Plus la demi-vie est courte, plus la concentration des intermédiaires est faible par rapport à celle des atomes d'uranium 238.

Par exemple, les roches contenant de l'uranium 238

abritent également un isotope appelé radium 226. La concentration du radium 226 est 2 840 000 fois moins importante que celle de l'uranium 238. La demi-vie du radium 226 est par conséquent 2 840 000 fois plus brève que celle de l'uranium 238, ce qui représente 1 620 années environ. (Il est en fait plus facile de déterminer la demi-vie du radium 226, Puis d'en déduire la demi-vie de l'uranium 238.) D'autres demi-vies sont encore plus brèves que celle du radium 226, et ces périodes peuvent être calculées de différentes manières. On a pu démontrer que la brièveté de la demi-vie d'un atome se brisant en émettant des particules alpha était liée à la richesse en énergie desdites particules alpha. On a pu déterminer l'énergie des particules alpha en Observant la manière dont elles pénètrent la matière; à partir de là, la demi-vie des atomes a pu être calculée.

Parmi les intermédiaires nés de la fission de 1'ura-rilum 2 3 8, on peut citer le polonium 2 1 0, dont la demi-vie est de 238,4 jours, le bismuth 214 (19,7 minutes), l'astate 218

(2 secondes) et le polonium 214 (0,00016 seconde).

Naturellement, ces atomes n'existeraient plus sur Terre 307

LA CONqUETE DU SAVOIR

s'ils ne se formaient constamment à la suite de la fission de l'uranium 238.

La fission du thorium 232 fait apparditre un élément intermédiaire encore plus instable, le polonium 212, dont la demi-vie n'est que de 0,000 0003 seconde. Cela ne fait que le tiers d'un millionième de seconde; cette substance est si évanescente qu'elle ne peut être isolée en quantités visibles, mais son existence nous est révélée par la nature des particules alpha qu'elle émet. On peut également en déterrm-

ner les propriétés.

L'horizon du temps a reculé, en ce qui concerne les très brefs intervalles, au-delà du millionième de seconde. Au cours des années 1930 et après, d'énormes accélérateurs de particules furent construits, qui permirent aux chercheurs'

de travailler sur des particules bien plus petites que l'atome, les particules subatomiques , et de les doter d'énergies;.

prodigieuses. En provoquant la collision de ces par icules subatomiques, les savants ont donné naissance à de nouvelles particules subatomiques pourvues de demi-vies extraord inairement brèves.

Ces particules évanescentes apparaissent avec une énergie telle qu'elles se déplacent à une vitesse proche de celle de la lumière. Leur vie est cependant si brève qu'elles laissent dans les instruments conçus pour les observer de minuscules traces constituées de gouttes d'eau ou d'infimes bulles de gaz.

Ainsi, le méson-théta n'existe que pendant 1 0-1 1 seconde (un cent trillionième de seconde); il y a aussi certaines.

particules de résonance dont la durée de vie avoisine lesi@

10-11 secondes (dix trillionièmes de trillionième de seconde). 1, Nous sommes encore loin de la limite. Au cours des dernières années, des physiciens sont parvenus à élaborer une grande théorie unitaire qui devrait permettre de manipuler les différents types de forces que nous connaissons * et de les regrouper au sein d'un ensemble unique de relations Ces forces sont au nombre de quatre. Il y a, par ordre chronologique de découverte, l'interaction gravitationnelle, l'interaction électrorna-gnétique, et deux interactions nucléaires, la forte et la faible.

308

LES HORIZONS DU TEMPS

mathématiques. L'utilisation de la GTU, ainsi que l'appel-lent les savants, a permis de reconstituer les événements survenus immédiatement après le big bang . La GTU peut très certainement donner des résultats significatifs pour des

-4

énements survenus 10 3

ev secondes après le big bang .

Cet intervalle extraordinairement bref ne représente que 0,0000000000000000000000000000000000000000001

seconde, soit un dix millionième de trillionième de trillionième de trillionième de seconde.

Le voyage dans le temps

Existe-t-il un moyen de voyager dans le temps?

D'une certaine façon, c'est ce que nous faisons tous les ours. Chacun de nous s'a

vance dans le temps au rythme régulier d'une seconde toutes les secondes.

La véritable question est en fait : est-il possible de modifier ce rythme ?

Nous le pouvons si nous sommes en mouvement par rapport à l'univers en général. Le changement de rythme est infime aux vitesses ordinaires. Une personne faisant le tour du monde dans un avion supersonique volant pendant dix ans à la vitesse d'un kilomètre par seconde s'apercevra à s n 0

retour que dix ans plus 9,5 jours se sont écoulés pour les Terriens; elle aura donc fait un bond de 9,5 jours dans l'avenir.

Naturellement, la différence augmentera avec la vitesse.

Si cette même personne se trouve dans un vaisseau spatial lant à la vitesse de 260 000 k s (soit 7/8 de la vitesse de la

"O M/

lumière), le temps s'écoulera deux fois moins vite pour elle q Pour es Terriens. Sa mo

ue 1 ntre indiquera 10 ans (et elle

aura effectivement véc

u 10 ans), alors que les horloges terrestres auront marqué 20 ans (de même que les Terriens a liront réellement vécu 20 ans).

Le décalage continuera d'augmenter avec la vitesse. A 295 00

0 krn/s (98,3 % de la vitesse de la lumière), 54,4 années 3

LA CONqUETE DU SAVOIR

se seront écoulées sur terre, et 10 seulement pour e voyageur. Et ainsi de suite.

De cette façon - et en théorie - le voyageur peut aller aussi loin dans l'avenir qu'il le souhaite, à condition d'avoir l'énergie lui permettant d'acquérir une telle vitesse puis de@

décélérer et de revenir sur Terre. (En supposant également, qu'il soit possible d'atteindre une vitesse aussi élevée.) Remonter le temps est autrement plus compliqué.

Nous pouvons voir dans le passé, sans la moindre , difficulté. La lumière met toujours un certaîn temps pour nous atteindre, même si la distance est très courte, et nous@

voyons les objets tels qu'ils étaient à l'instant o˘ la lumière les a quittés. Si nous nous trouvons à 3,3 mètres d'un objet, nous le voyons tel qu'il était 10-8 secondes plus tôt (soit un cent millionième de seconde). Bien entendu, cette différence ne joue aucun rôle dans la vie quotidienne et nous avons le sentiment de voir les choses telles qu'elles sont à l'instant,.

présent.

En revanche, la lumière met 8 minutes pour nous arri-@

ver du Soleil et nous voyons le Soleil tel qu'il était il y al@

8 minutes. (S'il avait disparu 3 minutes plus tôt, il s'écoule-@

rait encore 5 minutes avant que nous ne le sachions.) Nous@

voyons l'étoile appelée Alpha du Centaure telle qu'elle se pré-,@

sentait il y a 4,3 années, et Arcturus comme il y a 40 ans., Nous voyons la galaxie d'Andromède telle qu'elle appa-, raissait il y a 2 300 000 années; le chiffre atteint les 1 0 Mil-)@

liards d'années pour le plus lointain quasar visible. IA@

lumière émise par ce quasar a ainsi commencé son long"

voyage dans l'espace avant même que n'existe le système"

solaire.

Bien entendu, plus nous regardons loin dans le passé et moins nous en voyons, puisque les distances sont de plus en plus considérables.

Si nous pouvions nous éloigner de la Terre à une vitesse supérieure à celle de la lumière et si nous en profitions pour observer notre planète, nous gagnerions de vitesse les rayons lumineux émis par la Terre et pourrions donc, en théorie> voir l'histoire remonter son cours. Le problème se pose à

310

LES HORIZONS DU TEMPS

nouveau : plus nous nous éloignons de la Terre et plus le passé observé est lointain, mais les détails sont de plus en plus flous. De sorte que le regard sur le passé est intimement lié à l'éloignement.

Ne pourrions-nous imiter les héros des romans de science-fiction, nous asseoir dans un fauteuil, manipuler quelques boutons et nous promener sur Terre en 3 000 avant ou après Jésus-Christ ?

Cela paraît tout à fait improbable. La Terre tourne autour du Soleil à la vitesse de 30 km/s. En trois heures, elle parcourt 324 000 kilomètres. Si nous pouvions nous installer dans une machine à voyager dans le temps, appuyer sur un bouton et faire un bond de trois heures en arrière, nous nous retrouverions perdus dans l'espace, à 324000 kilomètres de notre planète.

Imaginons à présent que la machine puisse se déplacer en meme temps que la Terre; pour appuyer sur le bouton, faire un bond de trois heures dans le passé et se retrouver sur Terre, il faudrait parcourir les 324 000 km/s en un éclair, c'est-à-dire voyager à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière.

Les choses sont, en fait, encore plus complexes, car la Terre ne se contente pas de tourner autour du Soleil; elle tourne également avec lui autour du centre de la galaxie, ladite galaxie étant elle-même entraînée dans un vaste mouvement cosmique.

Si nous parvenions à faire la synthèse de tous ces mouvements, il paraît logique d'imaginer que cela nécessite-rait de grosses quantités d'énergie, de sorte que le voyage dans le temps co˚terait autant en énergie que le voyage dans l'espace. En énergie, mais aussi en temps - ce qui annule immédiatement tout le projet.

Il intervient en plus un certain nombre de paradoxes.

Pour montrer comment un voyage dans le passé peut détruire le principe de causalité, on cite très souvent le cas de l'hornme qui remonte dans le passé et tue son propre grand-Père; ce faisant, il interdit sa propre naissance et ne peut 311

LA CONqUETE DU SAVOIR

donc remonter dans le passé tuer son grand-père.; donc, il naîtra et ira tuer son grand-père, et ainsi de suite, à l'infini Enfin, même s'il était possible de violer le principe de causalité et si nous imaginions qu'une invention à venir p˚t rendre le voyage dans le temps possible, il demeure toujours, à notre connaissance, qu'aucun voyageur du futur n'est venu nous rendre visite.

Cela signifie peut-être que les voyageurs temporels prennent grand soin de ne pas se faire voir - à moins qu'aucun homme de l'avenir n'ait résolu l'énigme du voyage dans le temps. Personnellement, j'opterais plutôt pour la seconde proposition.

xvii Voir le Voyageur imprudent, de René Barjavel. (N.d.T.) La vitesse

Etres vivants

Avant d'aller plus avant, tentons de combiner les deux domaines que nous venons d'explorer, l'espace et le temps. Il est possible de se mouvoir dans l'espace en un temps donné, et nous avons souvent eu l'occasion de le constater tout au long de cet ouvrage.

Le rythme du déplacement - c'est-à-dire la distance parcourue en un temps donné - porte le nom de vitesse .

Les êtres humains ont toujours connu deux modes principaux de déplacement, la marche et la course. Dans la marche, un des deux pieds demeure toujours posé sur le sol, ce qui n'est pas dans la course, o˘ les deux pieds peuvent se trouver simultanément au-dessus du sol. (Le jogging est une sorte de course au petit trot, pratiquée pour des raisons d'endurance ou d'entrà'mement. Il est également possible de se déplacer en glissant, en sautant, en patins, mais il s'agit Plus là de sport ou d'exhibition que d'un mode naturel de progression.)

Le rythme normal de la marche est de 5 kilomètres à

313

I,A CONqUETE DU SAVOIR

l'heure, mais cette vitesse peut être augmentée si besoin est.

Généralement, les hommes se mettent à courir quand ils ont besoin d'atteindre une vitesse bien plus élevée, mais la marche rapide peut se pratiquer sur des distances considérables, dans des compétitions sportives, par exemple.

Ceux qui n'ont pas l'habitude d'entreprendre des marches longues ou rapides seront étonnés de voir ce dont la machine humaine est capable avec un certain entra'mement.

Le record du monde de marche sur 20 kilomètres est d'l heure, 25 minutes, 19 secondes et 4 dixièmes, ce qui fait une vitesse de 14 km/h.

Naturellement, la vitesse diminue avec la distance. Le record du monde sur 50 kilomètres est de 4 heures, 27 secondes et 2 dixièmes, soit une vitesse de 12,5 km/h.

A distance égale, la course est plus rapide que la marche.

La course de fond la plus célèbre est le marathon , ainsi appelée parce qu'elle est censée représenter la distance parcourue en 490 av. J.-C. par l'Athénien Pheidippides lorsqu'il vint annoncer au peuple d'Athènes le résultat de la bataille de Marathon. Le marathon se court sur 42,2 km et le record du monde est de 2 heures, 8 minutes, 33 secondes et 6 dixièmes. Cela représente une vitesse moyenne de 19,7 km / h, donc 1,6 fois plus élevée que celle atteinte par un bon marcheur sur la même distance.

Bien entendu, la vitesse moyenne augmente quand la distance est plus brève. Le record du 10 kilomètres à la course est de 27 minutes, 30 secondes et 8 dixièmes, soit une vitesse de 21,8 km/h, alors que celui du 100 yards (91,4 mètres) est de 9 secondes, avec une vitesse moyenne de 36,56 km/h.

La vitesse d'un athlète qui court le 100 yards est abaissée du fait que son départ est arrêté et qu'il doit sans cesse accélérer. En 1963, un coureur fut chronométré entre le 60e yard; il parcourut ces 15 yards (13,7 mè

et le 75e tres) à la vitesse moyenne de 44,9 km/h. C'est certainement la vitesse la plus élevée à laquelle un être humain ait pu parvenir, seul et sur une distance assez courte.

Tout au long de l'histoire, les hommes ont d˚ compter 314

LES HORIZONS DU TEMPS

sur leurs propres muscles pour parcourir de grandes distances. Les chevaux furent domestiqués par les nomades asiatiques quelque 2000 ans avant notre ère5,Puis ils furent de plus en plus utilisés par les hommes qui souhaitaient se déplacer à des vitesses supérieures à celles qu'ils pouvaient atteindre par leurs propres moyens (ou qui désiraient voyager à moindre effort).

En moyenne, un cheval se déplace Plus rapidement qu'un homme; les chevaux spécialement entraînés à la course peuvent, sous certaines conditions, battre à plate couture les meilleurs coureurs.

Le record du monde des 3 milles (4,83 kilomètres) est détenu par un cheval qui parcourut cette distance en 5 minutes et 15 Secondes - ce qui fait une vitesse moyenne de 55,2 krn/h. Sur des distances plus courtes, un cheval peut atteindre les 64 km/h. Cette vitesse est 1,5 fois plus élevée que celle des meilleurs athlètes, et les chevaux peuvent conserver une telle vitesse sur des distances allant jusqu'à

1.15 kilomètre.

Les animaux terrestres capables de battre un cheval à la course Sont assez rares. Un lièvre courant à la vitesse maximale peut se mesurer à un bon cheval parce qu'il a la Possibilité de faire des bonds très longs. Un kangourou de grande taille qui s'enfuit peut faire des bonds encore plus longs (jusqu'à plus de 12 mètres) et dépasser ainsi un cheval de course.

Bizarrement, un certain bipède peut atteindre la même vitesse. Une autruche qui s'enfuit pourrait courir à 70 km / h ; ce serait donc, et de loin, le plus rapide organisme vivant capable de courir sur deux pattes.

De nombreuses espèces de cerfs, d'antilopes et de gazelles peuvent également battre un cheval à la course. Le cerf commun est censé Pouvoir atteindre les 67 krn/h.

L'antilope dicran cère pourrait même, gr‚ce à ses bonds Prodigieux, courir à 100 km/h.

Les animaux terrestres que je viens de mentionner sont tous herbivores. Ils vivent en plaines et la vitesse est leur seul rll()yen d'échapper aux carnivores. Les animaux les plus 315

I,A CONqUETE DU SAVOIR

rapides sont ceux qui ont le plus de chances de survivre, et l'évolution a ainsi produit des animaux parfaitement capables de courir en terrain découvert.

En général, les carnivores ne sont pas aussi rapides que leurs proies, mais ils se procurent leur nourriture en surgissant à l'improviste ou en se mettant à l'aff˚t. Ils peuvent aussi se contenter des jeunes, des malades ou des blessés, c'est-à-dire des animaux qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent coller au gros du troupeau.

Il existe néanmoins certains carnivores très rapides. Le coyote peut atteindre les 55 km/h en cas de nécessité; sa vitesse est inférieure à celle du lièvre, mais est tout de même assez élevée.

Pourtant, l'animal terrestre le plus rapide est un carm'-vore, le guépard. Il peut conserver une vitesse moyenne de 102 km/h sur une distance de cinq cents mètres et parvient ainsi a capturer des gazelles - il faut bien entendu que la course ne soit pas trop longue ou que la proie ne soit pas, pour une quelconque raison, au mieux de sa forme. Le guépard qui n'a pas rattrapé sa proie au bout d'une n˘nute se doit d'abandonner, car la gazelle a une endurance supérieure à la sienne et peut dès lors le distancer.

Les êtres humains peuvent progresser dans l'eau, bien plus lentement toutefois que sur la terre ferme. L'eau est plus dense que l'air et nécessite par conséquent une dépense d'énergie supérieure. Il suffit pour s'en assurer de traverser une plage à la course et de rentrer dans l'eau au même rythme.

La plus grande vitesse jamais atteinte dans l'eau par un être humain n'est que de 8,1 km/h.

Il faut dire que l'homme n'est pas spécialement adapté

aux conditions aquatiques, contrairem ent à d'autres animaux a sang chaud qui ont retrouvé la mer et ne la quittent pratiquement jamais. La forme de leur corps leur permet de mieux lutter contre la résistance de l'eau, et ils peuvent se propulser à l'aide de nageoires ou d'ailerons.

Malgré tout, les dauphins, phoques et pingouins les plus rapides ne dépassent jamais les 40 km/h.

316

LES HORIZONS DU TEMPS

Les poissons sont, et de loin, les animaux marins les mieux adaptés à leurs conditions de vie. Il n'est donc pas étonnant de trouver les champions de vitesse parmi les éléments les plus gros et les plus musclés de cette catégorie d'animaux.

Le grand requin bleu peut atteindre une vitesse de 65 km/h; il est donc aussi rapide que le cheval de course le plus vif, mais d'autres poissons le dépassent largement. Le makaire peut se déplacer à 80 km/h, donc aussi rapidement qu'une antilope. Le record appartient toutefois au requin pèlerin: on lui attribue la vitesse de 110 km/h, bien supérieure à celle du guépard.

L'eau est plus dense que l'air, mais il est plus aisé de se déplacer rapidement dans l'air sans toucher le sol qu'en courant sur la terre ferme. Cela explique partiellement la rapidité des animaux faisant de grandes enjambées, comme le cheval ou l'autruche, ou des animaux capables de sauter très loin, comme le lièvre ou le kangourou.

quant aux animaux qui volent vraiment, leur nombre se répartit en quatre catégories.

Les ptérosaures ont disparu il y a 65 millions d'années, et nous ne savons absolument pas à quelle vitesse ils pouvaient voler, bien que les paléontologistes aient tendance à croire qu'ils n'étaient pas très rapides.

Il est très difficile de déterminer la véritable vitesse des insectes, qui sont souvent portés par les courants aériens. Il semble très douteux qu'un insecte puisse dépasser les 55 km/h dans des circonstances normales, à moins que ce ne soit pour une durée très brève ou à haute altitude, quand l'air raréfié offre moins de résistance

Les libellules font partie des insectes les plus rapides nnees posséd une libellule ayant vécu il y a 300 millions d'a ait

* On a signalé dans le passé certains insectes capables de voler à

plus

de 1 000 km/h, mais il est évident qu'une telle vitesse est absolument irnPossible. On a toujours tendance à gonfler les chiffres, surtout lorsqu'il

s'agit d'organismes vivants. J'ai tenté tout au long de ce livre de rester raisonnable, mais il se peut que j'ai moi aussi cédé à ce travers.

317

LA CONqUETE DU SAVOIR

une envergure exceptionnelle (pour un insecte) de 70 centimètres - elle était donc peut-être capable de pousser des pointes à 70 km / h.

Les chauves-souris sont les seuls mammifères volants; elles ont apparemment plus évolué dans le sens de la manoeuvrabilité que de la vi sse. La plus grande vitesse enregistrée en ce qui concel une chauve-souris est de 51 km/h, ce qui veut dire q ne chauve-souris rapide va moins vite qu'un insecte rapi(

Les oiseaux sont les créa res volantes les plus rapides, ce sont aussi les seuls à pouv,:)ir dépasser un bon cheval de course.

Le cygne, par exemple, a été chronométré à plus de 90 km/h, et l'oie du Canada peut atteindre les 100 km/h. Ce qui signifie que 1 oie du Canada est aussi rapide que le guépard; elle peut surtout tenir bien plus longtemps ce rythme.

Malgré tout, l'oie du C

vitesse. On a vu des mai

2,8 km/mn! Ce type d'hii

rapide organisme vivant d

muscles.

Objets inanimés

Nous ne nous sommes ju@;qu'à présent intéressés qu'à la vitesse personnelle des êtres vivants, mais il est évident que l'espèce humaine utilise d'autres moyens que ses muscles pour se déplacer.

Pour voyager sur les eai.x, l'homme a imaginé toutes sortes d'embarcations, et ce c,epuis les premiers jours de la civilisation. Les premiers bateaux se contentaient de descendre les fleuves et utilisaient @le manière passive une forme d'énergie inanimée. Plus taru, les hommes apprirent à se servir de perches ou de rame"; pour remonter le courant; là

encore, les muscles servaient,Je moyen de propulsion.

La conduite à l'aviron n'@l jamais permis de se déplacer 318

ne détient pas le record de

voler à 170 km / h, soit

e représente donc le plus

vitesse dépend des seuls

LES HORIZONS DU TEMPS

rapidement. Même lorsque l'embarcation est très légère et que les rameurs sont des sportifs entraînés, le record absolu ne dépasse pas les 21,6 km/h.

En ajoutant des voiles à une barque, on peut utiliser le vent comme moyen de propulsion - là encore, de manière passive. Avec les siècles, le nombre et l'efficacité des voiles augmentèrent; leur utilisation devint très complexe, en même temps que se développèrent d'autres aspects de la conception générale. En 1890, un voilier tint une moyenne de 40 km/h pendant une demi-journée.

Finalement, l'utilisation d'une énergie inanimée produite par l'homme et répondant à ses désirs déboucha sur le transport et la vitesse. Cela n'aurait évidemment pu se produire avant 1774 et l'introduction de moteurs à vapeur efficaces par l'ingénieur écossais James Watt (1736-1819).

Cet événement marqua la naissance de la révolution industrielle .

Il ne fallut pas attendre longtemps pour voir un moteur à

vapeur monté sur un bateau afin de faire tourner une roue à

aubes. En 1790, l'inventeur américain John Fitch (1743-1798) construisit le premier vrai navire à vapeur, mais ne parvint pas à le commercialiser. Ce n'est qu'en 1807 que Robert Fulton (dont nous avons déjà parlé à propos des sous-marins) cons:ruisit le Clermont, premier navire à vapeur commercialenient rentable.

Les preniiers vapeurs étaient très lents : ils ne dépassè-rent pas les '.2 km/h pendant dix ans. Leur atout majeur venait de ce qu'ils pouvaient faire route par calme plat ou vent debout.

Les voiliers conservèrent la première place jusqu'en 1860 environ, mais l'introduction de coques métalliques et de Moteurs vraiment efficaces, ainsi que le remplacement des roues à aubes par des hélices, donna bientôt la primauté à la ap ur. Avec le XXe Si cle,

e è les voiliers furent pratiquement Ir éduits au rôle d'embarcations de plaisance.

Les vap(,@urs battirent donc de vitesse les voiliers. En 1952, le paquebot United States mit moins de trois jours et denli pour effectuer la traversée New York-Le Havre, ce qui 319

LA CONqUETE DU SAVOIR

représente une vitesse moyenne de 66 km/h. quelques mois plus tard, le même paquebot réussit à tenir une moyenne de 77 km/h pendant toute une journée.

Les bateaux de guerre peuvent faire beaucoup mieux.

Les sous-marins les plus rapides atteignent les 83 km/h; un destroyer a pu faire du 113 km/h et certains vaisseaux spécialement conçus sont montés jusqu'à 130 km/h. Ce qui fait des êtres humains (assistés par la technologie, bien entendu) les créatures marines les plus rapides.

Sur la terre ferme, l'utilisation d'une énergie inanimée en vue du transport fut bien plus tardive. Même au X,Xe Siècle, les hommes ne pouvaient compter que sur leurs propres muscles (ou sur ceux de leurs chevaux) pour franchir de grandes distances. (Le rôle joué par les chameaux ou les

‚nes est assez mineur.)

En 1801, l'inventeur anglais Richard Trevithick (1771-1833) fut le premier à placer un moteur à vapeur sur un véhicule afin d'en faire tourner les roues. Bien entendu, cette machine ne pouvait fonctionner que sur un terrain parfaitement lisse ; les aspérités auraient exigé une trop grande dépense d'énergie. Trevithick montra qu'il était pratique de faire avancer les roues sur de longs rails métalliques. C'est inventa la locomotive, mais pas le chemin de fer.

ainsi qu'il

ment, Trevithick ne réussit pas plus que Malheureuse

Fitch à commercialiser son invention. Cet honneur échut en 1825 à l'inventeur anglais George Stephenson (1781-1848).

Les chemins de fer devinrent rapidement populaires et constituèrent le principal moyen de locomotion sur longues distances entre 1850 et 1950.

es

Les premières locomotives ne dépassaient pas 1

47 km/h, mais les perfectionnements successifs leur perrni-rent d'atteindre très vite des vitesses supérieures. On peut enregistrer vers 1840 une vitesse de 91 km/h; pour la première fois, des êtres humains (assistés par la technologie) se déplaçaient sur la terre ferme à une vitesse bien plus élevée que celle du cheval; de plus, une quantité suffisante d'énergie leur permettait de maintenir indéfiniment cette vitesse. (Evidemment, les voyageurs ordinaires n'atteignaient 320

1

LES HORIZONS DU TEMPS

jamais la vitesse des machines expérimentales placées dans des conditions très favorables - de même qu'un cavalier moyen ne va jamais aussi vite qu'un jockey professionnel monté sur un pur-sang de compétition.)

En 1843, c'est-à-dire moins de vingt ans après la première locomotive de Stephenson, une locomotive atteignit en Irlande la vitesse de 137 km / h. Gr‚ce à elle, l'homme était plus rapide que le guépard.

En Allemagne, vers 1903, des vitesses de 210 km/h furent enregistrées; l'homme était désormais la créature vivante la plus rapide - plus rapide même que l'hirondelle la plus agile. Le record de vitesse est aujourd'hui détenu par le TGV, avec plus de 380 km/h.

En 1860, l'ingénieur français d'origine wallonne Etienne Lenoir (1822-1900) conçut le premier véritable moteur à

combustion interne, qui s'avéra finalement autrement plus léger et efficace que le moteur à vapeur. Le moteur à

combustion interne s'adaptait parfaitement aux petits véhicules; en 1860, Lenoir en adapta un sur un chariot afin de crée le premier chariot sans cheval @ invention qui devait par la suite recevoir le nom de voiture automobile .

Les automobiles ne furent vraiment utilisables qu'à

partir de 1880. C'est en 1887 que l'ingénieur allemand Gottlieb Daimler (1834-1900) construisit une des premières automobiles dignes de ce nom.

Au xxl siècle, l'automobile constitua le principal moyen de transport terrestre adapté aux familles ; des véhicules plus n'assifs, appelés cars et camions, permirent le transport de groupes d'individus plus importants et de grosses quantités de marchandises.

Les voitures de course dépassent largement les 320 krn/h, mais en 1970, un véhicule renforcé de fusées Parvint à atteindre la vitesse de 1 046 km / h, soit 17,4 km/mn. Cette vitesse n'est pas très éloignée de celle du sOn qui, dans des conditions normales, est de 1 192 km / h, ou 19,9 km/mn.

De même que les oiseaux sont plus rapides que les animaux terrestres, les avions dépassent largement les véhi-321

LA CONqUETE DU SAVOIR

cules se déplaçant sur la terre ferme. Le mur du son fut dépassé pour la première fois le 14 octobre 1946 par le pilote américain Charles E. Yeager.

Depuis, le vol supersonique est tout à fait banal, et des avions munis de fusées ont réussi à dépasser les 7 300 km/h (6,1 fois la vitesse du son), soit plus de 2 km/s.

Les fusées sont, à leur tour, plus rapides que les avions.

Les sondes lancées vers les planètes lointaines du système solaire ont quitté la Terre à plus de 14,5 km/s. En 1976, la sonde solaire Helios-B gravita à quelque 43 millions de kilomètres du Soleil. Sa vitesse était alors de 68,4 km/S.

Les fusées sont aussi rapides, et souvent bien plus rapides, que les objets célestes.

La Terre, par exemple, met un jour pour tourner sur son axe. Chaque point de sa surface effectue un cercle autour de cet axe; plus le cercle est important, et plus la vitesse est élevée. L'équateur est le cercle le plus large, et un point situé

sur l'équateur se déplace, par rapport à l'axe de la Terre, à

1 670 km/h ou 460 m/s. Cette vitesse est trente fois moindre que celle des fusées les plus rapides.

La Terre ne détient toutefois pas le record de vitesse rotationnelle du système solaire. La circonférence du Soleil est 109 fois plus importante que celle de la Terre, et il effectue sa rotation en 25,1 jours. In point situé

sur l'équateur solaire se déplace donc à 7 260 km/ h, soit 2 km/s.

La circonférence de jupiter est 11,6 fois plus grande que celle de la Terre, mais sa rotation n'est égale qu'aux 2/5 de celle de la Terre. Un point situé sur l'équateur de jupiter (ou tout au moins sur la couche de nuages qui en constitue la, surface visible) se déplacerait donc à la vitesse de 45 000 km / h par rapport au centre de jupiter, soit 12,6 kin / s

- ce qui est encore inférieur à nos fusées les plus rapides.

En plus de leur rotation sur elles-mêmes, les planètes tournent autour du Soleil. La vitesse de révolution d'une planète dépend de sa proximité du Soleil, de même que l'importance du champ gravitationnel du Soleil.

322

LES HORIZONS DU TEMPS

jupiter, par exemple, tourne autour du Soleil à la vitesse moyenne (par rapport au Soleil) de. 13,1 km/s - ce qui est légèrement moins rapide que nos meilleures fusées.

Mars se trouve bien plus près du Soleil que Jupiter, et sa vitesse moyenne est de 24,1 km/s.

La vitesse moyenne de révolution de la Terre est de 29,8 km/s; celle de Mercure - qui est la planète la plus Proche du Soleil, donc la plus rapide - est de 47,9 km/s.

L'orbite de Mercure est excentrique; il se trouve beaucoup plus près du Soleil à certains moments que d'autres. quand Mercure se rapproche au maximum du Soleil ( périhélie ), sa vitesse est de 56 km/s.

Certaines comètes passent plus près du Soleil que Mercure, et le record de vitesse doit alors avoisiner les 600 km/s.

De même que les planètes tournent autour du Soleil, le a

Soleil tourne autour du centre de la galaxie ' une vitesse moyenne de 300 km / s. Il est donc tout naturel que les étoiles Plus proches du centre de la galaxie que le Soleil tournent à

des vitesses encore plus élevées. (Mais quand une étoile s'approche trop près du centre de la galaxie, un nombre croissant d'étoiles sont bien plus éloignées du centre qu'elle, de sorte que la force de gravité due aux étoiles situées entre elle et le centre décrdit; aussi leur vitesse de révolution décrdit-elle.)

L'univers est en expansion, et les étoiles s'éloignent les unes des autres à des vitesses proportionnelles aux distances qui les séparent. A partir des années 1920, la spectrographie a permis d'étudier des galaxies de moins en moins lumineuses -

les vitesses de récession qui avoisinaient les milliers de km/s passérent bientôt aux dizaines, puis aux centaines de milliers de kin/s. Au début des années 1960, on étudia des galaxies 1 intaines qui s'éloignaient de us à 240 000 km / s.

0 no

Nous le voyons, nous ne sommes plus très loin de la vitesse de la lumière.

La vitesse de l'être vivant le plus rapide est 6 400 000 fois

"iférieure à celle de la lumière ; celle de l'objet de facture humaine le plus rapide en est moins de 20 000 fois inférieure.

323

LA CONqUETE DU SAVOIR

Une comète qui s'approche très près du Soleil est cinq cents fois moins rapide que la lumière.

quand une galaxie s'éloigne de nous à 240 000 km / s, sa vitesse ne représente que 80 % de la vitesse de la lumière.

Les quasars furent découverts en 1963. Il s'avéra que le plus proche quasar était séparé de nous par un milliard d'années-lumière, ce qui est bien supérieur à la distance nous séparant de la plus lointaine galaxie jamais découverte. Les quasars s'éloignent de nous à une vitesse supérieure à celle des galaxies; la vitesse de récession de la plus lointaine galaxie est déjà de 285 000 km/s, soit 95 % de la vitesse de la lumière.

Les seuls objets susceptibles de battre ce record sont certaines particules subatomiques présentes dans des rayons cosmiques extrêmement riches en énergie; leur vitesse peut atteindre 99,9 % de la vitesse de la lumière, ce qui est donc légèrement inférieur au seuil critique.

La vitesse de la lumière dans le vide constitue par conséquent la vitesse absolue de l'univers - 299 792,5 km/s Troisième partie

LES HORIZONS DE LA MATIERE

Les astronomes ont récemment découvert des quasars très lointains dont certaines parties semblaient animées d'une vitesse supérieure a la vitesse de la lumière; cependant, tout le monde est persuadé que l'on parviendra à trouver une explication à cette vitesse apparente, sans avoir à

envisager la possibilité d'un franchissement du mur de la lun˘ère . Les tachyons,particulesplusrapidesquelalumière,n'existentqu'enthéorie; on n'en a jamais découverts, et il se peut fort bien qu'ils n'existent pas.

xviii

Masses, grandes et petites

Les géants

Tout au long des chapitres de ce livre, nous avons parcouru le temps et l'espace et tenté d'en observer, ou d'en imaginer, les limites. Pour la mentalité populaire, le temps et l'espace ne forment toutefois qu'un décor qui abrite des bjets composés de matière. Il nous faut donc également nous pencher sur les horizons de la matière.

D'une certaine façon, il est plus difficile d'étudier la matière que le temps et l'espace. L'espace possède une Propriété fondamentale : l'étendue. Le temps possède également une propriété fondamentale : la durée. Dans notre quête des extrêmes, nous n'avons eu besoin que du mètre-

étalon et de la pendule - même si la technologie moderne a conçu des versions extraordinairement raffinées de l'une et de l'autre.

La matière détient quant à elle plusieurs propriétés Importantes, méritant chacune la plus grande attention. La Plus importante de toutes est la masse .

La notion de masse a été conçue par Isaac Newton. Il 327

LA CONqUETE DU SAVOIR

montra dès 1680 que des objets différents réclamaient des forces d'accélération différentes pour atteindre une vitesse donnée en un temps donné. La force requise est proportionnelle à la masse de l'objet. Il est bien plus facile d'imprimer une certaine vitesse à une balle de tennis en un temps donné

qu'à une boule de métal de la même taille. Nous disons alors que le métal est plus massif que la balle de tennis.

Chaque fragment de matière émet un champ gravitationnel. Les champs varient en intensité, certains attirent plus fortement les objets que d'autres à une distance donnée.

L'intensité du champ gravitationnel dépend de la masse de l'objet qui émet ledit champ.

Einstein montra dans sa théorie de la relativité que la masse augmentait avec la vitesse et devenait infinie à la vitesse de la lumière. C'est une des raisons pour lesquelles un objet pourvu de masse ne peut atteindre la vitesse de la lumière et encore moins la dépasser.

Nous ne traiterons dans cette partie que de la masse de repos ; c'est la masse d'un objet au repos par rapport à un observateur chargé de la mesurer.

quand on parle de masse de repos, il est raisonnable de dire que la masse d'un objet est équivalente à la quantité de matière qu'il renferme. Deux objets identiques au repos l'un par rapport à l'autre ont une masse totale qui est exactement le double de celle de l'un ou l'autre des objets.

Nous mesurons habituellement la masse en confrontant des objets dans les plateaux d'une balance. L'attraction exercée par la Terre sur les deux objets est proportionnelle à

la masse de chacun d'eux. quand l'attraction est la même pour les deux objets, les deux plateaux sont à la même hauteur : nous savons que la masse inconnue de l'objet posé

dans un plateau est égale à la masse connue du poids posé

dans l'autre.

Le profane parle du poids d'un objet au lieu de parler de sa masse et dit qu'un objet est plus lourd qu'un autre au lieu de dire qu'il est plus massif .

Strictement parlant, ces termes sont impropres. Le poids et la masse sont interchangeables au niveau de la mer, à la 328

LES HORIZONS DE LA MATIERE

surface de la Terre; quand on s'éloigne de la Terre, le poids diminue mais pas la masse. je m'efforcerai donc de parler de masse et de ne pas employer le mot poids.

Les êtres humains comparent tout naturellement la taille des objets à leur propre taille ; les grands objets sont évidemment plus impressionnants. Les gros animaux sont, en général, plus forts et plus dangereux que les petits, mais les exceptions à cette règle sont nombreuses : un serpent à

sonnette est plus dangereux qu'une vache. L'humanité a pratiquement toujours vécu dans la terreur des gros prédateurs.

Même si cette peur n'a désormais plus de sens dans la majeure partie du monde et si nous ne rencontrons plus les prédateurs que dans les zoos ou les cirques, nous associons toujours la taille et la terreur : les films dont le personnage central est une bête monstrueuse sont toujours très populaires. Citons seulement le classique du genre, King Kong, et son gorille démesuré. qu'il s'agisse de rats, d'araignées ou de dinosaures, la démesure est toujours payante.

Les légendes font souvent état de géants humains. On les trouve mentionnés dans de nombreux contes populaires et même dans la Bible, même s'il est évident qu'ils n'ont jamais existé.

Certes, quelques êtres humains sont bien plus grands ou plus massifs que la moyenne, mais ces extrêmes ne sont que la conséquence de dérèglements hormonaux dont les victimes ne vivent jamais très longtemps. La taille moyenne d'un m‚le américain est de 1,72 mètres, mais il mourut en 1940 un homme de vingt-deux ans dont la taille avoisinait les 2,70 mètres. De même, un homme mourut à trente-deux ans après avoir atteint la masse étonnante de 480 kilogrammes, soit 6,5 fois la moyenne. (La masse excédentaire était largement composée de graisse.)

Si nous envisageons la taille et la masse normales des êtres humains, nous pouvons dire que l'homme moderne est lui-même le géant de sa catégorie. Les hominidés ancêtres de l'I-Iomo sapiens étaient tous plus petits que nous.

Un seul primate vivant est plus gros que l'homme : c'est

?29

IA CONqUETE DU SAVOIR

le gorille, dont la taille n'est toutefois pas supérieure à celle de l'être humain. La masse d'un gorille m‚le adulte se situe entre 165 et 180 kg, soit 2,5 fois celle d'un homme adulte.

Le plus grand primate ayant jamais existé appartenait au genre Gigantopithèque ( singe géant ), qui s'éteignit il y a quelque deux millions d'années. Ces créatures semblables aux gorilles devaient mesurer dans les 2,75 mètres en position debout et peser dans les 275 kg, soit quatre fois plus qu'un homme. On voit qu'on est encore loin de la masse et de la taille formidable de King Kong.

Les êtres humains ont toujours côtoyé des animaux plus grands et plus massifs que le plus imposant primate; on peut citer à ce propos les vaches, les chevaux, les chameaux. La Bible mentionne le béhémoth , qui ressemble vaguement à l'hippopotame et qui serait encore plus massif que tous les animaux domestiques que je viens de citer. Le plus grand animal terrestre vivant est cependant l'éléphant d'Afrique.

En moyenne, un m‚le adulte mesure 3,2 mètres au garrot et pèse un peu plus de 5 tonnes. Le plus grand éléphant d'Afrique mesurait 3,8 mètres et pesait Il tonnes.

Sa masse était égale à celle de 150 hommes. (Des éléphants appartenant à des races éteintes étaient encore plus grands.

L'un d'eux mesurait 4,8 mètres, soit deux fois et demie la taille d'un homme.)

sse

Aucun animal terrestre vivant ne dépasse en ma qui

l'éléphant, mais il en existe tout de même un (et un seul) soit plus grand. La plus grande girafe jamais mesurée avait une taille de 5,80 mètres environ - 3,3 fois celle d'un homme adulte - mais elle ne pesait probablement que cinq fois moins qu'un gros éléphant.

Les époques passées ont vu des animaux plus imposants que l'éléphant moderne. Le plus grand mammifère ayant jamais existé était une sorte de rhinocéros appelé Baluchithère ( bête du Belouchistan ); il disparut il y a vingt millions d'années et était plus grand qu'une girafe et plus massif qu'un éléphant. Sa tête se tenait à plus de huit mètres au-dessus du sol et ses vingt tonnes le rendaient deux fois plus massif que le plus gros éléphant.

330

LES HORIZONS DE LA MATIERE

Les reptiles géants disparus il y a 65 millions d'années étaient encore plus massifs. Le plus massif de tous était le Brachiosaure ( lézard à bras , à cause de ses antérieurs très développés); c'est en fait l'animal terrestre le plus massif ayant jamais existé. Il mesurait 6,4 mètres au garrot et sa tête se balançait à près de 12 mètres du sol. Il était donc deux fois plus grand que la plus grande girafe. Sa longueur avoisinait les 23 mètres, et ses 40 tonnes le rendaient deux fois plus massif qu'un Baluchithère et quatre fois plus massif que le plus gros éléphant ayant jamais vécu.

Les animaux marins sont avantagés par rapport aux animaux terrestres. La poussée de l'eau réduit l'action de la gravité et ne les oblige pas à soulever l'intégralité de leur masse à chaque pas; ils peuvent donc être plus massifs que les animaux terrestres.

Les différentes espèces de baleines constituent les plus gros animaux marins vivants; le record absolu appartient à la baleine bleue. Certaines femelles peuvent dépasser les 30

mètres de long. La plus grande baleine jamais mesurée de façon précise avait une longueur de 33,3 mètres et devait peser dans les 135 tonnes. Elle était donc 1,5 fois plus longue qu@ un Baluchithère et 3,3 fois plus massive. Sa masse était égale à celle de 1 900 hommes.

La baleine bleue ne détient toutefois pas le record absolu parmi les êtres vivants ; les animaux sont battus par les végétaux, les arbres en particulier, dont certains représentants constituent les plus grandes et les plus massives créatures vivantes au monde.

Les arbres les plus grands sont les cèdres rouges du nord de la Californie ; le plus grand de tous mesure très exacte-nient 112 mètres de haut. Il est donc 3,3 fois plus grand que la plus grande baleine. (Il n'est évidemment pas tenu compte de la longueur des racines.)

Les séquoias sont les êtres vivants les plus massifs du nIO nde. Ils sont un peu plus courts mais plus trapus que les èdres rouges. Un séquoia du Sequoia National Park, le General Sherman , ne mesure que 83 mètres de haut, mais sa 'nasse est estimée à près de 2 000 tonnes, soit quinze fois la 331

LA CONqUETE DU SAVOIR

plus grande baleine ou 28 000 hommes. (Il est certain que seule une petite partie de l'arbre est vivante, et que la majeure partie est constituée de bois mort.) De la Terre à l'univers

Il existe bien entendu sur la Terre des objets inanimés plus massifs que n'importe quel être vivant. Certains sont de facture humaine - les Pyramides d'Egypte, par exemple -

et d'autres ne le sont pas, comme le mont Everest. L'objet le plus massif existant sur terre est tout naturellement la Terre elle-même.

Les lois de la gravitation universelle découvertes par Newton en 1687 offrirent le moyen de calculer, du moins en théorie, la masse de la Terre.

La Terre exerce une certaine attraction sur un objet. Si l'on peut déterminer la masse de l'objet, sa distance par rapport au centre de la Terre, la force exercée et la constante gravitationnelle, on peut calculer la masse de la Terre. A l'époque de Newton, trois de ces quatre valeurs pouvaient être connues ou mesurées sans grandes difficultés. Seule la constante gravitationnelle était inconnue. En la calculant, on pourrait déduire la masse de la Terre.

Supposons donc que l'on puisse mesurer la force gravitationnelle reliant deux objets de masse connue. Puisque nous connaissons la masse des deux objets et la distance qui les sépare, nous pouvons en déduire la masse gravitationnelle et, par conséquent, calculer la masse de la Terre. Le problème vient de ce que la force gravitationnelle qui relie deux objets assez petits pour avoir une masse connue et être manipulés en laboratoire, est extraordinairement réduite.

Malgré tout, le savant anglais Henry Cavendish (1731-18 1 0) parvint en 1798 à effectuer une telle mesure de marn'ère assez précise. Il obtint la valeur de la constante gravitation nelle et réussit ensuite à calculer la masse de la Terre.

Les chiffres donnés par Cavendish ont été légèrement modifiés depuis; on accorde aujourd'hui à la Terre une 332

LES HORIZONS DE LA MATIERE

masse de 5,976 x 1021 tonnes. Ce qui signifie que la Terre est aussi massive que trois milliards de milliards de s' equoias.

81 fois plus massive que la Lune et 10 fois plus massive que la planète Mars, la Terre est assez petite à côté des autres corps astronomiques. Même à l'époque de Cavendish, on savait que trois planètes (jupiter, Saturne et Uranus) étaient plus massives que la Terre; une quatrième grande planète, Neptune, fut découverte en 1846.

Ces quatre grandes planètes possèdent toutes des satelli-

tes. En déterminant la distance séparant un satellite de sa planète ainsi que sa période de révolution, et en comparant ces chiffres à la distance séparant la Lune de la Terre et à la période de révolution de la Lune, on peut calculer la masse d'une planète par rapport à celle de la Terre.

C'est ainsi qu'on découvrit que jupiter était de loin la planète la plus massive. jupiter est 317,9 fois plus massive que la Terre; sa masse est par conséquent de 1 @9 X 1024

tonnes. Il est plus de deux fois plus massif que tous les corps du système solaire pris ensemble (Soleil excepté, bien entendu).

Le Soleil est bien plus massif que jupiter. La distance de la Terre au Soleil et la période de révolution de notre planète nous permettent de calculer la masse du Soleil par rapport à

celle de jupiter.

Il s'avère que le Soleil est 1 019 fois plus massif que Jupiter et, par conséquent, 324 000 fois plus massif que la 99 X 1027

Terre. Sa masse est de 1, tonnes, et il détient à lui tout seul 99,9 % de la masse globale du système solaire. La Terre, jupiter, toutes les autres planètes et leurs satellites, les astér6ides et les divers corps célestes ne constituent que O,l % de la masse globale du système solaire.

qu'en est-il des étoiles ? Peuvent-elles être plus massives que le Soleil ?

En 1793, l'astronome anglais d'origine allemande William Herschel (1738-1822) découvrit l'existence d' étoiles binaires . Ce sont des systèmes formés par deux étoiles tournant l'une autour de l'autre. Si leur distance par rapport à nous pouvait être connue, la distance qui sépare l'une de 333

LA CONqUETE DU SAVOIR

l'autre pourrait être calculée ; la période de leur révolution permettrait alors de déduire leur masse totale.

Il fallut attendre 1830 pour déterminer la distance d'une étoile, ce qui augmenta les chances de calculer la masse de quelques étoiles au moins.

En 1844, par exemple, Bessel découvrit que Sirius avait pour compagnon une étoile trop faible pour qu'il p˚t la distinguer. Mais il savait qu'elle était là, parce que Sirius se déplaçait sur une infime orbite autour de quelque chose. En 1862, le fabricant d'instruments américain Alvan Graham Clark parvint finalement à voir le compagnon de Sirius.

A partir de la distance de Sirius à la Terre, de la distance séparant Sirius de son compagnon et de la taille relative des deux étoiles, il fut possible de calculer leur masse respective.

Le compagnon de Sirius a une masse égale à 1,05 fois celle du Soleil, alors que Sirius lui-même est 2,14 fois plus massif que le Soleil.

Par conséquent, le Soleil n'est pas l'objet le plus massif de tout l'univers. Il n'empêche que les étoiles plus massives que le Soleil sont infiniment moins nombreuses que celles qui sont moins massives.

En 1924, l'astronome anglais Arthur Stanley Eddingt on (1881-1944) établit la relation qui unissait la masse d'une étoile à sa luminosité. Plus une étoile est massive et plus elle est lumineuse, la luminosité augmentant bien plus rapidement que la masse. Une étoile très massive produirait tellement d'énergie qu'elle se désintégrerait.

A quelques exceptions près, une étoile qui conserve son intégrité ne peut pas être plus de soixante-dix fois plus massive que le Soleil. Une étoile particulièrement massive fut découverte en 1920 par l'astronome canadien john Stanley Plaskett (1865-1941). Elle est au moins cinquante-cinq fois plus massive que le Soleil et pèserait donc 1, 1 X 1029 tonnes.

William Herschel fut le premier à comprendre que les étoiles visibles dans le ciel formaient une sorte de disque, mais il fallut attendre plus d'un siècle pour connaître les véritables dimensions de la Voie Lactée . La distance du Soleil au centre de la galaxie et la période de révolution du 334

LES HORIZONS DE LA MATIERE

Soleil autour de ce centre nous permettent de déterminer la masse globale de la galaxie. On pense aujourd'hui qu'elle est 140 milliards de fois supérieure à celle du Soleil et qu'elle 103

serait donc égale à 2,8 x 8 tonnes. La galaxie enferme peut-être 300 milliards d'étoiles dont la plupart sont, bien entendu, moins massives que le Soleil.

C'est surtout gr‚ce aux travaux de l'astronome américain Heber Doust Curtis (1872-1942) que l'on comprit vers 1920

que notre galaxie n'était pas le seul système stellaire de l'univers. D'autres systèmes s'étendaient bien au-delà des limites visibles au télescope. La plupart de ces galaxies sont plus petites que la nôtre - la masse de certaines n'est que quelques centaines de millions de fois seulement supérieure à

la masse de notre Soleil - mais certaines galaxies sont plus importantes et peuvent être dix mille milliards de fois plus massives que le Soleil.

Selon certaines estimations, il existerait cent milliards de galaxies dans l'univers; la masse globale de l'univers serait alors de 2 x 10 49 tonnes, soit 20 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000

000 000 tonnes!

Il est étonnant que notre situation sur une petite planète tournant autour d'une étoile de taille moyenne à la lisière d'une galaxie quelconque nous permette, moins de 200 ans après avoir déterminé la masse de la Terre, de calculer la masse globale de l'univers. Mais il y a encore plus étonnant, et c'est la façon dont l'homme a exploré l'autre direction, celle de l'infiniment petit.

Cellules

Les êtres humains se sont toujours intéressés aux créatures moins massives qu'eux-mêmes : chiens, chats, volailles ou animaux sauvages.

On prend souvent la souris comme exemple de créature minuscule. L'expression j'aimerais être petite souris est couramment employée.

335

I,A CONqUETE DU SAVOIR

La souris grise est très petite, en effet, mais il existe de nombreuses sortes de souris plus petites encore. Le campagnol commun en Europe est deux fois plus petit que la souris grise qui vit dans les maisons. Un campagnol adulte peut ne peser que cinq grammes, il est donc plus de 14 000 fois plus petit qu'un homme adulte.

Le record appartient toutefois à une sorte de musaraigne, la pygmée , qui ne pèse que deux grammes. Du point de vue de la masse, cette musaraigne est à l'homme ce que l'homme est au séquoia géant.

L'oiseau-mouche est le plus petit de tous les oiseaux, puisqu'un adulte ne pèse également que deux grammes.

Il n'est pas possible à une créature à sang chaud, oiseau ou mammifère, de peser moins de deux grammes.

quand un objet décroît en taille, son volume diminue considérablement plus vite que sa surface. Cela signifie qu'un petit animal a un rapport surface/volume plus important qu'un gros animal ayant sensiblement la même forme. La production de température corporelle d'un animal est liée à

son volume; la perte de chaleur est liée à sa surface. Un animal qui décroît en taille perd de la chaleur à un rythme de plus en plus rapide par rapport à la chaleur qu'il produit.

quand un animal est aussi petit qu'une musaraigne ou un oiseau-mouche, il peut parvenir à produire de la chaleur sensiblement au rythme de la déperdition, à condition de manger pratiquement tout le temps. C'est pour cette raison que les musaraignes et les oiseaux-mouches passent toutes les heures d'éveil à manger sans jamais être rassasiés.

Les animaux à sang froid ne sont pas limités par la déperdition de chaleur, ils peuvent donc être p,us petits que les animaux à sang chaud. Une musaraigne mesure sept centimètres de long, queue comprise, alors qut@ le plus petit lézard ne mesure que quatre centimètres, égal-@ment queue comprise; il existe même une grenouille qui ne mesure qu'un centimètre.

Le plus petit vertébré est un minuscule pi:)isson appelé

gobie nain. Il ne mesure que huit millimètre@; et sa masse 336

LES HORIZONS DE LA MATIERE

n'est égale qu'à quatre ou cinq milligrammes. La masse d'une musaraigne est donc égale à celle de 450 gobies nains.

En règle générale, les insectes sont plus petits que les vertébrés.

Il y a bien entendu des exceptions. Le plus gros insecte, le Goliath, peut atteindre quinze centimètres de longueur et peser jusqu'à cent grammes. Il est alors cinquante fois plus massif que la plus petite musaraigne.

Les mouches et les moustiques ont une taille plus caractéristique. Les plus petits insectes sont certains moucherons qui ne mesurent que 2/5 de millimètre de long. Ils sont si petits qu'on ne peut absolument pas en distinguer les détails.

quand on en arrive à étudier des organismes aussi petits, il peut sembler assez raisonnable de se demander s'il faut vraiment les considérer comme des êtres vivants : que quelque chose d'encore plus petit doive être considéré

comme vivant peut sembler hors de question.

Avant l'époque moderne, personne ne s'était demandé

s'il pouvait exister un être vivant si petit qu'il en était învisible à I'oeil nu. Les créatures invisibles hantent bon nombre de contes populaires, mais elles ont toujours une taille perceptible - sinon considérable - et ne @;ont invisibles qu'à la suite d'un enchantement.

On avait remarqué depuis des temps très anciens que les morceaux de verre faisaient paraître plus gros les objets sur lesquels on les posait, même si les distorsions interdisaient toute utilisation pratique du grossissement. Il fallut attendre le xv" siècle pour que des lentilles permettent d'étudier de petits objets, insectes, par exemple, avec plus de f@icilité qu'à

I'oeil nu.

Le problème consistait à tailler les lentilles dans un verre de très haute qualité, à les polir et à les ur éviter les distorsions et augmenter par la mêm niveau moyen de grossissement.

Le Hollandais Anton van Leeuwi 2-1723) utilisa une lentille si précise qu'il put lui donner le nom de microscope . Il s'en servit pour observer tontes sortes 337

LA CONqUETE DU SAVOIR

d'objets et, en 1677, il trouva dans l'eau d'un fossé de petites créatures présentant tous les signes de la vie, quoiqu'elles fussent trop petites pour être vues à I'oeil nu. Il venait de découvrir les micro-organismes .

L'utilisation d'un microscope composé (avec plusieurs lentilles) avait déjà permis au physicien anglais Robert Hooke (1635-1703) de découvrir en 1665 que le liège est constitué de minuscules trous rectangulaires trop petits pour être vus à I'oeil nu. Il leur donna le nom de cellules .

On remarqua par la suite que les tissus se divisaient en petits segments qui, chez les plantes tout au moins, présentaient entre elles des parois ligneuses, c'est-à-dire ayant la consistance du bois. Le liège est une matière morte, o˘ il ne reste plus que les parois ligneuses; même vides, les segments portent toujours le nom de cellules.

Le botaniste allemand Matthias Jakob Schleiden (1804-1881) imagina en 1838 que toutes les plantes étaient composées de cellules, la cellule étant l'unité de la structure du tissu végétal. Le physiologiste allemand Theodor Schwann (1810-1882) alla un peu plus loin; il supposa l'année suivante que les cellules existaient également chez les animaux, à cette différence près qu'elles étaient séparées les unes des autres par des membranes très fines, moins visibles que les parois assez épaisses des végétaux. A eux deux, ces savants avaient jeté les bases de la théorie cellulaire .

qu'il s'agisse du plus impressionnant séquoia ou du plus infime moucheron, tous les organismes visibles à I'oeil nu sont constitués d'un nombre parfois très élevé de cellules individuelles. Ce sont des organismes pluricellulaires . L'être humain adulte se compose en moyenne de 50 000 milliards de cellules.

En revanche, les micro-organismes découverts par Leeuwenhoek ne présentaient que des cellules uniques; ils étaient donc unicellulaires ou monocellulaires . Bien entendu, les organismes monocellulaires sont plus petits que les pluricellulaires, mais ils sont tout aussi vivants.

Certains organismes monocellulaires peuvent avoir une taille très imposante. Un oeuf est un organisme monocellu-338

LES HORIZONS DE LA MATIERE

laire. La cellule proprement dite est le jaune de I'oeuf, alors que le blanc et la coquille sont dits extracellulaires . Le jaune servira de nourriture à l'embryon; seul un point microscopique à la surface du jaune compose la substance vivante.

Les oeufs se développent en toute indépendance à

l'extérieur du corps et sont très gros pour fournir à l'embryon une quantité de nourriture nécessaire à sa croissance. Les oeufs que nous voyons le plus souvent sont ceux des oiseaux; en général, la taille d'un oeuf est liée à la taille de l'oiseau.

Un petit oiseau-mouche pondra un oeuf qui ne mesurera que 1,25 centimètres de long; son volume ne sera que de 0,4 cml. La taille d'un oeuf de poule est de 6 centimètres environ et son volume de 50 cm . Un oeuf de poule est donc 125 fois plus volumineux qu'un oeuf d'oiseau-mouche.

L'autruche est le plus gros oiseau vivant. Un m‚le adulte peut mesurer 1,4 mètres au garrot; gr‚ce à son long cou mobile, sa tête peut se balancer à 2,7 mètres du sol. Certaines autruches peuvent peser jusqu'à 156 kg. Il est donc naturel que I'oeuf de l'autruche soit plus gros que les oeufs de tous les autres oiseaux.

Il mesure une vingtaine de centimètres de longueur et 15 cm de diamètre; sa masse peut atteindre les 8,5 kg et son volume les 1 200 CM3. Un oeuf d'autruche est donc 24 fois plus volumineux qu'un oeuf de poule.

L'oeuf de l'autruche ne détient pas le record de taille.

Les poissons pondent aussi des oeufs. Le requin-baleine est le plus gros de tous les poissons; sa taille peut atteindre 18 mètres et sa masse 40 tonnes (il est ainsi trois fois moins massif que la plus grosse baleine).

Contrairement aux oiseaux, les requins-baleines ne pondent pas d'oeufs de forme ovoãde, mais une sorte de masse irrégulière. On en a retrouvé une qui mesurait 30 cm de long, 13,7 cm de large et 8,7 cm de haut. Son volume avoisinait les 3 600 CM3, soit trois fois le volume d'un oeuf d'autruche.

(Nous devons cependant nous souvenir qu'un requin-baleine est 250 fois plus massif qu'une autruche.)

Si nous incluons à présent dans notre liste les animaux 339

LA CONqUETE DU SAVOIR

disparus, nous voyons que le record absolu appartient aux dinosaures. Les plus grands oeufs de dinosaures jamais retrouvés mesuraient 30 cm de long et 25 cm de diamètre; avec un volume de 5 000 cm , ils sont un peu plus de quatre fois plus gros qu'un oeuf d'autruche.

Il y a aussi des oiseaux disparus. Le plus grand oiseau ayant jamais existé était le moa géant de Nouvelle-Zélande.

Sa hauteur pouvait atteindre les 4 mètres et sa masse les 225 kg (soit une fois et demie la masse d'une autruche).

Egalement connu sous le nom d' oiseau-éléphant , l'aepyornis ( grand oiseau ) était moins haut mais plus massif. Il ne mesurait que 3 mètres mais pesait jusqu'à

450 kg.

L'oeuf de l'aepyornis pouvait avoir jusqu'à 37,5 cm de long; son volume était de 8 900 CM3. Il était donc huit fois plus volumineux qu'un oeuf d'autruche et 22 500 fois plus volumineux qu'un oeuf d'oiseau-mouche. Malgré cela, I'oeuf de l'aepyornis ne se composait que d'une cellule unique, la plus grande ayant jamais existé sur cette planète.

Les oeufs des mammifères sont beaucoup plus petits. Ils se développent dans le corps même de la mère et l'embryon se nourrit surtout du placenta. Le placenta laisse passer la nourriture transportée par le système sanguin de la mère, mais aussi les déchets rejetés par l'embryon. L'oeuf d'un mammifère, ou ovule , n'a donc pas besoin des énormes réserves de nourriture présentes dans les oeufs des reptiles, des oiseaux ou des poissons.

Chez la femme, l'ovule est gros comme une tête d'épingle. Il est 280 000 fois plus petit que I'oeuf de l'oiseau-mouche et près de 6 millions de fois plus petit que I'oeuf de l'aepyornis.

Il ne sert à rien de mesurer en centimètres cubes le volume de l'ovule, et il vaut mieux parler en microns cubes L'ovule humain a un volume de 1 400 000 microns cubes.

Le micron vaut 1/1 000 000e de mètre, ou 1/10 000e de centimètre.

Par conséquent, 1 micron cube est égal à 1/1000000000000e de centimètre cube. En abréviation : 1 micron : 1 [t.

340

LES HORIZONS DE LA MATIERE

L'ovule humain n'est pas aussi gros que certains micro-organismes. L'an-iibe, par exemple, partage un certain nombre de caractéristiques avec les autres animaux et appartient au groupe des protozoaires ( prerdiers animaux ).

L'amibe ne possède qu'une cellule unique, mais elle vit en toute indépendance de sorte que cette cellule doit remplir toutes les fonctions essentielles à la vie d'un animal. L'amibe doit donc avoir une certaine taille. Son volume est de 4 200 000 R 3 , soit trois fois le volume d'un ovule humain.

Certains protozoaires sont encore plus gros, au point d'être visibles à I'oeil nu et d'être plus volumineux que bon nombre d'organismes pluricellulaires. Le plus grand protozoaire actuel peut atteindre 1,5 cm de diamètre. Un protozoaire disparu, la Nummulite, avait jusqu'à 2,4 cm de diamètre. Cet organisme monocellulaire devait rivaliser en masse avec la musaraigne ou l'oiseau-mouche.

La plupart des cellules sont infiniment plus petites.

L'ovule d'un mammifère renferme une quantité de nourriture nécessaire au développement de l'embryon pendant les tout premiers stades de sa croissance. La taille de l'ovule humain est trois fois moindre que celle d'une amibe, mais l'ovule est tout de même la plus grosse cellule de tout le corps humain.

On ne doit pas s'étonner de la petite taille des cellules qui composent un organisme multicellulaire. Les fonctions d'un tel organisme sont réparties entre les divers types de cellules, qui se spécialisent chacun dans une fonction bien précise et n'ont par conséquent pas la capacité fonctionnelle de la cellule unique d'un organisme monocellulaire. La cellule d'un corps est bien plus petite qu'une amibe, cela ne l'empêche pas de remplir parfaitement son rôle.

Chez l'homme, par exemple, la cellule hépatique est une véritable usine à produits chimiques; pourtant, son volume n'est que de 1750 R', elle est donc 1800 fois moins volumineuse qu'un ovule humain et 2 400 fois moins volumineuse q u'une amibe.

341

LA CONqUETE DU SAVOIR

Bactéries

La cellule ne constitue nullement l'horizon de l'infiniment petit chez les organismes vivants. Les cellules ne sont pas des blocs homogènes de matière vivante. On voit clairement au microscope qu'elles contiennent des objets de plus petite taille pourvus chacun d'une fonction bien précise.

Le plus important de ces objets fut décrit pour la première fois en 1831 par le botaniste écossais Robert Brown.

Comme il se situait près du centre des cellules étudiées, Brown lui donna le nom de noyau ( petite noix , parce qu'il ressemblait à une noix dans sa coquille).

On découvrit par la suite que le noyau d'une cellule joue un rôle capital dans la reproduction de celle-ci, c'est-à-dire dans la façon dont elle se divise en deux pour donner naissance à deux cellules-filles possédant toutes les propriétés de la cellule-mère.

Il existe dans le sang d'importantes quantités d'objets semblables à des cellules, mais qui ne sont pas de véritables cellules en ce qu'elles ne se divisent pas et n'ont donc pas besoin de noyaux. Ils sont fabriqués en divers endroits du corps humain, principalement dans la moelle osseuse, à

partir de cellules pourvues de noyaux. Le produit final se spécialise dans une fonction bien précise : l'absorption de l'oxygène des poumons puis la transmission de cet oxygène aux différentes cellules du corps. Ces objets portent le nom de globules rouges .

Les globules rouges n'ont pas besoin d'être très volumineux pour remplir leurs fonctions. Le volume d'un globule go 3

rouge n'est que de [t environ, soit 20 fois moins qu'une cellule hépatique.

Le sang contient d'autres objets plus petits, appelés plaquettes , dont le volume n'est que de 7 [t 3 . Les plaquettes permettent la coagulation du sang. Tout comme les globules rouges, elles n'ont pas de noyaux et ne sont donc pas de véritables cellules. Ce sont les plus petits objets 342

LES HORIZONS DE LA MATIERE

semblables à des cellules qu'on puisse trouver dans le corps humain.

La taille du noyau varie selon le type de la cellule, mais son volume moyen est de 35 @ 3 ; il est donc plus petit qu'un globule rouge et plus gros qu'une plaquette.

Il ne forme pas non plus une masse homogène de matière vivante. En 1882, l'anatomiste allemand Walther Flemming (1843-1905) décrivit en détail les événements qui se déroulaient dans le noyau au moment de la division cellulaire. Il se servit pour cette occasion d'une teinture rouge qui lui permit de colorer quelques-uns seulement des objets présents dans le noyau.

Les objets qui se colorèrent en rouge reçurent le nom de chromosomes ( corps colorés ); il était évident qu'ils tenaient le rôle le plus important au cours de la division cellulaire. Chaque chromosome se partageait en deux avant même la division, puis l'ensemble des chromosomes se séparait pour que chaque cellule-fille reç˚t un jeu complet de chromosomes.

Les chromosomes existent par paire au sein de chaque cellule. quand l'organisme de la femme forme un ovule, cet ovule ne détient que la moitié de tous les chromosomes en n'en abritant qu'un de chaque paire. Il en va de même pour chacun des spermatozdides formés par le corps de l'homme.

Dans la reproduction sexuée, chez les hommes comme chez les animaux, un spermatozdide masculin s'unit à un ovule féminin. L' ovule fertilisé qui en résulte possède un demi-jeu de chromosomes issu du père et un demi-jeu issu de la mère. Les deux demi-jeux se combinent et l'ovule fertilisé

se développe pour former un organisme qui hérite un certain nombre de caractéristiques paternelles et un certain nombre de caractéristiques maternelles.

L'ovule se d fférencie du spermatozdide en ce qu'il comporte, en plus d'un demi-jeu de chromosomes, une certaine quantité de nourriture destinée à l'embryon pendant la période qui préc@ède la formation du placenta. Le spermatozdide ne possèdc@ pas grand-chose en dehors de son demi-jeu de chromosomes. Il lui faut seulement se servir de sa 343

LA CONqUETE DU SAVOIR

longue queue - qui lui donné l'aspect d'un têtard pour

- ctue d s è

apporter Son demi jeu à l'ovule. La fécondation s'effe que le spermatozoãde est entré dans J'ovule.

Le spermatozoãde est une cellule très petite, puisqu'elle ne Possède qu'un demi-noyau. Son volume n'est que de 17

il 3 est donc près de cinq fois plus petit qu'un globule rouge. Il est plus gros qu'une n aquette, mais c'est tout de même la plus petite cellule véritable du corps humain - alors que l'Ovule en est la plus grosse cellule.

L'ovule humain est 82 000 fois plus gros que le spermatozoãde; le rapport de taille qui les unit est le même que celui existant entre un homme et une masse de quarante baleines bleues.

On pourrait croire avoir atteint avec les spermatozoãdes et les Plaquettes l'horizon de l'infiniment petit. Il n'en est rien, loin de là!

En 1683, Leeuwenhoek effectuait des observations dans l'un de ses @croscopes à lentille unique quand il découvrit des objets situés à la limite de sa p pre vision. Il les décrivit ro

et en fit des croquis. Il ne savait pas de quoi il s'agissait mais, par la suite, les microbiologistes qui étudièrent ses croquis comprirent qu'il avait vu des bactéries . Il fallut attendre un si cle pour que le biol

è ogiste danois Otto Frederik MÅller (1730-1784) en observe avec Plus de netteté gr‚ce à un microscope plus perfectionné.

Les bactéries étaient difficiles à observer parce que les lentilles des microscopes formaient un spectre lumineux semblable à un arc-en-ciel lorsqu'ils grossissaient de petits objets. Ces objets étaient entourés d'un halo coloré; plus ils étaient petits, et plus le halo semblait important; le halo entourant les bactéries était si grand qu'il était pratiquement impossible de les distinguer.

En 1830, un opticien anglais, joseph Iackson Lister (1 786-1 869), conçut une lentille qui ne formait pas de spectre et permettait donc de voir les petits objets sans qu'ils fussent entourés d'un halo coloré. Cette invention permit d'entrePrendre une véritable étude des bactéries.

L'intérêt pour ces n˘nuscules formes de vie n'était 344

cependant pas LES HORIZONS DE LA MATIERE

très fort - du moins jusqu'aux travaux du chimiste Louis Pasteur (1822-1895). Il s'intéressait en 1865 à

une maladie du ver à soie qui menaçait deanéantir toute l'industrie française de la soierie, quand il décela chez les vers malades de minuscules bactéries qui n'existaient pas chez les vers sains. Il comprit que ces petits parasites pouvaient être à

0 gu ir l'origine de la maladie infectieuse; pour Prévenir u ér une telle maladie, il fallait donc empêcher le parasite de s'implanter ou le détruire après qu'il se fut installé dans le ver.

Sa théorie des germes - germe étant un nom donné à n'importe quelle minuscule forme de vie, telle que la bactérie - constitua certainement le plus important progrès individuel de toute l'histoire de la médecine, puisqu'elle permit de doubler l'espérance de vie des êtres humains en moins d'un siècle. Elle pern˘t aussi de relancer l'intérêt pour les bactéries.

Le botaniste allemand Ferdinand Julius Colin (1828-1898) se mit à I'oeuvre et fut le premier à faire de la bactériologie une branche à part entière de la connaissance. En 1872, il publia un traité en trois volumes qu'on peut considérer comme le fondement de cette science.

L'étude des bactéries repoussa l'horizon de l'infiniment petit. La plus grande bactérie connue a un volume de 71t 3

seulement; elle n'est donc pas plus grande qu'une plaquette et plus de deux fois plus petite qu'un spermatozoãde.

Les plus petites bactéries connues sont vraiment minuscules. Découvert dans des cultures en 1936, le pneumocoque est une petite sphère de 0, 1 it de diamètre. Son volume n'est que de O@005 it 3.

Cela signifie que la plus petite bactérie est 1400 fois InOins volumineuse que la plus grande bactérie et 3 500 fois moins volumineuse qu'un spermatozoãde humain.

Le pneumocoque serait donc le plus petit organisme individuel au monde, la plus infime forme de vie capable de vivre et de se reproduire par ses propres moyens (en supposant, bien évidemment qu'elle trouve un environne-

'nent favorable à sa nutrition). Les pneumocoques sont les LA CONqUETE DU SAVOIR

plus petites cellules abritant les mécanismes chimiques nécessaires à la vie.

La masse de ces infimes cellules est estimée à

io-15 grammes, ou un quadrillionième de gramme. Il en faudrait donc plus de 70 milliards de milliards pour arriver à

la masse d'un homme adulte.

Virus

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le pneumocoque ne constitue pas le seuil de l'infiniment petit.

Il existe un certain nombre de maladies infectieuses auxquelles les savants n'avaient pas réussi à associer un parasite microscopique. La théorie des germes était peut-être erronée, mais peut-être les parasites étaient-ils présents quoique invisibles. Peut-être étaient-ils si petits qu'ils échap-paient aux meilleurs microscopes de l'époque. Pasteur lui-même croyait en cette hypothèse du trop petit .

En 1892, le botaniste russe Dimitri Ivanovski (1864-1920) travaillait sur une maladie des plants de tabac, la mosa7ique du tabac , dont un des symptômes était une marbrure des feuilles. En broyant une feuille malade et en en répandant le jus sur un pied sain, le pied présentait bientôt les mêmes symptômes.

Ivanovski fit passer le jus d'une feuille infectée dans un filtre si fin qu'il pouvait retenir les plus infimes bactéries : le jus obtenu était tout aussi infectieux. La même expérience fut reprise en 1895 - sans qu'il y e˚t de rapports entre les deux hommes - par le botaniste hollandais Martinus Willem Beijerinck (1851-1931). Il donna à l'agent infectieux le nom de virus (mot latin signifiant poison ), ne sachant comment l'appeler autrement.

En 1931, le bactériologiste anglais William joseph Elford (1900-1952) utilisa un filtre encore plus fin et parvint 1

ainsi à localiser l'agent infectieux. Le virus incriminé était une particule (présumée vivante) légèrement plus petite que la plus petite bactérie.

Le biochimiste américain Wendell Meredith Stanley 346

LES HORIZONS DE LA MATIERE

(1904-1971) travailla en 1935 sur une grande quantité de jus tiré de feuilles malades, réussit à en ôter toute impureté, à

l'exception du virus, puis à le cristalliser. Il obtint une masse de cristaux semblables à de fines aiguilles, les isola, et vit qu'ils possédaient toutes les propriétés infectieuses du virus, quoique de façon extrêmement concentrée.

Entre-temps, un nouveau type de microscope avait vu le jour. Les microscopes ordinaires grossissent les objets en déviant la lumière. Ils ne peuvent fonctionner que lorsque les objets en question sont plus grands que les ondes lumineuses.

Dans le cas contraire, les ondes lumineuses butent littéralement dessus. Les ondes lumineuses sont très petites mais, quand on étudie de très petites bactéries, les ondes sont déjà

trop grandes pour qu'on obtienne des résultats satisfaisants.

Les électrons sont d'infimes particules sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir dans un chapitre ultérieur.

En 1927, le physicien américain Clinton joseph Davisson (1881-1958) montra que les électrons, qui se comportaient habituellement comme des particules, pouvaient aussi se comporter comme des ondes. Ces ondes étaient bien plus courtes que les ondes lumineuses et pouvaient donc servir à

voir des objets bien plus petits que ceux observés à la lumière normale.

Les ondes des électrons ne font pas partie du spectre électromagnétique et ne peuvent donc être manipulées de la même façon. Les ondes lumineuses peuvent être incurvées à

l'aide de lentilles, mais les ondes des électrons, assoclees a une particule chargée électriquement, peuvent être incurvées grace à des champs électromagnétiques. C'est à partir de ce principe que le physicien américain d'origine russe Vladimir Kosma Zworykin (1889- ) inventa le microscope électronique ; en 1939, il eut ainsi à sa disposition un instrument capable de révéler des objets cinquante fois plus petits que ceux vus dans les meilleurs microscopes traditionnels.

Le microscope électronique permit pour la première fois de voir les virus étudiés, mais il s'éleva une controverse très vive quant à leur caractère vivant.

Il était évident que les virus ne possédaient pas toutes les 347

LA CONqUETE DU SAVOIR

caractéristiques chimiques nécessaires à la vie autonome. Ils reussissaient cependant à pénétrer dans une cellule puis à

utiliser à leurs propres fins les mécanismes de ladite cellule.

Ils pouvaient se multiplier au sein de la cellule, à son détriment, bien entendu, et finissaient parfois par la détruire.

C'était une forme de parasitisme bien plus aiguâ que toutes celles rencontrées jusqu'alors par les biologistes, mais pouvait-on vraiment parler de vie ?

La cristallisation des virus par Stanley n'allait pas dans le sens d'une vie virale, puisque les cristaux étaient associés aux substances chimiques et non pas aux organismes vivants.

Cependant, les virus étaient si petits qu'on pouvait les considérer comme des organismes vivants qui, d'une certaine façon, se comportaient comme des substances chimiques.

La décision cruciale fut prise lorsque les savants reconnurent le rôle fondamental joué chez tous les organismes vivants par les acides nucléiques, et en particulier par l' acide déoxyribonucléique , habituellement connu sous le nom d' ADN . Cette reconnaissance résulta en 1944 des travaux d'un physicien canadien, Oswald Theodore Avery (1877-1955), et en 1953 des recherches du biochimiste anglais Francis H. C. Crick (1916- ) et du biochimiste américain James Dewey Watson (1928- ).

Crick et Watson montrèrent que l'ADN constituait le principal type de molécules présent dans les chromosomes et qu'il contrôlait la production de protéines des cellules et des tissus. Il contrôle également la façon dont les cellules-filles héritent les propriétés des cellules-mères au cours de la division cellulaire, et la façon dont les parents héritent de leurs parents au cours de la reproduction. L'unité chromoso-

mique qui contrôle la fabrication d'une variété de protéine donnée porte le nom de gène .

Il s'avéra que tous les virus consistaient en acides nucléiques entourés d'une enveloppe de protéine. Les virus les plus gros et les plus complexes contiennent de l'ADN.

Les plus petits et les plus simples possèdent une variété

d'acide nucléique légèrement différente appelée acide ribonucléique , ou ARN . A titre d'exemple, le virus de la 348

LES HORIZONS DE LA MATIERE

rnosiique du tabac contient de l'ARN. On peut concevoir un virus sous la forme d'un gène, ou d'un groupe de gènes, capable de s'infiltrer dans une cellule avant d'y exercer tout contrôle à la place des propres gènes de la cellule.

Il est préférable d'utiliser une nouvelle unité de mesure, le nanomètre cubique , pour parler du volume d'une particule virale. Un nanomètre (en abréviation, 1 nm) est égal à un millième de micron; 1 I= 1 vaut donc un milliardième de micron cube. Par exemple, le volume du pneumocoque est de 0,005 @cromètre cube; il vaut donc 5 millions de nanomètres cubes.

Certains virus sont toutefois si grands qu'ils dépassent en taille les bactéries. On peut citer les rickettsies , qui furent identifiées pour la première fois en 1906 par le physicien américain Howard Taylor Ricketts (1871-1910).

Les rickettsies sont assez grosses pour être vues au microscope optique; leur volume peut être dix fois plus important que celui des plus petites bactéries. Mais il leur manque au moins une composante chimique vitale, de sorte qu'elles ne peuvent se multiplier qu'au sein d'une cellule, ce qui est le cas de tous les virus.

La rickettsie est à l'origîne de maladies telles que la fièvre des Rocheuses et divers types de typhus. (Ces maladies sont regroupées sous le nom de rickettsioses.) Le volume de la rickettsie responsable de la fièvre typhoãde est de 54 millions de nanomètres cubes.

Le volume du virus grippal, par exemple, est de 800000 nanomètres cubes; il est donc près de six fois plus petit que la plus petite bactérie. Le volume du virus de la mosdique du tabac est de 50 000 nanomètres cubes, soit cent fois moins que la plus petite bactérie. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'il échapp‚t aux filtres d'Ivanovski. Le volume d'un gène moyen est de 40000 nanomètres cubes.

Le plus petit virus connu est à l'origine d'une maladie du tubercule de la pomme de terre. Son volume peut n'être que de 200 nanomètres cubes. Il est alors 2 500 fois moins volumineux que la plus petite bactérie, et sa masse n'est que de 8 x 10-19 grammes.

349

LA CONqUETE DU SAVOIR

La diversité des formes de vie présentes sur Terre est prodigieuse. Il faudrait 2,5 x 10 21 virus de la pomme de terre (deux et demi milliards de milliards de milliards) pour obtenir la masse d'un séquoia géant. Malgré cela, le minuscule virus est aussi vivant que l'énorme séquoia.

Nous n'avons pas pour autant atteint les limites de l'infiniment petit, car le virus se compose d'objets encore plus petits; et à l'époque o˘ les hommes réussirent à étudier les virus et à déterminer leur taille, l'horizon de la matière avait déjà été repoussé encore plus loin.

xix

L'atome, et au-delà

Divisibilité de la matière Les anciens Grecs se demandèrent souvent jusqu'o˘ il

était possible d'aller dans la division d'un objet. Une poterie

pouvait être facilement brisée, les éclats pouvaient être

écrasés, jusqu'à ce qu'on obtînt finalement une poudre très

fine. Cette poudre ne pouvait-elle être encore affinée ?

N'était-il pas possible de répéter indéfiniment l'opération ? A

moins qu'il n'exist‚t un objet si petit - fragment de poterie

ou autre - qu'on ne p˚t le diviser.

Les philosophes qui penchaient pour l'une ou l'autre

solution ne s'appuyaient sur aucune expérimentation pratique. Ils raisonnaient de manière logique, à partir d'une

donnée fondamentale.

Bien entendu, on aboutit invariablement à des conclusions différentes quand on prend pour base de départ des

hypothèses totalement opposées.

L'une ou l'autre conclusion

n'étant absolument pas vérifiable, il est impossible de

'Vraiment trancher. En fait, on choisit la solution qui convient

le mieux, intellectuellement parlant.

351

LA CONqUETE DU SAVOIR

En règle générale, les philosophes grecs les plus influents optèrent pour l'hypothèse de la divisibilité infinie et l'absence d'une ultime particule.

Le premier homme favorable à l'hypothèse de la particule ultime dont nous ayons retenu le nom est le philosophe grec Leucippe. Il soutint cette thèse vers 450 av. J.-C. Il semble également avoir été le premier à établir la règle de causalité , pour laquelle tout événement a une cause naturelle. Cette règle élimine toute influence magique ou surnatu-relle.

Le disciple de Leucippe, Démocrite (460-370 av. J. -C.), est plus connu que son maître. Démocrite pensait que la matière, quelle qu'elle soit, consistait en particules si infiniment petites que la matière paraissait continue. Pour lui, ces particules étaient si infimes qu'il était impossible d'imaginer quelque chose de plus petit. Comme il croyait que ces particules étaient indivisibles, il leur donna le nom d'atomos ( indivisible , en grec). C'est pour cela que nous parlons d' atomes en français.

Toujours selon Démocrite, les atomes étaient éternels, immuables et indestructibles; rien n'existait en dehors d'eux.

Ils existaient sous diverses formes et les différents objets étaient le résultat de combinaisons d'atomes. Les objets que nous connaissons diffèrent les uns des autres parce que les combinaisons d'atomes qui les composent sont différentes.

Démocrite était ainsi très proche de la pensée moderne, mais il lui était impossible d'apporter une quelconque démonstration, de sorte que ses idées furent rejetées.

Démocrite est censé avoir composé 72 ouvrages, mais ses théories n'étaient pas assez populaires pour que les scribes en exécutent de nombreuses copies. Aucun texte ne tous est parvenu, et nous ne connaissons la pensée de Démocrite que par les écrits de philosophes ultérieurs - des adversaires, pour la plupart.

Malgré tout, l' atomisme de Leucippe et de Démo-

crite ne disparut jamais complètement. Il y eut toujours quelques philosophes pour reprendre à leur compte cette thèse minoritaire.

352

LES HORIZONS DE LA MATIERE

Le plus important de tous s'appelait Epicure (341-270

av J. -C.) ; il fonda une école de philosophie très populaire et une doctrine qui porte aujourd'hui le nom d' épicurisme .

Sa vision atomiste de l'univers fut transmise à ses disciples.

Malheureusement, nous ne possédons aucun des 300 ouvrages qu'il rédigea tout au long de sa vie.

L'écrivain romain Titus Lucretius Carus, ou Lucrèce (98-55 av. J.-C.) était épicurien. Il publia en 56 av. J.-C. un ouvrage intitulé De natura rerum ( De la nature ), o˘ il décrivait l'univers en termes atomistes. Pour lui, l'esprit et l'‚me se composaient d'atomes; et les dieux, s'ils existaient, étaient également constitués d'atomes.

L'ouvrage unique de Lucrèce ne lui survécut pas. Du moins, on n'en connut pas de copie pendant tout le Moyen Age, et les seules références émanaient de livres écrits par d'autres auteurs. Ce n'est qu'en 1417 qu'un manuscrit fut découvert, puis recopié, avant de rencontrer un certain succès.

En 1954, l'inventeur allemand johannes Gutenberg (1398-1468) inventa les caractères d'imprimerie mobiles; il fut alors très facile de tirer de nombreuses copies parfaitement identiques d'un même texte. Depuis ce jour, aucun livre n'a été totalement perdu, quelle que f˚t son importance.

L'ouvrage de Lucrèce fut l'un des premiers livres imprimes, permettant ainsi la survie de l'atomisme de Lucrèce.

Ce livre influença de nombreuses personnes, qui adoptèrent les théories atomistes grecques. On peut citer parmi elles le philosophe Pierre Gassendi (1592-1655), dont les écrits influencèrent à leur tour le physicien et chimiste irlandais Robert Boyle (1627-1691). Depuis l'époque de Leucippe, vingt et un siècles s'étaient écoulés; l'atomisme allait enfin pouvoir être étudié à la lumière de l'expérimentation.

Boyle s'intéressa à l'air, bien moins dense que les liquides ou les solides, tels que l'eau ou la roche. Un volume donné d'air possède une masse 750 fois inférieure à celle d'un même volume d'eau, et 2 000 fois inférieure à celle d'un volume identique de roche.

353

LA CONqUETE DU SAVOIR

Pour la philosophie atomiste, deux possibilités expli-quaient cette différence de densité. Soit les atomes d'air sont eux-mêmes moins denses que les atomes d'eau ou de roche, soit les atomes d'air sont aussi denses mais plus clairsemés que les atomes d'eau ou de roche (les deux hypothèses n'étant d'ailleurs pas incompatibles).

Prenons le cas o˘ les atomes des liquides et des solides sont en contact étroit les uns avec les autres, alors que les atomes d'air sont très éloignés et séparés par du néant ; on comprend alors pourquoi l'air est bien moins dense que les autres substances. Dans un tel cas, les atomes d'eau ou de roche sont si proches les uns des autres qu'il doit être difficile de les serrer (de les comprimer ) pour qu'ils aient un volume moindre. En revanche,l'air pourrait être facilement comprimé, puisque ses atomes sont plus distants. L'air pourrait être pressé comme une éponge, et pour les mêmes raisons. (Cette éventualité avait été envisagée vers 60 av.

J.-C. par un Grec ingénieux nommé Héron.)

Boyle tenta l'expérience en 1662. Il utilisa pour cela un tube en verre en forme de J, scellé à la partie inférieure. Il versa dans l'embouchure du mercure qui se déposa au fon , retenant ainsi prisonnier une certaine quantité d'air. Il continua à verser du mercure, et ce poids supplémentaire comprima l'air prisonnier. La même chose ne pouvant se produire avec les solides ou les liquides, Boyle avait là un argument de poids en faveur de l'atomisme.

Naturellement, on pourrait dire que cette conclusion ne concerne que la composition atomistique de l'air et des autres gaz. Les liquides et les solides pourraient avoir une structure continue. Cependant, l'eau peut facilement bouillir quand elle est convenablement chauffée, ou même s'évaporer à une température tout à fait ordinaire ; dans les deux cas, elle se change en vapeur d'eau, qui est un gaz, et peut être facilement comprimée. De nombreuses substances liquides ou solides peuvent se retrouver sous forme de vapeurs. Par conséquent, admettre que les gaz sont constitués d'atomes revient à admettre que toutes les substances se composent probablement d'atomes.

354

LES HORIZONS DE LA MATIERE

Il se pourrait, bien entendu, que les substances se divisent en particules minuscules, mais que leur taille Soit Si variable que cela n'aurait pas vraiment de sens. L'évaporation et l'ébullition pourraient briser une substance - au sens o˘ un marteau brise une roche - et les particules ainsi formées pourraient se briser à nouveau pour former des fragments encore plus petits.

Cette hypothèse fut définitivement repousses grace aux travaux du chimiste joseph-Louis Proust (1754-1826).

Proust démontra en 1799 qu'une substance appelée carbonate de cuivre se composait de cuivre, de carbone et d'oxygène, et que le poids de ces différents éléments se retrouvait toujours dans les mêmes proportions. Préparé en laboratoire ou extrait de la roche, 10 grammes de carbonate de cuivre contenaient toujours 5 grammes de cuivre, 4 grammes d'oxygène et 1 gramme de carbone.

Proust démontra ensuite que la même situation se retrouvait dans un certain nombre de substances. Il en tira la conclusion que tous les composés (substances constituées de différents types d'atomes) renfermaient des éléments (sub-

ées d'un type unique d'atomes) répartis selon stances constitu

certaines proportions bien définies. C'est ainsi qu'il inventa la loi des proportions définies .

Si la matière était continue et pouvait se briser pour former des fragments de n'importe quelle taille, il semblerait normal que différents éléments se combinent dans des proportions tout à fait variables - de même que le sucre en poudre et le chocolat en poudre peuvent se mélanger dans des proportions qui ne dépendent que du go˚t du consomma-teur. La loi des proportions définies impliquerait donc que chaque élément se compose de certaines particules fonda-entales de taille parfa

rn itement définie, qui ne peuvent se combiner que selon certains rapports mathématiques très précis. Ces particules fondamentales pourraient fort bien être les atomes imaginés par Leucippe et Démocrite.

355

I,A CONqUETE DU SAVOIR

Poids atomiques

C'est à partir des découvertes de Proust et d'autres observations allant toutes dans le sens de l'atomisme que le chimiste anglais john Dalton (1766-1844) formula dès 1803

une théorie atomique de la matière . Il reconnut sa dette envers les philosophes grecs en donnant le nom d' atomes aux particules ultimes.

Selon lui, tous les atomes d'un élément donné étaient identiques, et les atomes d'un élément particulier différaient des atomes d'un autre élément. C'était là la théorie de Démocrite, mais Dalton alla encore plus loin en soutenant que les atomes différaient de par leur masse et que ces masses relatives pouvaient être mesurées. Il émit également quelques hypothèses quant à la façon dont certains atomes étaient reliés les uns aux autres.

Les chiffres accordés par Dalton aux poids atomiques n'étaient pas très précis. C'est ainsi qu'il appela les masses relatives, même si le terme masse atomique e˚t été

plus juste. Les premiers poids atomiques assez précis furent connus dès 1828, gr‚ce aux analyses effectuées sur divers composés par le chimiste suédois Jôns Jakob Berzelius (1779-1848).

Berzelius prit pour unité de base la masse de l'atome d'oxygène, à qui il accorda le chiffre 16. Selon cette échelle, le poids atomique du soufre est de 32. Cela signifie que I l'atome de soufre est deux fois plus massif que l'atome d'oxygène.

Certains atomes sont encore plus massifs. Le plus massif de tous les atomes qu'on puisse trouver en quantités raisonnables dans la nature est l'atome d'uranium. Son poids atomique est de 238, de sorte que l'atome d'uranium est près de quinze fois plus massif que l'atome d'oxygène. Au cours des dernières années, on a pu fabriquer en laboratoire des atomes dont le poids atomique atteint le chiffre de 260.

Il existe aussi des atomes dont le poids atomique est inférieur à celui de l'oxygène. Le poids atomique de l'azote 356

LES HORIZONS DE LA MATIERE

est de 14, celui du carbone, 12. Le plus petit poids atomique est celui de l'atome d'hydrogène, puisqu'il ne vaut que 1 sur l'échelle imaginée par Berzelius.

On peut maintenant se demander quelle est la taille des atomes en unités ordinaires de masse et de volume.

Cela ne nous apporte pas grand-chose de conneitre la masse relative. On sait, par exemple, que l'atome de soufre est deux fois plus massif que l'atome d'oxygène, mais cela ne igne absolument pas sur la masse en grammes ou la nous rense

taille en mètres de l'un ou l'autre de ces atomes.

La solution de ce problème fut entrevue dès 181 1, quand le physicien italien Amadeo Avogadro (1776-1856) laissa entendre que des volumes similaires de gaz différents contenaient exactement le même nombre de particules de matière. En clair, un gaz est trois fois plus dense qu'un autre gaz parce que les particules individuelles constituant le premier gaz sont trois fois plus massives que celles qui composent le second gaz. L' hypothèse d'Avogadro pourrait alors servir à déterminer le poids atomique à partir des densités relatives.

Cette hypothèse fut tout d'abord rejetée, parce que mal comprise. Les chimistes ne parvenaient pas à comprendre que les particules composant un gaz n'étaient pas nécessairement des atomes individuels. Il pouvait s'agir de groupements plus ou moins permanents de deux ou trois atomes.

Ces groupements reçurent le nom de molécules . Ainsi, le gaz oxygène se compose de molécules d'oxygène, constituées chacune de deux atomes d'oxygène, alors que la vapeur d'eau se compose de molécules d'eau constituées chacune de trois atomes, deux d'hydrogène et un d'oxygène.

Cela signifie que, même si des volumes égaux d'oxygène et de vapeur d'eau comptent le même nombre de particules (de molécules!), le nombre total des atomes présents dans le volume d'oxygène n'est que les deux tiers du nombre des atomes présents dans le volume de vapeur d'eau.

Il fallut attendre 1860 pour que la question soit définitivement tranchée. C'est au cours d'une conférence réunissant pour la première fois des chimistes du monde entier que 357

LA CONqUETE DU SAVOIR

l'Italien Stanislao Cannizzaro (1826-1910) expliqua avec beaucoup de clarté la différence entre atomes et molécules et montra comment utiliser avec succès l'hypothèse d'Avogadro.

Le poids atomique de l'oxygène étant de 16, les chimistes commencèrent à dire que le poids moléculaire de l'oxygène était de 32, puisque chaque molécule d'oxygène abritait deux atomes d'oxygène. De même, le poids moléculaire de l'eau est de 18, puisque l'eau se compose d'un atome d'oxygène (poids atomique, 16) et de deux atomes d'hydrogène (poids atomique, 1).

On ne sait peut-être pas quelle est la masse d'une molécule d'oxygène, mais on sait qu'un certain nombre

,I@

(appelé N) de molécules d'oxygène pèse 32 grammes. Le même nombre de molécules d'eau pèserait alors 18 grammes, puisque la masse relative d'une molécule d'eau par rapport à

une molécule d'oxygène est de 18 contre 32. En fait, le même nombre de molécules de n'importe quelle sorte aurait une masse de x grammes, si x était le poids moléculaire de ces molécules.

Cette constatation étant une conséquence directe de l'hypothèse d'Avogadro, le nombre N fut appelé nombre d'Avogadro .

Il faut alors se demander quelle est la valeur du nombre d'Avogadro. Une fois cette valeur déterminée, nous pourrons connaître la masse d'une molécule individuelle, puis des atomes individuels constituant cette molécule.

Il n'est malheureusement pas facile de répondre à cette question. En tout cas, les chimistes de l'époque étaient tous persuadés que ce nombre était très élevé.

Taille des atomes

Un premier élément de réponse fut apporté en 1827

quand Robert Brown (qui devait découvrir par la suite le noyau de la cellule) étudia au microscope des grains de pollen en suspension dans de l'eau. Il remarqua que les grains se 358

LES HORIZONS DE LA MATIERE

déplaçaient individuellement de manière irrégulière. C'était pour lui la conséquence de la vie cachée au sein de chaque grain de pollen. Cependant, quand il étudia des particules de teinture de la même taille également en suspension dans de l'eau, il constata les mêmes mouvements erratiques en dépit du fait que ces particules n'étaient certainement pas vivantes.

Ce phénomène reçut le nom de mouvement brownien et demeura très mystérieux pendant plusieurs décennies.

En 1860, le mathématicien écossais James Clerk Maxwell (1831-1879) effectua une analyse approfondie des propriétés des gaz en partant du principe qu'ils étaient tous constitués d'atomes et de molécules se déplaçant à vive allure mais de façon tout à fait désordonnée. Ce postulat de base expliquait parfaitement les propriétés des gaz, et sa théorie cinétique des gaz fut rapidement acceptée.

Il était évident que les atomes ou les molécules des liquides et des solides ne pouvaient se mouvoir avec autant de frénésie que dans les gaz, mais il devait cependant exister un certain mouvem ent. Dans les liquides, les atomes ou les molécules devaient se dépasser sans cesse comme les membres d'une foule; dans les solides, ils devaient vibrer sur place comme des soldats en formation.

Cela étant admis, il n'était plus très difficile de comprendre le mouvement brownien. Un objet en suspension dans un liquide serait bousculé de tous côtés par les molécules se mouvant dans ce liquide. Le nombre des molécules venant heurter l'objet étant le même en chaque point, il s'ensuivrait un équilibre tel que l'objet en suspension ne bougerait pas.

Bien s˚r, les lois de la probabilité feraient que le nombre des molécules ne serait pas tout à fait égal à chaque instant, mais que sont quelques unités sur un chiffre pouvant atteindre les milliers de milliards ?

Si l'objet en suspension est très petit, le nombre des molécules d'eau qui viennent le heurter est considérablement réduit, et l'écart prend alors une importance accrue. Avec un objet aussi infime qu'un grain de pollen, il suffit de quelques molécules de plus ou de moins pour que le grain se déplace 359

LA CONqUETE DU SAVOIR

dans un sens ou dans un autre. Il suit alors les mouvements désordonnés observés par Brown. De sorte qu'on se trouve en présence d'un phénomène visible provoqué par le mouvement de quelques atomes ou de quelques molécules.

C'est en 1902 qu'un étudiant en chimie suédois, Theodor Svedberg (1884-1971), proposa cette interprétation du mouvement brownien. Puis ce fut Einstein qui, en 1905 -

année o˘ il publia sa théorie de la relativité restreinte -

s'appuya sur cette interprétation pour faire connaître son analyse mathématique du mouvement brownien. Le nombre d'Avogadro faisait partie de l'équation finale. A supposer que l'on connaisse toutes les autres quantités de l'équation, la "'N@

valeur du nombre d'Avogadro pourrait être déterminée.

Le physicien jean-Baptiste Perrin (1870-1942) imagina une expérience qui lui permettrait de déterminer la valeur des diverses quantités présentes dans l'équation d'Einstein.

En 1908, il mit en suspension dans de l'eau des particules de résine. Soumises à la seule gravité, les particules tomberaient au fond de l'eau. Mais le mouvement brownien les agitait sans cesse et les plaçait à différentes hauteurs.

D'après l'équation d'Einstein, le nombre des particules en suspension devait diminuer selon un certain rythme par rapport à leur éloignement du fond de l'eau. Perrin constata que le nombre était exactement celui qu'Einstein avait annoncé. Ses observations lui permirent de calculer toutes les valeurs présentes dans l'équation d'Einstein, à l'exception du nombre d'Avogadro. Mais ce nombre pouvait désormais être aisément calculé. C'est ce que fit Perrin, qui fut ainsi la première personne à indiquer assez précisément la taille véritable des atomes et des molécules.

La valeur la plus précise que nous ayons aujourd'hui du nombre d'Avogadro est de 6,022 x 1023@ soit un peu plus de six cents milliards de trillions. C'est le nombre de molécules d'oxygène nécessaires à l'obtention d'une masse de 32 grarn-mes; il faut tout autant de molécules d'eau pour obtenir une masse de 18 grammes, et de molécules d'hydrogène (composées chacune de deux atomes d'hydrogène) pour avoir une masse de 2 grammes. Le même nombre d'atomes d'hydro-360

LES HORIZONS DE LA MATIERE

gène - les moins massifs de tous les atomes - aurait ainsi une masse de 1 gramme.

Par conséquent, un atome d'hydrogène pèserait 10-23

1/6,022 x gramme, soit un peu plus d'un trillionième de trillionième de gramme. (Naturellement, les autres atomes pèseraient proportionnellement plus que cela.) Il ne faut donc pas s'étonner si les hommes mirent tant de temps à accepter que la matière se composait d'atomes, et encore plus de temps à calculer leur masse. Mais le résultat est là, et cela seul importe.

Puisque 18 grammes d'eau ont un volume de 18 cm3 et contiennent 6,022 x 1023 molécules d'eau, il est aisé de calculer le volume occupé par une seule molécule d'eau puis, en travaillant sur d'autres substances, de connaître le volume des divers types d'atomes.

En supposant qu'ils aient une orme sphérique, es atomes d'hydrogène, par exemple, auraient un diamètre de 1,35 x 10-10 mètre, soit un peu plus d'un dix milliardième de mètre. Les atomes plus massifs sont un peu plus grands, mais il est probable que l'atome le plus massif ne dépasse pas les 8 x 10-11 mètre de diamètre.

Cela signifie que 450 atomes d'hydrogène peuvent être comprimés dans un nanomètre cube, et que le virus de la maladie de la pomme de terre - la plus petite forme de vie connue - est constitué de quelque 75 000 atomes.

Les électrons

Curieusement, à l'époque même o˘ l'on parvenait à

déterminer la taille et la masse de l'atome d'hydrogène, l'horizon de l'infiniment petit avait encore reculé, gr‚ce aux travaux des chercheurs et des savants.

Les anciens Grecs avaient défini l'atome comme la plus petite particule possible, et les chimistes du X,Xe siècle s'étaient accommodés de cette définition. Toutes les découVertes survenues au cours du siècle qui suivit la théorie atomiste de Dalton semblaient la confirmer. Et l'atome 361

LA CONqUETE DU SAVOIR

d'hydrogène, le plus petit de tous les atomes, passait par conséquent pour la plus infime particule de matière qui p˚t exister.

Les expériences pratiquées sur l'électricité allaient pourtant annoncer de nouveaux progrès. Les savants savaient qu'un courant électrique circulait sans difficulté dans les métaux et les autres conducteurs . Ils savaient également que le courant pouvait traverser des non-conducteurs, à

condition de lui donner une force suffisante. Le courant pouvait, par exemple, traverser l'air et produire un craquement et une étincelle.

Il était donc logique de se demander si un courant électrique pouvait traverser le vide. Or, en 1855, un inventeur allemand nommé Heinrich Geissler (1814-1879) avait conçu une manière nouvelle et plus efficace de chasser l'air des tubes de verre. Il était ainsi parvenu à un vide plus poussé

qui s'avèrerait utile aux savants.

Deux pièces de métal furent scellées dans des tubes de Geissler et le vide fut fait dans la portion intermédiaire. il fit alors passer un courant électrique de l'une des pièces de métal, appelée cathode , à l'autre pièce, appelée anode .

Le physicien allemand Julius PlÅcker (1801-1868) répéta cette expérience en 1858 et remarqua une lueur fluorescente verd‚tre sur la cathode. Un autre physicien allemand, Eugen Goldstein (1850-1931), comprit que cette fluorescence était en fait un rayonnement émis par la cathode; en 1876, il donna à ce phénomène le nom de rayons cathodiques .

Une controverse dura alors près de deux décennies, pour savoir si les rayons cathodiques formaient un rayonnement semblable à la lumière ou s'il s'agissait d'un flot de particules.

En 1895, Perrin (qui devait mesurer par la suite la taille des atomes et des molécules) démontra que, lorsque des rayons cathodiques baignaient un cylindre, celui-ci se chargeait d'électricité négative dont la quantité augmentait avec le temps. On ne pensait pas que les rayonnements du type lumineux étaient capables de porter une charge électrique, et 362

LES HORIZONS DE LA MATIERE

tout se passait comme si les rayons cathodiques étaient constitués de particules.

Les particules des rayons cathodiques semblaient former les particules fondamentales d'électricité, et le physicien hollandais Hendrik Antoon Lorentz (1853-1928) proposa de leur donner le nom d' électrons .

Chargés électriquement, les électrons devaient pouvoir être déviés par d@autres particules pourvues de charge électrique ou encore par des aimants. Le physicien anglais joseph john Thomson (1856-1940) mesura la déviation dans les deux cas, ce qui lui permit en 1897 de déterminer la masse de l'électron. Elle s'avéra extraordinairement petite, puisqu'elle était 1 837 fois plus petite que celle d'un atome d'hydrogène et ne pesait par conséquent que 9,1 x 10-11

grammes.

L'électron ne se manifestait pas que dans le courant électrique. En 1902, le physicien allemand Philipp Lenard (1862-1947) étudia certains effets électriques qui se produisaient dans des métaux sur lesquels tombait un rayon lun˘neux. Il découvrit que la lumière poussait les atomes de métal à rejeter des électrons. Cet effet photo-électrique montrait assez bien que les atomes contenaient également des électrons. De plus, des métaux très différents émettaient des électrons identiques - d'après ce que l'on pouvait en savoir

- et il parut donc logique de croire que les électrons formaient une composante commune à tous les atomes.

Pour les savants, l'atome était l'objet le plus infime dont ils avaient à tenir compte dans leurs expériences; eh bien, cet atome était en réalité un objet complexe, composé d'entités encore plus petites. Les électrons furent ainsi les premières particules subatomiques jamais découvertes.

Le noyau atomique

Entre-temps, la radioactivité avait été découverte en 1896. On comprit très vite que le rayonnement émis par l'uranium appartenait à trois catégories différentes. Les 363

LA CONqUETE DU SAVOIR

rayons furent baptisés rayons alpha , rayons bêta et rayons gamma , du nom des trois premières lettres de l'alphabet grec. Les rayons gamma étaient semblables aux rayons lumineux, à la différence près que leur longueur d'ondes était extrêmement courte. Les rayons bêta étaient des flots très rapides d'électrons.

Les rayons alpha présentaient une innovation. C'étaient des courants de particules bien plus massives que les électrons (plus de 7 000 fois plus massives, en fait, et quatre fois plus massives que l'atome d'hydrogène). Malgré cela, les rayons alpha paraissaient anormalement petits, puisqu'ils pouvaient traverser de fines couches de matière, ce dont les atomes étaient parfaitement incapables.

Le physicien britannique Ernest Rutherford (1871-1937) bombarda de la matière à l'aide de courants de particules alpha. Dès 1906, il découvrit que les particules alpha pouvaient traverser sans encombre une feuille d'or d'un demi-micron d'épaisseur. Elles n'étaient ni arrêtées, ni ralenties, ni même détournées de leur chemin. Bien s˚r, une feuille d'un demi-micron est extraordinairement fine, mais cette épaisseur parvient tout de même à abriter six ou sept atomes d'or. Les particules alpha devaient pourtant passer au travers.

En fait, quelques particules alpha se trouvaient déviées de leur chemin. Très brutalement, même. Et un nombre encore plus réduit de particules alpha rebondissaient dès l'instant o˘ elles frappaient la feuille d'or.

Rutherford fit connaître en 191 1 son interprétation de ce phénomène. Pour lui, un atome se composait d'un noyau minuscule qui contenait pratiquement toute la masse de l'atome mais qui était aussi entouré d'un nuage d'électrons très légers. Les particules alpha traversaient pour la plupart la ceinture d'électrons des atomes qui, en fait, occupait le maximum de volume. Ce faisant, elles n'étaient pas affectées de manière sensible, puisque les électrons sont bien moins massifs qu'elles-mêmes.

En revanche, quelques particules passaient tout près du noyau massif des atomes, de sorte que leur trajectoire s'en 364

LES HORIZONS DE LA MATIERE

trouvait infléchie. Et les particules alpha qui frappaient un noyau de plein fouet rebondissaient comme une vulgaire balle.

On découvrit que le noyau portait une charge électrique positive. En 1914, le physicien anglais Henry Moseley (1887-1915) montra que chaque élément possédait un noyau atomique pourvu d'une charge électrique de grandeur bien particulière. Dans chaque cas, la charge était neutralisée par les électrons chargés négativement de la ceinture.

Ainsi, un atome d'oxygène possède un noyau dont la charge a une valeur de + 8, alors que chacun de ses huit électrons a une charge de - 1. Dans l'atome d'uranium, la charge du noyau est de + 92 ; elle est équilibrée par un cortège de 92 électrons de charge - 1.

Toujours en 1914, Rutherford émit l'hypothèse que le noyau atomique tirait sa charge électrique positive d'un certain nombre de particules ayant toutes une charge égale à

+ 1. Egale à une unité de charge positive, chaque particule reçut le nom de proton . La charge du proton est très exactement égale à celle de la charge de l'électron; seul son signe diffère. Malgré tout, le proton est 1 836 fois plus massif que l'électron.

Le noyau ne contient pas que des protons. En 1932, le physicien anglais james Chadwick (1 891-1974) découvrit une particule sub-atomique à peine plus massive que le proton -

sa masse était en fait 1838 fois plus importante que celle de l'électron. Elle ne portait aucune charge : électriquement neutre, elle reçut le nom de neutron .

Le noyau atomique se compose donc de protons et de neutrons, et chaque type d'atome présente une combinaison différente.

Le nombre des protons présents dans le noyau d'un élément donné est fixe, mais le nombre des neutrons peut varier de façon très légère. Chaque nombre de neutrons produit une variété (un isotope ) de l'élément. Ainsi, tous les atomes d'oxygène ont 8 protons; la grande majorité a également 8 neutrons, ils forment donc un isotope de l'oxygène appelé oxygène 16 . Le chiffre 16 indique le 365

LA CONqUETE DU SAVOIR

nombre total de neutrons et de protons. Cependant, quelques atomes d'oxygène possèdent neuf, voire dix neutrons; on se trouve alors en présence d' oxygène 17 et d' oxygene 18 . Le plus petit noyau est celui de l'hydrogène, puisque sa charge n'est que de + 1. La majeure partie des noyaux d'hydrogène ne contient en tout et pour tout qu'un proton.

On parle alors d' hydrogène 1 . Mais le noyau des atomes d'hydrogène peut aussi abriter un, voire deux neutrons.

Dans ce cas, les isotopes sont appelés hydrogène 2 et hydrogène 3 .

è esse Le probl me est infiniment délicat quand on s'intér à la taille des particules subatomiques. Toutes les particules présentent des propriétés ondulatoires (c'est-à-dire qui ont les caractères d'une onde) : moins la particule est massive et plus l'aspect ondulatoire est prononcé. La masse de l'électron est si petite qu'il est difficile de parler de sa taille ; il se présente plutôt sous la forme d'une onde très étendue.

En revanche, les protons et les neutrons sont assez massifs pour appareitre sous forme de particules; chacune d'elles mesure dans les 2,5 x 10-11 mètre de diamètre (soit 2,5

quatrillionièmes de mètre). Les noyaux les plus complexes sont un peu plus grands que les autres, puisqu'ils enferment un nombre plus élevé de protons et de neutrons. Le noyau naturel le plus grand est celui de l'uranium 238. Il comporte 92 protons et 146 neutrons. Son diamètre est de 1,55 x 10-"

mètre; il est donc 6,2 fois plus large qu'un proton.

Le diamètre du noyau d'un atome est environ cent mille fois plus petit que l'atome dont il fait partie. Si l'atome était une sphère creuse, on pourrait y enfermer 1015 (un quatrillion) de noyaux.

Les neutrinos

Même le proton et le neutron ne représentent pas les limites de l'infiniment petit. En 1953, le physicien américain Murray Gell-Mann (1929- ) suggéra que le proton et le 366

LES HORIZONS DE LA MATIERE

neutron étaient constitués de trois particules tout à fait fondamentales appelées quarks . Malheureusement, nous ne pouvons aller plus loin que le proton et le neutron en ce qui concerne le volume; il perdrait alors toute signification.

Pour ce qui est de la masse, c'est l'électron, avec ses 9@l X 10-28 grammes, qui est le plus proche de l'horizon ultime. En fait, l'électron est la moins massive de toutes les particules électriques, et on a longtemps cru atteindre avec lui l'horizon de l'itifiniment petit.

Certaines particul s sont, en réalité, moins massives que l'électron, mais elles sont dépourvues de charge électrique.

De plus, on les soupçonne d'avoir une masse égale à zéro; il est alors difficile de parler de particules de matière.

Ces particules de masse zéro se répartissent en trois catégories : les photons, particules fondamentales de la lumière et des rayonnements assimilés; les gravitons, qu'on pense être les particules fondamentales des interactions gravitationnelles, mais que l'on n'a pas encore détectés ; et les neutrinos.

Il semblerait que les neutrinos soient, de ces trois types de Particules, les plus proches de l'idée de rien . Les photons et les gravitons jouent un rôle sur la matière; pas les neutrinos. Ils traversent la matière comme si elle n'existait pas. Un faisceau de neutrinos peut traverser le Soleil sans subir la moindre modification. Bien s˚r, il se peut qu'un neutrino sur plusieurs milliers de @lliards heurte un noyau de plein fouet et provoque ainsi une interaction, mais cela ne va jamais beaucoup plus loin.

C'est pour des raisons purement théoriques que le physicien autrichien Wolfgang Pauli (1900-1958) imagina l'existence du neutrino en 193 1. Il était extrêmement difficile de déceler un objet dépourvu de masse, de charge et de tendances à l'interaction. Il fallut donc attendre 1956 pour que le neutrino f˚t détecté par le physicien américain Frederick Reines (1918- ).

En 1980, cependant, des expériences menées aux Etats-Unis et en Union soviétique ont permis de penser que la masse d'un neutrino ne serait pas vraiment égale à zéro. Elle 367

LA CONqUETE DU SAVOIR

serait 13 000 fois plus petite que celle d'un électron, donc 23 millions de fois plus petite que celle d'un proton.

Si ces chiffres sont exacts, le neutrino se situerait à

l'horizon extrême de la masse, avec 7 x 10-23 grammes, soit sept cent millionièmes de trillionième de trillionième de gramme.