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La dame Péseshet, médecin-chef

La médecine égyptienne bénéficia, dans le monde antique, d’un grand renom ; des thérapeutes de diverses nationalités venaient volontiers en Égypte parfaire leurs connaissances.

Non seulement les femmes avaient accès aux professions médicales, mais encore une dame Péseshet, à l’Ancien Empire, fut-elle nommée supérieure des médecins, se trouvant ainsi à la tête du service de santé de l’État[133]. Le titre est précisé dans sa demeure d’éternité de Guizeh ; son fils, Akhethotep, fut « supérieur des prêtres du ka de la mère du roi ».

Les femmes pouvaient devenir accoucheuses, bandagistes, masseuses, médecins, chirurgiens[134] ; elles commençaient leur carrière, comme les hommes, par des postes de spécialistes. Seuls les meilleurs médecins accédaient au rang de généralistes, lesquels avaient une vue d’ensemble. Le parcours était donc contraire à celui que nous connaissons aujourd’hui en Occident.

La patronne des thérapeutes des deux sexes était la déesse-lionne Sekhmet, « Celle qui exerce la maîtrise » ; elle apportait à la fois les maladies et les moyens de les guérir. Le profane n’était pas séparé du sacré : un médecin, homme ou femme, vivait une initiation à la magie de Sekhmet et à la science de Thot.

Le secret du médecin était la connaissance de « la marche du cœur », conçu à la fois comme le muscle cardiaque et le centre énergétique d’où partaient les « vaisseaux », voies de circulation allant à tout membre et véhiculant, sous diverses formes, la vie qui irriguait l’organisme. La dame Péseshet savait prendre le pouls, examiner l’état du blanc de l’œil et de la pupille, la couleur et la texture de la peau, apprécier la qualité de la circulation de l’énergie dans les vaisseaux, bref poser un diagnostic et conclure par une des trois phrases suivantes : « Une maladie que je connais et que je traiterai » ; « une maladie que je connais et que je tenterai de traiter » ; « une maladie que je ne connais pas et que je ne pourrai pas traiter ».

À la disposition de Péseshet, de nombreux traités médicaux, qui fourmillaient d’observations classées avec rigueur, de diagnostics et de prescriptions. Les remèdes étaient tirés des trois règnes, animal, végétal et minéral ; la médecine secrète des plantes fournissait au thérapeute de nombreuses substances très actives, à manipuler avec précaution, qu’elles fussent extraites de l’acacia, du sycomore, du dattier, du genévrier, du perséa, de plantes et d’herbes comestibles, des céréales, etc. Les foies du bœuf et de l’âne, les biles, les graisses, le lait, les poissons, les serpents, pour prendre quelques exemples dans le règne animal, étaient utiles aux préparateurs de remèdes. En chirurgie, on faisait un large usage du miel, aux remarquables vertus cicatrisantes et antiseptiques, que des chercheurs américains viennent de redécouvrir récemment. Et l’on se servait aussi du cuivre, de l’albâtre, du granit, du silex, du natron, de la terre de Nubie, de l’arsenic, et de bien d’autres éléments minéraux qui entraient dans la composition de certains remèdes.

La dame Péseshet avait appris à préparer des potions, des onguents et des cataplasmes ; elle avait souvent recours à des fumigations médicinales et prescrivait des régimes alimentaires, correspondant à tel ou tel trouble. Par exemple, pour lutter contre les suites des maladies respiratoires, elle préconisait une suralimentation en corps gras.

Avec l’avènement du scientisme, on s’est beaucoup moqué de l’utilisation, par les Anciens, de substances répugnantes comme l’urine ou la fiente de certains animaux, telle la chauve-souris ; pourtant, lorsque le médecin Péseshet se servait de ce matériau naturel pour le transformer en remède et guérir, par exemple, un trachome, elle faisait agir la vitamine A et un antibiotique. Autrement dit, le traitement actuel.

Parmi les spécialités de Péseshet figurait en bonne place la gynécologie[135], très développée en Égypte ancienne ; il existait plusieurs traités consacrés aux « remèdes qu’il convient de préparer pour les femmes », selon l’expression du papyrus Ebers. L’accent mis sur la santé de la femme est tout à fait remarquable et montre, s’il en était encore besoin, la place essentielle qu’elle occupait dans la société pharaonique. À la femme qui ne voulait pas enfanter, Péseshet donnait un tampon à placer dans le vagin et imprégné d’une substance composée de coloquinte, de dattes et d’épines d’acacia broyées dans du miel. Elle savait pratiquer l’avortement, lutter contre les règles anormales, trop abondantes ou insuffisantes, favoriser la fertilité. Des injections vaginales guérissaient les métrites. Pour un cas compliqué, le médecin demandait à la patiente de s’accroupir sur une brique chauffée à blanc sur laquelle avait été répandu un médicament ; par la fumigation ainsi produite, au cours de plusieurs séances, le mal était vaincu.

Sécrétions vaginales et utérines retenaient l’attention de Péseshet qui, en les examinant, recherchait la trace d’une maladie grave. Elle savait établir un lien entre une affection de l’utérus et des symptômes éloignés. Ainsi, lorsqu’une femme éprouvait des douleurs persistantes aux jambes et aux pieds après avoir marché, elle l’attribuait à des sécrétions anormales de l’utérus et prescrivait des bains de boue. Lorsqu’une patiente souffrait de l’estomac et que les remèdes habituels ne la soulageaient pas, Péseshet examinait vagin et utérus. Si elle y découvrait un caillot, elle donnait à boire un émétique, à base d’huile, de bière douce et de plantes, pendant quatre jours, pour supprimer les nausées, et massait le bas-ventre de la patiente avec une pommade.

Remarquable est le diagnostic du cancer de l’utérus, et non moins remarquable est le traitement proposé qui, comme le remarque Gustave Lefebvre, annonce la thérapeutique homéopathique : Instructions à suivre quand une femme éprouve des douleurs de l’utérus pendant la marche. Tu diras à ce sujet : « Quelle odeur fleures-tu ? » Si elle te répond : « Je fleure la chair brûlée », alors tu diagnostiqueras : « C’est une tumeur de l’utérus ». Et voici ce que tu prescriras : fumige-la avec toute sorte de chair brûlée, précisément ce qu’elle fleure[136].

Le terrible mal était également combattu avec une préparation à base de dattes fraîches, d’une lauracée, d’extraits de coquillages marins ; l’ensemble de ces produits était pilé dans l’eau et exposé à la rosée. Puis le remède était injecté dans le vagin.

Aux remèdes matériels, la dame Péseshet ajoutait la pratique de la « magie », c’est-à-dire la capacité de détourner l’effet de la fatalité. Nous aurions tort de nous moquer de cet aspect de son art, qui lui permettait de percevoir l’invisible et d’aller au-delà du quantifiable et de l’observable.

L’utérus appartenait à la sphère du sacré. Il était lié à une déesse, Tjénenet, comparée à un rayon de lumière. Utérus cosmique, elle favorisait à la fois les naissances matérielles et les naissances en esprit. Aussi jouait-elle un rôle lors du couronnement de Pharaon[137].

Telle fut l'une des plus belles conquêtes de la médecine pharaonique, dont la dame Péseshet faisait son miel dans son activité quotidienne : avoir perçu que la matière n’est pas dissociable de l’esprit, et que le corps humain est soumis à des forces multiples, les unes mesurables, les autres plus subtiles.

 

Les égyptiennes
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