— Je m’emmerdais. Ça faisait passer le temps.

— Est-ce que je peux en profiter à mon tour ? demanda Galina en s’assoyant à côté de l’huissier.

Ses yeux étaient vitreux. Des gouttes de sang perlaient des trous dans son cou.

Ivan passa la main devant le visage de l’huissier. Aucune réaction. Il fut tenté de poser un autocollant sur le front de l’homme. Chambre à louer.

— Alors, où est donc la femme Whelan ?

Katya descendit des cuisses de l’huissier, puis se leva. L’ourlet de sa jupe moulante noire se déroula jusqu’au sol et vint frôler ses sandales noires.

— Ça vous plaît ?

Elle adopta une pose offrant à ses yeux la fente qui lui permettait d’exhiber sa cuisse sur toute sa longueur jusqu’à sa hanche. Avec cette jupe, il était facile de voir que Katya ne portait pas de slip. Sa blouse blanche sans manches était drapée en plis jusqu’à sa taille, exposant ainsi une bonne partie de ses seins.

— J’aime ça. J’aime vraiment ça. Ça ne me dit toutefois pas où est la femme Whelan.

Ivan jeta un coup d’œil à sa montre. Il était 20 h 40. Ils devaient quitter les lieux dix minutes plus tard. Ça ne lui prendrait que quelques minutes pour tuer Shanna Whelan, mais il avait cependant envie de jouer avec elle avant de l’achever.

Katya regarda le lieutenant d’Ivan avec un air compatissant.

— Pauvre Alek. Tu vois toujours ton patron avec ses femmes, mais tu ne peux jamais en profiter.

Elle glissa sa main sous sa jupe et souligna le contour de ses fesses nues.

Alek détourna le regard en serrant les poings.

— Katya, ça suffit.

Pourquoi tentait-elle ainsi de créer des problèmes entre Alek et lui ? Ce n’était pas facile d’avoir de bons employés ces temps-ci.

Des vampires mâles puissants qui suivraient ses ordres à la lettre et qui laisseraient son harem tranquille. Au cours des années, Ivan avait exécuté des tas de vampires qui s’étaient un peu trop intéressés à ses femmes. Il ne pouvait en perdre d’autres pour cette même raison.

Il s’avança vers l’huissier devenu zombie.

— Je présume que la femme Whelan est dans un état semblable grâce à vos bons soins. Où est-elle ? En haut ?

Katya recula d’un pas et avait un regard méfiant.

— Elle n’est pas encore arrivée.

— Quoi ? dit Ivan en s’avançant vers elle.

Katya tressaillit, s’attendant assurément à recevoir un coup.

La main d’Ivan forma un poing. La tension s’accumula dans son cou jusqu’à en devenir insupportable. Il fit alors craquer sa vertèbre, ce qui produisit un bruit distinct. Katya devint toute pâle.

Peut-être craignait-elle que son joli cou subisse le même sort.

Elle hocha la tête.

— Je suis anéantie de vous avoir ainsi déçu, mon maître.

Elle revint ainsi à la façon la plus ancienne qu’elle avait de s’adresser à lui.

— Tu m’avais dit que la femme Whelan serait ici vers 20 h 30.

Que s’est-il passé ?

— Je ne sais pas. Bob lui a dit de venir ici, et elle avait accepté.

Ivan serra les dents.

— Et elle n’est pas encore ici.

— Non, mon maître.

— Est-ce qu’elle a tenté de communiquer avec lui ?

— Non.

— J’avais prévu de me nourrir d’elle avant d’aller à ce maudit bal.

Ivan marcha à pas mesurés à travers la pièce. Son plan était génial. Il allait empocher 250 000 dollars, et aurait également le plaisir de regarder Roman Draganesti souffrir. Il allait tout d’abord vider la femme Whelan jusqu’à la dernière goutte, puis il se rendrait au bal de Draganesti et jetterait le corps de la femme morte à ses pieds. Draganesti et ses faibles amis paniqueraient, puis Alek et Vladimir en profiteraient pour ajouter la touche finale à la soirée.

C’était parfait. Ça aurait dû être parfait. Où diable était donc cette femme ? Il détestait attendre après son repas.

— Chienne stupide ! dit Ivan en inclinant sa tête sur le côté.

Katya tressaillit.

— Elle peut encore arriver. Elle est peut-être en retard.

— Je ne peux pas l’attendre toute la nuit. Nous devons aller à ce maudit bal. C’est notre seule chance d’entrer à l’intérieur des Industries Romatech sans que ces Highlanders nous arrêtent.

Ivan marcha à pas mesurés vers le mur et le traversa d’un coup de poing.

— Je dois maintenant me rendre à ce maudit bal avec le ventre vide, et il n’y aura rien de bon à manger sur place.

— J’ai faim, moi aussi.

Galina joua avec sa lèvre inférieure. En tant qu’ancienne prostituée de l’Ukraine, la séduisante rouquine savait comment faire la moue et séduire les hommes.

— Il y a encore amplement de sang dans le corps de Bob, dit Katya. J’ai seulement cassé la croûte.

— Mmm. Ça me fait saliver.

Galina l’enfourcha en se léchant les lèvres.

Ivan jeta un coup d’œil à sa montre.

— Nous avons cinq minutes.

Il regarda Galina planter ses canines dans le cou de l’huissier.

— Laisse-m’en un peu.

L’homme avait fait son temps.

Gregori vérifia l’heure sur sa montre.

— Presque 21 h. Nous ferions mieux de nous rendre à la salle de danse.

Roman se leva de sa chaise derrière son bureau. Il redoutait ce bal. Comment allait-il pouvoir faire la fête en sachant que Shanna était en danger ? La simple pensée de boire du Sang Pétillant lui retournait l’estomac. Et voilà qu’en plus de ça, le père de Shanna était à la tête d’un groupe qui voulait le tuer.

Sang de Dieu. Est-ce que l’histoire devait se répéter ? Ça ressemblait beaucoup à la débâcle qu’il avait connue à Londres, en 1862. Il avait rencontré une jolie demoiselle nommée Éliza. Lorsque le père d’Eliza avait découvert le secret de Roman, il avait exigé que Roman quitte le pays. Roman accepta, mais avait espéré qu’Eliza comprenne quel était son dilemme, et qu’elle décide de s’enfuir avec lui en Amérique. Il s’était donc confié à elle. La nuit suivante, il s’était réveillé dans son cercueil ouvert, avec un pieu de bois posé sur sa poitrine.

Il était donc allé affronter le père, mais découvrit que c’était Éliza qui avait laissé le pieu sur lui. Son père l’avait empêché de le tuer par crainte que d’autres créatures démoniaques viennent assouvir leur vengeance sur sa famille. Dégoûté par toute cette affaire, Roman effaça les souvenirs qu’ils pouvaient avoir de lui dans leurs mémoires. Il ne pouvait malheureusement pas effacer les siens. Il commença donc une nouvelle vie en Amérique, mais cette triste affaire ne cessa de le hanter. C’est alors qu’il jura de ne jamais s’impliquer dans la vie d’une autre femme mortelle. Malgré cela, Shanna était entrée dans sa vie, et avait rempli d’espoirs toutes les zones sombres de son cœur.

Comment réagirait-elle, si elle apprenait la vérité ? Est-ce qu’elle tenterait aussi de le tuer dans son sommeil ? Ou attendrait-elle tout simplement que son père fasse le travail ?

Comment l’Agence centrale de renseignement avait-elle appris la vérité au sujet des vampires ? Sûrement qu’un imbécile avait exécuté un truc de vampire devant des mortels sans prendre ensuite le temps d’effacer leurs souvenirs. Leur existence avait cependant été mise à jour, et cela constituait un problème sérieux.

Angus, Jean-Luc et lui allaient donc passer la majeure partie de la conférence à décider des moyens à prendre pour traiter la question.

Roman marcha vers la salle de danse en compagnie des hommes avec qui il venait de passer du temps dans son bureau.

— Ian, qu’est-ce que vous avez pu découvrir au sujet du programme Stake-Out ? Combien y a-t-il d’agents au sein de leur équipe ?

— Ils sont cinq, et cela comprend le père de Shanna.

— Seulement cinq ? demanda Angus.

— Ce n’est pas si mal. Est-ce que vous avez leurs noms ? Peut-

être pourrions-nous nous charger d’eux avant qu’ils tentent de se charger de nous.

Roman tressaillit. Tuer le père de Shanna ? Cela allait sûrement augmenter ses chances de vivre une belle histoire d’amour.

— Cela me semble illogique, dit Jean-Luc en tapant le plancher de sa canne tout en marchant. Aucun mortel ne peut nous attaquer lorsque nous sommes éveillés. Nous pouvons prendre le contrôle de leurs esprits de façon instantanée.

Roman s’arrêta soudainement. Était-ce donc cela ? Shanna avait fait montre d’une résistance remarquable face au contrôle de son esprit, et sa capacité de lire dans son esprit lorsqu’ils étaient liés était étrange. Il était très possible qu’elle possède des capacités psychiques. Capacités psychiques dont elle aurait hérité. Sang de Dieu. Une équipe de tueurs de vampires, agissant avec l’autorisation du gouvernement, dont les membres pourraient résister au contrôle de l’esprit. C’était déconcertant.

— Ils planifient sûrement de nous tuer en plein jour, dit Angus.

Je vais devoir former plus de gardes de jour.

— M. Draganesti travaille sur une formule qui nous permettrait de demeurer éveillés en plein jour.

Laszlo jeta un coup d’œil nerveux vers Roman.

— Peut-être que je n’aurais pas dû en parler.

— C’est vrai ? demanda Angus en saisissant Roman par l’épaule. Tu peux y arriver, mon homme ?

— Je crois que oui, répondit Roman. Je ne l’ai pas encore testée.

— Je serai votre cobaye, offrit Gregori avec un sourire.

Roman secoua la tête.

— Je ne permettrai pas qu’il vous arrive quoi que ce soit. J’ai besoin d’hommes comme vous pour veiller sur l’entreprise pendant que je travaille dans mon laboratoire.

Jean-Luc ouvrit la porte à deux battants menant à la salle de danse, puis il haleta et retraita dans le vestibule.

— Merde. C’est cette vilaine femme de RTNV. Je pense qu’elle nous a vus.

— Une journaliste aux actualités ? demanda Roman.

— Pas exactement.

Jean-Luc frissonna.

— C’est Corky Courrant. Elle anime l’émission de célébrités En direct avec ceux qui ne sont pas morts.

Angus râla avec impatience.

— Pourquoi est-elle ici ?

— Vous êtes des célébrités.

Gregori leur lança des regards incrédules.

— Vous l’ignoriez ?

— Oui.

Laszlo inclina la tête.

— Vous êtes tous célèbres.

Roman fronça les sourcils. Ses inventions avaient peut-être changé le monde des vampires, mais il passait encore de longues heures chaque nuit à travailler dans son laboratoire. D’ailleurs, il regrettait intensément de ne pas être dans son laboratoire en ce moment même.

— Ne laissez pas son sourire vous duper, l’avertit Angus. Selon mes enquêtes, elle a déjà été responsable de la chambre des tortures dans la Tour de Londres pour le compte d’Henry VIII. Elle s’appelait alors Catherine Courrant. On dit qu’elle a personnellement obtenu la confession d’inceste du frère d’Anne Boleyn.

Jean-Luc ignora cela à sa manière habituelle.

— Et elle travaille maintenant pour les médias. Ce n’est pas surprenant.

— Les gars et moi, on la surnomme « Jolis Implants. »

La remarque d’Ian fut accueillie par des regards interrogateurs.

— Vous savez, on plaisante avec ça et le fait que ça rime avec son nom – Corky Courrant, Jolis Implants.

— J’aime ça, dit Gregori.

Il positionna ensuite ses mains devant sa poitrine, comme s’il tenait deux gros melons casaba.

— Elle a de très gros seins. Ce sont sûrement des faux.

— Ouais, acquiesça Ian. Ils sont énormes.

— Ça suffit !

Roman serra les dents.

— Merci à tous d’avoir partagé ces informations. Peu importe son passé douteux, ou bien sa poitrine… tout aussi douteuse, le fait demeure néanmoins que nous ne pouvons passer la soirée à nous cacher ici dans le vestibule.

— Tu as raison, dit Angus en redressant les épaules. Nous devons faire face au dragon.

Ian respira à fond.

— Nous devons être le dragon.

La porte à deux battants s’ouvrit.

Les hommes reculèrent sans émettre une simple bouffée de fumée.

— Vous voilà ! annonça la femme dragon, les yeux brillants d’avoir remporté une petite victoire. Vous ne pouvez plus m’échapper maintenant.

Corky Courrant fit signe à ses équipiers de se mettre en place.

Deux hommes se chargèrent de tenir les portes grandes ouvertes.

Un autre homme de forte carrure tenait une caméra numérique en main pendant qu’une femme faisait des retouches de dernière minute au maquillage de Corky. Tous les membres de son équipe portaient des jeans et des t-shirts noirs avec les lettres blanches

« RTNV » sur la poitrine. Les invités, qui portaient des vêtements de soirée noirs et blancs, se massèrent derrière la journaliste en bloquant avec succès cette échappatoire.

« Nous sommes pris au piège. »

Roman pouvait seulement retraiter vers son bureau, mais la journaliste tenace le talonnerait sans doute jusque-là.

— Ne pensez même pas à vous esquiver.

Elle plissa les yeux en regardant les hommes.

— Vous allez parler.

Ces quelques mots avaient sûrement été ses préférés lorsqu’elle s’occupait de la chambre des tortures. Roman échangea un regard avec Angus.

— Ça suffit ! dit la journaliste en écartant d’un geste la personne qui la maquillait.

Elle toucha du doigt un petit écouteur niché dans son oreille droite et pencha la tête pour entendre une voix.

— Nous serons en ondes dans trente secondes. Tout le monde à son poste.

Elle se posta devant le cameraman, et sa robe noire révélait une grande partie de sa poitrine surdimensionnée.

Elle avait manifestement des implants mammaires, sans aucun doute gracieuseté du docteur Uberlingen, à Zurich. C’était le seul spécialiste de chirurgie esthétique de vampire connu, et il pouvait aider un vampire à avoir l’air jeune et beau pour l’éternité, moyennant des honoraires exorbitants. Les implants de la journaliste l’avaient probablement aidée à obtenir un des emplois de choix à RTNV. Le Réseau de télévision numérique des vampires était encore relativement nouveau, et attirait chaque semaine des centaines de vampires pleins d’espoirs, désireux de devenir la prochaine grande vedette de la télévision.

Il avait été impossible de filmer les vampires avant l’avènement des caméras numériques. Cette technologie avait donc permis de découvrir un nouveau monde de possibilités et de problèmes. En fait, Roman n’aurait pas été surpris d’apprendre que c’était de cette façon que l’Agence centrale de renseignement avait appris leur existence. Ils avaient peut-être découvert la fréquence secrète que RTNV utilisait pour la radiodiffusion.

Le téléphone de Gregori sonna. Il l’ouvrit et s’éloigna de quelques pas.

— Hé, Connor, dit-il à voix basse. Qu’est-ce qui se passe ?

Roman se concentra sur la conversation à sens unique.

— Une maison dans le quartier New Rochelle ? demanda Gregori. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Le cameraman fit un signe à la journaliste, et elle s’illumina soudainement avec un sourire digne des meilleures annonces publicitaires de dentifrice.

— Ici Corky Courrant, pour l’émission En direct avec ceux qui ne sont pas morts. Nous avons quelque chose de spécial à vous mettre sous la dent ce soir. Nous sommes en direct du plus grand bal de vampires de l’année ! Je suis certaine que vous voudrez en apprendre davantage sur les célébrités de la soirée.

Elle s’avança vers Angus MacKay et expliqua qui il était. Elle fit ensuite de même avec Jean-Luc Écharpe. Roman tourna la tête pour saisir quelques fragments de conversation à partir du téléphone de Gregori.

— En êtes-vous certain ? chuchota Gregori. La personne est décédée ?

Roman avala sa salive avec difficulté. Parlaient-ils de Shanna ?

Son esprit visualisa une image de son corps sans vie. Non ! Pas sa Shanna.

— Roman Draganesti !

La journaliste s’avança vers lui.

— Nous avons des milliers de téléspectateurs qui aimeraient vous rencontrer.

— Ce n’est pas un bon moment, Madame Implants.

Roman sentit que Jean-Luc lui donnait une bourrade dans le dos avec sa canne.

— Pardon, Mme… Merde alors… quel est donc votre nom ?

Les yeux de la journaliste lancèrent des éclairs comme du feu de dragon. Elle montra les dents, mais ne souriait plus.

— Mademoiselle Courrant, intervint Jean-Luc. Puis-je avoir l’honneur de la première danse ?

— Mais oui, bien sûr.

Corky lança un sourire malfaisant à la caméra tout en serrant les doigts autour du bras de Jean-Luc.

— C’est le rêve de toutes les femmes de danser avec le grand maître de l’Europe occidentale. Il est presque de sang royal !

Elle se rendit nonchalamment vers la salle de danse avec Jean-Luc.

Roman marcha à grands pas vers Gregori.

— Que s’est-il passé ? Dites-le-moi.

Angus, Ian et Laszlo se joignirent à lui.

Gregori glissa son téléphone portable dans sa poche.

— Connor a suivi Ivan Petrovsky jusqu’à une maison dans le quartier de New Rochelle. Ivan et ses amis sont entrés dans la maison. Connor a donc pensé que Shanna pouvait s’y trouver, alors il contourna la maison, se souleva par lévitation jusqu’à une fenêtre du deuxième étage et se téléporta à l’intérieur.

Les nerfs de Roman se tendirent.

— Est-ce qu’elle était là ?

— Non, répondit Gregori. Toutes les chambres du haut étaient désertes.

Roman poussa un soupir de soulagement.

— Ils détenaient toutefois un mortel prisonnier au rez-de-chaussée, continua Gregori. Connor les écouta parler. Ivan était furieux que Shanna ne se soit pas présentée. Ils ont donc tué le mortel. Connor était fortement contrarié, car il ne pouvait que les écouter. Il savait qu’il ne pouvait pas vaincre quatre vampires à lui seul.

— Merde alors, murmura Angus.

— Connor a ensuite entendu la sonnerie d’un téléphone, et ils sont tous rapidement sortis par la porte d’entrée. Il est descendu et a trouvé leur victime. Un huissier de justice américain.

— Sang de Dieu.

Roman grimaça.

— C’était probablement la personne-ressource de Shanna.

— Par l’enfer, murmura Angus. Pas étonnant que l’Agence centrale de renseignement souhaite notre mort. Ce sont des vampires comme Petrovsky qui nous donnent une bien mauvaise réputation.

— Je ne veux faire de mal à personne.

Laszlo tripota un bouton sur la veste de son smoking.

— Ne pouvons-nous pas convaincre l’Agence centrale de renseignement que certains d’entre nous sont paisibles ?

— Nous devrons tenter le coup.

Angus croisa ses bras sur sa large poitrine.

— Et s’ils ne croient pas que nous sommes paisibles, alors nous devrons tuer ces bâtards.

— Oui, dit Ian en hochant la tête.

Roman fronça les sourcils. D’une façon ou d’une autre, leur logique de Highlander lui échappait.

— Où est Connor maintenant ?

— Il se dirige ici, répondit Gregori. Tout comme Petrovsky.

Connor l’a entendu parler de quelque chose qu’il planifiait faire au bal.

— Oh, nous devons être prêts à tout.

Angus marcha à grands pas dans la salle de danse.

Roman attendit près de la porte. L’orchestre jouait une valse.

Des couples de vampires valsaient sur le plancher de danse. Jean-Luc et la journaliste dansaient tout près, et le maître de la bande de vampires de France lança à Roman un regard trahissant sa lassitude. Angus donnait ses ordres à un régiment de Highlanders dans un coin de la salle de danse.

Ivan Petrovsky était en route, et il allait causer des ennuis. Ils en étaient donc avertis. C’était plutôt ce qu’il ne savait pas qui rendait Roman malade d’inquiétude. Où était donc Shanna, par l’enfer ?

L’horloge du tableau de bord du taxi affichait 20 h 50. Shanna était en retard, mais on ne la suivait plus. Oringo, son chauffeur de taxi, était parvenu à semer le VUS noir grâce à ses habiletés au volant.

— Voici la rue.

Shanna jeta un coup d’œil sur le bout de papier où elle avait noté l’adresse.

— 5267. Est-ce que vous la voyez ?

La rue était faiblement éclairée, et les numéros sur les maisons étaient donc difficiles à lire. Ils passèrent devant une maison qui était dans l’obscurité la plus totale.

Oringo ralentit.

— Je crois que c’était là.

— La maison dans l’obscurité ?

Pourquoi Bob l’attendrait-il dans l’obscurité ? Un fort sentiment de doute passa comme un frisson glacial sur la nuque de Shanna.

Bob avait également semblé étrange au téléphone.

Oringo se gara.

— Voilà. J’ai mérité cinquante dollars de plus, c’est bien ça ?

— Oui.

Shanna sortit son portefeuille de sa bourse. Elle jeta un nouveau coup d’œil à la maison sombre.

— Est-ce que cette maison a l’air d’un refuge pour vous ?

— Ça m’a l’air désert.

Oringo prit une bouchée de son sandwich à la viande fumée, puis se retourna pour la regarder.

— Vous voulez aller ailleurs ?

Elle avala difficilement sa salive.

— Je n’ai pas d’autres endroits où aller.

Elle jeta un coup d’œil au quartier. Il y avait plusieurs voitures garées le long de la rue. Est-ce qu’elle voyait bien une berline noire ? Le frisson passa de sa nuque à sa colonne vertébrale.

— Pouvez-vous passer devant cette voiture noire ?

— D’accord.

Oringo appuya sur l’accélérateur et passa lentement devant la berline.

Shanna regarda dans la berline depuis le siège arrière. Un homme était assis derrière le volant de la berline.

— Oh mon Dieu !

C’était le même homme qui avait poussé des jurons en russe devant la maison de Roman.

Il la regarda fixement à son tour, et ses yeux se plissèrent.

Shanna lui tourna le dos.

— Conduisez ! Vite !

Oringo enfonça l’accélérateur. Les pneus crissèrent. Shanna jeta un coup d’œil derrière elle. Le Russe hurlait dans son téléphone portable. Oringo arriva au bout de la rue et tourna à gauche, faisant disparaître la berline du champ de vision de Shanna.

Oh merde ! Les Russes avaient découvert l’emplacement du lieu sûr. Où pouvait-elle donc aller ?

— Ah !

Elle s’enfonça dans le siège et couvrit son visage.

— Est-ce que ça va, mademoiselle ?

— Je… j’ai besoin de réfléchir.

Une amie, elle avait besoin d’une amie. Quelqu’un qui pourrait la cacher, lui prêter de l’argent comptant.

« Pense ! »

Elle tapota son front avec le talon de la paume de sa main. Elle ne pouvait aller bien loin, et n’avait presque plus d’argent. Une amie, près d’ici.

— Radinka ! dit Shanna en se redressant.

— Pardon ? dit Oringo en lui jetant un regard inquiet dans le rétroviseur.

— Pouvez-vous me conduire jusqu’aux Industries Romatech ?

Elle farfouilla dans sa bourse et en retira la feuille qu’elle avait imprimée plus tôt.

— Voici l’adresse. C’est tout près de White Plains.

Elle se pencha vers l’avant pour le montrer à Oringo.

— D’accord. Pas de problèmes, mademoiselle.

Shanna s’appuya contre le dossier de son siège. Radinka l’aiderait. Elle était gentille et compréhensive. Et elle avait dit qu’elle travaillait à Romatech en soirée. Il y aurait aussi des gardes de sécurité à l’usine. Et des tas de gens travaillaient là, incluant Roman Draganesti.

Shanna frissonna. Il était hors de question qu’elle demande de l’aide à ce coureur de jupons libertin. Elle expliquerait à Radinka qu’elle n’avait aucun désir de revoir Roman. Elle avait seulement besoin d’un endroit sûr où se cacher jusqu’à ce qu’elle puisse communiquer avec le bureau de l’huissier de justice dans la matinée.

Pauvre Bob. Elle espérait qu’il allait bien. Le fait de repenser au Russe dans la berline noire lui donnait la chair de poule. Elle regarda fixement par la fenêtre arrière.

— Est-ce qu’ils nous suivent ?

— Je ne crois pas, dit Oringo. Nous avons eu un excellent départ.

— Mon Dieu, je l’espère.

— Cela me rappelle la chasse dans la savane. J’aime la chasse.

C’est mon nom, vous savez ? Oringo, ça veut dire « qui aime la chasse ».

Shanna s’enveloppa de ses bras.

— Comment vous sentez-vous dans le rôle de la proie ?

Il éclata de rire, puis tourna soudainement à droite.

— Ne vous en faites pas. Si la voiture noire réapparaît, je vais la semer.

Ils furent bientôt à l’extérieur des Industries Romatech. Une longue allée formait un cercle depuis la grille d’entrée jusqu’à la porte d’entrée de l’usine, avant de repasser dans les jardins soigneusement entretenus et de revenir vers la grille d’entrée. Des limousines noires bloquaient complètement l’allée.

— Est-ce que je me place dans la file ? demanda Oringo.

Shanna regarda la longue file de voitures avec inquiétude.

Qu’est-ce qui se passait ici ? Ce n’était pas une bonne idée pour elle de se retrouver coincée dans la circulation sans pouvoir s’échapper.

— Non, laissez-moi descendre ici.

Oringo se rangea sur le côté de la route.

— Il doit y avoir un grand événement à l’intérieur.

— Je crois que oui.

Enfin. Plus on est de fous, plus on rit. Une foule pouvait bien être sa meilleure garantie de sécurité en ce moment. Les Russes ne voudraient pas d’un grand nombre de témoins.

— Tenez.

Elle donna à Oringo une liasse de billets.

— Merci, mademoiselle.

— Je regrette de ne pouvoir vous donner un meilleur pourboire.

Je suis vraiment reconnaissante de votre aide, mais je suis à court d’argent.

Oringo sourit, et ses dents blanches luisaient dans l’obscurité.

— Pas de problèmes. Je n’ai pas eu autant de plaisir depuis mon arrivée en Amérique.

— Prenez soin de vous.

Shanna s’empara de sa bourse et de son sac, puis se dirigea au pas de course vers la grille d’entrée de Romatech.

— Halte !

Un garde marcha à grands pas vers elle depuis le poste de garde. Un Highlander.

Shanna figea lorsque le souvenir des cercueils ouverts au sous-sol traversa son esprit comme un éclair.

« N’y pense pas. Rends-toi jusqu’à Radinka. »

Le kilt de l’Écossais était cousu dans un tissu gris foncé et blanc.

Il la regarda d’un air soupçonneux.

— Vous n’êtes pas vêtue de noir et de blanc.

— Est-ce qu’il y avait une loi contre le rose ?

— Je suis ici pour voir Radinka Holstein. Pouvez-vous lui dire que Shanna Whelan est ici ?

Les yeux de l’Écossais s’agrandirent.

— Jésus-Christ ! Vous êtes celle qu’ils cherchent partout. Ne bougez pas, mademoiselle. Restez ici.

Il marcha vers le poste de garde et s’empara d’un téléphone.

Shanna pivota et regarda les limousines. Depuis quand les laboratoires de recherche accueillaient-ils de grandes réceptions ?

Elle retint son souffle. Elle vit dans la rue une berline noire se placer en ligne.

« Merde. »

Elle se retourna et courut vers l’entrée. Elle souhaitait maintenant qu’un régiment complet de Highlanders armés se trouve à l’intérieur.

« Oublie un peu ces maudits cercueils. »

Tant qu’ils étaient de son côté, elle s’organiserait pour ne pas penser aux cercueils. Enfin, pas complètement.

Elle se rendit jusqu’à la porte d’entrée, où des hommes et des femmes vêtus de tenues de soirée noires et blanches sortaient d’une limousine. Ils la regardèrent de haut. Quelques-uns d’entre eux reniflèrent l’air comme si elle dégageait une odeur étrange.

« Quelle bande de prétentieux », pensa Shanna en se glissant à l’intérieur.

Le vaste hall était rempli d’hommes et de femmes tous très élégants, rassemblés en petits groupes et occupés à discuter. Elle traversa la foule en étant consciente des regards hautains qu’ils posaient sur elle. Merde alors. Elle avait l’impression de se présenter à une fête d’école vêtue de linge sale et sans petit ami pour l’accompagner.

Elle vit des portes à deux battants du côté droit, et chaque porte était retenue par une grosse plante verte. De la musique et des voix s’échappaient de la salle. Elle se dirigea vers les portes.

Elle vit soudainement un groupe de Highlanders qui marchait dans le hall. Elle se glissa derrière une porte et la plante verte qui la maintenait ouverte. Ils se dispersèrent et fouillèrent l’entrée principale.

— Cherchez-vous la mortelle ? demanda un homme aux cheveux gris vêtu d’un smoking.

— Une mortelle ?

— Oui, répondit un des Highlanders. Est-ce qu’elle est entrée ?

— Oui, répondit l’homme aux cheveux gris. Elle portait d’affreux vêtements.

— C’était certainement une mortelle, ajouta sa compagne en reniflant. On peut toujours les détecter à l’odeur.

Oh, voyons donc. Pendant que les riches snobinards occupaient les Highlanders, Shanna en profita pour se glisser par les portes et se retrouva dans la salle de danse. Des couples vêtus de noir et de blanc semblaient danser au rythme d’un menuet comme s’ils se trouvaient en plein dix-huitième siècle. D’autres invités erraient, bavardaient et buvaient de petites gorgées dans des verres à vin.

Elle se fit un chemin parmi la foule. Les gens se retournaient pour la regarder fixement. Génial. Elle montrait vraiment à tous son statut d’intruse en affichant ainsi ses vêtements roses. Il fallait vraiment qu’elle trouve Radinka au plus vite. Elle passa près d’une table ornée d’une sculpture de glace géante représentant une chauve-souris. Une chauve-souris ? Nous n’étions pourtant pas en octobre. Pour quelle occasion voudrait-on des sculptures de chauves-souris au printemps ?

Elle figea littéralement en voyant un cercueil ouvert derrière la table. On s’en servait comme d’une grande glacière. Il fallait vraiment être malade ! Elle continua de se frayer un chemin parmi la foule. Où était donc Radinka ? Et était-ce bien Roman qui montait sur la scène ? Il la verrait à coup sûr. Elle se cacha derrière un homme qui avait une large poitrine et qui portait un t-shirt noir.

RTNV. Il tenait une caméra numérique à la main.

— Vous êtes en ondes.

L’homme fit un signe à la femme aux énormes seins.

— Ici Corky Courrant pour l’émission En direct avec ceux qui ne sont pas morts. Quelle soirée passionnante ! Comme vous pouvez le voir derrière moi – la journaliste pointa la scène du doigt –, Roman Draganesti est sur le point de nous accueillir au 23e gala d’ouverture. Comme vous le savez, Roman est le PDG de Romatech, inventeur de la cuisine Fusion, et maître de la plus grande bande de sorciers d’Amérique du Nord3.

« Une bande de sorciers ? »

Shanna regarda autour d’elle. Ces gens étaient-ils donc des sorciers et des sorcières ? Cela expliquerait les vêtements noirs et les détails sanglants, comme les cercueils.

— Prendriez-vous un verre ?

Un serveur s’arrêta devant elle et tenait un plateau noir rempli de verres.

Est-ce qu’il était un sorcier, lui aussi ? Et Radinka ? Et Roman ?

— Je… est-ce que vous avez une boisson de régime ?

— Oui ! La dernière invention de M. Draganesti.

3 N.d.T. : Dans le texte anglais, il est question de «Coven Master», et «Coven» se traduit habituel ement par «bande de sorcières, ou de sorciers». Ce livre traite de vampires, et nous avons jusqu'à présent parlé de «bande de vampires.» Ici, Shanna entend le mot «Coven», et interprète ce mot à sa façon. Nous avons donc décidé de vous l'expliquer pour que vous puissiez comprendre sa réaction.

Le serveur lui donna un verre à vin.

— A votre santé.

Et il s’éloigna.

Shanna jeta un coup d’œil à son verre. Le liquide était rouge.

Son attention fut détournée par le son de la voix de Roman. Dieu qu’il avait une voix séduisante. Le bâtard.

— Je vous souhaite tous la bienvenue aux Industries Romatech.

Ses yeux parcoururent la foule.

Shanna tenta de se faire aussi petite que possible derrière le cameraman de RTNV, mais ainsi vêtue de rose, elle ressemblait plutôt à un feu d’artifice.

— Et c’est avec plaisir que je vous accueille à notre gala annuel…

Roman s’arrêta.

Shanna jeta un coup d’œil à côté du cameraman de RTNV. Bon Dieu. Roman regardait tout droit vers elle. Il fit un signe de la main, et Ian grimpa sur la scène. Le jeune Highlander se tourna et la vit à son tour. Il descendit les marches en vitesse et marcha à grands pas vers elle.

— … d’ouverture, conclut Roman. Amusez-vous bien.

Il suivit Ian en bas de l’escalier.

— Oh, merveilleux ! s’exclama la journaliste. Roman Draganesti vient par ici. Allons lui parler un moment. Oh, Roman !

Oh merde. Que devait-elle faire maintenant ? Faire confiance au Highlander qui dormait dans un cercueil ? Ou faire confiance à Roman, le coureur de jupons qui devait être un genre de grand sorcier ?

Le cameraman de RTNV recula et l’accrocha au passage.

— Oh, je suis désolé.

— Aucun problème, murmura-t-elle.

Puis, elle se souvint soudainement de la chauve-souris volante à la télévision ainsi que du slogan : « RTNV, le réseau qui fonctionne 24 heures par jour et sept jours par semaine, parce qu’il fait toujours nuit quelque part. » Était-ce un genre de réseau de sorcier ?

— Que signifient les lettres RTNV ?

L’homme grogna.

— Où étiez-vous au cours des cinq dernières années ?

Ses yeux se plissèrent.

— Attendez une minute. Vous êtes une mortelle. Que faites-vous ici ?

Shanna avala sa salive. Si elle était la seule mortelle sur place, alors qu’est-ce que ces gens étaient ? Elle recula d’un pas.

— Que signifient les lettres RTNV ?

L’homme sourit lentement.

— Réseau de télévision numérique des vampires.

Elle haleta. Non. C’était sûrement encore une blague de très mauvais goût. Les vampires n’existent pas.

Ian tendit la main vers elle.

— Venez avec moi, Mlle Whelan. Vous n’êtes pas en sécurité ici.

Elle tressaillit.

— Restez loin de moi. Je… je sais où vous dormez. Des cercueils. Les vampires dorment dans des cercueils.

Il fronça les sourcils.

— Et maintenant, donnez-moi ce verre. Je vais vous conduire à la cuisine et vous donner de la vraie nourriture.

De la vraie nourriture ? Et dans ce verre, il y avait quoi ?

Shanna souleva son verre à vin et le sentit. Du sang ! Elle poussa un gémissement et lança le verre au sol. Il vola en éclats sur le plancher, l’éclaboussant de sang.

Une femme hurla.

— Regardez ce que vous avez fait ! Des taches de sang sur ma nouvelle robe blanche. Eh bien, vous…

Elle regarda fixement Shanna et poussa un sifflement.

Shanna recula. Elle regarda autour d’elle. Tous ces gens buvaient dans des verres à vin. Ils buvaient du sang. Elle colla ses sacs contre sa poitrine. Des vampires.

— Shanna, s’il vous plaît.

Roman s’approcha d’elle très lentement.

— Venez avec moi. Je peux vous protéger.

Elle posa une main tremblante contre sa bouche.

— Vous… vous en êtes un, vous aussi.

Il portait même une cape noire comme Dracula.

Le cameraman de RTNV cria :

— Corky, venez tout de suite !

La journaliste se fraya un chemin parmi la foule.

— Nous avons un fait passionnant. Une mortelle s’est introduite dans un bal de vampires sans y avoir été invitée.

Elle glissa un micro sous le nez de Shanna.

— Dites-moi. Quel effet ça fait d’être entourée de vampires affamés ?

— Allez au diable !

Shanna se retourna, mais il y avait des Russes à la porte.

— Vous venez avec moi.

Roman s’empara de Shanna d’une prise ferme, et il les entoura tous les deux de sa cape.

Tout devint sombre.

Seize

Shanna ne put sentir ses pieds sur le sol pendant un moment de pure terreur. Elle flottait, confuse et étourdie, mais elle avait conscience d’être dans les bras de Roman Draganesti. L’obscurité l’enveloppa, désorientante et effrayante. Puis, elle se retrouva sur ses pieds. Enfin, elle se sentait tituber.

— Doucement.

Il continua à lui tenir le bras. Il abaissa sa cape, et une brise fraîche vint caresser ses joues et l’entourer d’un parfum terreux de paillis de pin et de fleurs.

Ils étaient à l’extérieur, dans le jardin qui entourait Romatech.

De faibles lumières éclairaient les formes des buissons et des arbres tout en projetant des ombres à faire frémir sur la pelouse.

Comment était-elle arrivée ici ? Et voilà qu’elle était seule avec Roman Draganesti. Roman, le… le… Oh Dieu, elle ne voulait pas penser à ça. Ça ne pouvait être vrai.

Elle s’éloigna de lui, et ses chaussures de sport dérapèrent sur le gravier du sentier du jardin. Elle pouvait voir, non loin de là, la salle de danse vivement éclairée par les fenêtres de verre.

— Comment ? Comment avons-nous…

— Par téléportation, répondit-il doucement. C’était la façon la plus rapide de vous faire sortir de là.

Ça devait être un truc de vampire, ce qui signifiait que seul un vrai vampire pouvait le faire. Quelqu’un comme… Roman. Shanna trembla. Ça ne pouvait être vrai. Elle n’avait jamais cru à la notion moderne d’un vampire romantique. Une créature démoniaque, par sa vraie nature, devait être révoltante. Les vampires étaient sûrement d’affreuses créatures à la chair verte pourrie et aux ongles d’un kilomètre de long, sans parler de leur mauvaise haleine, qui aurait pu aplanir un troupeau de buffles. Ils ne pouvaient pas être aussi magnifiques et séduisants comme Roman. Ils ne pouvaient pas embrasser comme lui.

Oh mon Dieu, elle l’avait embrassé ! Elle avait glissé sa langue dans la bouche d’une créature diabolique. Oh merde, ça produirait tout un effet dans le confessionnal. Dites deux « Je vous salue Marie », et évitez de nouveaux contacts avec le rejeton du diable.

Elle marcha dans l’herbe vers l’ombre d’un arbre. Elle ne voyait que la silhouette de Roman dans l’obscurité. Sa cape noire remuait sous la brise fraîche.

Sans réfléchir plus longtemps, elle se lança dans une course folle en direction des lumières de la grille d’entrée. Elle courut aussi vite qu’elle le pouvait, et ne permit pas à sa bourse ni à son sac de la ralentir. Son adrénaline monta en flèche, et l’espoir qu’elle avait de s’échapper ne faisait qu’augmenter. Encore quelques mètres et…

Quelque chose passa à toute vitesse près d’elle. Une tache dans la nuit, qui s’arrêta soudainement devant elle. Roman. Shanna glissa sur le sol pour éviter d’entrer en collision avec lui. Elle cherchait de l’air. Il ne semblait même pas essoufflé.

Elle se pencha pour rattraper son souffle.

— Il est impossible pour vous de me distancer à la course.

— Je l’ai remarqué.

Elle le regarda avec méfiance.

— C’est mon erreur. Je viens de réaliser que je ne devrais rien faire pour stimuler votre appétit.

— Vous n’avez pas à vous en inquiéter. Je ne…

— Vous ne me mordrez pas ? N’est-ce pas là précisément ce que vous faites ?

Une image de la canine de loup apparu dans son esprit.

— Oh merde. Cette dent que je vous ai réimplantée… c’était vraiment une canine ?

— Oui. Merci de m’avoir aidé.

Elle grogna.

— Je vous enverrai ma facture.

Elle rejeta la tête vers l’arrière pour regarder les étoiles.

— Ça ne peut être vrai.

— Nous ne pouvons pas rester ici.

Il fit un geste en direction de la salle de danse.

— Les Russes pourraient nous voir. Venez.

Il marcha vers elle.

Elle recula de plusieurs pas.

— Je n’irai nulle part avec vous.

— Vous n’avez pas le choix.

— C’est ce que vous pensez.

Elle glissa son sac sur son épaule, puis ouvrit sa bourse. Il poussa un soupir irrité et impatient.

— Vous ne pouvez tirer sur moi.

— Bien sûr que je le peux. Je ne serai même pas accusée de meurtre. Vous êtes déjà mort.

Elle en retira le Beretta.

Il lui arracha des mains à toute vitesse et le rejeta dans un parterre de fleurs.

— Comment osez-vous ! J’en ai besoin pour ma protection.

— Il ne vous protégera pas. Il n’y a que moi qui puisse le faire.

— Enfin, vous êtes riche et puissant ? Le problème, c’est que je ne veux rien de vous, et surtout pas de traces de dents.

Elle l’entendit pousser un grognement de frustration. Elle mettait donc sa patience à l’épreuve. Dommage. Il testait vraiment sa santé mentale.

Il pointa du doigt vers la salle de danse.

— N’avez-vous donc pas vu les Russes à l’intérieur ? Leur maître est Ivan Petrovsky, et la mafia russe l’a embauché pour vous tuer. C’est un assassin professionnel, et il est très doué dans son métier.

Shanna recula et trembla tandis qu’une brise fraîche ébouriffait ses cheveux.

— Il est venu à votre fête. Vous le connaissez.

— C’est la coutume d’inviter tous les maîtres des bandes de vampires.

Roman s’avança vers elle.

— Les Russes ont engagé un vampire pour vous tuer. Votre seul espoir de survie réside dans l’aide d’un autre vampire. Moi.

Elle inhala brusquement. Il venait d’admettre la terrible vérité à son sujet. Elle ne pouvait plus le nier, même si c’était ce qu’elle souhaitait désespérément. La vérité était bien trop effrayante.

— Nous devons y aller.

Il s’empara rapidement d’elle. Avant même qu’elle puisse soulever une objection, Shanna vit sa vision passer au noir. La désorientation tourbillonnante était terrifiante. Elle ne pouvait plus sentir son corps.

Elle reprit conscience des parties de son corps seulement pour se rendre compte qu’elle se trouvait maintenant debout dans une pièce sombre. Elle trébucha, puis regagna son équilibre.

— Faites attention.

Roman la stabilisa.

— Il faut quelques expériences avant de s’habituer à la téléportation.

Elle repoussa son bras.

— Ne me faites plus jamais ça ! Je n’aime pas ça.

— D’accord. Alors, nous marcherons.

Il s’empara de son coude.

— Cessez cela.

Elle retira brusquement son bras.

— Je ne vais nulle part avec vous.

— Vous n’avez pas compris ce que j’ai dit ? Je suis votre seul espoir d’échapper à Petrovsky.

— Je ne suis pas impuissante ! Je m’en suis bien tirée par mes propres moyens. Et je peux obtenir de l’aide du gouvernement.

— Auprès de votre huissier de justice dans le quartier New Rochelle ? Il est mort, Shanna.

Elle haleta.

— Bob était mort ?

— Attendez une minute. Comment le savez-vous ?

— J’avais demandé à Connor de surveiller la maison de Petrovsky, à Brooklyn. Il a suivi les Russes jusqu’à New Rochelle et a trouvé votre contact à cet endroit. Votre huissier de justice n’avait aucune chance contre un groupe de vampires. Et vous non plus.

Elle avala difficilement sa salive. Pauvre Bob. Mort. Que devrait- elle faire ?

— Je vous ai cherchée partout.

Il lui toucha le bras.

— Laissez-moi vous aider.

Elle trembla en sentant ses doigts glisser sur son bras. Pas qu’il la répugnait, au contraire. Cela lui rappelait à quel point il avait été déterminé à la sauver, à quel point il avait été gentil, attentionné, doux et généreux. Son désir de l’aider était bien réel. Elle savait cela jusqu’au fond de son âme, bien qu’elle soit sous le choc de sa dernière révélation. Comment pouvait-elle accepter son aide, maintenant qu’elle connaissait la vérité ? Comment pouvait-elle la refuser ? N’y avait-il pas un adage qui disait qu’il fallait combattre le feu par le feu ? Peut-être que cela s’appliquait aussi avec les vampires.

Bon sang, à quoi pensait-elle ? Faire confiance à un vampire ?

Elle était une fichue source de nourriture pour eux.

— Est-ce que c’est votre vraie couleur de cheveux ? demanda-t-il avec douceur.

— Pardon ?

Shanna remarqua qu’il s’était rapproché d’elle et qu’il la regardait un peu trop attentivement. Comme s’il avait faim.

— J’ai toujours su que le brun n’était pas votre vraie couleur.

Il toucha une mèche de cheveux sur son épaule.

— Est-ce que celle-là est votre vraie couleur ?

— Non.

Elle recula d’un pas et repoussa ses cheveux derrière ses épaules. Oh génial. Elle venait d’exposer son cou.

— Quelle est votre vraie couleur de cheveux ?

— Pourquoi discutons-nous de la couleur de mes cheveux ?

Sa voix trembla et augmenta en intensité.

— Est-ce que les blondes en panique ont un meilleur goût ?

— J’ai pensé qu’un sujet terre-à-terre pourrait calmer vos nerfs.

— Eh bien, ça n’a pas fonctionné. Je n’arrive toujours pas à croire que vous êtes un démon suceur de sang de l’enfer !

Il se raidit d’un seul coup. Bon, génial. Elle venait de le blesser.

Cela n’enlevait cependant rien au fait qu’elle avait le droit d’être en colère. Pourquoi se sentait-elle donc mal de lui avoir lancé des remarques cinglantes ?

Elle se racla la gorge.

— J’ai peut-être été un peu dure dans mes remarques.

— Votre description est essentiellement correcte. Cependant, puisque je n’ai jamais été en enfer, il n’est pas approprié de dire que je viens de là.

Son ombre se déplaça lentement à travers la pièce.

— Quoiqu’on pourrait dire que j’y suis maintenant.

Aïe. Elle l’avait vraiment blessé.

— Je… je suis désolée.

Il y eut un long silence. Puis, il lui répondit :

— Je n’ai pas besoin d’excuses. Vous n’êtes pas coupable de quoi que ce soit. Et je n’ai certainement pas besoin de votre pitié.

Aïe, encore une fois. Elle ne gérait pas la situation à son mieux.

Et encore, il fallait avouer qu’elle n’avait pas beaucoup d’expérience à parler avec des démons.

— Euh, pouvons-nous allumer une lumière ?

— Non, car elle serait visible par la fenêtre, et Petrovsky saurait que nous sommes ici.

— Où sommes-nous, exactement ?

— Dans mon laboratoire. Il surplombe le jardin.

Une odeur curieuse était imprégnée dans la pièce. Un mélange de nettoyant antiseptique et de quelque chose de riche et de métallique. Du sang. L’estomac de Shanna se révulsa. Bien sûr, il travaillait avec du sang. Il était l’inventeur du sang synthétique. Et il en buvait aussi. Elle frissonna.

Mais si le sang artificiel de Roman alimentait les vampires, alors ces mêmes vampires ne s’alimentaient plus directement dans le cou des gens. Roman sauvait des vies de deux façons différentes. Il était encore un héros.

Et il était encore un démon, buveur de sang. Comment pouvait-elle gérer cela ? Une partie d’elle était horrifiée, mais une autre partie d’elle voulait lui tendre la main et lui dire qu’il n’était pas si mal pour un… vampire.

Elle poussa un gémissement intérieur et réalisa qu’il n’avait pas besoin d’être réconforté. Il avait dix femmes vampires à la maison pour lui tenir compagnie les nuits où il se sentait seul. Onze femmes, en comptant Simone.

Il ouvrit la porte qui donna sur un vestibule faiblement éclairé.

Elle pouvait voir l’expression sur son visage pour la première fois depuis leur départ de la salle de danse. Il semblait pâle. Tendu. En colère.

— Si vous voulez bien me suivre, s’il vous plaît.

Il marcha vers le hall.

Shanna s’avança lentement vers lui.

— Où me conduisez-vous ?

Elle regarda fixement la porte. Le vestibule était vide.

Il ne répondit pas. Il ne la regarda pas. Au lieu de cela, il examina le vestibule, comme s’il s’attendait à ce que des types mal intentionnés apparaissent d’un moment à l’autre. Ils pouvaient apparaître n’importe quand grâce au pouvoir de la téléportation.

Roman avait raison. Son seul espoir de survivre aux intentions meurtrières d’un vampire était de pouvoir compter sur l’aide d’un autre vampire. Lui.

— C’est bien. Allons-y.

Elle le suivit dans le hall.

Il marcha avec raideur vers un ascenseur, et sa cape flottait derrière lui.

— Il y a une chambre souterraine ici, à Romatech, une chambre aux murs totalement tapissés d’argent. Aucun vampire ne peut se téléporter à travers ses murs. Vous serez en sécurité à cet endroit.

— Oh.

Shanna se tenait devant l’ascenseur, et regardait fixement le bouton qui la conduirait vers le bas.

— Je suppose que l’argent est votre kryptonite ?

— Oui.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Roman empêcha les portes de se refermer, et fit un signe à Shanna pour que cette dernière ose y entrer. Elle hésita.

Sa mâchoire se serra.

— Vous devez avoir confiance en moi.

— Je sais. J’essaye. Est-ce la raison pour laquelle vous m’aviez donné ce crucifix en argent ? Pour me protéger des vampires russes ?

— Oui.

Une expression de douleur apparut sur son pâle visage.

— Et de moi.

Sa bouche s’ouvrit. Avait-il eu envie de la mordre ?

Ses yeux se plissèrent.

— Est-ce que vous venez ?

Elle avala difficilement sa salive. Quels étaient ses choix ? Elle marcha donc à l’intérieur de l’ascenseur.

Il lâcha les portes, qui se fermèrent dans un sifflement. Elle était loin de lui, et regardait fixement les boutons.

« C’est encore le même homme que tu as connu auparavant.

C’est encore le même homme. »

— Vous n’avez plus confiance en moi, n’est-ce pas ?

Elle prit une respiration chancelante.

— J’essaye.

Il lui lança des regards noirs.

— Je ne pourrai jamais vous faire de mal.

Un éclat de colère remonta à la surface.

— Vous m’avez blessée, Roman. Vous avez eu l’impudence…

de me courtiser et de m’embrasser alors que vous avez dix maîtresses en résidence. Et ensuite, comme si ce n’était pas suffisant, je découvre que vous êtes un… un…

— Un vampire.

— Une créature démoniaque qui a déjà pensé à me mordre.

Il se tourna vers elle. Ses yeux s’obscurcirent et prirent une teinte dorée foncée.

— Je savais que cela arriverait. Vous voulez maintenant me tuer, n’est-ce pas ?

Shanna cligna des yeux. Le tuer ?

— Un pieu de bois ou une lame d’argent en plein cœur, et vous serez débarrassée de moi.

Il marcha vers elle et pointa du doigt contre sa poitrine.

— C’est ici que se trouve mon cœur, ou plutôt ce qu’il en reste.

Elle regarda fixement sa large poitrine. Bon Dieu, elle avait posé la tête à cet endroit. Elle l’avait même embrassé, et il avait eu un goût sucré et avait paru bien vivant. Comment pouvait-il être mort ?

Il prit sa main et la posa contre sa poitrine.

— C’est ici que vous devrez frapper. Allez-vous vous en rappeler ? Vous devriez attendre que je sois endormi. Je serai alors sans défense.

— Cessez cela.

Elle retira brusquement sa main de sa poitrine.

— Pourquoi ?

Il se pencha vers elle.

— Vous ne voulez pas tuer le démon suceur de sang de l’enfer ?

— Cessez cela ! Je ne pourrai jamais vous faire de mal.

— Oh, mais vous l’avez déjà fait, Shanna.

Son souffle s’arrêta. Elle détourna le regard tandis que des larmes bien chaudes montaient à ses yeux. Les portes d’ascenseur s’ouvrirent. Il marcha avec raideur dans le vestibule ombragé.

Elle hésita. Comment devait-elle gérer cette situation ? Le fait que sa vie était en danger n’était pas suffisant ? Son cœur lui faisait toutefois mal pour une raison totalement différente. Elle essayait de comprendre, d’accepter la vérité à propos de Roman. Elle se souciait réellement de lui, mais elle ne faisait qu’aggraver les choses. Elle le blessait, alors qu’il essayait de l’aider. Mais merde ! Il la blessait, lui aussi. Elle avait cru qu’il était l’homme parfait.

Comment pouvait-elle avoir une relation quelconque avec lui, maintenant ?

Et il n’avait pas besoin d’elle. Il avait dix femmes de sa propre race à la maison. Elles le connaissaient probablement depuis une centaine d’années. Elle ne le connaissait que depuis quelques jours.

Comment pouvait-elle rivaliser avec ça ? Elle marcha dans le vestibule en se traînant les pieds.

Il se tenait face à une porte massive, et il entra un code sur le pavé numérique.

— Est-ce qu’il s’agit de la chambre tapissée d’argent ?

— Oui.

Il appuya son front contre un dispositif. Un rayon rouge balaya ses yeux. Il ouvrit la lourde porte de métal et lui fit signe d’entrer.

— Vous serez en sécurité ici.

Elle entra dans la chambre. C’était un appartement miniature complet avec un lit et une cuisine. Elle découvrit une salle de bains par une porte ouverte. Elle laissa tomber ses sacs sur la table de cuisine, et remarqua alors que Roman était entré dans la pièce et qu’il avait retiré sa cape. Il l’avait enroulé sur ses mains.

— Que faites-vous ?

— Ce côté de la porte est tapissé avec de l’argent. Cela brûlerait ma peau.

Il se servit de la cape comme isolant, et ferma la porte. Il tourna ensuite le verrou, puis glissa une lourde barre en place.

— Allez-vous rester ici avec moi ?

Il la regarda.

— Avez-vous peur que je vous morde ?

— Enfin, peut-être. Vous allez nécessairement avoir faim un moment donné.

— Je ne m’alimente plus aux cous des mortels, dit-il en serrant les dents.

Il marcha vers la cuisine, sortit une bouteille du réfrigérateur et la glissa dans le four à micro-ondes.

Il avait donc faim, réalisa Shanna avec une grimace. Ou peut-

être mangeait-il lorsqu’il était contrarié. Comme elle. D’une façon ou d’une autre, une discussion sur le fait de manger ses émotions ne lui semblait pas sage à l’heure actuelle. Elle préférait vraiment attendre qu’il soit complètement rassasié.

Des souvenirs de la cuisine chez Roman ressurgirent dans son esprit. Connor tentant de l’éloigner du réfrigérateur. Connor et Ian réchauffant leur « boisson protéinée » dans le four à micro-ondes.

Les femmes du harem buvant une substance rouge dans leurs verres à vin. Bon Dieu, elle avait eu tout cela devant les yeux depuis le début. La canine de loup. Les cercueils au sous-sol. Roman dormant comme un mort dans sa chambre à coucher. Il avait vraiment été mort. Il était encore mort, même s’il marchait et parlait. Et embrassait comme un… un démon.

— Je n’arrive pas à croire ce qui est en train de m’arriver.

Elle se percha sur le bord du lit. C’était tout de même en train de lui arriver. Tout était vrai.

Le four à micro-ondes sonna. Roman retira la bouteille, puis se remplit un verre avec du sang chaud. Shanna frissonna.

Il prit une petite gorgée avant de se tourner pour lui faire face.

— Je suis le maître d’une bande de vampires. Cela signifie que je suis personnellement responsable de la sécurité des membres de ma bande. En vous protégeant, j’ai éveillé l’hostilité d’un vieil ennemi, Ivan Petrovsky. C’est le vampire russe qui veut vous tuer, et il pourrait déclarer la guerre à ma bande de vampires.

Il se dirigea vers un fauteuil et déposa sa boisson sur la petite table adjacente. Il glissa le bout de son doigt sur le bord du verre.

— Je regrette de ne pas vous avoir tout raconté, mais à l’époque, je pensais qu’il était préférable de vous maintenir dans l’ignorance autant que possible.

Shanna ne savait pas quoi répondre, alors elle demeurait assise là, à le regarder, pendant qu’il s’affalait dans le fauteuil. Il tira sur son nœud papillon jusqu’à ce que la bande de soie noire soit démêlée. Il semblait si normal et vivant en parlant ainsi des gens envers qui il se sentait responsable. Il inclina la tête, appuya son front sur sa main et le frotta. Il semblait fatigué. Après tout, il était responsable d’une grande entreprise, et avait apparemment un grand nombre de disciples.

Et ces disciples étaient maintenant en danger à cause d’elle.

— La protection que vous m’avez offerte vous a causé beaucoup d’ennuis.

— Non.

Il changea de position dans son fauteuil et la regarda.

— L’animosité qui règne entre Petrovsky et moi remonte à des centaines d’années. Et le fait de vous protéger m’a apporté une joie que je n’avais pas ressentie depuis une très longue période de temps.

Elle avala sa salive avec difficulté tandis que de nouvelles larmes lui montaient aux yeux. Dieu savait à quel point elle avait également adoré les moments qu’ils avaient passés ensemble. Elle aimait le faire rire. Elle aimait être dans ses bras. Elle avait aimé tout ce qu’elle avait découvert de lui jusqu’à ce qu’elle découvre ses amantes en résidence.

Elle haleta quelque peu, et se rendit compte que la principale source de sa colère et de sa frustration était encore centrée sur son harem. Elle pouvait comprendre pourquoi il ne lui avait pas dit qu’il était un vampire. Qui voudrait admettre être un démon ? Qui plus est, il n’avait pas que lui-même à protéger. Il avait une bande de vampires tout entière à protéger. Sa réticence à se confier à elle était compréhensible. Et pardonnable.

Et le fait qu’il était un démon semblait pouvoir être interprété.

Après tout, il sauvait des millions de vies humaines chaque jour avec son sang synthétique. Et il protégeait la Vie d’autres humains en offrant aux vampires une autre source d’alimentation. Elle savait dans son cœur qu’il n’y avait rien de maléfique chez Roman.

Autrement, elle n’aurait jamais été aussi attirée envers lui.

Le problème était vraiment son harem. Bon Dieu, elle était prête à tout lui pardonner, sauf ça. Pourquoi le harem lui restait-il en travers de la gorge ? Elle ferma les yeux au moment où les larmes menaçaient de déborder. C’était de la jalousie pure et simple. Elle le voulait pour elle, rien que pour elle.

Il était cependant un vampire. Elle ne pourrait jamais l’avoir.

Elle jeta un coup d’œil dans sa direction. Il l’observait encore, mais il le faisait maintenant en buvant de petites gorgées de sang.

Merde alors. Que pouvait-elle bien lui dire ? Elle cligna des yeux pour repousser ses larmes et s’arma de courage.

— C’est une très belle pièce. Pourquoi l’avez-vous construite ?

— J’ai survécu à quelques tentatives d’assassinat. Angus MacKay a conçu cette pièce afin qu’elle me serve de refuge contre les Mécontents.

— Les Mécontents ?

— C’est ainsi que nous les appelons. Eux, ils se nomment les

« Vrais », mais ils ne sont réellement guère plus que des terroristes.

Ils ont fondé une société secrète, et ils croient en leur droit satanique de s’alimenter auprès des mortels.

Roman souleva son verre.

— Selon eux, le fait de boire ce sang synthétique est une abomination.

— Oh. Et puisque vous l’avez inventé, ils ne vous aiment pas vraiment.

Il sourit légèrement.

— Non. Et ils se fichent bien de Romatech également. Ils nous ont lancé plusieurs grenades dans le passé. C’est pourquoi j’ai autant de sécurité ici qu’à la maison.

Des gardes vampires chargés de la sécurité, qui dormaient dans un dortoir rempli de cercueils. Shanna referma ses bras contre elle tandis qu’elle laissait cette nouvelle réalité s’installer. Roman but sa boisson, puis marcha vers la cuisinette. Il rinça son verre et le déposa dans l’évier.

— Vous me dites donc qu’il y a deux sortes de vampires, soit les Mécontents, les méchants qui s’alimentent encore auprès des mortels, et les bons gars comme vous.

Roman appuya ses paumes sur le comptoir de marbre, lui tournant ainsi le dos. Il semblait parfaitement immobile, même si elle devinait qu’il respirait rapidement, luttant contre un genre de démon intérieur. Lui-même.

Il donna subitement un coup de poing contre le comptoir de marbre, ce qui la fit sursauter. Il se retourna pour lui faire face. Son visage était dur, et ses yeux, luisants. Il marcha vers elle.

— Ne faites jamais l’erreur de penser que je suis bon. J’ai commis plus de crimes que vous ne pouvez l’imaginer. J’ai assassiné des gens de sang-froid. J’ai transformé des centaines de mortels en vampires. J’ai condamné leurs âmes immortelles à une éternité en enfer !

Shanna demeura immobile, secouée dans le plus profond d’ellemême, figée par l’intensité de ses yeux. Un meurtrier. Un fabricant de vampires. Bon Dieu, s’il a voulu l’effrayer, c’était tout à fait réussi.

Elle bondit sur ses pieds et se précipita vers la porte. Elle avait ouvert deux verrous avant qu’il n’arrive et la saisisse par-derrière.

— Merde ! Non !

Il la poussa de côté et replaça le premier verrou. Il prit une inspiration sifflante, puis retira sa main de la porte.

Shanna vit les brûlures se former sur le bout de ses doigts, et sentit l’odeur épouvantable de la chair brûlée.

— Qu’est-ce que… ?

Il serra les dents, et tendit la main vers le deuxième verrou.

— Arrêtez !

Elle repoussa sa main et replaça elle-même le verrou. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ?

Il posa sa main blessée contre sa poitrine, et son visage était pâle de douleur.

— Vous vous êtes brûlé, chuchota-t-elle.

Était-il si désespéré de veiller à sa sécurité ? Elle tendit la main vers la sienne.

— Laissez-moi voir.

Il recula.

— Elle guérira pendant mon sommeil.

Il lui lança un regard furieux.

— Ne refaites pas ça. Vous pourriez parvenir à ouvrir la porte, mais je vous rattraperais rapidement.

— Vous n’avez pas à me faire sentir comme si j’étais une prisonnière.

Il marcha vers le réfrigérateur et ramassa quelques cubes de glace.

— Vous êtes sous ma protection.

— Pourquoi ? Pourquoi êtes-vous si déterminé à me protéger ?

Il se tenait devant l’évier, et frottait un glaçon sur ses doigts brûlés. Shanna décida finalement qu’il n’allait pas lui répondre. Elle marcha vers le lit en se traînant les pieds.

— Vous êtes spéciale, dit-il tout doucement.

Elle s’immobilisa près du lit. Spéciale ? Elle ferma les yeux.

Dieu que cet homme lui faisait mal au cœur. Malgré tout, elle avait envie de le tenir dans ses bras et de le consoler.

— Vous pourriez me tuer, et la mafia russe vous verserait probablement la prime.

Il jeta la glace dans l’évier.

— Je ne pourrai jamais vous faire de mal.

Pourquoi diable avait-il voulu qu’elle sache qu’il avait été capable du pire ? Il s’était décrit comme étant maléfique. Elle s’assit lourdement sur le lit. Oh Dieu, était-ce ainsi qu’il se percevait ?

Comme une créature détestable et maléfique ? Pas étonnant qu’il ait tant souffert et enduré autant de douleurs et de remords.

— Depuis quand êtes-vous un… ?

— Un vampire ?

Il se tourna pour lui faire face.

— Dites-le, Shanna. Je suis un vampire.

Ses yeux s’embuèrent.

— Je ne veux pas. Ça ne vous convient pas.

Il la considéra tristement.

— J’ai aussi vécu une période de déni, que j’ai finalement surmontée.

— Comment ?

Sa bouche devint toute mince.

— J’ai eu faim.

Shanna trembla.

— Vous vous êtes nourri d’humains.

— Oui. Jusqu’à ce que j’invente le sang synthétique. La mission de Romatech est de rendre le monde sécuritaire pour les vampires et les mortels.

Elle le savait. Elle le savait que c’était un homme bon, même s’il ne pouvait pas le voir lui-même.

— Que pouvez-vous faire d’autre ? Je veux dire, mis à part vous téléporter ou cuire sur un plateau d’argent.

Ses yeux s’adoucirent.

— Mes sens sont plus efficaces. Je peux entendre de très loin et voir dans l’obscurité. Je peux aussi vous sentir, et détecter que votre sang est du type A positif.

Le coin de sa bouche bougea légèrement.

— Ma saveur préférée.

Shanna tressaillit.

— Dans ce cas, n’hésitez pas à utiliser le réfrigérateur.

Il sourit.

Merde alors, il était trop beau pour être un démon.

— Quoi d’autre ? Ah oui, vous pouvez vous déplacer plus vite qu’une balle de fusil.

— Seulement quand je le souhaite. Il est préférable de prendre son temps pour certaines choses.

Elle déglutit. Est-ce qu’il la courtisait ?

— Est-ce que vous vous transformez en chauve-souris, pour ensuite voler dans les airs ?

— Non. C’est une vieille superstition. Nous ne pouvons pas changer de forme ni voler, mais nous pouvons léviter.

— Ne devez-vous pas retourner à votre fête ? Et vos amis ?

Il haussa les épaules, puis s’appuya sur le comptoir.

— Je préférerais rester ici avec vous.

Et maintenant, la question qui tue.

— Avez-vous voulu devenir un vampire ?

Il se raidit.

— Non, bien sûr que non.

— Comment est-ce arrivé ? Avez-vous été attaqué ?

— Les détails ne sont pas importants.

Il se dirigea vers le fauteuil.

— Vous ne voulez pas les entendre.

Elle respira à fond.

— Oui, je le veux. Je veux tout savoir.

Il sembla incertain pendant qu’il déboutonnait sa veste.

— C’est une longue histoire.

— Allez-y.

Elle tenta de lui faire un sourire narquois.

— Je suis un public captif.

Dix-sept

Roman s’adossa à son fauteuil et regarda fixement le plafond. Il avait de sérieux doutes à propos de cette révélation. La dernière fois qu’il avait raconté cette histoire à une femme, elle avait ensuite voulu le tuer.

Il prit une grande inspiration, puis commença.

— Je suis né dans un petit village de Roumanie, en l’an 1461.

J’avais deux frères et une petite sœur.

Il tenta de faire apparaître leurs visages dans sa mémoire, mais ses souvenirs étaient trop vagues. Il avait passé très peu de temps avec eux.

— Oh ! dit Shanna en soufflant fort. Vous avez plus de 500 ans !

— Merci de me le rappeler.

— Continuez, insista-t-elle. Qu’est-ce qui est arrivé à votre famille ?

— Nous étions pauvres. Les temps étaient difficiles.

Le clignotant lumineux rouge dans le coin au-dessus du lit attira son attention. La caméra de surveillance numérique fonctionnait. Il fit un geste dans les airs, et la lumière rouge fut éteinte.

Il poursuivit son histoire.

— Ma mère est morte en couches quand j’avais quatre ans. Puis, ma sœur mourut. Elle avait seulement deux ans.

— Je suis sincèrement désolée.

— Quand j’ai eu cinq ans, mon père m’a emmené dans un monastère de la région et me laissa là. J’ai toujours cru qu’il reviendrait me chercher. Je savais qu’il m’aimait. Il m’a fait une très grosse caresse avant de partir. J’ai refusé de dormir sur la paillasse que les moines m’avaient donnée. Je n’arrêtais pas de dire que mon père reviendrait.

Il se frotta le front.

— Les moines en ont finalement eu assez de m’entendre me plaindre, et ils me dirent la vérité. Mon père m’avait vendu, et ils étaient les acheteurs.

— Oh non. C’est épouvantable.

— J’ai tenté de me consoler en pensant que mon père et mes frères allaient bien et mangeaient comme des rois avec tout l’argent que j’avais pu leur rapporter, mais la vérité est que j’avais été vendu contre un sac de farine.

— C’est terrible ! Ils devaient vraiment être désespérés.

— Ils étaient affamés.

Roman soupira.

— J’avais l’habitude de me demander pourquoi mon père avait choisi de se séparer de moi en particulier.

Shanna se pencha vers l’avant.

— C’est ainsi que je me suis sentie lorsque ma famille m’a envoyée dans une école privée avec internat. Je n’ai jamais cessé de penser qu’ils étaient en colère contre moi, mais je ne pouvais comprendre ce que j’avais pu faire de mal.

— Je suis sûr que vous n’avez rien fait de mal.

Roman croisa son regard.

— Les moines découvrirent que j’aimais apprendre et qu’il était facile de m’enseigner. Le père Constantine m’a dit que c’était la raison pour laquelle mon père m’avait choisi. Il avait compris qu’entre mes frères et moi, j’étais celui qui était le plus doué sur le plan intellectuel.

— Vous voulez dire que vous avez été punis parce que vous étiez le plus intelligent.

— Je n’appellerais pas ça une punition. Le monastère était propre, et nous n’avions pas froid. Nous n’avons jamais souffert de la faim. À mon douzième anniversaire, mon père et mes frères étaient tous morts.

— Mince alors. Je suis désolée.

Shanna agrippa un oreiller près de la tête du lit et le glissa sous ses genoux.

— Les membres de ma famille sont encore en vie, Dieu merci, mais je sais ce que c’est de les perdre.

— Le père Constantine était le guérisseur du monastère, et il est devenu mon mentor. J’ai tout appris ce que je pouvais apprendre auprès de lui.

— Il a dit que j’avais un don pour la guérison.

Roman fronça les sourcils.

— Un don de Dieu.

— Vous êtes donc devenu un docteur, en quelque sorte.

— Oui. Je n’ai jamais douté de ce que je voulais faire de ma vie.

J’ai prononcé mes vœux à l’âge de 18 ans, et je suis devenu un moine. J’ai juré de soulager la souffrance de l’humanité.

La bouche de Roman se déforma.

— Et j’ai juré de rejeter Satan et tous ses aspects maléfiques.

Shanna étreignit l’oreiller contre sa poitrine.

— Qu’est-il ensuite arrivé ?

— Le père Constantine et moi voyagions d’un village à un autre, faisant tout ce que nous pouvions pour guérir les malades et atténuer les souffrances. Il n’y avait pas beaucoup de médecins à l’époque, surtout pour les pauvres, alors nous étions vraiment demandés. Nous travaillions de longues heures, et ce n’était pas de tout repos. Le père Constantine devint trop âgé et frêle pour continuer ainsi. Il demeura donc au monastère, et l’on m’autorisa à faire ce travail en solitaire. Ce fut peut-être une erreur.

Roman sourit avec une ironie désabusée.

— Je n’étais vraiment pas aussi intelligent que je pensais l’être.

Et sans le père Constantine pour me guider et me donner de sages conseils…

Roman ferma les yeux, et se remémora brièvement le visage ridé et hâlé de son père adoptif. Parfois, quand il était seul dans l’obscurité, il pouvait presque entendre la douce voix du vieil homme. Le père Constantine lui donnait toujours de l’espoir et des encouragements, et ce, même lorsqu’il n’était qu’un jeune enfant effrayé. Et Roman l’avait aimé pour cela.

Une image fut brièvement projetée dans son esprit. Le monastère en ruines. Les cadavres de tous les moines répandus dans les décombres. Le père Constantine déchiré en morceaux.

Roman couvrit son visage pour essayer de chasser ces souvenirs.

Comment pouvait-il ? Il avait semé la mort et la destruction sur eux.

Dieu ne pourrait jamais lui pardonner.

— Est-ce que ça va ? demanda doucement Shanna.

Roman fit glisser ses mains de son visage et prit une inspiration chancelante.

— Où en étais-je ?

— Vous étiez un docteur sur la route.

L’expression de sympathie qu’il pouvait lire sur le visage de Shanna rendait difficile le fait de demeurer en contrôle, alors il préféra détourner son regard et fixer le plafond.

— J’ai voyagé bien loin dans des régions qui forment maintenant la Hongrie et la Transylvanie. J’ai fini par me lasser des attributs de moine. Ma tonsure finit par disparaître. Mes cheveux allongèrent. Je continuai cependant de respecter mes vœux de pauvreté et de célibat, de sorte que j’étais convaincu d’être juste et bon. Dieu était à mes côtés. Les nouvelles de mes capacités de guérisseur me précédaient, et j’étais accueilli dans chaque village en tant qu’invité d’honneur. Et même comme un héros.

— C’est bien.

Il secoua la tête.

— Non, ça ne l’était pas. J’avais juré de rejeter le mal, mais j’ai lentement succombé à un péché mortel. Je suis devenu orgueilleux.

Elle grogna légèrement.

— Qu’y a-t-il de mal à être fier de son travail ? Vous sauviez des vies, n’est-ce pas ?

— Non. Dieu les sauvait à travers moi. J’avais oublié de faire la distinction. Ce fut alors trop tard, et j’ai été maudit pour toute l’éternité.

Elle lui lança un regard perplexe en étreignant l’oreiller.

— J’avais 30 ans lorsque j’entendis parler de certaines rumeurs à propos d’un village en Hongrie. Les gens mouraient un à un, et personne ne savait pourquoi. J’avais eu un certain succès avec la peste en faisant appliquer de strictes mesures de quarantaine et des règles de propreté. Je… je croyais pouvoir aider ce village.

— Vous y êtes donc allé.

— Oui. Mon orgueil m’avait conduit à penser que je serais leur sauveur. Mais à mon arrivée, j’ai découvert que le village n’était pas la proie d’une maladie, mais bien d’affreuses créatures meurtrières.

— Des vampires ? chuchota-t-elle.

— Ils avaient pris possession d’un château et s’alimentaient des gens du village. J’aurais dû demander l’aide de l’église, mais dans ma vanité, j’ai pensé que je pourrais les vaincre moi-même. Après tout, j’étais un homme de Dieu.

Il se frotta le front, tentant d’effacer la honte et l’horreur de sa chute.

— J’avais tort. Sur les deux aspects.

Elle tressaillit.

— Ils vous ont attaqué ?

— Oui, mais ils ne m’ont pas laissé mourir comme les autres. Ils m’ont transformé en un des leurs.

— Pourquoi ?

Roman adopta un ton dédaigneux.

— Pourquoi pas ? J’étais devenu un projet à leurs yeux.

Transformer un homme de Dieu en un démon de l’enfer ? C’était un jeu pervers pour eux.

Shanna frissonna.

— Je suis réellement désolée.

Roman leva les mains.

— C’est du passé. C’est vraiment une histoire pathétique. Un prêtre si centré sur son propre orgueil, que Dieu a jugé qu’il était acceptable de l’abandonner.

Elle se leva, les yeux remplis de douleur.

— Vous pensez que Dieu vous a abandonné ?

— Bien sûr. Vous l’avez dit vous-même. Je suis un suceur de sang de l’enfer.

Elle grimaça.

— J’ai parfois tendance à être quelque peu dramatique. Je connais maintenant la vérité. Vous essayiez d’aider les gens quand des types mal intentionnés vous ont attaqués. Vous n’avez pas souhaité cela davantage que je ne l’ai fait auprès de la mafia russe lorsqu’ils nous ont attaqués, Karen et moi.

Ses yeux étaient luisants d’humidité tandis qu’elle s’approchait lentement de lui.

— Karen n’a pas demandé à mourir. Je n’ai pas demandé à perdre ma famille ou à passer ma vie à être la proie de tueurs. Et vous n’avez pas demandé à devenir un vampire.

— J’ai eu ce que je méritais. Et je suis devenu aussi mal intentionné qu’eux, comme vous dites. Vous ne pouvez pas me rendre bon, Shanna. J’ai fait des choses épouvantables.

— Je… je suis sûre que vous aviez vos raisons.

Il se pencha vers l’avant, et posa ses coudes sur ses genoux.

— Essayez-vous de me disculper ?

— Oui.

Elle s’arrêta près de son fauteuil.

— De mon point de vue, vous êtes toujours le même homme.

Vous avez inventé le sang synthétique pour que les vampires n’aient pas à s’alimenter auprès des humains, c’est bien ça ?

— Oui.

— Vous ne le voyez donc pas ?

Elle s’agenouilla à côté de lui afin de voir son visage.

— Vous essayez encore de sauver des vies.

— Cela compense à peine les vies que j’ai détruites.

Elle le regarda tristement avec des larmes dans les yeux.

— Je crois qu’il y a du bon en vous, et ce, même si vous ne pouvez pas y croire.

Il avala difficilement sa salive, puis cligna des yeux afin que ceux-ci ne s’emplissent pas de larmes. Pas étonnant qu’il ait ainsi besoin de Shanna. Pas surprenant qu’il se soucie autant d’elle.

Après 500 ans de désespoir, elle avait touché son cœur et planté une graine d’espoir qui n’avait jamais existé auparavant.

Il se leva et la prit dans ses bras. Il la tint fermement et ne voulait pas la laisser aller. Sang de Dieu, il ferait n’importe quoi pour être l’homme qu’elle voyait en lui. Il ferait n’importe quoi pour être digne de son amour.

Ivan sourit à Angus MacKay. L’Écossais costaud marchait à pas mesurés devant lui, en lui lançant des regards noirs, comme si ces quelques regards féroces avaient vraiment le pouvoir de l’effrayer.

Les Highlanders les avaient entourés dès qu’Ivan et ses disciples étaient entrés dans la salle de danse. Ivan, Alek, Katya, et Galina furent escortés dans un coin éloigné, et on leur dit de s’asseoir. Ivan fit un signe de la tête à ses disciples, leur faisant comprendre qu’ils n’allaient pas offrir de résistance. Ivan s’assit à son aise dans le coin entre ses compagnons. Les Écossais se positionnèrent devant eux, chacun d’eux caressant du doigt le fourreau de cuir qui contenait leurs poignards plaqués en argent, et semblant désireux de les utiliser.

La menace était claire. Un coup au cœur, et la longue existence d’Ivan serait terminée. La menace ne l’effrayait pas, car Ivan et ses acolytes savaient qu’ils pouvaient se téléporter de l’édifice à leur convenance. Pour l’instant, il avait bien trop de plaisir à s’amuser avec ces présumés ravisseurs.

Angus MacKay marcha dans les deux sens devant ses hommes.

— Dites-moi, Petrovsky, que venez-vous faire ici, ce soir ?

— J’ai été invité.

Il glissa sa main sous sa ceinture.

Tous les Highlanders s’avancèrent d’un pas menaçant à l’unisson.

Ivan sourit.

— Je tente seulement de mettre la main sur mon invitation.

Angus croisa les bras.

— Allez-y.

— Vos hommes sont un peu nerveux, observa sèchement Ivan.

Il y a sans doute un lien avec le fait qu’ils portent ces jupes.

Un grondement sourd émana des Highlanders.

— Laissez-moi embrocher ce bâtard, murmura l’un d’eux.

Angus leva une main.

— Quand le moment sera venu. Pour l’instant, nous n’avons pas terminé notre petite séance de bavardage.

Ivan retira le carton de sa ceinture et le déplia. La bande de cellophane reliant les deux moitiés du carton brillait sous l’effet des lumières du plafond.

— Voici notre invitation. Comme vous pouvez le constater, nous avons quelque peu hésité, mais mes femmes m’ont finalement convaincu que nous pourrions faire la… boum.

— Exactement.

Katya changea de position dans sa chaise et croisa les jambes, de sorte que tous purent voir sa jambe et sa hanche nues.

— Je voulais seulement m’amuser un peu.

MacKay haussa un sourcil.

— Qu’est-ce que vous entendez par « vous amuser un peu » ?

Avez-vous l’intention de tuer quelqu’un ce soir ?

— Est-ce que vous êtes toujours aussi grossier avec vos invités ?

Ivan laissa tomber son invitation sur le plancher et jeta un coup d’œil à sa montre. Ils étaient arrivés depuis une quinzaine de minutes. Vladimir avait sans doute eu le temps de localiser les réserves de sang synthétique. Les Vrais étaient sur le point de frapper un grand coup.

MacKay se dressa de manière imposante devant lui.

— Vous ne cessez de regarder votre montre. Donnez-la-moi.

— Vous avez déjà vidé mes poches. Seriez-vous une bande de voleurs ?

Ivan ne se pressa pas pour retirer sa montre. MacKay savait qu’il tramait quelque chose. Il avait seulement besoin de gagner du temps. Ivan poussa un soupir résigné, puis déposa la montre dans la main de MacKay.

— C’est une montre ordinaire, vous savez. Je ne cessais de la regarder, car cette fête est horriblement ennuyeuse jusqu’à maintenant.

— C’est bien vrai.

Galina fit une moue.

— Personne n’a encore dansé avec moi.

MacKay remit la montre à un de ses hommes.

— Examinez-la.

Ivan inclina la tête et remarqua que le maître de la bande de vampires de France venait d’entrer dans la salle de danse avec un autre Highlander.

La plupart des invités se retournèrent pour admirer le Français tandis qu’il traversait la pièce sans se presser. Jean-Luc Écharpe.

Quelle excuse pathétique pour un vampire ! Au lieu de s’alimenter auprès des mortels, cet idiot de Français les habillait. Et il en devenait fort riche.

Ivan inclina brusquement sa tête sur le côté, faisant craquer son cou avec force. Tout le monde l’entendit. Les invités avaient maintenant les yeux rivés sur lui. Ivan sourit.

Angus MacKay lui lança un regard curieux.

— Qu’est-ce qui ne va pas, Petrovsky ? Votre tête n’est pas correctement vissée ?

Les Highlanders rirent sous cape.

Le sourire d’Ivan s’effaça.

« Allez-y, riez, bande d’imbéciles. Rira bien qui rira le dernier lorsque les explosifs entreront en action. »

Shanna se raidit dans les bras de Roman. Elle avait voulu lui donner du réconfort, mais maintenant qu’il la tenait contre lui, elle était quelque peu effrayée à l’idée d’être en train d’étreindre un vampire. Elle allait avoir besoin d’un peu de temps pour s’habituer à cela. Elle recula en glissant ses mains de ses épaules à sa poitrine.

Il la tenait encore faiblement, et il en profita pour étudier son visage.

— Vous avez un moment d’hésitation ? Vous n’avez pas décidé de me tuer, n’est-ce pas ?

— Non, bien sûr que non.

Elle regarda sa main droite, qui était appuyée contre sa poitrine.

Au-dessus de son cœur. La pensée d’un pieu le traversant à cet endroit était trop horrible à envisager.

— Je ne pourrai jamais vous…

Elle cligna des yeux et le regarda, sous le choc.

— Je peux sentir les battements de votre cœur.

— Oui. Il cessera toutefois de battre lorsque le soleil se lèvera.

— Je… je pensais…

— Que rien ne fonctionnait dans mon corps ? Je marche et je parle, n’est-ce pas ? Mon corps digère le sang que j’ai ingéré. Pour que mon cerveau fonctionne, il doit recevoir du sang et de l’oxygène. J’ai besoin d’air pour parler. Rien de cela ne serait possible si mon cœur ne battait pas pour acheminer du sang partout dans mon corps.

— Oh. Je pensais plutôt que les vampires…

— Étaient totalement morts ? Pas la nuit. Vous savez déjà que mon corps réagit à votre présence, Shanna. Vous l’avez su dès la première nuit alors que nous étions sur la banquette arrière de la voiture de Laszlo.

Son visage devint tout chaud et prit une teinte rosée. Sa grosse érection lui offrait une solide preuve que son corps fonctionnait bien une fois le soleil couché.

Il toucha sa chaude joue.

— J’ai eu envie de vous dès la première nuit.

Elle recula hors de sa portée.

— Nous ne pouvons pas…

— Je ne vous ferai jamais de mal.

— Pouvez-vous en être certain ? Avez-vous le contrôle complet de votre… ?

Sa mâchoire se serra.

— De mes impulsions diaboliques ?

— J’allais dire votre appétit…

Elle s’entoura de ses bras.

— Je… je me soucie de vous, Roman. Et je ne dis pas seulement cela pour vous remercier de m’avoir sauvée. Je me soucie vraiment de vous. Et je n’aime pas que vous ayez souffert depuis si longtemps…

— Alors, soyons ensemble.

Il tendit la main vers elle.

Elle recula.

— Comment le pourrais-je ? Même si je peux gérer le fait que vous êtes un… un vampire, vous avez encore ce harem à domicile.

— Ces femmes ne représentent rien pour moi.

— Elles représentent beaucoup pour moi ! Comment puis-je seulement ignorer le fait que vous baisez dix femmes, quand ça vous chante ?

Il tressaillit.

— J’aurais dû savoir que cela allait être un problème.

— Enfin, qu’espériez-vous ? Pourquoi diable avez-vous besoin d’autant de femmes ?

Oh, merde alors. Question stupide. N’importe quel homme sauterait sûrement sur l’occasion.

Il poussa un soupir, se retourna et marcha à pas mesurés vers la cuisinette. Il retira le nœud papillon qui était lâche autour de son col.

— C’est une ancienne tradition chez les maîtres de bande de vampires d’avoir un harem. Je n’ai pas le choix, je dois honorer cette tradition.

— Ouais, bien sûr.

Il se libéra du nœud papillon et le lança sur la table de cuisine.

— Vous ne comprenez pas la culture des vampires. Le harem est un symbole de la puissance et du prestige d’un maître de bande.

Sans mon harem, je n’aurais plus de respect. On se moquerait de moi.

— Oh, pauvre bébé ! Pris au piège contre votre gré par une vilaine tradition. Attendez une minute, je pense que cette triste réalité me fait monter les larmes aux yeux.

Shanna leva ses mains et attendit quelques secondes.

— Oh, non. Fausse alarme. Probablement des allergies.

Il fronça les sourcils.

— À mon avis, c’est sûrement une indigestion de sarcasmes.

Elle lui jeta un regard furieux.

— Comme c’est amusant. Excusez-moi de ne pas être en adoration devant vous comme les dix femmes de votre harem.

— Je ne voudrais pas qu’il en soit ainsi.

Elle croisa ses bras contre sa poitrine.

— C’est pourquoi je suis partie, vous savez. J’ai découvert que vous étiez un coureur de jupons.

Ses yeux lancèrent des éclairs.

— Et vous êtes…

Son expression fâchée se transforma lentement en un regard étonné.

— Vous êtes jalouse.

— Quoi ?

— Vous êtes jalouse.

Il sourit, puis retira sa veste avec le flair d’un matador victorieux avant d’en recouvrir le dossier d’une chaise.

— Vous êtes si jalouse que vous pouvez à peine le supporter.

Vous savez ce que cela signifie ? Cela signifie que vous me désirez.

— Cela signifie que je suis dégoûtée !

Shanna lui tourna le dos et se dirigea vers la porte. Qu’il aille au diable. Il était bien trop intelligent. Il savait qu’elle était attirée par lui. Mais un vampire avec un harem de dix femmes ? Si elle allait sortir avec un démon, il pourrait au moins lui être fidèle. Bon Dieu.

Elle ne pouvait pas croire qu’elle se retrouvait dans une situation aussi fâcheuse.

— Je devrais peut-être communiquer avec le ministère de la Justice demain matin.

— Non. Ils ne peuvent pas vous protéger comme je le peux. Ils ne savent même pas à quel genre d’ennemi ils ont affaire.

C’était vrai. Sa meilleure chance de survie était sûrement Roman. Elle s’appuya contre le mur à côté de la porte.

— Si je reste avec vous, ça ne sera que provisoire. Nous ne pouvons avoir de relations.

— Oh. Vous ne voulez pas m’embrasser de nouveau ?

Il la regarda si attentivement qu’elle en était gênée.

— Non.

— Aucun contact ?

— Non.

Les battements de son cœur s’accélérèrent.

— Vous savez que j’ai envie de vous.

Elle avala difficilement sa salive.

— Ça n’arrivera pas. Vous avez un harem entier pour vous satisfaire. Vous n’avez pas besoin de moi.

— Je ne les ai jamais touchées intimement.

Qui tentait-il de duper ? Voyons. C’était vraiment quelque chose de ridicule à dire.

— Ne me prenez pas pour une idiote.

— Je suis sérieux. Je n’ai jamais partagé le lit d’une de ces femmes.

La colère gronda en elle.

— Ne me mentez pas. Je sais que vous avez eu des relations sexuelles avec elles. Elles parlaient du fait qu’elles s’ennuyaient de vous, que ça faisait longtemps.

— Justement. Ça fait très longtemps.

— Alors, vous l’admettez. Vous avez eu des relations sexuelles avec elles.

— Du sexe de vampire.

— Pardon ?

— C’est un simple exercice mental. Nous ne sommes même pas dans la même pièce.

Il haussa les épaules.

— Je fixe simplement des sentiments et des sensations dans leurs esprits.

— Vous voulez dire qu’il s’agit d’un genre de télépathie mentale ?

— C’est le contrôle de l’esprit. Les vampires s’en servent pour manipuler les mortels ou pour communiquer entre eux.

Manipuler des mortels ?

— C’est de cette façon que vous m’avez convaincue de réimplanter votre dent ?

Elle tressaillit.

— Je veux dire, votre canine. Vous m’avez dupée.

— Je devais vous persuader qu’il s’agissait d’une dent ordinaire. Je regrette de ne pas avoir été totalement honnête, mais je n’avais pas tellement le choix.

Il avait un point. Elle n’aurait pas voulu l’aider si elle avait su la vérité.

— Vous n’avez donc réellement pas eu de reflet dans le miroir dentaire.

Ses sourcils s’arquèrent.

— Vous vous en souvenez ?

— Un peu, oui. Avez-vous toujours l’attelle dans votre bouche ?

— Non. J’ai demandé à Laszlo de la retirer la nuit dernière.

J’étais vraiment inquiet à votre sujet, Shanna. Je pouvais à peine fonctionner sans vous. Je tentais de vous joindre mentalement, en espérant que nous avions encore un lien.

Elle déglutit et se souvint d’avoir entendu sa voix dans son sommeil.

— Je… je ne suis pas tellement à l’aise avec l’idée que vous puissiez envahir ma tête chaque fois que bon vous semble.

— Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter à ce sujet. Vous avez un esprit incroyablement fort. Je ne peux investir votre esprit que si vous me laissez entrer.

— Je suis capable de vous bloquer ?

C’était une bonne nouvelle.

— Oui, mais lorsque vous me laissez entrer, notre lien est plus fort que tout ce que j’ai pu connaître auparavant.

Il marcha vers elle, et ses yeux luisaient.

— Nous pourrions être si bien ensemble.

Oh mon Dieu.

— Ça n’arrivera pas. Vous avez déjà admis avoir eu des relations sexuelles avec dix autres femmes.

— Du sexe de vampire. C’est une expérience impersonnelle.

Chaque participant est seul dans son lit.

Participant ? Comme une équipe de footballeurs, faisant avancer le ballon sur le terrain ?

— Êtes-vous en train de me dire que vous le faites avec les dix en même temps ?

Il haussa les épaules.

— C’est la méthode la plus efficace pour qu’elles soient toutes satisfaites.

— Oh mon Dieu.

Shanna porta la main à son front.

— Du sexe en chaîne de montage. Vous rendriez Henry Ford bien fier.

— Vous pouvez en rire, mais pensez-y un instant.

Il la fixa d’un regard intense.

— Toutes les sensations du toucher et du plaisir sont enregistrées dans votre esprit. Votre cerveau contrôle votre respiration, vos battements cardiaques. C’est la partie du corps la plus érotique que nous ayons.

Elle sentit soudainement une forte envie de presser ses cuisses ensemble.

— Et alors ?

Le coin de sa bouche se souleva. Ses yeux brillaient avec plus de chaleur. On aurait dit de l’or fondu.

— Cela peut être extrêmement satisfaisant.

Maudit soit-il. Elle colla ses genoux.

— Vous ne les avez donc jamais touchées ?

— Je ne sais même pas à quoi elles ressemblent sans leurs vêtements.

Elle le regarda fixement avant de secouer la tête.

— Je trouve cela difficile à croire.

— Êtes-vous en train de dire que je suis un menteur ?

— Enfin, pas de façon intentionnelle. Cela me semble simplement trop mystérieux.

Ses yeux se plissèrent.

— Vous ne croyez pas qu’une telle chose existe ?

— J’ai de la difficulté à croire que vous pouvez satisfaire dix femmes en même temps, sans avoir besoin de les toucher.

— Alors, je vous prouverai que le sexe de vampire est réel.

— Ouais, bien sûr. Comment proposez-vous de me le prouver ?

Il sourit lentement.

— En ayant du sexe de vampire avec vous.

Dix-huit

Ivan Petrovsky faisait encore ce qu’Angus MacKay et ses idiots de Highlanders voulaient qu’il fasse dans son coin de la salle de danse. Le dandy français, Jean-Luc Écharpe, s’approchait d’eux avec un autre Écossais.

MacKay les salua.

— Alors, Connor, les avez-vous trouvés ?

— Oui, répondit-il. Nous avons vérifié les caméras de surveillance. Ils étaient exactement là où vous pensiez qu’ils seraient.

— Est-ce que vous parlez de Shanna Whelan ? demanda Ivan.

J’ai vu que Draganesti s’était envolé avec elle, vous savez. Est-ce que c’est la façon de faire moderne des vampires ? Quand il y a du danger, on se sauve et on se cache ?

Connor marcha vers lui en poussant un grognement.

— Laissez-moi lui tordre son cou décharné une fois pour toutes.

— Non.

Jean-Luc Écharpe bloqua la route de l’Écossais avec sa canne.

Le Français regarda fixement Ivan de ses yeux d’un bleu glacial.

— Le moment venu, je m’occuperai de lui.

Ivan grogna.

— Et qu’est-ce que vous comptez faire, Écharpe ? Me transformer à la mode du jour ?

Le Français sourit.

— Je vous garantis que personne ne vous reconnaîtra par la suite.

— Et le chimiste ? demanda Angus à Connor. Est-ce qu’il est en sécurité ?

— Oui. Ian est avec lui.

— Si vous parlez de Laszlo Veszto, j’ai des nouvelles pour vous, dit Ivan. Les jours de cet homme sont comptés.

Le regard terne de MacKay laissait entendre qu’il n’était pas impressionné. Il se tourna vers le Highlander avec la montre d’Ivan.

— Eh bien ?

L’Écossais haussa les épaules.

— Elle ressemble à une montre normale, monsieur. Nous ne pouvons toutefois en être certains à moins de l’ouvrir.

— Je comprends.

MacKay prit la montre, la laissa tomber sur le plancher, puis l’écrasa de son pied.

— Hé ! dit Ivan en bondissant sur ses pieds.

MacKay ramassa la montre brisée et examina ses entrailles.

— Elle me semble bien normale. C’est une bonne montre.

Il la redonna à Ivan en lui faisant un clin d’œil.

— Bâtard.

Ivan projeta sa montre brisée sur le plancher.

— Attendez une minute.

Connor recula et regarda les Russes.

— Vous avez quatre Russes.

— Oui, dit MacKay. Vous avez dit qu’il y en avait quatre dans la maison à New Rochelle.

— Oui, il y en avait quatre, répondit Connor. Mais il y avait aussi le conducteur. Où est-il, par l’enfer ?

Ivan sourit.

— Merde, murmura MacKay. Connor, prenez une douzaine d’hommes et fouillez les lieux. Appelez les gardes à l’extérieur, et demandez-leur d’examiner soigneusement le terrain de l’usine.

— Oui, monsieur.

Connor fit signe à une douzaine d’hommes de le suivre. Ils échangèrent quelques mots en vitesse, puis se séparèrent à la vitesse des vampires.

L’espace ainsi libéré dans la file des Highlanders fut rapidement occupé par Corky Courrant et son équipe de RTNV.

— Il était temps que vous nous laissiez prendre une bonne prise, gronda-t-elle.

Elle se tourna vers la caméra avec un sourire brillant.

— Ici Corky Courrant, pour l’émission En direct avec ceux qui ne sont pas morts. Les événements excitants se succèdent au gala d’ouverture. Nous pouvons voir qu’un régiment de Highlanders retient contre son gré des vampires Russes et Américains. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous agissez ainsi, M. MacKay ?

Elle flanqua son microphone sous le nez d’Angus MacKay.

Il fronça les sourcils et ne brisa pas le silence.

Son sourire s’agrandit et se figea.

— Vous ne retenez sans doute pas des gens prisonniers sans une bonne raison ?

Elle lui replaça le micro sous le nez de nouveau.

— Allez-vous-en, gamine, dit-il avec douceur. Ce n’est pas de vos affaires.

— Je veux parler.

Ivan fit un signe de la main en direction du cameraman.

— J’ai été invité ici, et voyez comment ils me traitent.

— Nous ne vous avons pas fait de mal.

MacKay tira son pistolet de son étui et le pointa vers Ivan.

— Pour le moment. Où est la cinquième personne de votre groupe ? Et que manigance-t-elle ?

— Il doit encore être en train d’essayer de garer la voiture. Vous savez, quand on organise une fête de cette ampleur, il faudrait prévoir un service de valet.

MacKay haussa un sourcil.

— Peut-être devrais-je vous dire que les balles sont en argent.

— Tenterez-vous de me tuer devant autant de témoins ? se moqua Ivan.

Il ne pouvait espérer une meilleure situation que celle-là. Tous les invités du gala le regardaient, et maintenant tous les téléspectateurs entendraient aussi son message. Il lévita sur sa chaise, puis attendit que la musique cesse.

Écharpe fit glisser une épée de sa canne.

— Personne ne veut vous entendre.

— Le bal des vampires se terminera-t-il dans un bain de sang ?

lança Corky Courrant d’une voix forte.

— Ne changez surtout pas de chaîne !

Ivan fit un petit salut moqueur lorsque la musique cessa. Le salut avait malheureusement laissé son cou mal aligné, et il dut donc le replacer dans sa position.

Corky Courrant fit face à sa caméra avec un sourire rayonnant.

— Ivan Petrovsky, le maître de la bande de vampires russes, va prononcer un discours. Écoutons ce qu’il a à dire.

— Je ne m’étais pas présenté à un gala comme celui-ci depuis 18

ans, commença Ivan. Dix-huit années où j’ai été témoin de la décrépitude tragique de notre mode de vie supérieur. Nos vieilles traditions sont rejetées du revers de la main. Notre fier héritage est ridiculisé. Une nouvelle philosophie politiquement correcte de vampirisme moderne s’est insinuée dans notre milieu comme la peste.

Un murmure se fit entendre dans la foule. Certains vampires n’aimaient pas son message, mais Ivan soupçonnait que d’autres avaient réellement envie de l’entendre.

— Combien d’entre-vous êtes devenus gras et avez perdu votre vigilance avec cette ridicule cuisine Fusion ? Combien d’entre-vous avez oublié le frisson de la chasse, l’extase de la morsure ? Je vous dis, ce soir, que ce faux sang est une abomination !

— Ça suffit.

Angus leva son pistolet.

— Descendez de là.

— Pourquoi ? hurla Ivan. Avez-vous peur de la vérité ? Les Vrais ne la craignent pas.

Écharpe souleva son épée.

— Les Vrais sont des lâches qui se cachent dans le secret.

— Plus maintenant !

Ivan regarda tout droit dans la caméra de RTNV.

— Je suis le chef des Vrais, et ce soir, nous aurons notre vengeance !

— Saisissez-les !

Angus fit un brusque mouvement vers l’avant, et fut suivi par ses hommes.

Ivan et ses disciples s’élevèrent dans les airs, puis disparurent en se téléportant hors de l’édifice. Ils réapparurent à l’extérieur dans le jardin.

— Vite ! hurla Ivan. À la voiture !

Ils traversèrent la pelouse comme un éclair jusqu’au stationnement. La voiture était vide. Vladimir n’était pas là.

— Merde, murmura Ivan. Il aurait normalement dû avoir terminé.

Il pivota sur lui-même et examina les environs.

— Mais qu’est-ce qui t’est arrivée ? dit-il en regardant fixement Katya.

Elle baissa les yeux et sourit.

— Je trouvais justement que l’air du soir était un peu frais.

Elle n’avait plus de jupe, et était donc nue des hanches jusqu’aux pieds.

— Le Français a tenté de m’agripper quand nous avons sauté dans les airs. J’imagine donc qu’il a pu toucher à ma jupe, et qu’elle s’est détachée.

— Jean-Luc Écharpe ? demanda Galina. Il est si mignon. Tout comme les Écossais, d’ailleurs. Vous croyez qu’ils sont nus sous leurs kilts ?

— Assez !

Ivan retira sa veste et la donna à Katya.

— Ai-je besoin de vous rappeler que vous m’appartenez ?

Entrez dans la voiture maintenant.

Katya haussa un sourcil et enfila la veste au lieu de la nouer autour de sa taille comme il l’avait souhaité. Ses parties privées étaient donc toujours exposées. Alek la regarda bêtement, sa bouche demeurant grande ouverte.

Une douleur crue naquit dans le cou d’Ivan.

— Vous voulez passer votre vie sans vos globes oculaires ?

gronda-t-il.

Alek revint aussitôt à ses sens.

— Non, monsieur.

— Alors, faites entrer les femmes dans la voiture et lancez le moteur.

Ivan serra les dents et fit craquer son cou.

Une tache dans l’ombre s’approchait d’eux. Vladimir. Le vampire s’arrêta à côté d’Ivan.

— Est-ce que tu as pu localiser les réserves de sang ?

— Da, dit Vladimir en hochant la tête. Les explosifs sont prêts.

— Bon.

Ivan remarqua que des Highlanders couraient vers eux. Le moment était venu. Il tendit la main vers le bouton de manchette de sa manche droite. Il avait prévu que les Highlanders videraient ses poches, et il avait donc caché le détonateur de C-4 dans son bouton de manchette. Il n’avait plus qu’à appuyer sur un bouton pour que la précieuse réserve de sang synthétique de Draganesti s’envole en fumée.

Shanna était sans voix. Du sexe de vampire ? Elle n’était même pas certaine qu’un phénomène aussi bizarre puisse réellement exister. Enfin, il existait bel et bien un moyen de le savoir. Devait-elle le considérer ?

Elle ne pouvait pas tomber enceinte de cette façon. Et puisqu’il ne serait même pas dans la même pièce qu’elle, ça allait sûrement être totalement sécuritaire. Pas de morsures, pas de contraintes physiques, pas de rudesse inutile. Aucun petit bébé vampire volant dans la pouponnière. Elle gémit. Le considérait-elle sérieusement ?

Elle devait laisser Roman pénétrer dans son esprit. Mais quelles choses affreuses pourrait-il lui faire ? Quelles sensations délicieusement mauvaises il pourrait… oups. Cette défense ne fonctionnait pas.

Il s’était assis sur une chaise dans la cuisinette et l’observait de ses yeux dorés. Il paraissait s’amuser d’une façon exaspérante de toute cette situation. Comme s’il savait qu’elle allait dire oui. Le fripon. Ce n’était pas assez pour lui, de lui avoir confié qu’il était un vampire ? Mais non. Il avait fallu qu’il lui propose du sexe de vampire le même soir. Du sexe de vampire extrêmement satisfaisant.

Sa peau se couvrit de chair de poule. Il était si intelligent. Et il voulait concentrer toutes ses capacités intellectuelles sur le seul fait de lui faire plaisir ? Bon Dieu. Elle était vraiment tentée.

Elle jeta un coup d’œil vers ses yeux, et sentit immédiatement son pouvoir psychique encercler sa tête comme une brise fraîche.

Son cœur battit la chamade. Ses genoux prirent la consistance du caoutchouc. Une forte détonation assourdit ses oreilles. Le plancher trembla sous ses pieds. Elle s’agrippa au mur pour se stabiliser.

Mon Dieu, qu’est-ce qu’il lui faisait ?

Roman bondit sur ses pieds et se précipita vers le téléphone. La pièce trembla de nouveau, et Shanna trébucha en direction du fauteuil.

— Ian ! Que diable se passe-t-il ?

Roman hurlait au téléphone. Il fit une pause pour écouter.

— Où était l’explosion ? Est-ce qu’il y a des blessés ?

« Une explosion ? »

Shanna s’adossa dans son fauteuil. Elle aurait dû se douter que ce genre de tremblement de terre n’était pas lié au sexe. Ils avaient été attaqués.

— Est-ce qu’ils l’ont capturé ?

Roman poussa un juron à voix basse.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Shanna.

— Petrovsky s’est échappé, bougonna Roman. Ça va, Ian. Nous savons où il vit. Nous pourrons exercer des représailles à notre convenance.

Shanna avala sa salive. On aurait dit que la guerre des vampires venait de commencer.

— Ian, dit Roman dans le téléphone. Je veux que Connor et vous conduisiez Shanna à la maison. Avec Laszlo et Radinka aussi.

Il raccrocha.

— Je dois y aller. Connor sera bientôt ici.

— Où était l’explosion ?

Elle le suivit jusqu’à la porte.

Il s’empara de sa cape et s’en servit pour se protéger les mains tout en retirant les verrous.

— Petrovsky a fait sauter une réserve de sang synthétique.

— Oh non !

— Ça aurait pu être pire.

Il retira la barre.

— La réserve est assez loin de la salle de danse, donc personne n’a été blessé. Ça fera tout de même un trou dans nos provisions.

— Pourquoi détruire le sang synthétique ? Oh.

Shanna tressaillit en trouvant elle-même la réponse à sa question.

— Il veut obliger les vampires à recommencer à se nourrir avec les humains.

— Ne vous inquiétez pas.

Roman toucha son épaule.

— Petrovsky ne sait pas que j’ai d’autres usines dans l’Illinois, au Texas, et en Californie. Nous pourrons compenser la pénurie de sang sur la côte Est, si nous devons en arriver là. Il ne m’a pas atteint avec autant de force qu’il le croit.

Shanna sourit avec soulagement.

— Vous êtes trop intelligent pour lui.

— Je suis désolé, mais je dois aller constater l’étendue des dégâts.

— Je comprends.

Elle ouvrit la porte d’argent afin qu’il puisse sortir.

Il fit glisser ses jointures contre sa joue.

— Je pourrai être avec vous ce soir. M’attendrez-vous ?

— Oui. Soyez prudent.

Elle voulait entendre parler davantage de cette guerre à venir.

Roman fila dans le hall à la vitesse de l’éclair.

Shanna ferma la porte et comprit qu’elle avait fait une erreur. Il voulait dire qu’il viendrait la voir ce soir pour du sexe de vampire.

Et elle lui avait manifesté son accord sans s’en rendre compte.

Trente minutes plus tard, Shanna était assise à l’arrière de la limousine avec Radinka et Laszlo. Connor était assis devant, à côté d’Ian, qui tenait le volant. Shanna comprit maintenant qu’Ian était beaucoup plus vieux que ses 15 ans. Elle regarda ses compagnons en essayant de deviner s’ils étaient tous des vampires. Ian et Connor en étaient certainement, et ils dormaient dans ces cercueils au sous- sol. Laszlo était un petit homme gentil, au visage de chérubin. Il était difficile de l’imaginer dans la peau d’un démon, mais elle présumait qu’il en était un aussi.

Il était plus difficile de juger du cas de Radinka.

— Vous… vous êtes allée faire des achats pour moi en plein jour, n’est-ce pas ?

— Oui, ma chérie.

Radinka se versa un verre au petit bar de la voiture.

— Je suis une mortelle, au cas où vous vous poseriez la question.

— Mais Gregori…

— … est un vampire, oui.

Radinka pencha la tête pour regarder Shanna.

— Voudriez-vous savoir comment c’est arrivé ?

— Enfin, ce n’est pas de mes affaires.

— Balivernes. Cela implique Roman, alors vous devriez le savoir.

Radinka but de petites gorgées de son scotch, puis regarda par la fenêtre teintée.

— Il y a 15 ans, mon mari, Dieu ait son âme, est mort du cancer en nous laissant d’exorbitantes factures médicales. Gregori a dû quitter Yale et revenir à la maison. Il a été transféré à l’Université de New York et a obtenu un poste à mi-temps. J’avais besoin d’un emploi, moi aussi, mais je n’avais pas d’expérience. J’ai heureusement trouvé un emploi à Romatech. Les heures étaient évidemment atroces.

— L’équipe de nuit ? demanda Shanna.

— Oui. Après quelques mois, je me suis complètement adaptée, et j’ai constaté que j’étais très compétente. Et je n’ai jamais été intimidée par Roman. Je pense qu’il aime ça. Je suis finalement devenue son assistante, et c’est à ce moment que j’ai commencé à remarquer des choses. Particulièrement dans le laboratoire de Roman. Des bouteilles de sang encore chaud à moitié vides.

Radinka sourit.

— Il ressemble à un professeur distrait quand il travaille fort. Il oubliait même de se donner le temps nécessaire pour revenir à la maison en voiture avant le lever du soleil. Il devait donc se téléporter à la dernière minute. Il était dans son labo à un certain moment, et il n’y était plus une seconde plus tard.

— Vous saviez donc qu’il se passait des choses étranges.

— Oui. Je suis originaire de l’Europe de l’Est, et nous grandissons avec des histoires de vampires. Ce ne fut pas difficile de découvrir le pot aux roses.

— Cela ne vous a pas dérangée ? Vous n’avez pas voulu renoncer à votre emploi ?

— Non.

Radinka agita élégamment une main dans les airs.

— Roman a toujours été très bon envers moi. Alors, une bonne nuit, il y a 12 ans, mon fils Gregori était venu me chercher au travail. Nous n’avions qu’une seule voiture. Il m’attendait dans le stationnement lorsqu’il a été attaqué.

Connor se retourna dans son siège.

— Était-ce un coup de Petrovsky ?

— Je n’ai jamais vu l’attaquant. Il est parti au moment où j’ai trouvé mon pauvre fils en train de mourir dans le stationnement.

Radinka frissonna.

— Gregori m’a toutefois dit que c’était Petrovsky, et je suis certaine qu’il a raison. Comment pourriez-vous oublier le visage du monstre qui a essayé de vous tuer ?

Connor inclina la tête.

— Nous nous chargerons de lui.

— Pourquoi s’est-il attaqué à Gregori ? demanda Shanna.

Laszlo joua avec un bouton sur sa veste de smoking.

— Il pensait probablement que Gregori était un employé mortel de Romatech. C’était donc une cible facile pour lui.

— Oui.

Radinka avala une nouvelle rasade de Scotch.

— Mon pauvre Gregori. Il avait perdu tant de sang. Je savais qu’il ne survivrait pas à un voyage à l’hôpital. J’ai demandé à Roman de le sauver, mais il a refusé.

Un frisson glissa sur la peau de Shanna.

— Vous avez demandé à Roman de transformer votre fils en vampire ?

— C’était la seule façon de le sauver. Roman disait qu’il condamnerait ainsi l’âme de mon garçon à errer en enfer, mais je ne voulais rien entendre. Je sais que Roman est un homme bon.

Radinka pointa du doigt tous ses compagnons dans la voiture.

— Ces hommes étaient tous des hommes honorables et bons avant de mourir. Pourquoi la mort les changerait-elle ? Je refuse de croire qu’ils sont condamnés à errer en enfer. Et j’ai refusé de laisser tomber mon fils et de le laisser mourir !

La main de Radinka trembla lorsqu’elle déposa son verre.

— Je me suis agenouillée devant Roman et je l’ai supplié jusqu’à ce qu’il ne puisse plus le tolérer. Il a donc pris mon fils dans ses bras et l’a transformé.

Elle essuya une larme sur sa joue.

Shanna eut un frisson et colla ses bras contre elle. Radinka croyait aussi qu’il y avait du bon en Roman. Pourquoi ne pouvait-il pas le voir en lui-même ? Pourquoi se torturait-il ainsi depuis des centaines d’années ?

— Comment… comment fonctionne la transformation ?

— Un mortel doit être complètement vidé de son sang par un ou plusieurs vampires, expliqua Laszlo. Le mortel tombera ensuite dans le coma. Si on le laisse seul, il mourra normalement, mais si un vampire lui fait boire de son sang, alors le mortel se réveillera en étant maintenant un vampire.

— Oh.

Shanna avala difficilement sa salive.

— Je suppose que les transformations sont plus rares maintenant ?

— Oui, répondit Connor. Nous ne mordons plus les humains à présent. Enfin, Petrovsky et ses Mécontents le font encore, mais nous nous chargerons d’eux.

— Je l’espère.

Laszlo tripota un bouton avec nervosité.

— Il veut me tuer aussi.

— Pourquoi ? demanda Shanna.

Laszlo remua dans son siège.

— Il n’a pas de bonne raison.

— C’est parce qu’il vous a aidé à vous échapper.

Radinka but de nouvelles gorgées de scotch.

C’était à cause d’elle ? La gorge de Shanna se resserra, et elle eut de la difficulté à respirer.

— Je… je suis vraiment désolée, Laszlo. Je ne le savais pas.

— Ce n’est pas de votre faute.

Laszlo s’enfonça dans son siège.

— J’étais avec Ian, et nous observions Petrovsky avec une caméra de surveillance. Ce type n’est pas… normal.

Shanna se demanda ce qui était normal pour un vampire.

— Vous voulez dire qu’il n’a pas toute sa tête ?

— Il est cruel, dit Connor depuis son siège avant.

— Ça fait des siècles que je connais ce bâtard. Il déteste les mortels.

— Et il fait cette chose effrayante avec son cou.

Ian tourna à droite avec la limousine.

— Très étrange.

— Vous n’avez pas entendu cette histoire ? demanda Connor.

— Non.

Ian lui jeta un coup d’œil.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Connor se retourna dans son siège afin de pouvoir voir tout le monde.

— Il y a environ 200 ans de cela, Ivan se trouvait encore en Russie. Il attaqua un village, mais ne se contenta pas de s’alimenter auprès des humains. Il ajouta de la torture à sa malveillance.

Certains villageois trouvèrent son cercueil dans la cave d’un vieux moulin. Ils attendirent qu’il soit endormi afin de pouvoir le tuer.

Laszlo se pencha vers l’avant.

— Ils ont tenté de lui enfoncer un pieu dans le cœur ?

— Non. Ces pauvres imbéciles étaient plutôt ignorants. Ils crurent qu’ils pouvaient simplement enterrer le cercueil, et que le tour serait joué. Alors, ils déplacèrent le cercueil dans un cimetière consacré, et Ivan fut enterré sous une grande statue d’un ange exterminateur. La nuit suivante, Ivan se réveilla et creusa jusqu’à ce qu’il soit libre. Il brassa cependant tant de terre que la statue bascula et tomba en plein sur sa tête. Il s’est donc cassé le cou.

— Vous n’êtes pas sérieux.

Shanna grimaça.

— Beurk.

— Ne plaignez pas ce bâtard, continua Connor. Au lieu de se replacer le cou, il entra dans une sainte colère et assassina tous les habitants du village. Le jour suivant, son corps tenta de se guérir, mais comme son cou n’était pas aligné correctement, il demeura comme il est maintenant, le faisant souffrir depuis ce temps.

— C’est une bonne chose qu’il souffre ainsi, dit Ian. Il doit mourir.

Shanna savait que ses problèmes n’allaient pas s’envoler s’ils parvenaient à tuer le vampire russe, car la mafia russe pouvait toujours embaucher quelqu’un d’autre. Et voilà qu’une guerre entre vampires éclatait autour d’elle. Elle s’enfonça dans son siège. La situation semblait désespérée.

De retour dans sa chambre à coucher chez Roman, Shanna devait faire face à la vérité : elle était sérieusement attirée par un vampire.

Elle jeta un coup d’œil à l’oreiller où Roman avait posé la tête.

Pas étonnant qu’elle ait pensé qu’il était mort. En plein jour, il est vraiment mort, mais la nuit, il marche, parle et digère du sang. Il travaille dans son laboratoire, utilisant son cerveau brillant pour réaliser des accomplissements scientifiques étonnants. Il protège ses disciples. Et chaque fois qu’il en avait envie, il avait du sexe de vampire. Avec son harem. Avec les dix femmes, en même temps. Et maintenant, il voulait en avoir avec elle ?

Elle gémit. Quel dilemme étrange. Elle avait fermé la porte après que Connor lui eut apporté son plateau de nourriture, mais cela n’empêcherait pas Roman d’essayer de pénétrer une nouvelle fois dans son cerveau. Une expérience très satisfaisante, selon ses dires.

Elle posa le plateau vide sur le plancher et s’empara de la télécommande. Elle ne voulait plus penser au sexe. Ni à son harem.

Elle syntonisa la chaîne RTNV et vit Corky Courrant debout devant la partie de l’usine Romatech, qui avait explosé, occupée à faire un rapport des derniers détails. Shanna entendit à peine ce qu’elle disait, car elle vit Roman près du cratère. Il semblait fatigué et tendu. Ses vêtements étaient gris en raison de la poussière et de la crasse.

Le pauvre homme. Elle avait vraiment envie de toucher son beau visage et de lui offrir des mots d’encouragement. C’est alors que la journaliste de RTNV fit une série de retour en arrière, présentant les faits saillants du gala d’ouverture. Shanna haleta en voyant une image d’elle occuper l’écran. Voilà qu’elle était là, à découvrir l’existence des vampires pour la première fois. Mon Dieu, l’horreur qui se lisait sur son visage.

« Mon visage. »

Elle s’observa en train de jeter le verre de sang sur le sol.

Roman l’agrippa, puis l’entoura de sa cape avant de disparaître avec elle. Toute cette séquence avait été enregistrée avec des caméras numériques, de sorte que les vampires pouvaient se repasser la scène maintes fois.

Shanna éteignit le poste de télévision en posant ses doigts tremblants sur la télécommande. Le poids entier de la situation pesait maintenant sur ses épaules. Un assassin vampire voulait la tuer. Un autre vampire voulait la protéger. Roman. Elle regrettait qu’il ne soit pas avec elle maintenant. Il ne l’avait pas effrayée. Il était gentil et se souciait d’elle. Un homme bon. Radinka, Connor et les autres étaient d’accord. Roman était un homme merveilleux. Il n’arrivait simplement pas à le voir. Il était trop hanté par ses terribles souvenirs, des souvenirs trop atroces pour qu’une personne puisse les supporter.

Si seulement elle pouvait l’aider à se voir comme elle le percevait. Elle s’étendit sur le lit. Comment est-ce qu’une relation pouvait fonctionner avec lui ? Il lui faudrait éviter de nouveaux contacts avec lui, mais elle savait dans son cœur qu’elle ne pourrait lui résister. Elle était en train de tomber amoureuse de lui.

Quelques heures plus tard, dans son sommeil profond et plein de rêves, juste avant le lever du soleil, elle sentit soudainement un frisson et elle se blottit encore davantage sous ses couvertures.

« Shanna. »

Le frisson s’éloigna, et elle se sentit au chaud et confortable.

Et désirée.

« Shanna, chérie. »

Elle cligna des yeux et les ouvrit.

— Roman ? Est-ce vous ?

Un souffle doux lui chatouilla l’oreille gauche. Une voix basse.

« Laissez-moi vous aimer. »

Dix-neuf

Shanna s’assit dans le lit, puis jeta un coup d’œil dans la sombre chambre à coucher.

— Roman ? Êtes-vous ici ?

« Je suis en haut. Je vous remercie de me laisser pénétrer à l’intérieur. »

À l’intérieur ? À l’intérieur de sa tête ? Cela s’était probablement produit lorsqu’elle était encore endormie. Une bourrade glaciale et douloureuse passa comme un éclair d’une tempe à l’autre.

« Shanna, je vous en prie. Ne me rejetez pas. »

Sa voix s’effaça jusqu’à ressembler à un écho provenant du fin fond d’une caverne. Elle frotta ses tempes douloureuses.

— Je fais cela, moi ?

« Vous essayez de me bloquer. Pourquoi ? »

— Je ne sais pas. Lorsque je sens quelque chose venir vers moi, je réagis dans le sens contraire. C’est un réflexe.

« Détendez-vous, ma douce. Je ne vous ferai pas de mal. »

Elle prit quelques profondes inspirations, et la douleur diminua.

« C’est mieux »

Sa voix semblait plus près. Plus claire. Le cœur de Shanna battait la chamade. Elle n’était pas convaincue de vouloir que Roman soit ainsi dans sa tête. Combien de ses pensées était-il en mesure de lire ?

« Pourquoi vous inquiétez-vous ? Avez-vous des secrets que vous ne voulez pas partager avec moi ? »

Oh mon Dieu, il pouvait entendre ses pensées.

— Pas de grands secrets, mais il y a certaines choses que je préférerais garder pour moi.

Comme le fait qu’il était incroyablement beau et séduisant…

« Vous êtes un vieux crapaud laid ! »

« Séduisant ? »

Merde alors.

Elle n’était pas très douée avec ces trucs de télépathie. Le fait qu’il puisse lire dans son esprit l’incitait à produire d’étranges pensées afin de le dérouter.

Une ambiance de détente l’entoura comme un chaud cocon.

« Cessez de penser ainsi à des tas de choses. Détendez-vous. »

— Comment puis-je me détendre si vous êtes dans ma tête ?

Vous ne me ferez pas faire quelque chose contre ma volonté, n’est-ce pas ?

« Bien sûr que non, ma douce. Je ne contrôlerai pas vos pensées.

Je vous transmettrai seulement les sensations que vous ressentiriez si je vous faisais l’amour. Sachez également que je devrai m’en aller dès que le soleil se lèvera. »

Elle sentit quelque chose de chaud et humide contre son front.

Un baiser. Puis, des doigts doux qui caressaient son visage. Il frotta ses tempes jusqu’à ce qu’il ne reste plus de traces de douleur. Elle ferma les yeux, et sentit ses doigts suivre le tracé de ses pommettes, de sa mâchoire, de ses oreilles. Elle ne savait pas comment il s’y prenait, mais ça avait l’air très réel. Et c’était vraiment merveilleux.

« Que portez-vous ? »

— Hmm ? Est-ce important ?

« Je veux que vous soyez nue quand je vous touche. Je veux sentir chacune de vos courbes, chacun de vos creux. Je veux entendre votre souffle frissonnant dans mon oreille, vos muscles se raidir avec passion, serrant de plus en plus… »

— Ça suffit ! J’étais d’accord dès votre première phrase.

Elle retira sa chemise de nuit et la laissa tomber sur le plancher, telle une flaque soyeuse. Elle se blottit ensuite dans les draps tièdes et attendit.

Et attendit.

— Allo ?

Elle regarda le plafond, se demandant ce qui se passait sur le cinquième étage.

— Allo ? La Terre appelle Roman. Votre partenaire est nue et prête pour le décollage.

Il ne se passa rien. Peut-être qu’il était à ce point fatigué qu’il s’était tout simplement endormi. Génial. Elle n’avait jamais été très bonne pour maintenir l’intérêt d’un homme bien longtemps. Et Roman, il allait pouvoir être là pour toujours. Comment pourrait-elle être plus qu’une fantaisie temporaire pour lui ? Même si leur relation durait quelques années, ça ne représentait qu’un clin d’œil sur l’échelle de sa vie. Elle poussa un gémissement, et se coucha sur le ventre. Comment cette relation pouvait-elle fonctionner ? Ils étaient totalement opposés, lui, mort, et elle, en vie. Quand les gens disent que les contraires s’attirent, ils ne font pas référence à un tel extrême.

« Shanna ? »

Elle leva la tête.

— Vous êtes de retour ? Je croyais que vous étiez parti.

« Désolé. J’avais un petit truc à régler. »

Ses doigts massèrent doucement ses épaules.

Elle poussa un soupir et reposa sa tête sur l’oreiller. Un truc à régler ?

— Où êtes-vous exactement ? Vous n’êtes pas à votre bureau, n’est-ce pas ?

Elle s’imagina qu’il était occupé à remplir de la paperasse, et cela l’agaça royalement. Cet homme était tellement intelligent qu’il pouvait sans doute lui offrir un orgasme mental en répondant à ses courriels.

Il rit sous cape.

« Je suis assis dans mon lit, en prenant ma collation de fin de journée. »

Il buvait du sang pendant qu’il lui massait mentalement les épaules ? Beurk. Comme c’était romantique. Pas du tout.

« Je suis nu. Est-ce que cela vous aide ?»

Oh mon Dieu. Elle visualisa son corps magnifique…

« Vieux crapaud laid. »

Il caressa son dos avec des effleurements légers comme des plumes. Elle trembla. C’était merveilleux. Il appliqua de la pression avec le talon de sa main, se creusant un chemin dans sa peau en formant des cercles lents et doux. Ce n’était pas merveilleux. C’était paradisiaque.

« Pouvez-vous entendre d’autres vampires ? »

— Non. Un vampire, c’est bien suffisant pour moi, merci.

Elle sentit sa présence auprès d’elle augmenter en se gonflant d’émotion. D’orgueil. Non, plus intense que cela. Ça ressemblait davantage à de la possessivité…

« Vous êtes à moi. »

Bien sûr. Le fait qu’elle puisse l’entendre lui donnait-il des droits de propriété ? Il existait depuis plus de 500 ans, et il pensait encore comme un homme des cavernes. Ses mains étaient toutefois fort agréables sur elle.

« Merci. Je fais de mon mieux pour vous plaire. »

Ses mains errèrent dans son dos, ses longs recherchant les nœuds laissant deviner des tensions musculaires.

« Un homme des cavernes, n’est-ce pas ? »

Merde. Il pouvait entendre trop de choses. Elle pouvait presque le voir sourire. C’était une bonne chose qu’il ne sache pas qu’elle était en train de tomber en…

« Vieux crapaud laid, vieux crapaud laid. »

« Vous n’êtes toujours pas à l’aise avec le fait que je sois dans votre tête. »

Bingo. Deux points pour le démon capable de contrôler son esprit. Elle sentit une petite claque légère sur ses fesses.

— Hé !

Elle haussa ses épaules, mais il les rabaissa.

— Vous me maltraitez.

Sa voix était assourdie par l’oreiller.

« Oui, en effet. »

Il eut même l’impudence d’avoir l’air content de lui.

— Homme des cavernes, murmura-t-elle.

Avec un harem de femmes.

— Vous m’aviez dit que c’était impersonnel. Ça me semble très personnel, si vous voulez mon avis.

« Ça l’est maintenant, puisqu’il n’y a que nous deux. Je ne pense qu’à vous. »

Sa présence lui parut encore plus forte autour d’elle. Forte et remplie de désir. Sa peau réagit en picotant. Il glissa ses doigts le long de sa colonne vertébrale jusqu’à sa nuque. Et là, il repoussa ses cheveux sur le côté.

Elle sentit quelque chose de chaud et humide sur son cou. Un baiser. Elle trembla. C’était vraiment étrange de se faire ainsi embrasser par un visage invisible. Son souffle lui réchauffa l’oreille, puis quelque chose vint lui chatouiller les orteils.

Elle sursauta.

— Il y a quelque chose dans le lit.

« Moi. »

— Mais…

C’était impossible pour lui d’embrasser son oreille et de toucher ses pieds en même temps. A moins que ses bras ne mesurent un bon mètre et demi, au moins. Ou peut-être qu’il n’était pas tout à fait humain.

« Bingo. Deux points pour vous, ma douce. »

Roman flaira son cou et toucha ses orteils. Les orteils de ses deux pieds. Et il continua à frotter sa peau entre ses omoplates.

— Attendez une minute. Combien de mains avez-vous ?

« Autant que je le souhaite. Tout ça se passe dans mon esprit.

Dans notre esprit. »

Ses pouces s’attardèrent sur l’arche de ses pieds. Il lui massa le dos avec le talon de la paume de sa main, en faisant des cercles le long de sa colonne vers ses fesses. Et il continuait à lui embrasser le cou.

Elle soupira rêveusement.

— Oh, c’est agréable.

« Agréable ? »

Ses mains s’arrêtèrent.

— Ouais. Très agréable, très…

Shanna se raidit, consciente d’une légère irritation qui montait à l’intérieur de sa tête. Cela venait de lui.

« Agréable ? »

Des étincelles grésillaient autour de lui.

— Oh mon Dieu. J’aime ça. Vraiment.

Sa voix siffla dans sa tête.

« Le bon gars venait de prendre le bord. »

Il saisit ses chevilles, puis écarta ses jambes. D’autres mains s’entourèrent autour de ses poignets. Elle se tortilla et tenta de se défaire de son emprise, mais il était trop fort et avait trop de maudites mains. Elle était clouée sur le lit, et ne pouvait rien faire.

Ses jambes étaient grandes ouvertes.

De l’air plus frais se glissa vers sa chair la plus tendre. Elle attendit, tendue et exposée. Son cœur battait fort dans ses oreilles.

Elle attendit. La chambre était calme, à l’exception du bruit de sa respiration pénible. Ses nerfs étaient en boule, dans l’attente d’une attaque imminente. Où frapperait-il en premier ? Il n’y avait pas de moyen de le dire. Il n’était pas visible à l’œil nu. C’était épouvantable. C’était… excitant.

Elle attendit. Quatre mains tenaient toujours ses poignets et ses chevilles. Il avait toutefois un nombre infini de mains et de doigts, autant qu’il pouvait en imaginer. Son cœur se mit à battre encore plus vite. Les muscles de ses fesses se contractèrent tandis qu’elle tentait de refermer ses jambes. Elle était si exposée. Si ouverte devant lui. Sa peau commença à picoter. C’était lui qui lui faisait ça.

Il la faisait attendre. Il la faisait souffrir en la faisant attendre ainsi.

Elle le désirait.

Puis, il partit.

Shanna leva la tête.

— Allo ? Roman ?

Où était-il passé ? Elle s’assit, puis jeta un coup d’œil au radioréveil près du lit. Ce serait bien sa chance si le soleil se levait, et qu’il était officiellement mort pour la journée. Il était cependant trop tôt pour le lever du soleil. Venait-il de l’abandonner ainsi à son sort, au beau milieu de leur rendez-vous galant ? Les minutes passèrent.

Elle s’agenouilla sur le lit.

— Merde ! Roman, vous ne pouvez pas me laisser comme ça.

Elle eut envie de lancer quelque chose sur le plafond.

Elle sentit soudainement des mains encercler sa taille. Elle haleta.

— Roman ? J’espère que c’est vous.

Elle tendit la main derrière elle vers l’endroit où elle pensait qu’il serait, mais ne sentit que de l’air.

« C’est moi. »

Il glissa ses mains sur ses côtes, puis s’empara de ses seins. Sa bouche mordilla son épaule.

— Où… où étiez-vous ?

Il était difficile pour elle de maintenir la conversation tandis qu’il la caressait avec ses pouces.

« Je suis désolé. Ça n’arrivera plus. »

Il joua avec ses mamelons, tordant doucement les pointes durcies entre son pouce et son index. Chaque torsion semblait tirer une corde invisible liée à son âme.

Elle se laissa tomber sur le lit et regarda fixement le plafond.

— Oh, Roman, je vous en prie.

Elle regrettait de ne pouvoir le voir. Ou le toucher.

« Shanna, douce Shanna. »

Sa voix chuchotait dans sa tête.

« Comment puis-je vous dire ce que vous représentez pour moi ? Lorsque je vous ai vue au bal, j’ai eu l’impression que mon cœur se mettait à battre de nouveau. Vous avez illuminé la pièce en dégageant des couleurs vives au milieu d’un océan de noir et de blanc. Et je me suis alors dit que ma vie n’avait été rien d’autre qu’une nuit sombre, sans fin, jusqu’à ce que vous apparaissiez comme un arc-en-ciel et remplissiez mon âme sombre de couleurs. »

— Oh, Roman. Ne me faites pas pleurer.

Elle se tourna sur le ventre, puis essuya ses yeux humides sur les draps.

« Je vous ferai pleurer de plaisir. »

Ses mains glissèrent lentement de ses pieds à ses cuisses, pendant que deux autres mains imaginaires descendaient dans son dos. Il atteignit ses cuisses et le creux de son dos. Toutes ses mains allaient bientôt converger vers son sexe. Les muscles de ses fesses se raidirent. Son entrejambe devint tout humide. Son désir devint plus doux, plus chaud, plus désespéré.

Elle sentit sa bouche l’embrasser sur ses fesses. Le bout de sa langue glissa sur une fesse, s’inséra dans une crevasse, puis repassa sur l’autre fesse.

— Roman, vous me rendez folle. Je ne peux plus endurer ça.

« Est-ce que c’est ça que vous voulez ? »

Ses doigts se frottèrent contre les poils qui veillaient sur son sexe.

Elle fut secouée dans son intimité.

— Oui.

« A quel point êtes-vous mouillée ? »

Cette seule question produisit un autre afflux de liquide chaud.

— Je suis toute mouillée. Voyez par vous-même.

Elle se tourna sur le dos, et s’attendit à le voir. Il était fort déconcertant d’être couchée là, les jambes bien ouvertes pour l’accueillir, et de ne pas le voir.

— Roman ?

« Je veux vous embrasser. »

Son souffle erra sur son sein, puis il lui suça le mamelon. Sa langue s’agita tout autour de lui, puis il donna de petits coups de langue sur sa pointe durcie.

Elle tendit les bras vers lui, mais il n’y avait rien devant elle.

Il accorda ensuite son attention à son autre sein.

— Je veux vous toucher aussi. Je veux vous tenir contre moi.

Elle eut une nouvelle secousse intime lorsqu’il couvrit son sexe de sa main.

Ses doigts se mirent à l’explorer.

« Vous êtes inondée. Vous êtes magnifique. »

— Roman.

Elle tendit de nouveau les bras vers lui, mais ne trouva rien à tenir. C’était encore plus que déconcertant. C’était exaspérant.

N’ayant rien à tenir, elle agrippa les draps avec ses poings.

Il caressa ses grandes lèvres avant de les séparer avec douceur.

Il plongea ensuite un doigt à l’intérieur et s’attarda sur ses parois.

« Est-ce que vous aimez ça ? Ou est-ce que vous préférez cela ? »

Il fit de petits cercles autour de son clitoris, puis s’amusa à en agacer l’extrémité.

Elle poussa un petit cri. Elle tordit les draps dans ses mains. Elle eut très envie de le tenir, de glisser ses doigts dans ses cheveux, de sentir les muscles de son dos et de ses fesses. C’était vraiment à sens unique, mais c’était aussi terriblement bon.

Il inséra deux doigts à l’intérieur d’elle. Du moins, elle croyait que c’était deux doigts. Peut-être trois. Oh mon Dieu, il la torturait de l’intérieur. Ses doigts faisaient des cercles en entrant et en sortant de son sexe. Elle n’avait aucune idée de combien de milliers de terminaisons nerveuses elle possédait à cet endroit, mais il semblait déterminé à s’assurer qu’elles soient toutes stimulées. Il frotta son clitoris durci et enflé de plus en plus vite. Elle enfonça ses talons dans le matelas, raidissant ses jambes et soulevant ses hanches.

Encore. Encore.

Il lui en donna encore plus.

Elle haleta, et cherchait de l’air. La tension monta, agréable et épuisante. Elle brûlait de désir.

Plus fort. Plus fort.

Elle poussa son sexe dans ses mains, se tortillant contre lui. Il agrippa ses fesses et lui embrassa le sexe de sa bouche.

Il n’eut qu’à lui donner un petit coup de langue pour qu’elle explose de plaisir. Les muscles de son sexe enserrèrent ses doigts.

Elle poussa un cri de plaisir. Des spasmes remuaient tout l’intérieur de son corps, faisant parvenir des ondes de pur plaisir dans ses doigts et ses orteils. Chaque vague de plaisir lui coupait le souffle dans la gorge, et la faisait serrer encore plus les draps entre ses mains. Les vagues ne semblaient pas vouloir s’arrêter. Elle releva ses jambes et colla ses cuisses, se délectant des secousses secondaires suivant l’onde de choc initiale.

« Comme vous êtes belle. »

Il l’embrassa sur le front.

— Vous avez été fantastique.

Elle appuya une main contre sa poitrine. Son cœur battait encore à toute vitesse, et sa peau était encore chaude.

« Je dois y aller maintenant, ma douce. Dormez bien. »

— Quoi ? Vous ne pouvez pas partir maintenant.

« Il le faut. Dormez bien, mon amour. »

— Vous ne pouvez pas partir comme ça. Je veux vous tenir dans mes bras.

Une douleur froide pinça l’arête de son nez avant de disparaître.

— Roman ?

Rien d’autre que le silence.

Elle chercha sa présence en elle. Il était parti.

— Hé, l’homme des cavernes !

Elle hurla en direction du plafond.

— Vous ne pouvez pas me faire l’amour, puis partir comme ça !

Aucune réponse. Elle se releva avec difficulté. L’horloge du radio-réveil affichait l’heure avec ses chiffres lumineux. 6 h 10. Oh, c’était donc cela. Elle se laissa tomber sur le dos. Le soleil se levait.

C’était l’heure du dodo pour tous les petits vampires. C’était certainement une façon plus agréable d’en parler. Pour les 12

prochaines heures, Roman était mort.

Merde alors. Pour un cadavre, il était vraiment un amant de l’enfer. Elle poussa un gémissement et couvrit ses yeux. A quoi pensait-elle donc, de faire ainsi l’amour avec un vampire ? Ce n’était pas comme s’il y avait de l’avenir de ce côté. Il était condamné pour toujours à l’âge de 30 ans. Condamné à être jeune, séduisant, et beau pour l’éternité, tandis qu’elle ne cesserait de vieillir.

Shanna gémit. Leur relation était condamnée dès le départ. Il resterait le beau et jeune prince, et elle serait le vieux crapaud laid.

Shanna se réveilla en début d’après-midi et partagea un déjeuner en compagnie de Howard Barr et de quelques gardes de jour. Ces types devaient avant tout assurer la sécurité de la maison, mais ils étaient aussi payés pour faire le ménage en plein jour.

Après tout, ce n’était pas comme si le bruit des aspirateurs allait déranger les morts. Shanna passa un après-midi ennuyeux à laver ses nouveaux vêtements et à regarder la télévision. Le Réseau de télévision numérique des vampires était syntonisé, et la plupart des émissions étaient en français ou en italien. C’était la nuit en Europe.

Les slogans défilaient au bas de l’écran : « Le réseau qui fonctionne 24 heures par jour et 7 jours par semaine, parce qu’il fait toujours nuit quelque part. RTNV. Si vous n’êtes pas au numérique, on ne vous verra pas. » Ces mots avaient bien plus de signification, maintenant.

Elle prit une douche chaude avant le coucher du soleil, désireuse d’être à son mieux pour Roman. Elle retourna dans la cuisine pour le dîner, et fut témoin de la relève de la garde. Les Highlanders arrivèrent. Tous lui firent un sourire avant de se diriger vers le réfrigérateur pour y mettre la main sur une bouteille de sang. Ils attendirent leur tour devant le four à micro-ondes, tout en lui souriant et en échangeant des regards entendus.

Avait-elle un morceau de laitue coincé entre les dents ? Les Écossais finirent par sortir de la cuisine, prêts à occuper leurs postes pour la nuit. Connor demeura à la cuisine, et rinça les bouteilles dans l’évier. Elle se souvint de l’avoir vu faire cela auparavant, mais elle n’avait pas compris la signification de cette action à l’époque.

— Pourquoi est-ce que tout le monde semble si heureux ?

demanda Shanna depuis sa chaise à la table de la cuisine. Après l’explosion de la nuit dernière, je pensais qu’une guerre était sur le point d’éclater.

— Oh, oui, elle éclatera, répondit Connor. Mais bon, le sentiment d’urgence n’est plus aussi présent dans nos vies avec toutes les années que nous avons pu vivre. Nous nous occuperons bientôt de Petrovsky. C’est vraiment dommage que nous n’ayons pu le tuer lors de la Grande Guerre.

Shanna se pencha vers l’avant.

— Il y a déjà eu une Grande Guerre de vampires ?

— Oui, en 1710.

Connor ferma la porte du lave-vaisselle, puis il s’appuya sur le comptoir. Ses yeux devinrent brumeux tandis qu’il se remémorait le passé.

— J’y étais. Et Petrovsky aussi, mais nous n’étions pas du même côté.

— Comment est-ce arrivé ?

— Roman ne vous en a pas parlé ?

— Non. Est-ce qu’il était impliqué ?

Connor grogna.

— C’est lui qui l’a déclenchée.

Était-ce là ce que Roman avait voulu dire, quand il avait mentionné avoir commis des crimes épouvantables ?

— Est-ce que vous acceptez de m’en parler ?

— Je suppose que ça ne fera aucun mal.

Connor se dirigea vers la table de la cuisine et s’assit sur une chaise.

— Le vampire qui a transformé Roman était un personnage fort désagréable nommé Casimir. Il dirigeait une bande de vampires qui détruisait des villages entiers en violant les femmes, en assassinant des gens et en les torturant pour le simple plaisir de la chose.

Petrovsky était un des vampires préférés de Casimir.

Shanna tressaillit. Roman avait été un moine doux, qui avait consacré sa vie à guérir les plus démunis. Il était épouvantable de penser qu’il avait été projeté ainsi dans un milieu aussi maléfique.

— Qu’est-il arrivé à Roman ?

— Casimir était fasciné par lui. Il voulut extirper de Roman toutes les particules de bonté qu’il avait en lui, et en faire un être tout à fait diabolique. Il… il a fait des choses cruelles à Roman. Il lui a donné des choix épouvantables.

Connor secoua la tête de dégoût.

— Un jour, Casimir captura deux enfants, puis menaça de les tuer. Il dit à Roman qu’il pouvait en sauver un des deux s’il tuait l’autre lui-même.

— Oh mon Dieu.

Une vague de nausée envahit Shanna. Pas surprenant que Roman ait fini par penser que Dieu l’avait abandonné.

— Roman refusa de participer à un acte d’une telle perversité, et Casimir entra dans une sainte colère. Sa bande de démons et lui se rendirent au monastère de Roman et assassinèrent tous les moines avant de détruire les bâtiments.

— Oh, non ! Tous les moines ? Même le père adoptif de Roman ?

Le cœur de Shanna souffrit à cette pensée.

— Oui. Vous voyez, ce n’était pas de la faute de Roman, mais il s’en est toujours senti responsable.

Pas étonnant que Roman ait tant souffert de haine de soi. Ce n’était pas de sa faute, mais elle pouvait comprendre pourquoi il se sentait coupable. La mort de Karen n’avait pas été de sa faute, mais elle s’était toujours blâmée elle-même.

— Les ruines du monastère, c’est ce qu’on voit sur la peinture au cinquième étage, n’est-ce pas ?

— Oui. Roman laisse cette peinture à cet endroit pour ne pas oublier…

— Vous voulez dire pour se torturer.

Les yeux de Shanna s’emplirent de larmes. Pour encore combien de siècles avait-il l’intention de se fouetter lui-même à ce sujet ?

— Oui.

Connor inclina la tête avec tristesse.

— C’est en voyant le monastère en ruines et ses frères morts que Roman a décidé de donner une raison d’être à sa terrible nouvelle vie. Il a fait le serment de détruire Casimir et ses disciples maléfiques. Il ne pouvait toutefois y arriver seul. Il quitta donc son pays en douce et voyagea vers l’Ouest, à la recherche de champs de bataille où les blessés avaient été abandonnés à leur sort dans l’obscurité. En 1513, il trouva Jean-Luc à la bataille des Éperons, en France, et Angus, à la bataille de Flodden, en Écosse. Il les transforma, et ils devinrent ses premiers alliés.

— Quand vous ont-ils trouvé ?

— A la bataille de Solway Moss.

Connor soupira.

— La paix ne durait jamais longtemps dans ma belle Écosse.

C’était donc un terrain de chasse fort intéressant pour y trouver des guerriers sur le point de trépasser. J’avais rampé jusqu’au pied d’un arbre pour y mourir. Roman me trouva et me demanda si je désirais me battre de nouveau pour une noble cause. Je souffrais tellement que je n’ai plus beaucoup de souvenirs. Je dois avoir répondu par l’affirmative, car Roman m’a transformé au cours de cette même nuit.

Shanna avala sa salive avec difficulté.

— Est-ce que vous regrettez ce qui vous est arrivé ?

Connor sembla étonné par cette question.

— Non, jeune femme. J’étais en train de mourir, et Roman m’a donné une raison d’exister. Angus était là, lui aussi. Il a transformé Ian. C’est ainsi qu’en 1710, Roman avait une grande armée de vampires. Angus était son général. J’étais un capitaine.

Connor sourit avec fierté.

— Et vous avez ensuite affronté Casimir ?

— Oui. Ce fut une guerre sanglante qui fit rage pendant trois nuits. Ceux qui étaient blessés et trop faibles pour se déplacer brûlaient sur le champ de bataille au lever du soleil. Casimir tomba au combat la troisième nuit, peu avant le lever du soleil. Ses disciples s’enfuirent.

— Et Petrovsky était l’un d’entre eux ?

— Oui. Et nous allons bientôt nous occuper de lui. Ne vous inquiétez pas avec ça.

Connor se leva et s’étira.

— Je dois aller faire mes rondes.

— Je suppose que Roman est éveillé à présent.

Connor sourit.

— Oui. Je suis sûr qu’il est debout.

Il marcha à grands pas hors de la cuisine, son kilt rouge et vert s’agitant à la hauteur de ses genoux.

Shanna poussa un grand soupir. Roman avait donc dit la vérité au sujet de ses crimes. Il avait tué et transformé des mortels en vampires. Il avait toutefois transformé des gens qui allaient bientôt mourir de toute façon, et son but avait été noble. Il a vaincu Casimir, le vampire maléfique qui aimait torturer les innocents.

Roman avait un passé violent, mais c’en était un qu’elle pouvait accepter. Casimir avait bien tenté de le diffamer, mais Roman était resté un homme bon. Il cherchait toujours à protéger les innocents et à sauver les mortels. Il était néanmoins tellement accablé de remords qu’il a fini par croire que Dieu l’avait abandonné. Elle se devait de percer son armure d’une façon ou d’une autre et de soulager sa douleur. Leur relation était peut-être condamnée, mais elle se souciait encore de Roman, et ne pouvait supporter qu’il souffre encore aujourd’hui de son lourd passé. Elle se dirigea vers le hall, pour atteindre l’escalier.

— Oh, Shanna !

Maggie se tenait dans l’embrasure des portes du salon.

Les portes à deux battants étaient ouvertes, et Shanna pouvait voir le harem à l’intérieur. Aïe. Elle ne voulait pas vraiment voir ces femmes.

— Shanna, venez !

Maggie l’agrippa par le bras et la fit entrer dans le salon.

— Regardez, tout le monde ! C’est Shanna.

Les filles du harem lui firent toutes des sourires rayonnants.

Qu’est-ce qu’elles tramaient, nom de Dieu ? Shanna ne faisait vraiment pas confiance en leur soudaine gentillesse.

Vanda s’approcha d’elle avec un sourire d’excuse.

— Je suis vraiment désolée d’avoir été grossière avec vous.

Elle toucha une mèche de cheveux de Shanna.

— Cette couleur vous convient.

— Merci.

Shanna recula d’un pas.

— Ne partez pas.

Maggie lui agrippa le bras de nouveau.

— Venez vous joindre à nous.

— Oui, acquiesça Vanda. Nous voudrions vous accueillir dans le harem.

Shanna haleta.

— Pardon ? Je ne me joindrai pas à votre harem.

— Mais vous et Roman… Vous êtes des amants maintenant, non ? dit Simone en se pelotonnant sur le coin du divan.

— Je… je ne crois vraiment pas que ce soit de vos affaires.

Comment avaient-elles pu savoir ce qui s’était passé ?

— Ne soyez pas si susceptible, dit Vanda. Nous aimons tous Roman.

— Oui.

Simone but de petites gorgées de son verre à vin.

— Je suis venue directement de Paris pour être avec lui.

La colère bouillonna à l’intérieur de Shanna. De la colère envers Roman, et ces femmes, mais surtout de la colère envers elle-même.

Elle n’aurait pas dû aller aussi loin avec Roman, alors qu’il avait encore toutes ces femmes à son service.

— Ce qui se passe entre Roman et moi est confidentiel.

Maggie secoua la tête.

— Il est très difficile d’avoir une vie privée avec des vampires dans les environs. J’ai entendu Roman quand il vous a demandé s’il pouvait faire l’amour avec vous.

— Quoi ?

Le cœur de Shanna vacilla vers sa gorge.

— Maggie est très douée pour entendre les pensées, expliqua Vanda. Quand elle a entendu Roman, elle nous en a informées, et nous avons demandé à Roman de nous laisser prendre part à l’événement.

— Pardon ?

Des étincelles se multiplièrent dans la tête de Shanna.

— Détendez-vous.

Darcy lui jeta un regard inquiet.

— Il ne les a pas laissées entrer.

— Il a été grossier, râla Simone.

— C’était terrible.

Maggie croisa les bras, puis fronça les sourcils.

— Nous avons attendu si longtemps que Roman retrouve un intérêt pour le sexe, et une fois cet intérêt de retour, il ne nous a pas laissé participer.

— C’était épouvantable, soupira Vanda. Nous sommes son harem. Nous avons le droit de partager le sexe de vampire avec lui, mais il nous a bloquées.

Shanna les regarda fixement, bouche bée, et son cœur martelait dans sa poitrine.

— Je déclare solennellement de ne m’être jamais sentie aussi rejetée de toute ma vie, dit la belle du Sud.

— Vous…

Shanna luttait pour reprendre son souffle.

— Vous avez toutes tenté de vous joindre à nous ?

Vanda haussa les épaules.

— Une fois que quelqu’un amorce le sexe de vampire, n’importe qui peut participer.

— C’est ainsi que ça se passe normalement, acquiesça Maggie.

Nous avons demandé deux fois à Roman de participer, mais il a continué à nous bloquer.

— Il a même piqué une crise contre nous, dit Simone en boudant sur le divan.

— Il y eut tant de discussion et de cris dans les têtes, continua Maggie, que même les Highlanders sont intervenus et nous ont demandé de laisser Roman tranquille.

Shanna gémit intérieurement. Pas étonnant que les Écossais l’aient regardé en souriant. Tout le monde dans la maison savait donc ce qu’elle et Roman avaient fait ? Son visage devint tout chaud.

— Vous aurez encore du sexe de vampire ce soir, non ?

demanda Simone.

— C’est pourquoi nous voulons que vous rejoigniez le harem, dit Maggie avec un sourire amical.

— Oui, dit Vanda en souriant aussi.

— Alors, Roman pourra faire l’amour à chacune d’entre nous.

— Non, non.

Shanna secoua la tête et recula.

— Jamais !

Elle courut avant que le harem puisse voir les larmes couler sur son visage. Merde ! Elle savait maintenant pourquoi Roman avait disparu deux fois dans la nuit d’hier. Il l’avait mise en attente pour répondre au déluge d’appels mentaux de son harem. Pendant tout le temps où il lui avait fait l’amour de façon psychique, il avait dû dépenser de l’énergie mentale pour bloquer les tentatives de son harem. C’était comme s’ils faisaient l’amour avec une bande de voyeurs qui tentaient de les regarder à travers une fenêtre.

Elle monta le premier étage en courant. Le choc se transforma en horreur, puis en douleur vive. Comment avait-elle pu s’embarquer dans un tel gâchis ?

Une fois au deuxième étage, les larmes coulèrent sur son visage.

Comment avait-elle pu être aussi stupide ? Elle n’aurait jamais dû laisser Roman pénétrer dans sa tête. Ou dans son lit. Et certainement pas dans son cœur. Arrivée au troisième étage, la douleur s’était transformée en colère. Ce maudit harem ! Et ce maudit Roman ! Comment osait-il conserver son harem tout en disant se soucier d’elle ? Rendue au quatrième étage, elle se dirigea vers sa chambre, mais s’arrêta avant d’y entrer. La colère brûlait en elle comme dans une fournaise, et elle était trop intense pour être contrôlée. Elle monta les dernières marches avec une détermination enragée.

Le garde du cinquième lui fit un sourire entendu.

Elle voulut lui retirer ce sourire du visage avec une grande claque. Elle serra les dents.

— Je voudrais voir Roman.

— Oui, jeune femme.

Le Highlander ouvrit la porte du bureau de Roman.

Elle marcha à grands pas à l’intérieur et ferma la porte. Roman avait peut-être survécu à la Grande Guerre des vampires, en 1710, mais il était sur le point de faire face à une terreur d’une catégorie supérieure.

Une mortelle en colère.

Vingt

Roman était étendu dans son lit, et ses pensées étaient tournées vers Shanna. Il avait passé des moments merveilleux avec elle, mais il avait également été sérieusement contrarié. Il avait dépensé bien trop d’énergie pour bloquer ces femmes de son harem. Sang de Dieu. Il détestait être ainsi coincé avec elles. Il ne les connaissait même pas toutes par leurs prénoms. Il n’avait jamais réellement passé de temps avec elles. Pendant le sexe de vampire, il avait simplement imaginé faire l’amour à un corps de femme. Peut-être que les femmes du harem avaient apprécié ses attentions, mais le corps qu’il visualisait aurait aussi bien pu être celui de Vanna. Ce n’était pas réel. Ce n’était pas le corps de l’une d’entre elles.

Ce n’était pas même Shanna. Ça l’avait également embêté. Il avait imaginé Shanna dans son esprit, mais il savait que ce n’était pas vraiment elle. Il ne savait pas à quoi son corps ressemblait lorsqu’elle était nue, et son imagination ne lui suffisait plus. Il voulait maintenant lui faire l’amour en personne, et il croyait qu’elle en avait envie elle aussi, car elle s’était plainte de ne pas pouvoir le toucher ou le tenir dans ses bras.

Il devait terminer le travail sur cette formule. S’il pouvait rester éveillé en plein jour, il pourrait alors veiller sur elle en tout temps. Il pourrait aussi être seul avec elle à un moment où d’autres vampires ne pourraient pas s’immiscer dans leurs vies. Et s’il parvenait à convaincre Shanna de vivre avec lui, alors sa capacité à demeurer éveillé en plein jour lui permettrait d’avoir un style de vie un peu plus normal.

Il sauta du lit et prit une douche chaude. Il voulait la voir ce soir, mais il devait également se rendre à Romatech. Le reste de la semaine serait chargé en raison de la conférence. Angus, Jean-Luc et lui devaient élaborer un plan d’action pour gérer la situation des Mécontents, surtout depuis qu’ils savaient que Petrovsky était leur chef. Et le fait de se débarrasser de Petrovsky rendrait le monde plus sûr pour les vampires modernes respectueux des lois, mais aussi pour Shanna.

Roman sourit. En dépit d’une guerre de vampires imminente, il ne pouvait détacher son esprit d’elle. Elle était si différente. Si directe et honnête avec ses émotions. Quand il s’était retrouvé dans son esprit, il avait tenté de ne pas détecter ses sentiments à son égard. Elle s’adaptait assez bien au fait qu’il était un vampire, en grande partie parce qu’elle avait un cœur si aimable et compatissant. Quand il l’appelait « ma douce », il le pensait vraiment. Elle avait une nature douce, authentique, qu’il adorait.

Il rit sous cape en se séchant avec une serviette. Elle pouvait aussi être intrépide et bagarreuse quand elle était vexée. Il aimait aussi ça d’elle. Il espérait de tout son cœur qu’elle puisse tomber amoureuse de lui. Ce serait parfait, puisqu’il était déjà amoureux d’elle.

Il l’avait compris dès le moment où il l’avait vu au bal, vêtue de rose dans une mer de noir et de blanc. Elle était la vie, elle était la couleur, elle était son véritable amour. D’une façon ou d’une autre, il sentait que si elle pouvait l’aimer et l’accepter, même avec son âme noircie par le péché, alors tout n’était pas perdu. S’il y avait quelque chose de sympathique en lui, alors il pouvait espérer la rédemption.

Il avait voulu lui dire qu’il l’aimait la nuit dernière, mais il s’en était finalement abstenu. Il avait besoin d’être physiquement avec elle pour lui faire une telle confession.

Il se pencha pour sortir des caleçons courts d’un tiroir. Des points noirs dansèrent autour de sa tête. Bon sang, il avait une de ces faims ! Il aurait dû manger avant de prendre sa douche, mais il avait été distrait par les pensées qu’il entretenait à l’égard de Shanna. Ne portant que son sous-vêtement, il se dirigea vers son bureau et s’empara d’une bouteille de sang dans le petit réfrigérateur. Sang de Dieu. Il était tellement affamé qu’il était prêt à le boire froid.

Il entendit la porte du bureau se fermer et il jeta un coup d’œil derrière lui. C’était Shanna. Il sourit, puis dévissa sa bouteille.

— Bonsoir.

Aucune réponse.

Il jeta de nouveau un coup d’œil derrière lui. Elle marchait vers lui d’un pas lourd, les joues luisantes de larmes, les yeux rougis, enflés et… furieux.

— Qu’est-ce qui ne va pas, chérie ?

— Tout !

Elle respirait bruyamment, et la colère jaillissait pratiquement de ses pores.

— Je ne veux plus rien savoir de ça.

— D’accord.

Il déposa sa bouteille.

— Il semblerait que j’ai fait quelque chose de mal, mais je ne suis pas certain de quoi il peut s’agir.

— Rien ne va ! Ce n’est pas bien pour vous d’avoir un harem.

C’est malsain que vous m’ayez fait attendre dans le lit pendant que vous alliez leur parler. Et c’est vraiment répugnant qu’elles aient voulu se joindre à nous dans un genre d’orgie mentale !

Il tressaillit.

— Je ne l’aurais pas permis. Ce que nous faisions ensemble était totalement privé.

— Ça ne l’était pas ! Elles savaient que nous faisions l’amour. Et elles n’ont pas cessé de venir frapper à la porte pour se joindre à nous.

Il gémit intérieurement. Ces maudites femmes.

— J’en conclus que vous avez encore parlé avec ces autres femmes.

— Vos autres femmes. Votre harem.

Ses yeux se plissèrent et étaient animés d’une colère montante.

— Vous savez qu’elles m’ont invitée à me joindre à elles ?

Sang de Dieu.

— Et vous savez pourquoi ? Elles veulent que je fasse partie du harem afin qu’elles puissent se joindre à nous la prochaine fois que nous serons au lit ! Comme pour une grande nuit d’amour psychique ! Oh, parlez-moi d’orgasmes multiples. Je n’en peux plus d’attendre !

— Vous êtes sarcastique, n’est-ce pas ?

— Ah !

Elle leva ses poings serrés dans les airs.

Il serra les dents.

— Écoutez, j’ai dépensé énormément d’énergie pour faire en sorte que ce qui s’est passé entre nous demeure dans le domaine privé.

Et cette dépense d’énergie lui avait donné faim.

— Ce n’était pas privé ! Même les Highlanders savaient ce que nous faisions. Vous saviez que tout le monde le savait, mais vous faisiez encore l’amour avec moi.

Il marcha vers elle, et la colère commençait aussi à monter en lui.

— Personne n’a entendu ce qui s’est passé entre nous. C’était privé. J’ai entendu vos gémissements et vos cris. Personne d’autre.

J’ai senti votre corps frissonner lorsque…

— Arrêtez ça. Je n’aurais pas dû le faire. Pas quand vous avez un harem qui souhaite se joindre à nous.

Roman serra les poings, luttant pour conserver le contrôle de lui-même, mais c’était vraiment difficile quand il était aussi affamé.

— Je ne peux rien faire à propos d’elles. Elles ne sauraient pas comment survivre par leurs propres moyens.

— Vous voulez rire ! Elles doivent être âgées de combien de siècles avant de pouvoir devenir des adultes ?

— Elles ont été élevées à une époque où les femmes ne recevaient pas d’éducation et ne développaient pas d’habiletés pouvant être utilisées dans le cadre d’un emploi. Elles sont impuissantes, et je suis responsable d’elles.

— Est-ce que vous les voulez vraiment ?

— Non ! J’ai hérité d’elles quand je suis devenu le maître de la bande de vampires, en 1950. Je ne peux même pas me souvenir de tous leurs prénoms. J’ai passé tout mon temps à développer Romatech et à travailler dans mon laboratoire.

— Alors, si vous ne les voulez pas, donnez-les à quelqu’un d’autre. Il doit y avoir amplement de vampires mâles solitaires qui meurent sûrement d’envie d’avoir une bonne femme morte pour leur tenir compagnie.

La colère de Roman se mit à gronder en lui de plus belle.

— Je suis justement une de ces personnes mortes, moi aussi.

Elle croisa ses bras sur sa poitrine.

— Vous et moi sommes… différents. Je ne pense pas que ça pourra fonctionner.

— J’ai cru que nous nous en tirions très bien la nuit dernière.

Sang de Dieu, elle n’allait pas le quitter ainsi. Il ne la laisserait pas partir. Eh oui, ils se ressemblaient beaucoup. Elle le comprenait comme personne d’autre ne savait le faire.

— Je ne peux pas… je ne ferai pas l’amour avec vous de nouveau tant que ces femmes voudront se joindre à nous. Je ne tolérerai pas ça.

La colère se manifesta en lui à l’état pur.

— Vous ne pourrez pas me convaincre que vous n’avez pas aimé ce que nous avons fait la nuit dernière. Je sais que vous avez aimé ça. J’étais dans votre tête.

— Ça, c’était la nuit dernière. Aujourd’hui, je ne ressens plus que de l’embarras.

Roman avala difficilement sa salive.

— Vous avez honte de ce que vous avez fait ? Vous avez honte de moi ?

— Non ! Je suis fâchée que ces femmes aient des droits sur vous, qu’elles pensent qu’elles ont tous les droits de se joindre à nous dans la chambre à coucher.

— Je ne les laisserai pas faire ! Elles ne sont pas importantes pour moi, Shanna. Je les bloquerai.

— Vous ne devriez pas avoir à les bloquer, parce qu’elles ne devraient tout simplement pas être ici ! Ne comprenez-vous pas ? Je refuse de vous partager avec elles. Elles doivent partir !

Le souffle de Roman demeura coincé dans sa gorge. Sang de Dieu. C’était ça, le nœud du problème. Ce n’était pas qu’elle avait honte ou qu’elle ne se souciait pas de lui. Elle voulait vraiment être avec lui. Et elle le voulait pour elle, et juste pour elle.

Elle recula, les yeux agrandis.

— Je… je n’aurais pas dû vous dire cela.

— Mais c’est la vérité.

— Non.

Elle recula vers son bureau.

— Je… je n’ai aucun droit sur vous. Et je ne devrais pas m’attendre à ce que vous changiez totalement votre style de vie pour moi. De toute façon, cette relation ne peut probablement pas tenir la route.

— Oui, elle le peut.

Il marcha à grands pas vers elle.

— Vous me voulez. Vous voulez tout mon amour, toute ma passion, tout cela juste pour vous.

Elle recula d’un autre pas et se buta contre le fauteuil de velours.

— Je devrais m’en aller.

— Vous ne voulez pas me partager, n’est-ce pas, Shanna ? Vous me voulez pour vous toute seule.

Ses yeux lancèrent des éclairs.

— Enfin, je n’obtiens pas toujours ce que je veux, n’est-ce pas ?

Il l’agrippa par les épaules.

— Cette fois-ci, vous serez exaucée.

Il la souleva et posa ses fesses sur le sommet recourbé du fauteuil de velours rouge.

— Que… ?

Il la poussa doucement, et elle tomba dans le fauteuil.

— Que faites-vous ?

Elle lutta pour se relever et parvint à se soutenir sur ses coudes.

Ses hanches étaient toujours posées sur le sommet du fauteuil.

Il retira ses chaussures de sport blanches et les laissa tomber sur le plancher.

— Il n’y a que vous et moi, ici, Shanna. Personne ne saura ce que nous faisons.

— Mais…

— Intimité totale.

Il fit descendre la fermeture éclair de ses pantalons et les fit glisser sur ses jambes.

— Comme vous l’aviez souhaité.

— Attendez une minute ! C’est différent. C’est… réel.

— Et comment, c’est tout à fait réel. Et je suis prêt pour cela.

Il remarqua son slip de dentelle rouge. Sang de Dieu. Du vrai sexe.

— Nous devons y penser.

— Pensez vite.

Il s’empara de la dentelle rouge.

— Car ce slip s’en va.

Elle le regarda avec de grands yeux, sa poitrine se soulevant et s’abaissant rapidement.

— Vous… vos yeux sont rouges. Ils rougeoient.

— Cela signifie que je suis prêt à vous faire l’amour.

Elle déglutit. Son regard fixe passa à sa poitrine nue.

— Ça sera un pas important en avant.

— Je sais.

Il frotta la pulpe de son pouce sur la dentelle. Du vrai sexe physique avec une mortelle.

— Si vous me dites de m’arrêter, je le ferai. Je n’ai jamais voulu vous faire de mal, Shanna.

Elle se laissa tomber sur le fauteuil.

— Oh mon Dieu.

Elle se couvrit le visage.

— Alors ? Est-ce que nous passons du virtuel à la réalité ?

Elle baissa les mains et regarda son visage. Un frisson lui parcourut le corps. Elle chuchota :

— Allez verrouiller la porte.

Une tempête d’émotions fortes déferla dans le corps de Roman.

De l’excitation, du désir, et surtout du soulagement. Elle n’avait pas renoncé à lui. Il se rendit près de la porte, la verrouilla, et revint près d’elle en un éclair.

Les points noirs tournèrent de nouveau autour de sa tête lorsqu’il s’immobilisa. L’utilisation de la grande vitesse des vampires avait utilisé une trop grande quantité d’énergie, et il avait besoin de toute l’énergie qu’il lui restait pour Shanna. Il souleva une de ses jambes et retira son bas. Un pied à la fois, maintenant.

C’était bien réel, et il n’avait plus que deux mains. Plus de trucs de l’esprit.

Ses pieds étaient un peu différents de ce qu’il avait imaginé. Ils étaient plus longs et plus minces. Son deuxième orteil était aussi long que son gros orteil. Ces petits détails n’avaient pas été imaginés la nuit dernière, mais ils semblaient maintenant primordiaux. Il avait devant lui la vraie Shanna, et non un rêve érotique. Et aucun rêve ne pourrait jamais se comparer à la vraie Shanna.

Il serra la main autour d’une de ses chevilles et souleva sa jambe. Elle était longue et joliment galbée. Il glissa une main admirative sur son mollet. Sa peau était aussi douce qu’il se l’était imaginé, mais il y avait encore une fois des détails qu’il n’avait pas pu imaginer, comme ces quelques taches de rousseur au-dessus de son genou, et un grain de beauté plat à l’intérieur de sa cuisse.

Ce grain de beauté l’attira comme un aimant. Il appuya ses lèvres contre lui sans plus attendre. La chaleur de la peau de Shanna l’étonna. C’était nouveau. Différent. Les vampires ne produisent pas beaucoup de chaleur, alors il ne s’était jamais imaginé de corps chaud au cours de toutes ses années de sexe de vampire. Il n’avait pas davantage imaginé d’odeur. Sa peau avait l’odeur d’une femme propre, fraîche… et en vie. Du sang vivifiant.

Une grande veine palpitait sous sa peau. Du sang de type A positif.

Il frotta son nez à l’intérieur de sa cuisse, humant son riche parfum métallique.

« Arrête ! »

Il tourna la tête et appuya sa joue contre sa cuisse. Il devait arrêter avant que son instinct prenne le dessus et que ses canines s’allongent. Pour s’en assurer, il devrait donc boire une bouteille de sang avant d’aller plus loin.

Puis, ses narines se dilatèrent en sentant un autre parfum. Ce n’était pas le parfum du sang, mais il était tout aussi intoxicant. Il provenait de son slip, ou de ce qui se cachait dessous. Excitation.

Sang de Dieu. C’était doux. Il n’aurait jamais pu imaginer un parfum si puissant. Son membre se gonfla, se tendant contre son caleçon court de coton. Son odeur l’attira jusqu’à ce qu’il pose son nez contre le slip de dentelle.

Shanna haleta. Son corps frissonna.

Roman se redressa, se tenant entre ses jambes. Il saisit la partie supérieure de son slip et baissa la bande de tissu de quelques centimètres. Ses jointures étaient maintenant blotties contre une masse de poils bouclés.

Il la regarda fixement. Sang de Dieu. Il aurait dû le deviner.

Après tout, c’était une femme colorée. Son regard croisa le sien.

— Vous êtes rousse ?

— Je… crois que oui.

Elle se lécha les lèvres.

— Certains appellent cela blond fraise.

— Ou doré rougeâtre.

Il frotta ses jointures contre les poils souples. La texture était différente. C’était dru, bouclé, excitant. Il lui sourit.

— J’aurais dû le deviner. Vous avez le caractère d’une rousse.

Elle le regarda d’un air narquois.

— J’avais le droit d’être furieuse.

Il haussa les épaules.

— Le sexe de vampire est surestimé. Ceci…

Il jeta un coup d’œil vers ses doigts entrelacés dans ses frisettes.

— Ceci est beaucoup mieux.

Il glissa un doigt dans la fente moite.

Elle haleta, puis sursauta.

— Oh mon Dieu, c’est fou ce que vous me faites.

Elle posa une main contre sa poitrine, comme si elle voulait calmer sa respiration.

— Vous n’êtes pas en train de… me faire réagir comme ça, n’est-ce pas ? Vous savez, hier, quand vous étiez dans ma tête…

— J’avais suggéré des sensations dans votre esprit. Vos réactions étaient les vôtres.

Il enfonça son doigt plus profondément dans la chaleur humide jusqu’à ce qu’il frotte le col de son utérus.

Elle poussa un long gémissement.

— Vos réactions sont si belles.

Son doigt était complètement trempé. Son parfum flotta jusqu’à ses narines, impétueux et riche. Son membre se durcit encore davantage, le pressant de passer à l’action. Il fit glisser son slip sur ses hanches et le long de ses jambes, puis le laissa tomber sur le plancher.

Elle l’accueillit entre ses jambes, les écartant pour lui et les enveloppant ensuite autour de sa taille. Son érection était vraiment inconfortable, mais avant qu’il ait fait quoi que ce soit, il voulait la voir. Il se pencha et repoussa les frisettes humides. Là. Là se trouvait donc cette chair si douce, enflée et scintillante de la rosée de son propre désir. Du désir qu’elle éprouvait pour lui. C’était presque impossible à endurer. Il domina ses propres besoins pressants. Non, pas encore.

Il voulait d’abord la goûter.

Il glissa ses mains sous ses fesses et la souleva jusqu’à sa bouche. Elle poussa un petit cri. Ses jambes se resserrèrent autour de lui, puis tremblèrent avec chaque lent passage de sa langue sur elle. Il commença par explorer son intimité avec lenteur et douceur, mais les petits cris de plaisir de Shanna l’incitèrent bientôt à augmenter la cadence et l’intensité. Elle enfonça ses talons en lui et se tordit de plaisir contre lui. Il s’agrippa à ses hanches et fit bouger sa langue à la vitesse des vampires.

Elle poussa un cri, le corps secoué de plaisir. Un flot de son doux parfum couvrit son visage. Elle tremblait suite à son orgasme, et était à bout de souffle. Son sexe gonflé était appuyé contre lui.

Engorgé de sang, rouge, et alimenté par les battements de son cœur.

Il tourna la tête, tentant d’échapper à l’inévitable réaction. Sa cuisse se pressa cependant contre son nez, et le sang qui battait dans ses veines était collé contre sa peau.

Son instinct de survie hurla avec force en lui. Ses canines bondirent brusquement de ses gencives, et il les enfonça dans la riche veine de l’intérieur de sa cuisse. Son sang remplit sa bouche.

Son cri perçant envahit ses oreilles, mais il ne pouvait pas s’arrêter.

Il était dominé par sa faim ainsi attisée par le désir, et il ne pouvait se souvenir d’avoir déjà goûté à un sang aussi riche et délicieux.

Elle hurla et lutta pour se défaire de son emprise, mais il agrippa sa jambe encore plus fort et avala une autre longue et succulente gorgée de son sang.

— Roman, arrêtez !

Elle lui donna un coup de pied avec son autre jambe.

Il figea. Sang de Dieu. Qu’avait-il fait ? Il avait fait le serment de ne plus jamais mordre de mortels. Il dégagea ses canines de sa cuisse, et des perles de sang coulèrent des trous dans sa jambe.

Elle se tordit sur le fauteuil pour mettre de la distance entre eux.

— Éloignez-vous de moi !

— Sha… commença-t-il à dire avant de se rendre compte que ses canines étaient encore sorties.

Il tenta donc de les rétracter avec le peu de force qu’il lui restait.

Elles ne voulurent pas collaborer. Il avait si faim, et était si faible. Il avait besoin de se rendre jusqu’au comptoir où il avait laissé une bouteille de sang.

Quelque chose dégouttait de son menton. Son sang. Nom de Dieu ! Ce n’était pas étonnant qu’elle le regarde ainsi avec des yeux remplis d’horreur. Il devait ressembler à un monstre.

Il était un monstre. Et il avait mordu la femme qu’il aimait.

Vingt et un

Il l’avait mordue.

Shanna le vit marcher vers le bar comme si de rien n’était.

Comme si de rien n’était ? C’était son sang à elle qui dégouttait de son visage. Elle regarda fixement les trous dans sa cuisse gauche.

Dieu merci, il s’était arrêté avant de l’avoir vidée de son sang. S’il n’avait pas cessé de s’en nourrir, elle serait maintenant dans le coma, attendant de se faire transformer.

Oh mon Dieu. Elle baissa la tête entre ses mains. A quoi s’attendait-elle ? Il suffisait d’accepter une danse avec le diable pour se brûler. Fait surprenant, ça n’avait pas brûlé, et ça n’avait même pas vraiment piqué non plus. La douleur avait été de très courte durée. C’était le choc qui l’avait terrifiée. Le choc de voir ses canines bondir ainsi de ses gencives et de les sentir percer sa peau. Elle avait ensuite vu son propre sang dégoutter de ses canines. Elle n’avait toutefois pas perdu connaissance. Son instinct de survie était entré dans la danse.

Il avait totalement perdu le contrôle. Elle aurait normalement aimé l’idée de pouvoir déséquilibrer un homme à ce point pendant l’acte sexuel. Qui ne voudrait pas avoir un tel pouvoir sexuel ?

Reste que le fait de déséquilibrer ainsi Roman signifiait qu’elle donnait libre cours à l’appétit d’un vampire qui la considérerait alors comme son petit-déjeuner.

Oh mon Dieu, comment une telle relation pouvait-elle fonctionner ? Son cœur désirait Roman avec ardeur, mais la seule façon de gérer la situation était de le faire à distance. Elle pouvait accepter la protection qu’il lui offrait pour l’instant, mais se devait de refuser sa passion.

Et ça lui faisait mal. Bien plus encore que ces maudits trous dans sa jambe. Pourquoi devait-il être un vampire ? Il était un homme si merveilleux. Il serait parfait pour elle s’il n’était pas mort.

Elle regarda vers le plafond.

« Pourquoi ? Tout ce que je voulais était une vie normale, et vous m’offrez un vampire ? Quel était donc ce genre de justice divine ? »

Un fort bruit sourd fut sa réponse. Shanna tourna la tête pour regarder derrière elle. Roman s’était effondré sur le plancher à quelques pas du bar.

— Roman ?

Elle se leva. Il était immobile sur le plancher, le visage contre le tapis.

— Roman ?

Elle s’approcha lentement de lui.

Il poussa un gémissement et roula sur son dos.

— J’ai…besoin… de… sang.

Bon Dieu, il n’avait vraiment pas l’air bien. Il devait être affamé.

Il ne lui avait sûrement pas pris beaucoup de sang. Elle vit la bouteille sur le comptoir. Du sang. Une pleine bouteille. Merde alors. Elle ne voulait pas faire ça. Elle pensa à s’habiller et à faire entrer le garde dans la pièce. Elle jeta un coup d’œil à Roman. Ses yeux étaient fermés, et sa peau était pâle comme celle d’un mort. Il ne pouvait pas patienter. Elle devait prendre des mesures immédiates.

Elle était figée, son cœur battant très fort dans sa poitrine. Elle eut l’impression pendant un court moment qu’elle était de retour derrière les plantes vertes dans le restaurant, à regarder Karen mourir. Et elle n’avait rien fait. Elle avait laissé sa peur l’empêcher d’aider Karen. Elle ne pouvait faire cela une nouvelle fois.

Elle avala sa salive avec difficulté et marcha vers la bouteille de sang. En arrivant près du comptoir, l’odeur du sang lui remémora d’affreux souvenirs. Sa meilleure amie étendue dans une mare de sang. Elle tourna la tête, essayant de ne pas en humer l’arôme. Elle avait un autre ami maintenant, et il avait besoin de ça. Elle ferma la main autour de la bouteille. Il était froid. Devait-elle le faire réchauffer pour qu’il ait un goût plus frais ? Cette pensée lui retourna l’estomac.

— Shanna.

Elle jeta un coup d’œil vers lui. Roman s’efforçait de s’asseoir sur le plancher. Bon Dieu, cet homme était si faible. Si vulnérable. Il n’était peut-être pas surprenant qu’il l’ait mordue alors qu’il avait tant besoin de sang. Ce qui était surprenant était qu’il soit parvenu à lâcher prise en se retirant d’elle. Il s’était mis en danger.

— J’arrive.

Elle s’agenouilla à côté de lui. Elle lui soutint les épaules avec un bras, et de l’autre, souleva la bouteille près de sa bouche. Du sang. Elle sentit de la bile monter dans sa gorge. Sa main trembla, et quelques gouttes de sang dégouttèrent de son menton. Un autre souvenir arriva de plein fouet dans sa tête. Du sang qui s’écoulait de la bouche de Karen.

— Oh mon Dieu.

Sa main trembla.

Roman leva sa main pour stabiliser celle de Shanna, mais la sienne tremblait aussi. Il but longtemps et à grandes gorgées, sa gorge bougeant chaque fois qu’il en avalait une.

— Est-ce que vous êtes en train de m’aider à faire ceci ? Par le contrôle de l’esprit ?

Il s’était servi du contrôle de l’esprit dans le centre de soins dentaires pour l’aider à surmonter sa peur.

Il baissa la bouteille.

— Non. Je n’en aurais pas la force.

Il ramena la bouteille à sa bouche.

Elle surmontait donc sa crainte sans aide. Elle se sentait toujours quelque peu dégoûtée à le voir avaler ce sang froid, mais elle n’avait pas perdu connaissance.

— Ça va mieux, maintenant. Merci.

Il souleva la bouteille une dernière fois et en avala le contenu jusqu’à la dernière goutte.

— D’accord.

Elle se releva.

— Je crois que je vais y aller maintenant.

— Attendez.

Il se releva lentement.

— Laissez-moi…

Il prit son bras.

— J’aimerais m’occuper de vous.

— Je vais bien.

Elle ne savait pas si elle devait rire ou pleurer. Elle était là, à moitié nue, avec des trous dans sa cuisse. Peut-être qu’elle était sous le choc. Elle avait plutôt l’impression que c’était semblable à un chagrin. Comme une lourde pierre noire écrasant son cœur, qui lui rappelait constamment qu’une relation avec un vampire ne pourrait jamais fonctionner.

— Venez.

Il la conduisit vers sa chambre à coucher.

Elle jeta un coup d’œil triste à son grand lit. Si seulement il était un mortel. D’après ce qu’elle voyait dans sa chambre, il était propre et ordonné. Il l’entraîna dans la salle de bains. Oh, il baissait même le siège. Que pouvait-elle demander de plus ? Si seulement il était vivant.

Il fit couler l’eau du robinet au-dessus du lavabo. Il n’y avait pas de miroir. Juste une peinture à l’huile représentant un joli paysage. De vertes collines, des fleurs rouges, et un soleil brillant.

Peut-être s’ennuyait-il du soleil. Il serait difficile de vivre sans soleil.

Il mouilla un gant de toilette, puis se pencha pour nettoyer sa cuisse. Le tissu chaud la calma. Elle eut soudainement envie de s’écrouler et de s’effondrer sur le plancher.

— Shanna, je suis vraiment désolé. Cela ne se produira plus.

Non, ça ne se reproduirait plus. Ses yeux se remplirent de larmes. Plus d’amour, plus de passion. Elle ne pouvait pas aimer un vampire.

— Est-ce que c’est douloureux ?

Elle détourna le regard afin qu’il ne puisse voir les larmes qui lui montaient aux yeux.

— J’imagine que oui.

Il se redressa.

— Ça n’aurait jamais dû arriver. Je n’ai mordu personne au cours des 18 dernières années, soit depuis l’avènement du sang synthétique. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a eu une transformation d’urgence, celle de Gregori.

— Radinka m’a parlé de cela. Vous ne vouliez pas le faire.

— Non.

Roman ouvrit un tiroir et en retira deux pansements.

— Je ne voulais pas condamner son âme immortelle.

Il parlait comme un vrai moine médiéval. Le cœur de Shanna avait mal pour lui. Il pensait évidemment que sa propre âme était damnée.

Il déchira l’emballage contenant les pansements.

— C’est lorsqu’un vampire se réveille en soirée qu’il a le plus faim. J’étais sur le point de me nourrir lorsque vous êtes entrée.

J’aurais dû boire une bouteille avant de vous faire l’amour.

Il fixa les pansements sur ses blessures.

— Dorénavant, assurons-nous que je mange d’abord.

Il n’y aurait pas de dorénavant.

— Je… je ne peux pas !

— Qu’est-ce que vous ne pouvez pas ?

Il sembla si inquiet. Et il était si beau. Sa peau avait repris des couleurs. Il avait de larges épaules.

Sa poitrine était nue, et ses poils semblaient être si doux et si palpables. Ses yeux bruns dorés l’observaient avec insistance.

Shanna repoussa ses larmes en clignant des yeux.

— Je ne peux pas… croire que vous avez une toilette.

Froussarde, se dit-elle en elle-même pour se réprimander. Elle détestait le blesser. Elle détestait se blesser aussi.

Il sembla étonné.

— Oh, eh bien, je l’utilise.

— Vous utilisez les toilettes ?

— Oui. Nos corps n’ont besoin que des globules rouges. Des substances comme du plasma et les ingrédients supplémentaires de la cuisine Fusion ne sont pas nécessaires, et se transforment donc en déchets.

— Oh.

Elle avait eu plus de détails que ce qu’elle souhaitait vraiment savoir.

Il inclina la tête.

— Est-ce que ça va ?

— Bien sûr.

Elle se retourna et quitta la salle de bains, consciente qu’il avait les yeux rivés sur ses fesses nues. Et tant pis pour la sortie gracieuse. Elle traversa son bureau et se dirigea vers la pile de vêtements qui se trouvait sur le plancher.

Elle se rhabilla, puis s’assit sur le fauteuil. Elle était en train d’attacher ses souliers lorsqu’il revint dans le bureau. Il retira une autre bouteille du petit réfrigérateur et l’enferma dans le four à micro-ondes. Il était tout habillé, à présent, portant des jeans noirs et une chemise polo grise. Il avait lavé son visage et brossé ses cheveux. Il était absolument ravissant, et apparemment encore affamé.

Le four à micro-ondes sonna, et il versa le sang réchauffé dans un verre.

— Je dois vous remercier encore une fois.

Il but à petites gorgées et marcha à grands pas vers le bureau.

— Je n’aurais pas dû me laisser devenir aussi affamé. Vous avez été très aimable de m’aider après… ce que je vous ai fait.

— Après m’avoir mordue, vous voulez dire ?

— Oui.

Il sembla irrité en s’assoyant derrière son bureau.

— Je préfère considérer l’aspect positif des choses.

— Vous plaisantez, n’est-ce pas ?

— Non. Il y a quelques nuits, vous avez perdu connaissance à la seule vue du sang. J’ai dû vous aider pour que vous puissiez me réimplanter ma dent, faute de quoi, vous auriez perdu connaissance une nouvelle fois. Et ce soir, vous m’avez donné du sang à boire.

Vous avez vaincu votre peur, Shanna. Il y a de quoi être fière.

Enfin, oui. Elle faisait assurément des progrès.

— Et nous avons également la preuve que vous êtes une excellente dentiste.

— Quelle est cette preuve ?

— Eh bien, vous avez réimplanté ma canine, et elle fonctionne parfaitement.

Elle poussa un grognement.

— Ah oui. J’ai même des marques pour le prouver.

— C’était une erreur de parcours malheureuse, mais il est bon de savoir que la dent est bien fixée. Vous avez fait un très bon travail.

— Ouais. Ce serait épouvantable pour vous d’avoir seulement une canine en fonction. Faute de quoi, vos amis vous auraient traité de gauchiste.

Il haussa ses sourcils.

— Je suppose que vous êtes fâchée.

Il respira à fond.

— Je suppose que je le mérite.

Elle n’était pas fâchée. Elle était blessée, triste, et fatiguée.

Fatiguée d’essayer de s’adapter à tous les événements choquants qui s’étaient produits au cours des derniers jours. Une partie d’ellemême voulait juste se glisser dans un lit pour ne plus jamais en ressortir. Comment pouvait-elle simplement commencer à expliquer comment elle se sentait ?

— Je…

Elle fut sauvée par le bruit de ferraille soudain de la poignée de porte.

— Roman ? dit Gregori en frappant à la porte. Pourquoi avoir verrouillé la porte ? Nous avons un rendez-vous.

— Merde, je l’avais oublié, murmura Roman. Excusez-moi.

Il passa en vitesse vampire et alla déverrouiller la porte avant de revenir s’asseoir à son bureau.

Shanna était bouche bée. La vitesse vampire était très déconcertante à observer, même si elle s’était avérée bien pratique pendant l’acte sexuel. Elle rougit. Elle ne pouvait penser au sexe.

Pas quand ce dernier avait été suivi par des canines pointues et une perte de sang.

— Hé, mon frère.

Gregori entra nonchalamment dans le bureau avec un porte-document sous le bras. Il portait des vêtements de soirée et une superbe cape.

— J’ai avec moi la présentation qui propose une solution au problème des pauvres. Hé, ma jolie.

Il hocha la tête en direction de Shanna.

— Bonjour.

Elle se leva.

— Je devrais y aller.

— Vous pouvez rester. En fait, j’aimerais avoir votre avis.

Gregori retira quelques grands cartons de son porte-document et les appuya sur le bureau de Roman.

Shanna s’assit en lisant le premier carton : « Comment encourager les vampires sans le sou à boire le sang synthétique. »

Roman jeta un coup d’œil à Shanna.

— Il est difficile de persuader les pauvres vampires à acheter du sang synthétique quand ils peuvent en obtenir du vrai à volonté.

Et tout à fait gratuitement.

— Vous voulez dire qu’ils peuvent se nourrir directement à la source : les mortels.

Elle le regarda en fronçant les sourcils.

— Comme moi.

Il lui rendit son regard avec une expression qui voulait dire :

« Bon, d’accord, passez à autre chose maintenant. »

Gregori regarda Roman, puis Shanna.

— Est-ce que j’interromps quelque chose ?

— Non.

Shanna fit un signe en direction des cartons.

— Poursuivez, s’il vous plaît.

Gregori sourit, puis commença sa présentation.

— La mission des Industries Romatech est de rendre le monde sécuritaire pour les vampires et les mortels. Je sais que je parle au nom de tous les employés de Romatech quand je dis que je ne voudrais jamais faire de mal à un mortel.

Il déposa le premier carton afin de révéler le second.

Il y avait deux mots : « Abordable. Pratique. » Shanna espéra seulement que ces deux mots ne faisaient pas référence à elle.

— Je crois que ces deux facteurs sont la solution au problème des pauvres, continua Gregori. J’ai discuté du facteur « abordable »

avec Laszlo, et il a eu une idée brillante. Puisque nous avons uniquement besoin des globules rouges pour survivre, Laszlo a pensé faire un mélange de globules rouges et d’eau. Ce mélange serait beaucoup plus abordable à produire que le sang synthétique normal ou une de vos boissons de cuisine Fusion.

Roman hocha la tête.

— Il aura probablement un goût de pâté pour les porcs.

— Nous travaillerons sur le goût. Maintenant, passons au facteur « pratique ».

Gregori révéla le prochain carton de sa présentation. On pouvait voir un édifice avec une fenêtre pour passer la commande.

— C’est un restaurant pour les vampires, expliqua-t-il. Le menu comprendra les boissons favorites de votre cuisine Fusion, comme le Chocosang et le Sang Léger, et comprendra également le nouveau mélange abordable. Les repas seront réchauffés et servis rapidement.

Shanna cligna des yeux.

— De la restauration rapide ?

—Exactement !

Gregori hocha la tête.

— Et avec notre nouveau mélange de globules rouges et d’eau, ce sera très abordable.

— Le repas économique des vampires ! Quel nom donnerez-vous au restaurant ? La chauve-souris pour emporter ? Le roi des vampires ?

Shanna laissa échapper un petit fou rire à sa grande surprise.

Gregori rit sous cape.

— Vous êtes bonne à ce jeu.

Roman ne riait pas. Il observait Shanna avec curiosité.

Elle l’ignora et pointa du doigt en direction de la fenêtre sur le carton.

— Ne serait-il pas dangereux d’avoir une fenêtre pour passer une commande ? Un humain pourrait faire la file en pensant qu’il s’agirait d’un restaurant bien réel, et constaterait ensuite qu’il n’y a que du sang au menu. Cela risquerait de faire connaître à tous votre grand secret, n’est-ce pas ?

— Elle a un point valable, dit Roman.

— Je sais quoi faire.

Elle leva les mains et visualisa le restaurant.

— Vous louez un étage supérieur, disons le dixième étage d’un édifice, et vous placez la fenêtre pour passer les commandes à cet endroit. De cette façon, les humains ne pourraient pas faire la file.

Gregori la regarda d’un air confus.

— Dix étages ?

— Oui ! Ce serait une fenêtre pour les commandes volantes.

Shanna éclata de rire.

Gregori échangea un regard avec Roman.

— Nous ne volons malheureusement pas.

Roman se leva.

— Je pense que vous avez de bonnes idées, Gregori. Demandez à Laszlo de commencer à travailler sur la formule du repas…

économique.

Shanna se couvrit la bouche, mais d’autres rires bébêtes s’en échappèrent.

Roman lui jeta un regard inquiété.

— Et commencez à penser à un endroit qui pourrait convenir pour le restaurant.

— D’accord, patron.

Gregori replaça les cartons dans son porte-document.

— Je vais aller faire la tournée des bars avec Simone ce soir. À

des fins de recherche, bien sûr. J’examinerai la plupart des repaires préférés des vampires pour voir ce qui fonctionnerait le mieux.

— Super. Essayez de faire en sorte que Simone ne s’attire pas d’ennuis.

Gregori hocha la tête.

— Je ferai de mon mieux. Vous savez qu’elle a accepté de sortir avec moi simplement parce qu’elle tente de vous rendre jaloux.

Shanna ne se sentit soudainement plus d’humeur à rigoler. Elle jeta un coup d’œil à Roman.

Il eut la grâce d’avoir l’air embarrassé.

— J’ai précisé à Simone qu’elle ne m’intéressait pas.

— Ouais, je sais.

Gregori marcha vers la porte, puis s’arrêta.

— Oh, j’ai pensé organiser une étude de marché, demain soir, à Romatech. Demandez à un groupe cible de vampires sans le sou de venir remplir un questionnaire au sujet du nouveau restaurant. Je passerai le mot ce soir dans les bars de vampires.

— C’est parfait.

Roman marcha vers la porte.

Gregori jeta un coup d’œil vers Shanna.

— Hé, vous êtes bonne dans ce genre de travail. Voudriez-vous nous aider avec ce projet de recherche demain soir ?

— Moi ?

— Ouais. Ça se passerait à Romatech, donc vous seriez en lieu sûr.

Gregori haussa les épaules.

— Ce n’est qu’une idée. Ça vous donnerait quelque chose à faire.

Shanna considéra l’autre option qui se présentait à elle, soit de passer du temps dans la maison de Roman avec les membres de son harem.

— Ouais. J’aimerais bien. Merci.

— Parfait.

Gregori plaça son porte-document sous son bras.

— Alors, je m’en vais faire la tournée des bars en ville. Cette cape est branchée, non ? C’est Jean-Luc qui me l’a prêtée.

Elle sourit.

— Vous êtes séduisant, jeune homme.

Gregori marcha vers la porte en se pavanant.

— Je suis trop sexy pour ma cape, trop sexy pour mes canines.

Trop sexy.

Il tourna sur lui-même et adopta une pose disco en pointant le plafond de sa main.

— Trop sexy !

Il quitta la pièce en faisant virevolter sa cape.

Shanna sourit.

— Je crois qu’il aime être un vampire.

Roman ferma la porte et retourna à son bureau.

— C’est un vrai vampire moderne. Il n’a jamais eu à mordre un humain pour survivre.

Elle grogna.

— Vous voulez dire, il est si jeune, qu’il a seulement été nourri à la bouteille ?

Roman sourit en s’assoyant derrière son bureau.

— Si vous avez envie de le taquiner un jour, dites-lui simplement que le disco est mort.

Shanna rit, puis regarda Roman. L’aspect tragique de leur relation lui revint d’un seul coup en mémoire, et cela coupa brusquement son fou rire. Comment leur relation pouvait-elle fonctionner un jour ? Elle vieillirait, et lui demeurerait jeune. Elle doutait de pouvoir avoir des enfants avec lui, ou même la vie normale qu’elle voulait avoir. Et il ne pourrait pas faire l’amour avec elle sans vouloir la mordre. C’était impossible.

Roman se pencha vers l’avant.

— Est-ce que ça va ?

— Bien sûr.

Ces deux mots sortirent de sa bouche avec un ton un peu aigu et grinçant. Des larmes lui assombrirent les yeux, et elle détourna le regard.

— Vous avez vécu beaucoup de choses ces derniers jours. On a menacé votre vie. Votre réalité a été…

— Détruite ?

Il tressaillit.

— J’allais dire que votre réalité a été changée. Vous êtes maintenant au courant de l’existence du monde des vampires, mais le monde des mortels est encore semblable à ce qu’il a toujours été.

Il ne serait plus jamais le même. Shanna renifla en essayant de retenir ses larmes.

— Tout ce que je voulais était d’avoir une vie normale. Je voulais planter mes racines dans une communauté et avoir le sentiment que j’étais à ma place. Je voulais un travail normal et stable. Un mari normal et stable.

Une larme roula sur sa joue, et elle l’essuya rapidement.

— Je voulais une grande maison, avec une grande cour, une clôture et un gros chien. Et…

Une autre larme coula sur sa joue.

— Je voulais des enfants.

— Ce sont là de bonnes choses à souhaiter, chuchota Roman.

— Oui.

Elle s’essuya les joues et évita de le regarder.

— Vous ne pensez pas que nous avons un avenir vous et moi, n’est-ce pas ?

Elle secoua la tête. Elle entendit sa chaise grincer et elle risqua un regard rapide dans sa direction. Il s’était appuyé contre le dossier de sa chaise et il regardait fixement le plafond. Il semblait calme en apparence, mais elle pouvait voir les muscles de sa mâchoire se raidir tandis qu’il serrait les dents.

— Je devrais peut-être m’en aller maintenant.

Elle se leva, mais ses jambes étaient chancelantes.

— Un mari normal et stable, murmura-t-il.

Il se pencha vers l’avant, et la fixa avec des yeux fâchés.

— Vous avez trop de vie et trop d’intelligence en vous pour vous contenter d’un mari ennuyeux. Vous avez besoin de passion dans votre vie. Vous avez besoin de quelqu’un qui offre un défi à votre esprit, et qui vous fait crier au lit.

Il se leva.

— Vous avez besoin de moi.

— Comme j’ai besoin d’un trou dans ma tête. Ou dans mon cas, de trous dans ma jambe.

— Je ne vais pas vous mordre à nouveau !

— Vous ne pouvez pas vous en empêcher !

Des larmes coulèrent sur son visage.

— C’est dans votre nature.

Il s’assit dans sa chaise, le visage pâle.

— Vous croyez que c’est dans ma nature d’être maléfique ?

—Non !

Elle essuya ses joues d’un geste de colère.

— Je pense que vous êtes bon et honorable et… presque parfait.

Je sais que vous ne voudriez jamais faire de mal à quelqu’un, mais lorsque nous faisons l’amour, vous en arrivez à un point où vous perdez le contrôle. Je l’ai vu. Vos yeux deviennent rouges, et vos dents…

— Cela ne se produira plus. Je boirai une pleine bouteille avant de vous faire l’amour.

— Vous ne pouvez pas vous en empêcher. Vous… vous êtes trop passionné.

Il serra les poings.

— Il y a une bonne raison pour cela.

— Vous ne pouvez pas me garantir que vous ne me mordrez pas de nouveau. C’est seulement… ce que vous êtes.

— Je vous donne ma parole. Tenez.

Il se servit d’un crayon pour déplacer la croix et la chaîne en argent sur son bureau.

— Mettez ceci. Je ne serai même pas capable de vous embrasser, et encore moins capable de vous mordre.

Shanna soupira, puis passa la chaîne autour de son cou.

— Je suppose que j’ai aussi besoin d’anneaux en argent pour mes orteils et de jarretelles en argent. Oh, et d’un anneau de nombril en argent et d’anneaux en argent pour mes mamelons.

— N’allez surtout pas percer votre corps magnifique.

— Et pourquoi pas ? Vous l’avez bien fait.

Il tressaillit.

Merde. Voilà qu’elle le blessait de nouveau.

— Je suis désolée. Je ne gère pas très bien la situation.

— Vous la gérez bien, mais vous avez vécu trop de choses dernièrement. Vous avez ri plutôt sottement avec Gregori. Je pense que vous vous sentez un peu… chancelante, en ce moment. Vous devriez aller vous reposer.

— Peut-être bien.

Shanna souleva le crucifix pour l’examiner.

— Quel âge a cette croix ?

— C’est le père Constantine qui me l’a donnée quand j’ai été ordonné.

— Elle est très belle.

Elle l’appuya contre sa poitrine et prit une grande inspiration.

— Connor m’a parlé du sort qui a été réservé aux moines. Je suis réellement désolée. Vous devez savoir que ce n’était pas de votre faute.

Il ferma les yeux et se frotta le front.

— Vous avez dit que nous étions différents, mais nous ne le sommes pas. Nous nous ressemblons beaucoup. Vous ressentez la même chose envers votre amie qui a été assassinée. Nous avons un lien émotif, et un fort lien psychique aussi. Vous ne pouvez pas l’ignorer.

Les larmes menacèrent de déborder de nouveau.

— Je suis désolée. J’aimerais vraiment que vous soyez heureux.

Après tout ce que vous avez vécu, vous méritez le bonheur.

— Et vous aussi. Je ne perds pas espoir en nous, Shanna.

Une larme glissa sur sa joue.

— Ça ne fonctionnera jamais. Vous serez jeune et beau pour toujours, et je vieillirai, et mes cheveux grisonneront.

— Je m’en fiche. Ce n’est pas important.

Elle renifla.

— Bien sûr que c’est important.

— Shanna.

Il se leva et contourna le bureau.

— Vous serez toujours la même. Et je vous aime.

Vingt-deux

Dix minutes plus tard, Roman se téléporta dans le bureau de Radinka, à Romatech.

Elle leva les yeux vers lui.

— Vous voilà enfin. Vous êtes en retard. Angus et Jean-Luc vous attendent dans votre bureau.

— D’accord. Radinka, j’ai besoin que vous fassiez une recherche pour moi.

— Bien sûr.

Elle se pencha en avant et posa ses coudes sur son bureau.

— De quoi s’agit-il ?

— Je pense que je devrais acheter une nouvelle propriété.

— Pour une nouvelle usine ? C’est une bonne idée, surtout avec ces Mécontents qui traînent dans les environs en posant des bombes. En passant, j’ai ordonné un transfert de sang synthétique de votre usine de l’Illinois.

— Merci.

Radinka prit un stylo et un bloc-notes.

— Alors, où la voulez-vous, cette nouvelle usine ?

Roman fronça les sourcils, puis se dandina.

— Ce n’est pas une usine. J’ai besoin… d’une maison. D’une grande maison.

Les sourcils de Radinka s’arquèrent, mais elle griffonna sa demande sur son bloc-notes.

— Avez-vous des spécifications, autres que celle de vouloir qu’elle soit grande ?

— Elle doit être située dans une communauté agréable, pas très loin d’ici. Et avoir une cour clôturée, une grande cour, et un gros chien.

Elle tapota le bout de son stylo sur son bloc-notes.

— Je ne crois pas que les chiens soient normalement compris dans l’achat d’une maison.

— Je suis conscient de cela.

Il croisa les bras, irrité par le petit sourire qui s’affichait sur le visage de Radinka.

— Je vais tout de même avoir besoin de savoir où acheter un gros chien, ou peut-être un chiot qui grandira et deviendra gros.

— Quelle race de chien, si je peux oser vous le demander ?

— Un gros.

Il serra les dents.

— Obtenez-moi quelques images de races différentes. Et quelques photos de maisons à vendre. Ce n’est pas moi qui prendrai la décision.

— Oh.

Le sourire de Radinka s’élargit.

— Est-ce que cela signifie que les choses vont bien entre vous et Shanna ?

— Non, elles ne vont pas bien. Je finirai probablement par louer cette maison.

Le sourire de Radinka s’estompa.

— Alors, peut-être que cette idée est prématurée. Si vous insistez trop, elle risque de fuir.

« Elle pourrait fuir de toute façon », pensa Roman en poussant un gémissement.

— Elle veut une vie normale et un mari normal plus que tout au monde.

Il haussa une épaule en grimaçant.

— Je ne suis pas exactement normal.

La bouche de Radinka trembla.

— Je suppose que vous avez raison, mais après 15 ans à Romatech, je ne sais plus ce qui est normal.

— Je peux lui offrir une maison normale et un chien normal.

— Vous essayez d’acheter la normalité ? Elle verra clair à travers votre jeu.

— J’espère qu’elle verra que je veux réaliser ses rêves.

J’essayerai de lui donner une vie aussi normale que possible.

Radinka fronça les sourcils et réfléchit.

— Je pense que tout ce qu’une femme souhaite, c’est d’être aimée.

— Ça, elle l’a. Je viens de lui dire que je l’aimais.