3
La tempête de sable obstruait la vue, la respiration, la pensée, le mouvement. Le rugissement du vent semblait naître partout à la fois, comme si l’univers entier n’était plus composé que de bruit.
Les sept héros luttaient pas à pas pour avancer contre la tourmente en se tenant les uns aux autres pour ne pas se perdre. D2 ouvrait la marche, guidé par son dispositif électronique qui lui parlait dans un langage contre lequel les éléments ne pouvaient rien. 6PO suivait immédiatement derrière, puis venait Leia guidant Yan, et finalement Luke et Lando qui soutenaient le Wookie blessé.
À un moment donné, D2 cliqueta à plein régime un message qui fit lever tous les yeux : de vagues formes sombres se dessinaient au milieu du typhon.
— Je n’en sais rien, beugla Yan. Tout ce que je vois, c’est du sable qui tourbillonne.
— On n’en voit guère plus, hurla Leia en retour.
— C’est bon signe. Ça signifie que je vais mieux.
Quelques pas encore et les formes se firent plus sombres, puis se précisèrent et le Faucon Millennium apparut, flanqué du chasseur X de Luke et d’un biplace à ailes Y. Le groupe pressa le pas et, au moment où la file indienne atteignait l’abri relatif de la masse du vaisseau, le vent daigna décroître à un niveau sinon plaisant du moins descriptible. 6PO pressa un bouton et la passerelle s’abaissa avec un ronflement rassurant.
Solo se tourna vers Skywalker.
— À propos, p’tit gars, lança-t-il d’un ton faussement négligent, laisse-moi te dire que tu t’es rudement bien débrouillé.
— Je n’étais pas tout seul, répliqua Luke avec un haussement d’épaules.
Il commença à s’éloigner pour rejoindre son chasseur, mais Yan l’arrêta. Le regard du pirate était tout à fait sérieux.
— Merci d’être venu me rechercher, Luke.
Dans la bouche de l’éternel plaisantin, c’était là une déclaration des plus solennelles et Luke se sentit presque gêné.
— N’y pense plus, répondit-il, tentant de minimiser l’exploit.
— Au contraire, j’y pense beaucoup. Tu sais, je crois que c’était ce que j’imagine le plus proche de la mort. Pire même, parce que j’étais un mort vivant.
Luke et les autres l’avaient sauvé de cet horrible néant ; ils avaient risqué leur vie pour lui. Et ce, tout simplement parce qu’il était… leur ami. Pour l’insouciant risque-tout qu’avait toujours été Solo, c’était là une notion nouvelle – à la fois terrifiante et merveilleuse. Et combien troublante ! De tout temps, il avait pensé, décidé, agi seul, et voilà que désormais il faisait partie d’un ensemble, d’un groupe. De tout temps il avait détesté devoir quelque chose à quelqu’un et voilà qu’aujourd’hui, la dette qu’il avait contractée n’était plus une chaîne mais un lien, un lien d’amitié, un lien presque libérateur.
Il n’était plus seul.
Luke avait remarqué le changement survenu chez son ami. Le visage même de Solo avait changé, telle une mer qui s’apaise. Solo était en train de vivre un instant privilégié, un instant que Luke ne voulait pas rompre. Il ne dit rien, se contentant d’acquiescer de la tête.
Chewie adressa au jeune guerrier Jedi un grognement affectueux en lui ébouriffant les cheveux comme un grand-père fier de sa progéniture et Leia le serra chaleureusement contre elle. Par-delà Luke, c’était aussi à Yan qu’ils adressaient un message d’amour. Mais c’était plus facile comme cela !
— Je te retrouve avec la flotte ! lança Luke en s’éloignant vers son appareil.
— Pourquoi ne pas laisser tomber tes histoires de Jedi et venir avec nous ? répliqua Yan.
— Je dois d’abord tenir une promesse… faite à un vieil ami…
« À un très vieil ami », ajouta-t-il avec un sourire intérieur.
— Dans ce cas, dépêchez-vous de nous rejoindre, intervint Leia. Toute la flotte doit être rassemblée, à l’heure qu’il est…
Quelque chose dans le visage de Luke fit passer un frisson glacé dans le dos de la jeune femme ; quelque chose qui l’effrayait et, dans le même temps, la rapprochait de lui.
— Dépêche-toi, répéta-t-elle.
— Promis. Tu viens, D2 ?
Le petit droïd démarra vers le chasseur avec un trille d’adieu à destination de 6PO.
— Au revoir, D2, répondit le droïd doré. Et que le Grand Ingénieur te protège ! Vous veillerez bien sur lui, n’est-ce pas, Messire Luke ?
Luke et le petit droïd avaient déjà disparu de l’autre côté de l’appareil. Le reste du groupe resta un long moment immobile, à déchiffrer l’avenir dans les tourbillons de sable aveuglant.
Lando se chargea de réveiller tout un chacun.
— Grouillez-vous un peu, qu’on dégage de ce minable caillou !
Le sable de Tatooine lui brûlait les pieds. Il n’avait connu sur cette fichue planète qu’une guigne abominable et avait hâte de se refaire dans la partie suivante. Bien sûr, pour ce qui était de l’avenir proche, ce ne serait pas lui qui dicterait les règles du jeu, mais un gars malin comme lui trouvait toujours moyen de s’offrir de petites satisfactions au passage.
Solo rejoignit le joueur impénitent et, avec une grande claque dans le dos :
— J’ai l’impression que je te dois aussi quelques remerciements, lança-t-il gaiement.
— Je me suis dit que si je te laissais comme ça dans ton glaçon, tu allais me porter la poisse pour le restant de mes jours. Alors, tant qu’à jouer les preux chevaliers, le plus tôt était le mieux.
— Il veut dire que tu es le bienvenu, traduisit en riant Leia. Tous, nous pensons que tu es le bienvenu.
Elle déposa un léger baiser sur la joue de Yan en guise de message personnel, sur quoi le petit groupe s’engagea sur la rampe du Faucon. Avant de pénétrer à l’intérieur, Yan s’arrêta pour dispenser à la coque une petite tape d’amitié.
— Tu as bonne mine, mon vieux. Et c’est rudement bon de te revoir.
Il s’engouffra enfin dans le vaisseau et referma l’écoutille derrière lui.
Dans le chasseur X, Luke fixa sa ceinture et mit en route les moteurs, souriant d’aise au rugissement familier. Son regard tomba sur sa main endommagée où fils et plaques d’aluminium emmêlés dessinaient les arabesques de quelque casse-tête qu’ils mettaient Luke au défi d’élucider. Le jeune homme enfila un gant noir par-dessus l’infrastructure à nu et ses mains s’activèrent sur les commandes. Pour la seconde fois de sa vie, il quittait sa planète natale pour les grands espaces intersidéraux.
Le superdestroyer s’était immobilisé au-dessus de l’Étoile Noire à demi achevée et de sa verte voisine, Endor. C’était un vaisseau massif, escorté par des appareils de tous ordres – des croiseurs à moyen rayon d’action aux cargos en passant par les bimoteurs à propulsion ionique, les redoutables chasseurs Tie (Twin Ion Engines).
La soute principale du destroyer s’ouvrit pour libérer la navette impériale qui accéléra en direction de l’Étoile Noire, accompagnée par quatre escadrilles de chasseurs.
Installé devant l’un des écrans de contrôle de la station, Dark Vador surveillait l’approche de la navette. Quand l’arrimage fut imminent, il quitta le poste de commande, suivi par le commandant Jerjerrod et une phalange de gardes impériaux, pour se diriger vers la soute : il allait accueillir son maître.
Régulés mécaniquement, le pouls et la respiration du Seigneur Noir ne pouvaient s’accélérer, mais à chacune de ses rencontres avec l’Empereur, Dark Vador sentait quelque chose s’électriser dans sa poitrine tandis que des sensations excitantes l’envahissaient : plénitude, puissance – une puissance sombre, faite d’appétits secrets, de passions non réprimées et d’oppression sauvage.
Un claquement unique constitué de centaines de claquements de talons salua l’entrée dans la soute du Seigneur Noir et la navette vint doucement s’immobiliser dans son berceau. La rampe s’abaissa, que la garde particulière de l’Empereur dévala au pas de course dans un battement de tuniques écarlates, flammèches jaillissant de la gueule béante du dragon. Les hommes s’immobilisèrent sur deux rangs, de part et d’autre de la passerelle et le silence tomba comme une chape sur le vaste hangar : l’Empereur venait d’apparaître.
C’est un homme étonnamment petit et chétif, ratatiné par l’âge et sa propre sécheresse, qui descendit lentement la rampe, courbé sur une canne noueuse. Il était enveloppé d’une vaste tunique qui rappelait celle des Jedi. Deux yeux jaunes, perçants, brûlaient dans son visage décharné de cadavre vivant.
Il atteignit la passerelle et, aussitôt, le commandant Jerjerrod, ses généraux, ainsi que le Seigneur Vador s’agenouillèrent devant le Maître Suprême. L’Empereur s’engagea au milieu de la haie d’honneur, avec un signe de tête à l’adresse de Vador.
— Relevez-vous, mon ami.
Vador s’exécuta et emboîta le pas à son maître. Derrière eux s’organisa une longue procession composée de courtisans, de la garde impériale, de Jerjerrod et de l’escouade d’élite de l’Étoile Noire.
Aux côtés de l’Empereur, Vador se sentait enfin un être complet. Et si le vide qui béait au fond de lui-même ne le quittait pas, celui-ci se muait en un vide glorieux au rayonnement glacé de l’Empereur, un vide sublimé, capable d’englober l’univers tout entier. Et qui engloberait l’univers tout entier, un jour, lorsque l’Empereur serait mort.
Car c’était là le rêve ultime de Vador : apprendre tout ce qu’il pourrait de la sombre puissance de ce génie du mal, et puis la lui arracher, s’approprier et conserver cette lumière froide ; tuer l’Empereur… et régir l’univers. Avec son fils à ses côtés.
Son second rêve : convertir son fils ; montrer à Luke la majesté de cette force des ombres ; lui faire comprendre le pourquoi de sa puissance et les raisons qu’il avait d’opter pour elle. Alors, Luke, cette graine qu’il avait semée, viendrait à lui. Ensemble, pères et fils, ils régenteraient le monde.
Et son double rêve était maintenant tout près de se réaliser. Chaque nouveau développement de la situation, chaque nouvelle crise qui secouait l’Empire rapprochait Vador de son but ultime. Il le sentait, avec toute sa subtilité d’ancien Jedi…
— L’Étoile Noire sera terminée dans les temps impartis, mon maître, souffla Vador.
— Oui, je sais, répondit l’Empereur. Vous avez fait du bon travail, Seigneur Vador… Et je devine que vous désirez maintenant continuer à rechercher le jeune Skywalker.
Derrière son masque, Vador esquissa un sourire. Il n’y avait pas grand-chose d’essentiel que l’on pût cacher à l’Empereur. Cela aussi faisait partie de sa force.
— Oui, mon maître, répondit-il.
— Patience, mon ami, patience. Vous avez toujours eu des difficultés à vous montrer patient. Un jour viendra, inévitablement, où c’est lui qui se mettra à votre recherche… Et ce jour-là, vous l’amènerez devant moi. La Force a grandi en lui, mais en conjuguant nos efforts, nous parviendrons à le faire basculer vers la face sombre de cette Force. Comme cela a été prévu de tout temps.
L’Empereur releva légèrement la tête, son regard brûlant fouillant les futurs possibles.
— Tout se déroule selon le plan, conclut-il.
Derrière son visage aussi impénétrable qu’un masque, l’Empereur émit un petit rire intérieur, savourant déjà sa prochaine victoire : la corruption définitive du jeune Skywalker.
Luke abandonna son chasseur en bordure de l’eau et entreprit prudemment la traversée du marais enveloppé de nappes de brume. Surgi d’une grappe de lianes, un étrange insecte vint bourdonner furieusement autour de sa tête puis disparut. Sous le couvert, un grondement s’éleva, mourut…
Luke sourit. D’un coup, il retrouvait les odeurs, la touffeur, les sons de Dagobah, cette petite planète où il avait assimilé les techniques des Jedi, où il avait réellement appris à utiliser la Force – à la laisser couler en lui, à la canaliser, à la diriger – et surtout à l’utiliser à bon escient.
Pour quiconque, hormis un Jedi, cette planète pouvait à tout instant se transformer en cauchemar. Des créatures dangereuses s’embusquaient dans ses marais et, sous les pieds de l’inconscient promeneur, d’innocentes plaques de sable se muaient soudainement en voraces fondrières quand ce n’étaient pas les lianes qui masquaient quelque redoutable tentacule. Mais un Jedi ne voyait pas le mal dans ces manifestations de la nature ; elles étaient partie intégrante de la vie de la planète, partie intégrante de la Force dont lui-même, Luke, était la manifestation vibrante.
Et pourtant, même pour lui, cette planète recelait aussi ses coins d’ombre – une ombre qui n’était autre que le reflet des replis bourbeux de son âme. Luke avait vu les choses terribles cachées dans cette ombre. Il les avait fuies, il les avait combattues… Il en avait vaincu certaines. Mais il en restait d’autres, toujours tapies dans les recoins de cette planète.
Luke escalada une barricade de racines entrelacées rendues glissantes par la mousse. De l’autre côté s’amorçait un petit sentier qui conduisait tout droit où le jeune homme voulait aller. Pourtant, il l’ignora pour plonger une nouvelle fois dans l’épaisseur de la jungle. Très haut au-dessus de sa tête, une créature aux ailes cuirassées parut vouloir fondre sur lui, puis, étrangement, elle s’éloigna. Luke ne lui avait pas prêté la moindre attention. Il continuait d’avancer.
Au bout d’un certain temps, la jungle commença à s’éclaircir et Luke aperçut enfin l’étrange petite hutte, avec ses minuscules fenêtres d’où émanait une chaleureuse lumière jaune. Il contourna le dernier marécage et se plia en deux pour pénétrer dans la maisonnette.
Yoda était debout, sa petite main verte appuyée sur son éternel bâton de marche.
— Je t’attendais, dit-il en souriant du sourire doux et sage des êtres qui ont tout vu.
Luke fut frappé des changements survenus chez le maître Jedi. Il paraissait plus frêle encore que dans son souvenir, sa voix moins claire, sa main plus tremblante. Au point que Luke n’osa pas répondre afin de ne pas trahir son trouble.
Yoda émit un petit rire moqueur.
— Si tu voyais la tête que tu fais ! Ai-je vraiment l’air si décrépit à tes jeunes yeux ?
Luke chercha à se forger une contenance en changeant de place dans l’espace confiné.
— Mais non, Maître, protesta-t-il. Certainement pas.
— Mais si, mais si ! gloussa Yoda. Malade, je suis devenu. Oui ! Vieux et faible…
Il pointa un doigt crochu vers son jeune élève.
— Attends de voir à quoi tu ressembleras quand tu auras atteint neuf cents ans.
Toujours riant, le gnome se laissa tomber sur sa couche et s’allongea sans pouvoir réprimer une grimace.
— Bientôt, je vais me reposer. Oui. Pour toujours. Je l’ai bien gagné, oui, bien gagné.
Luke secoua violemment la tête.
— Tu ne peux pas mourir. Maître. Je ne le permettrai pas.
— Je t’ai bien éduqué et la Force est puissante en toi. Mais pas suffisamment puissante pour combattre la longue nuit. Déjà, le crépuscule est sur moi, et bientôt… C’est dans l’ordre des choses… dans l’ordre de la Force.
— Mais j’ai encore besoin de vous ! Mon entraînement n’est pas terminé !
Luke s’insurgeait de tout son être. Non, son maître ne pouvait pas l’abandonner. Il avait tant, encore, à comprendre ! Il avait tant pris à Yoda sans jamais rien lui donner en échange ! Il avait tant à partager, désormais, avec lui !…
— De leçons, tu n’as plus besoin, affirma Yoda. Ce que tu as besoin de savoir, tu le sais.
— Alors, je suis un Jedi ?
Luke était intimement persuadé du contraire. Quelque chose manquait encore !
— Pas encore, souffla la voix lasse de Yoda. Il te reste une dernière épreuve : Vador. Tu dois affronter Vador. Seulement après, un véritable Jedi tu seras.
Yoda n’avait fait qu’exprimer à haute voix ce que Luke savait déjà, peut-être sans vouloir se l’avouer. La confrontation avec Vador serait sa mise à l’épreuve car le Seigneur Noir était au cœur même de la lutte du jeune Jedi.
— Yoda, demanda Luke d’une voix blanche, est-ce que ?…
Les mots suivants se refusaient à passer sa gorge et Luke dut rassembler tout son courage pour achever :
— … est-ce que Dark Vador est mon père ?
Les doux yeux de Yoda s’emplirent d’une compassion inquiète et la frêle créature parut se tasser un peu plus sur sa couche.
— Un peu de repos. Oui. Un peu de repos il me faut, souffla le vieillard.
Le regard de Luke plongea dans celui du vieux Jedi, comme pour lui communiquer un peu de sa force.
— Yoda, je dois savoir, insista-t-il d’un ton pressant.
— Ton père il est, dit simplement Yoda.
Luke serra les paupières, se fermant au monde extérieur dans l’espoir dérisoire de repousser cette vérité qui le mettait à la torture.
— Il te l’a dit ? s’enquit Yoda.
Luke se contenta d’acquiescer de la tête. Il ne voulait plus parler, plus bouger, plus penser, simplement rester là, à l’abri, arrêter le temps et l’espace dans cette cabane et échapper au reste de l’univers et aux terribles révélations qu’il lui réservait.
Les yeux de Yoda se voilèrent d’inquiétude.
— C’est inattendu et fâcheux…
— Fâcheux que je connaisse la vérité ?
Une aigreur nouvelle perçait dans la voix de Luke. Dirigée contre Vador, Yoda, lui-même ou l’ensemble de l’univers ? Le jeune homme eût été bien incapable de le dire.
Dans un effort qui parut drainer toute son énergie, Yoda se redressa légèrement sur sa couche.
— Fâcheux que tu te sois précipité pour l’affronter alors que tu n’étais pas prêt, que le fardeau était encore trop lourd pour toi. Si je l’avais laissé faire, Obi-Wan t’aurait depuis longtemps révélé la vérité… Désormais, tu portes en toi une grande faiblesse. J’ai peur pour toi. Oui, j’ai peur pour toi.
Épuisé le vieillard retomba, les yeux clos.
— Je suis désolé, Maître Yoda, articula Luke, la voix tremblante.
— Je sais… Mais tu vas devoir te mesurer à nouveau à Vador et il ne te servira de rien d’être désolé…
De la main, Yoda invita Luke à se rapprocher. Et tandis que le jeune homme s’accroupissait à côté de sa couche, il poursuivit d’une voix de plus en plus faible :
— N’oublie jamais qu’un Jedi tire son pouvoir de la Force. Lorsque tu es allé au secours de tes amis, la vengeance habitait ton cœur. Méfie-toi de la colère, de la peur, de la haine : elles sont la face obscure de la Force. Dans la lutte, elles sont les premières à accourir vers toi. Chaque fois, il te faudra les repousser, car une fois engagé sur le sentier de l’ombre, il est impossible de revenir en arrière.
Il se tut. Luke n’osait plus le moindre mot, le moindre geste, de peur de détourner d’un iota l’attention du vieillard de la tâche qui l’occupait tout entier : tenir au large le néant qui menaçait à tout instant de l’engouffrer.
De longues minutes s’écoulèrent avant que ne se rouvrent les yeux du mourant. Seule une volonté surhumaine maintenait encore un souffle de vie dans ce corps usé.
— Luke, exhala Yoda, prends garde à l’Empereur. Ne sous-estime jamais ses pouvoirs ou tu subiras le sort de ton père. Quand je serai parti… tu seras le dernier Jedi. La Force est puissante dans ta famille. Transmets ce que… tu as… appris…
La voix était devenue inaudible et c’est sur les lèvres de son maître mourant que Luke dut lire ses dernières paroles :
— Il y a… un autre… Sky… walker.
Les lèvres s’immobilisèrent… et l’esprit du vieux sage s’éloigna comme une brise légère en direction de cet autre ciel qu’il venait d’évoquer. Le corps eut encore un frémissement… Il disparut.
Pendant près d’une heure, Luke ne put que rester immobile à fixer le petit lit déserté, comme anesthésié par le choc. Puis, brutalement, tel un barrage rompant ses digues, le chagrin le submergea. Comment un être tel que Yoda avait-il pu disparaître à tout jamais ? À quelle aune mesurer pareille perte ?… La perte était incommensurable. À la place qu’avait occupée Yoda dans son cœur ne persistait qu’un grand vide que, rien, jamais, ne viendrait combler. Voir ses amis vieillir et mourir, était-ce cela parvenir à la maturité ?… Fallait-il payer en souffrances chaque nouvelle parcelle de force et de sagesse ?…
Un immense poids de désespérance écrasait Luke, le laissant momentanément sans forces. Et il lui fallut encore plusieurs minutes pour réagir lorsque les lumières de la petite cabane s’éteignirent d’elles-mêmes. Pour lui, toutes les lumières de l’univers s’étaient éteintes. La galaxie tout entière s’armait pour la guerre… Le dernier Jedi était perdu en lui-même au milieu d’un marais.
Ce fut peut-être cette pensée qui tira Luke de son néant. Il s’ébroua et son regard s’étonna de l’obscurité impénétrable qui régnait dans la hutte. Enfin il se décida à se glisser au-dehors. Il se redressa.
Rien n’avait changé. Des stalactites de vapeur congelée par le froid de la nuit pendaient aux racines entrelacées. Demain, elles se transformeraient à nouveau en eau et rejoindraient le marais, selon un cycle des millions de fois répété et qui se répéterait des millions d’autres fois encore. Peut-être était-ce cela la leçon de la vie. Mais si c’était le cas, Luke ne s’en sentait pas le moins du monde soulagé de son chagrin.
D’un pas lourd, il reprit le chemin de son vaisseau. Même l’accueil excité et trillant de D2 ne parvint pas à lui arracher le moindre sourire et il ne put qu’ignorer le fidèle petit droïd. D2 lui adressa quelques bips-bips de condoléances puis se figea dans un silence respectueux.
Luke se laissa tomber sur un tronc abattu et s’enfouit la tête dans les mains.
— Je ne peux pas, gémit-il. Je ne peux pas continuer seul.
— Yoda et moi serons toujours à tes côtés, lui répondit une voix sortie de la brume.
Ben ! Luke pivota sur lui-même pour voir le fantôme lumineux de Obi-Wan Kenobi, debout à quelques mètres de lui.
— Ben ! répéta Luke à haute voix.
Il avait tant à dire au vieil homme disparu ! Les questions se bousculaient dans sa tête, s’entrechoquant les unes des autres, comme prises dans un indescriptible ouragan.
— Pourquoi ? parvint-il à dire. Pourquoi ne m’avoir rien dit. Ben ?
— Je t’aurais appris la vérité une fois ta formation achevée, répondit l’image de Ben. Mais tu as jugé indispensable de te précipiter alors que tu n’étais pas prêt. Rappelle-toi ! Je t’ai toujours mis en garde contre ton impatience.
Le ton du vieux maître était ce qu’il avait toujours été : mi-grondeur, mi-tendre.
— Tu as prétendu que Vador avait trahi et assassiné mon père, protesta Luke, son aigreur ayant enfin trouvé sur qui se déverser.
Ben absorba le vitriol sans broncher et reprit comme s’il n’avait rien remarqué :
— Ton père, Anakin, a été corrompu par la face obscure de la Force. Il a alors cessé d’être Anakin Skywalker pour devenir Dark Vador. Ce faisant, il trahissait tout ce en quoi avait cru Anakin Skywalker. L’homme bon qu’avait été ton père était détruit. Tu vois, ce que je t’ai dit n’était que la stricte vérité… considérée d’un certain point de vue.
— Un certain point de vue ! répéta Luke d’une voix amère.
Il se sentait trahi, lui aussi – par la vie plus que par quoi que ce soit d’autre – et un hasard malheureux voulait que ce soit ce pauvre Ben qui se trouve là pour essuyer le contrecoup de son conflit intérieur.
— Luke, énonça Ben d’une voix apaisante, tu vas découvrir peu à peu que la plupart des vérités auxquelles nous nous accrochons dépendent en grande partie du point de vue auquel on se place.
Mais Luke se voulait sourd à tout apaisement. Il s’accrochait à sa fureur comme à un trésor. C’était tout ce qu’il lui restait et il n’allait pas se la laisser voler comme on l’avait dépossédé de tout le reste. Pourtant, malgré lui, le ton attentionné et compatissant de Ben l’avait ébranlé.
— Je ne peux pas t’en vouloir d’être en colère, reprit Ben. Si erreur il y a eu de ma part, elle n’aura certainement pas été la seule que j’aie commise. Vois-tu, ce qui est arrivé à ton père est arrivé par ma faute…
Luke dressa vivement la tête, sa colère s’évanouissant déjà pour faire place à la curiosité – tant il est vrai que la connaissance est comme une drogue dont il devient de plus en plus difficile de se passer lorsqu’on y a goûté.
D2, qui avait senti le changement survenu dans l’humeur de son maître, roula jusqu’à lui pour lui offrir le réconfort silencieux de sa présence, et cette fois, Luke daigna lui tapoter distraitement la tête, déjà fasciné par ce qu’il allait enfin apprendre.
— Lorsque j’ai rencontré ton père, raconta Ben, c’était déjà un grand pilote. Mais ce qui m’a vraiment surpris, c’est à quel point la Force pouvait être puissante en lui. J’ai donc pris sur moi d’assurer la formation Jedi d’Anakin. Là où a été mon erreur, ce fut de considérer que je ferais un aussi bon professeur que Yoda. Je me suis laissé guider par mon stupide orgueil pour prendre la décision. Et j’ai échoué. L’Empereur a senti le pouvoir d’Anakin et l’a détourné vers la face obscure de la Force…
Il s’interrompit et son regard plongea droit dans celui de Luke, comme s’il quêtait du jeune homme quelque pardon.
— … Mon orgueil a eu pour la galaxie des conséquences terribles, acheva-t-il tristement.
Luke était atterré. Que ce soit Obi-Wan, entre tous, qui ait été la cause de la chute de son père !… C’était horrible ! Horrible à cause de ce qu’était inutilement devenu son père ; horrible parce que cela révélait l’imperfection de Obi-Wan, et même son imperfection en tant que Jedi ; horrible enfin parce que mettant en évidence à quel point les deux faces de la Force pouvaient être proches l’une de l’autre et facile le basculement. Devant cette terrible révélation, une part de Luke se rebellait, voulait croire qu’en Dark Vador survivait une étincelle d’Anakin Skywalker.
— Il y a encore du bon en lui, déclara-t-il d’un ton ferme.
Ben secoua tristement la tête.
— J’ai cru aussi, dans le passé, qu’il pourrait être ramené du bon côté. Mais cela ne pouvait être. Désormais, il est plus une machine qu’un homme.
Luke avait parfaitement saisi ce qu’impliquaient les dernières paroles de Ben. C’était un ordre que Kenobi lui donnait.
— Je ne peux pas tuer mon père, s’insurgea-t-il en secouant violemment la tête.
— Tu ne dois pas voir en cette machine un père – c’était de nouveau le professeur qui parlait. Quand j’ai réalisé ce qu’il était devenu, j’ai tout tenté pour le persuader de faire marche arrière. Nous nous sommes battus… ton père est tombé dans un cratère en fusion. Quand il a réussi à se traîner hors de cet enfer, tout ce qui restait d’Anakin Skywalker s’était fondu dans la matière brûlante. Seul restait Dark Vador, un être à tout jamais infirme que seules maintenaient en vie les machines et sa sombre volonté.
Luke baissa les yeux sur sa main, artificielle elle aussi.
— J’ai tenté une fois de l’arrêter. Je n’ai pas réussi.
Non ! Il ne se mesurerait pas une nouvelle fois à son père. Il ne le pouvait pas.
— Lors de votre première rencontre, Vador t’a humilié, Luke. Mais cette expérience faisait partie de ton entraînement. Je t’ai enseigné, entre autres choses, la valeur de la patience. Si tu ne t’étais pas montré aussi impatient de vaincre Vador à ce moment-là, tu aurais pu parfaire ta formation avec Yoda. Tu aurais été préparé à ce combat.
— Mais il fallait que je vienne en aide à mes amis.
— Leur es-tu venu en aide ? Ce sont eux qui t’ont sauvé. J’ai peur qu’en te précipitant ainsi, tu n’aies accompli que bien peu.
Luke sentit son indignation fondre pour ne laisser derrière elle que de la tristesse.
— J’ai découvert que Dark Vador était mon père, soupira-t-il.
— Tu ne deviendras un véritable Jedi, Luke, qu’après avoir affronté et vaincu la face obscure – celle que ton père n’a pu dominer. De toutes les portes d’accès la Force, l’impatience est la plus aisée à pousser – pour toi comme pour ton père. Lui a été corrompu par ce qu’il a trouvé de l’autre côté, toi, jusqu’ici, tu as tenu bon. Tu t’es dominé, Luke, tu es devenu solide et patient. Désormais, tu es prêt pour une seconde confrontation.
Une nouvelle fois, Luke secoua la tête.
— Je ne peux pas, Ben. Je ne peux pas le faire.
Il vit nettement les épaules de son vieux maître s’affaisser.
— Dans ce cas, l’Empereur a déjà gagné, soupira le fantôme. Tu étais notre seul espoir.
— Mais Yoda a prétendu que je pourrais former… !
Ben laissa échapper un sourire désenchanté.
— Il faisait allusion à ta sœur jumelle. Elle n’aura pas moins de mal que toi à anéantir Dark Vador…
— Une sœur ? sursauta Luke. Mais je n’ai pas de sœur !
La voix de Ben s’infléchit jusqu’à la tendresse, comme pour apaiser la tempête qui agitait l’âme de son jeune ami.
— Pour vous soustraire à la vengeance de l’Empereur, on vous a séparés dès votre naissance. Tout comme moi, l’Empereur avait compris qu’une fois adulte, et avec l’aide de la Force, la progéniture de Skywalker deviendrait pour lui une menace. C’est pourquoi ta sœur a été soigneusement cachée sous le voile de l’anonymat.
La première réaction de Luke fut de refuser cette époustouflante nouvelle. Il n’avait pas besoin d’une sœur jumelle ; il n’en voulait pas. Il était unique ! Il était un être à part entière et pas un pion sur un échiquier. Il était Luke Skywalker, né d’un Jedi, élevé dans une ferme sur Tatooine par Oncle Owen et Tante Beru, formé à une vie simple et dure parce que sa mère… sa mère… Qui avait-elle été, cette mère ? Que lui avait-elle dit ?…
Luke plongea en lui-même, gomma le temps et l’espace pour retrouver sa mère… la chambre de sa mère… et sa… Sa sœur !
— Leia ! hurla Luke en bondissant sur ses pieds. Leia est ma sœur !
— Tu es doté d’un esprit pénétrant, constata Ben en souriant.
Il se rembrunit aussitôt.
— Prends garde de toujours masquer tes facultés mentales, ajouta-t-il. Elles te servent bien mais elles pourraient aussi être utilisées par l’Empereur.
Luke dut faire un effort pour assimiler le sens profond de cet avertissement. La révélation de l’existence d’une sœur, la découverte de l’identité de cette sœur l’avaient comme saoulé. Il hocha la tête pour marquer son acquiescement, tandis que Ben poursuivait son récit.
— Lorsque ton père est parti, il ignorait que ta mère était enceinte. Elle et moi savions qu’il finirait par découvrir la vérité, mais nous voulions vous mettre tous deux à l’abri du mieux possible, et le plus longtemps possible. C’est pourquoi je t’ai emmené vivre sur Tatooine, chez mon frère Owen… tandis que ta mère confiait Leia au sénateur Organa, sur Alderaan, afin qu’elle soit élevée comme sa fille…
Peut-être du simple fait du ton calme et uni de Ben,
Luke sentait un certain apaisement s’installer en lui. Il se rassit pour écouter la suite du conte et D2 vint se blottir contre lui avec un ronronnement satisfait.
— … La famille Organa occupait une place socialement et politiquement importante dans le système d’Alderaan. Tout le monde, bien sûr, devait ignorer que Leia était une enfant adoptée et, par voie de lignage, elle est donc devenue princesse – un titre qui n’avait d’ailleurs aucun poids réel dans un système depuis longtemps démocratisé. Le pouvoir politique des Organa, par contre, était une réalité et, suivant les traces de son beau-père, Leia, à son tour, est devenue sénateur. Dans le même temps, elle prenait localement la tête de l’Alliance qui commençait à se regrouper pour lutter contre l’Empire corrompu, son immunité diplomatique lui permettant de jouer un rôle vital de lien entre les divers tenants de la cause rebelle.
C’est précisément ce rôle qui lui a valu de croiser ta route sur Tatooine – ses parents adoptifs m’ayant toujours désigné à elle comme un dernier recours à garder en réserve pour les situations désespérées.
Luke essayait d’opérer un tri dans la multiplicité de sentiments qui l’assaillaient. L’attirance qu’il avait toujours ressentie pour Leia trouvait aujourd’hui des bases claires, mais cette attirance venait brusquement de se changer en des sentiments plus doux, presque protecteurs – des sentiments de frère aîné envers une jeune sœur.
— Tu ne peux pas la laisser se mêler de ça, déclara-t-il d’un ton ferme. Vador la détruirait.
Vador. Leur père… Y avait-il une chance pour que Leia parvienne à ressusciter Anakin Skywalker ? Peut-être…
— Contrairement à toi, elle n’a pas reçu de formation Jedi, répliqua Ben, mais la Force est puissante en elle, comme en tous les membres de ta famille. Et c’est parce que sa Force avait besoin d’être confortée par un Jedi que sa route a croisé la mienne. Elle est venue à moi, à nous, pour apprendre et mûrir. C’était son destin que d’apprendre et de mûrir et le mien d’enseigner. Désormais, c’est à toi de reprendre le flambeau, Luke, car tu es le dernier des Jedi…
Chacun des mots de Ben était pesé, chaque silence délibéré. Son regard se vrillait au regard de Luke, comme si, par-delà ce regard, il voulait laisser dans l’esprit du jeune homme une empreinte indélébile.
— … Tu ne peux pas échapper à ton destin, Luke. Et tu dois garder secrète l’identité de ta sœur, car si tu venais à faillir à ta tâche, elle resterait véritablement notre dernier espoir… Maintenant, Luke, je vais t’ouvrir tout grand mon esprit. Car si le combat à venir ne peut être que le tien propre, peut-être pourras-tu tirer de ma mémoire le complément de force qui te permettra de vaincre. Mais il n’y a aucun moyen d’éviter la bataille, Luke. Tu ne peux échapper à ta destinée. Il te faudra affronter Dark Vador…