CHAPITRE XI

Le banquet offert par le roi se déroulait dans la joie, en apparence tout au moins. Luko, Spartack et une dizaine d'anciens esclaves mangeaient et buvaient sans réserve, se souvenant des durs moment passés. Marc sentait peser sur lui les regards d'une douzaine d'autres courtisans, jaloux et intrigués, se demandant sans doute qui était ce personnage qui semblait avoir une si grande influence sur le trop jeune roi. Les plus astucieux lançaient grands sourires et invitations.

Burk fit honneur au repas mais sut modérer sn appétit, confiant à Marc :

-Il ne serait pas convenable d'inaugurer mon règne par une indigestion.

Enfin, il se leva, lançant à l'assistance :

-Je souhaite que vous continuiez à vous amuser, messires. Pour moi, la journée fut rude, et j'aspire au repos.

Profitant de l'euphorie générale, un nobliau court de jambes et au torse puissant s'approcha du Terrien.

-Je sais que le roi écoute vos sages conseils. Aussi, je pense que nous pourrions facilement nous entendre. (Baissant la voix, il poursuivit :) J'étais le responsable de la vente des esclaves. Une lourde charge, qui n'est pas sans laisser quelques bénéfices. Je pourrais vous faire profiter de mes connaissances en la matière. Une association nous serait très profitable, n'en doutez pas.

Marc éclata d'un rire sonore.

-Je crains qu'il ne vous faille trouver une autre source de revenus. L'esclavage a été aboli, et notre souverain m'a fait l'honneur de me charger d'appliquer ces nouvelles mesures. Nous allons donc pouvoir commencer immédiatement. D'abord, qui fournissait les colliers ?

-Le premier serviteur du roi !

-Comment peut-on les ouvrir ?

-Il faut une clé spéciale, dont je suis le seul dépositaire.

-Excellent ! Vous allez vous rendre en ville sur l'heure et commencer à libérer les malheureux prisonniers. Puis demain, vous partirez accomplir la même besogne partout où vous en avez vendus.

La mine indignée, l'homme s'écria :

-C'est une besogne indigne de moi ! Je refuse !

Il se levait quand Marc le retint fermement par le bras. Désignant le groupe des anciens esclaves qui festoyaient, il murmura :

-Ne faites pas de scandale ! Voulez-vous que je leur révèle que vous avez touché de l'argent grâce au collier qui leur a été passé autour du cou ? Ils en ont tous conservé un très mauvais souvenir... Le baron Spartack est d'un caractère emporté, et il est capable de vous étriper avant que nous ayons pu l'en empêcher.

La menace fit blêmir le prétentieux. Marc appela d'un geste un de ses compagnons, qu'il avait remarqué en forêt pour sa taille et son énergie.

-Vous m'avez mandé, messire Marc ?

-Vous allez escorter le baron. Il possède le moyen d'ouvrir les colliers. S'il mettait une certaine mauvaise grâce à remplir sa mission, je vous autorise à... lui trancher la gorge !

Le regard de l'ex-captif brilla un instant. Il posa son énorme main sur l'épaule du nobliau, qui chancela sous le poids.

-Venez, messire, nous avons une lourde tâche à accomplir. (D'une voix très douce, il ajouta, en désignant un sillon violacé qui barrait son cou :) Là-bas, sur le chantier, j'ai juré d'étrangler ceux qui m'avaient infligé ce supplice. Vous comprendrez donc qu'il me sera très agréable d'exécuter les ordres de messire Marc.

Le festin se poursuivit longtemps encore. Repu, Marc sentait une douce somnolence l'envahir. Heureusement, les convives, après avoir porté de nombreux toasts au roi et à la victoire, commençaient à donner des signes de fatigue. Deux d'entre eux s'écroulèrent sur la table et s'endormirent aussitôt. Seul Spartack semblait insensible aux effets de l'alcool. Lorsqu'il le jugea possible sans risquer de vexer ses amis, Marc s'éclipsa.

Ce fut avec un plaisir immense qu'il s'allongea sur la couche pourtant dure. Peu confiant dans les capacités de ses compagnons pour cette nuit, il avait envoyé Ray surveiller les remparts.

Des coups timides frappés à sa porte le firent se redresser. Un garde passablement intimidé passa la tête par l'entrebâillement du battant.

-Monseigneur, je suis navré de vous déranger, mais une bourgeoise veut absolument vous voir. Elle affirme que c'est très important.

-Faites-la entrer !

Une jeune femme s'avança, emmitouflée dans une grande cape. Elle se jeta aux pieds de Marc.

-Monseigneur, mon mari et moi vous supplions de nous pardonner !

-Dame Mina ! s'exclama Marc, reconnaissant soudain sa visiteuse. Pourquoi cet empressement nocturne ?

-Nous implorons votre indulgence... (Il essaya de la relever, mais elle s'obstina à rester à genoux.) Ne nous tenez pas rigueur...

-Cessez, je vous en prie. Que dois-je vous pardonner ? J'ai gardé le meilleur souvenir de votre hospitalité !

-Depuis que nous avons appris la nouvelle de l'avènement du nouveau roi, mon époux est très inquiet. Nous n'avons pas été très aimables avec Burk. Un jour, nous lui avons même reproché sa nourriture. Si nous avions pu prévoir...

-Rassurez-vous. Demain, je verrai le jeune roi, et je puis vous affirmer que loin de vous en vouloir, il vous témoignera sa gratitude. Vous pouvez vous en retourner l'esprit en repos.

La jeune femme secoua la tête.

-Il y a pire ! Je vous ai frappé. Mon mari et nos voisins le savent. Comme j'avais dit que c'était sur leur conseil, tous sont anxieux...

Marc partit d'un grand rire.

-J'avais oublié ce détail. N'en parlons plus.

-Non, je dois expier ma faute.

Rejetant sa cape, elle tendit à Marc le fouet à six lanières qu'il saisit machinalement. Puis elle dégrafa sa robe, dénudant son dos jusqu'au bas des reins.

-Mon mari pense que vous devez me fouetter aussi longtemps et aussi souvent que vous le souhaitez.

-Je ne veux pas...

-Il a dit aussi que si vous nous refusiez l'honneur de me punir, il me flagellerait tous les matins devant notre boutique jusqu'à ce que vous lui ordonniez d'arrêter.

-Ce sont des enfantillages... (La vue du corps svelte, à demi dévêtu, émouvait Marc. Il enlaça Mina et la releva.) Puisque tu penses me devoir une réparation, j'ai une meilleure idée...

Il l'embrassa doucement. Elle lui rendit, son baiser avec fougue, et ils basculèrent sur le lit.

Beaucoup plus tard, quand ils eurent récupéré leurs esprits, Marc se redressa, prenant appui sur un coude.

-Maintenant que tu as subi bravement ta punition, tu pourras affirmer que j'ai pardonné.

-C'était une récompense, murmura-t-elle, la tête posée sur la poitrine du Terrien. Je n'avais jamais connu un tel bonheur ! Mais pour les rassurer, tu dois me battre. (Devançant le refus de son amant, elle ajouta :) Je t'en prie ! Juste quelques coups, avec des marques bien visibles. Ainsi, je pourrai les exhiber fièrement. Je t'assure que c'est indispensable : sinon, mon mari ne voudra pas me croire, et il me frappera. Or, il a la main lourde...

-Il te bat ?

-Seulement lorsque j'ai commis de grosses fautes.

-Tu ne sembles pas lui en vouloir.

-En aucune façon. Ce qu'il m'inflige, je l'ai toujours mérité.

Roulant sur elle-même, elle se retrouva à plat ventre.

-Commence aux épaules et descends jusqu'au creux des reins. Il serait bien que les traces se croisent.

Marc lui administra trois coups, juste assez fort pour strier de rouge son épiderme nacré.

-Comme toi, je ne peux pas plus !

-Tu es merveilleux.

-C'est la première fois que je fouette une femme, bougonna Marc, et il faut qu'elle me remercie !

Mina se retourna, se remettant sur le dos. Elle tendit les bras, le regard brillant, prouvant qu'elle n'était nullement hostile à l'ouverture d'un second round.

CHAPITRE XII

Debout au sommet du donjon, Marc scrutait l'horizon. Cinq jours s'étaient écoulés depuis la prise de la citadelle. Comme Burk l'avait prévu, le connétable lui avait rendu hommage en apprenant qu'il était le fils de Klir. Cette soumission avait entraîné celle de tous les autres féodaux, et la paix civile du royaume était assurée. Le comte Luko parlait de regagner sa bonne ville de Volfa, et Spartack se morfondait d'ennui. Il tentait d'initier le jeune roi à la chasse, mais Burk ne portait à cette distraction qu'un intérêt médiocre. Il préférait consacrer son temps à réorganiser le pays. La libération des esclaves n'avait guère posé de problème, le phénomène, apparu avec Warga, n'étant pas encore implanté dans les moeurs. Seuls quelques propriétaires terriens et des marchands avaient un peu grogné de se voir retirer une main-d'oeuvre gratuite. Mais, trop heureux de l'amnistie généreuse accordée par le roi, ils s'étaient bien gardés de manifester leur mauvaise humeur. Etant relativement peu nombreux, les anciens esclaves ne rencontraient pas de graves problèmes de réinsertion.

Burk avait tenu à se rendre en ville, expliquant qu'un roi devait se montrer s'il voulait être obéi. Escorté seulement de Marc, du connétable et de quelques barons, il avait sillonné les rues de la cité, attirant à chaque fois une foule de curieux. Il s'était naturellement rendu à la boutique de maître Urfus, où le gros commerçant, rouge de confusion, l'avait reçu avec force courbettes. Nala, libérée, avait décidé de rester au service de Mina.

-Chère Nala, s'était exclamé le souverain en arrivant, prépares-tu toujours de bonnes soupes ? J'en ai rarement mangé de meilleures !

Il avait regardé quelques étoffes avant d'annoncer :

-En remerciement de votre hospitalité, maître Urfus, j'ai décidé de vous nommer fournisseur officiel de la cour. Faites livrer au château plusieurs pièces de tissu. Messire Marc affirme que je dois me constituer une garde-robe convenable. (A mi-voix, il ajouta :) Attention ! Je veux un prix normal, et non un de ces tarifs exceptionnels que prônait messire Marc. Je connais bien la valeur des choses, et j'ai demandé à mon Grand Argentier d'être particulièrement vigilant sur les dépenses. C'est le meilleur moyen pour faire baisser les taxes ! (Clignant de l'oeil à l'intention de Marc, il conclut, ironiquement :) Ce n'est pas à moi qu'on apprendra à voler ! J'ai été un expert.

Marc contemplait toujours l'horizon. Espérant que la destruction des colliers priverait l'ennemi inconnu de renseignements, il attendait une réaction, mais elle tardait à venir. Si l'adversaire se terrait, il allait devoir le débusquer. Seulement, où fallait-il chercher ? Marc ne pouvait rester plusieurs mois sur Summa.

Un garde arriva, fort essoufflé par l'escalade des nombreuses marches du donjon.

-Sa Majesté vous demande, messire Marc.

Le Terrien avait noté que les soldats s'étaient facilement accoutumés à être commandés par un enfant. Dans le cabinet de travail du roi, Marc eut la surprise de voir dame Mina et Nala, entourées de tissus.

-Aidez-moi dans mon choix, messire Marc.

Ils étaient ainsi occupés à parler chiffons quand le connétable se fit annoncer. Son visage écarlate trahissait une vive émotion. Il était si troublé qu'il resta plusieurs secondes sans parvenir à articuler un mot.

-Sire... Sire... Warga... Il revient !

Burk lança rapidement aux deux jeunes femmes :

-Je prends tout le lot ! Portez-le aux chambrières.

Comprenant que leur présence était indésirable, Mina et Nala s'esquivèrent rapidement. Cet intermède avait permis au connétable de retrouver un peu de calme.

-Selon le conseil de Messire Marc, j'avais envoyé des patrouilles sur les trois routes qui mènent à Sila. Un messager vient d'arriver. Warga a levé une nouvelle armée et se trouve seulement à deux journées de marche de nous.

Le jeune souverain hocha la tête en disant :

-Je ne l'attendais pas si tôt. Connétable, rassemblez l'armée immédiatement. Faites-vous aider par le baron Spartack, qui a prouvé sa valeur. Que tout soit prêt pour demain matin. Nous marcherons à la rencontre du félon.

Kral sursauta de surprise.

-Vous voulez nous accompagner ?

-Si vous ne m'en jugez pas indigne, j'aimerais chevaucher à vos côtés !

-Cela risque d'être dangereux. Warga a montré qu'il était un rude combattant.

-Raison de plus ! Mon père m'a appris que les hommes se battent mieux lorsqu'ils savent leur roi parmi eux ! Allez, connétable, je compte sur vous !

Lorsque Kral fut sorti, Burk soupira :

-Le métier de roi n'a pas que des avantages ! Faites-moi le plaisir de dîner en ma compagnie, Marc. Notre dernier repas correct. Je me suis laissé dire que la cuisine des armées était des plus médiocres. Or, je commençais à prendre l'habitude de manger deux fois par jour, luxe qui m'a souvent fait rêver ces deux années.

Dans sa chambre, Marc eut la surprise de retrouver Mina.

-Mon mari vous prie d'accepter cette étoffe. Grâce au roi et à vous, notre boutique ne désemplit plus, et il nous faut renouveler notre stock.

Après un silence, elle ajouta, le visage soudain triste :

-Vous allez déjà repartir en guerre ?

-C'est la vie des chevaliers errants comme moi.

Mina s'approcha de Marc et murmura, le regard brillant :

-Avant cela, ne puis-je solliciter une autre punition ?

Le Terrien ouvrit les bras, et elle s'y blottit aussitôt.

***

-Sire, voici l'ennemi, annonça le connétable avec emphase.

Après deux jours de marche, l'armée royale avait presque rejoint les troupes adverses. Ces dernières, éclairées par le soleil levant, se tenaient au centre d'une plaine n'offrant aucun abri.

-Ils ne sont pas très nombreux, jubila le chef de l'armée. Une centaine tout au plus, et presque uniquement de la piétaille.

Les fantassins, alignés sur deux rangs, tenaient chacun un grand bouclier. Monté sur un cheval aussi massif que lui, Warga était nettement reconnaissable. Entouré de quatre cavaliers, il se tenait légèrement en retrait.

-Notre inconnu semble avoir une réserve d'androïdes identiques, émit Ray à l'intention de Marc.

-Discernes-tu d'autres robots ?

-Il semble être le seul...

Marc était soucieux. Cette nuit, il avait envoyé Ray en exploration aérienne pour s'assurer qu'il n'existait pas de renforts dissimulés aux alentours.

-Une charge de notre cavalerie les bousculera sans difficulté, affirma Kral. Dans moins d'une heure, Warga sera mort ou prisonnier !

-Qu'en pensez-vous, messire Marc ? questionna le jeune roi.

-J'aimerais savoir où se dissimule le piège !

-Que voulez-vous dire ? grogna Kral avec morgue.

-il ne faut jamais sous-estimer son adversaire. (Le connétable rougit violemment. C'était la phrase que lui avait lancée Warga, il n'y avait guère de temps !) L'ancien roi a prouvé qu'il était un habile stratège. Il sait que son armée est inférieure en nombre à la nôtre. Or, il est resté deux jours entiers à attendre, puisque c'est ici que les éclaireurs l'avaient signalé. Cela signifie qu'il souhaite que la bataille se déroule sur ce terrain. Je me demande donc pourquoi.

Le soleil commençait à chauffer. Un instant, un rayon lumineux frappa Marc. Les boucliers des fantassins adverses, fort bien astiqués, reflétaient la lumière.

Le baron Rikor, le visage déjà rubicond malgré l'heure matinale, s'écria :

-Tout ceci n'est que finasseries de clerc pour masquer la poltronnerie. Je vais montrer au roi ce qu'est le vrai courage. Chargeons !

Il éperonna vigoureusement sa monture, qui bondit en avant. Une vingtaine de cavaliers le suivirent. Heureusement, la voix de stentor de Spartack immobilisa le reste de la troupe.

Marc suivait avec intérêt la course du baron. Celui-ci n'était plus qu'à cent pas de l'ennemi. Les soldats de Warga inclinèrent leurs boucliers avec ensemble, réfléchissant les rayons solaires, et la rangée ennemie parut s'embraser. Les hommes lancés au galop parcoururent encore quelques mètres. Soudain, leurs montures se cabrèrent au milieu de hennissements de douleur. Avec stupeur, les gens du roi virent les vêtements de leurs compagnons s'embraser. Transformés en torches vivantes, les malheureux sautèrent à terre, coururent en tous sens puis s'effondrèrent sur le sol, se roulant dans la poussière. Après trois minutes, il ne restait plus de la ligne d'attaque que quelques chevaux qui s'enfuyaient.

Les yeux exorbités, livide, le connétable murmura d'une voix à peine audible :

-Quelle est cette diablerie ? Warga a conclu un pacte avec les puissances infernales !

-Non, intervint Marc. Les boucliers réfléchissent la puissance du soleil comme autant de miroirs, voilà tout.

Ray se manifesta psychiquement :

-C'est exact, à un détail près : ils renvoient une énergie vingt fois supérieure à celle qu'ils reçoivent !

-Que pouvons-nous faire ? demanda Burk.

Désemparé, Kral secoua la tête, manifestement dépassé par la situation. Marc, qui ne voulait pas que la panique s'empare de la troupe, lança aussitôt :

-Connétable, avec les fantassins, restez sur cette position. Le baron Spartack effectuera avec la moitié de la cavalerie un large mouvement tournant sur la gauche. J'agirai de même sur la droite avec l'autre moitié. Nous aurons alors le soleil en face et nous pourrons charger. Kral, si l'ennemi venait à avancer, n'hésitez pas à reculer. Conservez toujours trois cents mètres d'écart. Il n'y a aucune honte à refuser un combat qui ne serait pas loyal.

Marc leva son épée, salua le roi et lança :

-Baron Spartack, n'oubliez pas de rester toujours face au soleil.

Tout en chevauchant à côté de Marc, Ray émit :

-Espérons que l'androïde n'a pas gardé en réserve une autre surprise.

-En bonne logique, il devait supposer que l'ensemble de la cavalerie chargerait, ce qui aurait provoqué un massacre. Cet imbécile de baron a au moins servi à quelque chose en obligeant Warga à dévoiler son piège.

La troupe menée par Marc arrivait maintenant sur le flanc de l'ennemi. Le Terrien, jetant un coup d'oeil au soleil, estima être à l'abri des reflets meurtriers.

-Souhaitons que ces objets ne soient pas pourvus de générateurs autonomes trop puissants.

Warga avait vu le danger. Il modifia son dispositif pour protéger ses flancs et ordonna d'avancer. Suivant les conseils de Marc, le connétable fit reculer ses troupes d'autant. Voyant les boucliers brillants dirigés vers eux, certains cavaliers hésitèrent, ralentissant l'allure. Marc ne leur laissa pas le temps de réfléchir : il sonna immédiatement la charge.

-Augmente ton écran, émit Ray, on ne sait ce qui peut arriver.

Pour une fois, les craintes de l'androïde s'avérèrent vaines. Le premier rang des fantassins du renégat fut facilement enfoncé. Marc se débarrassa d'un soldat qui s'était suspendu aux rênes de sa monture, laquelle heurta le second rang. Celui-ci résista mieux. Le Terrien levait et abaissait sans cesse son épée, faisant volter sa bête, bousculant ses adversaires. Il fut presque surpris de voir en face de lui Spartack, qui avait imité sa manoeuvre.

-Nous tenons la victoire, hurla le baron, qui s'efforçait de rejoindre Warga.

Deux des cavaliers qui entouraient ce dernier tentèrent de lui barrer la route ; ils s'effondrèrent bien vite sous ses coups.

Leur chef dut juger la situation désespérée car, se détournant, il s'enfuit au galop. Spartack tenta de le poursuivre mais fut rapidement distancé.

-Le baron n'a aucune chance de le rattraper, émit Ray. La monture est aussi un robot !

La fuite du chef eut le mérite de décourager ses partisans, qui mirent bas les armes. Marc dut modérer l'ardeur de Spartack peu enclin à faire quartier. Enfin, les prisonniers furent regroupés sous une garde solide.

-Nous devrions exterminer ces traîtres, gronda Spartack en donnant l'accolade à Marc.

-Prenons d'abord la peine de les interroger, répliqua son ami.

Désignant un soldat qui semblait avoir le regard vif, il reprit.

-Commençons par celui-là.

D'un signe, le baron fit amener le captif qui se jeta à genoux.

-Tu vas répondre à nos questions, sinon je jure de te trancher le cou sur le champ ! D'où viens-tu ?

-D'un village situé sur vos terres, messire. Il y a trois jours, le roi... enfin, celui que nous pensions être encore le roi, est venu. Il a rassemblé tous les hommes en âge de porter les armes.

-Pourquoi l'avoir suivi ?

-Il a menacé de pendre ceux qui refuseraient ! Nous avons marché longtemps, nous arrêtant dans d'autres bourgs afin de grossir nos rangs.

Spartack grogna, furieux :

-Ce maudit Warga a dépeuplé mes campagnes pour constituer son armée.

-Ensuite ? pressa Marc.

-Hier, le roi... enfin, l'usurpateur, nous a remis des piques, des épées et ces boucliers.

-Qui les avait apportés ?

-Je l'ignore, je vous le jure, messire. Le matin, lorsque nous nous sommes réveillés, ils étaient entreposés devant la tente du roi ! Il nous a longuement expliqué comment il conviendrait de les utiliser. Je n'ai pas compris, mais j'ai obéi. Je ne sais rien de plus. J'ai dit toute la vérité !

-C'est sans doute exact, murmura Marc. Les autres ne nous apprendront rien de plus. Je crois qu'il est temps de rejoindre le connétable. Il doit se morfondre.

La petite troupe se mit en marche, tandis que Ray expliquait psychiquement :

-J'ai examiné les boucliers. Le procédé est simple et astucieux. L'énergie solaire est captée et emmagasinée dans une sorte de condensateur. Lorsque les rayons lumineux sont intenses, elle est libérée.

-Notre adversaire fait preuve de modération, comme s'il respectait lui aussi la loi de non-immixtion. Tu mettras hors d'usage discrètement ces mécanismes, pour que nos amis ne soient pas tentés d'utiliser ces engins.

***

Le soir de la bataille, le roi réunit ses nobles pour un dîner improvisé.

-J'enrage encore d'avoir laissé échapper Warga, gronda Spartack.

-Sa monture était exceptionnelle, sourit Marc. Le meilleur de nos chevaux n'aurait pu soutenir cette allure.

Le connétable, vexé de n'avoir pas participé au combat, affirma d'un ton docte :

-Un homme seul n'est pas à craindre ! il sera contraint de se terrer, et nous n'en entendrons plus jamais parler.

-Qui sait ? murmura Marc.

Burk l'interrogea du regard. Il savait d'instinct que son ami était de meilleur conseil que tous les autres.

-Que proposeriez-vous, messire Marc ?

-Warga a attaqué en venant du nord-est. Le baron Spartack devrait retourner sur ses terres pour en assurer la surveillance. Cela éviterait que notre ennemi vienne y recruter d'autres hommes. De plus, en cas d'attaque, Spartack constituerait une première ligne de défense, qui donnerait le temps au connétable de réunir son armée et d'arriver à la rescousse.

L'idée reçut l'agrément du roi et des barons.

-Maintenant, reprit Marc, je vais remuer de douloureux souvenirs, et je prie le roi de m'en excuser. Si j'ai bien compris, Warga est apparu il y a trois ans environ. D'où venait-il ?

Ce fut Kral qui répondit :

-A l'extrémité nord-est du royaume, il existe une petite baronnie, Sark. Elle a été créée par le père du roi Klir pour protéger le royaume des incursions des tribus barbares de l'est. En fait, elle est séparée du reste du territoire par une forêt de sinistre réputation qui a empêché pratiquement tous les échanges.

-Warga s'est-il réfugié là-bas ?

-C'est possible.

-Si c'est le cas, il pourra en toute quiétude reconstituer une armée.

-Mais cette fois, nous serons sur nos gardes, affirma le connétable avec suffisance.

-Sans le sacrifice bien involontaire du baron Rikor, la moitié de l'armée aurait grillé et le reste serait en fuite. Qui vous dit que Warga n'inventera pas une autre astuce démoniaque ?

-Le génie humain a des limites... (Kral fit une pause, avant d'ajouter comme à regret :) Pourtant ce n'est pas impossible.

Le Terrien s'adressa directement au roi.

-.le me propose donc de partir dès demain matin explorer les environs de Sark. Il est indispensable de savoir si Warga s'y trouve.

Les barons présents approuvèrent d'autant plus vigoureusement qu'ils n'étaient pas mécontents de voir s'éloigner un inconnu qui avait une si grande influence sur le souverain. Leur mine s'allongea lorsque Burk proposa :

-Cette mission est fort dangereuse. Il vous faut une solide escorte. Choisissez qui vous plaira pour vous accompagner.

Ils retrouvèrent le sourire quand Marc répondit :

-Je ne veux que Ray, mon écuyer. Je ne pars pas pour la guerre, et un chevalier errant aura moins de chances d'attirer l'attention qu'une troupe portant vos couleurs.

Le roi se rendit à ces raisons, non sans recommander :

-Prenez bien garde à vous, messire Marc. Je tiens essentiellement à ce que vous reveniez à la cour !

CHAPITRE XIII

Trois jours ! Marc et Ray chevauchaient depuis trois jours ! Des plaines en friche alternaient avec des bosquets. Le soleil déclinait, et le Terrien soupira.

-J'aimerais que nous trouvions un abri pour ce soir. Deux nuits à la belle étoile me suffisent largement. Les technocrates vont trouver que je perds mon temps. Nous aurions dû utiliser le module...

-Mieux vaut perdre du temps que la vie, répondit sentencieusement Ray. Tu t'expliqueras plus facilement avec un administratif qu'avec Lucifer. Nous avons discuté de ce problème. Un inconnu qui dispose d'androïdes peut avoir un détecteur radar et nous repérer. Or, le plus petit missile suffirait à détruire le module...

Ray fixa l'horizon avec attention.

-Là-bas, derrière ce bosquet, je vois de la fumée. -Qui dit fumée dit feu, et qui dit feu dit marmite... Cela va me changer de tes tablettes nutritives.

Ils piquèrent un temps de galop, et bientôt, une misérable cabane de torchis fut visible. Au moment où ils mettaient pied à terre devant la masure, une vieille femme en sortit en gémissant. Elle se jeta à genoux en se tordant les mains.

-Pitié, messires, pitié ! Nous n'avons plus rien ! Des soldats sont venus il y a une semaine, ils ont emmené mon époux et mes fils, même le plus jeune !

-Calmez-vous, dit Marc d'un ton conciliant. Nous ne vous voulons aucun mal, nous souhaitons seulement un abri pour la nuit.

Il tira un écu de sa poche et le lui tendit. La femme resta un instant paralysée par la surprise, puis elle rafla la pièce qu'elle examina longuement. Lorsqu'elle fut sûre qu'il ne s'agissait pas d'une imitation, un sourire découvrit ses dents jaunes.

-Il y en aura une autre pour vous si vous nous faites souper !

Une lueur d'affolement brilla dans ses yeux.

-Seigneur, les soldats ont tout emporté. Nous devons nous contenter de soupes d'herbes !

-N'y a-t-il pas du gibier dans ces champs ?

-Les lapins abondent, mais ils fuient et se terrent dès qu'on les approche. Seul mon mari savait tendre des pièges pour les capturer.

-Prépare le feu, mon écuyer est un habile chasseur...

Effectivement, moins d'un quart d'heure plus tard, Ray reparaissait, tenant deux bestioles plus grosses que des lièvres. La vieille poussa un cri de joie. Une adolescente sortit alors de la cabane. Elle paraissait très jeune dans sa robe misérable et déchirée. Elle battit des mains en voyant les animaux et aida aussitôt sa mère à les dépecer.

Les jambes et le dos raidis par trois jours de cheval, Marc pénétra dans la cahute. La pièce principale comportait une table en bois grossièrement équarri et des tabourets. Amusé, il regarda le manège des deux hôtesses qui s'activaient autour de l'âtre.

Le dîner fut plus agréable que le Terrien ne l'avait craint. La chair des bêtes, point trop dure, était parfumée par des herbes aromatiques. Les deux femmes mangeaient comme si elles ne pouvaient se rassasier. Tout en suçant minutieusement une tête, la plus jeune ne pouvait s'empêcher de lancer de fréquents regards sur Marc.

-Cette nuit, émit celui-ci, tu retourneras chasser. Ces malheureuses mouraient de faim. Il serait élégant de leur laisser quelques provisions.

-Entendu, mais méfie-toi : cette petite semble avoir des visées sur toi !

Repue et souriante, la vieille conduisit enfin Marc vers une sorte de réduit où se trouvait une couche de bois couverte de foin.

-Bonne nuit, messire, et que Dieu vous bénisse.

Fatigué, il allait s'endormir, quand il entendit la porte grincer. Puis un bruit de tissu froissé lui parvint. Une seconde plus tard, un corps jeune, nerveux, se coulait contre le sien. Gêné, Marc murmura :

-N'es-tu pas un peu jeune pour ces jeux ?

-Lorsque les soldats sont passés et repassés, ils ne m'ont pas demandé mon âge, et j'ai dû subir. (La voix était pleine d'amertume.) Ce soir, pour une fois, je le désire. Ne me repousse pas.

Seul un saint aurait pu refuser une telle invitation. Or, Marc n'en était pas un !

Avant de se laisser entraîner dans un joyeux tourbillon, il perçut la pensée ironique de Ray :

-Mes enregistreurs s'intéressent à ces très beaux lièvres. Tu n'auras pas d'ennuis avec les technocrates. Bonne nuit, mais ne te plains pas si tu es fatigué demain. Tu auras droit à une ration de polyvitamines.

***

Peu après l'aube, Marc mangeait une cuisse de lapin, servi par la jeune fille dont le visage rayonnait de joie. Sa mère murmura, les yeux rêveurs :

-Merci, sire chevalier. Je suis heureuse que la petite ait au moins connu quelques instants de bonheur dans sa vie !

-Sommes-nous loin de Sark ? demanda Marc, désireux de changer de sujet de conversation.

Son interlocutrice désigna le soleil.

-Si vous voulez y aller, marchez une demi-journée dans cette direction. Vous arriverez à la forêt maudite. Autrefois, rares étaient ceux qui parvenaient à la traverser. A présent, nul n'y arrive plus. Retournez d'où vous venez, chevalier, croyez-en une vieille femme.

-Merci de ce conseil, mais nous ne pouvons pas le suivre. Je ne voudrais pas vous donner de vains espoirs, toutefois il se pourrait que vous voyiez très bientôt revenir des membres de votre famille. Warga a été vaincu, et ses hommes, tout au moins ceux qui n'ont pas été tués au combat, ont été autorisés par le nouveau souverain à regagner leur foyer. Il ne vous reste donc plus qu'à attendre et à espérer.

Les deux cavaliers s'éloignèrent bientôt au petit trot. Comme annoncé, vers midi, ils atteignirent l'orée d'un grand bois.

-Nous allons pouvoir nous reposer à l'ombre, souffla Marc, dont le front dégoulinait de sueur.

La halte terminée, ils s'enfoncèrent sous les arbres. La progression devint rapidement difficile en raison de l'épaisseur des sous-bois. Les buissons épineux énervaient les chevaux qui se cabraient de plus en plus fréquemment.

-Il n'y a pas le moindre sentier, soupira Marc. Il va falloir se frayer un chemin à coups d'épée. Mieux vaut abandonner nos montures, nous progresserons plus vite.

Ray fut obligé de se ranger à cette opinion. Il marcha en tête, sabrant les fourrés, préparant le passage pour son ami. Ils progressèrent ainsi pendant deux heures. Les ramures étaient si épaisses que la lumière filtrait difficilement à travers les feuilles. Du sol humide s'élevait la puissante odeur de moisissure de la forêt tropicale. Quelques filaments blancs pendaient des branches. Marc n'eut pas le temps de s'interroger sur leur nature. Une sorte de toile d'araignée s'abattit sur Ray, le faisant trébucher. Il reçut aussitôt sur les épaules une créature de cauchemar, monstrueuse ! Un corps rond de deux mètres de diamètre pour cinquante centimètres d'épaisseur, huit pattes trapues couvertes de poils et, surtout, une tête triangulaire aux yeux globuleux à facettes, à la bouche étroite surmontée de deux crochets venimeux et d'où sortait une trompe très mobile.

-Bon Dieu ! Ray, relève-toi !

-Je ne peux pas ! Ces fils sont très résistants, et en séchant, ils ont rétréci. Ils exercent une traction de plusieurs centaines de kilos.

-Utilise ton désintégrateur î

-Impossible ! Mon bras gauche est coincé dans une mauvaise direction.

-Et ton laser ?

-Je vais sectionner les fils les plus proches, mais ce sera long.

Deux éclairs rouges jaillirent, tranchant un des filaments blancs. Etonnés de voir sa proie continuer à se débattre, l'araignée tenta à plusieurs reprises de planter ses crochets venimeux dans la nuque de Ray.

-Marc !

La voix de l'androïde traduisait une angoisse très humaine.

-Mon écran est resté à un faible niveau de puissance. Le venin de cette bestiole contient des substances très volatiles qui traversent le champ de force avec l'air. (Naturellement, les ceintures protectrices n'arrêtaient que les corps denses. Sinon, leurs porteurs auraient rapidement été victimes d'asphyxie.) C'est très corrosif. Dans quelques minutes, mon revêtement épidermique sera rongé et mes circuits atteints. J'appelle le module, regagne le Neptune. Tu ne peux rien pour moi. Adieu !

Une colère folle envahit Marc à l'idée que son seul ami pouvait être victime d'une telle créature. Tirant son épée, il assena un coup violent sur la partie postérieure de l'abdomen du monstre. L'épaisse chitine qui le recouvrait fut à peine entamée. Toutefois, la bête fut surprise de cette attaque. Elle se retourna, fixant Marc de ses yeux globuleux. Ce dernier recula de plusieurs pas, espérant l'attirer hors de sa toile. Avec une rapidité que son volume ne laissait pas prévoir, elle s'élança en avant. A l'instant où il allait être atteint, son adversaire brancha son écran à pleine puissance. Le champ de force repoussa l'animal avec violence, l'envoyant rouler à plusieurs mètres. Malheureusement, il se redressa aussitôt. Percevant alors les efforts que faisait Ray pour se libérer, il choisit de regagner sa toile, négligeant Marc. A l'instant où l'araignée passait à moins d'un mètre de lui, le Terrien fit plonger son épée verticalement, pesant de tout son poids. La lame perça la chitine, traversa l'abdomen. Bien que rudement heurté par les pattes, qui s'agitaient convulsivement, Marc accentua son effort. La pointe de l'arme ressortit par le ventre de la créature et se ficha dans le sol. Hors d'haleine, le coeur battant à se rompre, le jeune homme poussa jusqu'à ce que l'épée fût enfoncée jusqu'à la garde. Alors seulement, il se rejeta en arrière. Cloué au sol, le monstre se débattait vainement, tandis qu'un liquide verdâtre nauséabond suintait de sa plaie qui s'agrandissait à chaque effort.

-Ray, dépêche-toi ! Je ne sais si sa blessure est mortelle.

-Je n'ai plus que trois brins à sectionner pour libérer mon bras gauche. Voilà, recule-toi, je vais actionner mon désintégrateur.

Un éclair mauve éblouit Marc. L'androïde se redressa lentement, soulevant la toile. Ce mouvement déclencha la colère de la bête qui se démena de plus belle.

-Prends garde, avertit Marc. Je crains qu'elle ne réussisse à arracher l'épée du sol.

Une série de jets laser fusèrent, sectionnant les pattes d'un même côté, au ras du tronc. Les membres tombèrent par terre, encore agités de soubresauts.

-Pourquoi ne te sers-tu pas de ton désintégrateur ?

-Je veux d'abord récupérer ton arme.

Ray se secoua, détachant avec difficulté les fils de la toile gros comme des câbles.

-Cette saleté colle comme de la glu ! grogna-t-il.

Au niveau du cou et des omoplates, son pourpoint rongé laissait voir sa peau synthétique, devenue granuleuse et parsemée de cratères. Enfin débarrassé des filaments, il avança vers l'animal, qui se débattait toujours.

Rancunier, l'androïde sectionna au laser les crochets venimeux. Puis, d'un geste vif, il retira la lame. Un bond en arrière le mit en position de tir, et un éclair mauve effaça définitivement le monstre. Marc se laissa tomber sur le sol et s'épongea le front.

-J'espère que tu as enregistré la scène. Le service aura une belle séquence à revendre aux télévisions, qui sont toujours friandes d'horreur. Il ne me déplairait pas de devenir un jeune premier adulé des foules !

-Désolé, mais coincé comme je l'étais, je n'ai pu voir ton exploit. Toutefois, je te remercie. Cette bestiole allait boulotter mes circuits ! Si tu es remis de tes émotions, nous devrions repartir.

A la tombée de la nuit, ils n'avaient toujours pas émergé de la forêt. Ils s'installèrent dans une petite clairière, traversée par un ruisseau qui permit à Marc d'étancher sa soif. Tandis qu'il suçait une tablette nutritive, Ray arborait un air soucieux.

-Les différentes batailles et le combat contre l'araignée ont pompé la moitié de l'énergie du générateur de ta ceinture protectrice. De mon côté, ma réserve a nettement diminué. Je me demande s'il ne serait pas plus sage de retourner au Neptune pour nous ravitailler...

Marc secoua la tête.

-La situation n'est pas encore critique, et nous sommes trop près de notre objectif pour risquer de nous faire repérer.

Ray approuva à regret. Il amassa une provision de bois et alluma un feu. S'allongeant sur un épais tapis de mousse, Marc ferma les yeux. Il songea à la fille de la veille, dont il ne connaissait même pas le nom !

-Dors, ironisa Ray. Une cure de solitude te fera le plus grand bien.

CHAPITRE XIV

-Marc ! Lève-toi ! Vite, vite !

L'appel de Ray était chargé d'une telle angoisse que Marc se redressa immédiatement. L'aube naissante éclairait d'une lueur sinistre la clairière. Un grouillement agitait le bord du ruisseau. Des centaines de pieuvres dont le capuchon avait la taille d'un melon sortaient de l'eau, agitant leurs tentacules. Plusieurs de ces céphalopodes s'étaient fixés sur l'androïde. Pour un qu'il arrachait, deux autres venaient se coller à lui.

-Ces saletés ont des ventouses tenaces qui arrivent à tenir sur le champ de force. Recule, elles n'aiment peut-être pas s'éloigner de l'eau.

Cet espoir fut déçu. Les bêtes suivirent le mouvement. Elles progressaient même à grande vitesse. Marc manqua trébucher : un des animaux plus véloce que ses congénères, lui avait agrippé le pied. Domptant sa répugnance, il retourna le capuchon, comme il l'avait vu faire à des pêcheurs sur les bords de la Méditerranée. La recette fut efficace. Après une dizaine de soubresauts, la créature lâcha prise et retomba sur le sol. Mais ce temps d'arrêt avait suffi pour qu'une dizaine de ses soeurs atteigne Marc, il poussa son écran à la puissance maximale. Il se trouvait maintenant au centre d'une sphère de cinq mètres de rayon, sur laquelle les pieuvres s'étalaient, de plus en plus nombreuses. Marc voyait nettement leurs multiples ventouses. Entre elles apparaissaient des dards, d'où suintait un liquide jaune qui se volatilisait au contact du champ de force.

-Ce sont des sucs digestifs particulièrement corrosifs, expliqua Ray.

Pour l'instant, Marc était à l'abri, mais il lui était impossible de combattre. Inlassablement, Ray écrasait des têtes, utilisant parfois son laser. Vingt minutes s'écoulèrent. Les bêtes semblaient toujours aussi nombreuses.

-Marc, je n'arrive à rien, je vais être obligé d'utiliser mes antigrav. Quand je serai en l'air, je me débarrasserai de celles que je porte. Ensuite, je ferai le vide autour de toi avec le désintégrateur. Surtout, ne bouge pas.

A l'instant où il allait s'élancer, des criaillements aigus retentirent. Marc eut la fugitive vision d'une grosse mouette rouge, au bec recourbé d'un jaune éclatant et aux pattes garnies de serres puissantes. L'oiseau saisit un animal déchira son capuchon d'un coup de bec précis puis l'emporta. Jaillis de partout, de nulle part, les palmipèdes plongeaient, repartaient avec une proie, revenaient en un infernal ballet. Les céphalopodes survivants tentèrent de regagner le ruisseau où se trouvait leur repère. Bien peu y parvinrent tant le nombre de leurs prédateurs était grand.

Plus aucune pieuvre n'était attachée à la sphère protégeant Marc.

-Ces charmants volatiles sont bien utiles, ironisa Ray. Dommage qu'ils ne soient pas arrivés plus tôt. Cela m'aurait épargné beaucoup de travail.

-Ils sont au moins arrivés à temps. Je commençais à trouver la situation fort déplaisante. D'où sortaient ces bestioles ?

-Je l'ignore. J'étais au bord du ruisseau, cherchant s'il n'y avait pas un poisson qui aurait pu convenir pour ton déjeuner lorsqu'elles sont apparues. Avant que j'ai réalisé ce qui se passait, elles étaient déjà des dizaines. Il doit exister sous la berge des cavernes où elles s'abritent et d'où elles guettent les animaux qui viennent boire à l'aube.

-Je crois que nous aurions intérêt à sortir au plus vite de cette forêt. Je comprends pourquoi les gens d'ici la croient maudite !

-Prends d'abord une tablette nutritive, tu as besoin de récupérer des forces.

Il tendit à Marc une pastille blanche que son ami suça lentement.

-Il est peu probable que des indigènes se promènent par ici. Tu vas me soulever avec tes antigrav et voler sous la ramure. Nous gagnerons du temps, puisque nous n'aurons plus à nous tailler un chemin.

-C'est logique, approuva Ray. En route !

***

Sans transition, les bois laissèrent place à une plaine vallonnée. Au loin se dressait un château fort massif.

-Curieux, dit Ray, déposant Marc en douceur. Cette forteresse est l'exacte réplique de celle que les esclaves construisaient à Sila. Je ne comprends pas l'utilité de cette énorme tour sans aucune ouverture.

Marc désigna un gros village à une lieue de la place forte.

-Comme il nous est difficile d'aller frapper à la porte du castel, nous irons d'abord là-bas. Qui sait s'il n'existe pas une auberge accueillante ?

Ragaillardi par cette perspective, le Terrien se mit en marche d'un bon pas. En milieu d'après-midi, les deux amis arrivaient au bourg. Il n'y avait aucun mur d'enceinte, pas même une simple palissade. Les habitants ne devaient craindre aucune attaque, ou ils étaient très confiants en la protection de leur suzerain.

L'arrivée d'étrangers ne déclencha qu'une curiosité gênée. Dès qu'ils croisaient un autochtone, celui-ci détournait la tête et filait dans la direction opposée. Lassé, Marc interpella un gros type.

-Où se trouve l'hostellerie ?

L'homme montra une maison du doigt puis se sauva comme s'il avait le diable à ses trousses. Les arrivants pénétrèrent dans une salle basse ne comportant qu'une demi-douzaine de tables. Seules deux d'entre elles étaient occupées. Une servante rondelette au visage fatigué s'approcha d'eux en traînant ses savates. Marc commanda un pichet de vin. La fille acquiesça d'un hochement de tête, sans prononcer une parole, et repartit du même pas nonchalant.

-Tu noteras, émit Ray, qu'ils portent presque tous un collier émetteur. Il nous sera difficile de passer inaperçus.

-Je comprends maintenant pourquoi ils ne sont guère causants. Avec le temps, ils ont dû découvrir que les bavards avaient toujours des ennuis !

La serveuse revint, déposa sur la table un pichet et deux gobelets d'étain. Marc désigna du doigt une volaille qui rôtissait dans la cheminée et tendit un écu. Ce dialogue muet fut suffisant, car la fille esquissa un sourire et s'esquiva d'un pas plus rapide.

Marc mangea de bon appétit, creusé par les émotions de la traversée de la forêt. Cela ne l'empêchait pas de réfléchir.

-Inutile de s'attarder ici, nous ne découvrirons rien. La clé de l'énigme ne peut se trouver qu'au château.

-Comment nous y faire inviter ?

-Nous avons assez perdu de temps  ! Dès cette nuit, nous y pénétrerons en utilisant tes antigrav.

Le repas terminé, les Terriens s'éclipsèrent sans qu'aucun des consommateurs leur adresse seulement un regard.

La nuit était tombée et les ruelles totalement désertes.

-Ces malheureux, ironisa Marc, n'ont pas une vie nocturne très excitante.

Ils sortirent sans encombre du village. Un chemin en terre battue menait vers la forteresse. Après une demi-heure de marche, l'ombre de la tour se dessina nettement sur la noirceur du ciel.

-Prends garde, Marc, mes détecteurs décèlent des ondes biologiques.

L'avertissement survint un peu tardivement. Une dizaine d'hommes armés, dissimulés derrière un repli de terrain, entourèrent les nouveaux venus. Ils portaient tous une tunique grise frappée d'un cercle rouge prouvant leur appartenance aux fidèles de Warga. Celui qui paraissait les commander, un solide gaillard au torse large, gronda :

-Il est interdit de circuler la nuit. Vous méritez la mort !

-Nous sommes des chevaliers errants. Nous nous sommes égarés dans une forêt peuplée de monstres et avons perdu nos montures.

-Vous mentez ! Nul ne peut traverser la forêt maudite.

-Nous l'avons pourtant fait, non sans mal, il est vrai. Nous espérions demander l'hospitalité au propriétaire de ce castel.

-Nul étranger ne peut y pénétrer !

-Nous nous reconnaissons prisonniers, plaida Marc, conduisez-nous.

Ennuyé, l'officier secoua la tête.

-Les ordres du roi sont formels ! Tous ceux qui sont capturés dans la zone interdite doivent être immédiatement mis à mort. Je ne puis vous accorder qu'une minute pour recommander votre âme au créateur.

-Pourquoi nous tuer puisque nous nous rendons ? Demandez des instructions à votre supérieur.

-Je ne puis enfreindre la consigne ! Seuls des cadavres doivent être ramenés.

Marc maudit l'entêtement de l'imbécile qui allait l'obliger à un combat meurtrier.

-Allez, ordonna le chef à ses hommes.

Les arrivants tirèrent vivement leurs épées. Marc évita l'attaque d'un premier adversaire et riposta d'un furieux coup de pointe à la poitrine. Il n'eut pas le temps de savourer son triomphe. Trois soldats s'élançaient vers lui. La mêlée devint sauvage. Le Terrien, soucieux de ménager son écran, parait les coups, ce qui l'empêchait de riposter avec efficacité. De son côté, Ray avait déjà envoyé à terre deux opposants.

Surpris et courroucé de cette résistance inattendue, l'officier invectivait autant ses hommes que leurs ennemis. Marc ruisselait de sueur, son souffle devenait rauque. Il lui semblait que son épée pesait de plus en plus lourd. Les gardes étaient d'excellents combattants, judicieusement sélectionnés et fort bien entraînés. Malgré ses esquives, le jeune homme avait été touché à l'épaule gauche, et chaque mouvement lui était douloureux. Ainsi, il n'avait blessé qu'un autre adversaire. Il aurait souhaité se reposer un instant, mais c'était impossible. Il était vivement pressé par deux soldats qui combinaient fort bien leurs attaques.

-Attention ! hurla Ray.

En un millionième de seconde, l'androïde avait jugé du danger qui menaçait son ami. Marc n'avait pas vu le traître qui s'était glissé derrière lui et levait sa lourde épée au-dessus de son crâne. Déjà, la lame redescendait. D'un bond désespéré, Ray s'élança. Son bras gauche s'interposa à l'ultime instant entre l'arme et la tête de Marc. Malgré tout, celui-ci ressentit le choc. Rancunier et furieux, dans une colère à la mesure du danger couru par son ami, Ray riposta. D'un vif mouvement de pointe, il ouvrit la gorge du garde, lança le corps dans les jambes des deux autres opposants de Marc qui trébuchèrent, il ne leur laissa pas le temps de retrouver leur équilibre. Une lourde manchette brisa la nuque de l'un, un coup de pied enfonça le thorax de l'autre.

-Merci, murmura Marc en reculant de quelques pas.

Six hommes gisaient à terre, morts ou trop gravement blessés pour se relever. Les autres hésitèrent un instant.

-En avant, cria l'officier en se ruant sur Marc, l'épée haute.

Ce bref répit avait permis au Terrien de récupérer un peu de souffle. Parant aisément en quinte l'attaque à la tête, il répondit d'un coup fouetté au flanc qui zébra de rouge la tunique grise. Fou de rage, l'autre se jeta en avant. Il s'embrocha sur l'épée de Marc déjà revenu en garde.

Un soldat venu prêter main forte à son chef n'arriva que pour recevoir le corps. Miséricordieux, Marc se contenta de l'assommer d'un solide coup du plat de la lame.

Pendant ce temps. Ray n'était pas resté inactif. Jugeant que le combat n'avait que trop duré, il avait achevé les trois survivants.

Marc s'assit sur le sol, attendant que les battements de son coeur retrouvent un rythme moins rapide.

-C'était d'excellents soldats. Il est navrant qu'un ordre imbécile nous ait obligés à les éliminer à propos, je te remercie. Sans toi, j'aurais attrapé un sérieux mal de tête.

Ray attendit plusieurs secondes avant de répondre :

-Vue la violence du choc, tu aurais au moins une fracture du crâne.., Maintenant, j'ai un problème. Mon avant-bras a été très secoué car il était coincé entre ton écran et le tranchant de la lame. Je crains que mon désintégrateur n'ait été endommagé.

-Souhaites-tu que nous regagnions le Neptune ?

-Mes calculs confirment tes suppositions. L'appel du module dans cette zone nous ferait courir un risque majeur.

-Il ne nous reste plus qu'à continuer, en espérant que nous sommes au bout de nos surprises.

-J' ai bien peur que ce ne soit pas le cas ! Regarde le corps de l'officier. Il porte un collier émetteur. Donc, l'ennemi est prévenu de notre présence.

-Dans ce cas, il importe d'accélérer notre mouvement. Utilise tes antigrav pour me transporter jusqu'au château.

CHAPITRE XV

Dix minutes plus tard, Ray déposait Marc sur le mur de l'enceinte carrée précédant la haute cour. Ils restèrent à observer la cour, plongée dans une profonde obscurité.

-Curieux, dit l'androïde. Je ne perçois aucune présence. Cette bâtisse est entièrement déserte.

Portant Marc, il plongea dans la cour.

-La seule porte d'entrée de la tour se trouve par ici.

Ils n'en étaient plus qu'à quelques mètres quand un projecteur se démasqua, éclairant vivement les lieux.

-Cette fois, nous quittons le Moyen Age, ricana Marc. A quelle époque allons-nous plonger ?

Cette discussion philosophique s'interrompit rapidement. Deux silhouettes sortaient de la tour.

-Ce sont des androïdes, prévint Ray. L'un, porteur d'une épée, s'élança vers lui, tandis que l'autre marchait sur Marc, les bras écartés, dans l'intention évidente de le saisir à bras-le-corps. Le Terrien assena un coup du tranchant de son épée, visant la tête. Il y avait mis toutes ses forces, tout son poids. La lame atteignit son objectif, le robot n'ayant pas eu un geste pour esquiver. Cependant, il ne parut aucunement en être incommodé et poursuivit son avance rapide. Marc n'eut d'autre solution que de se laisser tomber en arrière pour éviter les bras qui allaient le happer. En une ruade désespérée, il projeta ses deux pieds dans le bas-ventre de la machine. Cette dernière, emportée par son élan, fut soulevée, bascula et retomba sur le dos avec un bruit sourd. Relevé le premier, Marc sauta à pieds joints sur son adversaire, détendant ses membres inférieurs pour augmenter la force de l'impact. Sous le choc, il lui sembla percevoir un craquement. Effectivement, une plaque protégeant le cou, arrachée, laissait apercevoir une multitude de fils. Marc n'eut pas le temps de se réjouir de ce maigre succès. Déjà, l'automate se redressait, le repoussant avec violence, l'envoyant rouler à plusieurs mètres. Instinctivement, le Terrien avait augmenté la puissance de son écran, ce qui amortit le choc mais consomma beaucoup de l'énergie du générateur.

-Dix coups comme celui-là, et il sera épuisé, songea le jeune homme en se remettant sur pied avec difficulté.

L'androïde était tout proche, levant le bras droit pour l'attraper par le cou. Marc pivota, lui agrippa le poignet et, d'un sec déhanchement, fit culbuter le robot par dessus son épaule. Sur un tapis d'entraînement, il aurait lâché le membre. Ici, il le maintint fermement, glissant son genou sous le coude à l'instant où son opposant retombait. A cause de l'effet de levier, le membre se plia à angle droit. Cela ne perturba guère la machine qui, une fois encore, le rejeta en arrière. Le hasard fit qu'il retomba à l'endroit où il avait lâché son épée. Instinctivement, sa main se crispa sur la poignée de l'arme.

Imperturbable, l'autre revenait à l'attaque, ridicule avec son coude désarticulé qui pointait vers l'extérieur. Une fraction de seconde, Marc eut la vision du cou, où il manquait une portion du revêtement simulant la peau. Son bras se détendit, et la lame y pénétra profondément, sectionnant nombre de fils. Des éclairs jaillirent, l'acier ayant entraîné une série de courts-circuits.

Le robot fut saisi de tremblements puis s'immobilisa. Marc, épuisé, sentit un voile noir lui brouiller la vue. Un étau semblait lui écraser le thorax. Il s'efforça de respirer lentement, profondément. Enfin, il récupéra un minimum de vision. Pourquoi son ami n'était-il pas intervenu plus tôt ?

Ray semblait en grande difficulté. Deux fois déjà, il avait été projeté à terre.

-Ton laser ! hurla Marc. Utilise ton laser !

-Impossible ! Nos épées se sont heurtées avec une telle violence qu'elles se sont brisées. Le choc a secoué mon avant-bras, et les fibres optiques ont été endommagées. Le laser est hors d'usage. Depuis, nous nous expliquons. Cette casserole est un peu moins rapide que moi mais beaucoup plus forte. Je n'arrive pas à m'en débarrasser.

-Ton programme karaté ! Ils ne semblent pas connaître ce genre de lutte.

-Merci ! Je vais essayer...

Dans la lumière crue du projecteur se déroula un spectacle effarant, d'aspect d'autant plus irréel qu'il était silencieux, aucun des adversaires n'éprouvant le besoin de crier sa souffrance. Pendant des minutes qui lui parurent des siècles, Marc assista à un véritable festival d'arts martiaux. Ray portait prise sur prise, frappant du pied, du poing, du coude, du genou. Son opposant invincible, semblait-il, repartait chaque fois à l'attaque.

Ray réussit enfin à porter une clef au bras gauche. Il effectua un saut retourné qui, chez un ennemi humain eût déboité l'épaule et fracturé l'humérus. Là, il n'obtint qu'une minime déchirure du revêtement en regard de l'omoplate. Il dut relâcher sa prise pour éviter un formidable coup de poing.

Néanmoins, son action avait dû créer quelques lésions, car il parut à Marc que son antagoniste éprouvait des difficultés à se servir du membre maltraité. Ray le perçut également, et il concentra ses attaques sur le bras meurtri. Lentement, insensiblement la fissure s'agrandit.

Une attaque aux jambes fit trébucher l'androïde. Aussitôt, Ray plongea les doigts dans la fente du faux épiderme, tira avec une violence formidable. Il arracha un large lambeau de la plaque dorsale, mettant à nu des mécanismes complexes. Par malheur, un méchant coup de tête l'envoya rouler à plusieurs mètres.

Combat de géants, de titans, les mots manquaient pour décrire cette lutte épique. Ray tardait à se relever, et son adversaire approchait. Marc vit le danger, mais il était trop loin pour intervenir. Arrachant son poignard de sa ceinture, il le lança, visant la partie ouverte du dos. La chance aidant, la lame toucha quelques fils, provoquant une petite étincelle. Ce fut insuffisant pour immobiliser le robot, qui eut cependant un temps d'hésitation. Cela permit à Ray d'esquiver un monstrueux coup de pied. Redressé, il dégaina à son tour son couteau et changea de tactique. Il tourna avec rapidité autour de son opposant, en effectuant de petits sauts. Chaque fois que cela lui était possible, il frappait à l'endroit vulnérable, s'efforçant de sectionner de nouveaux fils. Au troisième coup, la machine tressauta et bascula en avant. Ray en porta encore deux.

-Cette fois, émit-il, le générateur d'énergie est hors d'usage.

-Ouf ! marmonna Marc, tu peux te vanter de m'avoir causé une belle frayeur.

-Je constate que tu t'es fort bien débrouillé tout seul.

-J'ai eu beaucoup de chance. Surtout, je pense que l'androïde voulait me capturer vivant et non me tuer, ce qu'il aurait réussi à faire sans difficulté.

-Ce combat a encore diminué nos réserves d'énergie. La sagesse recommande de filer au plus vite. Nous reviendrons lorsque j'aurai retrouvé mes moyens d'action...

Marc, vidé, aurait sans doute accédé à la requête de Ray, mais le sort en décida autrement. La silhouette du robot qui se faisait appeler Warga se découpa dans la lueur du projecteur. Leur ennemi tenait à la main une sorte de gros pistolet prolongé par un canon effilé.

-Ne bougez pas, cria-t-il de sa voix aiguë. Ceci est une arme terrible.

Il pressa sur la détente, et un éclair bleuté frappa le sol devant Marc, creusant un profond entonnoir.

-C'est un désintégrateur, émit Ray. Sa puissance est comparable à celle que portent les robots de combat. C'est-à-dire que ni ton écran ni le mien ne résisteront plus d'une minute.

-Dans ce cas, mieux vaut essayer de négocier, ironisa Marc.

Levant les bras, il lança d'une voix forte :

-Nous nous rendons, messire. Je ne suis qu'un malheureux chevalier étranger...

-Vous mentez ! Vous êtes le chevalier Marc, engagé sous la bannière du comte Luko puis organisateur de l'évasion des esclaves et de la prise de mon château. Je vous ai vu combattre ! Comment êtes-vous arrivé jusqu'ici ?

-Ce fut épouvantable ! La forêt est réellement peuplée de monstres. Nous avons évité de justesse une araignée géante ; ensuite nous avons fui devant une multitude de pieuvres !...

-Vous avez eu beaucoup de chance ! Pourquoi avoir entrepris ce voyage ? Quel but visiez-vous en venant ici ?

Marc réfléchit rapidement. Dans la situation où il était, il lui fallait ruser.

-Le nouveau souverain est encore un enfant, très influencé par le connétable et le baron Spartack. Mes mérites n'ont guère été récompensés, et nul fief ne m'a été octroyé. Aussi ai-je pensé que je pourrais vous proposer mes services. Je pensais bien que vous deviez vous être réfugié ici !

-Il est possible que vous disiez la vérité, mais j'en doute. Nous verrons demain. Avancez vers cette porte.

Warga désignait un bâtiment attenant au mur d'enceinte.

-Poussez-la !

Le battant pivota avec un grincement lugubre, découvrant un escalier obscur s'enfonçant dans le sol. A son extrémité, une faible lueur était visible. Ils descendirent des marches gluantes ruisselantes d'humidité, avant de parvenir dans une salle basse. Un individu qui dormait sur une paillasse se redressa, clignant des yeux. C'était indiscutablement un humain, mais qui ne faisait guère honneur à l'espèce. Il avait un torse puissant reposant sur deux jambes arquées, une épaule beaucoup plus haute que l'autre. Son visage carré aux traits grossiers était mangé par une barbe hirsute.

-Torok, enchaîne-les ! Le maître les interrogera demain.

Le gardien déverrouilla une porte basse et poussa les prisonniers. Prudent, Warga resta en arrière, ôtant à Ray toute chance d'intervenir. Torok ficha une torche fumeuse dans un porte-flambeau, désigna à Marc un emplacement contre le mur. De gros anneaux métalliques pendaient à la muraille, une courte chaîne les reliant à la pierre où ils étaient scellés. Avec dextérité, le geôlier en entoura les poignets et les chevilles de Marc, qui se retrouva adossé au mur, les jambes légèrement écartées et les bras étirés au-dessus de la tête. Dans les minutes qui suivirent, Ray subit le même traitement.

-Voilà, monseigneur, c'est terminé.

Warga dut courber sa grande carcasse pour pénétrer dans la cellule. Avec minutie, il vérifia les attaches des deux prisonniers. Satisfait de son inspection, il se retira, non sans recommander à son serviteur de faire bonne garde. Ce dernier émit un bref ricanement en regardant Marc.

-Je vous laisse la torche ! Je viendrai voir toutes les heures si vous ne manquez de rien.

La porte refermée, Marc grommela :

-La situation n'est guère confortable. Peux-tu te libérer, Ray ?

-Sans le laser, je ne peux sectionner les chaînes. J'ai tenté d'arracher les fixations, mais ça n'a pas marché. Nous devrons attendre qu'on nous libère.

Les minutes s'écoulèrent, longues et monotones. Marc sentait la douleur irradier dans ses épaules. Il ferma les yeux, essayant de se détendre. Soudain, il eut la sensation qu'une pensée étrangère tentait de s'infiltrer dans ses neurones. C'était comme une palpation très douce, insinuante, insistante. Depuis sa rencontre avec la magnifique entité végétale vivant sur une lointaine planète, il était sensibilisé aux échanges télépathiques. Il concentra donc sa pensée sur sa nuit avec Mina, revoyant toutes les étapes de leurs joutes amoureuses, insistant sur les épisodes les plus crus !

-On tente de sonder mon esprit, murmura-t-il. Notre seul atout reste le fait qu'on semble ne pas avoir deviné que tu étais un androïde. Emets une onde psychique érotique. Par exemple, songe à la fois où tu as fait l'amour à une jeune soubrette pendant que je m'occupais de la princesse. Vite...

Marc lui-même ne cessait de se répéter : la poitrine de Mina, les reins de Mina, l'amour avec Mina... La pensée étrangère cessa brusquement de se manifester. Le Terrien, épuisé, souffla bruyamment. Il prit à nouveau conscience de ses épaules douloureuses, se demanda quelle heure il pouvait être. Viendrait-on le chercher rapidement ?

CHAPITRE XVI

Le bruit de la porte qui s'ouvrait fit sursauter Marc. Malgré sa position très inconfortable, il avait somnolé. Le geôlier entra, tenant une cruche à la main. Son visage était rouge, et ses yeux brillaient.

-C'est gentil d'être venu me tenir compagnie. Je m'ennuyais, seul dans mon trou, depuis des mois. Autrefois, c'était le bon temps : certains jours, les prisonniers étaient si nombreux que je ne savais où les mettre ! (Il éclata d'un rire grinçant.) J'ai pensé que vous deviez avoir soif.

Levant sa cruche, il but à la régalade, la tête renversée. Le vin se répandit sur sa figure, coula sur ses lèvres, ses joues, son cou.

-Vous prendrez bien encore un verre, ricana-t-il. A votre santé !

Cette fois, le jet, dirigé d'une main peu sûre, atterrit sur son buste, tandis qu'une odeur de vinasses répandait à travers la cellule. Une idée jaillit dans l'esprit de Marc.

-Si tu me libères, je te donne mille écus !

L'importance de la somme fit naître une lueur dans le regard vitreux de l'homme.

-Quand tu auras tout cet or, ajouta Marc après une pause, je connais beaucoup de filles qui ne demanderont qu'à être gentilles avec toi...

Le sursaut de Torok prouva au Terrien qu'il avait trouvé le point faible de la cuirasse de son adversaire.

-Imagines-tu le plaisir que tu aurais pour seulement deux écus ? Etre au lit avec une jeune femme qui t'ouvrirait les bras et te presserait sur sa poitrine...

-Tais-toi, gronda le gardien d'une voix sourde.

-Alors acceptes-tu ma proposition ?

-Tu ne peux posséder une telle somme !

-Pas en pièces, naturellement, mais j'ai sur moi deux diamants qui valent largement mille écus. Ils m'ont été offerts en récompense par le nouveau roi de Sila.

-Je veux les voir !

-Libère-moi, et je te les donne.

-Non, les pierres d'abord.

-Tu promets de me libérer ensuite ?

Une grimace rusée déforma le visage du geôlier.

-J'en fais le serment.

-C'est bien, dit Marc, qui ne semblait avoir aucun soupçon. Regarde la boucle de mon ceinturon. Elle est ornée d'une étoile métallique. Il suffit de la tourner d'un coup sec sur la gauche. Cela ouvre une petite cavité où j'ai caché les gemmes. Ensuite, tu rempliras ta part du marché...

-Oui, oui...

Torok avança ses gros doigts sales vers Marc et saisit l'étoile, les yeux brillants de convoitise.

Il ne devait jamais comprendre ce qui lui arriva. A l'instant où la décoration du ceinturon basculait, une force irrésistible le repoussa avec une violence telle qu'il fut soulevé de terre et projeté contre le mur. Un choc terrible fut sa dernière perception.

Branché à pleine puissance, l'écran avait non seulement éliminé le gardien peu scrupuleux, mais aussi fait éclater les attaches qui entravaient Marc. Ce dernier remua les épaules pour atténuer les crampes qu'il ressentait.

Se penchant sur le corps de Torok, il récupéra un trousseau de grosses clefs et entreprit de délivrer Ray.

-Je ne me suis jamais senti aussi humilié, grogna ce dernier. Etre cloué à ce mur comme un papillon, sans possibilité d'évasion, me minait le moral. Partons au plus vite !

Trois minutes leur suffirent pour atteindre la cour de nouveau plongée dans l'obscurité.

-Quels que soient les risques, nous devons regagner le Neptune pour reconstituer nos réserves d'énergie, émit l'androïde.

-Non, notre évasion sera découverte dans quelques heures au plus tard. Nos adversaires, quels qu'ils soient, comprendront alors que nous sommes étrangers à cette planète. Ils s'empresseront de fuir, et nous perdrons leur trace. C'est en agissant maintenant que nous aurons le plus de chances de les surprendre.

-Ou de nous faire expédier dans un autre monde, qu'on dit meilleur bien que personne n'en soit revenu pour en faire la description...

-Allons, pas de défaitisme !

Ils approchèrent de la porte de la tour, qui n'était pas verrouillée. Le battant tiré, ils s'immobilisèrent sur le seuil. Une douce lumière irradiait des murs, éclairant l'intérieur de l'édifice.

La tour était en réalité un énorme silo, ce qui l'expliquait l'absence de fenêtre. Et cette construction dissimulait un astronef de forme totalement inconnue de Marc.

-Ce n'est pas un vaisseau de l'Union Terrienne ! D'où peut-il provenir ?

Désignant un escalier métallique menant au sas de l'astronef, Marc murmura :

-Nous allons peut-être le savoir.

Il escalada les marches, évitant de faire du bruit, et parvint dans ce qui paraissait être une vaste soute obscure. Il hésita, attendant que Ray le rejoigne.

Soudain, les parois s'illuminèrent, tandis qu'une voix ironique lançait :

-Entrez, Marc, j'attendais votre visite.

Warga était debout à quelques mètres d'eux, son désintégrateur à la main. Marc fut fasciné par la créature qui se tenait à côté du robot. De forme humanoïde, elle ne mesurait guère plus d'un mètre vingt. Si le tronc était de taille presque normale, les membres étaient courts et grêles, comme atrophiés. Ce qui frappait le plus était le volume de la tête. Enorme, monstrueuse, avec une partie supérieure aussi grosse qu'un potiron. Par contraste, le bas du visage, bouche et menton, paraissait ridiculement étroit. Les yeux, profondément enfoncés dans les orbites, étaient ronds, d'une couleur délavée, indéfinissable. Ils brillaient d'une ironie cruelle.

Le gnome reprit, de la même voix aiguë que le robot :

-Avancez lentement. Si vous ou votre androïde avez le moindre geste brutal, vous serez volatilisés !

Marc fit quelques pas prudents, suivi de Ray.

-C'est bien ! Je pense que vous avez compris. Maintenant, désactivez votre machine.

Le Terrien tenta de protester en affirmant la chose impossible.

-Inutile de mentir. Il existe une trappe d'accès et un interrupteur au niveau du sein gauche. Depuis l'instant où vous avez franchi la porte de la tour, mes détecteurs vous ont observés.

Marc ne put qu'obéir. D'une main, il écarta le pourpoint déchiré ; de l'autre, il souleva une petite plaque, découvrant un bouton rouge qu'il pressa. Privé d'énergie, Ray s'immobilisa.

-Laissons-le ici, je le disséquerai plus tard, ricana l'être. Plusieurs détails m'ont paru intéressants. En modifiant certains paramètres, j'espère utiliser ce robot à mon profit. Il remplacera ceux que vous avez détruits. Je comprends maintenant que vous ayez réussi à les vaincre.

Il fit quelques pas puis ordonna :

-Suivez-moi ! Je serai mieux dans mon cabinet de travail, pour poursuivre cette conversation. Ne tentez aucun geste inconsidéré. Warga n'hésiterait pas à vous briser les membres. Peu m'importerait, car seul votre cerveau m'intéresse.

L'un derrière l'autre, ils parvinrent dans une pièce circulaire dont les parois étaient couvertes d'écrans, d'appareils de mesure, de cadrans et de boutons. Le poste de pilotage de cet étrange vaisseau. Le nain s'installa dans un fauteuil pivotant et cala son énorme crâne sur un appuie-tête conçu pour s'adapter exactement à son volume. Avec un soupir satisfait, il désigna un siège à Marc.

-Il est petit pour vous, mais vous devrez vous en contenter. Maintenant, il est temps d'aborder les problèmes sérieux. Qui êtes-vous ?

-Capitaine Marc Stone, officier de l'Union Terrienne, détaché au Service de Surveillance des Planètes Primitives. J'effectuais une mission d'observation discrète de la population de Summa.

-Vous avez fort bien joué votre rôle, capitaine. Jusqu'à ce soir, je n'avais pas deviné que vous étiez étranger à ce monde, ni que votre compagnon était un androïde. Quelle est cette Union Terrienne ?

-Une vaste fédération qui regroupe quatre-vingt-cinq planètes.

Un sourire sarcastique étira les lèvres du gnome.

-Vous plaisantez ! Si votre fédération était aussi puissante que vous le prétendez, vous ne seriez pas venu ici en espion. Il suffisait de débarquer un petit contingent armé, qui aurait vite réduit ces sauvages, avec leurs armes ridicules !...

-Conquérir des planètes n'est pas l'objectif de notre Président. Bien au contraire ! Quand nous découvrons un monde primitif, nous nous gardons d'apparaître pour ne pas perturber l'évolution naturelle des indigènes ! Nous nous contentons de les observer le plus discrètement possible. C'était le but de ma mission.

L'autre eut un rictus mauvais.

-Vos dirigeants seraient-ils aussi dégénérés, aussi pusillanimes que mes compatriotes ?

-Qui êtes-vous donc pour porter un tel jugement ? rétorqua Marc.

Vexé, le nain releva sa lourde tête.

-Je m'appelle Krotos ! Je suis originaire d'une planète distante de centaines d'années-lumière. J'appartiens à la race des Trikans ! Nous sommes "les créatures les plus civilisées et les plus intelligentes de la Galaxie ! Donc, nous devons conquérir et dominer tous les peuples de l'univers. J'ai tenté de l'expliquer à mes compatriotes. En vain, malheureusement ! Ils sont devenus des lâches ne pensant qu'à leur confort personnel. Pour avoir voulu les réveiller de leur molle paresse, j'ai été banni avec quelques amis. Je leur prouverai que j'avais raison en revenant couvert de la gloire des vainqueurs !

Marc secoua la tête avec commisération.

-Quelle gloire ? Le bel exploit que d'écraser un groupe d'individus armés de méchantes épées lorsqu'on dispose d'androïdes et de désintégrateurs !

-Ce n'est qu'un début ! Vous avez pu constater combien j'étais réservé. Je compte les faire évoluer en un ou deux siècles pour qu'ils constituent les premiers éléments de mes légions conquérantes.

-Deux siècles, c'est long !

Une expression méprisante se peignit sur le visage de Krotos.

-Pour les faibles créatures que vous êtes, c'est vrai ! Nous, les Trikans, n'avons pas la même échelle de temps ! Nous vivons plus de mille ans ! Je vais vous confier la raison de mon apparente discrétion sur Summa. J'ai tenté une première expérience sur un autre monde. Mes robots ont rapidement mis fin à toute résistance en terrorisant les indigènes. Malheureusement, à partir de cet instant, ceux-ci sont devenus inutilisables. Ils obéissaient aux ordres sans les comprendre et, surtout, étaient incapables de la moindre initiative. Je suis donc reparti et suis arrivé ici. En favorisant les éléments les plus dynamiques et les plus intelligents, j’espère arriver à mes fins. Il émit un ricanement ironique, vous me sembliez un sujet intéressant. J'avais même projeté de vous nommer, dans un an, au poste de connétable !

-Je vous remercie, mais je ne souhaite pas occuper une place dans vos projets !

Négligeant l'interruption, le nain poursuivit ses explications. Il parlait plus pour sa satisfaction personnelle que pour son interlocuteur.

-En deux ou trois cents ans, bien guidés, ces sauvages aborderont l'ère industrielle. Cette planète est riche en ressources naturelles, et elle deviendra un gigantesque arsenal. Lorsque j'aurai constitué une escadre, la phase des conquêtes débutera.

-Que se passera-t-il quand vous rencontrerez des civilisations technologiquement égales à la vôtre ?

-Cela ne se peut ! Je vous ai dit que les Trikans formaient la race la plus intelligente, la plus puissante ! Donc, elle doit régner sur l'univers.

-Sera-t-elle toujours la meilleure ?

-Vous songez à votre misérable Union Terrienne. Soyez certain que je la soumettrai avec une facilité dérisoire...

Décelant un doute dans l'esprit de Marc, il reprit avec colère :

-Vous vous croyez fort parce que vous êtes grand et musclé ! Mais je le suis plus que vous ! La puissance physique, quelle importance ? D'une pensée, je puis actionner mon androïde, qui bat de loin n'importe quelle créature humaine. Sur le plan intellectuel, vous êtes fier de vos minables possibilités ! Sachez qu'entre vous et moi, il y a autant de différence qu'entre un singe et vous ! (Levant sa petite main, il désigna son crâne de l'index.) Vous n'utilisez encore que vingt pour cent de vos neurones. Moi, je dispose de trois cerveaux qui fonctionnent à pleine capacité. Vous devez céder au sommeil un tiers de votre existence ! Mes cerveaux se reposent en alternance, et deux d'entre eux sont toujours en état de veille. Vous admettez donc que je possède sur vous une immense supériorité. Donc, je dois imposer ma volonté à votre race. Le fort domine le faible. C'est une loi immuable de la nature !

-Elle n'est vraie que pour les animaux ! Je pensais qu'en même temps que la science et l'intelligence, la conscience se développait !

-Balivernes ! C'est l'argument de mes concitoyens. Mais la philosophie et la morale ne servent, qu'à endormir les esprits et à masquer la couardise !

Krotos respira profondément à plusieurs reprises.

-Vous avez réussi à me mettre en colère. Pourtant, avant que nous nous séparions définitivement, j'ai encore plusieurs questions à vous poser.

D'abord, lorsque j'ai sondé votre esprit cette nuit, je l'ai trouvé empli de scènes de reproduction. Est-ce dû au désir primitif de perpétuer l'espèce qui vous envahit lorsque vous savez que vous allez mourir ?

Une vague d'hilarité incongrue dans une telle situation secoua Marc.

-Mon pauvre vieux, si vous n'êtes pas capable de faire la différence entre reproduction et sexualité, je suis bien aise de ne pas appartenir à votre race !

-Taisez-vous ! Nous sommes depuis longtemps affranchis de ces basses considérations matérielles. C'est le conseil des Trikans qui décide quand il est nécessaire de créer un nouvel individu. L'opération s'effectue entièrement en laboratoire, à partir des codes génétiques conservés dans les mémoires des ordinateurs.

-Celui qui vous a conçu a dû subir des variations de courant, ricana Marc.

Vexé, le gnome fixa son prisonnier d'un air haineux.

-Je saurai vous faire regretter cette insulte, siffla-t-il. Où avez-vous fait atterrir votre astronef ? Quel est son équipage ?

-Je vous ai déjà expliqué que nous souhaitons rester les plus discrets possible. Un petit module de liaison nous a déposés de nuit et a regagné le vaisseau-mère qui était en orbite autour de la planète.

-Mes radars n'ont rien détecté.

-C'est qu'ils ne sont pas très performants !

-Où se trouve actuellement votre bâtiment ?

Le problème semblait inquiéter le nain. Aussi

Marc répondit-il avec prudence.

-Il est reparti déposer d'autres agents.

-Quand doit-il revenir ?

-Lorsque je le rappellerai !

-Vous voudriez pouvoir prolonger votre existence pour avoir l'occasion de contacter vos amis. Il est probable que vous êtes convenus d'un signal en cas de danger ! Perdez cet espoir, je ne tomberai pas dans votre piège.

Marc haussa les épaules, indifférent en apparence.

-Si je les laisse sans nouvelles, ils viendront me chercher.

-Alors, je les repérerai, et il ne me sera pas difficile de faire exploser l'astronef. Je dispose d'un excellent arsenal !

Il scruta un long moment son prisonnier. Derrière ses yeux glauques se dissimulait une haine farouche.

-Je songe, fit-il enfin, lentement, à la manière dont je vais me débarrasser de vous...

Marc aussi réfléchissait. Le gnome était à trois ou quatre mètres de lui. Warga était resté immobile pendant la longue discussion, mais son arme n'avait cessé de menacer le captif. En bondissant, ce dernier aurait-il le temps d'atteindre le siège de Krotos et de le faire pivoter avant que l'androïde n'appuie sur la détente ? Peu probable ! Il fallait créer une diversion pour détourner l'attention de l'extraterrestre, ne fût-ce qu'une seconde. Mais comment ?

Il regarda la cloison tapissée de cadrans. De nombreux voyants verts étaient allumés. En-dessous de chacun se trouvaient des témoins rouges, éteints. Marc respira profondément pour oxygéner ses muscles, comme le recommandaient les entraîneurs avant une épreuve sportive.

-Tiens, lança-t-il, pourquoi toutes ces lampes rouges s'allument-elles ? Krotos fit pivoter son fauteuil avec rapidité.

CHAPITRE XVII

A l'instant où Marc, tous les muscles bandés, allait bondir, la porte du poste de pilotage s'ouvrit et une ombre plongea sur Warga, relevant le bras armé. Ray ! Comment était-ce possible ?

Egalement surpris, le gnome et le Terrien assistèrent au combat des deux androïdes. Ray, cramponné au poignet de Warga, le tordait sauvagement. Un instant, les deux colosses restèrent figés dans l'effort, puis, avec une inexorable lenteur, Ray ramena le bras de son adversaire en arrière, pliant coude et épaule au-delà des limites supportables. De petits craquements furent perceptibles, résonnant dans le lourd silence qui s'était installé. D'une dernière secousse, Ray fit tomber le désintégrateur, le poussant d'un coup de pied dans la direction de Marc. Ce dernier le ramassa aussitôt. En sentant le contact du métal sur sa paume, il ne put retenir un frémissement joyeux. Il pointa le canon en direction du gnome et eut la satisfaction de voir que l'anxiété ravageait son visage grotesque.

Pendant ce temps, les deux robots poursuivaient leur explication. Lorsque Ray relâcha enfin sa prise, le bras de Warga resta coincé derrière son dos. L'ancien roi tenta néanmoins de donner un coup de poing à son opposant. Ray esquiva, ripostant d'un coup du tranchant de la main au cou. Le choc, d'une violence inouïe, fit éclater le revêtement cutané synthétique sur plusieurs centimètres. Avec un grognement, Ray lança les deux mains en avant. Ses doigts agrippèrent les lèvres de la « plaie », et il tira avec force, déchirant la fausse peau jusqu'à l'ombilic, mettant à nu un fouillis de fils, de câbles, d'engrenages et de poulies. La vision fut brève. D'un puissant direct du gauche, Ray frappa les entrailles métalliques, y allumant une gerbe d'étincelles. Warga hoqueta puis glissa sur le sol tandis que s'élevait dans la pièce une déplaisante odeur de brûlé. Médusé, le visage exprimant un mélange de stupéfaction et de peur, Krotos avait assisté à la destruction de son dernier androïde. Lorsque Ray avança vers lui, il cria d'une voix aiguë, tremblante :

-Ne me touchez pas ! Je me rends !

Marc éclata d'un rire nerveux.

-Bon Dieu, Ray, où étais-tu passé ? J'allais agir seul.

-Je le sais ! Je percevais tes pensées.

-Pourquoi ne t'es-tu pas manifesté ?

-Je craignais que notre ami perçoive nos ondes psychiques.

-Que faisais-tu ?

-Tu sais que mes réserves d'énergie avaient sérieusement baissé. Comme nous étions sur un astronef, je me suis dit qu'il devait exister un générateur qui me permettrait de me ravitailler. Je n'ai eu aucune difficulté à le trouver. Le plus long a été d'accumuler l'énergie sans faire sauter mes circuits !

-Je constate que tu as retrouvé la forme, ironisa Marc, en désignant la carcasse fracassée de l'autre machine.

Le gnome intervint, toujours incrédule.

-Ce n'est pas possible ! Il était désactivé, je l'ai vu !

-Vos trois cerveaux ont négligé un détail. Lorsqu'il est débranché, Ray retrouve une complète autonomie et n'obéit plus à personne. Comme il m'aime bien, cela peut devenir dangereux.

-Un robot ne peut éprouver de sentiments, rétorqua machinalement Krotos.

-Croyez-vous ? Je pense que s'il vous reste des neurones disponibles, vous avez encore beaucoup à apprendre !

-Que faisons-nous, maintenant ? intervint Ray.

-Nous allons regagner le Neptune en emmenant notre ami. Je dois transmettre un rapport à Khov et demander des instructions. En route  !

-Je ne bougerai pas, clama Krotos, crispant ses petits poings sur l'accoudoir de son fauteuil.

-Dans ce cas, Ray vous portera ! Souvenez-vous de vos théories. Le plus faible doit obéir au plus fort !

L'hésitation du gnome fut de brève durée.

-Soit ! Je vous suis.

Arrivé dans la cour, Marc demanda à Ray d'appeler le module.

-C'est fait. Il se posera dans vingt minutes. Je voudrais retourner à son vaisseau pour enregistrer le plus de données possibles. Ce ne sera pas inutile si nous devons rencontrer d'autres créatures de son acabit. Surveille-le bien, et s'il fait mine de broncher, n'hésite pas à faire usage du désintégrateur.

Sur ce, Ray s'esquiva. Marc commençait à s'impatienter lorsqu'il reparut enfin, à l'instant où le module se posait dans un chuintement soyeux. L'androïde s'installa aux commandes.

-Prenez place, dit Marc à son prisonnier, et attachez votre ceinture.

La porte refermée, l'engin s'élança rapidement vers le ciel. Krotos poussa un cri de douleur, vite étouffé.

-Notre passager ne paraît pas très bien supporter les effets de l'accélération, nota Ray, parfaitement indifférent.

-Ralentis légèrement. Inutile de le faire souffrir.

-Regarde en dessous ! Le feu d'artifice ne devrait pas tarder à se déclencher.

Effectivement, une lueur rouge orangée naquit et s'étendit presque aussitôt, plus intense que les premières clartés de l'aube naissante.

-J'ai programmé une explosion à retardement. Il était inutile que les populations de Summa découvrent ce curieux monument.

Krotos émergea de son malaise pour lancer avec hargne :

-Vous avez osé détruire mon astronef !

-La loi de non-immixtion précise qu'aucun objet étranger ne doit être introduit sur une planète primitive, répliqua Marc. Or, Summa fait partie de la sphère d'influence de l'Union Terrienne, et je me dois de faire appliquer le règlement.

La perte de son vaisseau sembla affecter le gnome qui se renferma dans un silence boudeur, après avoir déclaré :

-Cet appareil est particulièrement inconfortable. J'espère que votre bâtiment sera mieux équipé.

Avec sa précision coutumière, Ray fit pénétrer le module dans la soute du Neptune. Dès que la pression fut rétablie, Marc descendit, tendant la main à son prisonnier, qui la refusa.

-Où le boucle-t-on ? s'enquit Ray.

-Amène-le dans le poste de pilotage. Je veux le montrer à Khov pour illustrer mon rapport. Sinon, le général me prendra pour un joyeux plaisantin.

Tandis que Ray mettait en route les différentes machines, Marc se servit un verre de vieux scotch.

-Cela me donnera le courage d'affronter le patron. Voulez-vous goûter à cette mixture, Krotos ?

Le gnome, qui s'était allongé sur un fauteuil-relax, les yeux clos, se contenta de répondre :

-Il y a des millénaires que nous avons banni toute boisson alcoolisée !Marc savoura avec plaisir le contenu de son gobelet.

-Inspection terminée, annonça Ray. Parés pour le retour. J'appelle le service... Attention, Marc ! Une onde psychokinétine d'une extraordinaire puissance.., Elle me paralyse...

Au même instant, Marc se sentit comme enfermé dans une gangue épaisse tandis qu'une pensée puissante vrillait ses neurones, laissant éclater une joie malsaine :

-Présomptueuses créatures ! Vous avez pu croire avoir vaincu un Trikan. Si j'ai paru céder, c'était pour découvrir votre ridicule technologie et obtenir les coordonnées de vos planètes.

Appuyé contre la console des commandes, Marc respirait difficilement sous le poids qui l'écrasait.

-... Vous êtes perdus... Vos compatriotes deviendront mes esclaves... Je leur ferai expier vos fautes.

Le Terrien tenta de remuer les doigts. Sa main lui semblait peser une tonne. Le sang battait à ses tempes. Mobilisant tout ce qui lui restait de force, il fit progresser son index de quelques millimètres. Un cri lui échappa tant la douleur qui transperçait son thorax était intense. Et toujours, la pensée qui puisait dans son crâne.

-Je veux sentir ta souffrance... que tu souhaites que la mort vienne te délivrer.. Crois-moi, ce sera long... Je sais doser ma force...

Encore un millimètre, un autre...

-Crie !... J'aime entendre cette expression de douleur...

Un nouveau millimètre...

-Allons, supplie-moi de t'épargner. Qui sait si je ne me laisserai pas fléchir ?...

Pourquoi ce bouton était-il aussi éloigné ? Un hurlement de bête à l'agonie.

-Est-ce moi ? se demanda vaguement Marc.

-Encore... Tu ne souffres pas assez... Il faut payer...

Une nouvelle progression de l'index.

-Ainsi seront punis ceux qui auront outragé le futur maître de la Galaxie... Mêmes mes compatriotes subiront leur châtiment...

Marc sut qu'il ne pourrait jamais atteindre son but.

-Tous des lâches ! Demande-moi de te pardonner...

L'insulte insuffla un regain d'énergie au Terrien. Le temps avait perdu toute signification. La douleur s'était répandue dans toutes ses fibres... Depuis quand était-elle en lui ?... Jusqu'à quand ?

-Tu ne peux pas savoir le plaisir que j'éprouve... beaucoup plus raffiné que celui procuré par tes ridicules femelles.

Marc fut étonné de constater que son doigt était arrivé à son objectif. Une minime pression, qui lui arracha un gémissement...

Le rugissement aigu des propulseurs lancés à plein régime retentit dans le poste de pilotage. Une seconde... deux... Le Neptune s'arracha à sa trajectoire. Malgré les anti-G, les effets de l'accélération devinrent vite insupportables.

-Non... Non... Vous n'avez pas le droit...

L'onde psychique s'affolait, s'affaiblissait. Elle s'évanouit brusquement... Marc ne pouvait cependant toujours pas esquisser un geste. L'étau qui l'enserrait avait disparu, mais une force irrésistible le clouait sur place. Elle cessa d'un coup, en même temps que le sifflement s'atténuait.

Avec douceur, Ray allongea son ami sur un siège couchette.

-C'est terminé, je vais te conduire au bloc médical.

Marc se redressa lentement.

-Krotos ?

-Comme tu le pensais, il n'a pas supporté l'accélération brutale. Dès que j'ai été libéré, j'ai pris les commandes manuelles.

Le Trikan était toujours étendu dans son fauteuil. Sa peau avait pris une couleur cireuse. De nombreux hématomes provoqués par l'éclatement des vaisseaux sanguins étaient visibles sur sa tête et ses membres. Marc s'approchait quand il perçut une onde psychique très faible.

-Inutile... Je meurs... Tu penses avoir gagné, mais c'est faux... J'ai des amis qui partagent mes idées... Je les ai avertis... Ils me vengeront... Prépare-toi à mourir...

Le contact cessa brusquement...

-C'est fini, bon débarras, grogna Ray. Qu'est-ce que j'en fais ?

-Glisse-le dans un container réfrigérant. Les spécialistes voudront examiner son organisme.

-Tu devrais consulter l'ordinateur médical.

Marc éclata de rire.

-Je me sens en pleine forme ! J'ai surtout besoin d'un séjour au bloc sanitaire. Je crois que je n'ai jamais autant transpiré de ma vie !

CHAPITRE XVIII

Lorsqu'il revint au poste de pilotage, Marc, détendu, fleurait bon l'eau de toilette. Il avait revêtu une tenue propre d'astronaute. Ray, dont le visage rayonnait de joie, tendit un verre à son ami.

-C'est tonique et reconstituant. Tu as besoin de récupérer des forces.

Se laissant sombrer sur un siège, Marc soupira :

-J'ai l'impression d'être passé dans un concasseur géant. Tous mes muscles sont encore douloureux.

-Tu as besoin d'une nuit de sommeil ! Mais auparavant, il faut avertir Khov.

La communication avec le S.S.P.P. fut rapidement établie.

-Message pour le général. Priorité A 1.

Le visage revêche, l'opérateur rétorqua, sans lever la tête : -Vous auriez dû consulter votre ordinateur. Il est onze heures du soir, à New York. Le général est depuis longtemps rentré à son domicile.

-Je maintiens ma demande ! Soyez rassuré, j'en assume l'entière responsabilité !

Le sergent de permanence dévisagea enfin le présomptueux qui allait se faire muter, sans aucun doute, sur un obscur satellite ! En reconnaissant son interlocuteur, il esquissa un sourire.

-Capitaine Stone ! Je sais que vous êtes un habitué des appels nocturnes. On racontait même dans le service que, lorsque Marc partait en mission, des paris étaient engagés sur l'heure à laquelle arriverait son premier rapport. A voir le sourire de l'homme, il était probable qu'il avait gagné ! Je transmets chez Khov.

L'écran du vidéophone fut zébré d'éclairs puis révéla le visage d'une femme blonde. L'épouse de Khov paraissait être âgée d'à peine quarante ans. Seules de minuscules rides autour des yeux pouvaient faire soupçonner qu'elle en avait dix de plus. Avec un très joli sourire, elle s'exclama :

-Capitaine Stone, je suis heureuse de vous voir ! Je suppose que vous désirez parler à mon mari. Je l'appelle...

-Mme Khov recula, sans toutefois quitter le champ de la caméra, et apparut dans une splendide nudité. La vision fut brève car elle se rapprocha très vite.

-Il sort de son bain revitalisant. (Avec un clin d'oeil complice, elle poursuivit :) Je n'oublie pas le service que vous m'avez rendu en dissipant mes doutes sur sa conduite en mission. Depuis, je m'efforce chaque soir de me faire pardonner mes horribles soupçons. Malheureusement, en ce moment, il est un peu fatigué. Si, au cours de vos missions, vous trouvez un bon stimulant...

La face de Khov remplaça celle de sa femme. Il avait les traits tirés, et son teint était bien rouge.

-Que voulez-vous encore ? gronda-t-il avec humeur.

-Malgré le plaisir que j'ai eu à m'entretenir avec madame la générale, je ne me serais pas permis de vous déranger en pleine félicité conjugale s'il n'était survenu des événements graves.

Marc résuma son action depuis son arrivée sur Summa. Au milieu du récit, Khov grogna à l'intention de sa femme, qui écoutait :

-Va me chercher un whisky. Je sens que je vais en avoir besoin !

Le récit de Marc achevé, il resta un long moment songeur.

-Vous avez le chic, mon garçon, pour transformer les missions les plus simples en difficiles problèmes. Restez en orbite autour de Summa en attendant les ordres. Je dois m'entretenir avec le responsable de la Sécurité Galactique, qui informera le Président.

L'écran éteint, Marc se tourna vers Ray.

-Branche tous les détecteurs et le champ de force. Moi, je vais m'offrir un somme monumental. Il me semble que cela fait une éternité que je n'ai pas fermé l'oeil !

CHAPITRE XIX

Marc s'installa sur le siège du copilote. Dix heures de sommeil l'avaient remis dans une forme passable.

-Pas de nouvelles du général ?

-Si j'avais reçu un message, je pense que je t'aurais averti, ironisa l'androïde. Il faut encore patienter.

Marc fit basculer son dossier et resta immobile, l'esprit dans le vague, à mi-chemin entre le rêve et le sommeil.

Une sonnerie aigrelette l'obligea à se redresser.

-Emergence au 130, annonça Ray. Deux astronefs. Ils se dirigent à grande vitesse vers Summa.

-Centre tous les détecteurs sur eux.

Marc scruta l'écran de visibilité extérieure.

-Ils ont l'apparence du vaisseau de Krotos, nota Ray.

-Tente de les contacter, décida Marc. Nous pourrions ouvrir des négociations.

-Si tous les Trikans sont aussi bornés que Krotos, tu n'as aucune chance.

Un voyant clignota au-dessus de la vidéo-radio.

-Ce sont eux qui nous appellent. Voyons ce qu'ils veulent, mais méfie-toi !

Un Trikan parut sur l'écran. Il avait la même morphologie que Krotos, avec un crâne énorme et un menton étroit. Ses yeux très pâles luisaient étrangement.

-Si vous ne voulez pas mourir, rendez-vous immédiatement. Gagnez votre module en laissant votre astronef intact pour que nous puissions en prendre possession.

Marc répondit d'un ton conciliant.

-Je suis un modeste représentant de l'Union Terrienne. Ne voulez-vous pas entrer en contact avec le chef de mon gouvernement ?

-Nous verrons plus tard à discuter avec ton président des modalités de sa capitulation. Pour l'heure, nous nous occupons de la tienne. Tu as une minute pour quitter ton bâtiment. Passé ce délai, nous ouvrons le feu !

-Je pense que vous m'avez mal compris. Un militaire ne peut se rendre sans ordre de ses supérieurs.

-Tais-toi, vermine ! Apprends à obéir à tes maîtres. Tu ne disposes plus que de quarante secondes.

-En attaquant un vaisseau de l'Union Terrienne, vous vous rendez coupable de piraterie. De plus, cela risque de déclencher un conflit dont vous et vos concitoyens subirez les conséquences.

Avec un sourire méprisant, le gnome rétorqua :

-Les Trikans régneront sur la galaxie...

-Je vous en prie, railla Marc, épargnez-moi votre philosophie simpliste sur la supériorité de votre race qui doit réduire en esclavage les autres peuples. Krotos m'a déjà fait la leçon ! Vous constaterez que cela ne lui a pas porté chance !

La colère défigura les traits de l'extraterrestre.

-Tu paieras ce crime ! Meurs donc !

Un éclair rouge jaillit de l'astronef ennemi.

-Rayon laser de puissance moyenne, diagnostiqua Ray. Le champ protecteur l'a facilement absorbe. Toutefois, si la distance qui nous sépare décroît, l'intensité augmentera notablement, ce qui pourrait devenir dangereux.

La communication n'ayant pas été coupée, Marc vit avec amusement une vive surprise se peindre sur le visage du Trikan. Manifestement, il n'avait pas envisagé l'échec de son attaque.

-Je vous renouvelle ma proposition de discussion, dit le jeune homme. Ne nous obligez pas à riposter.

Furieux, le nain écrasa de sa petite main une série de touches. Des missiles jaillirent des flancs des deux bâtiments ennemis.

-Cette fois, c'est sérieux, s'inquiéta Ray. Ils sont porteurs de puissantes charges nucléaires. Notre écran ne résistera pas à une telle énergie.

-Prends de la vitesse et utilise des cisées.

C'étaient des leurres très perfectionnés donnant une image thermique, volumique et magnétique exacte du Neptune. -Inutile de tenter de fuir, ricana le gnome, nos engins sont pourvus de têtes chercheuses. Ils ne vous lâcheront plus.

Sans répondre, Marc serra les dents sous l'effet de l'accélération. Ray effectua une série de virages serrés, et un voile noir vint obscurcir la vue de son ami.

La voix angoissée de l'androïde l'obligea très vite à émerger de son étourdissement.

-Un gros pépin, Marc. Les bombes n'ont pas réagi au leurre, elles nous suivent toujours.

D'un index nerveux, Marc éteignit la vidéo-radio, pour ne plus avoir à subir le regard ironique du Trikan.

-Ces petits monstres doivent diriger psychiquement leurs fusées comme ils le font avec les robots. Augmente la vitesse et fonce sur le premier appareil. Nous allons donner des émotions à cette punaise. Il faut l'effrayer suffisamment pour qu'elle ne songe plus à contrôler les engins. C'est notre seule chance.

Ray fit effectuer un virage serré au Neptune, ce qui secoua rudement Marc. Maintenant, les deux astronefs filaient à la rencontre l'un de l'autre à une vitesse phénoménale.

-Missiles à vingt mille mètres, annonça la voix synthétique de l'ordinateur... quinze mille...

Le vaisseau ennemi occupait tout l'écran central. Le nain commençait certainement à s'affoler car il ralentit en modifiant sa trajectoire d'une manière désordonnée.

-Missiles à dix mille mètres...

-Encore cinq secondes, souffla Marc. A l'instant où tu vireras, éjecte un cisée... Maintenant !

La manoeuvre fut d'une violence telle que le jeune homme perdit connaissance. Quand il émergea de son inconscience, un filet de sang sourdait de sa narine gauche.

-Manoeuvre réussie ! L'adversaire a été pulvérisé.

Un nuage irisé s'étalait lentement sur l'écran.

-Où est l'autre appareil ?

-Pour l'instant, il reste à bonne distance. La disparition de son co-équipier semble avoir émoussé l'ardeur combative du Trikan.

-Il faut le poursuivre ! Nous ne pouvons laisser un tel cinglé se balader dans la Galaxie.

Une sonnerie d'alarme se déclencha soudain.

-Mauvais, émit Ray. Des renforts arrivent. Cinq bâtiments viennent d'émerger du subespace.

Le témoin de la vidéo-radio clignota.

-A quoi bon ? soupira Marc. Je n'ai aucune envie de subir un nouvel ultimatum !

-Mieux vaut gagner du temps ! Nous acquerrons ainsi une vitesse suffisante pour plonger dans, le subespace, non sans leur avoir envoyé une gerbe de torpilles. Nous n'avons pas encore testé la résistance de leurs écrans. Un détail utile pour nos amis de la Sécurité Spatiale.

Marc effleura le commutateur. Son interlocuteur semblait plus âgé que le précédent, avec ses sourcils presque blancs. Une certaine noblesse irradiait de son visage.

-Bonjour, Terrien. Je suis le Président des Trikans, et je voudrais vous présenter les excuses de mon peuple. C'est seulement hier que nous avons capté le message de Krotos appelant ses amis à la haine et à la vengeance. J'ai aussitôt décidé de venir. (La voix trahissait une lourde peine.) Lorsque Krotos a exposé à notre assemblée ses idées ridicules, nous les avons bien évidemment repoussées. Mais nous avons commis une lourde faute en le bannissant. Nous n'avons pas pensé que lui et ses deux compères allaient se livrer à de telles atrocités sur des planètes primitives.

-Comment les connaissez-vous si vous n'avez été informé qu'hier ?

Une lueur amusée brilla dans le regard du Trikan.

-J'ai sondé l'esprit de Kork, celui qui mène l'astronef que vous avez épargné. En découvrant ces horreurs, j'ai été atterré. Je sais que vous avez lutté sans haine, espérant négocier jusqu'au dernier instant. A dire vrai, je n'espérais pas vous retrouver vivant. Votre manoeuvre était d'une folie audace.

-Je n'avais guère le choix, ironisa Marc.

-Je sais ! Logiquement, vous n'aviez aucune chance de réussir, mais instinctivement, vous avez trouvé la faille de votre adversaire : plus l'espérance de vie d'un individu augmente, plus il craint la mort. (Le Trikan esquissa un sourire.) Vous êtes d'une race jeune, impatiente, et je sens que vous ne souhaitez guère entendre un sermon philosophique. Grâce à votre vaillance, la menace qui pesait sur Summa et la Galaxie a été éliminée. Nous nous chargerons de punir le troisième fautif. Assurez votre Président qu'une pareille chose ne se renouvellera pas. Les Trikans ne quitteront plus leur planète.

-Ne voulez-vous pas nouer des relations avec l'Union Terrienne ?

-Cela nuirait à notre tranquillité d'esprit. Nous sommes un très vieux peuple qui n'a plus le désir de découvrir de nouveaux mondes. Adieu, ami, et pardonnez-nous les épreuves qui vous ont été infligées.

L'image du vieillard s'effaça.

-Ils reprennent de la vitesse, annonça Ray.

Cinq minutes plus tard, les vaisseaux plongeaient dans le subespace.

-Cela se termine mieux que nous ne pouvions l'espérer, soupira Marc. Après cette série d'émotions, je crois que j'aurais mérité ma permission.

-Notre mission n'est pas encore achevée. Nous avons un appel sur la fréquence réservée à la Sécurité Galactique.

-Communication de l'amiral Neuman, aboya un officier dès son apparition sur l'écran.

Le grand patron de la Sécurité Galactique avait un visage sévère, des cheveux gris.

-Le rapport que vous avez transmis au général Khov a déclenché une certaine effervescence dans les sphères dirigeantes. A la demande du Président, j'ai envoyé trois croiseurs pour vous soutenir. Il importe de mettre ces Trikans hors d'état de nuire.

-Vous pouvez rappeler vos unités, amiral, la guerre est terminée.

Neuman écouta avec attention le récit détaillé de Marc.

-Félicitations, capitaine. Mais est-ce qu'ils n'attaqueront pas à nouveau ?

-Je ne le pense pas. Contrairement à ce que pouvaient faire croire ces trois énergumènes, les

Trikans semblaient sincèrement désolés de l'incident.

-Espérons-le !

L'image de Khov remplaça celle de l'amiral.

-Dès que vous vous serez assuré que l'existence a repris un cours normal sur Summa, vous pourrez rentrer.

CHAPITRE XX

Le soleil n'était levé que depuis peu lorsque Marc et Ray franchirent les portes de Sila. Le module les avait déposés à peu de distance avant le lever du jour.

Malgré l'heure matinale, les rues étaient animées car c'était jour de marché. Les Terriens flânèrent au hasard des ruelles, constatant combien l'atmosphère avait changé depuis leur première arrivée avec le convoi de prisonniers.

-Allons au château, décida Marc.

La sentinelle de garde au pont-levis fit quelques difficultés pour les laisser entrer, mais par chance, l'officier de permanence était un des anciens esclaves évadés.

-Messire Marc ! Quel bonheur de vous revoir sain et sauf. Je fais prévenir immédiatement Sa Majesté. En arrivant dans l'antichambre du roi, Marc croisa trois ou quatre courtisans qui le saluèrent avec forces démonstrations d'amitié, masquant le déplaisir qu'ils ressentaient en voyant apparaître un concurrent dangereux.

La porte s'ouvrit, et Burk s'élança à la rencontre de son ami, le visage joyeux.

-Messire Marc ! Venez vite ! Je m'apprêtais à déjeuner. Partagez mon repas.

Le jeune souverain donna des instructions à deux valets et fit signe à Marc de s'asseoir en face de lui. En quelques jours, Burk s'était métamorphosé. Il avait pris des couleurs, et ses joues paraissaient plus emplies. Comme Marc lui en faisait compliment, il éclata de rire.

-L'avantage du métier de roi est qu'on mange tous les jours sans avoir à se soucier du lendemain. Enfin, pas trop...

Il expliqua qu'il avait constitué un conseil comportant le connétable et plusieurs nobles.

-J'ai nommé un prévôt, un Garde des Sceaux et un Grand Argentier. Celui-là, je surveille ses comptes attentivement. Mais parlons de vous !

-Je voulais vous dire que le roi Warga était bien mort. Il a péri dans le château de Sark qu'un violent orage a détruit. Là-bas, il n'y a plus que quelques hommes d'arme sans chef. Vous pouvez donner ce fief à un de vos barons. Cependant, il serait préférable d'utiliser une route qui contourne la forêt.

Tout en mangeant force tranches de pâté en croûte et de rôtis, il décrivit à Burk les créatures de cauchemar qu'il avait rencontrées.

-Vous seul, Messire Marc, pouviez vaincre de tels périls.

Les valets ayant fini de desservir, le roi leur fit signe de se retirer. Le visage grave, il fixa Marc.

-Le danger Warga étant dissipé, je pense que mon règne pourra se poursuivre pendant des années si je ne fais pas trop de bêtises. C'est, à vous, messire Marc, que je le dois. Quel poste souhaitez-vous occuper ? Je vous les offre tous de grand coeur.

Marc secoua doucement la tête.

-Je ne suis revenu que pour vous annoncer la disparition de Warga. Maintenant, je dois retourner chez moi.

Burk dévisagea longtemps Marc en silence. Nostalgie, tristesse de perdre un ami, il était facile de lire dans son esprit.

-Qui etes-vous réellement, messire ? murmura-t-il enfin. (Avant que Marc réponde, il poursuivit :) Ne me parlez pas des pays à l'est. On n'y trouve que des tribus sauvages. Il serait impossible à quiconque d'y acquérir toutes vos connaissances. (Ironique, il conclut :) Votre explication pouvait satisfaire mes barons, mais pas un petit voleur déluré comme moi. Je connais trop les hommes !

Marc n'hésita guère.

-Vous serez un très grand roi ! J'ai trop d'estime pour vous mentir, seulement je vous supplie de tenir notre conversation secrète. En révéler la teneur vous causerait de grands dommages car nul ne vous croirait ! Je viens effectivement d'un pays très lointain. Encore plus "lointain que vous ne pourrez jamais l'imaginer. Je n'appartiens pas à votre monde. Ma planète tourne autour d'un de ces points brillants, dans le ciel, qui sont autant de soleils.

-Et Warga ?

-C'est aussi une créature étrangère. Il a été éliminé, et c'est bien ainsi. Vous poursuivrez votre évolution sans intervention extérieure. Qui sait si dans des siècles et des siècles, vous aussi ne vous lancerez pas à votre tour à la conquête du ciel ?

L'enfant posa sa main sur le bras de Marc.

-Merci, ami, de m'avoir parlé franchement. Je suis triste de vous voir partir, mais en regardant les étoiles, je penserai à vous.

Un valet fit son apparition et annonça :

-Les personnes que vous avez mandées sont arrivées. Elles sont à vos ordres, Monseigneur.

-Qu'elles entrent !

Burk éclata de rire et prit familièrement le bras de son ami.

-J'avais deviné que vous annonceriez votre départ, aussi je voulais vous faire une petite surprise.

Dame Mina et Nala firent leur apparition. Très intimidées, elles s'inclinèrent profondément.

-Dame Mina, je voudrais que vous alliez dans l'appartement de messire Marc pour l'aider à faire son choix parmi les étoffes que j'y ai fait porter. Pendant ce temps, Nala me tiendra compagnie.

Avec un clin d'oeil, il murmura à Marc :

-Même un roi a besoin de compléter son instruction. Avec Nala, je ne risque aucun incident diplomatique ! Nous souperons ensemble, et je vous conterai mes exploits !

Marc saisit le bras de Mina radieuse et la conduisit dans sa chambre. A peine s'il perçut l'appel bougon de Ray.

-Je retourne en ville filmer des scènes de la vie quotidienne. Ainsi, je n'aurai pas à censurer mes enregistrements. Tu sais que les technocrates détestent ce genre de manifestations sentimentales.

Aussitôt la porte refermée, Mina se suspendit au cou de Marc. C'est elle qui le poussa avec fermeté vers le lit. Puis deux lèvres fraîches s'écrasèrent sur celles du jeune homme tandis que des doigts agiles dégrafaient son pourpoint.

CHAPITRE XXI

En grand uniforme, Marc comparaissait devant la commission de non-immixtion qui avait souhaité l'entendre dès son retour sur Terre. Marc pestait intérieurement contre cette formalité, car elle retardait sa permission.

La Commission était dirigée par le Président, assisté de Neuman et de Khov. Cinq sénateurs en étaient membres. Une fois de plus, Marc fit le récit détaillé de ses aventures, passant seulement sous silence ses débordements sentimentaux. Tout en parlant, il songeait à l'air qu'auraient pris ces austères censeurs s'ils avaient pu savoir. Son ultime tête-à-tête avec Mina avait été d'autant plus houleux que la jeune femme avait pressenti qu'il était le dernier. Le souper avec Burk avait aussi été très agréable. Il était manifeste que la jeune Nala lui avait ouvert des horizons qu'il ne tarderait pas à mieux explorer... Marc conclut sa déposition en disant : -Estimant ma mission terminée, j'ai abandonné le château au milieu de la nuit et ai regagné le Neptune avec mon androïde.

Un sénateur maigrichon, au visage ridé, posa la première question.

-Dans la forêt, lorsque l'araignée a capturé votre robot, pourquoi avoir pris le risque de la combattre et refusé d'appeler votre module ?

Marc feignit de ne pas voir le regard ironique de Khov, qui n'ignorait rien des liens d'amitié qui l'unissaient à Ray.

-Si j'avais ainsi capitulé et regagné le Neptune, j'aurais été contraint d'abandonner ma mission car le règlement interdit à un agent isolé de se rendre sur une planète primitive. Le service aurait donc été oblige d'envoyer une autre expédition, avec tous les frais que cela comporte.

Ce rappel des économies réalisées souleva l'approbation générale. Le vieillard reprit d'un ton plus sec :

-Il est regrettable que vous n'ayez pu convaincre le Président des Trikans de nouer des relations avec la Terre.

-Je le déplore également, mais je ne pense pas qu'un meilleur diplomate aurait réussi là où j'ai échoué.

-Qui vous dit qu'un jour, ils n'attaqueront pas une de nos planètes ?

-Je ne puis donner qu'une impression. J'ai nettement senti qu'ils souhaitaient la paix. S'il en avait été autrement, ils n'auraient eu aucune difficulté à détruire mon astronef.

Un autre des assistants, au visage rougeaud, grogna :

-Pourquoi ne pas avoir expédié une bordée de missiles sur les deux vaisseaux qui vous attaquaient ?

-Je devais d'abord me débarrasser de ceux qui me poursuivaient.

Neuman intervint avec une calme assurance.

-Le capitaine Stone a remarquablement manoeuvré.

Le Président approuva aussitôt.

-L'existence de ces Trikans ainsi que toutes leurs caractéristiques seront entrées dans nos ordinateurs. Puisqu'ils vivent plus de mille ans, nos descendants auront sans doute l'occasion de les rencontrer... Nous pouvons clore cette séance, après avoir félicité le capitaine Stone pour son action courageuse dans le respect de nos lois ! (Avec un demi-sourire, il ajouta :) Lors de votre précédente comparution devant cette commission, il avait été formulé le souhait que vous soyez élevé au grade supérieur. Nous renouvelons ce voeu en espérant que cette fois, il sera suivi d'effet.

Dans le grand hall du ministère des Affaires Galactiques, où s'était tenue la réunion, Marc fut rejoint par Neuman et Khov.

-Vous avez été parfait, capitaine, déclara l'amiral. J'ai toujours pensé que vous perdiez votre temps au S.S.P.P. Intégrez mon service, et en quelques années, vous parviendrez à une haute position.

Khov n'appréciait guère les tentatives que faisait périodiquement Neuman pour lui souffler Marc. Il s'efforça de grimacer un sourire en s'emparant du bras de Stone.

-Je l'ai, je le garde. S'il suivait vos conseils, vous l'enverriez rapidement se faire tuer dans un coin quelconque de la Galaxie. Tandis que moi, je lui choisis des missions sans danger.

Il s'interrompit devant l'air hilare de ses interlocuteurs.

-Rassurez-vous, mon général, sourit Marc, je resterai au S.S.P.P. Je n'ai aucun goût pour déjouer les intrigues complexes des criminels. Je préfère courir sur des montures variées des chemins mal pavés, donner et surtout recevoir de grands coups d'épée. Cela permet de rencontrer des gens extraordinaires et de nouer des amitiés solides bien que brèves.

-Je vous comprends, soupira Neuman. Mais si jamais vous changez d'avis, vous savez où me joindre.

L'amiral s'éloigna à grandes enjambées. Marc en profita pour glisser :

-Nous sommes vendredi, puis-je disposer de mon week-end ?

-Je suis désolé, mon garçon, mais j'ai encore de nombreuses questions à vous poser. Or, dès lundi, d'autres problèmes m'appelleront.

Ils sortirent du bâtiment et restèrent un instant immobiles sur le trottoir, regardant la circulation, très dense à cette heure. Une jeune femme se tenait adossée à un luxueux trans garé en stationnement interdit.

-Bonjour, général ; bonjour, Marc chéri.

-Mes hommages, miss Swenson, grogna Khov.

Elsa Swenson était une très jolie brune aux yeux

d'un vert resplendissant. De plus, elle avait la caractéristique d'être la femme la plus riche de la Galaxie.

Il n'était plus un secret pour personne que Marc et elle entretenaient les meilleures relations. Prenant les devants, Khov poursuivit :

-Je suis navré, mais je dois m'entretenir longuement avec le capitaine Stone.

-C'est ce que j'avais présumé. Aussi ai-je pris la liberté d'inviter la générale à passer le week-end sur mon îlot dans le Pacifique. Ainsi, vous aurez deux jours pour parler travail, messieurs...

Khov voulut répondre, mais Elsa reprit :

-La générale se fait une joie de ce week-end. Elle serait très déçue si vous refusiez. Elle m'a confié qu'elle vous trouvait très fatigué, en ce moment, et elle pense qu'un petit séjour au bord de la mer vous sera fort salutaire.

Khov rougit violemment et tenta encore de protester.

-Il me faut rester en contact avec mon service.

Elsa balaya l'objection d'un geste négligent de sa longue main fine.

-Je dispose de moyens de communications presque aussi perfectionnés que ceux de votre service. N'oubliez pas que je dirige un empire financier qui s'étend sur toutes les planètes de l'Union Terrienne !

Bien qu'à bout d'arguments, Khov hésitait encore.

-Pressez-vous, lui dit Elsa. Un chauffeur est passé prendre la générale, et je ne voudrais pas qu'elle attende à l'astroport. Mon hélijet est paré. Il nous conduira à destination en moins de deux heures.

Tandis que Khov s'installait finalement dans le trans, Elsa effleura les lèvres de Marc d'un rapide baiser.

-J'avais hâte de te revoir, murmura Marc.

-Moi aussi ! Aussi ai-je trouvé stupide de perdre tout un week-end. Rassure-toi, la générale se chargera de neutraliser son mari. Elle paraissait très émoustillée à l'idée de cette escapade.

-Je lui fais confiance, sur ce chapitre, sourit Marc.

Le trans piloté par Ray démarra rapidement. Elsa ouvrit le petit bar et servit un scotch à ses invités. En levant son verre, elle demanda à Khov :

-Vous qui lisez les rapports de vos agents, pensez-vous que Marc me soit fidèle ?

Tandis que Marc sentait ses joues s'empourprer, le général répondit avec une ironie féroce :

-Souvent, miss Swenson, souvent !

FIN