—Monsieur, ajouta le marquis, vous pouvez vous flatter d'avoir vu la mort de près. Quelle bataille! j'en rêverai la nuit. Il paraît que vous n'y allez pas de main morte; mais aussi, que diable votre empereur allait-il faire dans cette maudite Russie?
—Il avait son idée, répliqua fièrement Bernard; cela ne nous regarde pas.
Ensuite, il dit de quelle façon il s'était réveillé prisonnier, et comment de prisonnier il était devenu esclave. Il raconta simplement, sans emphase et sans exagération, son séjour au fond de la Sibérie, six années de servitude au milieu de peuplades sauvages, plus cruelles encore et plus impitoyables que leur ciel et que leur climat; tout ce qu'il avait enduré, la faim, le froid, les durs travaux, les traitements barbares, il dit tout, et plus d'une fois, pendant ce funeste récit, une larme furtive glissa sous les paupières d'Hélène, brilla, comme une goutte de rosée, à ses cils abaissés, et roula en perle liquide sur l'ouvrage de tapisserie que la jeune fille avait repris sans doute pour cacher son émotion.
—Noble jeune homme! dit madame de Vaubert en portant son mouchoir à ses yeux, était-ce là le prix réservé à votre héroïque courage?
—Ventre-saint-gris! Monsieur, dit le marquis, vous devez être criblé de rhumatismes.
—Ainsi toute gloire s'expie! reprit la baronne avec mélancolie; ainsi, trop souvent, les branches de laurier se changent en palmes du martyre. Pauvre jeune ami, que vous avez souffert! ajouta-t-elle en lui pressant la main par un mouvement de vive sympathie.
—Monsieur, dit le marquis, je vous prédis que, sur vos vieux jours, vous serez mangé de gouttes.
—Après tant de traverses et de misères, qu'il doit être doux, s'écria madame de Vaubert, de se reposer au sein d'une famille empressée, entouré de visages amis, appuyé sur des cœurs fidèles! Heureux l'exilé qui, de retour sur le sol natal, ne trouve pas sa cour silencieuse, sa maison vide et son foyer froid et solitaire!
—Une goutte de Sibérie! s'écria le marquis en se frottant le mollet; en voici une qui, pour ne venir que du fond de l'Allemagne, a déjà bien son prix. Monsieur, je vous plains. Une goutte de Sibérie! vous n'en avez pas fini avec les Cosaques.
Les dernières paroles de madame de Vaubert avaient rappelé brusquement le jeune homme aux exigences de sa position. Onze heures venaient de sonner à la pendule d'écaille incrustée de cuivre qui ornait le marbre de la cheminée. Honteux de ses faiblesses, Bernard se leva, et, cette fois enfin, il allait se retirer, ne sachant plus que résoudre, mais comprenant encore, au milieu de ses incertitudes, que ce n'était point là sa place, quand, le marquis ayant tiré un ruban de moire qui pendait le long de la glace, la porte du salon s'ouvrit, et un valet parut sur le seuil, armé d'un flambeau à deux branches chargées de bougies allumées.
—Germain, dit le marquis, conduisez monsieur dans ses appartements. Ce sont les appartements, ajouta-t-il en s'adressant à Bernard, qu'occupa longtemps monsieur votre père.
—C'est vraiment mal à nous, Monsieur, s'écria madame de Vaubert, d'avoir si longtemps prolongé votre veille. Nous aurions dû nous rappeler que vous avez besoin de repos; mais nous étions si heureux de vous voir et si ravis de vous entendre! Pardonnez une indiscrétion qui n'a d'autre excuse que le charme de vos récits.
—Dormez bien, Monsieur, dit le marquis; dix heures de sommeil vous remettront de vos fatigues. Demain, au saut du lit, nous irons battre nos bruyères et tirer quelques lapereaux. Vous devez aimer la chasse: elle est l'image de la guerre.
—Monsieur, dit mademoiselle de La Seiglière encore toute tremblante, n'oubliez pas que vous êtes chez vous d'abord, puis chez des amis qui se feront une joie autant qu'un devoir de guérir votre cœur, et d'effacer en lui jusqu'au souvenir de tant de mauvais jours. Mon père essaiera de vous rendre l'affection de celui que vous avez perdu, et moi, si vous le voulez, je serai pour vous une sœur.
—Si vous aimez la chasse, s'écria le marquis, je vous en promets de royales.
—D'impériales même, dit la baronne en l'interrompant.
—Oui, reprit le marquis, d'impériales. Chasse à pied! chasse à courre! chasse au lévrier! chasse aux chiens courants! Vive Dieu! si vous traitez les renards comme les Autrichiens, et les sangliers comme les Russes, je plains les hôtes de nos bois.
—J'espère bien, Monsieur, ajouta madame de Vaubert, avoir le plaisir de vous recevoir souvent dans mon petit manoir. Votre digne père, qui m'honorait de son amitié, se plaisait à ma table et à mon foyer. Venez parler de lui à cette même place où tant de fois il a parlé de vous.
—Allons, Monsieur Bernard, bonsoir et bonne nuit! dit le marquis en le saluant de la main; que monsieur votre père vous envoie de là-haut de doux rêves!
—Adieu! Monsieur Bernard, reprit la baronne avec un affectueux sourire; endormez-vous dans la pensée que vous n'êtes plus seul au monde.
—À demain, Monsieur Bernard, dit à son tour Hélène; c'est le mot que votre excellent père et moi nous échangions le soir en nous quittant.
Ébloui, étourdi, entraîné, fasciné, enlacé, pris par tous les bouts, Bernard fit un geste qui voulait dire: à la grâce de Dieu! puis, après s'être incliné respectueusement devant mademoiselle de La Seiglière, il sortit, précédé de Germain qui le conduisit dans l'appartement le plus riche et le plus somptueux du château. C'était en effet celui que le pauvre vieux gueux avait quelque temps habité avant qu'on l'eût relégué comme un lépreux dans la partie la plus retirée et la plus isolée du logis; seulement, on l'avait depuis lors singulièrement embelli, et, ce jour même, on s'était empressé de l'approprier à la circonstance. Quand Bernard entra, la flamme joyeuse du foyer faisait étinceler les moulures dorées du plafond et les baguettes de cuivre qui bordaient et encadraient la tenture de velours vert-sombre. Un tapis d'Aubusson jonchait le parquet de fleurs si fraîches et si brillantes, qu'on les eût dites cueillies nouvellement dans les prairies d'alentour et semées là par la main d'une fée bienveillante. Bernard, qui depuis dix ans n'avait dormi que sur des lits de camp, sur la neige, sur des peaux de loup, et dans des draps d'auberge, ne put se défendre d'un sentiment de joie indicible en apercevant, sous l'édredon amoncelé, la toile blanche et fine d'un lit qui s'élevait, comme le trône du sommeil, au fond d'une alcôve, réduit mystérieux formé de draperies pareilles à la tenture. Toutes les recherches du luxe, toutes les élégances, toutes les commodités de la vie, étaient réunies autour de lui et semblaient lui sourire. Une sollicitude ingénieuse avait tout prévu, tout calculé, tout deviné. L'hospitalité a des délicatesses qui échappent rarement à la pauvreté, mais qu'on ne trouve pas toujours chez les hôtes les plus magnifiques; rien ne manquait à celle-ci, ni l'esprit, ni la grâce, ni la coquetterie, plus rares que la munificence. Quand Germain se fut retiré après avoir tout préparé pour le coucher de son nouveau maître, Bernard éprouva un plaisir d'enfant à examiner et à toucher les mille petits objets de toilette dont il avait oublié l'usage. Nous n'oserions dire, par exemple, dans quels ravissements le plongèrent la vue des flacons d'eau de Portugal et la senteur des savons parfumés. Il faut avoir passé six ans chez les Tartares pour comprendre ces puérilités. De chaque côté de la glace, à demi-cachés par des touffes d'asters, de dahlias et de chrysanthèmes épanouis dans des vases pansus du Japon, reluisaient des poignards, des pistolets damasquinés, diamants et bijoux des guerriers. Sur un coin de la cheminée, une coupe d'un travail précieux regorgeait de pièces d'or, comme oubliées là par mégarde. Bernard ne s'arrêta ni devant l'or, ni devant les fleurs, ni même devant les armes. En rôdant autour de la chambre, il tomba en extase devant un plateau de vermeil, chargé de cigares que madame de Vaubert avait envoyé chercher à la ville, chez un vieil armateur de ses amis: attention hospitalière qui n'aurait aujourd'hui rien que de simple et de banal, mais qui pouvait passer alors pour un trait d'audace et de génie. Il en prit un, l'alluma à la flamme d'une bougie, puis, étendu mollement dans une bergère, enveloppé d'une robe de cachemire, les pieds dans des babouches turques, il pensa d'abord à son père, à l'étrangeté de sa destinée, à la tournure imprévue qu'avaient prise en ce jour les événements, au parti qu'il lui restait à choisir. Brisé par la fatigue, le front brûlant, la paupière alourdie, bientôt ses idées se troublèrent et se confondirent. Dans cet état d'assoupissement, qu'on pourrait appeler le crépuscule de l'intelligence, il crut voir la fumée de son cigare s'animer et former au-dessus de sa tête des groupes fantastiques. C'étaient tantôt son vieux père et sa vieille mère qui montaient au ciel, assis sur un nuage; tantôt son empereur, debout sur un rocher, les bras croisés sur sa poitrine; tantôt la baronne et le marquis se tenant par la main et dansant une sarabande; tantôt et plus souvent, une figure svelte et gracieuse qui se penchait vers lui et le regardait en souriant. Son cigare achevé, il se jeta au lit, se roula dans la plume, et s'endormit d'un profond sommeil.
Soit lassitude, soit besoin de recueillement,
mademoiselle de La
Seiglière avait quitté le salon presque en même temps que
Bernard.
Demeurés seuls au coin du feu, la baronne et le marquis se
regardèrent
un instant l'un l'autre en silence.
—Eh bien! marquis, dit enfin la baronne; il est
gentil, le petit
Bernard! Le père sentait l'étable et le fils sent le
corps-de-garde.
—Le malheureux! s'écria le marquis arrivé au dernier paroxysme de l'exaspération; j'ai cru qu'il n'en finirait pas avec sa bataille de la Moscowa. La bataille de la Moscowa! ne voilà-t-il pas une belle affaire? Qu'est-ce que c'est que ça? qui connaît ça? qui parle de ça? Je n'ai jamais fait la guerre; mais si je la faisais jamais… par l'épée de mes aïeux! madame la baronne, ce serait une autre paire de manches. Tout le monde y passerait; je ne voudrais même pas qu'il en revînt un invalide. La bataille de la Moscowa! Et ce faquin qui se donne des airs d'un César et d'un Alexandre! Les voilà pourtant, ces héros! voilà ces fameuses rencontres dont M. de Buonaparte a fait si grand bruit, et que les ennemis de la monarchie font encore sonner si haut! Il se trouve qu'en résumé c'étaient de petits exercices hygiéniques et sanitaires; les morts se ramassaient eux-mêmes, et les tués ne s'en portent que mieux. Vive Dieu! quand nous nous en mêlons, nous autres, les choses se passent autrement; quand un gentilhomme tombe, c'est pour ne plus se relever. Mais ne fût-on qu'un manant, ne fût-on qu'un vilain, ne fût-on qu'un Stamply, lorsqu'on s'est fait tuer pour le service de la France, que diable! c'est le moins qu'on ne vienne pas soi-même le raconter aux gens. S'il avait seulement pour deux sous de cœur, ce garnement rougirait de se sentir en vie, et il s'irait jeter, tête baissée, dans la rivière.
—Que voulez-vous, marquis, ça ne sait pas vivre, dit madame de Vaubert en souriant.
—Qu'il vive donc, mais qu'il se cache! Cache ta vie, a dit le Sage. S'il aimait la gloire, comme il le prétend, n'aurait-il pas préféré continuer de passer pour mort au champ d'honneur, plutôt que de venir ici traîner ses guêtres, sa honte et sa misère? Que ne restait-il en Sibérie? Il était bien là-bas; il y avait ses habitudes. Ce douillet se plaint du climat: ne dirait-on pas qu'il est né dans la ouate et qu'il a grandi en serre-chaude? Les Cosaques sont de braves gens, de mœurs douces et hospitalières. Il les appelle des barbares. Obligez donc ces va-nu-pieds! sauvez-leur la vie! recueillez-les chez vous! faites-leur un sort agréable! Voilà la reconnaissance que vous en retirez: ils vous traitent de cannibales. Je jurerais, quoi qu'il en dise, qu'il était là comme un coq-en-pâte; mais ces vauriens ne savent se tenir nulle part. Et puis ça vient vous parler de patrie, de liberté, de sol natal, de toit paternel qui fume à l'horizon! grands mots qu'ils mettent en avant pour justifier leurs désordres et pour voiler leur inconduite.
—La patrie, la liberté, le toit paternel, le tout assaisonné d'un million d'héritage; il faut pourtant convenir, ajouta madame de Vaubert, que, sans être précisément un sacripant, on peut quitter pour moins les bords fleuris du Don et l'intimité des Baskires.
—Un héritage d'un million! s'écria le marquis: où diable voulez-vous qu'il le prenne?
—Dans votre poche, répliqua la baronne découragée d'avoir toujours à courir après lui pour le ramener forcément dans le cercle de la question.
—Ah çà! s'écria M. de La Seiglière, mais c'est donc un homme dangereux, ce Bernard! S'il me pousse à bout, madame la baronne, on ne sait pas de quoi je suis capable: je le traînerai devant les tribunaux.
—Bien! dit la baronne, vous lui éviterez ainsi l'ennui de vous y traîner lui-même. De grâce, marquis, ne recommençons pas. La réalité vous enveloppe et vous presse de toutes parts. Puisque vous ne pouvez pas lui échapper, osez la regarder en face. Qu'a-t-elle donc à cette heure qui puisse tant vous effrayer? Le Bernard est en cage; le lion est muselé; vous tenez votre proie.
—Elle est jolie, ma proie… Pour Dieu! dites-moi, je vous prie, ce que vous voulez que j'en fasse?
—Le temps vous l'apprendra. Ce matin, il s'agissait d'installer l'ennemi dans la place: c'est fait. Il s'agit maintenant de l'en expulser: ça se fera.
—En attendant, dit le marquis, nous allons en manger, de la Sibérie, de la mitraille et de la Moscowa! Nous allons en avaler, des lames de sabre fricassées dans la neige et des biscayens accommodés aux frimats! Et puis, Madame la baronne, ne vous paraît-il pas que je joue ici un vilain rôle et un rôle de vilain? Ventre-saint-gris! je jure comme Henri IV, mais il me semble que je vais m'y prendre autrement que le Béarnais pour reconquérir mon royaume.
—Croyez-vous donc, répliqua madame de Vaubert, que le courage ne procède qu'à coups d'arquebuse, et que les grandes actions ne s'accomplissent qu'à la pointe du glaive? Si la France n'a pas été divisée en ces derniers temps, partagée et tirée au sort comme les vêtements du Christ, à qui le doit-elle? En habit brodé, en escarpins et en bas de soie, la jambe droite appuyée sur la gauche et la main passée dans le jabot de sa chemise, M. de Talleyrand a plus fait pour la France que toute cette racaille en culotte de peau qui s'appelait la vieille garde, et qui n'a su rien garder. Pensez-vous, par exemple, n'avoir pas déployé, en ce jour qui s'achève, cent fois plus de génie que n'en montra le Béarnais à la bataille d'Ivry? Secouer son panache blanc en guise de drapeau, frapper d'estoc et de taille, joncher le sol de morts et de mourants, ne voilà-t-il pas quelque chose de bien difficile! Ce qui est vraiment glorieux, c'est de triompher sur ce champ de bataille qui s'appelle la vie. Souffrez qu'à ce propos je vous adresse mes compliments. Vous avez eu le sang-froid d'un héros, l'esprit d'un démon et la grâce d'un ange. Tenez, Marquis, passez-moi le mot, vous avez été adorable.
—Il est certain, dit le marquis en passant sa jambe droite sur la gauche et en jouant du bout des doigts avec son jabot de dentelle, il est certain que ce malheureux n'y a vu que du feu.
—Ah! Marquis, comme vous l'avez assoupli! D'un gantelet de fer vous avez fait un gant de peau de Suède. Je vous savais brave et vaillant; mais je dois avouer que j'étais loin de vous soupçonner dans l'esprit une si merveilleuse souplesse. Il est beau d'être le chêne et de savoir plier comme le roseau. Marquis de La Seiglière, le prince de Bénévent a pris votre place au congrès de Vienne.
—Vous croyez, baronne? demanda M. de La Seiglière en se caressant le menton.
—D'un coup de pouce, vous auriez courbé l'arc de Nemrod, dit en souriant madame de Vaubert. Vous apprivoiseriez des tigres et vous amèneriez des panthères à venir vous manger dans la main.
—Que voulez-vous? c'est l'histoire de toutes ces petites gens. De loin, ça ne parle que de nous dévorer; que nous daignions leur sourire, ça tombe et ça rampe à nos pieds. C'est égal, madame la baronne, je ne suis point encore d'âge à jouer le rôle de don Diègue, et si ce drôle était gentilhomme, je me souviendrais encore des leçons de Saint-George.
—Marquis, répliqua fièrement madame de Vaubert, si ce drôle était gentilhomme, et que vous fussiez don Diègue, vous n'auriez pas loin à aller pour rencontrer Rodrigue.
En ce moment, la porte du salon s'ouvrit, et Raoul entra, ganté, frisé, tiré à quatre épingles, la paupière clignotante, la bouche épanouie, le visage frais et rosé, aussi irréprochable des pieds à la tête que s'il sortait d'une bonbonnière. Il venait chercher sa mère pour la ramener à Vaubert, et sans doute aussi dans l'espoir de faire sa cour à mademoiselle de La Seiglière, qu'il n'avait pas vue depuis la veille. À l'apparition de ce beau jeune homme, le marquis et la baronne arrêtèrent sur lui avec complaisance leurs regards rafraîchis et charmés: ce fut pour eux comme l'entrée d'un pur sang limousin dans un hippodrome, encore tout souillé par l'intrusion d'un mulet normand. Il était tard; la journée touchait à sa fin; les deux aiguilles de la pendule étaient près de se joindre sur l'émail de la douzième heure. Après avoir tendu sa main au marquis, madame de Vaubert se retira, appuyée sur le bras de son fils, qu'elle se réserva d'instruire en temps et lieu des événements à jamais mémorables qui venaient de remplir ce grand jour.
Une heure après, tout reposait sur les deux bords du Clain. M. de La Seiglière, qui s'était endormi sur le coup des émotions violentes qu'il venait d'essuyer, rêvait qu'une innombrable quantité de hussards, tous tués à la bataille de la Moscowa, se partageaient silencieusement ses domaines, et qu'il les voyait s'enfuir au galop, emportant chacun son lot sur la croupe de son cheval, qui un champ, qui un pré, qui une ferme; Bernard galoppait en avant avec le parc dans sa valise et le château dans un de ses arçons. N'ayant plus sous les pieds un seul morceau de terre, le marquis éperdu se sentait rouler dans l'espace, comme une comète, et cherchait vainement à se raccrocher aux étoiles. Madame de Vaubert rêvait de son côté, et son rêve ressemblait fort à un apologue bien connu. Elle voyait une jeune et belle créature, assise sur une fine pelouse, avec un lion énorme amoureusement couché auprès d'elle, une patte sur ses genoux, tandis qu'une troupe de valets, armés de fourches et de bâtons, observait ce qui se passait, cachée derrière un massif de chênes. La jeune fille soutenait d'une main la patte au fauve pelage, et de l'autre, avec une paire de ciseaux, elle rognait les griffes, qui s'allongeaient docilement sous le velours. Quand chaque patte avait subi la même opération, la belle enfant tirait de sa poche une lime au manche d'ivoire, et, prenant entre ses bras la tête à la blonde crinière, elle relevait d'une main délicate les épaisses et lourdes babines, de l'autre elle limait gentiment une double rangée de dents formidables. Si parfois le patient poussait un rugissement sourd, elle l'apaisait aussitôt en le flattant du geste et de la voix. Cette seconde opération achevée, quand le lion n'avait plus ni crocs ni ongles, la jeune fille se levait, et les valets, sortant de leur cachette, couraient à la bête, qui détalait sans résister, la queue serrée et l'oreille basse. Bernard rêvait lui, qu'au milieu d'un champ de neige, sous un ciel de glace bleuâtre, il voyait tout d'un coup surgir un beau lis qui parfumait l'air; mais, comme il s'approchait pour le cueillir, la royale fleur se changeait en une fée aux yeux d'ébène et aux cheveux d'or, qui l'enlevait à travers les nuages, et le déposait sur des rives charmantes où régnait un printemps éternel. Enfin, Raoul rêvait qu'il était au soir de ses noces, et, au moment d'ouvrir le bal avec la jeune baronne de Vaubert, il découvrait avec stupeur qu'il avait mis sa cravate à l'envers.
FIN DU PREMIER VOLUME.
End of the Project Gutenberg EBook of Mademoiselle de la Seigliere, Volume I (of 2), by Jules Sandeau
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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life.
Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org
For additional contact information:
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Chief Executive and Director
gbnewby@pglaf.org
Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS.
The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit http://pglaf.org
While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate.
International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
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Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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