CHAPITRE XIII

  • Encore combien d'heures de nuit? murmura Kaj au guide.

  • Presque neuf heures, on est partis tôt.

  • Et eux, combien de temps pour arriver?

Avec le Transport, ses infrarouges et son silence, encore une demi-heure, je crois. Il déposera les hommes beaucoup plus près.

Allongé sur le sable, Kaj finissait par en avoir mal aux yeux à force de scruter le camp colon, enregistrant chaque détail, imaginant la suite des manœuvres. Finalement, il avait demandé, à la fin de leur conversation, d'envoyer également deux soldats par T.A. ou commando. Ils suivraient chaque membre des troupes d'assaut et s'empareraient des armes pour seconder ensuite leur leader. Ça triplerait assez rapidement l'effectif d'attaque.

  • Pourvu qu'ils acceptent d'attaquer un camp colon, lâcha-t-il.

  • Vous l'avez bien fait, vous, avec les Fédérés. On n'est pas plus lâches que vous.

  • Ça je ne l'ai jamais pensé. Mais ce sera dur pour beaucoup de tirer sur les leurs. Et, quand on hésite, on se fait griller.

  • On va réussir, capitaine, ayez confiance en nous.

Kaj ne répondit pas. C'était vrai qu'ils jouaient un coup de poker. Il suffisait qu'il y ait des détachements dans les Transports de débarquement et l'adversaire serait bien plus nombreux. En outre, il ne fallait surtout pas tirer sur les engins, ils devaient être intacts !

Et puis, faudrait-il encore que le roboticien réussisse à bidouiller les ordis de vol. Combien de temps cela lui prendrait-il ?

L'inaction augmentait la tension de Kajerhom. Quelqu'un se glissa près de lui, murmurant :

  • On va les avoir, capitaine, ne vous en faites pas, donnez seulement vos ordres, on fera le nécessaire. Nous autres, commandos, on vaut bien vos T.A.

Ça, c'était la surprise. Un commando colon qui venait se mettre sous ses ordres ! Il s'efforça de ne pas modifier le ton de sa voix :

  • Ce qui me préoccupe, c'est le nombre d'inconnues, surtout les gros Transports. Y a-t-il du monde à l'intérieur ou pas ?

  • Mon frère est allé voir, glissa doucement un pionnier.

  • Ton frère?

  • L'autre guide, c'est mon frère. Il est allé dans le camp vérifier si les Transports sont vides ou pas.

Bon sang, gonflé le gars ! Kaj reporta le scope à son œil, le braquant vers les gros engins. Il ne vit aucun mouvement.

  • Il y a forcément un détachement de protection, murmura-t-il pour lui-même. Mais avec leurs tentes camouflées, impossible de les distinguer et d'en évaluer l'importance. Il va falloir commencer par se

  • glisser en silence et attaquer au couteau, avant d'être obligé d'utiliser les thermiques, au dernier moment.

Moins d'un quart d'heure plus tard, quelqu'un se glissa près de lui. Il n'avait rien entendu venir, le type connaissait son affaire.

  • Les hommes sont groupés à cinquante mètres, fit la voix de Barzzi. Donnez-moi vos ordres, capitaine.

  • Les deux soldats désarmés par commando ? interrogea Kaj.

  • Pour la plupart des troupes au sol colons. Je les ai choisis moi-même. Ils sont en état physiquement et suivront aveuglément leur leader.

Kajerhom lui tendit le scope.

  • Tenez, gravez le tableau dans votre mémoire. Il attendit quelques minutes, le temps que Barzzi ait balayé le camp colon. Puis commença :

  • On attend le retour de l'un de mes guides qui est allé voir si les Transports de débarquement sont vides puis on se glisse. La moitié de vos hommes avec vous, par la droite, l'autre moitié avec moi, à gauche. On prendra chacun un com. pour se tenir au courant. Première consigne, attaquer au couteau, sous les tentes qu'on repère au fur et à mesure de l'avance, et on arme les soldats sans thermique. Dès le premier tir de thermique, on se redresse, on attaque à fond, droit devant, en balayant tout ce qui bouge. Plus l'action sera rapide, plus on a de chances d'anéantir un détachement beaucoup plus nombreux que nous.

  • Entendu. Je retourne près des hommes et les sépare en deux groupes. Je vous laisserai vos T.A.

  • Non. Je pense que nos hommes doivent

  • combattre côte à côte. Il faut les souder. Réservez-moi seulement Fonski et Binh. Je prendrai aussi le pilote et le roboticien pour qu'ils se mettent au travail le plus vite possible. De votre côté, emmenez les pilotes des Transports qui partiront dès que possible vers l'hôpital pour ramener tout le monde. Mais utilisez-les, si c'est nécessaire, pour nettoyer des nids de résistance. D'accord ?

  • C'est clair, capitaine. Je retourne près des hommes et leur explique tout ça.

  • Pendant ce temps, je pense que le pionnier va revenir, on n'attaque pas avant son retour. Pour éviter que les hommes ne se tirent dessus, convenons d'un mot de passe : « Res. »

Barzzi hocha la tête et commença à reculer, toujours en rampant.

Le guide arriva, effectivement, dix minutes plus tard et se glissa à sa gauche.

  • Il y a un équipage dans chaque Transport de débarquement. Trois gars qui dorment dans des couchettes, près du poste avant. Les soutes sont à deux étages, à l'avant avec des fauteuils et l'arrière doit servir au stockage d'engins, blindés ou Transports.

Ça, ce serait le travail de Fonski et Binh, chacun avec leurs deux équipiers : nettoyer les appareils pour que le pilote colon puisse pénétrer le plus vite possible. Il faudrait d'ailleurs qu'il visite chaque poste pour vérifier s'il trouvait du matériel de navigation.

Par la suite, il serait peut-être préférable d'embarquer les soldats dans un Transport et les familles de pionniers dans un autre?

Kajerhom rampait sur le sable. Les hommes étaient déployés sur deux lignes, de part et d'autre. La première avec les commandos, leurs deux équipiers à deux mètres derrière. Il avait envoyé ses deux T.A. directement sur leur objectif, les Transports. C'était prioritaire. On devait s'en emparer sans tirer.

Apparemment, l'extrême gauche de la ligne avait trouvé un campement, un peu plus tôt. On avait entendu de légers bruits.

Un seul soldat colon lui avait été attribué et le suivait en calquant ses gestes sur les siens. Il portait fréquemment le scope à son œil mais rien ne paraissait bouger, hormis les corps du groupe de Barzzi qu'il voyait onduler sur le sol.

Et puis il y eut un cri, suivi d'une courte rafale de thermique. Kaj n'attendit pas, il se redressa et lança :

  • A l'assaut !

Les hommes se levèrent dans la même seconde et tout le monde courut en avant. A partir de là, comme toujours dans ce genre de combat, ce fut la confusion totale. Une agitation qui ne permettait pas de savoir ce qui se passait. Il ne fallait pas s'affoler, poursuivre le plan initial.

Une ombre se dressa devant Kaj qui lâcha une rafale et baissa les yeux vers le sol. Une tente était là, dans un creux, et deux silhouettes en sortaient. Il tira à nouveau.

  • Descends chercher un thermique et des ceinturons de recharges, ordonna-t-il au Colon qui était juste derrière lui.

L'autre sauta au fond, disparut et remonta très vite avec deux thermiques et quatre ceinturons.

  • Passe-moi un thermique et garde deux ceinturons seulement, dit Kaj. Maintenant tu avances à ma gauche, légèrement en retrait pour copier mes gestes, d'accord?

  • Oui, capitaine.

La voix était un peu rauque. Le Colon ne devait pas être très à l'aise dans ce combat, mais s'efforçait de se contrôler.

A nouveau, la course an avant.

Deux silhouettes, dans la pénombre. Il faillit tirer, se reprenant au dernier moment, d'instinct, pour se jeter au sol en gueulant :

  • Res.

Il avait « senti » à l'ultime seconde qu'il ne s'agissait peut-être pas du détachement local. Une seconde puis :

  • Res... groupe Barzzi.

Ils venaient de faire la jonction !

Apparemment une bagarre se déroulait, sur la droite. Les rafales se suivaient et des traits bleutés naissaient, se faisant face.

  • Avec moi, lança-t-il en se redressant pour commencer à courir.

Il s'agissait de déterminer de quel côté étaient les hommes de Barzzi. Il porta le com. à sa bouche.

Barzzi, la bagarre, tu la vois?

Je suis en plein dedans. Une dizaine de types retranchés derrière une butte. Ils m'ont coincé.

Tire en l'air, que j'identifie ta position, lança-t-il en stoppant et s'agenouillant, imité par les sept hommes qui le suivaient, maintenant : les deux commandos qu'il avait failli descendre, leurs deux équipiers respectifs, armés, et son propre équipier.

Une longue lueur apparut, vers le ciel. Il se serait trompé de camp, s'il n'avait pas été renseigné par le tir !

  • Vu. Je suis derrière eux, à leur gauche, avec sept hommes. On se glisse et on attaque. Je te préviendrai pour que tu fasses cesser le feu. O.K.?

  • O.K. ! je préviens mes gars.

Les hommes de Kaj avaient entendu, inutile de leur répéter les consignes. Il leur fit signe de le suivre, courbés en deux.

L'approche fut silencieuse, camouflée par les cris des hommes touchés et les grésillements quasi continus des armes qui tiraient.

Kaj attendit d'identifier la position ennemie. Une dizaine de Colons, dissimulés derrière la petite ligne de crête d'un monticule.

De la main, il fit signe à ses hommes de se placer sur une ligne et leur murmura :

  • A mon signal, vous lâchez une longue rafale et on attaque en continuant à tirer. Compris ? C'est le lieutenant Barzzi qui est en face.

Ils parurent comprendre, en tout cas, ils s'écartèrent pour se placer en position, l'arme épaulée. Il les imita, visant un peu en dessous de la ligne de crête.

  • Feu!

Il lâcha une longue rafale, balayant toute la longueur de la position, changea de recharge à toute vitesse et se redressa pour cavaler en avant.

Un mouvement à droite, il balaya, sans ralentir. Dans l'effet de surprise, il ne faut surtout pas perdre l'avantage de la vitesse d'exécution. En arrivant au pied du monticule, plus rien ne bougeait.

Et puis, tout fut terminé ! Aussi brutalement que le combat avait commencé. Plus de grésillements de thermique.

Il reprit le com.

  • Fini ici. Ça m'a l'air d'être gagné. Tu peux organiser un ratissage de sécurité et ramasser les armes? Je t'envoie mes hommes dès que j'ai pu les prévenir. Je vais faire la jonction avec le pilote et mes T.A., près des Transports. De ton côté, envoie le plus vite possible les six Transports lourds vers l'hôpital, avec un guide. Que tout le monde rapplique rapidement. J'appellerai le colonel dès que j'y verrai plus clair.

  • O.K. ! j'exécute... Hé, capitaine, c'était du beau boulot, vous savez ?

Kajerhom apprécia, mais ne répondit pas. Il s'adressa aux hommes qui étaient revenus près de lui.

  • Bravo, les gars. Apparemment on tient le camp. Rejoignez ceux de notre groupe et faites passer le mot d'aller se mettre sous les ordres du lieutenant Barzzi pour faire un ratissage. Et dites bien à tout le monde que c'est là où on risque le plus de se tirer les uns sur les autres. Je ne veux plus un seul mort chez les rescapés. Pour nous, c'est fini, ça!

  • Capitaine, dit seulement l'un des commandos. Vous auriez mérité de combattre chez nous. Kaj sourit, dans l'obscurité.

  • Mais, c'est ce qu'on a tous fait, ce soir. Bon, je vais m'occuper du pilote, si on me cherche, dites-le aussi aux autres. Et faites gaffe, les gars. On ne sera à l'abri que dans l'espace.

Le pilote et le roboticien étaient en plein travail.

Ils connaissaient visiblement bien leur boulot, ne se parlaient que rarement.

Une fois qu'il les avait rejoints, Kajerhom avait appris que Fonski s'était fait griller bêtement, après s'être emparé des Transports de débarquement. Un tireur isolé. Il y avait forcément de la casse, mais il l'acceptait beaucoup moins qu'autrefois. En tout cas, Binh lui demanda l'autorisation de rester avec lui et de ne pas rejoindre le ratissage.

Il avait été moralement touché, lui aussi, et voulait veiller lui-même sur son capitaine...

Le pilote lui avait expliqué qu'il allait devoir déplacer les six Transports lourds, plus les deux petits, que Kaj avait décidé d'emmener aussi, et les placer à une distance précise des deux appareils dans lesquels tout le monde embarquerait.

  • Vous comprenez, capitaine, avait-il expliqué, tout ce que je ferai, aux commandes, sera immédiatement copié par les ordis des autres Transports. On va former un groupe soudé. Il faut prévoir une certaine distance pour éviter une collision.

  • Pas possible de déconnecter deux Transports, ou de leur donner des ordres différents ?

  • Pourquoi?

  • Si on est poursuivis et tirés, ce serait bien de pouvoir sacrifier deux engins en leur faisant quitter le groupe, au dernier moment, pour attirer ce qu'on nous enverrait sur la tête et nous faire sauter.

A mon avis ça doit être possible, il faudrait en parler à Blash, le roboticien... A propos, il a une idée à vous soumettre.

L'idée en question fit ti/t dans le cerveau de Kaj dès que le gus commença :

  • Il y a deux ans, je faisais partie de la Force qui se bagarrait dans le Système voisin, HB 2.14. Il y a une petite planète terra forme, là-bas. Les Fédérés ont débarqué et on a suivi, bien sûr. Elle est assez proche du Soleil pour avoir un climat vivable, plutôt chaud, même. Beaucoup d'océans et un seul grand continent. Le pépin, c'est qu'elle n'est pas bien grosse et qu'en plus, son noyau doit être assez petit. En tout cas, la pesanteur est inférieure de moitié au standard admissible. Se balader là-bas consiste à faire des bonds de trois mètres à chaque pas ! Les engins blindés volaient quand ils accéléraient ! Finalement, on a tous évacué, Fédérés et nous. Pour se planquer ce serait tranquille, peut-être?

Kajerhom avait immédiatement appelé Bojar pour lui exposer le problème.

  • Oh, ce ne serait peut-être pas agréable au début, avait immédiatement répondu le docteur, il faudrait que chacun se leste, aux pieds et aux poignets, pour conserver une musculation et une respiration normales, en milieu de pesanteur inférieure. C'est tout.

  • Vous êtes sûr de vous ?

  • Ah ! totalement, oui. C'est un problème primaire pour un médecin.

Le roboticien en avait parlé au pilote et celui-ci avait déjà calculé une route. Six mois de voyage, en sub-luminique. Pas marrant, dans ces Transports. Mais un but. Un vrai but ! La possibilité de vivre à l'écart puisque les deux camps avaient déjà abandonné l'idée de conquérir cette planète... Inespéré, en somme.

Il y avait encore trois heures de travail sur les ordis de bord pour les coupler sur le Transport piloté. Largement assez pour que tout le monde s' installe.

Kajerhom avait visité le camp, désormais sûr. Barzzi avait fait disparaître les corps pour ne pas choquer ceux qui allaient arriver.

Il y avait un petit dépôt d'armement et de logistique générale. C'est là qu'il avait déniché des vivres. Immédiatement, il les avait fait charger. Ultra précieux, ça. Trois Transports de débarquement étaient totalement vides et sans installation de fauteuils. Il décida d'y placer des Transports au sol, malgré ce qu'avait dit Blash. Il suffirait peut-être d'accélérer doucement sur la petite planète ? Enfin on verrait, en son temps.

Le pilote commença à déplacer les engins. Ils avaient discuté de la disposition à adopter pour savoir quels engins on sacrifierait, au besoin. Il fallait qu'ils ne soient pas destinés à autre chose, évidemment, et les placer à l'extérieur de la formation.

En voyant décoller le premier, Kaj eut un petit coup au cœur. Mais le pilote connaissait bien son affaire et les manœuvres s'étaient déroulées sans accrocs. Le gars avait déjà inspecté tous les postes pour réunir la documentation et l'étudier, allant même jusqu'à interroger les ordis de bord pour connaître les consignes, les codes de vol, s'il y en avait. Il était ainsi tombé sur les couloirs aériens d'accès, le bol !

Les rescapés de l'hôpital et les familles de pionniers arrivèrent deux heures et demie avant le jour et commencèrent à s'installer à bord des deux engins qui leur étaient réservés.

Le colonel ne dit rien pendant un certain temps. Il inspectait tout. Plus tard, il s'entretint avec Bojar, avant de venir vers Kajerhom.

  • Vous m'avez flanqué l'angoisse de ma vie, capitaine. Pas pour le combat, j'étais certain que vous occuperiez le terrain, mais à propos de la décision de fuir dans l'espace. Nous ne sommes pas habitués, dans les unités conventionnelles, à adopter une tactique sans prendre le temps de tout envisager, en détail. On ne se lance pas au hasard. Maintenant, je commence à y croire. Vous avez fait un travail magnifique, avec Barzzi.

C'est vrai que le lieutenant le comprenait à demi-mot et qu'ils s'étaient partagé les tâches pour tout organiser sans la moindre perte de temps. Il avait perdu trois hommes dans l'attaque, et quatre équipiers y étaient restés aussi. Chacun avait son lot de peines.

Il avait mis tout le monde au travail pour charger le matériel afin de leur éviter de réfléchir, une fois les corps hors de vue. Trois sentinelles, avec les guides, surveillaient les abords. Bref, il s'était occupé de la partie sécurité du camp pour laisser Kajerhom prévoir leur fuite.

Une demi-heure avant le lever du jour, tout le monde était embarqué. Kaj grimpa le dernier et alla s'asseoir d'autorité dans le poste, derrière le pilote et Blash.

C'était la minute de vérité. Ou bien la liaison radio fonctionnait et tout les Transports faisaient les mêmes manoeuvres en même temps, ou ça ne collait pas et il n'y avait personne dans le poste de l'engin des pionniers... Le pilote avança la main et commença à basculer des interrupteurs pour lancer les props.

Un grondement sourd...

Derrière vous, à droite et à gauche, vous avez des scopes, capitaine. Si la synchro marche, vous devriez voir du sable soulevé par les props des engins qui démarrent.

Son cœur cognait quand il se pencha. Le Transport des pionniers était entouré d'un nuage !