-

Il s'agit d'une race particulière de Cynéides, répondit Archontas.

Ils ont toujours vécu au milieu de nos cités, mais sans trop se mélanger à

nous. Ils ont leurs propres coutumes, une culture bien à eux, etc.

Physiquement aussi, ils sont différents: leur poil est plus long que le nôtre, frisé et généralement roux. Ils ont des oreilles tombantes de chaque côté et des yeux toujours un peu mélancoliques, d'o˘ leur nom.

Richard Blade comprit, à la description d'Archontas, qu'il s'agissait de ces chiens qu'il avait pour lui-même baptisés les " cockers ", précisément parce qu'ils avaient un air de... chien battu!

-

Pourquoi dis-tu que ta vie est un paradis à côté de la leur ?

demanda-t-il.

-

Parce que la leur est devenue un enfer, répondit sobrement le vieux chien, avec un léger tremblement des babines. Basker est arrivé au pouvoir il y a maintenant trois ans...

-

Légalement ? demanda Blade.

-

Hélas oui! soupira Archontas. Nous n'avons même pas l'excuse, ou le confort moral, de nous dire qu'il nous a pris de force ou par surprise: nous lui avons confié gentiment les clés du palais! Oh ! bien s˚r, ça faisait un petit moment, déjà, que ses hordes de Longs-Museaux tenaient la rue et se livraient àtoutes sortes de provocations. C'était très bien huilé, comme scénario: les bandes à la solde de Basker faisaient régner l'insécurité et la terreur, pendant que Basker lui-même se présentait comme le garant de la paix et de la fierté retrouvées. Et qui a, dès le départ, été désigné comme le responsable de tous les maux

-

réels ou imaginaires - dont sont accablés les ~ynéides?

-

Les Yeux-Tristes, soupira Richard Blade, pour le moins consterné

par ce qu'il découvrait de ce monde.

-

Exact. Les disparitions, les persécutions ont commencé pratiquement dès l'élection de Basker à la tête de l'…tat. Les Yeux-Tristes qui tenaient des commerces ont vu leurs boutiques détruites - de nuit, évi demment. Ceux qui étaient riches ont été contraints de prêter des sommes énormes au Gouvernement ou àses agents, un argent dont ils n'ont jamais revu la couleur avant qu'il ne soit purement et simplement décrété

confisqué par les autorités. Et, depuis quelques mois, on est passé à un cran supérieur dans l'horreur. Désormais, les Yeux-Tristes ont interdiction de quitter leur quartier, situé au nord de Canys, sans une autorisation spéciale. qui, je te le précise, ne leur naturellement est jamais accordée.

Bien s˚r, ils ont été éjectés d'à peu près tous les corps de métier. Et il ne se passe pas un jour sans que, au lever du soleil, on ne découvre les cadavres d'Yeux-Tristes froidement " exécutés ", durant la nuit, par les hordes de Longs-Museaux, qui patrouillent soi-disant pour assurer la sécurité des " purs " Cynéides.

-

Je vois.., fit lugubrement Richard Blade.

Tous les deux, l'homme et le chien, restèrent un long moment silencieux, perdus dans de sombres pensées, qui étaient à peu près les mêmes.

Finalement, Archontas laissa échapper un profond soupir et dit d'une voix caverneuse:

-

J'en arrive de plus en plus souvent à me demander si la vie des Humains, exempte de soucis, presque totalement inconsciente d'elle-même, n'est pas préférable à l'espèce de nuit sans espoir qui s'est abattue sur nous, et qui ne fait que s'épaissir un peu plus chaque jour...

Richard Blade saisit la balle au bond:

-

Tu te trompe, Archontas, au sujet des Humains. ils ne sont pas du tout ce que tu crois!

Surpris par le ton grave, presque solennel de son interlocuteur, Archontas releva vivement la tête et le dévisagea de ses gros yeux globuleux, bordés d'une épaisse strie rouge vif.

-

Comment ça, " pas ce que je crois " ? demanda-t-il. Tu oublies que je fais autorité, en matière d'humanologie, Richard Blade!

-

Tu es peut-être un expert en humanologie, répondit ce dernier, avec un sourire nettement ironique, seulement moi, je suis mieux que ça, encore: je suis un humain! Alors, maintenant, Archontas, écoute ! …coute bien ce que j'ai à t'apprendre...

Une vingtaine de minutes plus tard, le vieux Cynéide arborait une mine totalement abasourdie, comme assommé par le choc des révélations que Richard Blade venait de lui faire. Blade qui reconnaissait bien volontiers qu'il pouvait bien être groggy

apprendre, en moins d'une demi-heure, que les Humains qu'il côtoyait tous les jours étaient capables de communiquer entre eux, d'éprouver des sentiments; que les Hum‚tres existaient bel et bien, dans le secret de la Forêt Profonde et que, eux aussi, était doués de la parole et avaient même appris à maîtriser

le feu, il y avait de quoi perturber le plus solide et le plus honnête des Cynéides!

-

En un sens, fmit par soupirer Archontas, ce que tu viens de m'apprendre me ferait plutôt plaisir. Ou, du moins, je suppose que ça me fera plaisir, dès que j'aurai été capable de digérer l'information!

-

Pourquoi plaisir ? demanda Blade.

-

Parce que nous sommes de plus en plus nombreux, quoique encore très minoritaires, bien s˚r, àpenser que l'on n'a pas le droit moral de traiter les Humains avec cruauté. Certains, même, dont je ne suis pas loin, idéologiquement parlant, de partager les thèses, considèrent que les Humains devraient avoir des droits. L'un de mes amis, philologue, radié de l'université lui aussi, a même inventé une expression originale pour définir ce courant de pensée. Il appelle ça: " les Droits de l'Homme ". Pas mal, non?

Le sourire d'Archontas disparut aussi vite qu'il était apparu, et il conclut, d'une voix beaucoup plus sombre:

-

Mais évidemment, il n'est plus question de se soucier des droits de l'homme, quand les plus élémentaires de ceux des Cynéides sont bafoués tous les jours, et par les dirigeants et leurs sbires, qui plus est Richard Blade se dressa du bahut sur lequel il était assis, faisant légèrement sursauter son interlocuteur.

-

Et si, au contraire, c'était plus que jamais le 112 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

moment de s'en soucier? demanda-t-il, avec une sorte de fièvre pressante dans la voix. Si elle était là, l'unique occasion de se défaire de Basker et de sa clique, pour travailler, ensuite, à un monde plus juste?

-

Je... j'avoue que je ne comprends pas, balbutia Archontas, visiblement désarçonné. qu'est-ce que tu veux dire, au juste, Richard Blade?

-

Je veux parler de l'éternel principe: séparés, on est faibles et désarmés, mais unis, on est les plus forts. Je veux dire que pour abattre la puissance des Longs-Museaux avant qu'ils deviennent indéboulonnables, je ne vois qu'une seule solution: une alliance entre les Cynéides dissidents et les Humains qui vivent dans la Forêt Profonde!

Archontas regarda Blade comme s'il se trouvait brusquement confronté à un dément en pleine crise:

-

C'est impossible, voyons! Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis ! Aucun Cynéide n'acceptera seulement d'envisager une alliance aussi...

aussi contre nature!

-

Alors, les Cynéides mourront en conformité avec la nature !

répliqua sèchement Blade. C'est ce que tu veux pour ton peuple, Archontas?

Soit la mort, soit l'esclavage?

-

Non, bien s˚r, mais...

-

Mais quoi, bon sang ? rugit Blade, dont l'exaspération allait croissant. Tu crois peut-être que les

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 113

Humains et vous ne pourrez jamais vous entendre? Jamais faire tomber les barrières que vous avez vous-mêmes érigées ? Mais ce n'est pas vrai !

Aucune barrière n'est indestructible.., pourvu qu'on la pousse tous ensemble du même côté!

Manifestement, Archontas ne savait plus o˘ il en était, dépassé par les perspectives que la proposition de Blade ouvrait devant ses yeux.

- C'est l'occasion o˘ jamais, non seulement d'avoir une chance d'abattre Basker et ses hordes sanguinaires, insista Richard Blade d'une voix forte, pressante, mais surtout d'ébaucher un nouveau mode de vie, plus harmonieux, o˘ les Cynéides et les Humains seront enfin capables de se comprendre et de s'estimer à leur valeur réelle ! Songes-y, Archontas, c'est vraiment une chance inespérée qui se présente aujourd'...

Blade fut coupé net dans sa péroraison. Pour la bonne raison que la porte de bois venait de voler en éclat et qu'une bande de six Longs-Museaux harnachés de cuir noir jaillissaient à présent dans la pièce en grondant comme des bêtes fauves, les pointes acérées de leurs hallebardes pointées droit sur Archontas et sur Blade.

vait, il ne parlait pas tout seul. «a m'a tellement tarabusté qu'à un moment, je n'y ai plus tenu et j'ai dit, comme ça, à mes gars: " et si on retournait voir avec qui peut bien parler ce vieux fou? " Alors, qu'est-ce que tu dis de ça, espèce de maudit Hum‚tre?

Richard Blade regarda Crovigh bien en face, les poings serrés le long de son corps.

- J'en dis que tu te trompes, Crovigh ! dit-il posément. Je ne suis pas ce que tu crois être un Hum‚tre. D'ailleurs, les Hum‚tres n'existent pas: il n'y a que des Humains... Mais je n'ai pas envie de m'entretenir de tout ça avec un sous-fifre de ton espèce:

conduis-moi à Basker, et vite!

Une sorte de grondement furieux s'exhala en même temps des six gorges des Longs-Museaux. qui, instinctivement, resserrèrent le cercle autour de Blade. Les pointes des hallebardes n'étaient plus qu'à quelques centimètres de son corps nu.

Blade avait délibérément choisi de bluffer, d'essayer de " passer en force

", en employant ce ton autoritaire, voire carrément méprisant, avec Crovigh. Pour mettre toutes les chances de son côté, il enfonça le clou:

- Je ne sais pas ce que tu en penses, mais j'ai l'impression que, s'il m'arrivait quelque chose, Basker serait furieux que la bêtise d'un subordonné l'ait empêché de rencontrer un Humain parlant la langue des Cynéides, non?

Les babines du grand chien noir se retroussèrent sur ses canines pointues, et Blade crut un moment qu'il allait lui sauter à la gorge.

Instinctivement, il se prépara à la lutte...

Mais, finalement, le molosse se détendit, et laissa retomber ses babines sur ses m‚choires saillantes.

- Tu veux rencontrer le Grand Conducator, hein? finit-il par grommeler sur un ton lourdement ironique. Eh bien, on va t'y conduire tout de suite, figure-toi! Mais je ne suis pas s˚r que tu ne regrettes pas amèrement d'avoir sollicité cette... cette " audience ", acheva-t-il en ricanant.

Allez, les gars, attachez-lui les antérieurs dans le dos et emmenez-le!

Une fois dans la rue, étroitement cerné par la troupe de Longs-Museaux, Richard Blade constata que l'information avait déjà d˚ commencer à circuler dans la population de Canys, au sujet de sa nature d'Hum‚tre. Il suffisait de voir avec quel effroi les Cynéides le regardaient passer devant leurs maisons, leurs boutiques, etc. Les mères se dépêchaient de rappeler leurs petits auprès d'elles et les faisaient rapidement disparaître à l'intérieur des habitations. D'o˘ ils ressortaient aussi vite, car, comme tous les enfants de tous les mondes, ils adoraient se faire peur. Et pouvoir contempler un " croque-mitaine " en chair et en os n'est pas donné à tout le monde...

V

Lorsqu'ils arrivèrent sur la place principale, o˘ se b dressait le palais du Gouvernement, la foule avait~

C grossi autour d'eux et une rumeur chargée d'hostilité,I q

voire de haine, les accompagnait. Richard Blade per-q

çut un certain nombre de voix qui réclamaient sa~ mise à mort immédiate. D'autres exigeaient que

P

1'Hum‚tre soit livré " au peuple ", ce qui aurait sans doute eu le même résultat. Finalement, au moment o˘

n les soldats et lui franchissaient les portes monumen~ tales du palais, il se dit qu'il était plutôt content d d'avoir été " escorté " par les LongsMuseaux en~

armes...

C

Après avoir traversé un grand hall, dont les murs de pierre ocre étaient décorés par des armes blanches

~

disposées en faisceaux, ils gravirent un large escalieri 11 lui aussi de pierre, sur les marches duquel les griffest E des chiens claquaient comme des fers.

q

Enfin, ils pénétrèrent dans ce que Crovigh nomma à mi-voix la salle du CynacloÔ, dont Blade compriij

d qu'il devait s'agir du mot désignant le gouvemement~ a ou, tout au moins le Conseil de Basker.

Ils étaient cinq, à l'intérieur de cette salle1 k immense, presque entièrement vide, aux murs totale-j

ment nus, cinq Longs-Museaux, harnachés de cuiij noir, le poitrail parsemés d'insignes et de rubans B divers. Un seul était assis, derrière la grande table de 1 bois massif, les quatre autres restant debout, deux ~

h deux, en retrait de son fauteuil. Comprenant qu'il s'agissait de Basker, Blade se tourna vers Crovigh et, d'un geste impérieux, lui intima l'ordre de rester en arrière de lui. De son visage durci émanait une telle autorité naturelle que, presque malgré eux, les soldats qui l'escortaient lui laissèrent prendre un à deux mètres d'avance sur eux. Un incident qui n'échappa pas à l'oeil luisant et vif de Basker, lequel dévisagea Blade avec un intérêt accru.

-

Ainsi, voilà donc à quoi ressemble un Hum‚tre! dit-il d'une voix désagréablement métallique, lorsque Blade fut juste devant lui. Pas très impressionnant, pour une créature vomie par les enfers!

Les quatre autres membres du CynacloÔ l'approuvèrent à l'unisson, avec le même petit ricanement servile.

-

Je ne suis pas une créature vomie par les enfers, répondit Blade avec une calme énergie. Je suis un Humain comme tous les autres.

D'ailleurs, les Hum‚tres n'existent pas. Du moins, pas tels que l'imagination du peuple cynéide les a forgés. Ils sont juste des...

Blade fut interrompu par l'éclat de rire hystériques de Basker, qui se frappa la cuisse droite du bout de sa formidable patte griffue.

-

Mais qu'est-ce que tu racontes là? hoqueta-t-il entre deux hoquets.

…videmment que tu ne sors pas des enfers, nous ne sommes pas stupides au point de

croire à ces fariboles que radotent les vieilles Cynéides! Du reste, je t'avouerai que je me fiche complètement de savoir d'o˘ tu viens. Ce qui compte, c'est là o˘ je vais t'envoyer.

Le rire cessa brusquement et les babines rouge sang du Conducator se retroussèrent sur ses dents blanches:

-

Et c'est quand même en enfer que je vais t'envoyer, dès demain!

gronda-t-il, en se dressant hors de son fauteuil. Dans vingt-quatre heures d'ici, tu monteras sur le b˚cher que nous allons dresser sur la place du palais, et tu partiras en fumée, pour le plus grand plaisir du peuple!

La nouvelle était peu agréable, mais Blade resta d'un calme parfait.

-

Pourquoi veux-tu me br˚ler, puisque tu sais bien que je ne suis pas un dangereux démon ? demanda-t-il, en soutenant le regard de Basker, qui parut surpris, impressionné même, par son ton de voix serein.

Un large sourire découvrit de nouveau ses crocs acérés:

-

Mais pour une raison bien simple, mon ami:

nous, les Cynéides intelligents, nous savons bien que les Hum‚tres n'existent pas, pas plus que les enfers. Seulement, la populace, elle, y croit dur comme fer.

-

Donc, l'interrompit Blade, si je comprends bien, il est politiquement nécessaire que je meure,

pour que le peuple de Canys voie que ses élites le protègent efficacement contre tous les dangers...

-

Bravo! souffla Basker, avec une sincère admiration dans le ton, tu as l'esprit délié, pour un vulgaire Humain!

II

allait ajouter autre chose, mais le Long-Museau qui se tenait debout à sa droite se pencha vers lui et lui chuchota quelques mots à

l'oreille. Richard Blade vit une expression de ruse machiavélique se peindre sur les traits agressifs du Conducator qui, machinalement, se mit à

frotter sa truffe noire du bout de sa patte, en enveloppant Blade d'un regard rêveur.

-

Tu as raison, Serveg, finit-il par dire, faisant baver de plaisir son ministre, c'est une excellente idée, ma foi. Je me demande ce qu'en pense notre ami...

II

releva le mufle et s'adressa de nouveau à Blade:

-

Je parie que tu ne sais même pas par quel moyen tu as pu t'échapper des enfers, dans le but de venir porter la peste parmi les braves gens de Canys, dit-il d'une voix nettement ironique.

Basker paraissait s'amuser prodigieusement et Blade eut la certitude que cette gaieté soudaine préparait une vraie catastrophe. Il ne fut pas déçu.

-

Tu as pu surgir parmi nous, poursuivit le maître de Canys, parce que tu as été réveillé par des incantations magiques malveillantes. Parce que tu devais servir d'instrument de vengeance, de destruction des forces saines de notre peuple ! Et sais-tu qui est débordant de haine à

l'égard des purs Cynéides, au point d'appeler sur eux les feux de l'enfer?

Richard Blade voyait parfaitement le plan machiavélique s'élaborer sous ses yeux. Et il répondit sans hésitation, mais d'une voix que la colère faisait légèrement trembler:

- Je suppose que tu vas essayer de faire porter le chapeau aux YeuxTristes, que tes sbires persécutent déjà autant qu'ils le peuvent...

Cette fois, Basker ne chercha même pas à cacher àquel point les déductions de Blade l'impressionnaient.

- Décidément, c'est un vrai cerveau que tu as! murmura-t-il. quel dommage que je sois obligé de te sacrifier... Oui, tu as raison: nous allons expliquer àla foule d'abrutis dont le seul talent est de m'avoir confié

leur destinée que les Yeux-Tristes voulait se servir de toi pour exterminer les vrais Cynéides et prendre le pouvoir à Canys. Ce qui nous donnera une excellent excuse pour leur porter enfin un coup fatal: cette fois, plus aucun Cynéide ne s'opposera à nous, et nous serons enfin débarrassés de cette sous-race de malheur! Et Canys pourra pleinement revivre, enfin!

Basker avait prononcé les derniers mots d'une voix de plus en plus grondante, comme s'il s'exaltait luimême, au son de sa propre voix.

En face de cette espèce de monstre éructant, suin tant la haine, Richard Blade serra les poings et respira profondément, pour tenter de refouler la vague de rage impuissante qui était en train de l'envahir. Rarement il s'était trouvé confronté à une situation aussi ironiquement cruelle: revenu à Canys pour tenter d'apaiser les rapports entre les communautés qui la peuplait et pour les inciter à se débarrasser de la dictature de Basker, voilà qu'il se retrouvait dans la position de celui qui, par sa seule existence et à son corps défendant, allait être l'occasion d'un massacre àgrande échelle et d'un renforcement considérable du pouvoir du Conducator...

Basker fit un geste de la patte droite en direction de Blade, et tourna la tête vers Corvigh et sa troupe, immobile sur le côté de la grande salle:

- Enfermez-le au sous-sol, vous autres! Ensuite, prenez d'autres patrouilles avec vous et allez par les rues de Canys pour répandre la bonne nouvelle parmi la populace. Expliquez bien à ces idiots que gr‚ce à la profonde sagacité de leur Grand Conducator, un ignoble complot des YeuxTristes vient d'être déjoué de justesse, et que l'Hum‚tre qu'ils avaient invoqué et fait jaillir des enfers sera br˚lé demain sur la place de notre palais, à l'heure o˘ le soleil sera à l'aplomb du b˚cher!

Aussitôt, les Longs-Museaux de Corvigh se ruèrent sur Blade. Au moment o˘

l'un d'eux l'empoignait par ses liens pour le tirer en arrière, Blade releva la tête et

plongea son regard dans les petits yeux noirs et luisants du tyran.

-

…coute-moi bien, Basker! dit-il d'une voix forte et glaciale à la fois. …coute la promesse que j'ai à te faire: je te jure que si le hasard nous remet, un jour prochain, face à face, tu ne me reverras que pour être tué de ma main!

Le dictateur harnaché de cuir noir fut secoué par un petit rire sec:

-

C'est curieux, mais j'ai comme l'impression que cette occasion ne se présentera pas, petit Humain!

-

Sait-on jamais? répondit Blade, avec un calme si parfait que le rire de Basker mourut aussitôt dans sa gorge.

Puis, de lui-même, Blade pivota sur ses talons et marcha vers la porte de la salle.

Une fois en bas de l'escalier, Corvigh et ses sbires obliquèrent vers la droite du grand hall. Là, Blade découvrit une porte basse, derrière lequel se trouvait un autre escalier de pierre, qui descendait en tournant vers les sous-sols du b‚timent. En bas se trouvait une sorte d'antichambre rectangulaire, sans fenêtre, chichement éclairée par deux torches fixées à

l'un des murs. Percées dans le mur du fond, s'alignaient trois portes de bois plein, munies de gros verrous de fer

présentant quelques taches de rouille. Au milieu de cette pièce, une table de facture grossière, entourée de quatre bancs.

Richard Blade nota tout de suite que les deux Canéides qui semblaient somnoler sur ces bancs, faisant sans doute office de geôliers, n'étaient pas des Longs-Museaux, mais appartenaient à la race des museaux de ceux qu'il avait surnommés les rottweilers.

-

Secouez-vous, bandes de fainéants! les houspilla Crovigh sans ménagement. On vous apporte un nouveau pensionnaire. On le met o˘?

L'un des deux rouweilers se leva comme à regret, et soupira bruyamment, tout en se grattant le sommet du cr‚ne avec ses griffes recourbées et épaisses.

-

C'est qu'on est complet, en principe.., marmonna-t-il, visiblement ennuyé de devoir non seulement se bouger, mais en plus réfléchir.

-

qu'est-ce que ça veut dire: " en principe "? aboya Crovigh, tout de suite agressif. Y a de la place ou pas ? Faudrait savoir, hein!

-

C'est-à-dire qu'on pourrait le mettre avec la femelle, mais ça m'embête... répondit le geôlier avec de plus en plus de réticence.

Richard Blade eut la certitude, à cet instant précis, que les deux gardiens échangeaient un rapide coup d'oeil dans lequel il y avait une sorte d'étrange dépit. Comme si, pour eux, son arrivée était véritablement une catastrophe. C'était vraiment très bizarre...

126 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

-

Pourquoi est-ce que ça t'embête ? demanda br talement Crovigh, en haussant ses épaules ai muscles saillants sous le poil lustré. Tu n'es p chargé de veiller sur la moralité des Humains, s~ Bon, alors fourre-moi celui-là avec la femelle laisse-les se démerder entre eux. Après tout, si e~ est vraiment en chaleur, cette femelle, ça lui fera entraînement pour le b˚cher de demain!

La troupe des Longs-Museaux éclata d'un rire gi et sonore. Le geôlier, de plus en plus contrarié, ouv la porte du milieu, et deux des soldats poussère Blade sans ménagement à l'intérieur. Puis, avec claquement lugubre et métallique, la porte se referi dans son dos, plongeant l'endroit dans une pénomi presque totale.

Richard Blade resta silencieux et miinobile, les st aux aguets. La première chose qu'il perçut fut souffle régulier d'une respiration. Puis il y eut comi un glissement feutré et une main se posa sur son ava bras, lui arrachant un petit sursaut de surprise.

-

Je m'appelle Ptania, murmura alors une v~ féminine un peu rauque, tout à côté de lui.

D'abord, Blade nota qu'elle venait d'employer langage des Humains "

domestiques " et non ce des rebelles de la Forêt Profonde.

-

Mon nom est Richard Blade, répondit-il dou ment, tandis que la main de Ptania effleurait contours de son visage. Pourquoi es-tu enfermée ic LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 127

u Petit à petit, ses yeux s'habituaient à l'obscurité et iii parvenait déjà

à plus ou moins voir à quoi ressemablait sa codétenue. C'était une fille de taille moyenne, L ~'isib1ement très jeune, un visage rond encadré de dongs cheveux blonds en batailles et assez sales. Son Llcorps était mince, presque androgyne, avec ses petits uleins haut placés et ses hanches étroites. Mais il se ~égageait quand même de l'ensemble une sorte de a~italité sensuelle à laquelle Richard Blade était loin 'r~'être insensible.

- C'est toute une histoire... soupira Ptania, en le uDrenant par la main.

Viens, on va s'asseoir sur la n~aillasse, on sera mieux pour causer.

,r~ Ils se laissèrent tomber sur une sorte de litière de aille très sèche, et, volontairement ou non, Ptania

~ol1a sa cuisse ferme contre celle de Blade.

- Il y a un an environ, mon maître a décidé qu'il n~vait assez d'Humains à

nourrir comme ça, et il est $llé me perdre dans la campagne, loin au-delà

des ~mparts de Canys. Il devait penser que j'allais rapi4ement mourir de faim, ou me faire dévorée par les pêtes sauvages qui sortent la nuit. Ou peut-être, dans I~ meilleur des cas, qu'un autre Cynéide allait me 1i~rendre en pitié et m'adopter. Mais il ne s'est rien assé de tout ça, et j'ai réussi à survivre, en me .c~chant la journée et en allant chaparder de la nourri1~ire dans les fermes, à la tombée de la nuit. Et, finale~i tient, il y a trois jours, un fermier m'a piégée et m'a remis à une patrouille de Longs-Museaux. Je ne sai~ pas pourquoi ils m'ont enfermée ici, plutôt que d~ m'emmener à l'humasile...

-

quel ‚ge as-tu? demanda gentiment Blade, e~ entourant ses épaules maigres de son bras.

-

Un an et demi, répondit-elle.

Blade sursauta, malgré lui. Décidément, il n' verait jamais à se faire à ce

" décalage temporel entre les Humains de Canys et ceux de sa propr~

dimension. II calcula rapidement que cela devait fair entre dix-huit et vingt ans, en ‚ge terrestre. Ce signifiait que, toujours en équivalent terrestre, Ptani~ vivait comme une bête solitaire et traquée depuis I peu près l'‚ge de sept ou huit ans...

-

Et toi, pourquoi tu es là? demanda-t-elle en serrant frileusement contre lui. D'ailleurs, ça m'~ beaucoup étonnée que les deux autres, dehors, te mel tent avec moi.

-

C'est une longue histoire, moi aussi, élud~ Blade. Disons, pour faire simple, que les Cynéide pensent que je peux représenter un danger pour eux...

-

Un danger? sursauta Ptania. C'est impossible Comment un simple Humain pourrait-il représente~ un danger pour les Cynéides?

-

C'est une chose que je t'expliquerai plus tard. .~

si on nous en laisse l'occasion, soupira Blade. M

pourquoi viens-tu de dire que tu étais étonnée qu'

m'ait enfermé avec toi? I

II

lui sembla que la jeune femme hésitait avant de répondre. C'est d'ailleurs d'une voix légèrement tremblante qu'elle se décida à le faire:

-

Parce que, d'après ce que j'ai compris, les deux Cynéides qui nous gardent avaient très envie de pouvoir me... enfin, ils voulaient que je reste seule ici pour en profiter une fois la nuit tombée, sans risque d'être dérangés...

Littéralement abasourdi, Richard Blade voulut croire qu'il avait mal compris. que ses oreilles l'avaient abusé.

-

Attends, souffla-t-il, tu ne veux quand même pas dire que ces deux ch... Cynéides ont l'intention de...

Ptania éclata brusquement en sanglots et se pelotonna en tremblant contre le torse puissant de Blade.

-

Ils ont déjà essayé, la nuit dernière, hoqueta-t-elle, en serrant convulsivement les épaules de Blade entre ses mains. J'ai pu leur échapper, parce qu'il y a eu du bruit dans la cellule voisine et qu'ils ont pris peur. Mais je suis certaine qu'ils ont prévu de revenir ce soir. Il y a très peu de Cynéides qui sont excités par les femelles humaines, mais il y en a tout de même. Ils cachent leurs penchants, car, chez eux évidemment, c'est complètement interdit de s'accoupler avec nous. Ceux qui sont pris, on ne les revoit jamais. Et il a fallu que ça tombe sur moi. Oh, Richard Blade,

130 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

j'ai tellement peur, situ savais ! Je suis certaine qu'ils vont venir cette nuit pour me... pour me...

Ses sanglots redoublèrent et elle ne put pas terminer sa phrase. Blade se mit à la bercer doucement contre lui, en caressant ses cheveux blonds, tandis que son cerveau s'était mis à tourner à six mille tours/minute.

Ce penchant " bestial " des deux geôliers pour les femelles humaines, comme disait Ptania, c'était peut-être un clin d'oeil favorable que lui faisait le Destin. C'était en tout cas une faiblesse qu'il fallait absolument exploiter. Et l'exploiter dans les prochaines heures à venir car, dès que le jour se lèverait, il serait trop tard. Définitivement et douloureusement trop tard.

- Tu as raison, murmura-t-il à l'oreille de Ptania qui, sous ses caresses, commençait à retrouver son calme, je pense qu'ils vont chercher à entrer en contact avec toi, cette nuit, même si ma présence les a visiblement contrariés dans un premier temps...

Ptania releva la tête. Ses joues sales étaient ravinées par les larmes.

- Mais peut-être que, parce que tu es là, ils n'oseront pas entrer ici...

Richard Blade prit une profonde inspiration, avani de déclarer calmement à

la jeune femme:

- Dans ce cas, s'ils ne viennent pas d'eux-mêmes ce sera à toi de te montrer suffisamment sensuelle ei

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 131

aguicheuse pour qu'ils entrent malgré tout. quant àce qui va leur arriver une fois franchi le seuil de cette porte, ça risque d'être beaucoup moins agréable pour eux que prévu...

134 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

femelle a ses chaleurs, on dirait ! Et cet abruti de m‚le qui s'est endormi ! Décidément, ma belle, tu n'as pas de chance...

Il

fut rejoint par son acolyte, portant l'une des torches à la patte droite, et, ensemble, ils s'enhardirent à pénétrer à l'intérieur de la petite pièce aux murs de pierre suintant d'humidité.

-

C'est qu'elle a l'air d'en vouloir, souffla le porteur de torche, les yeux luisants, la langue pendant entre ses crocs acérés, tout en contemplant Ptania qui venait d'enfouir une main entre ses cuisses musclées et avait carrément plongé ses doigts dans le buisson d'or p‚le qui ornait le bas de son ventre plat. C'est qu'elle m'exciterait pas mal, cette petite poulette humaine ! Pas toi, Sirvanh?

-

Attends, je vais lui montrer l'effet qu'elle me fait, répondit l'autre, en écartant ses braies trop larges pour lui. qu'est-ce que tu dis de ça, la belle?

Il

exhibait un membre épais, dont l'extrémité, rouge vif, luisante, ne cessait de s'allonger hors de son fourreau de poils bruns. Avec un grognement sourd, un peu de bave translucide au coin des babines, il s'avança vers le corps nu de Ptania, en allongeant sa grosse patte griffue vers sa peau satinée.

Entre ses paupières mi-closes, Richard Blade vit le visage de la jeune femme se déformer sous l'effet de la terreur et du dégo˚t, et il comprit qu'il était temps pour lui d'agir, avant qu'elle ne fasse tout échouer.

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 135

De toute sa puissance, il balança sa jambe en direction de Sirvanh. Il l'atteignit à la cheville droite. Le Cynéide poussa un cri de douleur et, littéralement fauché, s'effondra latéralement de tout son long sur le sol poussiéreux. Son compagnon, stupéfait, laissa passer une seconde ou deux avant de se réveiller. Ce furent deux secondes de trop. Au moment o˘, réagissant enfin, il posait la patte droite sur le pommeau de son épée, Richard Blade était déjà debout et plongeait sur lui.

D'un geste implacable de précision et de force, il lui arracha sa torche de la main gauche et projeta l'extrémité enflammée sur le museau du doberman, qui fit un bond en arrière et s'écroula contre le mur, se tenant son mufle br˚lé entre ses pattes. Mais, déjà, Sirvanh se relevait avec un grognement sauvage. Du moins, il essaya de se relever.

Il était encore à genoux lorsque Blade, après avoir récupéré au vol l'épée l‚chée par Khalil, lui plongea le fer dans le poitrail, entre les deux antérieurs, lui transperçant le coeur du premier coup.

Se retournant avec la vivacité de l'éclair, Blade imprima un rapide mouvement tournant à son arme dégoulinante de sang. La lame courte vint frapper le Cynéide, encore à genoux, à la base du cou.

Ptania poussa un cri d'épouvante en voyant la tête du chien se décoller du tronc et rouler sur la terre battue, tandis qu'un geyser rouge foncé, presque noir, jaillissait du cou sectionné net.

136 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

Sans perdre une seconde, Blade se rua sur la jeune femme et plaqua sa main libre sur sa bouche: il était inutile qu'elle ameute toute la forteresse par ses hurlements...

Dès qu'il la sentit reprendre une respiration plus calme, il la l‚cha doucement, et elle se pelotonna contre lui, avec des sanglots convulsifs.., mais silencieux, ce qui était bien le principal.

- Maintenant, on va sortir d'ici, murmura Blade contre son oreille, d'une voix aussi apaisante que possible. Mais il faut me promettre de rester parfaitement silencieuse, sinon, nous sommes fichus. Tu crois que tu vas y arriver?

Après un dernier sanglot, qu'elle fit un effort surhumain pour réprimer, Ptania s'écarta de lui et le regarda avec des yeux emplis d'une sorte d'adoration incrédule. Blade comprit alors que, dans son conditionnement mental, il était littéralement impossible qu'un Humain tue un Cynéide.

¿ plus forte raison deux...

Finalement, elle parvint à reprendre son empire sur elle-même et elle désigna l'épée qui pendait au bout du bras de Blade:

- Tu ne peux pas sortir avec ça, chuchota-t-elle: on se ferait repérer tout de suite par les Longs-Museaux...

- Je sais, répondit Blade sur le même ton. Je m'en débarrasserai dès que nous serons dehors. Mais tant

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 137

qu'on est dans l'enceinte du palais, elle peut encore nous être utile.

Allez, viens...

L'un derrière l'autre, ils sortirent prudemment de la cellule, puis s'engagèrent dans l'escalier de pierre en colimaçon. Blade tablait sur le fait qu'on devait être en plein milieu de la nuit, et que, logiquement, il ne devait pas y avoir beaucoup de monde à déambuler dans les couloirs à une heure aussi avancée.

Effectivement, le grand hall était désert. Ptania et lui le traversèrent en longeant les murs de pierre nue, pour rester le plus possible dans l'ombre.

¿ présent, il ne restait plus à franchir que l'espèce de large allée couverte qui aboutissait à la double porte d'entrée. La partie forcément la plus dangereuse, Blade en avait conscience.

Il passa la tête à l'angle de la muraille et, aussitôt, il sut qu'il avait vu juste: quatre Longs-Museaux en uniforme de cuir noir gardaient la porte.

Pour le moment, ils étaient tous les quatre assis autour d'une table de bois clair, dans l'espèce de grande guérite qui leur servait d'abri. Ils paraissaient plus ou moins somnoler mais, évidemment, pas au point de laisser passer devant eux deux Humains sans réagir...

Après quelques secondes de réflexion, Blade se dit que leur seule chance était d'endormir leur méfiance, de façon à ce que l'effet de surprise puisse jouer àplein en sa faveur. Et, pour ça, il allait encore avoir 138 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

besoin de Ptania. Il se pencha vers elle et chuchota tout contre son oreille:

-

On va réussir à passer, ne t'inquiète pas. A condition que tu fasses exactement ce que je vais te dire...

Une minute plus tard, les quatre Cynéides eurent la surprise de voir passer devant leur poste de garde une femelle humaine, qui paraissait affolée. Ils la virent foncer droit sur la porte monumentale à deux battants, et se mettre à gratter le bois de ses ongles, en poussant de petits gémissements de frayeur.

-

Mais qu'est-ce qu'elle fiche là, cette foutue bestiole? grommela l'un des. soldats, en se levant pesamment, aussitôt imité par les trois autres. Depuis quand y a-t-il des Humains errants à l'intérieur du palais?

-

Je crois qu'on a intérêt à la foutre dehors vite fait, si on ne veut pas s'exposer à de grosses emmerdes, renchérit un autre, d'un ton un peu inquiet.

Ensemble, les quatre dobermans sortirent de leur grande guérite. Juste à

temps pour voir, sur leur droite, arriver un deuxième Humain. Un m‚le celuilà. qui, bizarrement, avançait vers eux en tenant ses deux membres antérieurs derrière son dos. Mais aucun des quatre soldats ne se demanda sérieusement pourquoi.

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 139

Ce qui était un grand tort.

- Ah, je comprends mieux pourquoi elle cherche à s'enfuir, celle-là !

rigola grassement l'un des Cynéides: elle n'a pas envie de se faire sauter par le m‚le qui lui colle au cul ! Allez, barre-toi, sale bête! Fous-lui la paix, tu vois bien qu'elle ne veut pas de toi!

C'est alors que, simultanément, deux des gardes repérèrent quelque chose de bizarre. quelque chose de carrément extraordinaire, même, dans la mesure o˘

c'était la première fois de leur vie qu'ils voyaient un Humain dissimuler une épée derrière son dos.

Comprenant que son arme avait été repérée, Richard Blade bondit en avant, en poussant une sorte de cri de guerre, destiné à tétaniser ses adversaires durant une seconde ou deux. C'est-à-dire le temps pour lui de franchir les quelque dix mètres qui les séparaient encore.

Avant d'avoir eu le temps de faire quoi que ce soit, le Long-Museau qui était le plus proche de lui s'effondra sur le sol pavé, le poitrail ouvert en deux, jusqu'à la base du museau, par l'épée de Blade.

Du coin de l'oeil, celui-ci vit le Cynéide sur sa gauche commencer à tirer son épée de son fourreau, et il abattit son bras armé, dans un rapide mouvement tournant. Son adversaire glapit de douleur, tandis que sa patte droite, sectionnée net à hauteur du poignet, allait rouler sur le pavé en pissant le sang.

144) LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

Mais, cette fois, les deux gardes rescapés avaient eu le temps de sortir leur arme du fourreau. Tandis qu'ils se ruaient sur lui en grognant de fureur, Blade se campa solidement en garde sur ses jambes légèrement fléchies, le torse de biais pour offrir le moins de surface possible aux lames.

Dans une première feinte, il fit mine d'esquiver le premier combattant sur la gauche, avant de se déporter brusquement à droite dans la fraction de seconde suivante. Son adversaire n'eut pas le temps, lui, de suivre son mouvement. Et, au moment o˘ il arrivait àsa hauteur, mais de biais, Blade lui planta son épée dans l'oeil droit, jusqu'au cerveau.

Sans perdre un instant, il se retourna vers le dernier soldat encore indemne. Il vit que celui-ci avait l'air terrorisé et reculait en direction de la guérite. Puis, avec un grognement de peur, il tourna le dos et fonça vers la porte.

En un éclair, Blade se dit qu'il allait donner l'alerte et qu'il fallait à

tout prix l'en empêcher, sinon, Ptania et lui étaient perdus.

…levant son épée sanguinolente au-dessus de sa tête, il la projeta de toute sa force vers l'avant. La lame atteignit le Cynéide entre les deux omoplates, au moment précis o˘ il atteignait la porte, contre laquelle il s'effondra, la maculant de traînées de sang noir‚tre.

Richard Blade ramassa rapidement une autre épée, LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 141

juste à ses pieds et se tourna vers le Cynéide à qui il avait sectionné la patte droite, et qui gisait toujours sur le pavé, en gémissant sourdement.

- Un démon ! Tu es vraiment un démon vomi des enfers ! hoqueta le chien, visiblement terrorisé. Je t'en supplie, ne me tue pas ! Gr‚ce! Va-t-en et laisse-moi la vie sauve...

Richard Blade avait toujours eu horreur de tuer de sang-froid. Même l'adversaire le plus implacable, le monstre le plus répugnant.

Mais, en même temps, il savait pertinemment que s'il lui laissait la vie sauve, le Long-Museau donnerait l'alerte dès que Ptania et lui auraient franchi les portes du palais. Et, dans ce cas, ils n'auraient plus aucune chance de réussir à sortir vivants de Canys. Donc...

D'un geste précis, sans le moindre tremblement dans le bras, Blade plongea sa lame dans le poitrail du chien à ses pieds, l'enfonçant jusqu'au coeur.

L'autre mourut instantanément, son museau s'inclinant brusquement sur la droite. Blade jeta l'épée loin de lui, et saisit la main de Ptania, littéralement tétanisée par la violence et la brièveté de la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux.

- Viens, on file d'ici, murmura-t-il, avec une ébauche de sourire rassurant et tranquille.

142 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

Il faisait une nuit noire, épaisse, aux ténèbres presque palpables. Ce qui arrangeait plutôt Blade. Les rues étaient désertes, à l'exception de quelques rares et maigres patrouilles de Longs-Museaux.

¿ chaque fois qu'ils en apercevaient une, Ptania et Blade jouaient le même scénario, imaginé par ce dernier : celui d'un m‚le et d'une femelle "

vagabonds ", en plein cérémonial d'accouplement. La réaction des dobermans était toujours la même: ils riaient. quelquefois, un garde jetait une pierre dans leur direction, mais pas de façon agressive ou méchante. Juste comme ça, " pour jouer "...

- Comment va-t-on franchir les remparts ? demanda soudain Ptania, alors qu'effectivement ils n'en étaient plus qu'à quelques dizaines de mètres.

Richard Blade ne répondit pas... pour la bonne raison qu'il n'en savait rien. Le pitis difficile et le plus dangereux était de quitter le palais, ce qui était fait. Pour le reste, il comptait profiter des circonstances, exploiter le plus petit avantage qui se présenterait.

Au début, il avait imaginé pouvoir se cacher jusqu'au lever du jour, c'est-

à-dire jusqu'à la réouverture des portes de la cité et la reprise des activités diurnes normales, qui leur permettraient de passer inaperçus.

Mais maintenant, avec les cadavres de Cynéides qu'il laissait derrière lui, il n'était plus question d'auendre.

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 143

étaient en train de remonter longeait quasiment les remparts, qui profilaient leur ombre épaisse et régulière au-des~us des toits des maisons. Soudain, ils en virent le bout, à une dizaine de mètres devant eux, juste à droite des grandes portes en rondins de Canys.

Des portes que quatre gardes finissaient d'ouvrir, pour laisser entrer une escouade revenant d'une patrouille dans la campagne environnante. En un éclair, Blade comprit que c'était une chance qui ne se représenterait pas.

Il saisit la main de Ptania, la serra avec force et lui dit:

- Cours aussi vite que tu peux en direction de la sortie et ne t'arrête que quand je te le dirai ! Mais pas avant, et sous aucun prétexte ! Allez, fonce!

Habituée depuis le début de leur équipée à faire une confiance aveugle à

Richard Blade, Ptania ne posa pas de question. Elle bondit en avant, coudes au corps et Blade sur ses talons. Ce dernier fut agréablement surpris de constater qu'elle était très rapide. Sans doute, se dit-il, à cause de la vie errante et fugitive qu'elle avait toujours menée.

Ils n'étaient plus qu'à quatre ou cinq mètres du groupe des Longs-Museaux que ceux-ci ne leur avaient toujours pas fait l'aumône d'un regard.

Exactement comme l'escomptait Blade : n'avoir aucune importance aux yeux des Cynéides comportait de précieux avantages...

Ce n'est que lorsque, l'un derrière l'autre, Ptania et 144 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

lui fendirent leur groupe en les frôlant que les chiens se mirent à

protester. Mais plus pour la forme qu'autre chose. Blade prit un ou deux coups de patte dans les mollets, auxquels, malgré l'envie qui le chatouillait, il se garda bien de répliquer.

Et c'est ainsi que, sans encombre, ils franchirent les portes de Canys; des portes que, déjà, les gardes refermaient derrière eux, sans se soucier de savoir pourquoi ces deux Humains pouvaient bien galoper, comme ça, en pleine nuit. Exactement comme Blade l'avait prévu: de même qu'aucun humain ne se soucie de ce que peut bien faire un chien errant, sur Terre, de même ici il n'y avait pas de raison que les Cynéides se préoccupent des Humains vagabonds.

C'est en tout cas le pari qu'avait fait Blade, et il avait donc eu raison, puisque, maintenant, Ptania et lui s'éloignaient de Canys à grandes enjambées.

En direction de la Forêt Profonde.

Lorsqu'ils parvinrent en vue du campement des Hum‚tres, le soleil était déjà haut dans le ciel. Et Ptania, épuisée, n'avançait plus que par réflexe, soutenu par Blade, qui allait de l'avant, les m‚choires serrées.

Même pour un guerrier surentraîné comme lui, la nuit avait été plutôt rude...

En voyant les hommes et les femmes rassemblés LES HORDES SANGUINAIRES DE CAIVYS 145

sur la place semi-circulaire, en un véritable comité d'accueil, Richard Blade ne put s'empêcher de sourire. Plusieurs fois, durant leur traversée de la Forêt Profonde, ses sens aiguisés lui avaient fourni la certitude qu'ils étaient entourés de présences invisibles mais très attentives. Le fait qu'ils soient attendus prouvait qu'il ne s'était pas trompé...

Dès qu'elle le vit, Stabata, qui se tenait à la droite de Romul, se précipita vers lui, manifestement dans l'intention de se jeter dans ses bras. Mais elle s'arrêta net en découvrant la silhouette gracile de Ptania, qu'elle détailla sans la moindre aménité.

-

qui c'est celle-là? demanda-t-elle, avec un mouvement dédaigneux du menton.

-

Laisse-moi le temps d'arriver! répondit Blade, en l'embrassant au coin des lèvres.., ce qui eut pour résultat de faire grimacer Ptania.

-

Salut, mon frère! le salua Romul, avec un sourire éclatant, en l'étreignant virilement, c'est-à-dire àgrands coups de claques dans le dos.

Je suis bien heureux de te revoir!

Il

désigna Ptania avec un petit sourire ironique:

-

C'est curieux, chez toi, cette manie de ne pas pouvoir rendre visite aux amis sans amener une femelle différente à chaque fois! Allez, viens dans mon palais, qu'on cause un peu, toi et moi.

II

se tourna vers Stabata, qui était revenue se placer à sa droite: 146 LES HORDES SANG UJNAIR

-

Toi... avec elle (il désignai ble... Dans hutte...

Richard Blade fut stupéfait de

pérer, alors que Romul lui avait é

langue hum‚tre.

-

Eh bien! s'exclama-t-il, t découverte, tu vois que c'est moi n'y a pas de barrière infranchiss~ rentes langues!

-

Mouais! grommela Romul, traient ensemble dans sa hutte. les langues humaines. Je t'accoi m'a stupéfié, de ce point de vue. Cynéides, c'est autre chose! Oi Pas nous, les Humains...

Pendant que Romul leur servai décoction d'herbes, très chaud~ Richard Blade se mit à réfléchir rebelles (il préférait nettemen d'Hum‚tre) venait de dire. Ron courageux, volontaire, intelligent tant, il partait vaincu d'avance, d~ langue des Cynéides.

Du coup, Blade comprenait ni qu'ils se côtoyaient depuis des rn et les hommes n'avaient jamais a réciproques. C'était pour la mêm~

ES DE CANYS

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 147

t Ptania)... Ensem-~ Les Cynéides ne pouvaient pas imaginer que les Humains aient un vrai langage, tellement ils les

voir Stabata obtem-~ Considéraient comme des êtres inférieurs. quant à ces videmment parlé en:mêmes Humains, pouvoir posséder et utiliser la langue des maîtres devait leur être, au sens propre, )ut excité par cette~

inimaginable - aussi bien intellectuellement que psy-qui avais raison: il~chiquement. Seulement...

ible entre les diffé- Seulement, il y avait lui, Richard Blade. Lui qui, par le pouvoir des ordinateurs de la Tour de Londres, tandis qu'ils péné- parlait l'une et l'autre langues parfaitement. 'est possible pour Il but une gorgée du breuvage br˚lant que Romul ïde que cette petite venait de lui tendre, dans une corne évidée. C'était Mais la langue des délicieux, à la fois doux et un peu ‚cre.

t ne pourra jamais.. Il avait cru pouvoir rameuter quelques Cynéides àcause, mais il devait bien s'avouer que, de ce point de t deux cornes d'une vue, il avait irrémédiablement échoué. D'accord, il et très parfumée~avait ébauché des liens avec le vieil Archontas, el ce que le chef de~après?

t ce terme à celui Après, il s'était fait jeter en prison et, pour en sorul était un homme tir, avait d˚ laisser six morts sur le carreau. Jamais les fonceur... et pour.~Cynéides ne lui pardonneraient ça.

~s qu'on évoquait la La seule consolation de Richard Blade, c'était de ~se dire que, en lui filant entre les pattes - ce qui étau eux pourquoi, alorale cas de le dire -, il privait Basker d'une excuse poui llénaires, les chiens~déc1encher un massacre parmi les Yeux-Tristes. Ce Dprs leurs langage~qui n'était malheureusement que partie remise. raison, mais inver~ compte tenu de la folie meurtrière du Conducator...

Piètre résultat, donc...

148 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

Brusquement, Blade releva la tête et braqua sor regard en direction de Romul, qui attendait patiem. ment qu'il ait fini de boire pour entamer la conversaï tion.

Non, il n'avait pas tout raté! II y avait encore une chose qu'il pouvait faire, pour les Humains de cc monde. Une petite chose, certainement, mais qui dans l'avenir, pourrait peut-être se révéler décisive.

-

Romul, dit Richard Blade d'une voix grave ei résolue, j'ai pris une décision: à partir de demain, je vais me transformer en professeur...

-

En professeur? fit Romul, avec un petit sourire railleur. Et pour quoi faire, mon ami?

-

Pour apprendre à tous les humains qui le sou haiteront la langue des Cynéides.

CHAPITRE XI

Assis sur une souche à demi déracinée, Richard Blade observait avec une certaine mélancolie le flirt qui s'ébauchait entre Tahar et Verina, qui venaient tout juste d'atteindre l'adolescence.

Et que Blade avait vu naître, un an plus tôt.

Alors, une fois de plus, il se dit que, décidément, il se passait quelque chose d'absolument anormal. Car

il y avait maintenant un peu plus de deux ans qu'il partageait l'existence quotidienne des Hum‚tres, au

coeur de la Forêt Profonde. Deux années qui avaient été tout sauf inutiles, bien s˚r.

Ne serait-ce que parce que, désormais, gr‚ce aux cours qu'il continuait de leur donner, l'ensemble des Hum‚tres était capable de se débrouiller en langage cynéide. Peut-être pas de soutenir une conversation àhaute teneur philosophique, mais au moins de pouvoir se débrouiller dans la vie courante. Ce qui était déjà énorme, inespéré même, compte tenu des résistances qu'il avait rencontrées au départ.

150 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

Il se souvenait avec amusement du jour - c'était environ deux mois après le premier cours - o˘ Romul et Stabata réalisèrent qu'ils étaient capables de communiquer entre eux dans le langage des Cynéides. L'exploit était du reste encore plus impressionnant chez la jeune femme, puisque, simultanément, elle devait également apprendre la langue des Hum‚tres.

Langue que, au bout de deux ans, elle parlait à la perfection.

Seulement, il y avait le reste...

D'abord, ce qui était le plus gênant, le plus douloureux même, pour Richard Blade, était ce processus de vieillissement accéléré des hommes et des femmes autour de lui. Comme ces deux-là, Tahar et Verina, qui s'embrassaient maintenant à pleine bouche, s'en paraître s'être aperçu de la présence de Blade à une dizaine de mètres d'eux. En un an, il les avait vus naître, puis grandir et se développer à une vitesse stupéfiante, pour devenir les adolescents vigoureux qu'il avait maintenant sous les yeux. Et il savait que, dans six mois tout au plus, ils seraient des adultes à part entière.

C'était surtout Verina qu'il avait eu l'occasion de voir grandir. Verina qui n'était autre que la fille née des amours de Romul avec Stabata.

Pendant ce temps, lui, Richard Blade avait partagé la hutte de Ptania. Mais sans qu'aucun enfant ne naisse de leurs nombreuses et passionnées étreintes.

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 151

Durant ces deux années, tout avait changé autour de lui. Romul, qui, au départ, avait à peu près son ‚ge, était devenu un homme m˚r. Des cheveux gris commençaient à proliférer aux tempes de la brune Stabata, qu'il avait connue dans la splendeur de sa jeunesse. quant à Ptania, à peine sortie de l'adolescence quand il l'avait tirée de leur prison commune, àCanys, elle était maintenant une femme épanouie, et, depuis quelques mois, de fines rides avaient même commencé d'apparaître au coin de ses yeux magnifiques.

Durant le même temps, Blade avait vu naître un nombre incroyablement élevé

de bébés, et mourir tout autant de " vieillards ", c'est-à-dire d'hommes et de femmes ‚gés de dix à douze ans...

Mais ce n'était pas la seule chose qui le préoccupait, tant s'en faut.

Depuis qu'il voyageait dans les dimensions parallèles, c'était la première fois qu'il restait aussi longtemps dans un monde, sans être rappelé par les ordinateurs de Lord Leighton.

Bien s˚r, ces deux ans ne correspondaient pas obligatoirement au même laps de temps terrestre. Il lui était très souvent arrivé de passer plusieurs semaines dans un monde et de s'apercevoir, de retour dans les sous-sols de la Tour de Londres, que quelques heures seulement, voire souvent moins, s'étaient écoulées depuis son départ.

Mais deux années " locales " sans être rappelé, 152 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

cela ne s'était encore jamais produit. Et Blade ne ces-1 sait de repenser à

ce qui était arrivé au moment du processus de translation. Ces lampes témoins qui s'étaient mises à clignoter toutes ensemble, sur l'un des ordinateurs temporels périphériques; puis le cri d'alarme poussé par J ; et la tentative de Lord Leighton pour relever la manette du circuit général...

Alors, évidemment, à mesure que les jours s'étaient succédé, une question -

" la " question en fait - avait commencé à tarauder, à torturer même,!

Richard Blade avec de plus en plus d'insistance: et si, cette fois, les ordinateurs du vieux savant étaient tombés définitivement en panne? Et si, du même1 coup, il était condamné à passer le restant de sa vie~ ici, au milieu de cette forêt qui, pour vaste qu'elleI était, n'en était pas moins une prison?

Car c'était bel et bien devenu une prison. Plusieurs fois, Blade avait tenté d'en sortir, pour rejoindre Canys et essayer de renouer le contact avec le vieil~ Archontas. Mais, probablement depuis son évasion et~ les cadavres des six cynéides qu'il avait laissés der-~ rière lui, les patrouilles étaient maintenant si nom-i breuses, aux abords de la forêt, que s'avancer à~ découvert serait revenu à se jeter directement dans la~

gueule du loup, ce qui était presque le cas de le dire,' en parlant des Longs-Museaux...

Le résultat de cette immobilité, de cette inaction àlaquelle Richard Blade n'avait jamais été habitué,

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 153

c'était que, depuis quelques mois, il avait l'impression de " se rouiller

". D'avoir perdu une partie de ses capacités physiques et morales. II lui semblait même qu'il lui arrivait de s'essouffler un peu, en produisant des efforts que, auparavant, il aurait accomplis presque sans y penser. Et il avait beau se dire que cette sensation n'avait aucune réalité, que tout se passait dans sa tête, comme on dit, il ne pouvait s'empêcher de s'en inquiéter terriblement.

Lassé de ruminer toujours les mêmes pensées moroses et stériles, il se leva brusquement de la souche sur laquelle il était assis et décida d'aller prendre l'air. De passer toute la journée à marcher dans la Forêt Profonde, d'abattre les kilomètres, comme ça, au hasard, histoire de se dégourdir les muscles pour se vider le cerveau de toute cette angoisse qui, lui semblait-il, paralysait ses neurones. Rien de tel, après tout, qu'une bonne vieille fatigue physique pour s'aérer l'esprit...

Il

repassa par la hutte qu'il occupait avec Ptania, àl'extrémité du campement. Elle était occupée àsecouer la paillasse qui leur servait de lit. Elle lui sourit en le voyant entrer.

-

Tu rentres bien trop tôt, Richard, dit-elle de sa voix naturellement douce: je n'ai même pas mis le déjeuner en route!

Bien qu'elle aussi ait appris à parler le langage des Hum‚tres, Blade et Ptania continuaient à utiliser la

154 LES HORDES SANGUINAIRES

langue des Humains " domestiqu étaient seuls.

-

Ne te préoccupe pas de moi ~ répondit Blade, en la serrant contr d'aller passer la journée dans la forêt

Ptania se raidit dans ses bras et

visage inquiet:

-

Dans la forêt? Mais pourquoi quoi faire?

Il haussa les épaules:

-

Pour rien... Comme ça... J'ai

peu seul... Marcher et réfléchir, r

cher... Ne t'inquiète pas, Ptania, j~

avant la pleine nuit...

-

Je ne m'inquiète pas, répondit sur un ton qui disait exactement le cc

Mais elle le laissa partir, sans che:

se contentant de le suivre longuemen regard apeuré qu'elle avait toujours gnait d'elle. Comme si elle pressen que, un jour, il s'éloignerait de la ni pour disparaître à jamais de sa vie...

Richard Blade marcha de longi s'arrêter. Droit vers l'ouest, de faço~

difficulté le chemin du retour, loi assez de fuir droit devant lui.

DE CANYS

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 155

Les ", lorsqu'il Fuir! Le mot s'était imposé de lui-même à son esprit. Et il se rendait compte, à présent, tandis qu'il our le déjeuner~écartait les fourrés devant lui du bout de son épieu, e lui. J'ai envie que c'était exactement ce qu'il faisait: il fuyait. Une

~attitude qui ne lui ressemblait pas, au contraire. Et leva vers lui unqui lui ressemblait d'autant moins qu'il était incapable de déterminer avec précision ce qu'il fuyait

Richard? Pour~exactement.

Peut-être la vie trop réglée, trop sage, qu'il menait au campement, et dans la douceur de l'amour de besoin d'être u Ptania?

Peut-être la conscience qu'il avait d'avoir éfléchir et mar échoué dans sa tentative de rapprochement entre les serai de retou hommes et les chiens de ce monde? Peut-être luimême, tout simplement?

la jeune femmej Richard Blade eut un geste agacé de la main ntraire.

gauche, celle qui ne tenait pas l'épieu, comme on en cher à le retenir~

fait pour chasser l'insecte importun et obstiné. Et il t des yeux, de c~

continua de marcher droit devant lui, à grandes lorsqu'il s'éloi.!

enjambées impatientes...

tait confusément

ême façon, mai~

Le gros soleil jaune p‚le avait déjà dépassé son zénith, lorsque Blade s'avisa que les immenses arbres constituant la Forêt Profonde commençaient à s'espaies heures sans cer. Du même coup, il réalisa que jamais, en deux à retrouver san~ ans, il ne s'était aventuré aussi loin du campement.

squ'il en aurait Pourtant, comme poussé par quelque chose de plus fort que lui, une sorte de main invisible et géante qui appuyait au bas de ses reins, Blade continua s4 marche rapide et obstinée vers l'ouest. re

Avec l'impatience et la h‚te de celui qui a un renie dez-vous important...

mais dont il ignore encore toutpl

Enfin, après un brusque coude que faisait le sentie~o étroit et sinueux qu'il suivait depuis un moment4 Richard Blade sortit brusquement de la forêt progi fonde. qu'il venait donc de traverser de part en part.

Debout sur un gros promontoire, surplombant ui~i~ lac à la surface scintillant sous le soleil oblique, il~ resta un long moment immobile, savourant la beaut4l grandiose et tranquille du paysage qui s'étalait devant lui. Puis, s'avisant qu'il avait la gorge sèche, il dévala la minuscule colline qui lui servait d'observatoire pour aller se désaltérer de l'eau du lac. Parvenu au bord, il s'avança sur une sorte de gros rocher plat, qu~ descendait en pente douce jusqu'au niveau de 1'eau~ Là, pressé de se désaltérer de cette eau fraîche e~ pure, il s'agenouilla sur le rocher gris et dur et s pencha au-dessus de la surface immobile et lisse d l'onde, presque aussi réfléchissante qu'un miroir.

Et ce que vit Richard Blade lui glaça instantanément les sangs.

En une fraction de seconde, il eut la certitude qu'it venait de plonger dans le plus atroce des cauchemars~ Après avoir fermé les yeux sous le choc inouÔ qu'i' venait d'encaisser, Blade se força à les rouvrir. Et scruter de nouveau la surface miroitante.

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 157

Pas de doute, c'était bien lui, cet homme qui le gardait avec une sorte de stupeur horrifiée, depuis fond du lac. C'était bien son image qu'il contemait avec un dégo˚t incrédule. Oui, il était bien touurs Richard Blade.

Mais un Richard Blade aux cheveux entièrement ~is et au visage strié de profondes rides.

Un Richard Blade à la peau blême et aux yeux bor~s d'un cercle rouge vif.

Un Richard Blade qui, en deux années, avait vieilli 'environ vingt-cinq ans.

CHAPITRE XII

p C'est seulement en arrivant en vue du campement ~um‚tre que Richard Blade réalisa qu'il venait de ~traverser la forêt profonde d'ouest en est. Il avait ~arché rapidement, sans rien voir autour de lui, uni~uement occupé

des pensées qui s'entrechoquaient sous son cr‚ne.

Durant ses innombrables voyages, il avait été ponfronté à bon nombre de situations ahurissantes, déstabilisantes. Mais c'était la première fois qu'il se ~trouvait dans la peau d'un homme de presque soixante ans. Un homme qui, pourtant, n'était autre que lui-même. C'est-à-dire que, brutalement, en quelques mois, il était devenu l'homme qu'il n'aurait J˚ être que dans plus de deux décennies.

En dehors du choc psychique d'une extrême viopence qu'il avait éprouvé en se découvrant ainsi ~ grimé ", ce sinistre vieillissement accéléré

impli~juait plusieurs choses. Dont aucune n'était particulièFement réjouissantes.

Son premier réflexe avait été d'en vouloir terrib ment aux gens qu'il côtoyait chaque jour depuis de ans, comme Romul ou Stabata, et spécialement Ptania : pourquoi ne l'avaient-ils pas alerté Pourquoi lui avaient-ils caché le phénomène qui produisait sous leurs yeux? …videmment, Richai~

Blade avait trouvé la réponse quasiment simultan~ ment à la question: ils n'avaient rien dit parce qu'i' n'avaient rien vu ! C'est-à-dire rien de plus qu'u Humain, Richard Blade, vieillissant exactement a même rythme que les autres Humains.

Parmi le flot de questions qui tournaient à tou~ vitesse dans son cerveau, une surtout le hantait: et Lord Leighton ne parvenait pas à le faire revenir1 Dans ce cas, la réponse était malheureusement tr~ claire: au rythme o˘ il s'était mis à vieillir, il lui re~ tait au mieux deux ou trois ans à vivre.

Avant de mourir de vieillesse.

Soudain, alors que les premières huttes du camp ment lui apparaissaient entre les grands arbres a tronc énorme et droit, un grand calme succéda à I tempête, sous le cr‚ne de Richard Blade.

«a ne servait à rien de ressasser des questions st rues, sans réponses. Des questions qui avaient pot effet de ligoter moralement l'homme d'action, I combattant qu'il avait toujours été.

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 161

Alors, brusquement, au moment o˘ il pénétrait dans le village de huttes, il prit sa décision. Au contraire de se lamenter, il allait s'appuyer sur sa nouvelle condition de " mortel imminent " pour repasser à l'action.

Tant qu'à faire de n'avoir plus que deux ou trois ans à vivre, mieux valait les remplir au maximum et ~t‚cher qu'ils soient utiles à la communauté

humaine ~tout entière. Mais, pour ça, pour pouvoir accomplir ce ~ qui venait de germer dans son esprit, il avait besoin du concours actif de tous les Hum‚tres de Romul.

Une heure plus tard, alors que les ombres commençaient à s'allonger sérieusement et que le ciel se teintait de rose et d'orange, tout le campement était réuni sur la place principale, assis en cercle autour de Romul et de Richard Blade. Lequel venait de leur exposer ses intentions en quelques phrases simples.

- J'ai décidé de retourner à Canys, afin de reprendre contact avec le vieil Archontas, leur avait-il révélé. Et de tout tenter, avec lui, pour rendre possible ce rapprochement auquel je crois toujours, entre les Cynéides et les Humains...

Un sourd murmure avait parcouru les rangs des Hum‚tres. Murmure qui s'était transformé en vociférations en tous genres, lorsque Blade avait expliqué la suite de ce qu'il avait en tête:

-

Seulement, avait-il poursuivi, il y a le problème des patrouilles de Longs-Museaux, qui forment pratiquement un cordon sanitaire à l'orée de la Forêt Profonde. Si je veux avoir une chance de me faufilei entre ces patrouilles, il va falloir qu'elles soient distraites par quelque chose de plus important que moi... c'est-à-dire par vous! Pour que je puisse passer sans me faire repérer, il va falloir que, tou~ ensemble, vous effectuiez une fausse sortie en masse et que vous affrontiez les sbires de Basker suffisamment longtemps pour que je puisse filer en direction deCanys!

On en était là. Beaucoup d'hommes vociféraient que c'était un véritable suicide collectif que Blade exigeait d'eux, Romul ne disait rien mais faisait la grimace, les femmes lançaient à Blade des regards lourds de reproches. Au point que celui-ci en était ~ se dire qu'il allait devoir renoncer à cette première idée et en trouver une autre, pour pouvoir sortir de la forêt.

C'est alors que, soudain, échevelée et les yeux luisants, telle une furie, Stabata quitta brusquement le cercle et vint se planter à côté de Richard Blade.

-

Vous n'avez pas honte? se mit-elle à hurler dans la langue des Hum

‚tres. Et vous vous prenez pour des rebelles? Vous n'êtes que des petits moutons tremblant de peur à l'idée de quitter leur petit confort minable!

Vous vous souvenez de ce que je

vous ai raconté, en arrivant ici, il y a bien longtemps? que mon maître cynéide avait tué mes deux enfants sous mes yeux! Vous vous vous rappelez?

Eh bien, il ne faut pas que ces abominations continuent! Et si, gr‚ce à

Richard Blade, nous avons la moindre petite chance de nous entendre avec les Cynéides, nous devons la saisir! Il nous suffit d'un peu de courage...

Est-ce que c'est trop vous demander?

Essoufflée, le visage en feu, Stabata se tut. Et c'est alors Romul qui prit la parole:

-

Stabata a raison! Est-ce que ce doit être une femme qui nous rappelle à nos devoirs d'Humains ~1ibres? Richard Blade, explique-nous ton plan, et nous l'exécuterons, tu en as ma parole!

Deux heures plus tard, alors que la lumière du jour commençait à baisser, la troupe des Hum‚tres conduite par Romul et Blade arriva à la lisière de la Forêt Profonde.

-

Si tout se passe bien, leur répéta ce dernier pour la deuxième fois depuis le départ, vous n'aurez même pas à affronter les Longs-Museaux : il suffira que vous les attiriez dans la direction opposée à celle de Canys, pour me permettre de sortir des bois sans être vu. Ensuite, vous n'aurez plus qu'à retourner dans la forêt et vous y disperser: les Cynéides n'oseront pas

s'y aventurer derrière vous. De plus, il est possibi que nous...

-

Richard Blade! l'alerta l'Humain qu'il ava~ posté en garde à l'orée des grands arbres. Un patrouille descend la prairie dans notre direction!

-

Très bien, c'est le moment! décida Blade, ei prenant Romul par les épaules, et en plongeant se yeux dans les siens, comme pour tenter de lui insuf fier un peu de sa propre détermination.

-

Ne t'inquiète de rien, mon frère: nous sauron~ être à la hauteur de ce que tu attends de nous ! répon dit celui-ci avec un hochement de tête.

Puis, il se tourna vers ses hommes:

-

Allons-y, les gars! L'épieu bien en main, or court droit sur eux en vociférant, avant de bifurquei sur la gauche pour les éloigner de Richard Blade Tous derrière moi, à l'assaut!

Blade vit la vingtaine d'Hum‚tres jaillir hors dt bois et courir en gesticulant et criant vers l'escouad de Cynéides qui devait compter une trentaine d'indi vidus. Supérieurs en nombre, donc, et aussi bier mieux armés. Richard Blade pria pour que tout s passe comme il l'avait prévu et que les Humaim subissent le moins de pertes possibles.

Puis, il s'élança dans la direction opposée et, rapi dement, le corps à

demi-courbé vers le sol, il se fon dit dans le soir tombant.

Il

ne ralentit sa course que lorsqu'il se trouva ck LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 165

e~ouveau à couvert, environ trois kilomètres en avant ~le la Forêt Profonde, dans un bosquet suffisamment j~ouffu pour le dérober à

d'éventuels regards ennemis. 4)eS regards qui avaient du reste de moins en moins ~1e chances de le repérer, dans la pénombre du crépusnkule.

C'est alors que Blade perçut un craquement de jbranche morte, juste derrière lui. II se retourna d'un ~bloc, prêt à l'attaque... et se retrouva face à Ptania!

s - Ptania! gronda-t-il. Mais qu'est-ce que tu fais ~ici, bon sang ! Il faut que tu retournes avec les autres

-

Pas question, murmura la jeune femme, avec une sorte de volonté

farouche. S'il y a du danger, r c'est mon devoir de le partager avec toi.

De toute ~façon, je ne pourrais pas te laisser partir seul... Je t'aime, Richard...

Ils restèrent un long moment, immobiles, enlacés, silencieux, parmi les frôlements animaux, les hululements de rapaces nocturnes, le frissonnement de la F brise.

-

Très bien, tu m'accompagnes, chuchota finalement Blade, en écartant doucement la jeune femme de lui. Mais j'exige qu'au moindre danger tu te mettes en sécurité sans t'occuper de moi!

-

Bien s˚r! répondit Ptania avec un sourire débordant d'amour. Si je me sens menacée, je me cacherai aussitôt... derrière toi, pour que tu me protèges!

166 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

*

* *

Lorsqu'ils arrivèrent aux pieds des remparts

Canys, Richard Blade constata avec soulagement q les grandes portes de la cité étaient encore ouverte~ et que les derniers Cynéides citadins se pressaien~ pour rentrer chez eux, avant la tombée complète de h nuit. Ce qui leur permit, à Ptania et à lui, de se faufi 1er à l'intérieur de la ville, sans qu'aucun des garde~ ne leur accorde la moindre attention.

«a avait des côtés pratiques, de faire partie d'un " race inférieure "...

Comme il y avait d'autres Humains " domes tiques " qui circulaient librement dans les ruelle~ étroites de Canys, ils purent rejoindre la grille d~ l'humasile tenu par le vieil Archontas sans êtn inquiétés.

Les cages grillagées de la cour étaient pleines craquer d'Humains m‚les et femelles qui, comme I~ première fois, se mirent à les interpeller à voix hautc dès que Blade et Ptania eurent pénétré dans la coui envahie d'herbes sauvages et de sortes de chardon d'un vert presque bleu.

-

Eh, vous êtes fous d'entrer ici sans y être obli gés!

-

Sauvez-vous pendant que vous le pouvez!

-

Ouvrez les cages ! Aidez-nous à sortir!

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 167

- Fuyez ! C'est la mort qui vous attend!

- C'est notre sort à nous tous!

Blade prit Ptania par le bras et l'entraîna rapide-nt vers la maison à demi délabrée:

- Dépêchons-nous, marmonna-t-il, les dents sers, sinon, ils vont finir par nous faire repérer, à crier ~nme ça!

Ils n'étaient plus qu'à quelques mètres de la porte, rsque celle-ci s'ouvrit pour laisser passer chontas, probablement inquiet du raffut qui régnait 'rusquement parmi ses " pensionnaires ". II ouvrit de yeux ronds en découvrant les deux Humains en de lui.

Richard Blade! souffla-t-il, avec une sorte de lagement joyeux dans la voix. Je ne pensais pas te revoir un jour ! Mais dépêchez-vous d'entrer, sinon...

Blade dut tirer Ptania par la main: l'idée de pénétrer dans l'antre d'un Cynéide mettait visiblement la jeune femme mal à l'aise. Archontas se h‚ta de refermer la porte derrière eux et leur désigna le bahut qui, avec sa propre chaise, constituait le seul endroit o˘ s'asseoir.

-

qui est cette jeune femelle ? demanda Archontas aimablement, en désignant Ptania.

-

Ce n'est pas une femelle, c'est une femme ! corrigea fermement Blade. Puis, se tournant vers elle:

dis à Archontas qui tu es... l'incita-t-il à répondre, en langage hum‚tre.

Ptania rougit, parut hésiter deux ou trois seconde avant de se lancer:

-

Je... être Ptania... Compagne pour... Compagi de Richard! énonça-t-elle avec une application d'éc hère studieuse.

Archontas en laissa pendre sa m‚choire inférieu de saisissement.

-

Ainsi, tu avais donc raison, Richard Blade murmura-t-il, en se laissant tomber sur sa chaise. L Humains peuvent apprendre notre langage!

Ils so donc des êtres doués d'intelligence ! «a peut chang beaucoup de choses, pour tout le monde...

-

C'est ce que j'essayais de t'expliquer, la de nière fois, avant que nous ne soyons... " grossièr ment interrompus ", lui fit remarquer Blade.

Mai avant de reparler de tout ça, dis-moi plutôt o˘ en e la situation politique, à Canys.

-

C'est une catastrophe! laissa tomber Archont~ d'une voix lugubre.

Bien s˚r, ton évasion a empêc] Basker de mener ses projets de massacre général exécution. Mais il s'est quand même arrangé po répandre le bruit que les Yeux-Tristes t'avaient fait sc tir des enfers, à force d'incantations magiques, et qi c'étaient eux, aussi, qui t'avaient fait évader du pala en tuant six Cynéides " innocents ".

-

Du coup, enchaîna Richard Blade sombremei il a trouvé là le prétexte à de nouvelles exactio; contre ces malheureux Yeux-Tristes, je suppose?

4 - Tu supposes juste, hélas ! Leur situation est ~levenue intenable.

Toutes les nuits, désormais, les ri~hordes de Longs-Museaux font des razzias dans leur o~quartier réservé. Ils détruisent les boutiques, saccagent les maisons. Mais le plus grave, c'est qu'ils ~renflent à chaque fois une dizaine de prétendus " ter~oristes ", qu'ils emmènent hors des murs de Canys... ~t qu'on ne revoit jamais.

e4 - Et pour vous? questionna Blade, de plus en nplus tendu et déterminé.

-

C'est à peine moins horrible. L'ensemble des Cynéides - à

l'exception des Longs-Museaux, évi~r-~lemment - a été entièrement muselé.

Désormais, e.~chaque individu qui parle un peu plus fort que la is~noyenne a toutes les chances de se retrouver dans ~si~ine cage, sans le moindre jugement. Car Basker et sa clique ont décidé d'enfermer les Cynéides dans des t4ages, Richard Blade ! Comme si nous étions de vul~4afres Hum...

4 Archontas s'arrêta à temps et eut un petit sourire utl'excuse en direction de Ptania, qui, les sourcils fron~ricés, le regard fixe, faisait des efforts considérables Ll4our tenter de suivre la conversation.

is~ - quel est l'état d'esprit des Cynéides? demanda Blade. Je veux dire : à l'exception des Yeux-Tristes...

-

L'accablement... la terreur... la colère aussi... rs~écita Archontas d'une voix infiniment lasse. Tout le ~onde commence à se rendre compte des consé

170 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

quences terrifiantes de la bêtise, de l'ignorance et la l‚cheté qui se sont exprimées lors de l'accession pouvoir suprême de Basker et de sa clique. Et de p en plus d'entre nous réalisent que le sort qui réservé aujourd'hui aux Yeux-Tristes risque f d'être le nôtre demain.

-

Donc, si je comprends bien, intervint Bla d'une voix qui vibrait légèrement, la situation m˚re pour la révolte. II ne manque plus qu'une ét celle!

-

Mais il n'y aura pas d'étincelle, soup Archontas, en se vo˚tant un peu plus. Parce que peuple est écrasé par la peur. Personne n'aura l'aud~

de se dresser le premier face aux hordes de Lon, Museaux celui-là serait immédiatement massacré!

-

Pas forcément, répondit Richard Blade avec t sorte de détermination froide. Pas si on coordor notre action avant de la révéler au grand jour.

Pw chacun sait qu'il sera immédiatement épaulé d'autres. Et surtout, pas si l'attaque vient, en autres, d'un groupe que les Longs-Museaux s~

incapables, par nature, de soupçonner de rébellion.

-

De quel groupe parles-tu, Richard Blad demanda Archontas, en relevant son mufle carré y lui. Ne me dis pas que tu penses à...

Ce fut alors que, muette depuis le début de l'eni vue, Ptania trouva le courage d'intervenir, malgré connaissance approximative de la langue cynéide:

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 171

-

Richard dire... Richard veut dire que nous... les 'm‚tres... nous pouvoir attaquer les... Attaquer les

gs-Museaux ! C'est bien ça, Richard?

C'est exactement ça, confirma calmement lade, avec un petit hochement de tête et un sourire direction de la jeune femme.

Un long silence s'installa à l'intérieur de la pièce 'ivrement meublée. Du dehors, o˘ la nuit était àsent complètement noire, arrivaient les soupirs, les gnements des Humains enfermés dans les cages de Tous promis à une mort quasi certaine...

-

Ce que tu imagines est impossible, Richard lade, ça ne pourra jamais marcher! soupira finale-nt Archontas, en secouant sa grosse tête ronde, aux ux saillants et cernés de rouge.

-

«a peut marcher, affirma Blade avec force. Si attaque est menée en liaison étroite avec les Yeuxristes et avec les plus courageux parmi les autres

ïynéides de Canys.

-

Mais enfin, s'insurgea Archontas, c'est de la lie pure et simple !

Le peuple est paralysé par la ~ur, personne n'ose plus même parler à voix haute autre chose que de ses petits problèmes domes~uties ou de la pluie et du beau temps, et encore!

s ces conditions, qui va bien pouvoir convaincre s Yeux-Tristes et les Cynéides de se révolter au sque de leur vie?

172 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

-

Toi et moi, Archontas, répondit simplement Richard Blade, en plongeant son regard dans celui du vieux chien. Juste toi et moi...

-

En tant que responsable de votre communauté, c'est à vous que revient la décision ! martela Richard Blade pour la troisième fois, au milieu d'un silence lourd.

Cela faisait plus de deux heures qu'il parlementait avec Mossayan, le leader des Yeux-Tristes. Celui-ci, une fois de plus, secoua lentement les longues oreilles rousses, envahies de poils frisés, qui pendaient de chaque côté de son museau carré.

-

Responsable... finit-il par murmurer, avec autant d'amertume que de tristesse. C'est exactement le mot qu'ont employé les Longs-Museaux du Conducator lorsqu'ils m'ont désigné comme leur " interlocuteur privilégié

"! Autrement dit, dans. leur esprit, l'Humain chargé de les aider à

martyriser puis à faire disparaître son propre peuple. ¿ leurs yeux, je ne suis bon qu'à justifier les massacres dont les miens sont victimes, à "

faire passer la pilule ", si je puis dire... Et, quand ils n'auront plus besoin de moi,

174 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

quand le dernier survivant aura été exécuté, ils m'emmèneront, une nuit, comme tous mes frères, faire une petite promenade sans retour dans la campagne de Canys...

-

Raison de plus pour organiser et h‚ter la révolte, insista Blade, avec une énergie accrue. Chaque heure que nous perdons, ce sont des YeuxTristes qu'on assassine ! Et, bientôt, quand vous serez devenus trop faibles, et les autres Cynéides trop terrorisés, il sera trop tard pour agir!

-

Je crois que Richard Blade a raison, Mossayan, intervint Archontas, en posant sa patte griffue sur l'épaule du chef des Yeux-Tristes.

Sur la demande expresse de Blade, Archontas avait accepté de les introduire, Ptania et lui, à l'intérieur du quartier réservé de la communauté. Il n'y était parvenu que parce que, en tant que responsable de l'humasile, il était tenu de parcourir les différents quartiers de Canys, pour y localiser les Humains errants. Et Mossayan avait accepté de les recevoir uniquement en raison des liens particuliers qui l'unissaent à

Archontas: ils avaient été collègues à l'université de Canys, o˘ Mossayan occupait la chaire de théologie et d'eschatologie, avant l'arrivée au pouvoir de Basker. Autrement dit, dans une autre vie...

-

En admettant que j'entre dans tes vues, Richard Blade, fmit par dire Mossayan, et à supposer que je parvienne à convaincre l'ensemble de mes frères de

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 175

la nécessité d'une révolte massive, nous allons nous retrouver seuls contre des troupes de Longs-Museaux bien armés et rompus au combat. Ils vont nous exterminer jusqu'au dernier!

Blade comprit qu'il était temps de dévoiler aux deux vieux chiens la totalité de son plan.

-

Si vous êtes seuls, sans doute, répondit-il. Mais vous ne le serez pas!

-

Et comment ça? demanda Mossayan, en relevant légèrement l'oreille droite, en signe d'étonnement.

-

Parce que, dans les prochaines vingt-quatre heures, nous allons mener une triple action coordonnée, qui va prendre vos bourreaux au dépourvu.

-

Une triple action? répéta Mossayan, sans paraître comprendre.

Explique-toi, s'il te plaît...

-

Archontas, en profitant de sa facilité à se déplacer partout en ville, va s'efforcer de mobiliser tous les Cynéides opposés au régime, parmi les plus déterminés. quant à moi, je vais retourner dans la Forêt Profonde et revenir avec une cinquantaine d'Hum‚tres bien armés et aguerris. La réunion de nos trois troupes, ajouté à l'effet paralysant que peuvent avoir les Hum‚tres sur les Longs-Museaux, ainsi qu'à l'effet de surprise, cela devrait suffire à nous assurer la victoire...

En réalité, Blade était loin d'être aussi serein et s˚r de lui qu'il essayait d'en donner l'impression.

Seulement, il n'avait pas le choix des moyens. Il devait absolument jouer ce rôle de galvaniseur, il~ devait être cette " étincelle " dont il avait parlé

Archontas.

- Il y a une faille dans ton plan, Richard B1ade,~ murmura ce dernier, en se passant machinalement la patte sur les babines. La campagne environnantes regorge de patrouilles, tu le sais. Des patrouilles qui possèdent ton signalement précis, depuis ton évasion~ d'il y a deux ans!

C'est déjà un miracle que tu sois parvenu jusqu'ici sans te faire prendre.

Je doute que tu parviennes à refaire le chemin en sens inverse. Et~ si tu n'es plus là pour... comment dire? Pour nous insuffler le courage et la détermination qui nous man-~. quent encore, tout ton plan s'écroulera de lui~t même...

Un lourd silence retomba, dans la pièce misérable~ et sans fenêtre qui servait de logement à Mossayan.~ Blade était obligé de reconnaître que l'objection était fondée. Le problème, c'est que l'apport des Hum‚tres1

était primordial, au sein de son dispositif, et il ne voyait pas comment faire venir les hommes de Romul, sinon en allant les chercher lui-même...

C'est alors que Ptania, que tout le monde avait oubliée, tellement elle restait immobile et silencieuse dans le coin le plus sombre de la pièce, s'avança àpetits pas jusqu'à la table carrée, autour de laquelle étaient installés Blade et les deux Cynéides.

-

Richard, rester ici... dit-elle avec un visible effort. Moi...

chercher Romul... Soldats pas se méfier femelle!

Doucement, Blade lui plaqua la paume sur la bouche pour la faire taire:

-

Non, Ptania, c'est impossible, je ne peux pas te laisser retourner là-bas seule, c'est trop dangereux!

-

Ce serait pourtant la meilleure solution... glissa Mossayan, en détournant ses yeux tombants.

D'un geste décidé, Ptania écarta la main qui l'empêchait de parler.

-

qu'est-ce que tu racontes, Richard, avec tes dangers? reprit-elle, en langage humain. Tu oublies que j'ai vécu les trois premières années de ma vie dans la campagne, à trouver toute seule ma nourriture et à échapper à tous ceux qui ont cherché àm'attraper! Je suis au contraire la personne la mieux placée pour réussir ce que tu veux faire!

Archontas retroussa ses babines, en un sourire mi-ironique mi-bienveillant:

-

Je n'ai évidemment rien compris à ce qu'elle vient de te dire, Richard Blade... mais je suis certain d'être entièrement d'accord avec elle!

Blade n'hésita qu'une poignée de secondes. De toute façon, ils avaient raison : il n'y avait pas d'autres solution.

-

C'est d'accord, Ptania, tu vas aller chercher Romul et les autres, dit-il, en langage cynéide, pour

que les deux autres puissent comprendre. Mais comment feras-tu pour les introduire à l'intérieur des remparts? Les Longs-Museaux ne vous laisseroni jamais franchir les portes!

-

Ce ne sera peut-être pas nécessaire, intervini Mossayan. Au nord de Canys, il y a une autre porte d'accès, beaucoup plus petite: elle servait aux Yeux-Tristes, jusqu'au milieu du siècle dernier, pour entrer et sortir de la ville sans avoir à se mêler aux autres Cynéides.

-

La Porte Impure? sursauta Archontas. Mais elle est condamnée depuis des années ! Plus personne ne doit en avoir les clés!

Mossayan eut un petit sourire rusé:

-

Plus personne... chez vous! Mais nous autres, nous les avons toujours précieusement conservées, au cas o˘...

II se tourna vers Blade:

-

Dis à la femel... pardon: à la jeune femme, qu'elle et les autres Hum‚tres attendent la tombée de la nuit, demain, et se dissimulent contre les remparts Nord, près de cette porte. Nous irons les retrouver là-bas.

Mossayan eut un petit rictus sans joie, et, avec un geste fataliste de la patte, il ajouta:

-

Et ensuite, nous n'aurons plus qu'à aller nous suicider collectivement, en attaquant les Longs-Museaux!

*

* *

La porte dont avait parlé Mossayan se trouvait dans la zone de Canys "

réservée " aux Yeux-Tristes -c'est-à-dire dans les quelques rues misérables dont Basker et ses sbires avaient fait leur prison. Du coup, Blade et le chef de la communauté persécutée purent la rejoindre sans encombre.

Richard Blade se sentait des fourmis dans les jambes, après avoir rongé son frein toute la journée, dans l'unique pièce servant de logement au vieux chien. L'idée que les autres - Ptania et Archontas notamment - se démenaient pendant que lui était obligé de rester caché dans son trou lui était insupportable.

Mais il avait bien été obligé d'admettre que, tactiquement, c'était la meilleure solution, en tout cas la plus sage. N'emp&~he que, maintenant que la nuit était complètement tombée, il avait vraiment h‚te de passer à

l'action.

Mossayan et lui étaient encadrés par cinq YeuxTristes beaucoup plus jeunes que leur chef. Sa garde rapprochée, en quelque sorte.

¿ leur côté, il avait connu la première bonne surprise de la journée : contactés par Mossayan, l'immense majorité des Yeux-Tristes s'était déclarée prête à la révolte, à affronter la mort en combattant, plutôt que d'attendre passivement d'être exécutés par les hordes sanguinaires de Basker.

Il

ne restait plus à espérer qu'Archontas ait eu autant de succès avec les Cynéides de " race pure ", et que Ptania ait su convaincre Romul et les siens d'intervenir. Mais ça, Blade allait le savoir très vite, puisque l'un des gardes du corps du vieux Mossayan était déjà en train de faire tourner la grosse clé métallique dans la serrure de la porte, impeccablement entretenue.

-

Depuis trois générations au moins, nous la graissons régulièrement, souffla Mossayan, pour le cas o˘ elle aurait à resservir. On dirait que mes prédécesseurs et moi avons eu raison de le faire...

De fait, la porte coulissa sur ses gonds sans le moindre grincement.

Richard Blade poussa un soupir de soulagement, en découvrant, de l'autre côté, la cinquantaine de silhouettes qui se détachaient à peine de la masse noire et verticale des remparts.

Il

eut juste le temps d'ouvrir les bras pour y recevoir Ptania, qui l'embrassa à pleine bouche, sans se soucier de savoir si elle était observée ou non.

-

J'ai réussi, Richard, ils sont tous venus ! ditelle, d'une voix qui vibrait de fierté.

Romul se détacha du groupe des Hum‚tres et se planta face à Blade avec un petit sourire:

-

Tu ne pensais quand même pas que j'allais te laisser rigoler tout seul, mon frère ? On a juste pris le

temps de redurcir les pointes d'épieu au feu avant de prendre la route! Je sens qu'elles vont joyeusement étriper cette bande de racailles de Longs-

Museaux!

Richard Blade fit signe à Mossayan, resté un peu en retrait, de le rejoindre. En découvrant le chien roux et frisé, presque aussi grand que lui, Romul ne put s'empêcher d'avoir un sursaut répulsif, tandis que, instinctivement, sa main se raffermissait sur le manche de son épieu.

-

Romul, articula Blade en langage cynéide, je te présente Mossayan.

Lui et les autres Yeux-Tristes sont nos alliés. Ils veulent, tout comme nous, abattre la tyrannie de Basker et, ensuite, établir de nouveaux rapports entre les Cynéides et les Humains.

Puis, se penchant vers lui, il lui glissa très rapidement, en langage humain, cette fois:

-

¿ toi de jouer, mon frère: tu peux tout faire rater... ou tout réussir, à toi de choisir! Le moment est historique...

Romul prit une profonde inspiration, visiblement ~en proie à des sentiments violemment contradictoires. Finalement, Blade le sentit se détendre. L'Hum

‚tre fit un pas en avant, en direction de Mossayan qui restait aussi immobile qu'impassible.

-

Au nom des frères humains à moi... attaqua-t-il, dans son parler cynéide hésitant, je salue toi, Mossayan. Et je... jurer de battre les Longs-Museaux... avec les Yeux-Tristes,jusqu'à victoire.., main dans la main...

182 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

Le silence retomba. Plus personne ne bougeait, iie part ni d'autre, et Richard Blade retenait son souffle Enfin, il vit Mossayan faire à son tour un pas en avant. Puis, lentement, le vieux leader étendit sa patte droite vers Romul. Lequel, à son tour, après un ultime temps d'hésitation, tendit la main.

Alors, sans doute pour la première fois dans l'his. toire de ce monde, la patte d'un Cynéide et la main d'un Humain entrèrent en contact l'une avec l'autre et se serrèrent en une poignée franche et nette. D'égal à égal.

Une nouvelle alliance, inouÔe pour les uns comme pour les autres, venait d'être scellée.

- Je crois que cette minute est la première d'une ère nouvelle pour vos deux peuples, résuma Richard Blade, plus ému qu'il ne voulait le laisser paraître.

- Espérons que ce ne sera pas une ère de mort, mais bien une ère de liberté

et d'espoir, soupira Mossayan.

Puis, il tourna son museau carré en direction de Romul, et lui dit, en prenant soin de bien articuler pour être mieux compris:

- Si jamais nous venons à bout du tyran, j'aimerais que vous acceptiez de me transmettre la connaissance de votre langue: il m'est impossible d'admettre que vous parliez la nôtre et que j'ignore tout de la vôtre! Et maintenant, dépêchons-nous de rentrer: on finirait par se faire repérer en restant à l'extérieur des rem

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 183

parts, même si les Longs-Museaux sont peu nombreux à patrouiller dans les parages.

Au moment o˘ ils refranchissaient la petite porte dans l'autre sens, Richard Blade vit surgir la silhouette légèrement vo˚tée d'Archontas. ¿ son mufle tombant, à ses yeux plus plissés que d'habitude, il comprit qu'il était porteur de mauvaises nouvelles,

-

Rien à faire, soupira Archontas, quand il les eut rejoints, Mossayan et lui. Les Cynéides ont trop peur, aucun ne veut franchir le pas de la révolte ouverte. J'ai échoué, Richard Blade! Et j'ai tellement honte de mon peuple, quand je vois le courage des Yeux-Tristes et des Humains...

-

C'est que nous, nous n'avons plus rien à perdre, alors que les Cynéides " purs " peuvent encore s'imaginer qu'ils ont quelque chose à

sauver en se tenant tranquilles, tenta de le consoler Mossayan.

-

En attendant, ton plan ne tient plus, Richard Blade, gémit Archontas, sans même oser le regarder. Malgré tout le courage dont pourraient faire preuve les Hum‚tres ramenés par Ptania et les troupes de Mossayan, ils seront écrasés sous le nombre des Longs-Museaux, s'ils tentent quoi que ce soit. II vaut mieux renoncer... pour l'instant, tout du moins...

-

II n'y a pas de " pour l'instant " qui tienne! gronda Blade, en se dressant face aux deux chiens. Si nous n'attaquons pas les forces de Basker dans les

184 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

jours qui viennent, il sera trop tard ensuite ! Parce que le Conducator s'apprête à en finir avec les Yeux-Tristes - il me semble que c'est bien visible, hélas ! -, et, quand ce sera fait, il se retournera contre les Cynéides, afin d'en isoler tous les éléments " douteux ", c'est-à-dire, en clair, tous les citoyens qui conserveront la prétention et la témérité de continuel à penser par eux-mêmes! Non, croyez-en mon expérience de ce genre de situation: si vous ne vous soulevez pas maintenant, vous ne pourrez plus le faire avant au moins trois ou quatre générations!

-

Mais qu'est-ce qu'on peut faire? demanda Romul, dans sa langue.

C'est vrai qu'on est dramatiquement peu nombreux. Si c'est pour se faire tous massacrer, sans que ça serve à rien...

-

Il y a peut-être un moyen pour contourner la difficulté, murmura alors Richard Blade, les yeux dans le vague, comme s'il cherchait à lire quelque chose, dans le noir profond du ciel.

-

qu'est-ce que tu veux dire, mon frère?

-

Mon premier plan était d'attaquer la caserne adossée au palais du Gouvernement, o˘ sont cantonnés la plupart des Longs-Museaux, et surtout o˘

soni entreposées pratiquement toutes leurs armes, n'est-cc pas ? répondit Blade, en reprenant la langue cynéide afm d'être compris de tous.

-

C'est vrai, et alors ? questionna Archontas.

-

Alors, si jamais, par un moyen quelconque, or LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 185

vait à attirer une fraction importante de la garni-à l'intérieur du palais, ça dégarnirait la caserne

'autant. Et, comme ça, vous pourriez alors y lancer 'assaut, avec de bonnes chances d'emporter la vicire. Ce serait une sorte de manoeuvre de diversion, peu comme celle que Romul et ses hommes ont ffectuée pour me permettre de quitter la Forêt ~fonde sans me faire voir.

ily eut un court silence, rompu par Mossayan:

-

L'idée me paraît bonne, en effet, murmura-t-il. Lticable, en tout cas. Mais il y a quand même un ~int obscur: qui va la pratiquer, cette diversion? Et

~nt?

Le visage de Richard Blade resta imperturbable, et c'est d'une voix parfaitement calme qu'il répondit:

-

Mais... moi, bien sOr! En m'introduisant dans le palais et en m'en prenant à la personne qui fera s'affoler le plus de Longs-Museaux possible.

¿savoir, leur si précieux Conducator, le grand Basker en personne!

CHAPITRE XIV

Une idée folle. C'était une idée complètement ~lle. C'est en tout cas ce que Richard Blade ne ces-de se répéter, en marchant vers la grande place, se dressait le palais du Gouvernement.

Et pourtant, il sentait que ça pouvait marcher, ~me si ses chances étaient extrêmement réduites. toute façon, il avait besoin d'action, à tout prix.

serait-ce que pour penser à autre chose qu'à ses heveux prématurément blanchis, à sa peau qui perit de son élasticité. Bref, au vieil homme qu'il était wenu en moins de deux ans.

Et surtout, il ne fallait pas qu'il pense à Lord Leighton et à ses ordinateurs. Des ordinateurs qui semblaient incapables de le rappeler.

Combien de temps s'était écoulé, sur Terre, depuis son départ? quelques jours? Plusieurs semaines? Des mois? Impossible de le savoir, évidemment.

Ce qui lui paraissait certain, en revanche, c'était que, plus le temps passait, et plus il y avait de risque pour que les ordinateurs ne puissent rétablir le contact avec lui. dans ce cas, il allait faire un très beau mort, à br~ échéance. Donc, perdu pour perdu, mieux valait a~ Même si ce qu'il avait en tête équivalait pratiquem à un suicide...

Le jour commençait à se lever, lorsqu'il débouc sur la place, encore déserte. Un jour gris, sale, sc un ciel plombé de gros nuages noirs d'encre. L portes de la grande b‚tisse de pierre, austère, vagi ment menaçante, étaient encore fermées. Blade dissimula dans le renfoncement d'une porte coch~ et attendit patiemment que la ville s'éveille.

Cela prit une petite demi-heure. Petit à petit, I premiers Cynéides commencèrent à sortir de ch eux, pour vaquer à leurs occupations matinales.

E cris et des rires de chiots se firent entendre, dans I profondeurs des maisons. Et, surtout, Blade vit apj raître les premiers Humains " errants

", dont la p sence dans les rues allait lui permettre de pas~ inaperçu.., du moins, dans un premier temps et a~ un peu de chance.

Lorsque, de son abri, il vit les portes du pal s'ouvrir, Blade comprit qu'il était temps pour lui mettre son plan à exécution. Et, aussitôt, comme si ciel voulait lui adresser un encouragement, il se mi pleuvoir. quelques grosses gouttes d'abord, as~ espacées ; puis, très rapidement, de véritabi trombes d'eau, opacifiant tout le paysage urba LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 189

E4mmédiatement, les Cynéides se mirent à courir en w us sens pour se mettre à l'abri, de ce qui ressemblait ~ir une véritable pluie de mousson. Les Humains aussi ~fl 'lonnaient les rues à la recherche d'un abri.

Richard Blade profita aussitôt de l'aubaine. ~h 'efforçant d'adopter de façon convaincante la US marche sautillante et légèrement déjetée de " ses

~es ngénères ", il fonça droit en direction de l'entrée du ie- lais.

Tablant sur l'hypothèse que, sous un déluge se areil, les Longs-Museaux de garde avaient d˚ se ~re~fugier dans leur grande guérite, laissant le passage à

peu près libre.

Ies~ C'était le cas, en effet. Au moment o˘ Blade franLez~jssajt le seuil de la forteresse et passait en courant ~es~levant la salle de garde, l'un des dobermans lui cria Ies~uelque chose, qu'il ne comprit pas, en raison du )a-fracarme que faisaient les trombes d'eau tombant du ré-ciel plombé.

;eT$ Il ne s'arrêta qu'une trentaine de mètres plus loin, ec~orsqu'il put quitter l'allée principale, à ciel ouvert,

pour se réfugier dans un couloir latéral, couvert d'un 115Buvent de bois goudronné sur lequel crépitait rageusede~ent la pluie diluvienne.

le Maintenant, il fallait réaliser la deuxième partie de t à~on programme.

¿ savoir trouver les appartements ez~rivés de Basker, o˘ le Conducator devait se trouver eS~ncore, à une heure aussi matinale.

Il.

Au bout du couloir o˘ il s'était engagé, Richard 190 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

Blade eut la surprise de déboucher dans le grand h~ qu'il connaissait déjà, mais d'une façon latéral presque sous le grand escalier conduisant à la salle Conseil. Il allait se décider à l'emprunter, lorsque bruit d'une porte s'ouvrant, plus loin sur sa gauci le fit se rencogner dans l'ombre.

-

Tu es s˚r que la viande est suffisamment cuitt demanda la grosse voix d'un Cynéide que Blade pouvait pas encore voir, à cause de la masse l'escalier. Tu sais que le Conducator est capable de la jeter au museau si elle est trop saignante pour lui

-

«a va, ça va! grogna un autre, à la voix pi nasillarde, je connais mon boulot, qu'est-ce que crois?

Richard Blade risqua un oeil hors de sa cachette, vit trois Longs-Museaux, vêtus d'une sorte de livi de drap bleu marine rehaussée de passementeri d'or, aux épaules et sur le devant. Chacun portait grand plateau de bronze dans les pattes, encombré plats, de vaisselle, de pots...

" Ce brave Basker s'apprête à prendre son pc déjeuner, on dirait! songea Blade avec un petit sc rire froid. Et si j'allais contrarier le bon appétit Grand Conducator, pour voir ? "

II

laissa les trois laquais s'engager dans le gra escalier et prendre un peu d'avance, avant de ~

engager à son tour. Au premier étage, il vit I Cynéides obliquer à droite, dans un large coub LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 191

~ement décoré de tentures, dont ils refermèrent soiusement la porte derrière eux. Blade compta menlement jusqu'à cinq, avant de la rouvrir demment.

Les trois domestiques, à une dizaine de mètres en ant, étaient en train de tourner sur la gauche et disrent à la vue de Blade, qui pressa le pas pour ne risquer de se faire semer.

LI arriva à l'angle, juste à temps pour voir les servirs s'engouffrer dans une pièce dont la porte était

par quatre Longs-Museaux en armes.

~a chambre du Conducator, à n'en pas douter. II it à pied d'oeuvre.., à

condition de réussir à se barrasser des quatre gardes-chiourme, sans pour tant attirer l'attention de quiconque pouvait se trou-dans la chambre, afin de bénéficier à plein de effet de surprise.

Richard Blade resta un moment à examiner les eux. La porte gardée était percée dans la cloison 'une sorte de vaste antichambre circulaire très haute plafond, puisqu'il donnait directement sur la veri-i~ière multicolore qui couronnait l'édifice, à cet 1+ndroit. ¿ mi-hauteur, à environ quatre mètres du ~sol, courait, en mezzanine et protégée par une balus~rade de fer forgé, une galerie à laquelle on accédait y~par un étroit escalier qui démarrait juste à la droite de ~Blade.

i~ D'un coup, sa décision fut prise et, sans hésiter, il se planta au milieu du couloir, bien en vue des qu~ gardes, qu'il héla d'une voix forte:

- Alors, les jolis toutous: on est content de jc les larbins du tyran, bien au chaud, tranquilleni assis sur son cul pelé?

Blade avait choisi délibérément les termes les r méprisants que sa connaissance instinctive de langue cynéide lui dictait. " Cul pelé ", notamm était l'une des pires injures pour eux, avec "d'Hum‚tre ".

Les quatre Longs-Museaux en restèrent médu~ durant une ou deux secondes.

Littéralement cloi sur place par l'audace insensée de cet Humain çnon seulement avait osé pénétrer dans la partie sti tement interdite du palais, mais se permettait en p de venir les défier, quasiment sous leurs babines!

qui plus est, dans leur langue!

ils reprirent leurs esprits en même temps et fir exactement ce que Blade espérait: empoignant le hallebardes posées le long du mur, ils se ruèrent t~ les quatre dans sa direction, laissant la porte de chambre sans protection.

Dans un premier temps, Richard Blade ne bou~ pas, continuant de faire face aux quatre tueurs qui précipitaient sur lui. Ils n'étaient plus qu'à t dizaine de mètres, sept, quatre...

quand il jugea qu'ils étaient assez proches, BI bondit en direction du petit escalier desservani

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 193

a4éranda supérieure. …videmment, à cause de l'étroifrsse de l'escalier en question, les Longs Museaux ne

wtpurent le suivre que deux par deux. ils grondaient de L$age, les fers de leurs hallebardes cliquetaient violem~ment les uns contre les autres.

)l~ Une fois en haut, Blade fit mine de continuer à fuir, ~nais il ralentit nettement son allure. Lorsqu'il sentit ~4'qu'il allait être rejoint, il se retourna brusquement. fi~ Effectivement, le plus rapide des Cynéides n'était ~p1us qu'à deux mètres derrière lui, la hallebarde relepour ne pas gêner sa course. Voyant que

udl'Humain était à sa portée, il voulut l'abaisser pour lutl'embrocher proprement. il n'en eut pas le temps. ri4 D'une détente formidable, prenant appui d'une 1i~main sur la balustrade en fer forgé, Richard Blade E ondit en l'air, les deux jambes repliées en avant. Dans la fraction de seconde suivante, il les déplia

e

avec toute la puissance dont il était capable. Ses deux talons atteignirent le Long-Museau à la base du cou.

)

Il s'écroula en arrière, en poussant un grognement de douleur, l

‚chant sa hallebarde.

Blade récupéra l'arme au vol. Juste à temps: les trois autres gardes se ruaient sur lui. Conservant son appui sur la balustrade, Blade sauta par-dessus et se jeta dans la vide, à la stupéfaction des trois chiens.

Blade se reçut en souplesse, quatre mètres plus bas, d juste devant la porte de la chambre de Basker, exactelj ment comme il l'avait prévu. Il s'était proprement

194 LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS

débarrassé de ses poursuivants, en les attirant l'étage supérieur.

Avec des grondements de rage, les Cynéides, là haut, faisaient demi-tour pour redescendre l'escalie Richard Blade ne leur laissa pas le temps d'arriver la moitié des marches. Il ouvrit la porte à la volée s'engouffra dans la pièce. Puis, avant même d'inspec ter l'endroit o˘ il se trouvait, il referma la porte et e coinça la poignée et le chambranle en calant sa hall barde en travers.

Alors, seulement, il se retourna vers la petite tabi derrière laquelle Basker, déjà en grand uniforme d cuir noir, était en train de prendre son déjeuner. I était entouré de quatre hauts dignitaires du régime, 1 poitrine barrée de médailles et de décoration diverses, qui regardaient l'intrus avec des yeu béants de stupeur.

Blade ne put s'empêcher d'admirer le sang-froi du Conducator, qui continuait de découper tranquillement son morceau de viande épaisse tout en le détaillant avec une sorte de sourire froid.

- C'est curieux, mais quelque chose me disait que nous serions amenés à

nous revoir, Richard Blade! dit-il d'une voix calme, légèrement railleuse.

Je suis quand même surpris que tu aies eu l'inconscience de venir te fourrer de toi-même dans le piège : je te pensais plus intelligent que ça!

- Ce n'est pas une question d'intelligence, répon kdit froidement Richard Blade. Je suis venu pour te lancer un défi, Basker!

Je veux t'affronter en combat singulier, car je sais que je suis plus fort que toi! Tu 'n'es qu'un usurpateur, Basker! ¿ peine plus courageux qu'une pauvre femelle malade!

II y eut un long silence, durant laquelle Blade retint son souffle. C'était maintenant que tout se jouait. Si le Conducator refusait la provocation délibérée qu'il venait de lui lancer, il était fichu. La porte ne résisterait pas longtemps aux assauts des Longs-Museaux, et il serait alors submergé sous le nombre.

Seulement, Blade s'était dit qu'il ne fallait pas aborder Basker comme s'il s'agissajt d'un être humain. Tout simplement parce que Basker, même intelligent et doué de parole, restait avant tout un chien. C'est-à-dire une créature de meute.

Le plan avait germé dans son esprit quelques heures plus tôt, gr‚ce à la conjonction fortuite de deux faits. D'abord, sans trop savoir pourquoi, il avait repensé au pitbull avec lequel il avait bien failli devoir se battre, à Londres, juste avant son départ. Le pitbull qui, finalement, s'était soumis à lui, parce qu'il l'avait reconnu comme m‚le dominant.

Et puis, il y avait eu une réflexion faite par Archontas. ¿ un moment, comme il lui demandait de quelle façon Basker avait réussi à s'imposer comme leader des Longs-Museaux, puis, finalement, comme Conducator de l'ensemble de la communauté des

Cynéides, le vieil intellectuel l'avait regardé d'un air étonné, puis lui avait répondu, sur le ton de l'évidence:

-

Mais... parce que c'est le plus fort, bien s˚r!

C'est là que Richard Blade avait compris que, tout doués de raison qu'ils fussent et quel que f˚t le degré supérieur de leur évolution, ces êtres restaient des individus soumis aux lois de la meute. Il en avait déduit que le m‚le dominant devait régulièrement prouver qu'il était bien toujours le plus fort, sous peine de se voir détrôné et remplacé par un plus puissant que lui. D'o˘ l'idée a priori ahurissante de venir le défier devant témoins, et sur son propre territoire.

Seulement, il y avait aussi de nombreux motifs pour que Basker ne réagisse pas comme Blade l'avait prévu à son défi. D'abord parce que l'instinct de meute pouvait être en grande partie dégénéré chez les chiens " civilisés ".

Ensuite parce que, en tant qu'Humain, Blade représentait une race inférieure, aux yeux des Cynéides. Sur Terre, dans les siècles passés, jamais un comte ou un duc ne se serait abaissé à se battre en duel avec un

" manant ": il aurait considéré cela comme une déchéance. Et peutêtre Basker allait-il réagir d'une façon similaire. Auquel cas, lui, Richard Blade, serait alors dans de très sales draps...

Comme si Basker avait pu capter les interrogations secrètes de Blade, il articula posément:

-

Et pourquoi donc moi, un Cynéide, appartenant à la noble race des Longs-Museaux et, qui plus est, guide suprême de tous les autres Cynéides, je m'abaisserais à lutter contre un pauvre petit Humain de ton espèce?

-

Parce que tu sais très bien que je ne suis pas un pauvre petit Humain! répondit Blade sur un ton glacial. Et aussi parce que, si tu refuses de te mesurer àmoi, je me chargerai de le faire savoir dans tout Canys. Ainsi, les Cynéides que tu opprimes sauront qu'en plus d'être un tyran, leur Conducator est également un l‚che!

Avec un ensemble parfait, les quatre conseillers de Basker, qui n'avaient rien dit ni fait jusque-là, mirent la main à l'épée.

-

Laisse-nous lui régler son compte tout de suite, Grand Conducator!

rugit l'un d'eux.

-

C'est ça, mettons-le en pièces et jetons ses entrailles aux marcassins sauvages! gronda son voisin.

Richard Blade sentit qu'ils allaient bondir sur lui, et il se prépara mentalement et physiquement à soutenir l'assaut. Mais Basker les arrêta d'un geste:

-

Du calme, vous autres! Un peu de sang-froid, que diable! Et toi, pauvre fou, tu crois vraiment que je suis assez stupide pour répondre à une simple provocation verbale?

Blade comprit qu'il était en train d'échouer et qu'il lui fallait frapper plus fort, s'il voulait retourner la situation. Sachant qu'il avait encore un joker entre les mains, mais qu'il allait jouer là son va-tout. Autrement dit, si cette carte ne s'avérait pas plus efficace que ses premières tentatives, c'est pour le coup qu'il se ferait aussitôt taillé en pièces sur pied...

- Verbale, peut-être pas, dit-il en s'avançant tranquillement vers la table. Mais on peut essayer autre chose. que dirais-tu de ça, par exemple?

Alors, avant que Basker ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, et surtout le temps de se garer de l'outrage, Richard Blade, tout tranquillement, se mit à uriner le long de sa patte droite!

- Dans mon monde, ce sont les chiens dans ton genre qui ont une f‚cheuse propension à pisser un peu partout, dit-il calmement. Alors, je me suis dit qu'ici, les Humains avaient sans doute tendance àfaire la même chose! Tu ne peux pas considérer ça comme une humiliation, n'est-ce pas, puisque je ne suis qu'un pauvre inférieur d'Humain!

II eut l'impression que Basker allait se liquéfier sur place. II vit ses babines se retrousser horriblement sur ses formidables crocs, et ses petits yeux noirs s'injecter de sang, tandis que ses grosses pattes griffues se levaient, menaçantes, vers son visage.

Autour du Conducator, les quatre dignitaires étaient tendus à l'extrême, prêts à se jeter sur Blade, au moindre mot de leur chef. Pour couronner le tout,

LES HORDES SANGUINAIRES DE CANYS 199

au même moment, des coups violents furent frappés àla porte et l'on entendit nettement les vociférations de gardes qui se pressaient derrière.

Basker se redressa de toute sa formidable stature, fit jouer les muscles saillants de son large poitrail et darda son regard aigu dans les yeux de Blade, qui le soutint sans faiblir.

-

Tu es allé trop loin, Richard Blade! Puisque c'est ainsi, je vais t'accorder l'honneur que tu sembles souhaiter de moi : je vais te tuer de mes propres mains!

Il

avait à peine fini sa phrase que la porte vola en éclats et qu'une troupe de Longs-Museaux armés jusqu'aux dents se rua à l'intérieur de la pièce.

Dans le tout le quartier chez qui, afin de ne pas patrouilles de dobermans Hum‚tres, la tension étau atteignait des paroxysmes logement de Mossayan, o~ outre le propriétaire des Archontas.

-

Mais qu'est-ce qu'i Ptania en se tordant les ma heures qu'il est