-Toujours pas!

-Rassurez-vous, ils ne doivent plus être très dangereux! Ils n'ont pas fait le bon choix. Je me demande si avant de crever de froid et d'asphyxie, ils n'ont pas regretté la mort douce et rapide que je leur proposais. (Le médecin bascula plusieurs contacts, et un doux sifflement s'éleva dans la pièce.) Parfait! (Il jubilait.) Nous allons pouvoir commencer. Dites à votre homme de m'amener Larsen. Qu'il se méfie, cet imbécile peut avoir des réactions brutales.

intéressé, Ork suivait attentivement tous les gestes de Sorini. Ce dernier lui donna des explications avec la fierté d'un honnête artisan content de son oeuvre.

-Où avez-vous entreposé les cadavres et les pierres? Nous devons pouvoir les montrer à la Sécurité Galactique.

Sorini hocha la tête.

-Dans la pièce voisine. Les corps sont sous emballage plastique dans une atmosphère de formol ; ça les conserve. Les pierres sont simplement posées par terre.

Saisi d'une curiosité malsaine, Ork ouvrit la porte. Il se figea sur le seuil, pétrifié d'horreur, tandis qu'une sueur profuse couvrait son épiderme. Une exclamation sortit de sa gorge, étranglée, presque ridicule.

Mike et Sorini, intrigués par son immobilité anormale, vinrent le rejoindre. La stupeur les cloua également sur place, comme si la limite du supportable était dépassée. C'est l'instant que choisit le garde pour pénétrer dans la pièce en annonçant:

-Voilà votre type. Je l'attache où?

En découvrant le spectacle, Larsen poussa un juron retentissant.

-Qu'est-ce que c'est que cette diablerie?

Les pierres d'Elsa gorgées de sang étaient devenues jaunes et vertes. De tous les orifices de la roche sortaient de fins tentacules de plusieurs centimètres de long. Le revêtement de sol avait disparu sur une large surface, complètement rongé. Certains filaments plongeaient directement dans le sable. Les autres s'agitaient doucement. Méduses, anémones de mer, coraux étaient les premiers termes qui venaient à l'esprit.

Sorini, probablement parce qu'il était le plus endurci, réagit le premier. Saisissant une longue pince métallique, il voulut prélever un des minces tentacules dans le but de l'analyser. Celui qu'il visait se rétracta tandis que deux autres, s'allongeant avec une rapidité stupéfiante, venaient s'enrouler autour de son poignet. Le médecin lança un cri de douleur.

-Ça brûle, c'est affreux ! Bon Dieu, aidez-moi  !

Mike le saisit à bras le corps, tentant de le tirer en arrière. Les cris de Sorini se transformèrent en véritables hurlements. Les filaments, malgré leur finesse, paraissaient d'une solidité remarquable. Le visage de leur prisonnier blêmit soudain.

-J'étouffe, souffla-t-il. Ces tentacules sont vénéneux. Vite, libérez-moi!

Ork se tourna vers le garde, qui tenait toujours son pistolaser à la main.

-Tire donc, espèce d'idiot!

L'homme parut émerger d'un mauvais rêve. Il leva son arme, visant le centre de la créature qui maintenait Sorini. Il appuya sur la détente. Le faisceau rougeâtre atteignit sa cible. Une seconde s'écoula sans que la créature manifestât la moindre réaction. Il allait tirer à nouveau lorsque l'enfer se déchaîna. Une vive lueur naquit, d'une blancheur insoutenable, immédiatement suivie d'une violente déflagration. Sorini et Strike se volatilisèrent aussitôt au milieu d'un nuage de sang. Ork ne tarda pas à subir le même sort. Le souffle de l'explosion repoussa Larsen et le garde avec une telle violence qu'ils défoncèrent la porte.

Etourdis mais vivants, ils se retrouvèrent allongés dans le couloir. Un courant d'air glacé leur fit rapidement reprendre conscience. Larsen désigna l'énorme trou dans le toit.

-Les scaphandres! Dans une minute, nous étoufferons.

Karpov passa la tête par l'entrebâillement de la porte de sa chambre, que le vent violent avait ouverte.

-Vite, lui lança Larsen, viens avec nous.

Ils gagnèrent le sas au pas de course et s'habillèrent le plus rapidement possible.

-Je suis frigorifié, éternua Karpov. A côté de ce pays, ma Sibérie natale ressemble aux tropiques !

Le garde, mal remis de sa surprise, leur fit signe de se diriger vers l'astronef. Larsen eut un instant d'hésitation. Ils avaient une possibilité de s'évader, mais pour aller où ? Le seul abri était la mine, où les pirates n'auraient aucun mal à les retrouver. A regret, il suivit le pirate vers le vaisseau.

Dès qu'ils eurent gravi l'échelle pour atteindre la soute, A'Kin parut, l'oeil mauvais, le mufle en avant.

-Que s'est-il passé?... Avant tout, bouclez-moi ces deux-là dans une cabine.

Les prisonniers évacués, le capitaine apostropha le malheureux cosmatelot qui s'embrouillait dans ses explications.

-Je n'y comprends rien ! Si les flics découvrent la baraque démolie, ils ne croiront jamais à mon histoire. A moins que...

CHAPITRE X

Le colonel Parker, grand, impeccablement sanglé dans son uniforme noir, le visage austère, accueillit Miss Swenson à sa descente du module qui venait de pénétrer dans la soute du croiseur.

-Bienvenue à bord de l'Orion, Mademoiselle.

Elsa tendit la main avec un large sourire.

-Je suis heureuse de vous retrouver, colonel. Je n'oublie pas que vous m'avez autrefois sauvé la vie.

Elle faisait allusion à une aventure qu'elle avait vécue en compagnie de Marc. Seule l'arrivée opportune du croiseur de la Sécurité Galactique leur avait évité une mort certaine.

-Voulez-vous m'accompagner dans le poste de pilotage? Nous avons à discuter.

Il ne leur fallut qu'un instant pour gagner la salle des commandes. Sur le grand écran de visibilité extérieur s'imprimait la planète glacée.

-Voici Elsa, annonça Parker. La mine est par ici, avec l'astronef de ce capitaine A'Kin. Comme l'ordinateur juridique le désire, je vais ouvrir une enquête.

-Je veux y participer, dit Elsa d'un ton ferme.

Parker poussa un soupir discret.

-L'amiral Neuman m'a informé de votre désir. Je voudrais vous dissuader de faire cela. Cet A'Kin est une franche fripouille, et vous courrez un grand danger.

Elsa secoua tristement la tête.

-Peu m'importe, je veux retrouver le capitaine Stone !

-Je sais! Stone est aussi mon ami, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour savoir ce qu'il est devenu.

-Vous serez peut-être limité dans votre action par des ordres venus d'en haut, répondit-elle. Ce n'est pas mon cas. Je veux tout tenter, même si cela doit me coûter une fortune, et j'accepterai même la destruction complète de cette planète.

-Ne pouvant m'opposer à vos désirs, je vous demande cependant de rester ici. Nous poserons mon croiseur sur la planète. Je serai plus assuré si je vous sais avec moi.

Miss Swenson réfléchit un court instant.

-Cela me semble raisonnable. Mon aviso restera en orbite autour d'Elsa, mais je me réserve la possibilité de reprendre à tout instant ma liberté d'action.

-C'est entendu, conclut Parker, fort soulagé de l'arrangement. A mon bord, vous ne risquez rien !

La communication téléradio fut rapidement établie avec le Neptune. Le visage de Yuko s'inscrivit sur l'écran. Ses traits impassibles n'exprimaient aucune émotion.

-Commandant, déclara Elsa, je reste en compagnie du colonel. Vous dirigerez le Neptune sur une orbite haute et vous maintiendrez en permanence à l'écoute de nos communications.

-A vos ordres, Mademoiselle, fit simplement Yuko.

Le Neptune s'éloigna lentement, tandis que Parker ordonnait à son officier radio de contacter la planète. Le rude visage d'A'Kin remplaça bientôt celui de Yuko.

-Colonel Parker, chargé de l'enquête sur les événements d'Elsa. Je vais poser mon appareil.

-Je vous attends, colonel.

Le croiseur amorça sa descente.

-Maintenez l'écran protecteur, ordonna Parker, nous ne devons prendre aucun risque.

L'appareil atteignit bientôt les couches supérieures de la stratosphère. Les occupants du poste de pilotage regardaient sur l'écran de visibilité extérieure défiler les vues de la planète.

-Quel monde désolé, soupira Parker. Il n'y a aucune trace de vie, c'est impressionnant. Quelle curieuse idée d'avoir installé une industrie ici !

Elsa rétorqua sèchement, d'une voix irritée:

-Ce n'est pas un camp de vacances mais une usine d'extraction de minerai. Si vous connaissez une planète paradisiaque aussi riche en narum, je suis prête à vous concéder un honnête pourcentage sur les droits d'exploitation!

-Excusez-moi, je sais toute l'importance de ce métal pour la Terre.

-Nous débutons les manoeuvres d'atterrissage, dit un jeune capitaine blond, les joues poupines, qui faisait fonction d'officier en second.

Une demi-heure plus tard, les étais télescopiques du croiseur prenaient contact avec le sol de la planète. L'écran de la vidéo-radio s'éclaira.

-Soyez les bienvenus sur ma planète, déclama A'Kin avec un sourire mielleux. Je vous invite à mon bord. Naturellement, vous pouvez vous faire accompagner d'autant de personnes que vous le voudrez. Utilisez un module étanche. L'atmosphère de cette planète n'a rien d'agréable. Lorsque vous le souhaiterez, je ferai ouvrir la soute de mon vaisseau.

La communication interrompue, Parker se tourna vers le jeune officier.

-Capitaine, prenez le commandement! Désignez quatre hommes pour nous escorter. (Il ajouta à mi-voix, pour ne pas être entendu de Miss Swenson:) Si nos liaisons venaient à être interrompues, vous agirez en officier responsable. Vous connaissez l'importance de notre mission. Vous êtes autorisé à solliciter directement des instructions de l'amiral Neuman.

Dans la soute du croiseur, les quatre membres de l'escorte avaient déjà pris place à l'intérieur de la navette. Le capitaine murmura, à l'oreille de Parker:

-Deux de ces hommes sont des spécialistes des opérations commandos et des actions musclées. Les deux autres sont des techniciens qui pourront pratiquer tous les prélèvements nécessaires aux fins d'analyses.

-Merci, nous ne devrions pas rester absents bien longtemps.

Le colonel aida Miss Swenson à grimper dans le module. La jeune femme avait revêtu une tenue d'astronaute, toute simple mais qui n'arrivait pas à masquer ses formes harmonieuses.

-Paré pour l'éjection, annonça Parker, en s'installant sur son siège.

L'appareil sortit lentement de la soute. Il n'eut qu'une centaine de mètres à franchir avant d'aborder l'astronef d'A'Kin. Ce dernier accueillit ses visiteurs avec force démonstrations de politesse. Il conduisit les arrivants dans une vaste cabine-salon.

-J'ai fait préparer une collation et des rafraîchissements. Je suis particulièrement honoré de votre visite, Miss Swenson. Que souhaitez-vous prendre ?

-Rien, répondit l'interpellée d'un ton très sec.

Le capitaine prit un air navré.

-Dans ce cas, colonel, je vous demande d'enregistrer ma déposition. Je l'appuierai de clichés pris sur cette planète.

Un écran apparut sur un pan de cloison.

-Donc, commença A'Kin, j'ai sollicité l'autorisation de me poser sur cette planète. Intrigué par l'absence de réponse, j'ai entrepris d'explorer les lieux. Voici les affreux tableaux qu'il m'a été donné de contempler!

Une vue du corps de Peter Stomb et de la pierre d'Elsa branchée en deux s'inscrivit sur l'écran, suivie de celles de Redman et Robin. Miss Swenson, très pâle, serrait les poings, s'attendant à tout moment à voir paraître le visage exsangue de Marc.

La lumière centrale revint brusquement, et A'Kin enchaîna:

-Je ne veux pas vous infliger toutes ces images sinistres. Devant de telles horreurs, nous avons décidé de laisser les choses en l'état et de nous replier sur l'astronef. Or, pour une raison que j'ignore, il s'est produit hier une violente explosion dans le baraquement.

Le visage sévère, Parker déclara d'un ton glacial :

-Nous devons nous rendre là-bas.

-Naturellement. Deux trans vous attendent. N'oubliez pas de boucler les scaphandres. On ne peut survivre longtemps à l'air de cette planète.

Très à l'aise dans son rôle de maître de maison, A'Kin s'effaça pour laisser ses hôtes monter dans les trans. Le baraquement, dont une partie du toit avait été soufflé par l'explosion, présentait un spectacle de désolation. Dans ce qui avait été le laboratoire, on pouvait voir trois corps, mutilés par l'explosion ; comme si elle avait voulu les tuer une seconde fois.

Deux des accompagnateurs de Parker se mirent au travail, effectuant de multiples prélèvements qu'ils classaient et rangeaient immédiatement. Pour Elsa, cette visite fut une torture. A chaque pièce visitée, elle tremblait à l'idée de découvrir le corps de Marc. Elle ne put retenir un soupir de soulagement en sortant des ruines. Marc! y avait-il une chance qu'il fût vivant?

A'Kin proposa, avec son éternel sourire :

-Vous avez sans doute besoin d'un peu de temps pour vos analyses. Je suggère donc que nous nous retrouvions demain matin à mon bord. Je vous souhaite une excellente soirée.

De retour sur le croiseur, Elsa contacta le Neptune.

-Rien à signaler, Miss Swenson, lui dit Yuko. Nous n'avons reçu aucun message radio.

-Restez à l'écoute, commandant.

-A vos ordres!

La communication achevée, Yuko resta un long moment à réfléchir. Se tournant vers l'opérateur radio, il demanda soudain:

-Sur quelles longueurs d'ondes enregistrez-vous?

-Celles de la Sécurité Galactique, et sur les fréquences commerciales.

-C'est-à-dire sur celles que le pirate doit guetter. A partir de maintenant, je veux que vous balayiez toutes les autres fréquences.

CHAPITRE XI

Marc resta un long moment à contempler le spectacle qui s'offrait à lui. Grâce à la lueur bleuâtre qui émanait de ses parois, il voyait parfaitement le fond de l'immense excavation. Il était occupé par un lac aux eaux sombres, libres. Le plan d'eau était entouré d'un véritable tapis de créatures jaunes et vertes, dotées de longs tentacules très minces qui s'agitaient doucement.

Tout autour du lac, le sol était couvert de créatures jaunes et vertes, aux longues tiges ou tentacules qui s'agitaient doucement.

-Intéressant, énonça Ray avec placidité. Les pierres d'Elsa sont en réalité la charpente, ou mieux, le squelette de ces étranges bestioles.

-Des plantes?

-Les classifications primaires (minéral, végéta! ou animal) ne peuvent s'adapter à leur cas. Elles constituent un mélange des trois ! Au fait, la température est de plus quinze degrés, la teneur de l'air en oxygène de dix-sept pour cent. Tu peux couper l'arrivée d'oxygène de ton scaphandre.

A cet instant une onde psychique très intense s'insinua dans les neurones de Marc. Ce dernier eut un réflexe instinctif de fuite et se recula dans le tunnel.

-Non, ne partez pas. Vous êtes la première créature étrangère avec laquelle nous pouvons communiquer.

-Qui êtes-vous? Où êtes-vous?

-Nous nous étalons devant vous.

-Que voulez-vous?

-Nous souhaitons mieux connaître votre race. Nous n'avons appris que récemment votre existence, et nous sommes très perplexes.

Marc percevait une grande inquiétude dans la pensée de l'être. Le Service de Surveillance des Planètes Primitives avait prévu un programme pour les prises de contact avec des civilisations extraterrestres. Le jeune homme concentra sa pensée et fit défiler dans son esprit le résumé de l'évolution de la Terre.

Une demi-heure s'écoula. Il commençait à ressentir une certaine fatigue lorsqu'il perçut:

-Merci, ami, nous commençons à mieux comprendre votre monde. Nous ignorions qu'une même race pouvait comprendre des créatures aussi diverses. Dommage qu'elles ne te ressemblent pas toutes. Ton esprit est loyal et généreux. Je devine que tu es las. Repose-toi, maintenant. Nous reprendrons ces échanges plus tard.

Marc ferma les yeux, s'efforçant de faire le vide dans son esprit, comme le lui avait appris la merveilleuse entité végétale qui l'avait doté de ses possibilités psychiques. Rapidement, les élancements qui traversaient sa cervelle s'estompèrent, et il glissa dans le sommeil.

Un appel de Ray lui fit ouvrir les yeux. Il s'assit en étouffant un bâillement. L'androïde lui glissa entre les lèvres une tablette nutritive qu'il suça avec plaisir. Puis son ami lui tendit un gobelet plein d'eau.

-J'ai pensé que tu aurais soif, et je suis allé me ravitailler. L'eau de ce lac est excellente.

La pensée de la créature se manifesta alors.

-Je constate que tu es réveillé.

-Et je meurs de curiosité, sourit-il. Peux-tu me fournir des explications?

-Il y a longtemps, au moins trois générations... (Sentant naître une certaine surprise dans l'esprit de Marc, la créature précisa avec une trace d'ironie:) Excuse-moi, j'oubliais que nous n'avons pas la même échelle de temps. Nos organismes vivent, au sens où vous l'entendez, cinq siècles. Donc, il y a mille cinq cents ans, notre planète avait une orbite plus proche du soleil. La température extérieure était extrêmement agréable, et nous couvrions toutes les terres émergées, à l'exception des pôles. Les océans servaient de régulateur thermique, et leurs nombreuses algues fournissaient de l'oxygène. (Un voile de tristesse ternit la pensée.) C'est alors que survint le cataclysme. Une énorme comète traversa notre système solaire. Un malheureux hasard voulut qu'elle heurtât une planète qui se trouvait entre nous et le soleil. Cette dernière explosa, ce qui eut deux conséquences. D'abord, un nuage de poussières voilà le soleil, entraînant un refroidissement immédiat de notre atmosphère. Puis notre monde vit son orbite se modifier, s'éloignant sensiblement du soleil. Les océans gelèrent, empêchant les algues de fournir l'oxygène. Beaucoup des nôtres périrent, et toute vie organique disparut. Seuls quelques monstres s'adaptèrent au nouveau milieu, comme les scorpions de cristal, les fourmis et quelques autres que vous n'avez pas encore découverts. Rares furent ceux d'entre nous qui échappèrent à la mort. Ce que vous appelez les pierres d'Elsa témoignent des victimes.

-Pouvez-vous vous déplacer?

-Lorsque nous en éprouvons le besoin, nos tentacules inférieurs nous permettent de nous mouvoir. Certains ont donc pu s'enfoncer dans des cavités naturelles, comme celle-là, où émane la chaleur des profondeurs.

-Comment obtenez-vous cette luminosité?

-Ce sont des mousses qui irradient des pilotons.

-Comment vous nourrissez-vous?

-Nous plongeons quelques-uns de nos filaments dans le sol où nous puisons, comme vos végétaux, nos éléments nutritifs. De plus, nous sommes capables d'absorber directement l'azote de l'air. Mais il nous faut de l'eau et une certaine luminosité. Celle-ci est tout juste suffisante. (Marc réfléchissait rapidement, tandis que la créature poursuivait:) Nous avons donc survécu, siècle après siècle, sans que rien vienne modifier notre situation. Or, hier, nous avons eu la surprise d'entrer en communication avec un de nos compatriotes, qui nous a fait part d'événements si extraordinaires que nous avons eu beaucoup de difficulté à les comprendre.

-Comment est-ce possible? s'étonna Marc.

-Il a fallu une série de coïncidences extraordinaires, qui défie tout calcul de probabilités! (Devant l'impatience du terrien, la créature expliqua:) Notre existence terminée, nous ne mourons pas au sens où vous l'entendez. Nous produisons une sorte de spore contenant tout notre patrimoine génétique. Elle reste au milieu de notre squelette, que vous nommez pierre d'Elsa. Auparavant, avec le temps, des lichens très particuliers envahissaient les pores de la pierre. Lorsqu'ils en atteignaient le centre, la spore s'introduisait dans une cellule et commençait à se développer. Quelques jours plus tard, un nouvel individu apparaissait.

-Mais il fallait que la température extérieure soit clémente!...

-C'est exact! L'idée, que nous qualifierons de machiavélique, de votre concitoyen d'introduire du sang dans les roches a eu une curieuse conséquence. Les spores se sont introduites dans une cellule que vous nommez lymphocytes et se sont développées d'autant plus rapidement que les globules rouges leur ont fourni un riche support protidique. Trois individus ont pu ainsi communiquer avec nous. Je leur ai conseillé de prendre contact avec les êtres étranges qui les entouraient, mais ils n'y sont jamais parvenus. Toi seul a été réceptif!

-Je reconnais être une exception. Les humains doués d'un certain pouvoir télépathique sont très rares.

-Ce qui explique cet échec. C'est malheureux pour eux. Lorsque les hommes les ont aperçus, ils ont été envahis par une peur démente qui les a amenés à commettre des gestes regrettables. L'un d'eux a tiré avec un pistolaser et cela a été catastrophique.

-Pourquoi ?

-Nos organismes emmagasinent de grandes quantités d'énergie. Le rayon laser en a provoqué la libération brutale, et il en est résulté une explosion qui a détruit une partie du baraquement. Depuis, la liaison avec nos frères a été interrompue, ce qui signifie qu'ils sont retournés à l'état de spores... Une question se pose à nous. Vos organismes supportent mal les conditions climatiques actuelles de notre planète. Que venez-vous donc chercher ici?

Marc expliqua l'importance du narum pour l'Union Terrienne et termina en disant:

-Naturellement, nous croyions votre monde inhabité. Il n'est pas dans nos habitudes de piller les ressources des autres peuples.

Une douce hilarité déferla dans son esprit.

-Nous ne regrettons pas votre intervention. Ce métal très lourd est un poison pour nous. C'est la raison pour laquelle vous n'avez trouvé aucune vie dans la région du gisement.

-Il y avait pourtant de nombreuses pierres !

-Au cours des années, elles ont été déplacées par les tempêtes. Donc, nous vous serions plutôt reconnaissants de nous débarrasser de ce narum.

-La question ne se pose plus, dans l'immédiat, soupira Marc.

-Effectivement ! J'ai deviné que de graves problèmes se posent à toi. Nous ne pouvons t'offrir une longue hospitalité, car nous n'avons rien qui convienne à ton organisme. Que comptes-tu faire?

-D'abord, remonter à la surface pour examiner nos adversaires. En raison du temps écoulé, ils nous croient probablement morts. Avec un peu de chance, nous pourrons profiter de l'effet de surprise.

-Adieu, ami. J'aurai toujours plaisir à converser avec toi.

CHAPITRE XII

L'aube se levait sur Elsa. Parker et Miss Swenson prenaient, sans appétit aucun, un austère petit déjeuner. A voir leurs traits tirés, il n'était pas difficile de deviner qu'ils n'avaient pas fermé l'oeil de la nuit. Un officier entra, salua d'une manière rigide. Sur son bâtiment, le colonel ne badinait pas avec la discipline.

-Voici les résultats des analyses, mon colonel.

-Enfin! Ce n'est pas trop tôt.

-Nous avons été obligés de consulter les banques de données de plusieurs ordinateurs.

-Allez-y, grogna Parker.

-L'identification de quatre des corps retrouvés a été facile. Ce sont bien Peter Stomb, le commandant Redman, Tex Robin et Ribero. De trois autres, beaucoup plus proches du centre de l'explosion, il ne restait que de petits fragments. Nous avons été contraints d'avoir recours aux groupes tissulaires et génétiques.

-Alors! s'impatienta Parker. Qui est-ce?

-Mike Strike et Aldo Sorini. Le troisième n'est fiché mille part.

Très pâle, Elsa articula:

-Cela pourrait-il être le capitaine Stone?

La réponse vint, immédiate, précise, rassurante:

-En aucun cas! Son groupe tissulaire est très différent. Vous pensez bien que cela a été ma première vérification.

Miss Swenson se détendit. Elle était encore condamnée à l'incertitude, mais l'espoir subsistait !

Parker compta lentement sur ses doigts.

-Stone, Larsen, Karpov... Nous sommes loin de ce que veut nous faire croire A'Kin. Sans compter l'androïde, dont la carcasse n'a pas pu se volatiliser. Quelle est la nature de l'explosif?

Un grand embarras se peignit sur la figure de l'officier.

-Je ne puis le préciser. Cela ressemble à la libération brutale d'une énergie de nature inconnue. Je puis affirmer qu'il ne s'agit pas d'un explosif classique ou atomique.

-Encore un mystère de cette damnée planète, gronda le colonel. Merci, lieutenant. Transmettez votre rapport à l'amiral Neuman. (Se tournant vers Elsa, il poursuivit:) L'heure de notre rendez-vous avec A'Kin approche. Ne voulez-vous pas rester à bord? Je serais plus rassuré. Cette fripouille ne m'inspire aucune confiance.

Elsa secoua énergiquement la tête, faisant voleter ses boucles brunes.

-A moi non plus ! Mais il nous cache une part de vérité que je veux connaître à n'importe quel prix. Allons nous préparer.

***

A'Kin buvait lentement un verre de Stern. il réfléchissait à la manière dont il allait devoir jouer une partie qui s'avérait plus difficile que prévu. Pourquoi avait-il fallu que cet idiot de Sorini laisse échapper le flic et Stone ? Tout aurait été tellement plus simple s'il avait pu présenter aux autorités son stock complet de cadavres!

Floyd pénétra dans le poste de pilotage. Grand, mince, le visage intelligent, il faisait office de second depuis la disparition d'Ork.

-Commandant, une nouvelle complication, annonça-t-il.

-Quoi? gronda A'Kin, de l'air du dogue prêt à mordre.

Floyd ne se laissa pas impressionner par la rebuffade.

-Nous venons de capter un message de Solan. Les autorités sont furieuses de ne pas avoir de vos nouvelles. Trois unités de guerre viennent de décoller pour prendre possession d'Elsa. Elles exigent que d'ici leur arrivée, vous ayez obtenu un contrat d'exploitation en règle. Qu'allons-nous faire?

La mine inquiète de son second amena un sourire rusé sur le visage d'A'Kin.

-Tranquillise-toi ! Il leur faut plus de trois jours pour venir jusqu'ici. Cela nous laisse largement le temps de régler notre affaire et de disparaître. Après, elles se débrouilleront avec l'Union Terrienne. (Le capitaine déplia sa grande carcasse.) Il se peut que je sois amené à utiliser la manière forte.

Prévois un groupe pour neutraliser l'escorte et reste dans le poste de pilotage, prêt à enclencher l'écran protecteur.

-Il ne pourra pas résister bien longtemps à la puissance de feu du croiseur de la Sécurité Galactique ! En outre, il y a un autre vaisseau en orbite. D'après les observations, il ressemble à un aviso, et son armement n'est pas négligeable!

A'Kin éclata d'un rire grinçant :

-Ni l'un, ni l'autre n'oseront lancer un missile tant que la fille sera à notre bord! File vite, nos invités ne vont pas tarder à arriver!

Effectivement, quelques minutes plus tard A'Kin recevait Parker et Miss Swenson dans la même cabine-salon que la veille. Très décontracté, il demanda :

-Vos analyses sont terminées, mon colonel?

-Effectivement!

-Dans ce cas, vous avez pu constater que cette planète est déserte. Donc, elle me revient de droit, comme il est mentionné dans les règlements galactiques. En conséquence, je vous serais obligé de transmettre ma demande à l'ordinateur judiciaire.

Parker rétorqua aussitôt, d'un ton sec.

-Mon enquête ne fait que commencer ! Beaucoup de points demeurent obscurs. En particulier, nous n'avons pas encore retrouvé le lieutenant Anderson !

-Il existe une certaine forme de vie minérale dans ce désert, s'écria A'Kin. J'ai perdu deux hommes que j'avais envoyés en exploration dans le but d'aider des survivants éventuels.

En une description imagée, il narra l'épisode des fourmis minérales. Ebranlé, Parker marmonna :

-Il faudra me montrer cette zone dangereuse !

-Igor est à votre disposition pour conduire deux membres de votre équipe. De l'hélijet qu'il pilotait, il a assisté à l'agonie de ses camarades. Il a été impressionné de telle manière qu'il refusera de mettre pied à terre, mais il vous montrera l'endroit.

Le colonel hésita un instant puis prit sa décision :

-Sergent York, choisissez un homme et rendez-vous sur place. Vous me ferez un rapport filmé. Je compte sur vous pour prendre toutes les précautions nécessaires.

Le sous-officier, petit, trapu, le regard vif, salua :

-A vos ordres, mon colonel.

Il désigna un de ses compagnons et sortit.

A'Kin offrit un siège à ses interlocuteurs. Lui-même se cala dans un fauteuil.

-En attendant le retour du sergent, je pense que nous pourrions discuter, Miss Swenson.

-De quel sujet? demanda la jeune femme, le regard méfiant.

-Je vous affirme que vous pourriez fouiller cette planète pendant des mois sans y trouver la moindre personne vivante.

-Il me faut une certitude! répliqua-t-elle en serrant les poings.

-Cela demandera des semaines. Ensuite, vous et moi devrons plaider devant l'ordinateur judiciaire, ce qui retardera encore la décision finale. Que de temps perdu! Or, ne l'oubliez pas, le temps, c'est de l'argent! Pourquoi n'arriverions-nous pas à un arrangement à l'amiable?

-Ce qui signifie?

A'Kin parut s'absorber dans de profondes pensées. Il soupira enfin, l'air presque malheureux.

-Je vieillis et aspire maintenant au repos. Je ne me sens plus le courage de créer une société pour exploiter mon gisement. Aussi ai-je songé à revendre ma concession. Je ne vous cache pas que des acheteurs solaniens contactés ce matin m'ont paru très intéressés. Toutefois, comme notre litige est loin d'être réglé, j'accepterais de vous donner la préférence. Je vous abandonnerais tous mes droits, ce qui vous permettrait de redémarrer dès demain l'exploitation de la mine. La production reprenant vite, cela compenserait largement la somme ridicule que vous me verseriez.

-Combien? laissa tomber Elsa d'une voix polaire.

Le regard du capitaine s'éclaira:

-Vous êtes une femme directe. C'est un plaisir de discuter affaires avec vous. Je ne demande qu'une misère, en comparaison des bénéfices fabuleux que rapporte ce gisement. Juste ce qu'il faut pour assurer mes vieux jours.

-Combien? répéta Miss Swenson.

-Disons, cent millions de dols, susurra A'Kin.

-A ce prix, railla Elsa, vous pourriez vous offrir beaucoup d'infirmières pour soigner vos rhumatismes.

A'Kin écarta les bras en un geste désespéré.

-Tout est si cher, de nos jours ! Croyez ce que disaient nos ancêtres : un mauvais arrangement est préférable à un bon procès.

Les yeux d'Elsa ordinairement d'un vert radieux, s'assombrirent.

-Non! lança-t-elle avec véhémence.

-Réfléchissez, plaida A'Kin. De prime abord le prix paraît sans doute élevé, mais il faut envisager le problème sous toutes ses faces. Vous verrez alors que j'ai raison. Comme vous m'êtes très sympathique, j'irai même jusqu'à consentir une remise de dix pour cent. Quatre-vingt-dix millions de dols ne représentent pour vous qu'une broutille, une aumône.

Elsa secoua à nouveau la tête.

-Je n'ai pas pour habitude d'acheter ce qui m'appartient déjà. Cette planète n'a jamais été abandonnée, et mon représentant. Monsieur Marc Stone, s'y trouve toujours.

-Dans ce cas, qu'il se montre ! rétorqua A'Kin.

-J'ignore où il se trouve, reconnut Elsa, mais je crois que vous devez en avoir une idée. Qu'en pensez-vous, colonel?

Parker, qui avait suivi la conversation avec intérêt, se leva.

-De nombreux points restent obscurs, capitaine A'Kin. L'explosion qui a détruit le baraquement s'est produite après votre arrivée, et il se peut que vous en soyez responsable. Je pense qu'il est indispensable de procéder à une fouille de votre astronef et à un interrogatoire de tous les membres de son équipage.

-Vous n'en avez pas le droit! protesta A'Kin.

-Je dispose des papiers nécessaires, signés de la main du Président.

A'Kin hocha la tête, la mine attristée.

-Dommage que nous n'ayons pu nous entendre, Miss Swenson, soupira-t-il. Dommage pour... vous! (Avec une rapidité remarquable, il sortit de sa poche un pistolaser qu'il braqua sur Elsa.) Ne bougez pas, colonel! Au moindre geste, je la tue ! Considérez-vous comme mes prisonniers.

Les traits du visage de Parker se figèrent.

-Tout ceci est ridicule! Vous ne pouvez espérer vous échapper. Mon second a des ordres précis, et jamais il ne vous laissera décoller.

Le pirate haussa les épaules.

-Soyons sérieux ! Il n'osera jamais ouvrir le feu sur mon astronef sachant que Miss Swenson est à bord. Tout ce qu'il pourra faire, c'est demander des instructions aux autorités! Nous vous relâcherons quand nous aurons cent millions de dols!

La voix de Floyd résonna dans l'interphone.

-C'est O.K., capitaine. Les deux gardes ont été neutralisés.

-Parfait! Enferme-les avec les autres prisonniers.

-Que dois-je faire de ceux qui sont avec Igor?

-Dès qu'ils reviennent de leur balade, tu les captures ! S'ils tentent de résister, tu les liquides. Ils n'ont aucun intérêt. (Se tournant vers Parker, A'Kin ordonna :) Ordonnez à l'astronef qui est en orbite de se poser! Je veux pouvoir le surveiller.

Avant que le colonel ait le temps d'ouvrir la bouche, Elsa intervint:

-C'est mon aviso personnel. Le commandant Yuko ne prend ses ordres que de moi!

-Parfait! Vous allez donc lui conseiller de m'obéir. (Appuyant sur une touche de l'interphone, il lança :) Floyd, contacte le vaisseau là-haut et passe-moi la communication.

Bien vite, dans l'angle de la cabine, un écran s'éclaira, montrant le visage de Yuko.

-Allez, dit A'Kin en poussant Elsa du canon de son arme.

La jeune femme avança dans le champ de la caméra de la vidéo-radio. Elle resta un instant silencieuse puis lança très vite:

-Je suis retenue ici ! Prenez toutes les décisions nécessaires en tenant compte de mes ordres antérieurs.

A'Kin poussa un juron et la bouscula. Appuyant le canon de son arme sur la tempe de sa prisonnière, il hurla:

-Vous allez vous poser immédiatement. Vous avez dix secondes pour obéir. Passé ce délai, je la tue! Un... deux... (Pas un muscle du visage de Yuko ne tressaillit. Lentement, il posa l'index sur un bouton rouge.)... trois... quatre...

-Je pense que vous commettez une grave erreur, dit-il d'un ton très calme. Tous mes missiles sont armés et programmés pour atteindre votre astronef. A l'instant où vous appuierez sur la détente, ils seront libérés. (A'Kin interrompit son compte à rebours. Il effectuait un rapide calcul mental. Yuko reprit, toujours aussi froidement:) Vous pensez que votre écran protecteur pourra supporter les impacts. Vous négligez cependant un élément. Ma mission est de protéger Miss Swenson. Si elle meurt, j'aurai échoué. Depuis des siècles, tous les membres de ma famille respectent un certain code de l'honneur. Ceux qui manquent à leur mission sont indignes de vivre. Ils doivent donc disparaître. Aussi, j'ai décidé, si j'en arrive là, d'écraser mon astronef sur le vôtre. J'aurai au moins la satisfaction de savoir que votre mort rachètera en partie ma faute, et je pourrai espérer être admis en la compagnie de mes honorables ancêtres.

-Ridicule, grogna A'Kin. Je suis persuadé que vous bluffez!

Yuko resta muet, impassible, l'index toujours posé sur le bouton rouge. Machinalement, presque par défi, A'Kin reprit:

-Cinq... six...

Floyd lança dans l'interphone:

-L'aviso vient d'allumer ses propulseurs. (D'un ton incertain, il balbutia :) Commandant, j'ai entendu de drôles d'histoires sur certaines peuplades terrestres. Ce sont des fanatiques. Je pense que ce cinglé est capable de faire ce qu'il dit.

-N'en doutez pas, ironisa Elsa. C'est justement pour ces qualités que je l'ai choisi.

Un violent débat intérieur agitait A'Kin. Finalement, il baissa son pistolaser.

-Nous allons discuter encore, marmonna-t-il.

-Faites, dit Yuko dont le visage ne laissait paraître aucun sentiment. N'espérez cependant pas me lasser. Ceux de ma race possèdent une patience infinie, et mon doigt restera sur la commande de mise à feu aussi longtemps qu'il le faudra.

A'Kin coupa rageusement la communication.

-Floyd, envoie deux cosmatelots pour surveiller nos invités. Je te rejoins au poste de pilotage.

Sur le Neptune, Yuko demeura immobile plusieurs minutes. Enfin, il se tourna vers l'opérateur radio qui avait suivi tout le dialogue. Une fine sueur couvrait son visage encore juvénile.

-Fred, appelez le croiseur Orion.

A l'instant où il allait exécuter l'ordre, le jeune homme s'immobilisa.

-Commandant, je reçois un message radio. Il est très faible et en partie incompréhensible.

-D'où provient-il?

-Apparemment, de la planète. (Il manipula vivement une série de touches.) Voilà ! Le récepteur est réglé sur la bonne fréquence. Il ne me reste plus qu'à monter le son.

CHAPITRE XIII

Marc s'exclama, en reposant ses jumelles électroniques :

-La situation semble avoir évolué. Un croiseur de la Sécurité Galactique s'est posé à côté de l'astronef pirate. Je crois même reconnaître la marque du colonel Parker.

-Dans ce cas, il ne nous reste plus qu'à le contacter, fit Ray avec logique. J'avoue que je ne serais pas mécontent de te savoir à l'abri dans le vaisseau. Notre équipée ne peut guère durer plus longtemps.

Les deux amis montèrent dans le module. La porte étanche refermée, Marc dégrafa son scaphandre.

-Il me faut reconnaître qu'un passage au bloc sanitaire serait le bienvenu. (A l'instant où Ray décrochait la radio, il lança:) Méfions-nous. Nous ignorons tout de la situation. Si nous appelons sur la fréquence de la Sécurité Galactique, qui sait si ce damné pirate n'interceptera pas notre communication? Nous constituons la preuve vivante de son forfait, et il est capable de vouloir nous éliminer! Utilise d'abord la fréquence réservée au Service de Surveillance des Planètes Primitives. S'il a un peu de jugeote, le colonel Parker aura ordonné une écoute sur cette longueur d'onde.

Ray modifia le réglage de l'appareil et commença à émettre.

-Marc, je ne réussis pas à obtenir un contact.

-Insiste, s'énerva le jeune homme.

A l'instant où il allait renoncer, l'androïde s'écria :

-Une liaison est établie, mais avec le Neptune. Il est en orbite haute autour de la planète.

-Commandant Yuko, fit une voix sortie du haut-parleur. J'écoute. Je suis heureux de vous savoir en vie, capitaine Stone. Nous sommes dans une situation très délicate.

Yuko résuma avec concision les derniers événements. Marc ne put retenir un juron. Il se sentait responsable, car il ne pouvait se cacher que c'était pour le retrouver qu'Elsa avait pris tous ces risques.

-Voulez-vous que j'envoie un module vous récupérer? demanda Yuko. Si elle vous sait vivant et en sécurité, Miss Swenson aura moins de scrupules à négocier.

Marc réfléchit rapidement.

-Nous n'avons aucune chance de passer inaperçus. Cet A'Kin n'hésitera pas à nous expédier un missile, qui ne pourra manquer une cible aussi facile... J'ai besoin d'un peu de temps pour échafauder un plan. Je vous appellerai plus tard sur cette même fréquence. S'il survenait un fait nouveau, avertissez-moi immédiatement.

Yuko manifesta son inquiétude.

-Je connais les conditions climatiques épouvantables de la planète. Pouvez-vous tenir? Vos réserves d'eau et d'oxygène doivent être épuisées.

-Ne vous inquiétez pas, commandant. Je puis encore survivre.

La communication interrompue, Marc se plongea dans d'amères réflexions.

-Pouvons-nous attaquer seuls l'astronef pirate? marmonna-t-il.

La réponse de l'androïde fut aussi nette que décevante.

-Il ne saurait en être question! Actuellement, il est protégé par son champ de force, qui est à son intensité maximale. Si nous le heurtons, nous serons immédiatement carbonisés.

-La seule solution, soupira Marc, serait de nous rendre à A'Kin. Il ignore encore tes petits talents de société. Une fois à bord du vaisseau, nous aurons une chance de pouvoir agir.

-Ça me semble risqué ! Il aura la tentation de nous éliminer d'emblée, sans discuter.

-As-tu une meilleure idée?

-Hélas, non.

Une pensée étrangère se glissa alors dans la tête de Marc.

-Excuse mon indiscrétion, ami, mais tes ondes psychiques sont si intenses qu'il est difficile de ne pas les percevoir. Je sais que tu as de graves soucis. Les humains sont des créatures bien difficiles à comprendre. Toutefois, l'idée de te voir risquer ton existence nous est pénible. Nous voudrions pouvoir t'aider. (Devançant l'objection de Marc, la créature poursuivit:) Nous devons rester confinés dans notre caverne et ne pouvons agir à l'extérieur. De plus, nous n'avons aucune de ces choses que vous appelez des armes. Nous sommes même incapables de lutter contre les xils, ces énormes chenilles minérales. Tu en as détruit une. Heureusement, elles n'aiment pas la chaleur et ne viennent pas souvent nous attaquer. Les rares fois où cela se produit, un des nôtres doit sacrifier son existence en libérant brusquement son énergie interne, comme cela s'est produit dans le bâtiment.

-Je te remercie de ta sollicitude, mais je dois agir, coupa Marc, qui sentait une impatience fiévreuse le gagner.

-Attends, ami! Nos ancêtres aussi devaient lutter contre certaines créatures dangereuses. Ils avaient imaginé de stocker notre énergie dans des capsules qu'ils pouvaient faire exploser par impulsion psychique. Malheureusement, nous avons perdu le souvenir de leurs techniques de fabrication.

-Possédez-vous encore quelques-uns de ces engins ?

-Nous savons où ils se trouvent.

-Pourquoi ne pas les avoir cherchés?

-L'endroit où ils sont entreposés est loin d'ici, et nous ne pouvons nous risquer à l'extérieur en raison des conditions climatiques. Si tu penses que cela pourra t'être utile, je suis autorisé à te révéler la cachette. C'est à mille kilomètres d'ici, vers l'ouest, dans une vallée qui s'étend au pied d'une chaîne montagneuse.

L'esprit de Marc fut envahi par l'image d'une plaine riante, verdoyante, côtoyant une haute montagne.

-Ma planète était ainsi, émit l'être avec nostalgie. Je ne sais ce qu'est le paysage, maintenant.

Ray intervint psychiquement :

-Je pense avoir localisé la région, mais il me faudrait plus de précisions.

L'autre dut comprendre, car les visions se succédèrent: une cascade tombant d'une falaise en un voile léger, une excavation dans le roc, de petites sphères noires, semblables à des grains d'un beau raisin.

-Leur puissance est grande, mais je ne puis te donner de comparaison car j'ignore tout de tes armes.

-Comment les déclenche-t-on ?

-Par impulsion psychique. Il faut songer à l'endroit où elles se trouvent et souhaiter leur explosion.

-Crois-tu que j'y arriverai?

-Je l'ignore, mais je puis t'affirmer que tes pensées sont aussi fortes que les nôtres.

-Merci, ami, tu nous donnes une chance supplémentaire.

L'échange terminé, l'androïde maugréa:

-Je doute que ces joujoux soient assez forts pour entamer l'écran protecteur d'un astronef! Que décides-tu?

-Nous avons encore quelques heures d'oxygène, autant en profiter et nous rendre là-bas. Mets le module en marche.

-Si les radars nous repèrent, nous sommes bons pour recevoir un missile. Aujourd'hui, il n'y a pas de tempête de sable pour nous protéger.

-Je compte sur tes talents de pilote. Reste à quelques mètres du sol.

-Je n'aime pas ce genre d'acrobatie ! bougonna Ray.

-Tu n'as pas le choix! Cesse de grogner, nous perdons notre temps.

Dès sa sortie de la caverne, l'appareil plongea vers le sol puis fila rapidement vers le nord. Marc sentait l'androïde anormalement inquiet. Une demi-heure plus tard, Ray esquissa un sourire.

-Je commence à croire que nous nous en tirerons encore une fois. Maintenant que nous l'avons contournée, la montagne fait obstacle entre le radar et nous. Je peux voler un peu plus haut.

Les mille kilomètres furent rapidement parcourus. Le module approcha bientôt d'une haute chaîne de pics, véritable cordillère dont les sommets neigeux culminaient à plus de dix mille mètres. Des rideaux de glace emprisonnaient les hautes vallées. Un vif découragement envahit Marc. Rien ne correspondait aux visions envoyées par la créature.

-C'est normal, lui dit Ray. Laisse à mon ordinateur le temps d'intégrer les données. Il va transformer progressivement les images en tenant compte de la période de glaciation.

Deux minutes s'écoulèrent, mortellement longues. Enfin, Ray désigna du doigt une falaise de glace.

-La caverne que nous recherchons doit se trouver là-derrière.

-Comment la localiser?

-Je vais prendre des repères et pratiquer des sondages avec mon désintégrateur.

-Utilise la puissance minimale. Pas la peine de tout faire sauter.

Ray scruta un long moment la montagne. Un chemin de glace s'élevait en pente douce jusqu'à une plate-forme. Celle-ci précédait une sorte de voûte neigeuse, imposante, brillant aux rayons du soleil.

-Marc, regarde ! Tu vois, au fond de l'entonnoir que forme cette avancée neigeuse, il y a une zone obscure. En l'examinant aux rayons X, j'ai vu une profonde excavation. Il faut seulement agrandir l'entrée. Le laser devrait suffire ; cela limitera les risques d'un feu d'artifice géant !

-Allons-y ! Laisse la radio du module branchée sur l'enregistrement, au cas où Yuko nous appellerait.

Les deux amis gravirent lentement la pente horriblement glissante. Marc dut s'accrocher à Ray pour ne pas tomber. Ils arrivèrent enfin sur le petit à-plat.

-Je pense que tu as raison, soupira Marc.

L'effort, pourtant minime, l'avait essoufflé.

Il régla machinalement la distribution d'oxygène de son léger scaphandre. Puis poussé par la curiosité, il fit un pas en avant, mais Ray le retint d'une poigne vigoureuse.

-Je préfère passer devant, grogna-t-il. Qui sait s'il ne s'agit pas encore du gosier d'une de ces charmantes minéralo-créatures qui peuplent cette damnée planète.

Marc acquiesça, lui demandant seulement de se presser. L'androïde, tous ses détecteurs en éveil, avança lentement. Il parvint devant l'orifice d'à peine un mètre de diamètre. Du faisceau de son projecteur cervical, il éclaira la cavité.

-La grotte se prolonge loin sous la montagne. Je vais te faciliter l'ent...

Soudain, quelque chose se détacha de la voûte. Cela ressemblait à un gigantesque filet fait de cordages épais. Sous le choc, l'androïde tituba, mobilisant toute son énergie pour ne pas tomber. Il resta ainsi plusieurs secondes en équilibre instable. Enfin, lentement, inexorablement, il fléchit les genoux, ploya l'échine puis fut contraint de s'allonger sur le sol.

Sidéré, Marc cria:

-Ray, que se passe-t-il?

-Cette saleté pèse plus d'une tonne, et elle durcit de minute en minute.

-Utilise ton désintégrateur !

La réponse vint aussitôt, désespérante.

-C'est impossible! j'ai le bras gauche coincé sous moi. Prends garde, Marc...

Une créature descendait lentement de la voûte, comme suspendue à un fil. Elle était translucide, à peine visible, avec un corps de plus de deux mètres de diamètre. Une araignée de cristal ! La comparaison s'imposa à l'esprit de Marc. Elle donnait une impression de légèreté, de grâce mais surtout, de cruauté glacée.

D'une main tremblante, le jeune homme sortit de sa poche le petit pistolaser que lui avait donné Elsa. Il pressa la détente à deux reprises, visant le corps du monstre qui s'illumina de rouge. Le flash lumineux passé, Marc constata l'inutilité de son tir. Ray se manifesta psychiquement. Une inquiétude très humaine était perceptible dans son esprit.

-Le rayon laser la traverse, tout simplement. Regagne le module, tu ne peux rien faire pour moi.

-Ton écran protecteur est-il branché?

-A faible intensité. Sauve-toi vite ! Nous ignorons à quelle vitesse cette bestiole se déplace et comment elle tisse cette toile de pierre!

Maintenant, la chose était sur le sol gelé, à quelques mètres de l'androïde. Elle avançait lentement, peu pressée de commencer son festin, certaine que sa proie ne lui échapperait pas. Marc sentit une colère folle l'envahir. Non ! Il ne pouvait laisser Ray, son ami, son frère, ainsi cloué à terre sur cette planète inhospitalière. Sa calmer... réfléchir... il le fallait.

La créature était maintenant sous la coupole de glace. Elle s'immobilisa un instant. L'ultime répit. Marc leva son arme.

-C'est inutile, émit Ray qui suivait les mouvements de son compagnon.

Le rayon laser fusa. Marc garda le doigt sur la détente, longtemps. Il ne visait pas la créature mais le dôme de glace qui la surplombait.

-Encore quelques secondes, se surprit-il à murmurer.

Un craquement sourd retentit, aussitôt suivi d'un grondement. Une bonne partie de la voûte s'écrasa à terre à l'instant précis où le monstre se remettait en marche. Un énorme bloc gelé atterrit sur son thorax, le faisant éclater en de nombreux morceaux. Les deux pattes avant s'agitèrent encore un instant en un réflexe dérisoire puis se brisèrent à leur tour.

-Ingénieux, ce tir indirect, commenta Ray avec calme.

-Voyons maintenant à te sortir de là, fit Marc en s'approchant de son ami.

La toile, si l'on pouvait accepter cette comparaison, était constituée de filaments de la largeur d'un pouce qui s'entrecroisaient de manière harmonieuse. En la palpant, Marc constata que les brins avaient la consistance de la roche.

-Essaie de couper ces quatre-là, suggéra Ray. Cela devrait me permettre de libérer mon bras gauche.

Marc approcha et tira à moins de vingt centimètres, n'entaillant que légèrement la corde de pierre. Ray en déduisit les conséquences avec sa promptitude électronique habituelle.

-Il faudra plus de trente décharges par brin. L'énergie de ton arme sera épuisée bien avant le troisième.

-Ne pourrais-je fixer un câble et tirer avec l'appareil?

L'androïde rejeta aussitôt la proposition.

-Il n'est pas équipé d'un dispositif tracteur ! Tu ne parviendras qu'à endommager l'engin ; or, tu en as besoin pour regagner le Neptune.

Rageur, Marc frappa du poing sur le filet qui semblait s'être encore durci.

-Retourne au module, Marc, je t'en supplie. En ce moment, tu consommes beaucoup d'oxygène, et ta réserve doit pratiquement être épuisée.

Effectivement, l'aiguille du manomètre de contrôle flirtait avec le zéro.

-Il nous reste peut-être une chance, s'écria Marc. Attends, il faut que je courre au module chercher une torche électrique.

-Rassure-toi, ficelé comme je le suis, je ne risque pas de bouger! railla Ray.

Le jeune homme revint très vite, brandissant sa lampe. L'entrée de la caverne était encore visible, mais pour y parvenir, il fallait escalader les blocs de glace qui s'étaient effondrés. Voyant Marc commencer son approche, Ray s'écria:

-Non, n'entre pas là-dedans! Il peut y avoir d'autres monstres ! Sois raisonnable, appelle Yuko !

Sourd à toute objurgation, Marc poursuivit son ascension. Il avançait méthodiquement, lentement, le souffle court. Dans sa poitrine, son coeur battait à un rythme accéléré. Il parvint enfin à pénétrer dans l'excavation. C'était en fait un tunnel d'un diamètre de trois mètres ; le rayon lumineux, trop faible, ne permettait pas d'en distinguer l'extrémité. Marc parcourut ainsi une centaine de mètres, son pisto-laser à la main. Mais comme cette arme lui semblait dérisoire contre des créatures de pierre!

Il s'arrêta enfin, le faisceau lumineux éclairant une muraille rocheuse. Le tunnel s'interrompait là. Bête. Inutile. Marc sentit une vague de désespoir déferler dans son esprit. Rien! Il n'y avait rien! Cette quête était non seulement infructueuse, mais encore elle allait coûter à Ray son existence! Ray, son seul ami !

Une rage folle submergea le jeune homme. Il frappa la pierre d'un poing rageur, insensible aux élancements douloureux qui irradiaient dans ses avant-bras. Il s'interrompit brusquement. A un endroit, cela rendait un son moins mat. Son esprit retrouva un peu de calme. Avec méthode, il martela la muraille. Elle était lisse, comme taillée par un instrument. Marc délimita ainsi une zone sonore d'un mètre de diamètre environ.

-Il existe une cavité à ce niveau, murmura-t-il, mais comment l'ouvrir?

Il respirait difficilement, haletant bien que n'ayant accompli aucun effort. Son coeur battait de plus en plus vite. Il tenta de modifier le réglage de la valve d'oxygène, mais le bouton était tourné à fond. Le scaphandre délivrait ses dernières réserves.

La créature avait dit que tout obéissait à des impulsions psychiques, mais elle n'avait donné aucune autre précision. Marc tenta d'imaginer la cachette, avec les sortes de grains de raisin qu'il avait entrevus. Comment trouver le mécanisme d'ouverture? Etait-ce une porte coulissante? Un battant qui pivotait? La dernière hypothèse était la bonne !

A l'instant où il imaginait la scène, il perçut un déclic. Une porte pivota dans la paroi rocheuse, découvrant une cavité rectangulaire. A la lueur de la torche électrique, Marc vit une série de rayonnages sur lesquels reposaient de petites sphères noires. Certaines étaient effectivement de la taille d'un grain de raisin ; d'autres, plus volumineuses, atteignaient la grosseur d'une balle de golf.

Sans plus réfléchir, il en saisit plusieurs de chaque sorte. Il fut étonné par leur poids! Les petites pesaient plus d'un kilogramme! Il courut vers la sortie de la grotte. Toutefois, il dut s'arrêter, car son coeur battait à se rompre, et un voile noir couvrit sa vue. Des éclairs brillants l'éblouissaient par instants. Plus assez d'oxygène!

Il s'efforça de rester immobile et de respirer avec calme. Lentement, très lentement, il récupéra une vision normale.

-Je dois avancer, chuchota-t-il, pour lui-même.

Tempérant sa hâte, il avança pas à pas. Plusieurs minutes lui furent nécessaires pour franchir les quelques mètres qui le séparaient de la sortie. Haletant, il s'appuya sur un des blocs qui obturaient l'entrée.

-Attention, Marc! Ne sors pas! Deux scorpions viennent d'émerger du sable. Ils s'approchent de moi... Ils commencent même à me renifler.

Malgré le conseil, le jeune homme poursuivit son chemin. Les deux grosses créatures translucides n'étaient plus qu'à cinq mètres de Ray. Instinctivement, Marc porta la main à son pistolaser, mais il interrompit aussitôt son geste. Le rayon ne serait certainement pas plus efficace sur les scorpions que sur l'araignée!

Les monstres parurent sentir sa présence car ils s'immobilisèrent, agitant leurs fines antennes cristallines.

-Marc, sauve-toi! émit l'androïde avec émotion.

-Impossible! Je n'ai plus d'oxygène! Si je cours, je perdrai connaissance en moins d'une minute. Je vais essayer ma découverte.

Il jeta une des plus petites sphères entre les deux bêtes. Ces dernières perçurent la vibration, car elles avancèrent en agitant leurs redoutables pinces. Marc pensa fortement à une explosion.

Elle survint aussitôt, précédée d'une lueur blanche insoutenable ! Le sol trembla, et des débris furent projetés dans toutes les directions, couvrant Ray de pierraille. Lorsque le nuage de poussière fut dissipé, Marc constata que l'engin avait creusé un entonnoir de deux mètres de profondeur dans le sol. Ray disparaissait sous le sable. Les deux scorpions avaient été volatilisés, et il n'en restait que de minuscules fragments brillants.

Une folle inquiétude naquit dans l'esprit de Marc.

-Ray! Ray!

L'absence de réponse augmenta son angoisse. Ce n'était pas possible! La déflagration n'avait pu entamer l'écran protecteur. Il lança un nouvel appel, presque une supplique. Son ami, son seul véritable ami ! Avait-il été l'artisan de sa destruction ? Une pensée familière se glissa enfin dans son crâne.

-Du calme! Tout va bien. J'ai été durement sonné, et quelques-uns de mes circuits sont endommagés. Ne t'inquiète pas, les réparations sont déjà en cours. En plus, la secousse a brisé plusieurs des fils de cette maudite toile. Je devrais pouvoir me dégager.

Effectivement, le sable se soulevait, ondulait, glissait sur les côtés.

-Voilà, reprit enfin l'androïde, je peux remuer le bras gauche. Recule-toi, je vais utiliser mon désintégrateur.

Deux éclairs mauves fusèrent, effaçant une partie du sable. Après un dernier effort, Ray se leva, émergeant de la poussière comme un dauphin jaillit de l'eau.

-Ouf! soupira-t-il, il est agréable de pouvoir remuer. Vive la liber... (Il s'interrompit brusquement et émit un juron très humain.) Il est urgent de regagner le module ! C'est le seul endroit où il reste un peu d'oxygène. Non, ne bouge pas. Je vais te porter pour t'éviter le moindre effort.

Avec une douceur quasi maternelle, il saisit Marc dans ses bras puissants et enclencha ses antigrav. Moins de deux minutes plus tard, la porte étanche du module se refermait.

Marc haletait. Son visage avait pris une vilaine coloration bleutée. Ray déboucla prestement le casque du scaphandre, et son ami aspira avidement l'air glacé.

-Merci, souffla-t-il, je me sens revivre.

L'androïde l'obligea cependant à rester immobile jusqu'à ce que son rythme cardiaque se normalise.

-Ces sphères sont efficaces contre les prédateurs locaux, mais leur puissance est insuffisante pour entamer les réserves d'énergie d'un astronef en état de défense automatique.

Marc réfléchit un long moment puis esquissa un sourire.

-Il existe peut-être une solution, murmura-t-il. Appelle le commandant Yuko.

CHAPITRE XIV

A'Kin était installé à la place du copilote. Il restait immobile, les yeux mi-clos. Par instants, un petit tic nerveux déformait ses lèvres.

Assis sur le siège voisin, Floyd surveillait les écrans de contrôle. Pour l'heure, il s'efforçait de se faire oublier. Appartenant à l'équipage pirate depuis plusieurs années, il connaissait les sautes d'humeur de son patron. Lorsque celui-ci arborait cette mine morose, mieux valait ne pas le contrarier. Ses réactions pouvaient être aussi vives que désagréables.

Le poing du capitaine s'abattit sur la console située devant lui. Il éructa plusieurs jurons puis gronda :

-Quand je pense à tout le mal que je me suis donné pour monter cette combine ! Et ça rate au dernier moment... J'en crève de rage!

-Il est fort dommage, approuva servilement Floyd, que Sorini ait laissé filer sous son nez le flic et Stone. Tout aurait été merveilleusement simple si vous aviez pu exhiber leur cadavre à ce colonel de la Sécurité Galactique.

-C'est pire que de la maladresse, c'est du sabotage ! Je voudrais pouvoir étrangler ce maudit toubib ! Toute une année d'efforts perdue ! Il m'a fallu dénicher ce Sorini, le convaincre de travailler pour moi et réussir à le faire engager par la société minière ! Rien que cela a coûté beaucoup de fric. Je ne sais plus combien de pattes j'ai dû graisser. Lorsqu'ils s'y mettent, c'est fou ce que les gens honnêtes deviennent gourmands !

Le second hocha la tête, peu soucieux de contredire son supérieur. A'Kin éclata d'un rire grinçant.

-Enfin oublions le passé et voyons l'avenir. Il faut au moins que nous puissions rentrer dans nos frais. Nous avons encore un atout, la fille ! Si elle ne veut pas racheter sa planète, elle paiera pour sa liberté !

-Elle est sacrément coriace !

A'Kin grimaça, découvrant des dents noirâtres.

-C'est vrai ! Voilà pourquoi je la laisse mariner dans l'incertitude de son sort.

-Avec cet appareil en orbite, nous sommes bloqués, constata Floyd. Je l'ai bien observé. Ce n'est pas un simple yacht de croisière comme en utilisent les gens riches mais un véritable aviso de combat !

Le second ne pouvait savoir que Miss Swenson, après avoir manqué périr dans un yacht, avait décidé de s'offrir un véritable bâtiment de guerre. Cela lui avait été d'autant plus facile qu'elle était une grosse actionnaire de la société qui les fabriquait. Le Neptune avait une puissance de feu équivalente à celle d'un aviso de la Sécurité Galactique.

A'Kin hocha la tête, marmonnant:

-J'ai commis une erreur en menaçant de la tuer immédiatement. J'espérais provoquer une réaction d'affolement. J'aurais dû me rappeler que pour rester à la tête d'un empire industriel colossal, il faut avoir les nerfs solides.

-En plus, le commandant de son astronef ne plaisantait pas. Il se serait bel et bien écrasé sur nous ! S'il reste en orbite au-dessus de nos têtes, nous sommes coincés.

-Peut-être pas! Tant que nous détenons la fille, nous avons le meilleur des atouts. Tiens-toi prêt à couper l'écran protecteur et à décoller lorsque j'en donnerai l'ordre.

-Nous allons nous faire canarder comme dans un stand de tir.

-Je ne pense pas. (A'Kin ricana.) Ils n'oseront jamais prendre une telle décision. La venger si je la tue, c'est parfait! Pour jouer l'ange purificateur, aucun n'hésitera. Etre le responsable direct de sa mort, c'est fort différent. Ils conserveront toujours l'espoir de la libérer un jour. Nous filerons sous leur nez sans qu'ils osent esquisser un geste, j'en suis persuadé !

Floyd dissimula une moue sceptique.

-Je souhaite sincèrement que vous ayez raison, capitaine, soupira-t-il.

A'Kin lui administra une claque amicale sur l'épaule.

-Tout se déroulera sans la moindre anicroche.

Pense qu'avec la disparition d'Ork, ta prime sera augmentée !

-La fille acceptera-t-elle de payer?

-Je me charge de la convaincre. Après avoir passé quelques jours dans l'espace en notre compagnie, c'est elle qui nous proposera une fortune! Elle est plutôt jolie, et je ne serais pas mécontent de me l'envoyer. Ne crains rien, tu auras aussi la possibilité d'y goûter! Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de faire l'amour avec la femme la plus riche de la galaxie!

-Et les solaniens?

-Nous filerons avant leur arrivée. Plus tard, je leur expliquerai que notre combine a échoué par la faute de Sorini. Ainsi, ils ne pourront me tenir rigueur de ne pas leur avoir revendu une planète dont je n'ai jamais été le propriétaire !

Il se leva lentement, dépliant sa grande carcasse. Puis il fit craquer méthodiquement les articulations de ses doigts avant d'annoncer:

-Je vais voir où en sont nos oiseaux. Ils devraient commencer à s'inquiéter sérieusement. Prépare-toi à obéir à mon premier appel.

Dans la cabine-salon dont les portes étaient verrouillées, Elsa était assise, immobile, dans un fauteuil relax. Parker marchait de long en large, marmonnant par instants:

-Je vous l'avais dit! Mieux aurait valu pour vous rester à l'abri sur mon croiseur.

-Dans ce cas, A'Kin ne se serait pas démasqué aussi rapidement, et nous en serions encore réduits aux hypothèses. Je conserve l'espoir que Marc soit encore vivant.

-Pour combien de temps? soupira Parker. Sa réserve d'oxygène doit être épuisée depuis longtemps. De plus, l'existence de monstres minéraux n'est pas impossible.

L'arrivée d'A'Kin le contraignit au silence. Le pirate dévisagea ses prisonniers un long moment, contrarié de voir combien Elsa était calme.

-Si nous reprenions notre discussion d'affaires? Je suis très patient et aussi peu intéressé que possible. Je me contenterai même de quatre-vingts millions.

-Pas un dol! rétorqua aussitôt Elsa. Tout au plus pourrai-je obtenir du colonel Parker qu'il vous laisse filer si vous nous rendez notre liberté.

Le visage d'A'Kin se congestionna, prenant une coloration pourpre.

-Je pense que vous commettez une grave erreur, Miss Swenson. Grave et très onéreuse ! Dans quelques jours votre rançon sera doublée. (Voyant que Parker consultait discrètement sa montre, le pirate ajouta, moqueur:) Inutile d'espérer de l'aide de vos deux gardes. Ils ont été neutralisés sans difficulté dès leur retour du vol de reconnaissance.

Le colonel pinça les lèvres mais rétorqua:

-Vous êtes coincé, et vous le savez, A'Kin! Seul votre orgueil vous empêche de le reconnaître. Jamais vous ne pourrez quitter cette planète.

Son interlocuteur eut un rictus mauvais qui découvrit ses longues dents sales.

-Nous le saurons dans quelques minutes. Ou nous serons dans l'espace, ou j'aurai la satisfaction de savoir que vous périrez avec moi.

A'Kin se prépara à donner l'ordre de décoller. Déjà, son index effleurait le contact de l'interphone. La voix de Floyd interrompit son geste.

-Capitaine, je reçois un appel de l'astronef de Miss Swenson. Le Japonais désire parler à sa patronne. Il semble pressé.

-Envoie la communication ici!

Le visage de Yuko s'imprima bientôt sur l'écran. Ses traits étaient toujours impassibles, mais l'éclat de ses yeux traduisait une excitation certaine. A'Kin poussa Elsa devant l'objectif de la vidéo-radio. Serrant son poing énorme, il maugréa:

-Si vous ne surveillez pas votre langage, je vous assomme.

-Miss Swenson, commença l'asiatique, nous venons de capter un appel de Monsieur Stone.

La nouvelle fit tressaillir Elsa, qui dut s'obliger à un rude effort pour retrouver son sang-froid.

-Où est-il? parvint-elle à articuler.

-Son module est en panne à environ mille kilomètres au nord-ouest du point où vous vous trouvez. Il semble très faible, et sa provision d'oxygène est épuisée.

A'Kin intervint, le regard méfiant.

-Comment est-il possible que vous seul ayez capté cet appel?

-Monsieur Stone a utilisé la fréquence réservée au Service de Surveillance des Planètes Primitives. C'est la seule qui lui était familière.

-Pourquoi pas celle de la Sécurité Galactique ?

-Son compagnon semble déjà inconscient.

Floyd, qui était à l'écoute, intervint:

-C'est exact, capitaine. Sur la fréquence du S.S.P.P., je reçois un message très faible. Le générateur doit être pratiquement épuisé. Le type ne doit pas être en meilleur état, car je n'entends plus qu'un halètement et quelques mots incompréhensibles.

-Je demande donc l'autorisation, reprit Yuko, d'envoyer un module de secours.

-Il n'en est pas question, rugit A'Kin. Si un appareil s'approche de la planète, j'ordonne de le détruire.

Les joues d'Elsa s'étaient décolorées. L'idée que Marc pouvait mourir d'un instant à l'autre faute de secours lui était insupportable. En un instant, elle prit sa décision:

-Capitaine A'Kin, je suis prête à vous verser immédiatement dix millions de dols pour le sauvetage de Stone.

Le pirate allait refuser, mais l'importance de la somme l'obligea à réfléchir. Il contempla un moment la jeune femme. Elle paraissait sincère et inquiète. Se pouvait-il qu'il eût enfin trouvé une faille dans son armure ? Si elle était prête à verser tant d'argent pour la vie de ce type, elle devait tenir à lui. Pour éviter de le voir torturé à mort sous ses yeux, elle finirait certainement par payer la grosse somme. De toute manière, cela ne coûtait rien d'essayer, et un otage de plus serait toujours une bonne chose.

-Marché conclu, dit-il en grimaçant un sourire, mais c'est moi qui me chargerai du sauvetage. (Il appuya sur la touche de l'interphone pour demander:) Floyd, as-tu localisé l'endroit d'où provient l'appel?

-Naturellement! C'est bien celui indiqué par l'aviso.

-Envoie Igor et un cosmatelot en hélijet. Tu les guideras. Qu'ils restent en communication permanente avec nous. Je veux être informé minute par minute de leur position, pour le cas où des petits malins voudraient nous tendre un piège. Tiens-toi toujours prêt à décoller en catastrophe.

A'Kin se carra ensuite dans un fauteuil relax et ordonna, tirant de sa poche un pistolaser:

-Colonel, asseyez-vous à côté de Miss Swenson. Je veux pouvoir vous surveiller tous les deux! Je vous préviens que si vous essayez de me jouer un tour, c'est elle qui y passera en premier!

Parker s'installa sur le siège voisin de celui d'Elsa.

-Détendez-vous, conseilla-t-il, je ne ferai rien qui puisse mettre en péril la vie de Miss Swenson.

Quelques instants plus tard, la voix d'Igor résonnait dans l'interphone.

-Nous quittons la soute. Le ciel est dégagé.

-Parfait, mais grouillez-vous !

Dix minutes s'écoulèrent, qui parurent autant de siècles à Elsa. Elle imaginait Marc suffoquant dans l'habitacle de son module. Jamais elle n'aurait dû accepter qu'il risque ainsi sa vie pour une enquête qui relevait seulement de la Sécurité Galactique!

-Le module est en vue, commandant, annonça enfin Igor. Il est posé à proximité d'une barre rocheuse. De prime abord, il paraît intact. Je ne note aucune activité biologique aux environs.

-Fais un grand détour pour inspecter les environs.

-Que de temps perdu, grogna Parker, qui sentait l'inquiétude d'Elsa. Je vous donne ma parole que vos hommes n'ont rien à craindre.

A'Kin eut une mimique fort éloquente pour montrer ce qu'il pensait d'un tel serment.

-Je préfère prendre mes précautions.

-Tout paraît clair, capitaine, fit Igor. Nous nous posons le plus près possible de l'appareil.

Dans la cabine-salon, l'atmosphère était tendue. Elsa serrait nerveusement les poings. Tous ses muscles semblaient tétanisés.

-Il y a bien deux types à bord. Ils paraissent mal en point.

-O.K. Sors-les de là! Tu les charges dans l'hélijet, et vous revenez à toute vitesse.

-Entendu. Je prends un réservoir d'oxygène, ils ont l'air d'en avoir besoin. Je distingue leurs figures, et elles sont violacées.

Le silence retomba, entrecoupé seulement de bruits sourds et lointains.

-Parfait, les deux colis sont à bord, sous oxygène. Ils se remettent, mais ils risquent d'attraper un sacré rhume. Le générateur était en panne, et seule la batterie auxiliaire fonctionnait. Il faisait un froid polaire dans le module. Tiens, il y en a un qui se réveille.

-A... A boire...

Le coeur d'Elsa bondit d'allégresse. C'était la voix de Marc!

-Doucement, conseillait Igor. Seulement deux gorgées. Cela te réchauffera.

-Bon Dieu, jura A'Kin, cesse de jouer les infirmières. Reviens tout de suite ! (IL se tourna vers Elsa, dont les joues s'étaient recolorées.) J'espère maintenant que vous tiendrez votre promesse.

-N'en doutez pas, répliqua-t-elle sèchement. Cependant je tiens auparavant à m'assurer que le capitaine Stone est bien vivant et que je n'ai pas assisté à une comédie habilement montée.

-D'accord, s'esclaffa le pirate. Voilà comment on doit mener les affaires! En définitive, nous sommes de la même race, et je pense que nous finirons par nous entendre!

-Rien d'anormal à signaler, intervint Igor. Je demande la permission d'accoster.

Floyd se manifesta:

-Tout est calme, capitaine. Aucune activité ne s'est manifestée du côté du croiseur ou de l'aviso.

-O.K. ! Dis à Igor de m'amener ses passagers dès que la pression sera rétablie dans la soute.

CHAPITRE XV

Soutenus par deux cosmatelots, Marc et Ray pénétrèrent dans la cabine-salon. Ils furent déposés dans des fauteuils. Elsa s'élança vers son ami. Ce dernier avait piètre allure, avec la barbe de trois jours qui lui mangeait les joues. Ses lèvres étaient sèches, fendillées. Il restait avachi, la tête pendante, les yeux mi-clos.

-A boire, murmura-t-il.

La jeune femme prit aussitôt un gobelet au distributeur et l'emplit d'un jus de fruit synthétique. Elle soutint la tête de Marc pour l'aider à avaler. Tout en absorbant le liquide, il ouvrit les yeux un instant. Elsa fut frappé par son regard vif, brillant, ironique. Ce fut tellement bref qu'elle se demanda si elle n'avait pas rêvé. Déjà, Marc semblait reperdre conscience.

-Il suffit, Miss Swenson, lança sèchement A'Kin en brandissant son arme. Vous aurez tout le temps pour soigner ultérieurement votre ami. Pour la dernière fois, acceptez-vous de me verser les cent millions de dols que j'exige?

Malgré sa situation difficile, Elsa rétorqua:

-Non et non!

Le pirate leva son arme, visant Marc.

-Dans ce cas, vous pouvez lui dire adieu.

Elsa se plaça devant le jeune homme.

-Il faudra me tuer d'abord ! Vous perdrez ainsi les dix millions que je vous ai promis. Soyez persuadé que vous n'obtiendrez pas un dol de plus !

A'Kin, les traits crispés, hésita un instant. Il rageait de ne pas parvenir à vaincre l'entêtement de cette maudite femme. Lentement, à regret, il abaissa le canon de son arme. D'un geste nerveux, il appuya sur la touche de l'interphone.

-Floyd! Mets en marche les propulseurs!

Parker ouvrait la bouche pour une ultime tentative de dissuasion. Il savait l'intérêt que portait le Président de l'Union Terrienne à ce gisement de narum. Nul doute que son second avait déjà reçu l'ordre d'empêcher par tous les moyens le pirate de décoller.

Hypnotisés par A'Kin, tous avaient oublié Marc. Ce dernier concentrait ses pensées sur la sphère noire que Ray avait dissimulée dans l'hélijet qui était venu les chercher.

La violence de l'explosion le surprit, bien qu'il l'attendît. L'astronef vibra jusqu'au tréfonds de ses nervures métalliques tandis qu'une sonnerie d'alarme se déclenchait.

-Capitaine, appela Floyd d'une voix aiguë. Explosion dans la soute B. La porte extérieure a été arrachée. Deux des cloisons étanches ne se sont pas fermées, ce qui rend inutilisables toutes les soutes.

-Un missile? interrogea A'Kin, l'oeil mauvais.

-Je ne crois pas, nos détecteurs n'ont rien repéré. Et puis l'écran protecteur était branché, aucun projectile n'aurait pu le franchir. Nous ne pouvons décoller avant d'avoir effectué les réparations indispensables. J'envoie...

Une nouvelle déflagration retentit. Les lumières s'éteignirent, vite remplacées par les lampes de secours. Cette fois, Marc avait concentré sa pensée sur la petite capsule abandonnée par Ray dans l'ascenseur.

A'Kin tressaillit violemment. Un peu d'écume emperla ses lèvres. Le regard halluciné, il hurla à l'intention d'Igor, resté dans la pièce.

-Il faut les liquider tous ! La fille nous servira de bouclier !

Le cosmatelot braqua son arme sur Parker. Ce dernier, dépassé par la succession brutale des événements, était resté immobile. Il vit le canon se diriger vers lui et ferma les yeux, attendant la décharge qui le foudroierait.

C'est alors que l'impensable se produisit. Les deux agonisants se dressèrent brusquement. Marc plongea sur Igor, le ceinturant. Sous le choc, le cosmatelot lâcha son pistolaser, et les deux adversaires roulèrent à terre. Plus rapide, Marc se releva le premier. D'un crochet hargneux dans lequel il mit tout son poids, il frappa l'autre à la mâchoire, l'assommant pour le compte.

Hébété, A'Kin perdit une seconde, ne sachant quelle cible choisir. Finalement, il visa Marc. Il n'eut pas le temps de tirer. Un éclair rouge jaillit de l'index de l'androïde, le frappant entre les deux yeux. La grande carcasse du pirate pivota lentement avant de s'affaisser. Une dernière crispation de son index pressa la détente. Un malheureux hasard fit que le rayon meurtrier toucha Elsa. La jeune femme chancela.

-Elsa ! Non ! hurla Marc, se précipitant vers elle pour la soutenir.

Il n'eut pas le temps de l'atteindre. Déjà elle se redressait, secouait la tête, lui souriait. Marc la saisit dans ses bras, étonné de la voir toujours debout.

-J'aurais juré que le rayon t'avait touchée, murmura-t-il, la gorge serrée.

-C'est exact! J'ai été éblouie un instant.

-Comment est-il possible...

Un sourire charmeur étira les lèvres d'Elsa.

-Souviens-toi que je suis propriétaire de l'usine qui fabrique les ceintures protectrices. Je t'en ai donné une, mais j'en avais conservé une autre. J'ai pensé que pour venir discuter avec une crapule, j'étais en droit de l'utiliser!

Marc essuya son front ruisselant de sueur.

-Tu peux te vanter de m'a voir procuré une des plus grandes émotions de ma vie!

-Dans ce cas, nous sommes quittes! ironisa-t-elle. Pour un moribond à moitié asphyxié dans son module, tu sembles avoir vite récupéré.

Parker, qui avait enfin réalisé la situation, se manifesta.

-Je ne comprends rien à ce qui est arrivé, mais nous devons en profiter.

Tirant de sa poche un communicateur radio, il appela le croiseur.

-Capitaine, envoyez immédiatement une section d'intervention. Dès la coupure du champ protecteur, vous investirez le vaisseau pirate. Prenez garde, vous pouvez rencontrer des îlots de résistance. De plus, mon escorte est certainement enfermée dans une cabine.

La voix de Floyd leur parvint une minute plus tard :

-Capitaine, une des soutes du croiseur vient de s'ouvrir.

Le colonel bascula le contact de l'interphone.

-A'Kin est mort. Vous êtes en état d'arrestation. Si vous vous rendez sans résistance, il en sera tenu compte. Dans le cas contraire, vous serez traités comme des pirates pris en flagrant délit, et je me ferai un plaisir d'exécuter la sentence. Vous savez le sort qui vous sera réservé : vous serez éjectés dans l'espace sans scaphandre !

Par défi, Floyd rétorqua :

-Nous résisterons jusqu'à la mort, même si je dois pour cela faire sauter l’astronef!

Marc intervint, d'une voix ironique pour qu'on ne puisse deviner son bluff.

-J'ai déjà provoqué deux explosions, dans la soute et dans l'ascenseur. Prenez garde, la suivante surviendra dans le poste de pilotage. Vous avez une minute pour obéir!

Désemparé, le bandit capitula. La responsabilité qui pesait sur ses épaules était trop lourde, et il n'avait pas la farouche volonté de son défunt chef.

-C'est bien ! Nous nous rendons, soupira-t-il.

CHAPITRE XVI

Une réunion se tenait dans la grande cabine-salon du Neptune. Dès que les pirates avaient été bouclés dans une cellule du croiseur, Yuko avait posé son astronef à proximité de d’Orion. A présent, Miss Swenson, vêtue d'une élégante combinaison argentée, jouait les hôtesses. Carl Larsen, la barbe en bataille, venait de narrer ses mésaventures. Le récit de Marc monopolisait maintenant l'attention. Lorsqu'il eut terminé, Parker émit un petit sifflement.

-Quelle histoire ! Si un autre que vous m'avait raconté ça, je l'aurais expédié consulter un psychiatre. Du corail qui pense et peut se transformer en bombe... Il faudra me donner une copie des enregistrements de Ray. Sans ça, je ne pourrai jamais convaincre l'amiral Neuman.

Avec un sourire malicieux, Marc répondit:

-Elle est à votre disposition.

Se levant, le colonel salua Miss Swenson.

-Je dois me retirer pour faire mon rapport aux autorités supérieures. Le Président sera soulagé d'apprendre l'heureuse conclusion de cette affaire. (Se tournant vers Marc, il ajouta avec ironie:) L'amiral a eu raison de vous désigner pour résoudre cette énigme. Vous n'avez pas votre pareil pour décortiquer les affaires insolubles. Vous devriez demander votre mutation définitive à la Sécurité Galactique.

-Non, merci, colonel ! s'exclama Marc en éclatant de rire. Cela m'a déjà été proposé, mais je préfère m'occuper des planètes primitives. Courir des chemins mal pavés sur des montures variées, donner et surtout recevoir de grands coups, voilà mon existence. Je l'aime car cela me donne l'occasion de rencontrer des êtres passionnants.

-Je respecte vos mobiles, capitaine, même si je ne les comprends pas toujours. (Il eut un petit rire, avant de conclure :) Vous êtes probablement le seul homme de la galaxie à connaître avec précision sa valeur marchande: dix millions de dols!

Marc secoua la tête, tandis qu'un sourire étirait ses lèvres.

-Vous sous-estimez notre hôtesse. Elle avait parfaitement compris qu'en demandant à Yuko de l'appeler, je cherchais un moyen de pénétrer dans l'astronef pirate. Même sans l'aide des grenades, Ray disposait d'une puissance de feu suffisante pour éliminer ces bandits.

Dès que Parker se fut éloigné, Larsen se leva.

-Si vous le permettez, Miss Swenson, je voudrais passer au bloc sanitaire. Je sens encore l'odeur de la cellule infecte où nous avons été enfermés.

Lorsqu'ils se retrouvèrent seuls, Elsa emplit deux verres et en tendit un à Marc.

-Quand je te sais en danger, murmura-t-elle, je deviens complètement idiote! Je n'avais rien deviné du tout! Je te croyais en train d'agoniser!

Les yeux de Marc s'arrondirent de surprise.

-Ainsi, tu as réellement risqué dix millions de dols.

-J'étais prête à en verser cent! (Elle ajouta, avec une petite moue:) Toutefois, j'ai préféré ta solution expéditive. (Puis prenant le bras de Marc, elle poursuivit:) Viens dans ma cabine. Je pense que tu as besoin d'un séjour prolongé dans un bain revitalisant et d'un bon rasage.

-Et ensuite?

Elsa hocha doucement la tête, tandis que son regard s'éclairait.

-Je crois avoir mérité une petite récompense !

Enlacés, les deux jeunes gens quittèrent le salon.

***

-Marc, réveille-toi. Nous avons un nouveau problème.

L'appel de Ray tira Marc d'un profond sommeil. Avec douceur, il repoussa le corps soyeux d'Elsa lové contre le sien. Puis il revêtit silencieusement sa combinaison, enfila ses bottes et quitta la cabine.

Dans le poste de pilotage, Ray et Yuko étaient installés aux commandes.

-Trois appareils solaniens viennent d'émerger du subespace et se dirigent vers notre planète à grande vitesse.

-Qu'espèrent-ils? maugréa Marc.

-Je l'ignore, mais ce sont des avisos de combat, rétorqua Ray. Je doute qu'ils viennent ici pour le seul plaisir de nous saluer.

Le témoin de la vidéo-radio clignota furieusement. D'un geste rapide, Yuko établit la liaison. L'écran révéla un solanien, reconnaissable au teint ardoisé de son visage. Il avait une figure ronde aux traits accusés.

-Je suis U'Tika, propriétaire et maître absolu de cette planète. Je constate que vous vous êtes posés sans mon autorisation. Je vous ordonne de l'évacuer immédiatement.

-Je pense que vous commettez une légère erreur, répondit Marc poliment. Ce monde appartient à la Compagnie Minière Swenson.

-Plus maintenant! J'ai acheté cette terre et tous les droits d'exploitation au capitaine A'Kin !

-Disons donc qu'A'Kin vous a vendu un bien qui ne lui appartenait pas! Vous avez été victime d'un escroc.

Le solanien secoua la tête avec véhémence.

-Nullement! Je possède un contrat reconnu valable par l'ordinateur judiciaire de Solan. Si vous voulez le faire annuler, adressez-vous au Grand Tribunal de Solan! En attendant une éventuelle décision, je vous ordonne d'évacuer ma planète, sinon je me verrai contraint d'utiliser la force.

-Oseriez-vous attaquer un croiseur de la Sécurité Galactique?

U'Tika balaya l'objection.

-La Sécurité Galactique n'a aucunement le droit d'intervenir en un lieu qui dépend de la seule autorité de Solan ! Son bâtiment sera donc considéré comme un vaisseau pirate.

Marc réfléchit rapidement et grimaça un sourire.

-Vous ne nous laissez guère de choix. Nous allons décoller immédiatement.

L'autre secoua la tête.

-Il n'en est pas question ! Les astronefs posés sur ma planète sans mon autorisation sont, d'après les lois de Solan, ma propriété. Vous prendrez place dans des modules qui gagneront un de mes appareils. Ce dernier vous déposera sur le monde de l'Union Terrienne de votre choix! Après discussion entre les plus hautes autorités, le croiseur de la Sécurité Galactique lui sera peut-être restitué.

-Quelles garanties nous proposez-vous? soupira Marc.

Un sourire débonnaire éclaira le visage d'U'Tika.

-Ma parole, naturellement!

La réponse claqua aussitôt, sèche, méprisante.

-C'est insuffisant ! Je ne risquerais pas un dol sur elle!

La colère déforma les traits du solanien.

-Je vous laisse trois heures pour évacuer vos appareils. Passé ce délai, j'ordonnerai d'ouvrir le feu ! Maintenant, je veux parler au capitaine A'Kin, puisque je vois que son appareil est encore là !

-Ce sera difficile ! Il grille en enfer. Vous ne tarderez d'ailleurs pas à l'y rejoindre si vous persistez dans vos intentions belliqueuses.

U'Tika haussa les épaules.

-Trois heures! Pas une minute de plus! conclut-il avant de couper la communication.

Le visage de Parker remplaça sur l'écran celui du Solanien. Des plis profonds barraient son front.

-J'ai enregistré votre communication, Stone, et j'ai rendu compte à l'amiral Neuman. En raison des risques d'incident diplomatique, il doit en référer au Président, il nous demande de gagner du temps.

Une heure s'écoula, chargée d'inquiétude. Miss Swenson et Larsen avaient rejoint les astronautes. Enfin, Parker appela à nouveau. Il paraissait soucieux.

-Le Président, informé par Neuman de notre situation, est furieux. Il a lancé un ultimatum à Solan. Les autorités ont essayé de noyer le poisson en affirmant que leur gouvernement ne pouvait intervenir dans une simple affaire commerciale. Les solaniens proposent de nommer une commission regroupant des membres de toutes les planètes de l'Union Terrienne. Ils savent que cela demandera des semaines. Cette commission, si elle est enfin constituée, ne pourra que confirmer la possession à l'équipe qui occupera la planète. Le Président le sait, c'est pourquoi il nous demande de résister le plus longtemps possible. Des navires de la Sécurité Galactique sont en route pour nous épauler, mais ils n'arriveront pas avant quarante-huit heures au plus tôt ! Je crains que nous ne puissions tenir aussi longtemps. Naturellement, cet ordre ne s'adresse qu'à moi. Vous êtes libres de fuir, si vous en avez l'opportunité. Le Président le souhaite même, pour que Miss Swenson puisse défendre ses droits devant les tribunaux.

-Merci, fit Marc, ironique, mais je ne crois pas que les solaniens nous laisseront nous éclipser.

Larsen, qui malmenait sa barbe, maugréa:

-Pourquoi le colonel ne décolle-t-il pas ? A lui seul, son croiseur est de taille à venir à bout de ces trois astronefs.

Ce fut Yuko qui répondit, d'une voix très calme, comme si cela ne le concernait aucunement. Désignant trois points brillants sur l'écran radar, il expliqua :

-Les vaisseaux solaniens sont sur une orbite géostationnaire qui les fait rester constamment au-dessus de nous. Or, pour s'arracher à l'attraction d'une planète, un vaisseau a besoin de la totalité de l'énergie de son générateur, ce qui l'oblige à couper momentanément son champ de force. Une seule salve de missiles suffit alors pour le pulvériser. Les solaniens le savent. C'est pourquoi ils gardent cette position.

-Et si nous ne bougeons pas?

-Il leur suffira de nous tirer dessus jusqu'à ce que nos générateurs soient épuisés. S'ils ne l'ont pas encore fait, c'est qu'ils espèrent que nous capitulerons. Un bombardement intense rendrait cette zone radioactive pendant quelque temps, ce qui retarderait l'exploitation du gisement de narum.

-Dans les deux cas, soupira Parker, nous serons morts avant l'arrivée des renforts. Tout au moins, aurons-nous la satisfaction de savoir que nous serons vengés!

-Il existe peut-être une autre solution, glissa Marc.

-Laquelle?

Sans répondre au colonel, le jeune homme montra l'écran de visibilité extérieure à Larsen et demanda :

-Que discernez-vous à l'horizon?

-il se prépare une sacrée tempête de sable. Elle sera sur nous dans moins d'une demi-heure.

-Je vous remercie de cette confirmation, sourit Marc. Colonel, je compte profiter de la tempête pour décoller. Les solaniens ignorent que le sable d'Elsa a pour particularité de troubler les radars. Ils nous perdrons ainsi de vue pendant quelques minutes.

La lueur d'espoir qui avait brillé un instant dans le regard de Parker s'éteignit lorsqu'il consulta les données de l’ordinateur-pilote.

-C'est impossible! Le nuage ne dépasse pas trois mille mètres d'altitude. Vous n'aurez pas le temps d'obtenir une vitesse suffisante pour rebrancher votre écran protecteur. De plus, vous aurez alors à affronter seul trois astronefs!

L'argument ne parut pas ébranler Marc.

-Je pense cependant y parvenir. Une fois dans l'espace, je prendrai l'ennemi à revers. Cela devrait assez le surprendre pour que vous ayez une possibilité de décoller, ou tout au moins de couper votre champ protecteur, le temps d'envoyer quelques salves de missiles.

Parker secoua la tête.

-Si jamais vous arrivez à vous échapper, les ordres du Président sont formels. Vous devez plonger immédiatement dans le subespace et regagner la Terre.

-Nous aviserons à ce moment-là! Bonne chance, colonel.

Larsen, qui surveillait l'écran de visibilité extérieure, annonça:

-Le nuage arrive. Le croiseur n'est déjà plus visible.

Se tournant vers Yuko, Marc marmonna:

-Commandant, je vais vous demander de laisser piloter Ray. Lui seul pourra effectuer la manoeuvre que je désire.

-Je connais ses qualités, acquiesça l'asiatique avec un sourire.

L'androïde se manifesta alors psychiquement :

-C'est de la folie, Marc. J'ai vérifié les calculs de Parker, ils sont malheureusement exacts ! Nous n'avons aucune chance de réussir.

-Pas de défaitisme, ironisa Marc. Nous allons faire preuve d'imagination. Tu décolles, mais tu restes à l'abri du nuage jusqu'à ce que nous ayons parcouru un quart du méridien. Nous serons alors hors du champ des radars adverses.

-Il faudra voler pendant des heures à moins de deux mille mètres d'altitude, protesta Ray. C'est un truc à s'écraser sur la moindre montagne!

-Je fais confiance à ta mémoire topographique. Mets les propulseurs en route ! Maintenant, si tu as une autre solution à proposer, je t'écoute.

-Tu sais bien qu'il n'y en a pas, maugréa Ray. Mais à toujours tenter le diable, on se retrouve un jour en enfer!

Le sifflement des moteurs s'éleva bientôt, augmenta d'intensité. Chacun se crispait dans l'attente d'une accélération brutale. Etonnée de ne rien ressentir, Elsa interrogea Marc du regard. Comme il semblait ne pas comprendre, elle demanda:

-Aurais-tu renoncé?

Un peu à regret, Marc expliqua la manoeuvre. Yuko resta imperturbable. Seules quelques gouttes de sueur perlèrent sur son front, car il savait les dangers d'un tel vol au ras du sol.

-Ingénieux mais bien peu classique, murmura-t-il.

Une heure durant, le même nuage laiteux colora l'écran de visibilité extérieure. Le brouillage des ondes radar ne permettait pas aux solaniens de les repérer, mais Marc ne pouvait savoir s'ils n'avaient pas modifié leur position.

-Attention, avertit Ray, nous allons réellement décoller. Espérons que ton calcul est exact, Marc.

L'accélération brutale cloua les passagers sur leur siège. Elsa ne put retenir un gémissement. Le premier, Marc parvint à récupérer une vision normale, tandis que la pensée joyeuse de Ray s'infiltrait dans ses neurones.

-Nous avons réussi ! Les autres ne nous ont pas encore repérés. Si nous maintenons notre accélération, nous serons hors de portée de leurs missiles dans trois minutes, et nous pourrons plonger dans le subespace.

Marc prit sa décision en une fraction de seconde.

-Il n'est pas question d'abandonner Parker et de laisser tomber le gisement de narum aux mains des solaniens. Ce métal est trop important pour la Terre.

Une mimique désolée très humaine se peignit sur le visage de l'androïde.

-A peine as-tu échappé à un danger que tu en recherches un autre.

Marc ignora la remarque et ordonna seulement :

-Fais le tour de la planète en prenant de l'altitude et prépare plusieurs salves de missiles.

-C'est déjà fait ! Je me doutais que tu n'entendrais pas la voix de la raison.

Quelques minutes plus tard, les trois appareils solaniens apparurent sur l'écran radar, ils avaient conservé la même trajectoire, n'ayant pas encore enregistré le décollage du Neptune.

-Comment procédons-nous, Marc?

Le capitaine désigna un des points sur l'écran.

-Concentre le tir sur celui-là. Les torpilles expédiées, vire de 30 degrés comme si nous voulions fuir. Attention! Feu!

Les missiles jaillirent de la coque à cadence accélérée. Revenus à eux, les terriens suivaient l'évolution du combat. Surpris par l'apparition d'un astronef qu'ils n'avaient pas détecté, les solaniens perdirent plusieurs précieuses secondes. Sept missiles purent être envoyés avant qu'ils réagissent.

Déjà, Ray avait viré, lançant les propulseurs à pleine puissance.

-Commandant Yuko, essayez de contacter Parker et informez-le de notre situation, demanda Marc.

-Les solaniens ripostent, et ils ne ménagent pas leurs munitions, annonça Ray. Ces engins sont rapides. Ils nous auront atteints avant que nous ayons acquis une vitesse suffisante pour plonger dans le subespace.

Douze missiles se dirigeaient vers le Neptune. Il en émanait une impression de puissance maléfique. Sur un écran latéral, Marc suivait la course de ses propres engins.

-Impact dans quatre secondes, dit Ray.

L'écran protecteur de l'aviso solanien s'illumina sous le choc des deux premiers missiles. Anxieusement, Marc comptait: trois, quatre, cinq...

-Pourvu que cet astronef n'ait pas un générateur renforcé, murmura-t-il.

La sixième torpille acheva d'épuiser le générateur. La dernière parvint au contact de la coque, déclenchant l'apparition d'un gigantesque nuage irisé.

-Un appareil ennemi détruit, commenta Yuko à l'intention de Parker. Un autre se lance à notre poursuite ; vous n'en avez plus qu'un au-dessus de vous!

Marc, les sourcils froncés, appréciait la distance qui le séparait des missiles adverses.

-Ray, amorce un large virage qui nous ramène droit sur l'aviso. Dès qu'il sera dans ton angle de tir, lance des missiles un par un, pour l'obliger à garder son écran à pleine puissance et l'empêcher de riposter. Manoeuvre comme si tu voulais le heurter de plein fouet!

L'androïde obéit. Malgré les anti-grav fonctionnant à plein régime, les terriens crurent que leurs yeux allaient jaillir des orbites.

-Manoeuvre exécutée, annonça Ray. Nos poursuivants ne nous lâchent pas et gagnent sur nous.

Refoulant une nausée, Marc se redressa. Maintenant, les deux vaisseaux se dirigeaient l'un vers l'autre à une vitesse terrifiante. L'écran de l'appareil solanien encaissa facilement la première torpille. L'arrivée imminente de la deuxième empêcha toute riposte.

-Missiles à 15 000 mètres, annonça la voix métallique de l'ordinateur... dix mille... sept mille... cinq mille.

-Veux-tu réellement que nous le heurtions ? demanda Ray, très inquiet.

-Non, mais je veux lui en donner l'impression. Tu vois? Il ralentit déjà ! Tu décrocheras au dernier instant.

-Boucle bien tes ceintures, tu va être méchamment secoué.

L'image de l'astronef solanien occupait tout l'écran de visibilité.

-Missiles à deux mille... mille mètres... cinq cents...

-Maintenant! hurla Marc.

La manoeuvre fut d'une extraordinaire brutalité. Marc perdit connaissance, et les superstructures du Neptune gémirent lugubrement.

L'appel angoissé de Ray tira le jeune homme de son inconscience.

-Réponds-moi! Comment te sens-tu?

-A peu près aussi frais qu'un hareng saur oublié au fond de son tonneau à l'époque de la marine à voile. Où en est la situation?

-Ton idée était amusante. Les missiles qui nous suivaient ont été leurrés. Ils n'ont pas eu le temps de modifier leur trajectoire et ont heurté l'écran du solanien, qui n'a pas résisté plus de dix secondes. (Désignant un nuage coloré par les reflets du soleil, Ray continua :) Voici tout ce qu'il en reste! On peut appeler cela un retour heureux à l'expéditeur.

-Où est le troisième?

-Ne t'inquiète pas! Parker s'en occupe. Il a tiré une salve de missiles. Ensuite, profitant de ce que son adversaire, obligé de garder son écran à un haut niveau de puissance, ne pouvait riposter, il a décollé. Il est maintenant sur orbite, et le solanien a fort à faire.

Marc régla son écran pour obtenir une vue des deux bâtiments. Le croiseur de la Sécurité Galactique ne tarda pas à imposer sa puissance de feu, et le dernier astronef ennemi se volatilisa. Marc poussa un immense soupir de soulagement. Se redressant, il annonça:

-Je prends les commandes, Ray. Occupe-toi de nos amis. Ils ont besoin de soins.

CHAPITRE XVII

Pâle et le visage couvert de sueur, Elsa effectua quelques pas chancelants, soutenue par Ray. De vigoureux jurons traduisirent le retour à la conscience de Larsen. Yuko, très digne, se laissa tomber sur le siège voisin de celui de Marc. En silence, il consulta les données de l'ordinateur puis murmura:

-J'ai bien cru venu le moment de rejoindre mes nobles ancêtres.

Elsa, qui retrouvait rapidement son énergie, éclata de rire

-Apparemment, nous sommes toujours vivants. Pour m'en assurer, je pense qu'un verre serait le bienvenu.

-Excellente suggestion, grogna Larsen. Je m'occupe du service.

Il revint rapidement, avec des gobelets et une vénérable bouteille de scotch. Elsa leva sa timbale.

-Buvons à la santé du capitaine Stone, le meilleur pilote de la galaxie. Toutefois, je ne lui recommanderais pas de conduire un astronef civil.

Sa compagnie n'aurait plus un seul passager en un temps record.

Un appel de Parker interrompit les libations. Fait exceptionnel, le colonel arborait un sourire radieux.

-Capitaine Stone, vous m'étonnerez toujours ! Je ne comprends pas encore comment vous avez réussi à décoller alors que l'ordinateur pilote affirmait que c'était impossible. Avec la tempête, mon radar n'a pu suivre votre manoeuvre.

-Il suffisait d'un vol en rase-mottes de quelques milliers de kilomètres, sourit Marc. Ray est un spécialiste.

La mine effarée du colonel arracha des sourires aux occupants du poste. Seul Yuko bougonna:

-Il est heureux que quelqu'un comprenne enfin l'extravagance d'une telle action. Avec Stone, cela semble tellement naturel que je commençais à avoir des doutes.

Elsa le rassura d'un regard:

-Je sais que vous êtes un des meilleurs pilotes de la galaxie. C'est pourquoi je vous ai choisi, et j'espère avoir le plaisir de vous garder très longtemps.

Marc profita de l'euphorie générale pour glisser :

-Les manoeuvres en altitude consomment beaucoup d'énergie. Je pense qu'il serait utile que vous nous fournissiez une recharge pour le générateur et que vous renouveliez notre stock de missiles ; au cas où d'autres astronefs auraient des intentions belliqueuses.

-Entendu, je donne immédiatement les ordres nécessaires.

***

Parker avait rejoint ses compagnons dans le poste de pilotage du Neptune.

-Le chargement des missiles est en cours, annonça-t-il. J'ai fait mon rapport à l'amiral Neuman. Le président est enchanté de cette conclusion rapide qui évite une longue explication juridique, il est probable que les solaniens n'insisteront pas. Toutefois, pour éviter le renouvellement de tels incidents, il a été décidé que la Sécurité Galactique installerait une base permanente sur Elsa.

-Cela ne risque-t-il pas de créer un précédent ? Tous les exploitants de planète inhabitée pourront réclamer le même traitement, s'étonna Miss Swenson.

-Officiellement, il ne s'agit que de renforcer nos stations d'écoute dans ce secteur de la galaxie. En outre, la découverte de créatures intelligentes sur Elsa modifie radicalement les données du problème. Le Président souhaite que ces êtres demandent une association à l'Union Terrienne, ce qui réglera définitivement le problème. Il charge le capitaine Stone d'entamer les négociations avant même l'arrivée d'une mission officielle.

-Si je comprends bien, ironisa Marc, ma permission est prolongée.

-Nullement ! Vous êtes détaché par le S.S.P.P. au Ministère des affaires Galactiques pour une durée indéterminée.

-Voilà une excellente nouvelle, sourit Elsa. Cela nous permettra de rester plus longtemps ensemble.

-L'affaire est terminée. Ne veux-tu pas regagner la Terre immédiatement?

-Il n'en est pas question! Je tiens à ce que l'exploitation de narum reprenne le plus rapidement possible. Cela trainera moins si je reste sur place !

Un jeune officier pénétra dans le poste de pilotage, bien sangle dans son uniforme noir. Il salua d'une manière impeccable.

-Le transfert est terminé, mon colonel. L'équipe attend vos ordres.

-Très bien, lieutenant, nous retournons sur l'Orion.

Elsa intervint avec un sourire.

-Avec votre permission, colonel, j'aimerais vous offrir un scotch, ainsi qu'à ce jeune homme ; pour célébrer notre victoire.

-C'est surtout celle de Stone, répondit Parker, avec un soupçon de regret dans la voix.

Marc s'empressa de préciser:

-Nullement! Nous avons chacun effectué notre part de travail. C'est ce que je ne manquerai pas de souligner dans mon rapport.

Avec grâce et rapidité, Elsa procura un verre à ses hôtes. L'air gêné, le jeune officier s'adressa à Marc:

-J'étais de permanence au radar qui a enregistré vos évolutions dès que nous avons émergé du nuage de sable. A l'école d'astronautique, on m'a expliqué qu'il était impossible de se débarrasser de missiles poursuivants sans plonger dans le subespace. Votre manoeuvre n'a encore jamais été décrite.

-C'est pour cela qu'elle a réussi, répondit Marc. Mais je doute qu'elle soit admise par l'Etat- major.

-Les ordinateurs l'ont cependant enregistrée, intervint Parker, que le whisky humanisait. Les stratèges qui l'étudieront attraperont certainement de sacrées migraines. Il leur faudra au moins une vingtaine d'années pour arriver à la comprendre !

Miss Swenson lança soudain:

-Je souhaite atterrir sur la planète. Nous accompagnerez-vous, colonel?

-C'est hors de question! Je ne veux pas me laisser piéger une seconde fois. Je resterai en couverture jusqu'à l'arrivée de nos renforts.

-Voilà qui est rassurant. (Se tournant vers Yuko, elle ajouta :) Commandant, dès que le jour se lèvera sur la région de la mine, vous poserez le Neptune.

-Il faut attendre une dizaine d'heures, mademoiselle.

-Je pense que nous avons tous mérité un peu de repos. Bonne nuit, messieurs.

Elle gagna la cabine-salon, suivie de Marc, et se laissa tomber dans un fauteuil-relax.

-Maintenant, je puis bien avouer que je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie, soupira-t-elle.

-J'ai éprouvé la même impression.

Un petit sourire étira les lèvres de la jeune femme.

-Je pense qu'un passage au bloc sanitaire s'impose pour nous débarrasser de toute la sueur qui nous colle à la peau.

-Comment envisages-tu la suite des événements ?

Elsa émit un petit rire de gorge.

-Je te l'expliquerai lorsque nous serons dans ma cabine!

CHAPITRE XVIII

Lorsque Marc, reposé et détendu, pénétra dans le poste de pilotage, Elsa était en grande conférence avec Yuko et Larsen. Le commandant posait le Neptune avec une grande douceur, comme s'il avait voulu faire oublier les violentes manoeuvres de la veille.

-Voilà, disait Elsa, une nouvelle équipe se rassemble. Elle sera ici dans cinq jours. En outre, je me suis mise en rapport avec le Muséum. Les spécialistes en exobiologie ont été fort intéressés par les enregistrements de Ray. Une mission sera envoyée pour étudier les créatures qui vivent dans ces sables glacés. Je ne veux pas renouveler mon erreur initiale, et je souhaite une étude complète de la faune.

Larsen, qui se dandinait lourdement, demanda:

-Que dois-je faire? Mon contrat ne se termine que dans trois mois.

-Compte tenu des événements pénibles que vous avez vécus, je pense que vous avez mérité de vous reposer. (Voyant que la proposition ne semblait pas plaire à son interlocuteur, Elsa ajouta :) Si vous le souhaitez, je serai très heureuse de vous confier la direction de la nouvelle équipe. Votre expérience sera fort utile.

Le rude visage s'éclaira d'un sourire.

-Merci, Miss Swenson. Avec votre autorisation, je vais inspecter le baraquement détruit pour voir ce qu'on peut en tirer. Ensuite, j'irai à la mine vérifier que le matériel n'a pas souffert de l'interruption de l'extraction.

-Je n'osais vous le demander. Naturellement, pendant votre nouveau séjour, votre salaire sera doublé.

Larsen sortit du poste de pilotage tout souriant, tandis que Marc annonçait:

-J'ai besoin d'un hélijet pour rendre visite à mes amis. N'oublie pas que le Président m'a nommé ambassadeur officieux.

Elsa esquissa une petite grimace.

-Prends garde à toi. Reste en communication permanente avec Yuko. Un trans armé sera paré en permanence, pour le cas où tu ferais une rencontre désagréable.

-Ne t'inquiète pas, Ray m'accompagne.

-Il s'est laissé piéger par une araignée de cristal ! Au fait, si Elsa devient un territoire associé à l'Union Terrienne, il faudra négocier rapidement un traité d'exploitation du narum. Il serait fort désagréable qu'un concurrent nous prenne de vitesse en proposant de meilleures conditions.

A cette idée, Marc éclata de rire.

-Il n'y a aucun danger! Ces créatures sont foncièrement honnêtes, et tu oublies que je suis un des très rares individus à pouvoir communiquer avec elles!

***

-Les terriens sont des êtres bien étranges, émit l'interlocuteur de Marc. (Ce dernier avait gagné la profonde caverne qui abritait le lac souterrain, et il avait entrepris de narrer ses aventures.) Je suis heureux que tu aies fini par triompher.

-En grande partie grâce à ton aide, ami. Les sphères explosives de tes ancêtres m'ont été très utiles.

-Avec mes compatriotes, nous allons réfléchir à la proposition de ton Président. Je crois que nous accepterons une association avec votre confédération. Naturellement, les tiens peuvent continuer à extraire ce métal qui vous intéresse tant.

Marc réprima un sourire.

-C'est très aimable à toi. Que souhaites-tu en échange ?

-Rien, puisque ce minerai ne nous est d'aucune utilité et est même toxique pour nos organismes.

-Tu es très généreux, mais il serait malhonnête de ma part d'accepter. Les terriens peuvent apporter beaucoup à ton peuple. Pense à tous ceux qui restent en surface sous forme de spore.

La créature manifesta un vif intérêt.

-Qu'envisagerais-tu?

-Nous pourrions creuser des galeries au niveau de certaines nappes phréatiques et installer des générateurs de chaleur et de lumière artificielle. Ensuite, nous recueillerions toutes les pierres d'Elsa, qui pourraient ainsi renaître.

La pensée se fit nostalgique.

-Une nouvelle chance pour mon peuple!... Si nous parvenons à être assez nombreux, nous pourrons poursuivre seuls notre développement. Ton offre est très généreuse.

De retour sur le Neptune, Marc raconta à Elsa son entrevue dans la caverne. Plus il progressait dans son récit, plus il était gêné. N'osant regarder la jeune femme, il acheva:

-Je sais que ma promesse d'aide coûtera très cher en matériel et en transport. Aussi ai-je pensé, pour dédommager ta compagnie et éviter de léser les autres actionnaires, que je pourrais abandonner toutes mes actions.

Miss Swenson resta un instant silencieuse, les sourcils froncés, puis elle éclata subitement d'un rire joyeux.

-Un poète, s'exclama-t-elle. Le dernier des poètes ! Pour aider ceux qu'il considère comme des amis, il n'hésite pas à sacrifier une fortune!

-Alors, tu acceptes? demanda Marc soulagé.

-Non ! Cent fois non ! (Le visage de Marc se figea, tandis qu'elle ajoutait, ironique :) Pour obtenir l'exclusivité de l'exploitation minière, j'étais prête à payer bien plus cher. Et en fait, cela ne me coûtera rien ! (Devant l'air interloqué de Marc, elle poursuivit :) Tu n'as guère eu la possibilité de suivre les événements boursiers, ces derniers temps.

-Ce n'était pas ma préoccupation majeure, ironisa-t-il.

-Malgré toutes nos précautions, l'histoire des pierres vampires est parvenue à la presse et aux télévisions, qui se sont empressées de la diffuser : ce type de nouvelles mystérieuses, surnaturelles et sanglantes fait toujours recette ! Cela a entraîné une baisse sensible des actions de notre société. Lorsque les revendications d'A'Kin ont été connues, ça a tourné à la catastrophe : les cours se sont effondrés.

Après notre victoire, tandis que tu te prélassais dans le bloc sanitaire, j'ai réalisé que j'étais encore la seule, avec Neuman et le Président, à connaître le fin mot de l'histoire. J'ai donc ordonné à mon banquier de procéder à un rachat massif de tous les titres disponibles. (Avec une mine gourmande, elle conclut:) Lorsque la nouvelle de la reprise de l'extraction du narum se répandra, les cours vont s'envoler, et le bénéfice sera suffisant pour acheter le matériel promis.

Marc emplit deux verres et leva le sien.

-A la santé de la plus jolie femme d'affaires de la galaxie! Ces problèmes boursiers sont trop compliqués pour moi.

Elsa effleura ses lèvres d'un baiser.

-Il est temps que quelqu'un prenne soin de tes intérêts !

Un instant plus tard, Marc questionna, malicieux :

-Que penseraient tes austères boursiers s'ils te voyaient en ce moment perdre ton temps avec un jeune et-sémillant capitaine?

-Ils imagineraient que j'effectue un placement, et ils se disputeraient pour t'acheter!

FIN