Marc désigna au niveau de la boucle de la ceinture une aspérité.

-J'ai bien observé celle de Tora. Ceci est le curseur d'intensité. Compte tenu de l'élasticité du champ et de ta force, tu devrais pouvoir l'atteindre.

Procédant par petits coups secs pour ne pas risquer d'aggraver les blessures de Hori, l'androïde parvint à faire lentement glisser la manette.

-Voilà, marmonna-t-il, le champ de force a disparu.

Vivement, il tira d'une cavité aménagée dans sa cuisse droite une seringue qu'il emplit avec deux ampoules. Puis saisissant l'avant-bras du blessé, il serra doucement pour faire saillir une veine. L'injection terminée, il attendit un instant puis fut rassuré en voyant la respiration devenir plus ample et les battements cardiaques se renforcer.

-Rebranche l'écran pour qu'il ne se doute de rien, recommanda Marc.

Deux minutes plus tard, Hori ouvrit les yeux. Il voulut se redresser mais Marc l'obligea à rester allongé.

-Ne bougez pas, conseilla-t-il. Que vous est-il arrivé ?

-Les Byans, murmura-t-il. Ils nous ont attaqués par surprise en tendant une corde devant nos montures. Nous n'avons pas pu nous défendre.

Soudain son regard exprima une vive angoisse.

-Tora ! Où est Tora ? L'ont-ils tuée ? gémit-il.

-Je n'ai pas retrouvé son corps. S'ils se sont donné la peine de l'emporter alors qu'ils vous ont laissé là, c'est certainement parce qu'ils l'ont faite prisonnière. On peut donc espérer qu'au moins pour les heures à venir, elle ne court pas de dangers majeurs. Votre état m'inquiète davantage car vous êtes gravement blessé. Il vous faut d'urgence voir un chirurgien très expérimenté. En avez-vous un au château ?

Un pâle sourire étira les lèvres exsangues de Hori.

-J'en possède effectivement un excellent ! Conduisez-moi jusqu'au château.

Une nouvelle fois, il tenta de se redresser mais fut saisi d'une quinte de toux qui amena aux lèvres une écume sanglante.

-Jamais je pourrai l'atteindre, soupira-t-il.

Marc tenta de le rassurer :

-Mon écuyer va vous prendre dans ses bras.

Sur un signe du Terrien, Ray souleva avec précaution le blessé et aidé de Marc parvint à se jucher sur le camex.

-Au galop, ordonna mentalement Marc. Sers- toi de tes antigrav pour amortir les chocs et soulager ta monture.

Après deux heures de course éperdue, ils arrivèrent à Stur. Le château était construit à flanc de montagne, dominé par une sorte de petit cratère.

Sous l'action des antalgiques, Hori s'était assoupi. Le bruit des sabots des camex sur les planches du pont-levis le tira de sa torpeur. L'effet des médicaments commençait à se dissiper et une grimace de douleur déforma ses traits.

L'arrivée dans la cour du château de deux cavaliers portant le baron blessé produisit une vive effervescence. Un grand gaillard blond à la mine inquiète s'avança aussitôt. Avant qu'il ait pu ouvrir la bouche, Hori lui dit :

-Heit, je suis blessé et je désire aller dans la grande bibliothèque. Montre-leur vite le chemin.

Sous la conduite de l'intendant, Ray porta Hori dans le bâtiment principal. Après avoir traversé une belle salle voûtée, agréablement meublée, ils pénétrèrent dans une pièce où tout un pan de mur était décoré de tapisseries. Le baron fit signe qu'il voulait être déposé debout contre l'une d'elle.

-Merci, murmura-t-il. Je souhaite me reposer seul.

Devançant les protestations de l'intendant, il ajouta d'une voix presque implorante :

-Je vous en prie, vite, laissez-moi ! Heit, veille à ce que ma porte reste condamnée jusqu'à demain. Mets-toi également à la disposition de ces deux cavaliers qui m'ont sauvé.

Le pauvre serviteur hésitait encore à abandonner son maître, mais Marc connaissant l'urgence de la situation l'entraîna rapidement en dehors de la pièce. La lourde porte de bois refermée, Marc détourna l'attention de Heit en lui contant comment il avait trouvé le baron blessé sur la route.

Pendant ce temps, l'androïde utilisait sa vision X.

-Hori vient de déclencher un mécanisme et une porte s'ouvre dans le mur, découvrant une pièce bourrée d'instruments scientifiques. Il a réussi à faire quelques pas et il s'effondre sur une sorte de table. De nombreux bras articulés descendent du plafond et l'entourent. Le mur vient de se refermer et il est trop épais pour que les rayons X le transpercent !

Soulagé, Marc reporta son attention sur Heit qui demandait :

-Que désirez-vous, messire ?

-D'abord me reposer une heure ou deux et dîner si possible.

-Je vais vous conduire dans une chambre et une servante vous portera une collation. Ensuite?

-Fais-nous préparer deux montures fraîches, car les nôtres sont épuisées par la longue course qu'elles ont fournie. Probablement devrons-nous repartir bientôt. Tu devrais également mettre la garnison en état d'alerte et cette nuit renforcer la garde. Les Byans peuvent attaquer à tout moment !

Dès qu'ils furent installés dans leur chambre, Marc s'allongea sur le lit avec un plaisir certain. Il avait chevauché tout le jour et ses muscles réclamaient un peu de détente.

-Ray, ordonna-t-il, installe-toi à la fenêtre et active tes détecteurs radio. Si Tora reprend connaissance, nul doute qu'elle tentera d'appeler Hori. Si cela se produit, tâche de localiser son émetteur.

Une servante à la silhouette ondulante et au visage souriant apparut, précédant deux laquais portant une table très bien garnie.

-Souhaitez-vous, seigneur, vous rafraîchir avant le souper ? Je peux vous faire apporter un bain et je suis assez habile pour faire disparaître les courbatures.

Son regard malicieux laissait supposer beaucoup de choses sur la nature de sa thérapeutique. En d'autres circonstances, Marc n'aurait eu garde de refuser une telle proposition, mais son esprit pour l'instant était trop préoccupé par le sort de Tora.

Avec un soupir, il se contenta de s'installer à table et commença par vider un grand gobelet de kwist avant d'entamer un pâté en croûte d'aspect très sympathique.

Ce n'est que vers la fin du repas que Ray dit soudainement :

-J'ai capté un signal faible et très brouillé par de nombreux parasites. Je n'ai pu enregistrer que quelques mots audibles : Hori... Camp... peur... douloureux...

-As-tu localisé la direction ?

-Assez mal, car l'émission a été très brève. Je ne comprends pas pourquoi il y a une telle densité de parasites. Pourtant il n'y a pas d'orage actuellement dans l'atmosphère.

Marc, son repas terminé, marchait de long en large dans la pièce.

-Le gisement de fer ! hurla-t-il soudain. Tu m'as dit que les analyses du minerai utilisé montraient une très forte teneur en oxyde de fer magnétisé. Une telle accumulation de métal ne peut-elle créer un champ électromagnétique suffisant pour perturber une liaison radio d'assez faible puissance ?

-C'est possible, répondit calmement Ray. Malheureusement, je n'ai pas en mémoire une cartographie détaillée des ressources minérales de la planète. Il nous faudrait retourner à l'aviso.

Marc avait déjà bouclé son ceinturon et ouvert la porte.

-Il y a peut-être une solution plus simple, jeta-t-il.

Dans la grande salle, il retrouva Heit qui, inquiet sur le sort de son maître, jetait de fréquents regards sur la porte de la bibliothèque.

-Où se trouve la mine de terre jaune que tu fournis à Thur mon intendant ? demanda Marc.

-Au pied d'une colline, presqu'à la limite de nos deux domaines. Toutefois, en ce moment il ne serait guère prudent d'y aller car au-delà commence le pays des Byans.

-Je situe l'endroit, émit aussitôt Ray. Ce n'est guère à plus de quatre heures de camex d'ici !

Pour minimiser sa question, Marc reprit à l'intention de l'intendant :

-Tu as sans doute raison, mais je pensais qu'en cas de guerre prolongée, nous aurions besoin d'acier pour forger nos armes.

Heit approuva aussitôt, l'air réjoui.

-Vorf, votre forgeron, a montré qu'il fabriquait maintenant les meilleures épées du royaume.

Le Terrien coupa court à la conversation :

-Nos montures sont-elles prêtes ?

-Elles sont sellées mais la nuit vient de tomber. Ne pensez-vous pas préférable d'attendre le lever du jour?

-Non ! Demain matin, lorsque ton maître reparaîtra, dis-lui que nous sommes partis pour tenter de suivre les traces des ravisseurs de la baronne. Nous le préviendrons dès que nous aurons des nouvelles intéressantes.

CHAPITRE XIII

Ray arrêta son camex et mit pied à terre. Désignant l'ombre sombre d'une colline émergeant de la nuit, il annonça :

-Le gisement métallique s'étend à partir d'ici sur plusieurs kilomètres. Comment comptes-tu procéder ?

Marc avait réfléchi au problème pendant la longue course dans l'obscurité, car Ryg ne possédait qu'une lune anémique. Heureusement les détecteurs perfectionnés de Ray lui permettaient de se diriger sans difficulté.

-A l'aide de tes antigrav, tu vas explorer en altitude la région. Si les ravisseurs de Tora campent par-ci, ils ont certainement allumé des feux que tu n'auras aucun mal à repérer.

L'androïde acquiesça mais avant de s'envoler, ajouta :

-Fais-moi le plaisir de mettre ton écran à forte puissance. Tu as vu qu'une masse correctement maniée peut causer d'énormes lésions malgré l'écran. Cela m'ennuierait d'avoir à te ramener en catastrophe au vaisseau !-Tu es un père pour moi, ricana Marc qui, toutefois, s'empressa d'obéir.

Piaffant d'impatience, le Terrien attendit le retour de Ray. Son épreuve fut cependant de courte durée car moins de dix minutes plus tard, l'androïde se posait en douceur à côté de lui. Une fois de plus, Marc ne pouvait s'empêcher d'admirer les ingénieurs qui avaient conçu une machine aussi perfectionnée, dotée, en plus, d'armes sophistiquées comme un laser et un désintégrateur d'une puissance considérable.

-Ton raisonnement était exact, Marc. Il y a un campement à moins d'un kilomètre d'ici. Mais pour approcher discrètement, il nous faut laisser les camex dans ce bouquet d'arbres et continuer à pied.

En silence, le Terrien suivit Ray qui lui signalait mentalement tous les obstacles.

-Attention, émit-il, nous approchons et derrière cet arbre il y a une sentinelle.

Après un instant d'hésitation, Marc ordonna :

-Utilise les capsules soporifiques. C'est encore ce qui paraîtra le moins suspect.

-Entendu, mais prends ce comprimé si tu ne veux pas t'endormir également.

Tandis que Marc croquait une tablette blanche, Ray balança avec précision une petite sphère qui se brisa sans bruit aux pieds de l'homme de garde qui après un long bâillement s'écroula en silence.

Après s'être avancé d'une vingtaine de pas, Marc découvrit le camp ennemi. Il comportait six grandes tentes en peau, probablement réservées aux chefs car les hommes au nombre d'une cinquantaine dormaient à même le sol autour de quelques feux.

-Le problème est de savoir si Tora est ici et dans quelle tente ?

Ray en désigna une, un peu à l'écart.

-Je crois que c'est dans celle-ci, car il me semble percevoir des bribes d'émission mais il émane de cette colline un tel champ magnétique que mes instruments s'affolent.

-En passant par la droite, nous pouvons espérer atteindre la tente sans trop nous faire remarquer. Il suffira d'éliminer les deux sentinelles que je crois distinguer devant l'entrée.

-Exact ! Si l'alerte est donnée prématurément, comment espères-tu t'échapper? A la rigueur, je peux te soulever dans les airs mais mes antigrav ne sont pas assez puissants pour supporter le poids de deux corps humains.

Marc montra du doigt des camex qui avaient été enfermés dans un petit enclos.

-Va déposer une grenade incendiaire avec un détonateur retard de dix minutes, de façon à affoler les montures et à les faire fuir. Dispose également plusieurs grenades autour du camp. Cela créera une jolie panique qui nous permettra de nous esquiver. Avant que les Byans aient récupéré leurs camex, nous ne serons guère loin du château.

Ray acquiesça non sans recommander :

-Je te rejoins près de la tente. Attends-moi pour agir ! En cas de mauvaise rencontre, utilise les capsules soporifiques.

Le Terrien se glissa lentement vers son objectif, étudiant en même temps l'itinéraire de leur fuite. Passant à proximité d'un groupe de Byans paisiblement endormis, il expédia une capsule pour éviter qu'un réveil prématuré ne constitue un obstacle à la retraite.

Les deux sentinelles également neutralisées, Marc put appliquer son oeil à une fente existant entre deux peaux mal cousues. Il poussa un soupir de soulagement en découvrant Tora. La jeune femme était attachée au piquet central, les bras au-dessus de la tête. Elle semblait assez mal en point, le visage tiré, couvert de sueur, les traits crispés par la douleur mais elle était bien vivante. Un homme se tenait en face d'elle et Marc, avec surprise, reconnut Zorg. Il était vêtu d'un pourpoint de cuir noir et un pansement sale entourait son épaule droite. Une mauvaise torche fumante éclairait la scène.

Zorg tenait une longue cravache dans la main gauche et d'un coup puissant frappa le dos de Tora.

-Je sais, grogna-t-il, que tu ne ressens presque rien mais j'attendrai le temps qu'il faudra ! Le sorcier nous avait ordonné de vous tuer tous les deux et de laisser vos corps sur la route pour qu'ils soient découverts par des paysans, mais j'ai préféré t'amener ici. Tu es protégée mais tu as certainement besoin de boire et de manger. Tu resteras pendue à ce mât jusqu'à ce que tu me révèles par quel sortilège une épée ne peut te blesser.

Pour narguer sa, prisonnière, il saisit une outre de peau et avala une large gorgée de kwist. Après avoir craché par terre, il reprit en ricanant :

-Lorsque je posséderai ton talisman, je n'aurai aucune difficulté à m'imposer aux Byans dont le chef m'a accueilli. Puis à la tête de leur horde, j'attaquerai Syga. Le roi regrettera alors amèrement de m'avoir banni! Je prendrai la couronne et tout le pays devra plier devant ma loi !

El contempla un instant Tora en silence et un sourire cynique étira ses grosses lèvres. Du bout de sa cravache il caressa la gorge de sa prisonnière.

-Toi, je t'épargnerai peut-être si tu sais te montrer très compréhensive.

Malgré son dégoût, Tora dit d'une voix haletante :

-Si vous me libérez, je suis prête à vous verser une rançon de mille pièces d'or !

Poursuivant son jeu du chat et de la souris, Zorg reprit :

-Je ne demande qu'à négocier, mais pour preuve de ta bonne foi, dis-moi la nature du talisman qui rend invulnérable !

-Vous avez dit qu'un sorcier voulait notre mort. Ne puis-je le rencontrer?

Le colosse éclata d'un rire sonore.

-Certainement pas! Il te croit morte, et pour ma tranquillité je préfère qu'il ignore que tu es ma prisonnière.

L'arrivée silencieuse de Ray fit sursauter Marc.

-Le feu d'artifice se déclenchera dans neuf minutes et trente secondes.

-Ne perdons pas de temps. Découpe en silence au laser une bonne ouverture dans ce panneau de tente dont le cuir me semble assez dur.

Comme Zorg leur tournait le dos, Marc espérait que l'androïde pourrait le neutraliser en silence. Malheureusement Tora releva la tête à ce moment et ne put retenir une exclamation de joie.

Le colosse eut une réaction aussi foudroyante qu'imprévisible. Il se retourna et plongea sur Marc, une dague serrée dans son poing gauche. L'androïde réagit avec sa promptitude électronique et saisit l'avant-bras de Zorg, mais sa masse et son élan étaient tels que le bandit s'embrocha de lui-même sur son arme.

Il ouvrit la bouche pour hurler à l'aide mais seul un flot de sang sortit de sa gorge et il s'écroula lentement sur le sol. Un instant paralysé par la rapidité de l'action, Marc s'élança vers Tora et sectionna ses liens.

Malgré son courage, la jeune femme ne put éviter de pousser un gémissement de douleur et elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Heureusement, Marc la soutint fermement par la taille et murmura :

-Je t'en prie, tais-toi !

Ray qui avait rapidement jugé de l'état de faiblesse et de déshydratation de Tora, décrocha une gourde de cuir et l'approcha des lèvres desséchées de la jeune femme qui but avidement l'eau fraîche.

Un pâle sourire éclaira son visage.

-Merci, soupira-t-elle. Je devrais pouvoir marcher.

Encadrée par les deux Terriens, elle quitta la tente, jetant un regard effrayé sur le groupe de Byans qui dormaient à peu de distance. Rapidement les fugitifs atteignirent l'abri des premiers arbres. Toutefois, Tora qui avait inhalé quelques molécules du gaz soporifique qui traînait encore dans l'air, fut saisie d'un vertige et ses paupières se fermèrent.

Ray la saisit vivement dans ses bras et continua sa marche. Une vive lueur provenant du camp éclaira le sous-bois d'une lumière fantomatique. Aussitôt des clameurs s'élevèrent, bientôt dominées par les hennissements des camex et le bruit sourd des sabots.

Arrivé près des montures qui piaffaient d'inquiétude, Marc se mit en selle. Ray déposa Tora devant le Terrien en expliquant :

-Elle ne devrait pas tarder à se réveiller. Cela lui semblera plus normal que ce soit toi qui la portes. Maintenant filons au galop avant que les Byans ne reviennent de leur surprise.

Marc éperonna sa monture non sans recommander :

-Branche tes antigrav pour ménager ton camex. Lorsque le mien, qui porte une double charge, sera fatigué, nous changerons de monture.

L'air vif de la course dissipa rapidement les effets du gaz anesthésique et Tora reprit connaissance. Serrée contre la poitrine de Marc, elle l'assaillit de questions. Le Terrien expliqua comment il avait retrouvé sur la route Hori inconscient et comment il l'avait conduit à Stur.

-Il a tenu ensuite à rester seul dans la bibliothèque et je ne l'ai pas revu depuis.

Marc perçut le soulagement de la jeune femme qui demanda :

-C'est miracle de m'avoir retrouvée la nuit !

-Nous l'avons un peu aidé, ironisa Marc. Nous sommes retournés sur les lieux de l'agression et Ray a suivi la piste des Byans. En forêt, les camex laissent des traces. Puis vers la colline, l'odeur des feux nous a guidés. Le plus difficile a été d'assommer en silence une sentinelle, puis de nous glisser sans éveiller les dormeurs.

-Je ne comprends pas comment j'ai pu m'évanouir, s'étonna-t-elle.

Marc se fit rassurant :

-Moi, je trouve cela tout naturel ! Tu étais épuisée. Depuis combien de temps étais-tu suspendue à ce mât ?

-Je l'ignore ! Nous avons été attaqués par surprise. Je suis tombée de camex et aussitôt les agresseurs m'ont clouée au soi, puis j'ai reçu un coup derrière la tête qui m'a fait perdre connaissance. Je me suis réveillée attachée dans la tente de Zorg. Jamais je n'aurais cru qu'un être humain puisse être aussi répugnant !

Avec un peu d'inquiétude, elle ajouta, en songeant à son champ protecteur.

-As-tu entendu ce qu'il voulait ?

-Non ! J'ai juste jeté un coup d'oeil pour réassurer que tu étais bien dans cette tente puis nous avons aussitôt découpé le cuir en silence.

Un petit sourire étira les lèvres de Marc qui chuchota dans le cou de la cavalière tout en la serrant doucement contre lui :

-Mais je crois savoir ce qu'il attendait de toi. Ta beauté ne peut laisser aucun homme indifférent.

Soulagée, Tora émit un rire de gorge.

-Nous verrons à reprendre cette conversation plus tard. Pour l'instant mes épaules me font trop souffrir.

Ils chevauchèrent un long moment en silence puis Marc ordonna une halte pour laisser souffler les montures et en changer discrètement.

Ray le rassura mentalement :

-Je n'entends aucun bruit de poursuite. Ils doivent être encore occupés à essayer de retrouver leurs camex.

Quelques instants plus tard, ils repartirent à vive allure. Le jour commençait à se lever quand le château de Stur se profila à l'horizon.

-Nous serons bientôt à l'abri des murailles, soupira Marc. Courir tout un jour à camex est épuisant et j'avoue que j'aspire à m'étendre sur une bonne couche.

Il dut cependant patienter un peu. Heit avait fait lever le pont-levis et la sentinelle bien dressée ne voulut pas ouvrir malgré la présence de la baronne sans en référer à son supérieur hiérarchique.

Enfin les cavaliers purent pénétrer dans la cour du castel. Tora, qui avait récupéré quelques forces, sauta à terre, accueillie avec joie par le régisseur. Sans perdre de temps, elle ordonna :

-Fais donner au baron de Jax tout ce qu'il désirera et ensuite laisse-le se reposer. Moi, je vais dans la bibliothèque. Ne me dérange pas avant que je te fasse appeler !

Puis elle s'éloigna d'une démarche très raide.

CHAPITRE XIV

Hori pénétra dans le bloc médical où Tora, allongée nue sur une table étroite, subissait un traitement relaxant. Un voyant vert s'alluma devant les yeux de la jeune femme qui se redressa et s'étira voluptueusement.

-Comment te sens-tu ? demanda Hori.

-En très grande forme ! Quelle heure est-il ?

-La nuit ne va pas tarder à tomber. Pendant ton sommeil j'ai été inspecter les sentinelles mais les Byans ne se sont pas manifestés.

Le visage de Tora se fit grave.

-J'ai examiné les données de l'ordinateur médical. Tu as beaucoup de chance d'être encore vivant. Normalement les lésions auraient dû entraîner rapidement un état irréversible. Il n'empêche que les robots ont dû travailler près de douze heures sur toi pour te retaper. C'est, je crois, le record de durée !

-C'est un titre dont je me serais, allègrement passé. Je me demande encore comment j'ai eu la force de trouver le mécanisme d'ouverture de la bibliothèque et de me traîner jusqu'à la table de soins !

-Tu pourras surtout remercier Marc et son écuyer de t'avoir amené jusqu'ici sans perdre de temps ! Comment allons-nous lui expliquer ta guérison miraculeuse?

-J'ai déjà envisagé le problème. Nous dirons que mes blessures étaient beaucoup moins graves que nous ne l'avions craint et que le médecin, un peu sorcier, m'a fait boire un philtre. Cela devrait satisfaire sa curiosité d'autant que les primitifs adorent croire aux histoires de sorcellerie.

Tora réprima une grimace en demandant :

-Lorsque j'étais prisonnière de Zorg, il a mentionné plusieurs fois un soi-disant sorcier qui exigeait notre mort !

-En es-tu certaine ?

-Oui, et en plus, au moment où je reprenais connaissance, je l'ai entendu ricaner :

« -Tu m'as donné bien du souci, sacrée femelle. Un paysan a osé me désobéir, puis les Byans t'ont laissée échapper par la faute de ce maudit baron de Jax, près de Syga. Enfin je te tiens, et ton baron ne perd rien pour attendre. Il a cru généreux de me laisser en vie. Il n'aura pas assez de sang pour regretter son geste. Je médite depuis longtemps les supplices que je lui ferai subir ! »

-Tu n'as pu savoir qui était ce sorcier? demanda Hori.

-J'étais fort mal placée, ricana Tora, pour poser des questions.

-Excuse-moi, Tora. Je sais que tu as passé de très désagréables moments.

-Effectivement, l'épreuve a été pénible et ce d'autant plus que je t'ai cru mort. Mon seul espoir aurait été de pouvoir accrocher l'émetteur du vaisseau de liaison, mais le gisement de magnétite perturbait considérablement les ondes radio !

-Pour en revenir à ce sorcier, c'est sans doute un fanatique qui dans sa cervelle d'illuminé t'assimile à un démon. Heureusement que tu quitteras Ryg dans moins de trois jours.

-As-tu des nouvelles du vaisseau ?

-Aucune ! Si demain il ne s'est pas manifesté, j'enverrai un message à Marala!

-Espérons que le roi de Syga ne nous convoquera pas car il sera difficile d'expliquer notre absence.

-Nous pourrons toujours prétexter une rechute de nos blessures et j'enverrai Heit à la tête de nos hommes d'armes !

Tandis que Tora enfilait une robe médiévale qui contrastait fortement avec les appareils de très haute technologie qui l'entourait, Hori lui dit :

-Que comptes-tu faire maintenant ?

La jeune femme éclata d'un rire sensuel.

-Je vais réveiller mon sauveur et lui offrir la récompense que mérite sa valeur, avant qu'une chambrière ravie de l'aubaine ne lui propose ses services, puis nous souperons ensemble. Il serait souhaitable toutefois que tu paraisses encore très éprouvé sinon il ne voudra jamais admettre que tu es l'agonisant qu'il a ramassé sur la route.

Marc pensif était accoudé à la fenêtre de sa chambre, regardant le soleil déjà haut sur l'horizon. La veille, Tora, en fin d'après-midi, l'avait sorti de sa torpeur de la plus agréable manière. Et après un entracte pour le dîner, la joute avait repris jusqu'à une heure tardive de la nuit. Ray avait visité discrètement le château mais n'avait trouvé aucun indice permettant de deviner l'origine de Tora. Naturellement, il n'avait pu pénétrer dans la pièce secrète derrière la bibliothèque.

-Nous ne sommes guère plus avancés, murmura-t-il à l'intention de Ray, et nous n'avons aucune excuse pour nous attarder. Demain matin au plus tard, il nous faudra quitter les lieux. Je me demande si, finalement, il ne serait pas plus simple d'aborder franchement le problème avec Tora.

L'androïde analysa rapidement l'hypothèse.

-Cela serait effectivement une solution, toutefois tu ne peux l'utiliser de ta propre initiative. N'oublie pas que tu n'es pas mandaté pour nouer des contacts avec des races évoluées. Il te faut rendre compte au général Khov et demander des instructions.

-Entendu, nous partirons demain en direction de mon domaine et nous nous cacherons dans un bois en attendant la tombée de la nuit, puis nous appellerons le module.

Ray qui s'était approché de la fenêtre, désigna du doigt un nuage de poussière à l'horizon.

-Notre programme risque d'être retardé, Ce sont les Ryans et ils sont plus d'un bon millier !

Une cloche se mit à résonner lugubrement et les quelques paysans qui étaient dans les champs ou qui avaient regagné leurs masures, accoururent vers le château, poussant devant eux le bétail qui paissait dans les environs. Dès que le dernier homme eut franchi la herse, celle-ci fut abaissée et le pont-levis relevé dans un grand bruit de chaînes.

Marc rejoignit Tora et Hori qui étaient montés sur la plus haute tour. Le baron arborait un air soucieux.

-Cette fois, les Byans sont nombreux et paraissent agir avec discipline. Dès qu'ils sont apparus, j'ai envoyé deux messagers au roi. Malheureusement, il lui faudra du temps pour rassembler son armée et l'amener ici. Il ne faut donc pas compter recevoir d'aide avant dix jours. Pourrons-nous tenir ainsi longtemps ?

Avec calme, l'ennemi investissait méthodiquement les abords du château, bloquant la seule route d'accès. De la fumée s'éleva des chaumières auxquelles les Byans avaient mis le feu.

Ray émit à la seule intention de Marc :

-Eux aussi ont progressé. Le précédent rapport les mentionnait comme des tribus très primitives et - divisées en groupuscules autonomes. Or ils semblent avoir bien assimilé l'art de la guerre. Vois, ils apportent des échelles en grand nombre et des fascines de bois pour combler le fossé.

Hori qui avait également remarqué le manège des Byans, soupira.

-Allons souper ! Je ne pense pas qu'ils attaqueront avant demain matin. Il nous faut nous répartir les tâches !

Le dîner fut assez morose, chacun songeant aux épreuves qui les attendaient. En plus de Heit, deux hommes avaient pris place autour de la table. L'un, noir de poil, au thorax d'une largeur imposante, était forgeron et commandait le groupe des artisans ; l'autre plus âgé, au visage ridé, supervisait le clan des paysans.

Hori, le repas rapidement achevé, distribua les consignes.

-Les quatre tours d'angle sont plus hautes que les échelles et ne seront probablement pas attaquées. Les femmes et les enfants devront s'y réfugier. Les hommes les plus âgés se tiendront au sommet et lanceront des pierres sur d'éventuels assaillants. L'assaut portera plus probablement sur les murailles intermédiaires. La face nord, qui regarde la colline, est d'accès malaisé et je ne crois pas que le gros de l'effort ennemi portera sur elle.

S'adressant au plus âgé, il reprit :

-Vous en assurerez la défense avec votre groupe. Si, par hasard, l'assaut était très rude, n'hésitez pas à me faire prévenir mais si ce n'est pas le cas, prévoyez un détachement de réserve que je pourrai envoyer sur le point le plus menacé. Heit prendra en garde la muraille est avec les hommes d'armes qui dépendent normalement de lui. Ils sont entraînés au combat et il ne devrait pas y avoir de problème.

Se tournant vers Marc, Hori annonça :

-Messire Marc, nous connaissons tous votre vaillance et celle de votre écuyer. Acceptez-vous de défendre l'ouest ? Vous aurez l'aide de notre maître forgeron. Vous verrez, il est fort comme quatre hommes mais vous pourrez le faire profiter de vos connaissances de l'art de la guerre! Personnellement, j'assurerai, avec le reste des gardes, la défense de la porte d'entrée et du pont-levis !

Après un dernier toast, Hori se leva.

-Allons nous reposer car demain la journée sera rude !

CHAPITRE XV

Levé avant l'aube, Marc avait gagné le poste qui lui avait été assigné. Il arpentait le chemin de ronde long d'une trentaine de mètres. La veille au soir, Hori lui avait prêté une armure et Tora avait fait une rapide apparition dans sa chambre. Elle avait gentiment embrassé le Terrien en murmurant, le visage triste :

-Je ne sais ce que l'avenir nous réserve mais sois certain que je ne t'oublierai jamais.

Peu après, Ray avait capté un échange radio entre Tora et Hori.

-« Tora, je suis très inquiet. J'ai essayé de contacter Marala mais je n'ai obtenu aucune réponse. Pourtant l'émetteur fonctionne correctement. Même s'il y a des orages magnétiques dans le subespace, j'aurais dû au moins accrocher le récepteur du vaisseau qui ne doit guère être éloigné ! Compte tenu de la durée du voyage, il faut que tu partes au plus tard après-demain pour assister au conseil ! »

Après un long silence, Hori avait repris :

-« Je me demande s'il ne serait pas plus prudent que demain tu restes enfermée dans le bloc médical.

Si, par malheur, le château était pris et détruit, tu pourrais toujours t'échapper par le passage et attendre l'arrivée du vaisseau. »

-« Il n'en est pas question ! Je ne veux pas abandonner tous ces primitifs qui nous ont fait confiance. Sans nous ils seront très rapidement débordés et massacrés ! »

-« Même avec nous, c'est ce qui se produira, soupira tristement Hori. J'ai soigneusement examiné l'armée des Byans. Ils ont acquis une organisation et une discipline qu'ils n'avaient pas encore. Il faudrait un miracle pour que nous tenions jusqu'à l'arrivée du roi. Je persiste à penser que c'est folie d'exposer ainsi ta vie. Ton existence est trop précieuse pour la risquer ainsi. Tu oublies que nos compatriotes vont avoir terriblement besoin de toi. »

-« N'essaye pas de me faire croire que je suis indispensable. Les Hiris sont un peuple très raisonnable, trop même ! »

-Je n'en suis plus si certain! A notre dernier passage, Konsat a tenté de sonder mes opinions. C'est un ambitieux qui risque de devenir un jour très dangereux pour nos concitoyens d'autant plus qu'il a rallié autour de lui un bon nombre d'adeptes. Toi seule peux contrecarrer ses projets ! »

Hori se fit plus pressant :

-« Il y a toujours eu et il y aura encore pendant longtemps des guerres et des massacres sur Ryg. Nous ne pouvons ni ne voulons changer le cours de leur Histoire. Le château de Ziny a été pris et brûlé, celui de Stur le sera également! Dans quelques années, cela ne sera plus qu'une anecdote lointaine. Nous aurons ainsi un excellent alibi pour expliquer notre disparition ! »

Ebranlée par cette série d'arguments, Tora hésita.

-« Tu as sans doute raison mais mon coeur se refuse encore à l'admettre. Toutefois, je te promets d'être très prudente et si le danger se précise, je jure de gagner le bloc médical dès que tu me le diras. A ce propos, j'ai examiné de nouveau tes enregistrements. L'analyseur fait mention de traces minimes d'une substance inconnue. Ne pourrait-on t'avoir administré quelque chose pendant ton évanouissement ? »

-« C'est peu probable, car mon écran protecteur était resté branché ! C'est également mentionné dans le rapport. Allons, ne pense plus à tout cela et va dormir. Surtout ne pleure pas, cela ne servirait à rien. Moi aussi je trouve ce Marc très sympathique. »

-« Ce n'est pas seulement à lui que je songe mais à tous ceux d'ici qui furent nos amis ! »

Marc, qui commençait à avoir chaud sous son armure, se remémorait sans cesse ce dialogue capté par Ray. Toutefois, un cri le fit revenir aux dures réalités.

-Ils arrivent !

De fait, des colonnes de guerriers s'étaient formées, portant des fascines et des pierres. Méthodiquement les Byans comblaient le fossé en plusieurs points. Le forgeron voulut lancer des pierres mais Marc le dissuada de gâcher leurs maigres réserves. Agissant inlassablement comme des colonnes de fourmis, les assaillants ne tardèrent pas à combler les douves peu profondes.

Après un long moment qui parut interminable à Marc, les colonnes revinrent portant des échelles.

Une sonnerie de trompe retentit et les échelles furent appliquées contre les murailles avec un ensemble presque parfait. Aussitôt les premiers assaillants montèrent avec une agilité déconcertante. Les défenseurs lancèrent de gros moellons, encouragés par Marc tandis que Ray, usant de sa force terrifiante, se contentait de renverser les échelles qui s'affalaient sur le sol avec leurs grappes hurlantes de Byans.

Comme l'avait pensé Hori, l'assaut portait principalement sur le mur qu'il défendait et sur celui de Marc. Ce dernier ne pouvait s'empêcher de lancer de fréquents regards sur la silhouette à l'armure brillante qui combattait près du baron. Par deux fois, Marc dut se porter au secours de ses hommes car des Byans avaient réussi à prendre pied sur le chemin de ronde. A grands coups d'épée, il avait fait place nette autour de lui tandis que Ray inlassablement renvoyait les échelles.

Aussi soudainement qu'elle avait commencé, l'attaque cessa. Le chef des Byans avait sans doute jugé nécessaire d'accorder un repos à ses hommes car ses équipes d'assaut avaient été sérieusement malmenées. Marc, profitant de la trêve, put faire un bilan qui n'avait rien de réjouissant. Sur la vingtaine d'hommes que dirigeait le forgeron, six étaient gravement blessés et hors de combat. Les autres paraissaient épuisés. Le forgeron lui-même ne semblait pas en meilleure forme. Sous son casque, son visage avait pris une coloration rouge violacée et il avait beaucoup de mal à retrouver sa respiration. Il reposa doucement la lourde hache qu'il avait maniée comme un forcené. Son pourpoint de cuir noir était zébré en de nombreux endroits d'estafilades sanglantes.

A ce moment, quelques servantes moins effrayées que les autres apparurent portant de lourds pichets de kwist. Chacun put ainsi étancher la soif ardente qui desséchait les gosiers.

Le forgeron, ayant retrouvé un teint un peu moins rubicond, souffla :

-Messire, vous et votre écuyer êtes les plus grands guerriers que j'aie jamais rencontrés. Sans vous, nous aurions été submergés !

-Reposez-vous, répondit Marc, car la journée n'est point finie et elle promet d'être encore rude.

Marc regarda le soleil qui avait à peine amorcé son déclin sur l'horizon. Ray qui avait perçu les pensées multiples qui traversaient l'esprit de Marc, émit :

-Non ! Nous ne pouvons rien faire pour soulager les épreuves de ces malheureux. Cela serait en contradiction formelle avec la loi de non-immixtion. Il nous faut surtout songer à notre retraite. Nous pouvons simuler une chute de la muraille. Je te tiendrai par la taille et brancherai mes antigrav au dernier moment. On nous croira morts et la nuit tombée, nous nous éclipserons discrètement.

-Je préfère attendre! Avec un peu de chance, nous pourrons tenter de suivre Tora. Nous ferions d'une pierre deux coups. Nous nous échapperons et nous pourrons peut-être découvrir qui elle est réellement !

L'éclat des trompes annonça l'imminence d'une nouvelle attaque. Péniblement les hommes se redressèrent et gagnèrent leur poste. L'assaut reprit, féroce, dans le tintamarre des armes entrechoquées, des cris des blessés, des hurlements de ceux qui tombaient des murailles. Tout en courant de l'un à l'autre, Marc surveillait la muraille sud où se tenait Tora.

A plusieurs reprises, les Byans avaient pris pied sur les créneaux. Brusquement Marc prit sa décision et ordonna au forgeron :

-Rassemble tes hommes et va soutenir le baron. Je me charge de défendre cet endroit.

Comme il hésitait, le Terrien ajouta avec force :

-Vite ! le gros de l'attaque porte sur l'autre muraille. Ici c'est simplement une manoeuvre de diversion !

Dès qu'il eut obéi, Marc augmenta l'intensité de son écran protecteur pour ne plus perdre de temps à parer les coups de ses adversaires et il frappa sans relâche sur tout ce qui dépassait des créneaux.

Pendant ce temps, Ray avait adopté une nouvelle technique. Ayant constaté que les Byans ne tardaient guère à redresser les échelles qu'il avait repoussées, il saisissait les montants et d'un coup sec les écartait, libérant les barreaux qui se brisaient sous le poids des hommes.

Bientôt l'attaque cessa, les assaillants ayant de nombreux morts ou blessés et surtout ne disposant plus de moyens d'escalade. Marc poussa un soupir de soulagement, heureux de pouvoir un moment reposer son bras malmené par le poids de l'épée.

Sur l'autre muraille, la situation semblait s'être également stabilisée par l'heureuse arrivée des renforts inattendus.

-Nous n'aurons peut-être pas à fuir aujourd'hui, constata Marc. Après une telle saignée, les Byans auront certainement besoin de temps pour reconstituer leurs forces.

La minute suivante devait lui infliger un cinglant démenti. Une formidable explosion déchira l'air et un pan entier de la muraille nord s'écroula dans un nuage de poussière.

-Tiens, ils ont aussi inventé la poudre, constata calmement Ray.

Aux hurlements de frayeur des assiégés, répondirent bientôt les cris de victoire des Byans qui en groupes serrés escaladaient les débris du mur.

Marc désigna Tora qui descendait en courant l'étroit escalier donnant sur la cour, suivie de Kori.

-Dépêche-toi, nous devons à tout prix les rejoindre.

Dans la cour régnait une panique épouvantable. Hommes, femmes couraient en tous sens, terrorisés, pour tomber sous les coups des Byans de plus en plus nombreux.

Au milieu de la cour, Marc arriva à la hauteur de la jeune femme qui, accompagnée de Hori, tentait de se frayer un chemin vers la tour principale au rez-de-chaussée de laquelle se trouvait la bibliothèque avec peut-être le salut.

Comme si les Byans avaient deviné les intentions de la jeune femme, un groupe important s'était massé devant la tour. Tora se heurta donc à une véritable muraille vivante qu'elle ne put franchir malgré l'aide de Marc et de Ray.

Toute résistance organisée avait cessé mais les assaillants pourchassaient encore les survivants. Adossé contre un mur, le forgeron se battait comme un sanglier cerné par des chiens. Sa hache rouge de sang jusqu'à la poignée, se levait et s'abattait avec une grande régularité, traçant à chaque coup un sillon écarlate. Mais la lutte était par trop inégale et il fut submergé par le nombre. Une dernière fois, le forgeron, couvert de blessures, tenta de se relever. Sa hache brisa encore un crâne puis lui échappa des mains. Un Byan se lança l'épée en avant et lui transperça le thorax. Dans un dernier réflexe, le colosse saisit son meurtrier à la gorge et serra de toutes les forces qui lui restaient. Enfin dans un dernier râle, les deux combattants glissèrent sur le sol, unis dans la mort.

Maintenant ne restaient plus en état de combattre que les Terriens entourant Tora et Hori. Lentement, implacablement, la masse de leurs adversaires, sans se soucier des pertes, les repoussait vers la plus petite tour d'angle. Ils s'adossèrent à une porte qui s'ouvrit dans le dos de Tora.

La jeune femme, épuisée, livide, descendit à reculons un escalier qui menait à une salle basse qui servait de prison. Un long moment, Ray tint en respect la meute des poursuivants sur le seuil de la porte.

Sans cesser de ferrailler, il émit calmement à l'intention de Marc :

-S'ils se lancent tous en avant, ma masse ne sera pas suffisante pour bloquer une telle force. Dois-je utiliser le désintégrateur ?

-Pas encore! Recule lentement. Il existe une forte grille qui barre l'entrée de la pièce. Nous pouvons la refermer derrière nous. Cela nous donnera un instant de répit. De toute façon, je préfère que ta démonstration n'ait pas lieu au grand jour! Voilà, nous y sommes ! Rejoins-nous !

En trois bonds souples. Ray descendit l'escalier et se réfugia derrière une grille massive. Les Byans, un instant surpris, se bousculèrent dans l'escalier. Certains avaient pris la précaution de se munir de torches, ce qui illuminait la cave d'une lueur tremblotante.

Loin de chercher à forcer la grille qui constituait un dernier et fragile rempart, ils se contentèrent de bloquer la porte avec des madriers, tout en lançant force invectives à ceux qui étaient devenus leurs prisonniers.

Soudain un lourd silence se fit et le groupe compact des Byans s'écarta précipitamment pour livrer passage à un homme qui semblait leur inspirer une vive terreur. Il était vêtu d'une longue cape noire surmontée d'un capuchon qui recouvrait la tête, masquant les traits du visage.

Il descendit lentement l'escalier. Ses pas résonnaient curieusement sur les dalles de pierre. Arrivé devant la grille, il examina longuement les étais puis, apparemment satisfait, se retourna. D'un geste ample de la main, il intima l'ordre aux Byans de sortir. Sans un mot, les farouches guerriers obéirent, se bousculant même pour gagner plus vite la porte que le dernier referma doucement. Deux torches, qui étaient restées accrochées à des paniers de fer scellés dans le mur, éclairaient la scène. Enfin l'homme se retourna et rejeta en arrière le capuchon qui lui couvrait le haut du visage.

CHAPITRE XVI

L'homme avait un visage un peu étroit, des lèvres minces, un nez en bec d'aigle et des yeux noirs, brillants, surmontés d'épais sourcils. Tora poussa aussitôt un cri :

-Konsat! Que fais-tu ici et que signifie cette mascarade ?

Un froid sourire étira la bouche de l'homme.

-Chère Tora, tu peux te vanter de m'avoir causé beaucoup de tracas, mais enfin j'ai rétabli la situation juste à temps.

Marc s'était reculé pour rester le plus possible dans l'ombre. Naturellement, il ne comprenait rien à la langue chantante qu'utilisaient Tora et son interlocuteur et il concentrait son esprit sur la traduction que lui transmettait psychiquement Ray.

-Puisque tu sembles avoir une influence certaine sur les Byans, reprit Tora, fais-nous rapidement sortir d'ici. J'avoue qu'après toutes les émotions de cette journée, je regagnerais volontiers Marala.

L'homme éclata d'un rire cynique qui ne faisait pratiquement pas remuer ses lèvres.

-Ma parole, on jurerait que tu n'as encore rien compris ! Vous allez tous rester derrière cette grille et lorsque je remonterai je donnerai l'ordre aux Byans de brûler entièrement le château après l'avoir pillé, et de repartir. Je sais que tu es protégée par ton champ de force mais cela fait partie de mon plan. Tu as besoin d'eau et surtout d'oxygène pour survivre. L'incendie fera écrouler la tour et toi et tes compagnons périrez asphyxiés. Après-demain je ferai semblant d'arriver pour découvrir ton corps et celui de Hori qui auront été protégés par l'écran. Je vous ramènerai sur Marala en montrant la plus vive affliction, pour bien prouver que votre mort a été provoquée par des sauvages que tu n'aurais jamais dû fréquenter.

Devançant une objection de Tora, il ajouta d'un ton railleur :

-Ne t'inquiète pas ! Les enregistreurs de mon vaisseau ont déjà noté l'orage magnétique qui m'a empêché d'arriver plus tôt ! A toi, je peux avouer que je les ai un peu trafiqués !

-Hori a envoyé hier un message à Marala.

-Je le sais mais cela n'a aucune importance, car il n'est jamais arrivé à destination. Je suis un excellent physicien et j'ai inventé un appareil qui absorbe l'énergie. Les ondes ont donc été détournées dès leur émission.

Konsat, qui désirait savourer son triomphe, poursuivit :

-Tu peux te vanter d'avoir eu beaucoup de chance. Normalement tu devrais être morte depuis six jours. D'abord j'avais chargé de la besogne une brute bornée que j'aurais rapidement fait disparaître par la suite. Il semble tout d'abord qu'un exécutant n'ait pas réussi sa mission à Syga. Puis, en attaquant

Ziny, nous espérions bien provoquer un combat où tu participerais. J'ai été très déçu d'apprendre que le piège que j'avais conseillé pour briser la charge des chevaliers avait été évité, et surtout de savoir qu'au moment où les Byans pensaient bien t'avoir capturée, tu avais été sauvée de justesse par un groupe de cavaliers. Enfin Zorg a juré de racheter sa faute en vous attaquant sur le chemin du retour. Un instant j'ai cru qu'il avait réussi. Aussi tu peux juger de ma déception lorsque j'ai appris que vous aviez survécu ! Ton chevalier servant a bien fait de tuer ce Zorg. Cela lui aura épargné bien des désagréments. Devant tant de bêtises et pour le punir d'avoir tenté de me berner, je l'aurais fait brûler vif par les Byans !

-Comment as-tu su que nous étions toujours vivants puisque tu n'es pas venu au château ?

Konsat émit un petit claquement de langue désapprobateur.

-Ton séjour sur Ryg a bien amoindri tes facultés intellectuelles. Je te croyais l'esprit plus vif ! Hori et toi avez conservé l'habitude, probablement pour ne pas être surpris par les gens du château, de converser à voix basse par radio. Mon récepteur personnel a pu ainsi enregistrer toutes vos conversations. J'ai même été très inquiet lorsque Hori t'a suggéré de rester à l'abri dans le passage, ce qui aurait bouleversé tout mon plan ! Je n'ai été rassuré qu'en te voyant combattre à la muraille avec ta ridicule épée !

Tora sursauta et lança avec colère :

-C'est toi qui as fait sauter le mur ?

L'homme eut un haussement d'épaules ironique.

-Que veux-tu ? Il me fallait agir très vite pour t'empêcher de gagner ton refuge et j'avais une réputation de sorcier à maintenir auprès des Byans qui sans cela ne se seraient pas lancés aussi imprudemment à l'assaut. Grâce à quoi, l'attention de tous les défenseurs étant monopolisée, une petite équipe a pu creuser une mine sous la muraille nord et placer les quelques kilos de trinitrotoluène que je leur ai fournis. Ensuite les Byans avaient des consignes strictes pour vous repousser jusque dans cette cave.

Tora resta silencieuse tandis que Hori demandait :

-Le scorpios était-il aussi une de tes inventions ?

-C'était même la première qui, si elle avait réussi, m'aurait évité d'avoir à enrôler les Byans. En utilisant la vedette de liaison, je me suis rendu sur l'île où j'ai eu beaucoup de mal à capturer un beau spécimen et à le lâcher près de Syga. Devant les dégâts qu'il causerait, je savais que, poussés par vos bons sentiments, vous n'auriez de cesse de tenter de le combattre. J'espérais qu'il aurait fini par vous tuer. Je n'ai toujours pas compris comment un simple feu de broussailles a suffi à le griller. Je l'aurais cru beaucoup plus résistant ! Cela m'a obligé à contacter les Byans. Je n'ai eu aucun mal à me faire passer pour un sorcier et à leur imposer ma volonté.

Comme Konsat amorçait un demi-tour, Tora s'écria :

-Pourquoi ? Pourquoi vouloir aussi obstinément notre mort ?

L'homme dévisagea la jeune femme, le regard brillant.

-Parce que tu es le dernier obstacle à la réalisation d'un projet grandiose auquel j'ai décidé de consacrer toute mon existence et toute mon énergie ! Toi disparue, le grand conseil me nommera président de Marala !

-D'autres candidats peuvent se présenter ?

-Ils n'ont aucune chance. J'ai un noyau solide de partisans et il nous suffit de rallier une poignée d'hésitants pour obtenir la majorité. Tu vois que ta disparition est la condition indispensable à ma réussite.

-Est-il pour toi si important d'être nommé président ?

-Oui, mais ce n'est que la première étape ! Une fois mes partisans solidement installés aux leviers de commande, s'ouvrira alors l'ère des conquêtes. Les Hiris veulent parfois se donner l'illusion du courage en venant sur des planètes sauvages combattre de médiocres adversaires tout en restant frileusement à l'abri de leur écran protecteur! Je leur donnerai l'occasion de prouver enfin leurs qualités! Nous retournerons sur toutes les planètes que nous avons découvertes, non furtivement comme vous l'avez fait jusqu'à présent, mais en conquérants et en maîtres ! Les primitifs se soumettront à nos lois et nous serviront d'esclaves et de guerriers.

Aspirant une grande bouffée d'air, Konsat poursuivit d'une voix sifflante :

-Ces planètes sont riches en énergie et en matières premières. Nous construirons des usines d'armement. Enfin à la tête d'une puissante escadre, je pourrai me lancer à la conquête de la Galaxie tout entière. Les Hiris retrouveront ce qu'ils n'auraient jamais dû oublier : le peuple le plus intelligent et le plus fort doit régner sur l'Univers.

Tora, effarée, secoua la tête.

-Tu es complètement fou, Konsat. Jamais les

Hiris n'accepteront de te suivre dans une aventure aussi insensée !

Un rictus déforma les traits de l'homme.

-Lorsque je serai le maître, eux aussi apprendront à obéir pour pouvoir commander à leur tour ! Je saurai les y contraindre en leur faisant comprendre la justesse de mes vues et en éliminant, si besoin est, les opposants irréductibles. Un grand empire ne peut se créer avec des notions ridicules de justice ou d'égalité, mais sur la force, la violence, le courage et la gloire !

Konsat s'essuya le front et reprit d'un ton plus calme :

-Je suis ridicule de m'énerver pour essayer de te convaincre puisque tu ne verras pas tout cela ! Adieu.

La jeune femme cria d'une voix émue en désignant Marc :

-Un instant ! Je comprends que tu veuilles ma mort mais je te supplie d'épargner ces deux hommes qui ne sont pour rien dans nos querelles ! Laisse-les fuir !

Konsat jeta un regard glacé sur les prisonniers et ironisa :

-Jusqu'au bout, tu feras preuve de sensiblerie. J'avais songé un moment à les livrer aux Byans pour qu'ils s'amusent à leur faire payer les lourdes pertes qu'ils leur ont infligées mais je préfère qu'ils restent ici. Comme cela vous pourrez assister mutuellement à votre agonie.

Puis il fit demi-tour et remonta rapidement l'escalier. La porte claqua et le silence retomba.

CHAPITRE XVII

Marc s'approcha de Tora et demanda d'un air naïf :

-Quelle rançon exige-t-il pour nous libérer ? Je n'ai pas compris votre langage.

Tora hésita un long moment puis, les larmes aux yeux, déclara :

-Je pense que tu as le droit de savoir la vérité. Nous n'avons plus aucun espoir. Dans quelques heures les Byans mettront le feu au château et nous serons brûlés, asphyxiés ou écrasés !

-Pénible perspective, commenta laconiquement Marc. En attendant, nous ferions bien de nous débarrasser de ces carapaces gênantes, ajouta-t-il en tapotant son armure.

Aidé de Ray, il déboucla sa cuirasse, imité par Hori et Tora.

-Je suis encore inondé de sueur, soupira Marc, mais je ne pense pas qu'on va nous apporter de quoi nous baigner.

Son humour forcé fit grimacer Tora qui s'approcha de lui.

-Quelle heure peut-il être à ton avis ?

Ce fut Hori qui répondit :

-La nuit est certainement tombée. Les Byans ne vont pas tarder à finir de rassembler leur butin à moins qu'ils ne se soient enivrés avec nos réserves de kwist. Mais je suis sûr que leur sorcier les remettra rapidement dans le droit chemin. Dans moins d'une heure, ils incendieront le château !

Marc s'approcha de la grille et l'examina longuement. Tora lui posa affectueusement la main sur l'avant-bras.

-Puisque nous devons mourir, je veux que tu saches, Marc, que j'ai été très heureuse de te rencontrer. J'éprouve donc beaucoup de remords d'avoir été indirectement ta cause de ta perte.

Le Terrien, avec un sourire, lui appliqua doucement son index sur les lèvres, pour la faire taire.

-Moi, je pense que nous devrions profiter de cet instant de répit pour tenter de fuir.

Devant la mine ahurie de ses compagnons, il ajouta :

-Combien de prisonniers, Hori, avez-vous enfermés ici ces dernières années ?

-Aucun ! Je crois même que je n'étais jamais venu dans cette cave auparavant.

-C'est bien ce que je pensais car tout est rouillé.

Sans laisser au baron le temps de vérifier cette affirmation très exagérée, Marc fit signe à Ray de le rejoindre près de la grille à l'endroit le moins éclairé. Désignant la partie inférieure de deux barreaux, il ordonna mentalement :

-Découpe-les au laser et tords-les en les remontant. Je ferai semblant de t'aider. Va doucement pour donner l'impression que nous fournissons un gros effort.

La besogne fut rapidement achevée. Feignant d'être essoufflé, Marc dit d'une voix haletante :

-Après vous, baronne, il faudra se courber car dans l'existence, il est des circonstances où il est nécessaire de faire taire son orgueil naturel.

Le petit groupe se retrouva vite près de la porte de la tour. Marc retint Tora qui voulait sortir la première.

-Un instant ! Il est possible que votre sorcier ait laissé une sentinelle devant la porte. Ray va s'en charger.

Avec précaution, l'androïde tira le battant à lui et se glissa à l'extérieur. Moins d'une minute plus tard, il revenait en portant le corps d'un Byan.

-Il a tenté de crier et j'ai été obligé de serrer un peu fort. Il est mort.

-Balance-le dans les escaliers.

Puis se tournant vers Tora, il chuchota :

-En restant dans les zones d'ombre, nous devrions pouvoir atteindre l'endroit où le mur nord s'est écroulé. Nous escaladerons les débris et une fois à l'extérieur, nous gagnerons mon château.

Après un instant d'hésitation, Tora répondit à voix basse :

-Mieux vaut gagner la bibliothèque. Je te jure que nous y trouverons un abri sûr mais promets-moi, quoi que tu voies, de ne pas me poser de questions.

Marc donna sa parole sans autre commentaire et ils se glissèrent dans la cour. Plusieurs feux de bivouac étaient allumés et les hommes dormaient à même le sol. Par endroits, des gémissements s'élevaient. Les quelques femmes encore vivantes subissaient toujours la dure loi des vainqueurs.

Restant dans l'ombre des murs, les évadés progressaient vers la tour principale. Ils avançaient lentement, évitant tout bruit, et devaient enjamber les nombreux cadavres qui avaient été laissés sur place. Tora ne put retenir un sanglot en reconnaissant le corps mutilé de Heit. D'une pression douce et compatissante sur l'épaule, Marc l'obligea à avancer. Enfin ils atteignirent la porte principale dont le vantail avait été défoncé à coups de hache.

La grande salle obscure paraissait vide d'occupants. Tora déjà s'élançait vers la bibliothèque mais Marc lui saisit le bras. Il n'était que temps ! Un raclement de gorge résonnait dans l'obscurité.

-Il y a deux sentinelles adossées contre la porte de communication, émit Ray pour lequel l'obscurité n'existait pas.

-Elimine-les sans ménagement! Actuellement, nous ne pouvons prendre aucun risque.

Ray se coula dans l'ombre. Moins d'une minute plus tard, les fugitifs perçurent un petit râle tout de suite étouffé.

-La route est libre, émit Ray.

Ils pénétrèrent bientôt dans la bibliothèque où une misérable torche achevait de se consumer. Tora se dirigea aussitôt vers la tapisserie qui ornait un panneau. D'une main impatiente, elle l'écarta, découvrant une plaque ornée de petites aspérités sur lesquelles elle appuya selon un code déterminé.

Un pan de mur pivota, découvrant une pièce brillamment éclairée dans laquelle les évadés s'engouffrèrent immédiatement. Déjà le mur reprenait sa place, effaçant toute trace de passage.

Eblouis par la luminosité intense contrastant avec l'obscurité régnant dans le château, les fugitifs ne perçurent pas immédiatement la porte qui s'ouvrit au fond du laboratoire, livrant passage à Konsat. Ce dernier, bien que fort surpris de l'intrusion, réagit avec une promptitude extraordinaire. De la main droite, il brandit une arme à canon court et de la gauche, il saisit une curieuse boîte noire qu'il dirigea vers le groupe, tandis que la lumière diminuait d'intensité.

-Attention! émit Ray. La boîte noire... Elle dévore l'énergie. Je suis paraly...

L'émission s'interrompit brutalement. Avec angoisse, Marc vit l'androïde maintenant totalement immobile.

-Décidément, Tora, siffla l'homme, tu me compliqueras l'existence jusqu'à la dernière minute ! Une fois de plus, je vais être contraint de modifier mes plans.

Hori avança d'un pas :

-Ne crois pas m'effrayer avec ton pistolaser ! Moi aussi j'ai un champ protecteur.

-Erreur, rétorqua froidement Konsat en visant Hori. Le générateur est épuisé. Vérifie si tu ne me crois pas.

Le baron porta vivement la main à sa ceinture puis la laissa retomber avec découragement tandis que Konsat expliquait avec suffisance :

-Maintenant vous ne pouvez plus douter de mes capacités de physicien. Ce merveilleux petit appareil a pour propriété d'absorber l'énergie de n'importe quel générateur ! C'est grâce à lui que votre message n'est jamais arrivé à Marala !

Avec un sourire cruel, Konsat reprit à l'intention de Tora :

-Puisque tu n'as pas voulu périr étouffée, je vais être contraint de te livrer aux Byans. Ils ont dû achever les quelques femmes encore vivantes et ils seront ravis de ce supplément de chair fraîche. Toi qui aimais batifoler avec des primitifs, tu auras cette dernière consolation avant de disparaître. En route! Tu m'as déjà fait perdre beaucoup de temps.

-Et si je refuse ? le défia Tora.

-Je n'hésiterai pas à vous abattre ici. Je traînerai ensuite vos corps à l'extérieur pour les faire jeter dans un brasier. De toute façon, avec les images du massacre que j'ai soigneusement enregistrées, les membres du Grand Conseil seront bien obligés de me croire !

Marc, privé de traducteur, avait cependant compris l'essentiel de la scène. Subrepticement, il avait vérifié que son écran protecteur avait également disparu. Dans son cerveau enfiévré, il cherchait désespérément une solution.

Tora, pâle, les mâchoires crispées, annonça :

-Je préfère mourir ici !

-A ta guise, ricana Konsat en levant son pisto- laser, mais je te préviens que je ne ferai que te blesser pour laisser aux Byans la joie de t'achever !

Marc avança d'un pas et lança dans l'idiome local :

-Quelle rançon exigez-vous, seigneur? Je suis riche et prêt à payer pour mes amis.

-Imbécile, répliqua Konsat avec mépris.

Comme s'il n'avait rien entendu, Marc avança encore.

-Dans une bourse, j'ai cent pièces d'or mais si vous l'exigez, en quelques jours, je suis certain de pouvoir vous en donner mille autres.

Konsat haussa dédaigneusement les épaules.

-Tais-toi, esclave ! Tu ne peux comprendre un enjeu qui dépasse ton entendement. Comme toi tu n'as aucun intérêt, je t'abattrai ici, t'évitant la torture si Tora accepte de sortir maintenant !

Marc tomba à genoux, se traînant vers Konsat, les bras tendus :

-Je vous en supplie, seigneur, ne nous tuez pas encore !

-Ces primitifs, tous des lâches! cracha Konsat en avançant pour décocher un coup de pied à celui qui s'humiliait ainsi devant lui.

Le Terrien espérait que son adversaire commettrait cette faute ! Brusquement, il plongea en avant. Surpris par le choc, Konsat tomba à la renverse, les bras en croix, lâchant son pistolaser et la boîte noire.

Marc savait qu'il était inutile de frapper un adversaire protégé par un champ de force. Avant tout, il fallait l'empêcher d'atteindre sa ceinture et d'augmenter ainsi la puissance de son écran. Si les chocs étaient inefficaces, il espérait que les voltiges étourdiraient Konsat.

Le saisissant par un bras, il le fit aussitôt basculer au-dessus de son épaule. Durant deux minutes, les prises succédèrent aux prises à un rythme endiablé qui aurait fait baver de jalousie le champion du monde de catch.

Saisi au poignet droit, Konsat s'envola une nouvelle fois. Au lieu d'accompagner le mouvement, Marc tordit le bras. Malgré la puissance de l'écran l'épaule se luxa.

Le hurlement de douleur de son ennemi fut pour Marc la plus douce des musiques ! Haletant, le coeur battant à se rompre, couvert de sueur, Marc voulut exploiter son avantage en portant une nouvelle prise. Malheureusement, ses mains humides de transpiration glissèrent et Konsat put se dégager.

Quand Marc repartit à l'attaque, il se heurta au champ protecteur mis à la puissance maximum. Le visage crispé par la souffrance, Konsat se releva lentement, cherchant du regard son arme. Heureusement Hori avait eu la présence d'esprit de ramasser le pistolaser.

Konsat, soutenant son bras blessé, recula vivement et franchit la porte par laquelle il était apparu et la claqua violemment derrière lui.

Tora réagit la première en hurlant :

-Vite, Hori, il faut l'empêcher à tout prix d'atteindre le vaisseau.

-La porte est verrouillée, ragea Hori qui malmenait la poignée.

-Découpe la serrure au pistolaser !

Le jeune homme recula d'un pas et leva l'arme. Une série d'éclairs rouges jaillit du canon, perforant le métal en plusieurs endroits. Un furieux coup de pied acheva la besogne.

Hori et Tora s'élancèrent en courant, imités aussitôt par Marc. Ray paralysé était resté totalement immobile. Soudain, très doucement, progressant centimètre par centimètre, sa jambe gauche remua. Comme un jouet électrique dont la pile est usée, il avançait par saccades. Mais il était évident que ses dernières ressources énergétiques étaient épuisées et il tomba en avant. Dans sa chute, son bras droit se leva et il s'affala sur le sol, la main à quelques centimètres de la mystérieuse boîte noire.

CHAPITRE XVIII

Marc, au pas de course, suivait Tora qui galopait quelques mètres devant lui. Ils longeaient une longue galerie rectiligne qui ne semblait jamais devoir finir, éclairée de place en place par des rampes lumineuses.

Par deux fois déjà, ils avaient été retardés par des portes métalliques que Hori avait dû découper au pistolaser. Haletant, le trio s'arrêta devant un nouvel obstacle qui semblait plus résistant que les précédents. Le faisceau laser n'entamait qu'à grand- peine un acier particulièrement résistant.

Marc, après avoir examiné les gonds, fit remarquer :

-Vous n'y arriverez jamais ! Pourquoi n'entamez-vous pas la roche qui est plus friable, au-delà du chambranle ?

Bien qu'un peu surpris par la réflexion de Marc, Hori acquiesça et le travail avança beaucoup plus vite. Un bon quart d'heure fut cependant nécessaire pour que la porte privée de support accepte de s'écrouler.

Marc découvrit alors une caverne aux proportions gigantesques. Sa voûte était percée d'un orifice par lequel apparaissait le ciel étoilé. Au centre se dressait un vaisseau spatial d'assez petites dimensions, comparable aux fusées d'agrément des riches Terriens.

-Trop tard, sanglota Tora, regarde, le sas se referme.

Effectivement avec un claquement sec, une porte regagnait son alvéole et l'escalier d'accès s'écartait de la fusée maintenant prête à décoller.

Plusieurs minutes s'écoulèrent, troublées seulement par les jurons de Hori et les lamentations de Tora. Soudain la jeune femme redressa la tête. Konsat appelait sur sa fréquence radio. Il avait une voix rauque, éteinte, le souffle court.

-Grâce à ton primitif, tu as cru pouvoir me vaincre mais finalement c'est moi qui triomphe car je possède l'atout maître.

Tora essaya de discuter calmement :

-je t'en supplie, Konsat, oublie tes rêves de domination et retournons à Marala. Je te promets de passer sous silence ta conduite !

Konsat éclata d'un rire grinçant :

-Ne plaisante pas ! Malgré tous tes efforts, je parviendrai à mon but et je régnerai sur la Galaxie !

Il souffla bruyamment avant de reprendre :

-Maintenant, écoute bien car je ne répéterai pas mes ordres ! Tu ne peux rien contre le vaisseau et mon épaule me fait trop souffrir pour que je prenne le risque de sortir. Tu as une arme et il va falloir t'en servir ! Je veux que tu tues tes deux compagnons et que tu te suicides ensuite. Sinon...

Tora l'interrompit brutalement :

-jamais !

Comme s'il n'avait pas entendu la protestation de la jeune femme, Konsat poursuivit :

-Sinon je décolle et j'expédie une torpille nucléaire qui anéantira toute la région jusqu'à Syga. Même si tu ne meurs pas écrasée par la montagne, tu ne survivras guère dans une région contaminée par une intense radioactivité. A toi de choisir, vous trois ou toute la population de la région.

-Tu es un monstre, pleura Tora, tu ne peux exiger cela ! De plus, comment expliqueras-tu au Grand Conseil la survenue d'une explosion atomique ?

-C'est mon affaire ! Je dirai avoir observé de loin un nuage de poussière et qu'une fausse manoeuvre des barbares qui ont pris le château a sans doute fait exploser le générateur. Maintenant nous avons assez perdu de temps, obéis !

Hori, qui avait entendu, ne savait quelle attitude adopter. Lentement, d'une main hésitante, il tendit le pistolaser à Tora qui le saisit machinalement.

-Choisis, murmura-t-il la tête basse. Je promets de t'approuver en tout !

-Allons  ! pressa Konsat. Surtout ne tente pas de me tromper ! J'ai branché une caméra à fort grossissement pour surveiller tes moindres gestes. Va et commence par le primitif pour le punir d'avoir osé porter la main sur moi !

Marc qui, privé de son traducteur, n'avait pu entendre la conversation, vit avec stupeur la jeune femme, te visage inondé de larmes, pointer l'arme dans sa direction.

-Tora, cria-t-il, en faisant un pas en avant, que se passe-t-il?

-Non, Marc, je t'en supplie, n'avance pas, sanglota-t-elle.

Etonné et inquiet, le Terrien s'immobilisa.

-Explique-toi au moins !

-C'est affreux ! Konsat exige que je vous élimine et me suicide ensuite sinon il détruira toute la région et ses habitants avec une arme épouvantable, et crois-moi, il en a la possibilité !

Marc serra les poings de rage mais, privé de Ray, il se sentait impuissant. Peut-être aurait-il dû rester auprès de l'androïde et tenter de le réparer! Ainsi il allait mourir sur cette planète, victime d'un étranger paranoïaque !

Tora le visait à nouveau et leurs regards se croisèrent un long instant. Déjà il voyait l'index de la jeune femme se crisper sur la détente. Soudain, elle laissa retomber le bras en hurlant :

-C'est impossible ! C'est trop cruel, je ne peux pas ! Je ne peux pas...

Les neurones survoltés de Marc essayaient de trouver désespérément une solution ! Avant l'explosion atomique, aurait-il le temps d'entraîner Tora, puis, le séisme passé, pourrait-il appeler le module et gagner l'aviso avant d'avoir reçu une dose mortelle de rayons ?

Un coup d'oeil sur la caverne lui ôta tout espoir. Nui doute qu'une forte bombe anéantirait le château où se trouvait encore Ray et ferait écrouler les voûtes de cette cathédrale de pierre.

La voix lancinante de Konsat résonna dans l'écouteur de la jeune femme, stoppant son début de crise de nerfs :

-Il suffit ! Je te donne une dernière chance d'éviter aux habitants de Ryg une destruction complète.

Hébétée, le crâne douloureux, elle releva son arme.

-Marc! Marc, réponds-moi! L'appel psychique angoissé de Ray fit sursauter le Terrien.

-Ray ! Je suis heureux de t'entendre. As-tu retrouvé tes moyens ?

-Tout va bien et je t'ai localisé.

-Arrive en vitesse car je suis dans un pétrin épouvantable.

Se tournant vers la jeune femme, il annonça :

-Un instant, Tora. J'accepte de mourir mais je souhaite une réponse à une dernière question. Demande à Konsat quelle sera son attitude, si, lors de son expansion, il se heurte à une civilisation techniquement aussi développée que la tienne ?

Sans remarquer l'étrangeté de la demande, Tora contacta Konsat.

-Parfait, émit Ray, j'enregistre votre dialogue. Je serai là dans une minute.

A ce moment, Konsat répondit :

-Cela ne se peut car les Hiris sont les créatures les plus intelligentes de la Galaxie. Mais même si je rencontre des "adversaires évolués, j'engagerai le combat. Seul le plus fort a le droit de régner sur les autres races !

Puis il ajouta :

-Maintenant tu dois agir, Tora. Je décolle dans vingt secondes. Vois, l’orifice du lance-torpilles est déjà ouvert.

Ray, arrivé près de Marc, avait traduit la menace. Effectivement un orifice circulaire était apparu près du sommet de la fusée et une petite vibration agitait le fuselage.

-Ray, ordonna Marc, le désintégrateur ! D'abord sur l'orifice du lance-missiles, puis sur les étais télescopiques.

La voix de Konsat résonnait toujours aux oreilles de Tora :

-Quatorze... Treize... Douze..

L'androïde leva le bras gauche et une fine lueur mauve jaillit de son index. Un trou apparut dans la coque comme si l'acier avait été arraché par une mâchoire énorme et invisible.

Dans la fraction de seconde suivante, deux des trois pieds télescopiques disparurent comme effacés par une gomme gigantesque. Un dernier éclair mauve supprima une partie de l'arrière de la fusée où devaient se tenir les propulseurs.

Le vaisseau privé de supports, bascula brusquement, heurtant de l'avant la paroi rocheuse et s'effondra sur le sol en un bruit de tonnerre, soulevant un nuage de poussière.

Le brouillard un peu dissipé, la fusée apparut dans la lueur des projecteurs muraux restés miraculeusement intacts. Elle ressemblait à un gros insecte agonisant, agité de tressaillements. Par instants, le bruit d'explosions assourdies était perceptible. D'un coup, la coque se fendit longitudinalement, laissant échapper un torrent de flammes.

L'androïde, d'un geste vif, repoussa les trois humains pour qu'ils se mettent à l'abri dans la galerie.

Tora était secouée d'un tremblement incoercible et claquait des dents. Marc la serra doucement dans ses bras et lui enleva le pistolaser qu'elle n'avait pas lâché.

-Calme-toi, murmura-t-il, le cauchemar est terminé.

Aussi brutalement qu'elles étaient apparues, les flammes s'éteignirent, ne laissant de la fusée qu'une carcasse de métal fondu.

A une dizaine de mètres, une forme était étendue, tentant de ramper sur le sol. C'était Konsat qui était parvenu à s'extirper de la fusée. Toutefois, son écran protecteur avait été insuffisant pour le protéger entièrement du brasier. Ses vêtements calcinés avaient disparu, laissant apparaître une peau qui s'arrachait en larges lambeaux.

-Il est perdu, annonça calmement Ray. Brûlures de 90 % de la surface corporelle, troisième degré. De plus, ii a inhalé de l'air surchauffé et la quasi-totalité de ses alvéoles pulmonaires sont détruits.

Le blessé ouvrit les yeux et reconnut Tora. D'une voix presque inaudible, il murmura :

-Je ne sais comment tu as agi mais c'est tout de même moi le gagnant. Sans vaisseau, tu ne pourras pas assister au Grand Conseil. Whyg, mon second, sera élu à ma place et fera triompher notre idéal. C'est donc lui qui partira à la conquête de la Galaxie !

Konsat fut secoué par un ultime hoquet et s'immobilisa à jamais. Tora se releva lentement, profondément émue.

-Il a dit vrai. Viens, Hori, il nous faut tenter de prévenir immédiatement le Grand Conseil. Retournons au château pour envoyer un message.

Hori la retint par le bras.

-C'est inutile ! L'aube doit se lever et notre manoir n'est sans doute plus qu'un brasier ardent.

C'est le moment que choisit Marc pour lancer d'un ton joyeux :

-Je crois que notre mission à tous sur Ryg est terminée. Il ne nous reste plus qu'à disparaître. Peut-être pourrais-je encore vous être utile mais auparavant je dois demander l'avis de mes supérieurs. Ray, appelle le module. Penses-tu pouvoir le faire passer par cette ouverture ?

-Cela sera un jeu d'enfant !

CHAPITRE XIX

Le module traversait le ciel noir à vive allure. Tora et Hori, encore abasourdis de leur aventure, se taisaient. Marc allongea les jambes et émit à l'intention de Ray :

-Tu peux te vanter de m'avoir donné la plus belle frayeur de mon existence !

-Moi aussi j'ai été très inquiet pour toi.

Sans s'étonner de cette manifestation de sentimentalité fort incongrue pour tout autre robot que Ray, Marc poursuivit :

-Peux-tu m'expliquer comment tu as pu récupérer aussi rapidement tous les moyens opérationnels ?

-Lorsque j'ai senti cette importante fuite d'énergie, je n’ai pas tenté de lutter, ce qui aurait irrémédiablement endommagé mon générateur. J'ai aussitôt coupé tous mes circuits. Plus tard, j'ai remis en service quelques circuits au strict minimum d'intensité. C'est alors que j'ai enregistré ton absence. Cela a entraîné un choc curieux qui m'a très violemment stimulé. Je me suis aperçu qu'il existait dans mon organisme une énergie rémanente que je me suis efforcé de mobiliser. Elle a été juste suffisante pour atteindre le but que je m'étais fixé : saisir la boîte noire !

Marc ne put cacher sa surprise.

-Pourquoi?

-Réfléchis un instant, ironisa l'androïde. Cet engin absorbait l'énergie mais ne la réémettait pas. Pas de lumière, pas de chaleur, pas d'électricité ! Donc il devait nécessairement la stocker! Après quelques tâtonnements, j'ai réussi à lui faire restituer tout ce qu'il avait absorbé. Cela a été un peu brutal et m'a coûté plusieurs circuits qui ont fondu par excès d'intensité mais ils sont très accessoires et je les réparerai dès notre arrivée au vaisseau. Comme tout le monde semble croire que cette petite boîte noire a été détruite dans l'incendie du château, je me la suis appropriée. Elle intéressera sûrement les ingénieurs terriens !

Quelques instants plus tard, Ray reprit :

-Nos amis semblent revenus de leur surprise et ils échangent des impressions. Veux-tu les connaître ?

Devant la réponse affirmative de Marc, il traduisit :

-« Finalement, Tora, la situation est assez amusante. Marc pourra se vanter de nous avoir bernés jusqu'au bout! Oui sait maintenant où il nous conduit? »

« Après un rire bref, Hori reprit :

-« Je pense à toutes les fois où tu as vanté ses mérites de primitif, sa résistance, son merveilleux instinct que la civilisation n'avait pas étouffé! Remarque que je me suis laissé également abuser. Celui qui m'étonne le plus est Ray. D'après les brèves explications données par Marc juste avant le départ, il serait un androïde doté d'une puissance remarquable. Si c'est exact, leur technologie pourrait être bien supérieure à la nôtre ! »

Les manoeuvres d'accostage à l'aviso interrompirent la conversation. Merveilleusement piloté par Ray, le module pénétra en douceur dans le sas qui se referma aussitôt avec un petit chuintement. Une minute plus tard, la porte intérieure s'ouvrit et Ray pilota le module dans la soute. Aussitôt Marc sauta hors de l'engin et tendit la main pour aider Tora à descendre, mais la jeune femme feignit de l'ignorer. Elle avait repris des couleurs et son visage n'était pas trop marqué par les dures épreuves des dernières vingt-quatre heures.

Marc conduisit directement ses amis dans une grande cabine qui servait de salon, de salle à manger, de salle de détente. Elle était située juste à côté du poste de pilotage. Le Terrien commit alors l'erreur d'utiliser un mode ironique en déclarant avec emphase :

-Entrez, baronne, soyez la bienvenue dans mon modeste castel !

Un véritable rugissement sortit de la gorge de Tora, tandis que des éclairs semblaient jaillir de ses yeux !

-Il suffit ! Tu t'es assez moqué de nous ! Tu n'es qu'un affreux hypocrite dénué du moindre sentiment humain. Je te hais !

Les traits du visage de Marc se durcirent.

-Je suis navré que tu acceptes aussi mal la situation. Quoi que tu en penses, dans nos relations mes sentiments ont été très sincères !

Mais Tora demeura inflexible.

-N'aggrave pas ton cas en essayant de faire vibrer la fibre sentimentale. Ta conduite est inqualifiable !

-Toi non plus, tu n'as pas été un modèle de sincérité, protesta Marc.

-Ce n'est pas la même chose ! répliqua-t-elle. Je te prenais pour un primitif, tandis que toi, tu savais parfaitement que je n'étais pas originaire de cette planète!

Marc secoua la tête.

-Je suis une sorte de soldat qui doit obéir aux ordres et je ne peux prendre certaines initiatives sans en référer à mes supérieurs. Toutefois, lorsque la situation l'a exigé, je n'ai jamais hésité à prendre le risque d'être démasqué !

-C'est faux !

Avec un soupir, Marc se tourna vers Hori.

-Lorsque nous vous avons trouvé sur la route, vous n'aviez plus que quelques minutes à vivre, tellement vos lésions internes étaient importantes. Croyez-moi, Ray est capable de faire un diagnostic aussi précis qu'un robot médecin. Donc pour lutter contre le choc, il a dû vous injecter un puissant tonicardiaque et un analgésique.

Hori sourit en murmurant :

-C'étaient donc les fameuses traces indosables !

-Dès que vous avez repris conscience, je vous ai demandé si vous aviez un médecin au château. A votre réponse ironique, j'ai tout de suite compris que vous disposiez d'un bloc médical! Enfin pour pouvoir vous transporter sans aggraver vos lésions, Ray a dû utiliser ses antigrav pour éviter tout cahot.

Tora, toujours aussi peu convaincue, lança :

-Moi, je ne pouvais me douter de rien !

Marc s'offrit le luxe d'un sourire.

-Allons, souviens-toi ! Crois-tu qu'une simple torche aurait eu raison du scorpion géant? Ray a lancé en même temps une grenade à fort pouvoir incendiaire ! Ensuite lorsque je suis venu te chercher dans le camp des Byans, tu aurais pu t'apercevoir que le sommeil des sentinelles était trop profond pour être naturel, et devait être dû à une capsule anesthésiante. Toi-même pour en avoir respiré, tu t'es endormie !

La jeune femme répliqua rageusement :

-Grenade incendiaire, capsule anesthésiante, encore aurait-il fallu que je connaisse l'existence de telles armes ! Tu oublies que nous, les Hiris, sommes un peuple généreux et foncièrement pacifique !

-Excuse-moi, ironisa Marc, mais en dehors de vous, le seul représentant de votre race que j'aie rencontré ne m'a pas paru animé des meilleures intentions !

Hori éclata franchement de rire, ce qui détendit l'atmosphère.

-Marc a raison, Tora. Plutôt que de ressasser le passé et se complaire dans nos petites blessures d'amour-propre, mieux vaudrait envisager l'avenir !

Le Terrien, sans attendre la réponse de la jeune femme qui conservait un air boudeur, proposa :

-Pour vous donner un gage de bonne foi, je vais vous révéler en premier mon univers. Mais d'abord asseyez-vous confortablement dans ces fauteuils. Ils ne sont guère élégants mais ils épousent automatiquement la forme du corps. Cela ne fait que vingt- quatre heures que les Byans ont commencé l'attaque du château mais j'ai l'impression qu'il s'est écoulé une éternité !

Hori et Tora s'installèrent avec un plaisir non dissimulé. Aussitôt Ray leur apporta un grand gobelet d'une mixture pétillante.

-C'est tonique et reconstituant, car vous avez tous besoin de récupérer de vos fatigues ! Tout à l'heure, je vous servirai un peu d'alcool !

Chacun but avidement la mixture, puis Marc annonça :

-Ray va vous montrer un film en trois dimensions réalisé par notre service en cas de contact avec des civilisations évoluées. Il vous résumera l'histoire de l'Union Terrienne et notre situation actuelle.

Dès le début du passage de l'enregistrement, Marc s'éclipsa et gagna le bloc sanitaire.

Lorsqu'il reparut, il était détendu et vêtu d'une simple combinaison d'astronaute. Les dernières images défilèrent sur l'écran et la lumière revint dans la cabine. Ray distribua cette fois une boisson plus corsée.

-Je suis désolé de te décevoir, Tora, dit Marc. Tu comprends maintenant que je ne suis qu'un minuscule rouage d'une gigantesque machine complexe et non, comme toi, une pièce maîtresse sur l'échiquier politique de ta planète. Si je venais à disparaître, l'Union Terrienne n'en serait nullement affectée. Un aimable scribouillard appuierait sur la touche « annulation » de l'ordinateur du Service et introduirait le nom d'une nouvelle recrue, enchantée de l'aubaine. Paradoxalement, je sais que le seul être qui me regretterait sincèrement serait Ray !

Tora grimaça un sourire.

-Excuse-moi, Marc, pour mon mouvement de mauvaise humeur.

Elle fronça brusquement les sourcils et demanda soudain :

-Mais comment sais-tu ce qu'a dit Konsat ?

Marc haussa les épaules.

-Lorsqu'on confie ses impressions par ondes radioélectriques sans même utiliser un codeur-décodeur automatique, il ne faut pas s'étonner que n'importe quel récepteur puisse les capter.

Les yeux de la jeune femme s'arrondirent de surprise et elle s'écria :

-Ne me dis pas que tu as entendu toutes nos conversations !

-Moi, j'en aurais été incapable! C'est Ray qui est arrivé à traduire votre langage une fois qu'il a eu suffisamment de données. Mais rassure-toi, il est très prude et a censuré tous les passages délicats.

Après un moment d'hésitation, elle prit le parti d'en rire.

-Au moins, tu as toujours su quels étaient mes sentiments.

-Maintenant, veux-tu, à ton tour, me parler de ta civilisation ou préfères-tu te reposer ?

Tora secoua la tête.

-Tu ne peux ignorer combien le temps presse ! La planète de Hiris tourne autour d'une étoile double à une dizaine d'années-lumière d'ici. Nous avons suivi la même évolution technologique que les Terriens mais notre Histoire est beaucoup moins riche en guerres et conflits de toutes sortes. En même temps que nous avons découvert les voyages dans l'espace, nos biologistes ont fait des progrès gigantesques. Déjà toutes les maladies ont été éliminées. Ainsi les principaux travaux visèrent à reculer le vieillissement et facilement les Hiris vécurent cinq cents ans.

Devant la mine étonnée de Marc, elle ajouta avec une certaine coquetterie :

-Je ne les parais probablement pas, mais j'approche de mes deux cents ans !Le Terrien ne put retenir un sourire :

-Que trouves-tu de si amusant ?

-C'est la première fois que j'ai fait l'amour avec une bicentenaire, murmura-t-il, et j'avoue ne pas regretter cette expérience !

Redevenant sérieuse, Tora poursuivit :

-Une telle modification de la longévité eut d'importantes conséquences. D'abord elle nécessita une stricte régulation des naissances, mais surtout elle modifia profondément le comportement des Hiris. Quand on a une telle espérance de vie, il est évident qu'on devient plus prudent et qu'on craint davantage la survenue d'accidents.

« Les programmes d'exploration spatiale furent pratiquement abandonnés faute d'astronautes prêts à risquer leur vie. La civilisation se stabilisa ainsi deux millénaires lorsqu'apparut un danger insoupçonné : l’ennui ! »

Devant la mine incompréhensive de son interlocuteur, elle expliqua :

-Nos techniciens avaient mis au point des usines entièrement automatiques ne nécessitant qu'une surveillance symbolique. Tous les besoins vitaux et même superflus étaient satisfaits et les Hiris n'avaient pratiquement plus aucune besogne à accomplir. La recherche de distractions devint alors une quête désespérée car le nombre des suicides croissait à un rythme alarmant. Mon père qui fut longtemps président du Grand Conseil de Marala eut alors l'idée de reprendre les explorations spatiales. Une dizaine de planètes favorables à la vie furent ainsi découvertes. A l'exception de deux encore vierges, les autres abritent des civilisations à des stades très différents. C'est alors qu'est née l'idée des « grands jeux ».

Tora termina son verre avant de reprendre :

-Par petits groupes, les Hiris débarquaient secrètement sur une planète et se mêlaient à la population pour partager leur existence. Un peu comme vous partez en vacances un mois. Toutefois, comme notre échelle de temps est différente, il nous arrive de rester plusieurs années au même endroit. Sans trop de risques, il est vrai, puisque nous avons nos ceintures protectrices, nous partageons joies et peines des indigènes et retrouvons même la notion d'effort totalement oubliée sur Marala. A leur gré, les Hiris peuvent choisir entre l'ère préhominienne sur les planètes vierges, l'ère préhistorique, les débuts de la civilisation, le Moyen Age et même une civilisation plus évoluée correspondant à votre XVIIIème siècle. Naturellement, nous nous interdisons par un code qui ressemble fort à votre loi de non-immixtion de modifier l'évolution normale de ces populations. Tout au plus, leur apportons-nous de petites améliorations mineures qu'ils obtiendraient de toute façon à plus ou moins long terme.

-Je sais, sourit Marc, par exemple les graines de mab sélectionnées et le charbon.

-Que veux-tu, ricana-t-elle, tu m'avais paru avoir l'esprit assez ouvert et le gisement était sur ton domaine ! Enfin tu n'es pas totalement innocent car on m'a parlé de curieuses nasses qui n'existaient pas jusqu'alors !

-Passons, grimaça Marc, en lançant un regard gêné vers Ray qui enregistrait toute la scène.

-Malheureusement l'inconvénient de nos « grands jeux » a été de faire retrouver à certains d'entre nous un esprit conquérant et belliqueux oublié depuis longtemps. Konsat en a été l'aboutissement. Maintenant tu connais notre situation ! Il nous faut rentrer à Marala avant la réunion du Grand Conseil. Nombre de ses membres, en souvenir de mon père, m'avaient pressentie pour être leur présidente, celui qui occupe actuellement cette fonction ayant depuis longtemps manifesté le désir de se retirer. Cette perspective ne m'enchantait guère et j'ai passé ces quatres dernières années sur Syga pour réfléchir. Ce que vient de me révéler Konsat change complètement le problème. Je dois tout faire pour empêcher ses disciples de nous lancer dans une aventure insensée. En bref, ton vaisseau peut-il me conduire sur Marala ?

Marc soupira, le visage crispé.

-Je ne peux te cacher que j'attendais cette question avec inquiétude. Si cela ne tenait qu'à moi, je n'hésiterais pas à te conduire s'il le fallait jusqu'au bout de la Galaxie. Malheureusement, je ne peux agir sans en référer à mon supérieur, le général Khov.

-Peux-tu le contacter rapidement ?

Le jeune homme se leva brusquement.

-Viens ! Je souhaite que tu arrives à le convaincre.

Dans le poste de pilotage, Ray s'installa devant la vidéo radio. Quelques minutes plus tard, le visage renfrogné d'un officier apparut sur l'écran.

-Lieutenant Marc Stones en mission sur Ryg. Je désire une communication avec le général Khov. Priorité A 1.

L'officier haussa les épaules.

-Impossible ! Consultez votre horodateur universel. Pour le général, il est trois heures du matin et vous ne pouvez ignorer qu'il n'apprécie guère d'être dérangé dans ses périodes de repos.

-Je maintiens ma demande !

Après un instant d'hésitation, l'officier répondit :

-Entendu! mais vous en prenez l'entière responsabilité ! Vous ne pourrez pas vous plaindre si vous vous retrouvez muté sur un obscur satellite artificiel jusqu'à ce que vous périssiez d'ennui.

Durant plusieurs minutes, Marc assista à l'inévitable petit ballet des intermédiaires et il dut à chaque fois renouveler sa demande. Enfin le visage du général Khov apparut sur l'écran. Son crâne totalement rasé semblait briller de mille feux et, fait totalement inhabituel, il arborait un large sourire.

-Lieutenant Stones, j'attendais votre appel avec impatience.

Marc, éberlué, tenta de bredouiller une excuse mais le général poursuivit :

-Je connais votre habitude de me déranger la nuit à chaque mission. Or, je vous savais parti. Donc depuis une semaine je dors fort mal, m'attendant à tout moment à être réveillé. Maintenant que le phénomène s'est produit, je sais que la nuit prochaine, je vais enfin retrouver un sommeil paisible. Maintenant qu'avez-vous encore découvert sur

Ryg? Une pieuvre volante ou un mouton à six pattes ?

-C'est un peu plus complexe, mon général.

Marc fit un résumé assez détaillé de sa rencontre avec Tora et de ses démêlés avec Konsat. Durant toute la durée du récit, pas un muscle du visage de Khov ne bougea.

-En conclusion, mon général, je demande l'autorisation de conduire d'urgence Tora et Hori sur Marala pour éviter qu'un groupe d'excités parvienne à prendre le pouvoir et risque de déclencher un conflit !

Le général ne répondit pas et demanda :

-Ces Hiris sont-ils près de vous ?

Marc céda sa place à Tora qui lança une longue phrase en sa langue natale.

-Comprend-elle le galactique? dit le général.

-Pas encore, mais Ray peut vous servir d'interprète.

-Cela n'est pas utile pour l'instant. Instruisez les Hiris de notre langue mais ne prenez aucune initiative. Attendez mes ordres! Je dois en référer au président. Que Ray envoie un rapport complet en accéléré sans rien omettre.

Le visage de Khov disparut de l'écran, aussitôt remplacé par un opérateur qui annonça :

-Prêt pour l'enregistrement !

Marc se tourna vers Tora.

-J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. Il ne nous reste plus qu'à attendre.

-A-t-il compris au moins l'urgence de notre situation ?

-Rassure-toi, le général a tout noté et il n'oublie jamais rien ! Viens, nous avons bien mérité quelques heures de repos. Moi, j'ai l'impression d'avoir totalement oublié ce qu'était un lit !

Comme la jeune femme hésitait, il reprit :

-N'aie aucune inquiétude, Ray restera aux commandes. Si le général appelle, il nous avertira aussitôt. Mon aviso est petit mais comporte des cabines qui sont à la disposition d'éventuels passagers. Je vais vous les montrer ainsi que le bloc sanitaire et le distributeur de rations alimentaires !

CHAPITRE XX

Hori et Tora pénétrèrent dans le poste de pilotage. Ils étaient reposés et avaient revêtu des combinaisons d'astronautes plus adaptées à leur séjour dans un aviso que les tenues médiévales. Marc, assis dans le siège du copilote, se leva à leur entrée,

-Je n'ai toujours aucune réponse mais cela n'a rien de surprenant. Les hautes autorités terriennes doivent éplucher toutes les données enregistrées par Ray. De toute manière, en attendant leur décision, nous avons un problème à résoudre. Qui de vous deux pilotait votre vaisseau ?

Ce fut Tora qui répondit.

-Nous avons tous les deux une bonne formation mais en général c'est Hori qui se chargeait de la navigation.

-Dans ce cas, il va devoir sérieusement se mettre au travail car nos systèmes de coordonnées ne sont certainement pas identiques, et retrouver vos deux soleils dans ce grouillement d'étoiles peut prendre beaucoup de temps.

Hori sursauta et se pencha sur l'ordinateur.

-Effectivement, je n'avais pas pensé à cette difficulté. Comment procédez-vous habituellement ?

-Ray va vous fournir toutes les explications nécessaires. De votre côté, donnez-lui les bases de votre système de navigation. Il devrait arriver à les faire coïncider avec les nôtres. Toutefois, lorsque vous serez parvenus à un résultat, il serait prudent de le vérifier par une observation directe et une étude spectrophotographique de votre étoile double.

Tandis que Hori s'installait en face de l'ordinateur, Marc se tourna vers Tora.

-Veux-tu essayer notre inducteur de langage? Ray prétend que vos cerveaux ne sont guère différents de ceux des Terriens. Si tu dois avoir une discussion serrée avec le général Khov, mieux vaut que tu comprennes notre langue.

La jeune femme approuva aussitôt et Marc la conduisit dans sa cabine où il la fit allonger sur sa couchette. Avec douceur, il lui posa sur la tête une résille garnie de fines électrodes puis il sélectionna minutieusement le programme souhaité.

Après une ultime vérification, il grimaça un sourire.

-Détends-toi et surtout ne tente pas de résister au sommeil !

Il enclencha l'interrupteur, surveillant anxieusement les réactions de la jeune femme. Rapidement il se décontracta en constatant que les différents paramètres étaient strictement normaux. Tout au plus pouvait-il observer une importante accélération du processus.

Marc vérifia une fois de plus les enregistrements physiques et psychiques et dut se rendre à l'évidence : le cerveau de Tora absorbait six fois plus vite les données que celui d'un humain !

Durant toute l'opération, Marc ne quitta pas des yeux les différents écrans. Lorsque un à un les voyants s'éteignirent, il guetta anxieusement le réveil de la jeune femme.

Celle-ci ouvrit les yeux et sourit en disant en galactique :

-Est-ce terminé ?

-Oui, Tora. N'as-tu pas trop mal à la tête? Surtout ne tente pas encore de te lever. Je vais te préparer une boisson reconstituante.

Marc se dirigea vers le distributeur et sélectionna plusieurs touches. Lorsqu'il se retourna, le gobelet à la main, Tora était déjà debout et remettait d'un geste machinal un peu d'ordre dans sa chevelure blonde dérangée par la résille. Elle saisit le verre qu'elle vida d'un trait.

Le Terrien voulut la soutenir mais elle le rassura aussitôt.

-Je me sens parfaitement bien! Tu sembles oublier que nous sommes familiarisés depuis notre plus tendre enfance à ce genre d'inductions. C'est notre méthode courante d'enseignement et nous l'utilisons également pour nos « grands jeux ».

-Tu as de la chance, soupira Marc, moi, à chaque mission, j'attrape des migraines épouvantables !

-Tu es encore trop jeune ! Quand tu auras un siècle d'expérience, tu seras habitué à ces méthodes, ironisa-t-elle.

-Allons voir si Hori a progressé, suggéra Marc désireux de changer de sujet de conversation !

Dans le poste de pilotage régnait une vive effervescence. Hori avait allumé tous les ordinateurs et était entouré d'un amas de bandes. D'un geste, il imposa silence à Tora en grommelant :

-Ces Terriens utilisent un système très astucieux mais je pense arriver à trouver une corrélation avec le nôtre.

Puis il se replongea dans une longue série de chiffres qui venait de sortir des entrailles de l'ordinateur. Marc saisit le bras de Tora.

-Nous ne pouvons lui être d'aucune utilité. Viens dans la cabine voisine, je vais t'offrir un verre.

Confortablement installés sur les sièges relaxe, Marc demanda :

-Comment avez-vous réussi à installer une base sur Ryg sans attirer l'attention des indigènes ?

-Cela nous a demandé beaucoup de temps. Au début nous agissions comme toi, en laissant notre vaisseau sur une orbite basse et en n'utilisant qu'une vedette de liaison. C'était il a plusieurs siècles et les baronnies n'étaient pas aussi délimitées qu'actuellement. Ceux qui jouaient aux chevaliers errants, au hasard de leurs pérégrinations, découvrirent une colline calcaire qui avait été creusée par les eaux de ruissellement. Par chance, le territoire avoisinant était dans une zone mal définie, à la limite du royaume de Syga. Aussi décidèrent-ils de construire un château fort au flanc de la colline et un passage fut creusé entre le castel et la caverne qui fut aménagée en base permanente.

-Hori et toi, étiez-vous les seuls représentants de votre race sur Ryg ?

-Actuellement, oui ! Mes compatriotes n'éprouvaient plus guère l'envie de se soumettre au dur entraînement que nécessite la pratique de l'escrime !

Ray intervint alors par l'interphone :

-Communication urgente du général Khov. Je la branche dans la cabine-salon!

Un écran s'illumina en face des jeunes gens et le visage du général apparut, toujours aussi impénétrable.

-Stone, cette Tora est-elle à côté de vous?

-Effectivement, mon général ! Selon vos ordres, je l'ai instruite de notre langue qu'elle a très rapidement assimilée.

-Parfait ! Cela facilitera ma tâche.

Dès que Tora fut installée face à la caméra, Khov reprit d'un ton très officiel :

-Madame, j'ai transmis votre requête au président de l'Union Terrienne qui l'a examinée avec les membres du gouvernement. Notre fédération a pour principe formel de ne jamais s'immiscer dans les affaires intérieures des planètes étrangères.

-Est-ce à dire que vous refusez de m'aider? lança Tora.

Impassible, le général poursuivit :

-Nous avons envisagé tous les aspects du problème et avons pris en considération que votre séjour sur Ryg fait également courir un risque à la population locale. Enfin, comme vous êtes privés d'astronef, le président a pensé vous considérer comme deux naufragés de l'espace. Donc à titre strictement personnel et dans un but purement humanitaire, il m'a demandé de faciliter votre retour dans votre patrie.

Sans laisser le temps à Tora de placer un mot, il enchaîna :

-Voici donc les ordres précis que je donne à Marc Stones. Lieutenant, vous conduirez vos deux passagers sur Marala et les déposerez où ils le souhaiteront. En aucun cas, vous ne devrez intervenir dans des querelles locales. Au représentant de l'autorité légale de Marala, vous transmettrez les salutations de notre président et le désir qu'il a d'établir des relations officielles. En cas de réponse affirmative, vous nous en informerez et nous enverrons un ambassadeur qui sera chargé des discussions. Votre mission sera alors terminée et vous regagnerez votre base. Exécution !

Tora inclina la tête et dit d'un ton plein de noblesse :

-Je vous demande, général, d'informer votre président de ma réponse. Je comprends parfaitement ses scrupules et ses motifs. Je le remercie vivement de me permettre de regagner ma patrie. Les Hiris, comme ils l'ont toujours fait, régleront entre eux leurs problèmes et il est hors de question de solliciter une aide étrangère pour agir sur Marala. Lorsque notre situation sera clarifiée, le président du Grand Conseil, quel qu'il soit, fera transmettre un message par l'intermédiaire du lieutenant Stones, et j'espère que nos deux peuples pourront nouer des relations amicales basées sur la confiance et le respect de leurs particularités !

Khov acquiesça et l'écran s'éteignit. A ce moment, Hori pénétra dans la cabine-salon, brandissant une feuille couverte de symboles mathématiques.

-Splendide! exulta-t-il. J'ai réussi à retrouver notre soleil ! Comme l'aviso des Terriens est plus rapide que nos vaisseaux, nous arriverons à temps pour le Grand Conseil.

Marc se leva aussitôt.

-Dans ce cas, inutile de nous attarder ici. Donnez les coordonnées à Ray.

Dix minutes plus tard, l'aviso quittait son orbite et accélérait. En regardant, sur l'écran de visibilité extérieur, Ryg qui n'était plus qu'une petite sphère bleutée de la taille d'une balle d'enfant, Tora murmura :

-Ne regrettes-tu pas, Marc, ta petite baronne ?

Le Terrien répondit un peu tristement :

-Je me suis efforcé de préparer son avenir et je sais que Thur saura la consoler mais, comme à chaque mission, je suis toujours triste d'abandonner ceux que j'ai rencontrés et qui souvent m'ont fait confiance et m'ont donné leur amitié. Ces départs sont le côté pénible de mon métier !

Lorsque l'habituel malaise consécutif à la plongée dans le subespace se fut dissipé, Hori murmura :

-Le plus difficile, Tora, sera de convaincre le Grand Conseil de la trahison de Konsat. Nos amis, si pacifiques, ne pourront jamais admettre un tel déchaînement de violence.

Marc, qui avait entendu, proposa alors :

-Je peux demander à Ray d'effectuer une copie des enregistrements des conversations que vous avez eues avec Konsat ! Je pense que cela suffira à édifier vos compatriotes. Enfin, si vous le souhaitez, je peux également témoigner.

Un petit rire échappa à Tora.

-Je constate que tu oublies bien vite les ordres de tes supérieurs ! Ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures des Hiris ! Je te remercie toutefois mais je n'accepterai que les enregistrements !Avec un sourire tentateur, elle ajouta :

-Maintenant que tous nos problèmes sont résolus, comment allons-nous occuper agréablement le temps du voyage ?

Marc feignit de réfléchir longuement. -Je pense avoir une petite idée sur la question mais je crois qu'il faudrait retourner dans ma cabine pour l'étudier plus profondément !

CHAPITRE XXI

-Attention ! avertit Ray, émergence du subespace dans trente secondes.

Marc, Hori et Tora étaient réunis dans le poste de pilotage. Le Terrien, après avoir vérifié d'un coup d'oeil rapide que ses amis étaient bien installés, répondit :

-Nous sommes parés !

Le malaise dû à la transition se dissipant, Marc voulut se redresser quand une embardée brutale du vaisseau le rejeta en arrière. Il dut faire un rude effort pour parvenir à faire basculer son siège. Il avait l'impression d'être plus ballotté qu'un cube de glace dans un shaker de martini-gin manié par un barman vigoureux.

-Que se passe-t-il, Ray?

-Nous avons émergé au milieu d'un essaim d'astéroïdes. Piloter un vaisseau évoluant presque à la vitesse de la lumière dans ces conditions, était juste à la limite de mes possibilités! Maintenant nous gagnons une zone plus calme.

Hori, qui avait repris connaissance, jeta un coup d'oeil sur l'enregistreur.

-Nous avons émergé un peu trop en avant dans le système et sommes tombés dans la ceinture des astéroïdes, restes d'une cinquième planète qui a dû exploser il y a plusieurs centaines de millions d'années, un peu comme dans votre système solaire. C'est miracle que nous n'ayons pas été pulvérisés.

-Comment cela a-t-il été possible, s'inquiéta Tora?

Avec le flegme d'un scientifique, Hori rétorqua :

-Dans les transcriptions, j'ai dû commettre une erreur minime, probablement vers la quatrième ou cinquième décimale. Je suis curieux de vérifier cela !

Il allait se plonger dans une série de calculs complexes lorsque Ray avertit :

-Le radar vient de signaler trois vaisseaux qui se dirigent dans notre direction. Il serait préférable d'essayer de les contacter.

Tora examina un instant l'image sur l'écran où les trois astronefs étaient bien visibles jusque dans leurs moindres détails. Ray insista :

-Pouvez-vous me donner vos fréquences habituelles de communication ?

Hori les lui indiqua et, après quelques tâtonnements, Ray parvint à accrocher le récepteur d'un des vaisseaux. En reconnaissant le visage qui s'inscrivait sur l'écran, Tora annonça sèchement :

-Bonjour, Whyg. J'ai eu de sérieux ennuis et je veux gagner Marala le plus rapidement possible. Si tu commandes ces vaisseaux, veux-tu avoir l'amabilité de t'écarter car je ne souhaite pas risquer une collision.

Le visage sévère de Whyg ne se dérida pas.

-Quel est cet engin et où est Konsat que nous attendions ?

-Konsat a eu un fâcheux accident sur Ryg, répondit Tora. Je donnerai les explications nécessaires devant le Grand Conseil. Laisse-moi passer!

Les traits du visage de Whyg se durcirent. Plus pour son équipage que pour Tora, il annonça :

-En l'absence de notre chef, j'assume le commandement de l'expédition. Quel est ce vaisseau et d'où vient-il ?

L'image de Marc remplaça celle de Tora.

-Je suis le lieutenant Marc Stones, ambassadeur exceptionnel du président de l'Union Terrienne. J'ai pour mission de conduire Tora sur Marala et de prendre un premier contact avec les représentants du peuple Hiris. Ma mission a uniquement un but pacifique et humanitaire.

Whyg esquissa un sourire glacé.

-Le président des Hiris ne doit être désigné que demain. En attendant je suis habilité à recevoir votre soumission et celle de votre président. J'enverrai un équipage prendre possession de votre vaisseau !

Tora tenta de protester :

-Tu es fou, Whyg, tu ne peux traiter ainsi un ambassadeur étranger !

-Konsat nous avait avertis, rétorqua son interlocuteur, que tu ne comprendrais jamais rien à notre cause. Les Hiris sont la race la plus évoluée de l'Univers et les autres peuples ne peuvent être que des sujets ou des esclaves! C'est pourquoi Konsat avait souhaité que tu restes sur Ryg. Tu as cru devoir ne pas suivre son conseil et tu as fait appel à des étrangers.

Il ajouta avec cynisme :

-Je vais donc t'offrir l'hospitalité dans une soute jusqu'à la désignation du président qui décidera ensuite de ton sort. Maintenant conseille à tes amis de se rendre sinon je donne l'ordre d'ouvrir le feu.

Marc, impassible, répondit avec une politesse glacée :

-Je pense que vous n'avez pas bien saisi la teneur de mon message. La faute en incombe sans doute à mon traducteur automatique qui ne maîtrise pas bien votre très belle langue. J'en répète donc les termes.

Whyg l'interrompit brutalement :

-Taisez-vous, vermine ! J'avais parfaitement compris votre ridicule message. Il est temps maintenant que vous appreniez à obéir à vos maîtres ! Si dans deux minutes vous ne vous êtes pas rendus, mes missiles seront lancés !

Pour bien montrer que la discussion était terminée, Whyg coupa brutalement la communication.

-Très désagréable réception, commenta paisiblement Marc. A-t-elle été enregistrée ?

-Naturellement, rétorqua Ray.

Les traits du visage tordus par l'anxiété, Tora dit :

-Tu ne peux que te rendre, Marc. Je sais que Konsat a perfectionné ses vaisseaux. Ils sont protégés par un champ de force analogue à ceux de notre ceinture et équipés de missiles thermonucléaires à tête chercheuse d'une puissance de l'ordre d'une mégatonne !

Hori surenchérit en donnant d'autres précisions techniques. Marc secoua la tête en souriant :

-Mes ordres sont de te conduire sur Marala ! En aucun cas il ne saurait être question de reddition et encore moins de livrer un appareil intact à un ennemi potentiel. Cela serait une véritable trahison ! Nous allons donc combattre. Toutefois, je ne suis pas en droit de te faire courir le moindre risque. Le module est de maniement facile et Hori et toi pouvez tenter de gagner Marala pendant que je détournerai l'attention de Whyg.

Tora eut un triste sourire.

-C'est inutile, Whyg détruira encore plus facilement le module que ton aviso. On n'échappe pas à son destin et il sera dit que j'aurai été ton mauvais ange ! Je te prie de me pardonner.

Marc effleura d'un rapide baiser les lèvres de Tora et dit :

-Excuse-moi mais le devoir m'appelle, le général Khov n'admet pas que ses agents n'exécutent pas ses ordres. Je dois te déposer à Marala et ce n'est pas cet apprenti dictateur qui m'en empêchera.

Il s'installa dans le siège du copilote et boucla les sangles anti-g. A ce moment, l'écran de la vidéo radio s'éclaira :

-Plus que quinze secondes, annonça Whyg, d'une voix indifférente.

-Je proteste au nom de l'Union Terrienne, dit Marc. Vous porterez seul la responsabilité des suites de cette agression injustifiée !

Whyg ne répondit que par une phrase laconique :

-Trop tard ! Vous allez mourir !

Un missile se détacha du vaisseau le plus avancé et se dirigea à vive allure vers l'aviso terrien. Hypnotisée, Tora ne parvenait pas à détacher son regard du cylindre noir qui progressait rapidement tandis que Ray annonçait paisiblement les caractéristiques de l'engin, fournies par les analyseurs du bord.

-Il est temps de riposter, dit calmement Marc. Deux plus un sur le vaisseau de tête.

Avec dextérité, Ray pianota sur le clavier de l'ordinateur, libérant deux missiles suivis aussitôt d'un troisième. Marc sentit la main de Tora se crisper sur son épaule.

-Adieu, murmura-t-elle en voyant la torpille ennemie maintenant toute proche.

Soudain l'engin parut rebondir sur un obstacle invisible et explosa dans un grand flash lumineux.

-Que s'est-il produit ? balbutia Tora.

-Mon aviso possède aussi un champ protecteur, ricana Marc. Maintenant je te conseille de t'allonger sur un siège-couchette car nous risquons d'être secoués.

Whyg, trop sûr de sa force, n'avait utilisé qu'un missile mais en le voyant exploser, il comprit son erreur et ordonna un nouveau tir de tous les bâtiments. Cette fois, une salve de six missiles, suivie d'une seconde de même importance, fut lancée.

-Attention, prévint Ray, notre générateur ne résistera pas à une telle dépense d'énergie. Que proposes-tu ?

Marc désigna dans un coin de l'écran la masse sombre d'un astéroïde de gros volume.

-Saurais-tu jouer encore à cache-cache ?

-Manoeuvre 26.44 ! J'exécute ! Nos projectiles devraient arriver au contact de l'objectif.

Le Terrien reporta son attention sur l'écran de surveillance du tir. Les deux premiers missiles merveilleusement réglés par Ray explosèrent simultanément au contact de l'écran protecteur. Comme prévu, la consommation brutale d'énergie satura le générateur Hiris qui disjoncta. Cela permit au troisième missile d'arriver au contact de la coque du vaisseau qui disparut dans un grand nuage irisé.

-Un ! annonça Marc. Tu peux juger, Tora, que notre technologie n'est guère inférieure à celle des Hiris.

-Je ne comprends pas, répondit Hori. Normalement le générateur d'un écran peut absorber l'énergie de douze missiles de très haute puissance.

-Sauf s'ils explosent exactement au même moment, ricana Marc.

Tora poussa un cri aigu en désignant sur un autre écran les douze torpilles parfaitement groupées qui se rapprochaient de l'arrière du vaisseau.

-Cette fois, nous sommes perdus, soupira-t-elle.

-Missiles à trente mille mètres, annonça Ray, imperturbable. Cela sera tangent !

-Inutile de tenter de fuir, remarqua Hori, car les missiles sont équipés d'une tête chercheuse et leur vitesse est nettement supérieure à la nôtre.

Le teint pâle, les mâchoires serrées, il conservait à l'approche de la mort une dignité certaine.

Maintenant l'image de l'astéroïde occupait tout l'écran central. C'était une sphère hérissée d'aspérités de près de cinq cents kilomètres de diamètre. Le soleil double de ce système solaire lui donnait un aspect rougeâtre.

-Missiles à 15000 mètres!

Une minute s'écoula dans un silence tendu.

-Nous allons nous écraser sur l'astéroïde, hoqueta Tora.

-Missiles à 5000 mètres, dit Marc. Tu peux ralentir légèrement! 4000... 2000... 1000 mètres...

La collision avec l'astéroïde semblait imminente. A l'ultime seconde Ray modifia la trajectoire. Malgré les anti-g fonctionnant à plein, Marc sentit un poids immense peser sur son thorax. Tora et Hori surpris perdirent connaissance. Le vaisseau frôla la surface de l'astéroïde à moins de deux cents mètres d'altitude.

Une série de flashes lumineux éclaira l'écran de surveillance arrière.

-Dix... onze... douze, énuméra Ray. Le compte y est !

-Parfait! contourne l'astéroïde qui nous masque à la vue de nos poursuivants et expédie une salve selon la même technique sur le vaisseau le plus rapproché, ordonna Marc.

Pendant ce temps, Tora avait recouvré ses esprits. D'une main tremblante, elle essuya son front couvert de sueur. Incrédule, elle contempla l'écran où ne s'inscrivait aucune image menaçante.

-Que s'est-il passé? s'étonna-t-elle. Un simple changement de cap n'est pas suffisant pour tromper un missile qui exécute immédiatement la même correction !

-Ton éducation de guerrière est à parfaire, ironisa Marc. Ce que tu dis est exact dans l'espace neutre. Mais l'ordinateur du missile n'est pas programmé pour tenir compte de la masse de l'astéroïde. Son attraction a été suffisante pour faire dévier les torpilles des quelques centaines de mètres nécessaires et les missiles se sont écrasés sur ce caillou !

Surpris par l'apparition d'un ennemi qu'ils croyaient détruit, les Hiris perdirent de précieuses secondes. Cinq missiles seulement furent lancés avant que le deuxième vaisseau soit transformé en un nuage coloré.

Tora demanda, en désignant les missiles qui se rapprochaient dangereusement :

-Vas-tu recommencer la même manoeuvre autour de l'astéroïde ?

-Cela ne sera pas nécessaire. Ray envoie un cisée.

Aussitôt l'androïde éjecta dans l'espace une sphère d'un mètre de diamètre qui continua la trajectoire de l'aviso, tandis que ce dernier s'écartait brusquement.

La manoeuvre brutale arracha un gémissement à la jeune femme encore mal remise de ses émotions antérieures.

-Pourquoi, questionna Hori, les missiles ne changent-ils pas de cap pour nous poursuivre ?

Marc émit un rire bref.

-Le cisée est un leurre très sophistiqué. En ce moment, il émet une image qui a toutes les caractéristiques, volumique, thermique et électromagnétique de mon aviso. Le cerveau directeur des missiles croit donc poursuivre toujours la même proie,

-Pourquoi ne pas l'avoir utilisé précédemment et nous avoir infligé cette plongée vertigineuse sur l'astéroïde ?

-Contre douze missiles, un seul leurre est souvent insuffisant. Or ma réserve de cisées est assez limitée et j'ai préféré l'économiser.

Pendant ce temps, les torpilles ne trouvant pas leur cible, s'éloignaient désemparées.

-J'envoie une nouvelle salve sur le dernier? proposa Ray.

-Un instant ! dit Marc. Tora, tente de contacter le commandant de l'astronef. Peut-être accepterait-il un arrêt des hostilités ?

Rapidement, la jeune femme obtint la communication. Sur l'écran s'inscrivit le visage d'un jeune officier. Il était couvert de sueur et l'angoisse creusait ses traits.

-Tora, je te jure, lança-t-il précipitamment, que j'ignorais les desseins de Whyg lorsqu'il nous a emmenés en patrouille.

-Où est-il ?

-Je pense qu'il est mort ! Il était dans le deuxième astronef qui a explosé.

Marc intervint sèchement :

-Vous m'avez attaqué alors que j'étais porteur d'un message de paix et je pourrais m'estimer en droit de vous détruire. Toutefois, pour vous prouver mes intentions non belliqueuses, je vous renouvelle ma proposition antérieure. Je désire seulement déposer Tora et Hori sur Marala et s'il souhaite le recevoir, adresser au Grand Conseil un message du président de l'Union Terrienne !

Un intense soulagement éclaira le regard de l'officier.

-Que dois-je faire ?

Ce fut Tora qui répondit :

-Regagne immédiatement Marala et pose-toi sur l'astroport. Nous te suivrons de près. Donne-moi également ta parole de raconter sincèrement, devant le Grand Conseil, les faits tels qu'ils se sont déroulés. De toute façon, nous avons l'enregistrement de notre conversation avec Whvg.

Trop satisfait de s'en tirer à si bon compte, le commandant de bord jura tout ce qu'elle souhaitait et bientôt les deux astronefs se dirigèrent vers la planète mère des Hiris.

Laissant le pilotage à Ray, les trois amis s'installèrent dans la cabine-salon où Marc distribua des gobelets.

-Je pense qu'après toutes ces émotions, nous avons mérité un verre.

Fouillant au fond d'un petit placard, il extirpa une vénérable bouteille.

-C'est du scotch William Lawson's. Je le garde uniquement pour les très grandes occasions !

Après avoir apprécié l'acre saveur de l'alcool, Tora murmura :

-Un détail m'intrigue. Tu appartiens à un service civil et tu as manoeuvré ton vaisseau comme un militaire de carrière. Tous tes compatriotes sont- ils aussi experts dans l'art de la guerre ?

-Non, rassure-toi ! Mais avant d'être sélectionné par le Service de Surveillance des Planètes primitives, j'ai passé trois ans comme second à bord d'un croiseur de la 1ère escadre galactique. Nous étions plus particulièrement chargés de faire la chasse aux pirates de l'espace qui, par moments, perturbent les communications entre les planètes, ou aux trafiquants en tous genres. Hélas! tous mes compatriotes n'ont pas encore acquis votre grande sagesse !

Après avoir poussé un soupir, il ajouta :

-Crois-moi, ces gaillards connaissent toutes les ruses, et quand ils se sentent traqués, ils n'hésitent pas à combattre. J'ai ainsi plus appris en quelques mois qu'en dix ans dans n'importe quel état-major ! Ce malheureux Whyg n'avait aucune chance. Il était trop imbu de sa supériorité pour imaginer qu'un étranger puisse le vaincre !

CHAPITRE XXII

Marc s'étira paresseusement. Depuis vingt-quatre heures, il était installé dans la somptueuse villa de Tora. Il avait fait connaissance de son père, l'ancien président, qui bien qu'approchant des cinq cents ans, avait conservé une allure jeune.

Après avoir rencontré plusieurs Hiris, Marc avait été frappé par leur sens de l'esthétique et leur beauté. La ville près de l'astroport s'étendait sur des dizaines de kilomètres. C'était un somptueux jardin et les villas d'habitation, toutes différentes, étaient plus belles les unes que les autres. On sentait que tout ce qui était laid ou disgracieux heurtait profondément ce peuple insouciant et généreux.

Tora, escortée de son père, pénétra dans la pièce.

-La séance du Grand Conseil est terminée. La conduite de Konsat et de Whyg a déclenché le plus grand scandale de mémoire d'Hiris. Leurs partisans ont juré qu'ils n'avaient jamais imaginé une telle chose.

-C'est probablement vrai, soupira Marc. Pourtant, sur toutes les planètes, c'est toujours ainsi qu'ont commencé les pires dictatures.

-Quoi qu'il en soit, reprit Tora, j'ai été nommé président à l'unanimité. J'ai dû naturellement raconter en détail notre odyssée. Le Grand Conseil désire vivement te rencontrer et souhaite que tu lui présentes ton film sur l'Union Terrienne.

Marc réfléchit un court instant.

-Je pense ne pas outrepasser ma mission en acceptant cette proposition.

-Ensuite, avec l'accord du conseil, j'entamerai des négociations officielles avec l'Union Terrienne.

Le Terrien pensif murmura :

-Il est difficile à un simple lieutenant de donner un conseil à un président mais j'ai beaucoup réfléchi à un problème. Peux-tu, pour l'instant, garder secret votre procédé de lutte contre le vieillissement ?

-Pourquoi ne pourrais-je pas vous en faire profiter ?

-Nos techniques actuelles assurent une durée moyenne de vie de 120 ans. Passer brusquement à cinq siècles créerait un déséquilibre risquant d'entraîner des catastrophes.

Le père de Tora approuva immédiatement.

-Si tous vos compatriotes sont aussi sages et courageux que vous, l'Union Terrienne a beaucoup de chance.

Il ajouta avec un demi-sourire :

-Mais comme il est possible que ce ne soit pas encore tout à fait exact, je pense que Tora suivra votre conseil.

-C'est probable, murmura-t-elle, mais je me réserve le droit à quelques exceptions.

Un appel pressant de Ray réveilla Marc en sursaut.

-Le général Khov veut te parler immédiatement !

Le Terrien dégringola de sa couchette et courut au poste de pilotage. Ces trois derniers jours, il n'avait guère vu Tora, accaparée par ses nouvelles fonctions, et était retourné à l'aviso pour préparer son rapport de fin de mission.

Khov arborait un demi-sourire.

-Il m'est agréable, dit-il, de savoir que je vous réveille à mon tour, mais je n'appelle pas pour ce simple plaisir. Le gouvernement est fort perplexe. Vous savez que des conversations ont été entamées par les voies diplomatiques. La présidente de Marala a même émis le désir de se rendre sur Terre en visite officielle. Le principe en a été admis et le gouvernement a proposé d'envoyer le général Hawking comme ambassadeur pour organiser le voyage et ramener la présidente à bord d'une de nos unités. C'est là, que le problème se complique. Nous avons reçu une réponse sibylline disant que la présidente ne pouvait voyager qu'avec un ambassadeur capable de la vaincre à l'épée ou à la lance. Croyez-vous qu'il s'agisse d'une déclaration de guerre ?

Marc manqua de s'étrangler de rire.

-Certainement pas, mon général. Même si deux illuminés ont pu faire croire le contraire, les Hiris sont foncièrement pacifiques mais également très esthètes. Je connais les grandes qualités diplomatiques du général Hawking mais je crois me souvenir qu'il est petit, chauve et bedonnant, ce qui ne correspond absolument pas aux canons de la beauté des Hiris.

-Que signifie cette allusion à l'épée ou à la lance ?

Marc répondit un peu gêné :

-Je pense qu'il s'agit d'une suggestion qu'on vous fait.

-Laquelle?

-Enfin, bafouilla-t-il, c'est une idée qui me vient et...

-Précisez, coupa Khov d'un ton sans réplique.

-Si vous revoyez les enregistrements de Ray, vous noterez que ma première rencontre avec Tora était précisément un duel à l'épée et qu'ensuite j'ai affronté Hori dans un tournoi.

-Ce qui signifie ?

Marc sentit ses joues s'empourprer.

-Il est possible que la présidente veuille vous faire comprendre qu'elle préférerait passer les huit jours que dure le voyage en ma compagnie plutôt qu'en celle de Hawking !

Un petit rictus étira les lèvres de Khov.

-C'est effectivement l'analyse que j'ai faite devant le Conseil mais je tenais à en avoir confirmation ! Ainsi vous et elle...

Avec un air navré, Marc répondit :

-A cette époque, elle n'était encore que baronne de Stur!

-Je vois, reprit Khov d'un ton acerbe, que votre androïde n'a pas perdu sa mauvaise habitude de censurer les enregistrements !

:-Il a subi une panne d'énergie, dit précipitamment Marc, et il est possible qu'elle ait altéré certains cristaux mémoriels !

-L'explication en vaut une autre et pourra satisfaire les ingénieurs, ricana Khov, montrant qu'il n'était absolument pas dupe. Voici vos nouveaux ordres. Vous êtes nommé ambassadeur à titre exceptionnel avec pour mission d'escorter la présidente jusque sur Terre. Maintenant écoutez-moi bien ! Si jamais elle a le moindre grief à formuler en arrivant sur la Terre, je jure de vous muter sur un satellite où, de mémoire d'ordinateur, on n'a jamais noté le moindre passage d'une femme.

Marc frissonna à l'idée d'un sort aussi épouvantable et resta plusieurs minutes à contempler l'écran maintenant éteint.

-Belle promotion, commenta Ray. J'espère pour toi qu'ils n'oublieront pas de majorer ta solde.

Marc hésita à aller se recoucher lorsqu'il reçut un appel de Tora.

-Je viens d'être informée que tu es chargé de me conduire sur Terre.

-Tu devais un peu t'en douter après avoir refusé ce malheureux Hawking.

Tora éclata de rire.

-Il était vraiment trop gros et trop laid !

-Je regrette toutefois qu'on t'ait réveillée en pleine nuit pour te l'annoncer.

-Effectivement, je vais avoir beaucoup de mal à me rendormir.

Elle ajouta avec un regard brillant :

-N'aurais-tu pas une idée pour résoudre ce problème ?

-Peut-être, mais...

-J'ai bien pensé que nous aurions la même! Aussi ai-je envoyé un véhicule te chercher à l'astroport. A tout de suite !

Tandis que Marc se préparait, Ray lui dit d'un ton sarcastique :

-Tâche d'être à la hauteur et souviens-toi des menaces du général !

-Ne t'inquiète pas, vieux frère! Pendant ce temps, arrange un peu la décoration de l'aviso. Aménage aussi les cabines, pour les rendre dignes de l'honneur qui nous est fait de transporter d'éminentes personnalités.

FIN