’un projet bien plus vaste.
Bruit inclina la tête, comme s’il n’avait pas bien compris ce que Maul venait de dire.
— Inutile de vous poser des questions, dit celui-ci.
Il leva son sabre laser, se prépara à plonger la lame dans la poitrine de Bruit, puis se ravisa. Une blessure de sabre laser n’était pas indiquée, pas du tout. Désactivant la lame, il leva sa main droite et fit un étau de ses doigts gantés. Les mains de Bruit se portèrent à sa gorge alors que déjà il suffoquait.
Jurnel Arrant était dans son bureau lorsqu’il apprit les détails de la mort de Bruit sur Riome. Le messager était un agent de la police judiciaire que, à sa demande, on lui avait envoyé de Coruscant.
— C’est moi le responsable de toute cette histoire, avoua Arrant sur un ton angoissé. Je suis coupable d’avoir ordonné à Bruit de faire appel à des malfrats pour se charger du sale boulot. C’est ma faute si la violence de ce conflit en est arrivée à de telles extrémités.
On pouvait toujours extraire le minerai de lommite, mais LL n’avait plus assez de barges pour les transporter. Le coût pour les remplacer excéderait largement ce que la compagnie elle-même valait à présent. Et d’après ce qu’Arrant avait pu savoir, InterGalactic pataugeait dans la même mélasse.
Il fut brusquement saisi d’une bouffée de colère.
— Je suis sûr que les Neimoidiens, avec l’aide de la Fédération du Commerce, ont payé le clan Toom pour saboter nos vaisseaux, et ceux d’InterGalactic par la même occasion.
— Ce sera difficile à prouver, dit le policier. Le clan Toom a été proprement nettoyé, et à moins de pouvoir fournir des preuves de ce que vous avancez, nous n’avons pas de raisons suffisantes pour interroger les Neimodiens.
Il était sur le point d’ajouter quelque chose lorsque Arrant intervint.
— Bruit était un brave homme. Il n’aurait jamais dû mourir comme ça.
Le policier fronça les sourcils, puis sortit de la poche de sa tunique un écouteur mince comme une gaufrette qu’il plaça sur le bureau d’Arrant.
— Avant de vous rendre malade, vous feriez bien d’écouter ça.
Arrant prit l’appareil entre ses doigts.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un enregistrement trouvé à la base des Toom, ici à Dorvalla. Il n’est pas complet, mais ce qu’il y a devrait vous intéresser.
Arrant pressa une touche de la gaufrette qui se mit en marche.
— « Je rêve de voir Lommite et InterGal rayées de la carte, déclara une voix d’homme, comme ça quelqu’un de vraiment prévoyant pourrait rebâtir une meilleure structure sur les ruines des deux autres. »
Arrant, stupéfait, écarquilla nerveusement les yeux.
— C’est Bruit !
— « Je comprends, répondit une autre voix d’homme. Je veux participer. »
Arrant pressa la touche pause.
— Qui…
— Caba’Zan, dit le policier. L’ancien chef de la sécurité d’InterGalactic Ore.
À contrecœur, Arrant relança l’enregistrement.
— « Il faut faire équipe, pour cette mission, et Arrant est prêt à débourser ce qu’il faut. Personne ne nous soupçonnera et Arrant ne veut pas en savoir plus que nécessaire.
— Il n’est pas assez intelligent pour ça.
— Les Toom ont les moyens de faire ce boulot. Nous allons éliminer tout le monde à Eriadu… »
Arrant éteignit le petit magnéto et l’écarta de lui.
— Je ne sais pas quoi dire.
Le policier, sans un mot, hocha la tête.
Arrant se leva et passa un long moment posté devant la fenêtre. Quand il se retourna, son visage était un masque froid. Il pressa une touche de son intercom et, moins de deux secondes après, son droïde protocolaire entra dans la pièce.
— En quoi puis-je vous être utile, monsieur ?
Arrant releva les yeux vers le droïde.
— Je dois passer deux holo-appels. Le premier au directeur d’InterGalactic Ore, pour discuter les termes d’une éventuelle fusion.
— Et le second, monsieur ?
Arrant laissa passer quelques secondes avant de répondre.
— Le deuxième sera au Vice-Roi Nute Gunray afin d’envisager avec lui l’octroi à la Fédération du Commerce des droits exclusifs du transport et de la distribution du minerai de lommite de Dorvalla.
Dans une grotte humide aux parois couvertes de moisissure, quelque part dans le monde natal des Neimodiens, Hath Monchar et le Vice-Roi Nute Gunray reçurent une holovisite aussi soudaine qu’inattendue de Dark Sidious. Premier à atteindre l’holoprojecteur et l’apparition drapée dans une bure, Monchar inclina sa tête informe devant le Seigneur Noir des Sith en une révérence servile et ouvrit ses mains aux gros doigts boudinés.
— Bienvenu, Seigneur Sidious, dit-il.
Même si ses yeux restaient cachés par la capuche de la bure, le regard de Sidious semblait traverser Monchar pour se poser sur Gunray juché sur sa mécano-chaise aux pieds griffus à quelques mètres de là.
— Vice-Roi, dit Sidious d’une voix râpeuse. Renvoyez votre laquais afin que nous puissions discuter en privé des récents événements survenus sur Dorvalla.
Monchar fixa ouvertement Sidious, puis se tourna vers Gunray.
— Mais, Vice-Roi, c’est moi qui ai pris contact avec Lommite Limited. La moindre des choses serait de reconnaître le rôle que j’ai joué dans ce qui s’est passé.
— Vice-Roi, dit Sidious d’un ton sensiblement plus menaçant, dites à votre laquais que sa contribution dans cette affaire a été de peu de conséquence.
Gunray rencontra nerveusement le regard de Monchar.
— Vous feriez mieux de vous retirer.
— Mais…
— Tout de suite – avant qu’il se mette en colère.
La poche ventrale de Monchar émit un grondement nauséeux alors qu’il sortait précipitamment de la grotte.
Gunray descendit de sa mécano-chaise et s’approcha de l’holoprojecteur. Il avait une mandibule proéminente et une lèvre inférieure qui n’avait pas de pendant. Une profonde fissure séparait son front bombé en deux lobes latéraux. Il entretenait la saine couleur gris-bleu de sa peau par de fréquents repas de moisissures parmi les plus raffinées. Des tuniques rouges et orange d’excellente qualité tombaient de ses épaules étroites, ainsi qu’un surplis brun au col rond qui lui descendait jusqu’aux genoux.
— Je vous prie d’excuser l’impolitesse de mon adjoint, dit-il. L’excès de bonne chère le rend un peu à cran.
Le visage de Sidious demeura impassible.
— Excuses acceptées, Vice-Roi.
— Hath Monchar me considère de la même manière que je vous considère, Seigneur Sidious : avec un respect mêlé de peur.
— À moins que vous manquiez à vos engagements envers moi, vous n’avez aucune raison de me craindre, Vice-Roi.
Gunray parut considérer cette remarque avec soin.
— J’avais prévu votre visite, Seigneur Sidious. Mais je dois admettre que j’ignorais que vous étiez conscient de ce qu’il se passait sur Dorvalla, et plus encore de l’intérêt que la Fédération du Commerce porte à cette planète.
— Vous apprendrez qu’il y a très peu d’affaires que j’ignore, Vice-Roi. De plus, celle de Dorvalla n’est pas terminée. Il y a quelque chose que nous devrons régler en temps utile.
— Mais, Seigneur Sidious, l’affaire est réglée. Lommite Limited et InterGalactic Ore ont fusionné pour devenir Les Mines de Dorvalla, mais c’est la Fédération du Commerce qui assurera le transport du minerai et qui représentera désormais Dorvalla au Sénat Galactique.
— Et, plus important que tout, vous avez une place permanente au conseil d’administration.
Gunray inclina la tête.
— Cela aussi, Seigneur Sidious.
— Donc le décor est en place pour l’acte suivant.
— Puis-je demander en quoi il consistera ?
— Je vous en informerai en temps venu. D’ici là, j’ai d’autres affaires à régler afin d’affermir le support politique de la Fédération du Commerce et d’étayer votre position personnelle.
— Nous ne méritons pas vos égards.
— Alors efforcez-vous de les mériter, Vice-Roi, afin que notre association continue à prospérer.
Gunray déglutit audiblement.
— Je m’y consacrerai avec constance, Seigneur Sidious.
Dans son repaire de Coruscant, Dark Sidious désactiva l’holoprojecteur et se tourna pour faire face à Dark Maul.
— Les trouvez-vous plus dignes de confiance qu’auparavant ?
— Plus effrayés, Maître, répondit Maul, assis en tailleur par terre. Ce qui, au bout du compte, peut aboutir à un résultat similaire.
Sidious émit un son approbateur.
— Nous n’en avons pas terminé avec eux. Pas avant quelque temps encore.
— Je commence à comprendre, Maître.
La bouche de Sidious esquissa un sourire approbateur.
— Vous ne m’avez pas déçu, à Dorvalla, Dark Maul.
— Mon Maître, dit celui-ci en inclinant la tête.
Sidious le dévisagea un instant.
— J’ai senti que vous preniez plaisir à être seul.
Maul releva la tête.
— Mes pensées vous sont ouvertes, Maître.
— Je vois, dit lentement Sidious. Calmez votre enthousiasme, mon jeune Apprenti. Bientôt j’aurai une autre tâche à vous confier.
Maul attendit.
— Familiarisez-vous avec le fonctionnement de l’organisation criminelle connue sous le nom de Soleil Noir. Et pendant que vous y serez, reprenez votre entraînement de guerrier. Votre sabre laser vous sera probablement utile pour ce que j’exigerai bientôt de vous.