LA CANE AUX ŒUFS D’OR

 

Même si je le voulais, je ne pourrais vous dire mon nom et, compte tenu des circonstances, je ne le veux pas.

Comme je n’ai pas la plume facile, j’ai demandé à Isaac Asimov de la tenir à ma place. Plusieurs raisons m’ont guidé dans ce choix. En premier lieu, Isaac Asimov est biochimiste et il comprend ce que j’ai à dire. En partie, tout au moins. Ensuite, il sait écrire. En tout cas, il a publié un nombre considérable de romans. Quoique, naturellement, ce soient là deux choses sans rapport entre elles.

Je ne fus pas le premier à avoir l’honneur de rencontrer La Cane. Elle appartient à un fermier texan qui cultive le coton, Ian Angus MacGregor. C’est-à-dire qu’elle lui appartenait avant que le gouvernement ne l’eût réquisitionnée.

Au cours de l’été 1955, il avait envoyé une bonne douzaine de lettres au ministère de l’Agriculture pour réclamer des renseignements sur l’incubation des œufs de cane. On lui avait expédié toutes les brochures disponibles touchant de près ou de loin au sujet mais les missives de MacGregor devenaient de plus en plus véhémentes et ses allusions à son « ami » le sénateur du Texas de plus en plus insistantes.

Si j’ai été mêlé à cette affaire, c’est pour la bonne raison que je suis fonctionnaire au ministère de l’Agriculture. Comme je devais participer à un congrès à San Antonio en juillet 1955, mon patron me demanda de passer chez MacGregor afin de voir ce que je pourrais faire pour lui rendre service. Nous sommes les serviteurs du public. En outre, nous avions finalement reçu une lettre du fameux sénateur.

Je fis connaissance avec La Cane le 17 juillet 1955.

J’avais d’abord rencontré MacGregor, un grand gaillard d’une cinquantaine d’années au visage plein de rides et de méfiance. Je récapitulai toutes les informations que nous lui avions données, puis lui demandai poliment si je pouvais voir ses canes.

— C’est pas des canes, mon bon monsieur, y en a qu’une seule, me répondit-il.

— Puis-je voir cette cane unique ?

— J’aimerais point trop.

— Eh bien, dans ce cas, je ne puis rien de plus pour vous. S’il ne s’agit que d’une seule cane, elle a peut-être une anomalie. À quoi bon se mettre martel en tête pour une seule cane ? Vous n’avez qu’à la manger !

Sur ce, je me levai et tendis la main vers mon chapeau.

— Attendez ! grommela MacGregor.

Je m’immobilisai tandis que, les lèvres serrées et la paupière plissée, il se débattait en proie à un silencieux combat intérieur. « Suivez-moi », laissa-t-il enfin tomber.

Nous nous rendîmes jusqu’à un hangar entouré de fil de fer barbelé et dont la porte était cadenassée. Une cane y logeait… La Cane.

— C’est La Cane, m’annonça MacGregor en prononçant ces mots de telle façon que j’entendis sonner les majuscules.

Je contemplai le volatile. La Cane ressemblait à la première cane venue.

— Voici un de ses œufs, reprit MacGregor. J’l’ai mis dans l’incubateur. Ça n’a rien donné.

Il sortit l’objet de la gigantesque poche de sa combinaison de travail. Je notai une certaine raideur dans son geste. Dans sa façon de le tenir.

Je fronçai les sourcils. Cet œuf avait quelque chose d’insolite. Il était plus petit et plus sphérique que la normale.

— Prenez-le en main, m’ordonna MacGregor. Tendant le bras, j’obéis. Plus exactement, j’essayai.

Je fis l’effort musculaire qui convenait pour soulever un œuf – l’œuf ne bougea pas. J’augmentai mon effort et, cette fois, je réussis.

Je comprenais maintenant pourquoi le geste de mon hôte m’avait paru étrange : l’œuf ne pesait pas loin d’un kilo.

Tandis que je le contemplai, posé sur ma paume, MacGregor eut un sourire torve. « Laissez-le tomber ! » dit-il.

Comme je le regardai sans bouger, il s’en empara et le laissa choir lui-même.

Cela fit un bruit mat. Il n’y eut ni blanc ni jaune répandu. L’œuf demeura intact dans la légère dépression qui s’était formée sous le choc.

Je le ramassai. La coquille s’était écalée au point d’impact, laissant apercevoir quelque chose qui luisait d’un éclat jaune.

Mes mains se mirent à trembler. Mes doigts refusaient de fonctionner mais je parvins quand même à enlever encore une partie de la coquille et regardai fixement cette chose jaune.

Je n’avais nul besoin de procéder à des analyses. Mon cœur me disait de quoi il s’agissait.

J’étais face à face avec La Cane.

La-Cane-Qui-Pondait-Des-Œufs-D’Or ! Le problème numéro un était de convaincre MacGregor de me remettre cet œuf d’or. J’étais à deux doigts de l’apoplexie !

— Je vous donnerai un reçu. Je vous garantirai le paiement. Je ferai tout ce que je pourrai raisonnablement faire.

— J’veux point qu’le gouvernement vienne fourrer son nez dans mes affaires, me répondit-il avec entêtement.

Mais j’étais deux fois plus têtu que lui et, au bout du compte, je lui signai un reçu, il m’accompagna jusqu’à la voiture et resta au milieu de la route à la suivre des yeux jusqu’à ce qu’elle eût disparu.

Mon chef de service, au ministère de l’Agriculture, se nomme Louis Bronstein. Nous sommes en bons termes et j’estimais pouvoir lui expliquer les choses sans risquer d’être immédiatement placé sous surveillance médicale. Néanmoins, je ne pris pas de risques. J’avais apporté l’œuf et, quand j’en arrivai au point délicat, je me contentai de le poser sur le bureau.

— C’est un métal jaune, dis-je. Ce pourrait être du cuivre mais ce n’en est pas car l’acide nitrique concentré ne l’attaque pas.

— C’est un canular ! s’exclama Bronstein. C’est forcément un canular !

— Un canular à base d’or véritable ? Rappelez-vous : la première fois que j’ai vu cet œuf, il était recouvert d’une coquille intacte. Je n’ai eu aucune peine à en analyser un fragment. C’était du carbonate de calcium.

Et le Projet Pâté de Foie Gras démarra le 20 juillet 1955.

Au départ, j’avais été nommé enquêteur principal et je continuai d’occuper ces fonctions jusqu’au bout quoique l’affaire n’eût pas tardé à passer en d’autres mains.

Nous commençâmes par cet œuf unique. Il avait un rayon moyen de 35 millimètres (grand axe : 72 mm, petit axe 68 mm.) L’enveloppe externe auréfiée avait une épaisseur de 2,45 millimètres. Plus tard, en examinant d’autres œufs, nous constatâmes que c’était là une valeur assez élevée. En moyenne, il fallait compter 2,1 millimètres.

À l’intérieur… Eh bien, à l’intérieur, c’était de l’œuf. Cela ressemblait à de l’œuf et cela avait l’odeur de l’œuf.

L’analyse révéla que les constituants organiques étaient raisonnablement normaux. Le blanc contenait 9,7 % d’albumine et le jaune avait ce qu’il lui fallait en matière de vitelline, de cholestérol, de phospholipides et de caroténoïdes. Nous n’avions pas suffisamment de matériel pour rechercher les éléments à l’état de traces mais, ultérieurement, quand nous eûmes un nombre plus important d’œufs à notre disposition, nous effectuâmes les dosages voulus et ne trouvâmes rien d’inhabituel en ce qui concernait la distribution des vitamines, des coenzymes, des nucléotides, des groupes sulfhydryles, etc., etc.

Une anomalie patente fut néanmoins enregistrée, à savoir le comportement de l’œuf soumis à la chaleur : une petite fraction du jaune « durcissait » presque immédiatement. Nous fîmes manger un peu d’œuf durci à une souris : elle survécut. J’en grignotai moi-même un morceau. La quantité était trop faible, à la vérité, pour me permettre d’en discerner la saveur mais je fus malade. Je suis sûr, néanmoins, que c’était psychosomatique.

Boris Finley, du département biochimie de l’université de Temple, supervisait ces tests. À propos du phénomène de durcissement, il dit ceci : « La facilité avec laquelle les protéines de l’œuf sont dénaturées par la chaleur indique, pour commencer, une altération partielle et, eu égard à la nature de l’enveloppe, il saute aux yeux que la responsabilité du phénomène échoit à une contamination par métal lourd. »

En conséquence, on analysa une partie du jaune pour rechercher les constituants non organiques et l’on décela ainsi une forte densité d’ions chloraurates, c’est-à-dire un ion possédant une seule charge et contenant un atome d’or et quatre atomes de chlore. Son symbole est AuCI4. Quand je parle d’une forte densité en ion chloraurate, je veux dire qu’il y en avait 3,2 parts pour mille parties, soit 0,32 %. C’est une proportion suffisamment importante pour former un complexe insoluble de « protéine d’or » tendant à se coaguler aisément.

— Il est évident que cet œuf ne peut pas éclore, déclara Finley. Ni celui-là ni aucun autre qui lui ressemble. Il est empoisonné par métal lourd. L’or est peut-être plus noble que le plomb mais il empoisonne tout aussi bien les protéines.

J’acquiesçai d’un air lugubre. « En tout cas, cet œuf est à l’abri de la corruption.

— Absolument. Aucun microbe qui se respecte ne vivrait dans ce bouillon chlorauriferreux. »

Les résultats de l’analyse spectrographique de l’or périphérique nous furent enfin communiqués. C’était de l’or à l’état pratiquement pur. La seule impureté décelable était constituée par le fer qui était présent à concurrence de 0,23 %. Le contenu ferreux du jaune était, de son côté, deux fois supérieur à la normale. Toutefois, sur le moment, nous négligeâmes cette donnée.

Une semaine après la mise en train du Projet Pâté de Foie Gras, une mission se rendit au Texas. L’expédition comprenait cinq biochimistes – comme vous voyez, l’accent était toujours mis sur l’aspect biochimique du problème – de trois camions bourrés de matériel et d’un détachement de l’armée. Bien entendu je faisais, moi aussi, partie de l’équipe.

Dès que nous fûmes arrivés, nous isolâmes la ferme MacGregor du reste du monde. Ce fut une chance d’avoir pris ces mesures de sécurité dès le début. Notre raisonnement était faux, au départ, mais le résultat de ces précautions fut bénéfique.

Le ministère tenait initialement à ce que les choses se passent le plus discrètement possible pour la simple raison qu’il n’excluait toujours pas la possibilité d’un ingénieux canular et, si cette hypothèse devait s’avérer exacte, nous ne voulions pas nous couvrir de ridicule. D’autre part, si ce n’était pas un canular, nous ne pouvions pas non plus prendre le risque de lancer les journalistes sur la piste de l’inévitable histoire de La Cane aux œufs d’or.

Ce fut bien après le démarrage du Projet et bien après notre arrivée à la ferme MacGregor que les implications véritables de cette affaire nous apparurent clairement.

Bien entendu, cette invasion et ce déploiement de force ne plurent guère à MacGregor. Quand on lui signifia que La Cane était désormais propriété du gouvernement, cela ne lui plut pas non plus. Et la confiscation des œufs pas davantage.

Non, cela ne lui plut pas mais nous finîmes par tomber d’accord – pour autant que l’on puisse parler d’accord lorsque, dans le temps même où l’on négocie, des soldats sont en train d’assembler une mitrailleuse dans la grange même de l’une des parties en présence et que, pendant les conversations, des hommes de troupe font les cent pas, baïonnette au canon.

Naturellement, MacGregor fut indemnisé. L’argent compte-t-il pour le gouvernement ?

Il y avait aussi un certain nombre de choses qui déplaisaient à La Cane. Par exemple, les prises de sang. Nous n’osions pas l’anesthésier de crainte de perturber son métabolisme et il fallait deux solides paires de bras pour l’immobiliser chaque fois que l’on effectuait un prélèvement. Vous est-il déjà arrivé d’essayer de maintenir une cane en colère ?

Elle fut placée sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les sentinelles étant averties qu’elles seraient bonnes pour la cour martiale si la moindre chose arrivait au volatile. Si tel ou tel des militaires affectés au projet lit ces lignes, peut-être comprendra-t-il alors, pris d’une soudaine illumination, de quoi il retournait. Puisse-t-il avoir alors le bon sens de la boucler. Oui… s’il comprend où est son intérêt, il la bouclera probablement.

Le sang de La Cane fut soumis à tous les tests imaginables. Ils comportaient deux parties pour cent mille (0,002 %) d’ion chloraurate. Les échantillons en provenance de la veine hépatique étaient deux fois plus riches que les autres – presque 0,004 %.

— Le foie, grommela Finley.

La Cane fut radiographiée. Sur le cliché, le foie se présentait comme une masse laiteuse et gris pâle, plus claire que les viscères environnants car, recelant une proportion d’or supérieure, il absorbait davantage les rayons X. Les vaisseaux étaient encore plus laiteux que le foie. Quant aux ovaires, ils étaient tout à fait blancs : ils étaient imperméables aux radiations.

Tout cela avait une logique que Finley exposa carrément dans un rapport préliminaire dont je paraphraserai ici un extrait :

« L’ion chloraurate est sécrété par le foie et se déverse dans le torrent circulatoire. Les ovaires agissent en quelque sorte comme un piège pour l’ion chloraurate qui s’y trouve réduit à l’état d’or métallique, lequel se dépose autour de l’œuf pendant le développement de celui-ci. Des concentrations relativement élevées d’ion chloraurate non réduit pénètrent dans la substance même de l’œuf en voie de formation.

« Il n’est guère douteux que ce processus est utilisé par La Cane pour se débarrasser des atomes d’or qui, s’ils s’accumulaient, l’empoisonneraient inéluctablement. Ce phénomène d’excrétion par l’entremise de l’œuf est peut-être inédit, voire unique, dans le règne animal : il est cependant indiscutable que c’est lui qui assure la survie de La Cane.

« Malheureusement, cependant, il se produit au niveau des ovaires un empoisonnement local qui limite sévèrement la ponte au nombre d’œufs requis pour l’élimination de l’or qui s’est accumulé et ces quelques œufs ne pourraient en aucun cas être mis à couver et arriver à terme. »

À cela se bornait le rapport de Finley mais, entre nous, il se montra un peu plus prolixe. « Un problème demeure entier, dit-il, et c’est un problème particulièrement embarrassant. »

Je savais quel était ce problème. Nous le savions tous.

D’où cet or venait-il ?

La question demeura un certain temps sans réponse, exception faite de quelques indices négatifs. Il n’y avait pas d’or décelable dans la nourriture de La Cane et il n’existait pas le moindre caillou aurifère qu’elle aurait pu avaler. Il n’y avait nulle part de traces d’or, ni dans le sol, ni dans la maison, ni dans ses dépendances qui furent fouillées. Rien : ni pièces de monnaie, ni bijoux, ni gourmettes, ni montres en or. Aucun des occupants de la ferme n’avait même une dent auréfiée.

Certes, Mrs MacGregor avait une alliance en or mais elle la portait au doigt et n’avait jamais eu d’autre époux que MacGregor.

Alors… D’où venait cet or ?

Les premiers éléments de réponse commencèrent à nous apparaître le 16 août 1955.

Albert Nevis, de Purdue, s’employait à enfoncer à force des tubes gastriques dans l’œsophage de La Cane – encore une technique contre laquelle le volatile s’insurgeait avec la dernière énergie – dans le dessein d’analyser le contenu du bol alimentaire. C’était là une méthode de routine que nous employions pour tenter de déceler de l’or exogène.

On en trouva effectivement mais seulement à l’état de traces et nous avions toutes les raisons de penser que ces traces étaient les séquelles des sécrétions digestives et qu’elles avaient donc une origine endogène – c’est-à-dire interne.

Pourtant nous découvrîmes quelque chose. Ou, plus précisément, l’absence de quelque chose.

J’étais là quand Nevis fit irruption dans le bureau de Finley installé dans une baraque préfabriquée que nous avions montée en l’espace d’une nuit à côté du hangar réservé à La Cane.

— La Cane est déficitaire en pigments biliaires, annonça-t-il. Il n’y en a pratiquement pas dans le contenu du duodénum.

Finley fronça les sourcils. « Le foie fonctionne probablement en circuit fermé du fait de la concentration en or, dit-il. Il ne produit sans doute pas de bile.

— Si, il en sécrète. Les acides biliaires existent en quantité normale. Enfin, quasi normale. Ce sont uniquement les pigments biliaires qui font défaut. L’analyse des excréments le confirme : il n’y a pas de bile dans les matières fécales. »

Là, il faut que j’apporte quelques précisions. Les acides biliaires sont des stéroïdes produits par le foie et que la bile véhicule pour les déverser dans la partie supérieure du petit intestin. Ces acides sont des molécules de type détergent qui aident à saponifier les corps gras que nous absorbons – ou que La Cane absorbe – avec la nourriture et les transportent sous forme de minuscules bulles à l’intérieur du tractus intestinal. Cette distribution – ou, si vous préférez, cette homogénéisation – facilite la digestion des graisses.

Les pigments biliaires, ces substances qui brillaient par leur absence chez La Cane, sont quelque chose de tout à fait différent. Le foie les fabrique à partir de l’hémoglobine, la protéine rouge du sang qui assure le transport de l’oxygène. L’hémoglobine usée est détruite dans le foie qui dissocie l’un de ses constituants, l’hème. L’hème est une molécule carrée, la porphyrine, construite autour d’un atome de fer central. Le foie met ce fer en réserve aux fins d’utilisations ultérieures et fragmente le reste de la molécule. La porphyrine brisée constitue le pigment biliaire. Celui-ci, qui est de couleur brunâtre ou verdâtre – cela dépend des modifications chimiques qu’il subit –, émigré dans la bile.

Les pigments biliaires n’ont pas d’utilité physiologique. Ce sont des déchets que la bile évacue par l’intestin et qui sont excrétés avec les fèces. En fait, c’est à leur présence qu’est due la coloration de celles-ci.

Une lueur se mit à scintiller dans les yeux de Finley.

— Tout se passe comme si le catabolisme de la porphyrine ne suivait pas son processus normal dans le foie, dit Nevis. N’est-ce pas votre avis ?

C’était indiscutablement notre avis. Et je partageai cette opinion.

Nous étions terriblement excités. C’était en effet la première anomalie métabolique qui n’était pas directement associée à la production de l’or que nous découvrions chez La Cane !

Nous effectuâmes une hépatobiopsie (c’est-à-dire que nous prélevâmes à l’aide d’une sorte d’emporte-pièce un fragment cylindrique de foie). Cela fit mal à La Cane mais ne l’endommagea pas. Nous prélevâmes également de nouveaux échantillons sanguins.

Cette fois, nous isolâmes l’hémoglobine du sang et de petites quantités de cytochromes de nos spécimens de foie. (Les cytochromes sont des enzymes oxydants également présents dans l’hème.) Après séparation et traitement en solution acide, nous obtînmes un précipité de couleur orange vif. Le 22 août 1955, nous en avions 5 grammes.

Ce composé orange était analogue à l’hème mais c’était autre chose. Le fer contenu dans l’hème peut se présenter soit sous la forme d’un ion ferreux doublement chargé (Fe++), soit sous celle d’un ion ferrique triplement chargé (Fe+++), auquel cas le corps prend le nom d’hématine.

Or, le précipité orange obtenu à la suite de l’opération, s’il possédait la partie porphyrine normale de l’hème, avait pour noyau, non pas du fer, mais de l’or. Un ion aurique triplement chargé (Au+++) pour être précis. Nous le baptisâmes « aurème », ce qui est simplement l’abréviation d’« hème aurique ».

L’aurème en question était le premier composé organique naturel contenant de l’or qui n’eût jamais été découvert. En principe, cela aurait dû faire l’effet d’une bombe dans les milieux de la biochimie. Mais ce n’était rien, absolument rien, comparé aux vastes horizons que l’existence même de ce corps nous ouvrait.

Le foie de La Cane, semblait-il, ne dissociait pas l’hème en pigments biliaires. Au lieu de cela, l’hème se convertissait en aurème par substitution d’or au fer. L’aurème, en équilibre avec l’ion chloraurate, se déversait dans le sang et parvenait aux ovaires ; là, l’or était séparé et la portion porphyrine de la molécule éliminée, grâce à un mécanisme que nous n’avions pas encore identifié.

Des analyses plus poussées révélèrent que 29 % de l’or charrié par le sang de La Cane émigraient dans le plasma en tant qu’ion chloraurate. Les 71 % restant aboutissaient aux globules rouges sous forme d’« aurémoglobine ». Nous tentâmes de faire absorber à La Cane des traces d’or radioactif afin de repérer leurs radiations dans le plasma et dans les globules rouges pour déterminer avec quelle facilité les molécules d’aurémoglobine étaient converties au niveau des ovaires. Il nous apparaissait en effet que l’aurémoglobine devait s’éliminer beaucoup plus lentement que l’ion chloraurate en suspension dans le plasma.

Pourtant, le test échoua ; nous ne décelâmes aucune radio-activité. Nous mîmes ce fiasco sur le compte de notre inexpérience : ni les uns ni les autres n’étions des spécialistes des isotopes. Ce fut bien regrettable car cet échec était, en vérité, hautement significatif et, faute de l’avoir compris, nous perdîmes plusieurs semaines.

L’aurémoglobine était évidemment inutile en ce qui concernait le transport de l’oxygène mais comme elle ne représentait qu’environ 0,1 % de la masse globale de l’hémoglobine des globules rouges, elle n’avait aucune incidence fâcheuse sur les fonctions respiratoires de La Cane.

La question de l’origine de l’or demeurait toujours pendante. Ce fut Nevis qui, le premier, émit la suggestion cruciale.

— Peut-être, déclara-t-il au cours d’une réunion qui se tint le 25 août 1955 au soir, peut-être n’y a-t-il pas substitution d’or au fer. Peut-être La Cane convertit-elle, au contraire, le fer en or.

Avant d’avoir fait personnellement connaissance avec Nevis cet été là, je le connaissais déjà par ses ouvrages – il est spécialisé dans la chimie biliaire et les fonctions du foie – et je l’avais toujours considéré comme un esprit pondéré et lucide. Presque trop pondéré, même. Jamais on eût imaginé une seconde une déclaration d’un ridicule aussi achevé sortant de sa bouche. Cela prouvait à quel point le Projet Pâté de Foie Gras nous désespérait et nous démoralisait.

Nous étions désespérés parce que nul ne savait d’où sortait cet or. La Cane l’excrétait au rythme de 38,9 g par jour et cela se poursuivait ainsi depuis des mois. Il fallait bien que cet or vienne de quelque part. Et, comme il ne venait de nulle part, littéralement, il fallait bien qu’il fût fabriqué quelque part…

L’état de découragement dans lequel nous étions plongés nous conduisit à envisager que le second terme de cette alternative tenait tout bonnement au fait que nous nous trouvions ni plus ni moins en face de La-Cane-Aux-Œufs-D’Or. La Cane IRREFUTABLE. Dès lors, tout devenait possible. Nous vivions au pays des fées et nous réagissons les uns et les autres en perdant le sens de la réalité.

Finley prit cette hypothèse au sérieux : « L’hémoglobine, expliqua-t-il, pénètre dans le foie et un peu d’aurémoglobine sort de cet organe. Le fer est la seule impureté que nous ayons décelée dans l’enveloppe d’or de ces œufs. Les deux constituants principaux du jaune sont l’or, naturellement, et le fer, ce dernier n’existant qu’en faible quantité. Tout cela est un affreux méli-mélo ; messieurs, nous allons avoir besoin d’aide. »

Nous demandâmes donc de l’aide et passâmes ainsi au troisième stade de l’investigation. Le premier, je l’avais mené tout seul. Le second avait été conduit par l’équipe des biochimistes. Le troisième, le stade capital, le plus important, impliquait l’intervention des physiciens nucléaires.

John Billings, de l’université de Californie, arriva le 5 septembre 1955. Il avait apporté du matériel et de nouveaux équipements affluèrent au cours des semaines suivantes. On construisit des baraques supplémentaires en préfabriqué. Je prévoyais que, d’ici un an, tout un institut de recherches aurait été édifié autour de La Cane.

Billings assista à notre conférence du 5. Finley le mit au courant des derniers développements et conclut : « Cette idée de transformation du fer en or pose une multitude de sérieux problèmes. En premier lieu, la quantité totale de fer contenue dans l’organisme de La Cane est de l’ordre d’un demi-gramme au maximum. Or, elle fabrique près de quarante grammes d’or par jour.

— Il y a un problème encore plus déconcertant, répliqua Billings de sa voix claire et haut perchée. Pour convertir un gramme de fer en un gramme d’or, il faudrait presque autant d’énergie que pour désintégrer par fission un gramme d’U235. »

Finley haussa les épaules. « Je vous laisse le soin de résoudre ce problème.

— Je vais y réfléchir », répondit Billings.

Il ne se contenta pas de réfléchir. Entre autres choses, il isola de nouveaux spécimens d’hème, les calcina et expédia l’oxyde de fer à l’institut de Brookhaven aux fins d’analyse isotopique. Il n’avait pas de raison particulière pour agir ainsi. C’était là un des multiples procédés de recherche que l’on tentait de mettre en œuvre. Mais ce fut celui-là qui donna des résultats.

Dès que le rapport d’analyse arriva, Billings se plongea dedans.

— Il n’y a pas de Fe56.

— Et les autres isotopes ? s’enquit aussitôt Finley.

— Ils sont tous présents en proportions convenables. Mais il n’y a pas de quantités décelables de Fe56.

Là encore, je dois ouvrir une parenthèse. Le fer commun est constitué de quatre isotopes différents. Ces isotopes sont des variétés d’atomes qui se distinguent les uns des autres par leur poids atomique. Les atomes de fer dont le poids atomique est de 56, ou Fe56, représentent 91,6 % de la totalité des atomes formant un échantillon de fer. Le poids atomique des autres est respectivement de 54, de 57 et de 58.

Le fer extrait de l’hème de La Cane contenait exclusivement du Fe54, du Fe57 et du Fe58. Les implications de ce fait sautaient aux yeux : Fe56 disparaissait, alors que les autres isotopes demeuraient intacts.

Autrement dit, une réaction nucléaire intervenait. Une réaction nucléaire peut faire disparaître un isotope donné sans toucher aux autres alors que dans une réaction chimique ordinaire, dans n’importe quelle réaction chimique, tous les isotopes sont attaqués.

— Mais c’est thermodynamiquement impossible ! s’exclama Finley.

Il disait seulement cela sur un ton d’aimable raillerie à cause de la remarque initiale de Billings. En tant que biochimiste, nous n’étions pas sans savoir que beaucoup de réactions physiologiques exigent un apport d’énergie et que l’organisme se débrouille en équilibrant les réactions réclamant de l’énergie avec celles qui se libèrent.

Toutefois, les réactions chimiques ne libèrent ou n’absorbent que quelques kilocalories par molécule-gramme. Les réactions nucléaires, en revanche, absorbent ou libèrent des millions de kilocalories. L’énergie requise pour une réaction nucléaire absorbant de l’énergie exige donc une seconde réaction nucléaire productrice d’énergie.

Nous ne vîmes pas Billings pendant deux jours.

Quand il se manifesta à nouveau, ce fut pour dire :

— Voilà… La réaction productrice d’énergie doit donner exactement autant d’énergie par nucléon que la réaction d’absorption d’énergie en consume. Si elle en dégage un tout petit peu moins, la réaction globale n’intervient pas. Si elle en dégage un tout petit peu plus, à l’égard du nombre astronomique des nucléons qui entrent en ligne de compte, l’excès d’énergie vaporiserait La Cane en une fraction de seconde.

— Alors ? demanda Finley.

— Alors ? Le nombre des réactions possibles est très réduit. Je n’ai réussi à trouver qu’un seul système plausible. L’oxygène18 converti en fer56 dégagerait suffisamment d’énergie pour transformer le fer56 en or197. C’est un peu comme les montagnes russes, si vous voulez. Il va falloir faire des tests dans cette direction.

— Comment cela ?

— Pour commencer, je me propose de vérifier la composition isotopique de l’oxygène contenu dans l’organisme de La Cane.

L’oxygène se compose de trois isotopes stables, O16 étant, et de loin, quantitativement le plus important. On ne trouve qu’un atome d’O18 sur 250.

Nouvelle prise de sang. Le contenu aqueux de l’échantillon fut distillé sous vide et une fraction du distillât soumise au spectrographe de masse. Il y avait effectivement de l’O18 mais uniquement dans la proportion de 1 sur 1 300. 80 % de l’O18 que nous nous attendions à trouver manquaient à l’appel.

— C’est là une preuve qui confirme le reste, dit Billings. L’oxygène18 est consumé. La Cane en reçoit constamment dans ce qu’elle mange et dans ce qu’elle boit mais il disparaît. Et il y a production d’or197. Le fer56 n’est qu’un intermédiaire et, puisque la réaction qui le détruit est plus rapide que la réaction qui le produit, il lui est impossible de s’accumuler sous une concentration significative : c’est pour cela que l’analyse isotopique révèle son absence.

Nous n’étions pas satisfaits et nous essayâmes encore. Une semaine durant, nous ne donnâmes à boire à La Cane que de l’eau enrichie à l’O18. La production d’or augmenta presque immédiatement. Au bout de huit jours, elle était de 45,8 g alors que l’O18 présent dans l’eau organique de La Cane ne s’était pas accru.

— Il n’y a aucun doute à avoir, conclut Billings.

Il ramassa son crayon d’un geste vif et se leva. « Cette Cane est un réacteur nucléaire vivant. » De toute évidence, La Cane était une mutation.

La notion de mutation était liée à celle d’irradiation et l’idée d’irradiation nous rappela les expériences nucléaires qui avaient eu lieu en 1952 et 1953 à des centaines de kilomètres de la ferme de MacGregor. (S’il vous vient à l’esprit qu’il n’y a jamais eu d’expériences nucléaires dans le Texas, cela démontre deux choses : primo – que je ne vous dis pas tout ; secundo – que vous ne savez pas tout.)

Je doute que, depuis le début de l’ère atomique, on ait jamais analysé avec autant de minutie la radioactivité ambiante, jamais tamisé avec autant de soin le sol pour isoler la poussière radioactive. Nous étudiâmes toutes les archives, même les plus confidentielles et les plus secrètes. Le Projet Pâté de Foie Gras bénéficiait de la priorité des priorités. Une priorité sans précédent dans l’histoire ! Nous allâmes jusqu’à dépouiller les vieux procès-verbaux météorologiques pour déterminer le comportement du vent, à l’époque de ces expériences nucléaires.

Nous constatâmes deux choses.

Premier point : la radio-activité ambiante aux environs de la ferme était légèrement supérieure à la normale. Je m’empresse de préciser que la dose était parfaitement inoffensive. Toutefois, cela indiquait que, lors de la naissance de La Cane, la ferme MacGregor s’était trouvée au moins deux fois à la limite d’une zone de retombées. Des retombées, je le répète, qui n’avaient rien de dangereux.

Second point : contrairement à toutes les autres canes de MacGregor, contrairement à l’ensemble des créatures vivantes – y compris les humains – qui s’y trouvaient et qui purent être testés, La Cane ne présentait pas la moindre trace de radio-activité. Je vais formuler la chose autrement. Tout, absolument tout, accuse une certaine radio-activité. C’est précisément cela que l’on nomme la radio-activité ambiante. Mais La Cane n’accusait rien.

Je citerai en le simplifiant un extrait du rapport que Finley envoya le 6 décembre 1955 :

« La Cane est une extraordinaire mutation, fruit d’un environnement radioactif de forte densité qui, à une certaine époque, a favorisé les mutations en général et a fait celle-ci une mutation particulièrement bénéfique.

« Les systèmes d’enzymes de La Cane sont capables de catalyser diverses réactions nucléaires. Nous ignorons si ce système comprend un enzyme ou plusieurs. Nous ignorons également tout de la nature des enzymes en question. Aucune théorie ne peut actuellement être avancée pour tenter d’expliquer comment un enzyme est susceptible d’agir comme catalyseur d’une réaction nucléaire, les réactions auxquelles nous avons affaire impliquant des interactions particulières d’une magnitude cinq fois plus élevée que celles qui interviennent dans les réactions chimiques banales catalysées par des enzymes.

« Globalement, la réaction aboutit à la conversion de l’oxygène18 en or197. L’oxygène18, abondant dans le milieu, est également présent en quantité significative dans l’eau et dans tous les aliments organiques. L’or197 est excrété par les ovaires. L’un des intermédiaires identifié est le fer56. Et le fait qu’il y a formation d’aurémoglobine nous incite à présumer que le groupe prosthétique de l’enzyme (ou des enzymes) agissant peut être l’hème.

« Nous avons intensément réfléchi à l’intérêt que cette transformation nucléaire globale représente pour La Cane. L’oxygène18 ne lui est pas préjudiciable. L’élimination de l’or197, potentiellement toxique et qui est la cause de la stérilité de l’animal, s’explique difficilement. Il se peut que sa fabrication soit nécessaire pour éviter de plus graves inconvénients. Le danger… »

Mais, quand on lit ce rapport, on a l’impression d’une discussion sereine se situant sur un plan quasiment théorique. En fait, jamais je n’avais vu un homme frôler d’aussi près l’apoplexie et y survivre que Billings, quand il prit connaissance de nos expériences sur l’or radioactif mentionnées plus haut – vous vous rappelez ? Nous n’avions décelé aucune trace de radio-activité chez La Cane et avions conclu que le résultat de ces tests ne signifiait rien.

Combien de fois bondit-il en nous demandant comment nous avions pu considérer que la disparition de la radioactivité était un phénomène sans importance !

— Vous avez agi exactement comme un reporter spécialisé dans les chiens écrasés chargé de couvrir un mariage dans la haute société et qui expliquerait à son rédacteur en chef qu’il n’a rien à raconter parce que le fiancé n’est pas venu à l’église ! Vous avez fait absorber de l’or radioactif à La Cane et vous avez perdu la trace de cet or radioactif. Pire encore : vous n’avez détecté aucun signe de radioactivité naturelle chez votre volatile. Pas de carbone14. Pas de potassium40. Et vous appelez ça un échec !

Nous nous mîmes à alimenter La Cane en isotopes radioactifs. Prudemment au début mais, avant la fin du mois de janvier 1956, nous la gavions littéralement à la pelle.

La Cane restait imperturbablement non radioactive.

— Autrement dit, fit Billings, la réaction nucléaire dont les enzymes sont le catalyseur, transforme tout isotope instable en isotope stable.

— C’est bien pratique, murmurai-je.

— Pratique ? C’est prodigieux ! C’est le moyen de défense absolue de l’âge atomique ! Écoutez… La conversion de l’oxygène18 en or197 devrait libérer huit positrons et des poussières par atome d’oxygène. Par conséquent, chaque fois qu’un positron se combine avec un électron, il devrait y avoir une émission de huit rayons gamma et des poussières. Or il n’y a pas émission de rayons gamma. Ce qui signifie que La Cane doit absorber le rayonnement gamma sans en être autrement incommodée.

Nous aspergeâmes La Cane de rayons gamma. Quand nous eûmes dépassé un certain seuil, elle eut un peu de fièvre et, pris de panique, nous arrêtâmes net. Mais ce n’était qu’une fièvre banale, pas la maladie des radiations : au bout de vingt-quatre heures, ka température redevint normale et La Cane se porta à nouveau comme un charme.

— Vous rendez-vous compte de ce que nous avons entre les mains ? s’exclama Billings.

— Un miracle scientifique, répondit Finley.

— Allons, mon cher ! Ne voyez-vous pas les applications pratiques que l’on peut tirer de ce phénomène ? Si nous arrivions à démonter ce mécanisme et à le reproduire en laboratoire, nous disposerions d’une méthode parfaite de neutralisation des déchets ; radioactifs. La cause première de nos migraines, l’obstacle qui nous empêche de passer au stade d’une économie atomique sur grande échelle, c’est le problème de l’élimination des isotopes radioactifs qui se manifestent en cours de réaction. En les faisant passer dans d’immenses récipients bourrés d’enzymes, le tour serait joué. Découvrons ce mécanisme, messieurs, et nous n’aurons plus à nous inquiéter des retombées. Nous aurions une protection efficace contre la maladie des radiations.

« Modifions ce mécanisme d’une façon ou d’une autre et La Cane excrétera tous les éléments dont nous aurons besoin. Des coquilles d’œuf en uranium235, par exemple. Qu’en pensez-vous ? »

« Le mécanisme ! Le mécanisme ! »

Nous regardions fixement La Cane.

Ah ! Si seulement des canetons pouvaient éclore de ses œufs ! Si seulement nous pouvions avoir toute une tribu de Canes qui soient des réacteurs nucléaires !

— Il y a sûrement eu des précédents, dit Finley. Il faut bien que la légende de la poule aux œufs d’or soit sortie de quelque part !

— Vous voulez attendre que le phénomène se produise ? demanda Billings.

Si nous disposions d’un troupeau de Canes caquetantes, nous pourrions commencer par en disséquer quelques-unes. Étudier leurs ovaires. Préparer des coupes de tissus.

Cela ne servirait à rien. Nous avions fait une biopsie du foie et, en dépit de tous nos efforts, l’échantillon n’avait pas réagi à l’oxygène18.

Bon… restait la solution de perfuser le foie in vivo. Alors, on pourrait étudier les embryons intacts, les surveiller jusqu’à ce que le mécanisme apparaisse chez l’un d’eux.

Seulement, c’était impossible puisque nous n’avions qu’une seule Cane.

Nous n’osions pas tuer La-Cane-Qui-Pondait-Des-Œufs-D’Or.

Le secret était enfoui dans le foie de cette Cane grassouillette.

Le foie d’une grosse Cane ! Du pâté de foie gras ! Pour nous, c’était loin d’être une gourmandise.

— Nous avons besoin d’une idée, fit Nevis d’une voix rêveuse. Un point de départ révolutionnaire. Une idée cruciale.

— Tout cela, ce sont des mots, soupira Billings avec accablement.

Histoire de plaisanter afin de nous remonter le moral, je suggérai : « Il n’y a qu’à faire passer une petite annonce dans les journaux. »

Et, précisément, cela me donna une idée. « Dans les revues de science-fiction, ajoutai-je.

— Quoi ? maugréa Finley.

— Vous savez, les magazines spécialisés publient des articles bidons. Ça amuse les lecteurs. Et ça les intéresse. » Je leur parlai des articles d’Asimov sur la thiotimoline que j’avais eu l’occasion de lire[1].

Ma proposition se heurta à une réprobation glaciale.

J’insistai : « Nous ne contreviendrions même pas aux règlements sur la sécurité car personne n’en croira un mot. » Et, à l’appui de mes dires, j’évoquai la nouvelle de Cleve Cartmill qui, en 1944, donnait les spécifications de la bombe atomique. Le F.B.I. n’avait pas bougé[2].

— De plus, les fans de science-fiction ont des idées, poursuivis-je. Gardez-vous de les sous-estimer. Même s’ils pensent qu’il s’agit d’un canular, ils donneront leur point de vue à la rédaction. Comme, en ce qui nous concerne, nous sommes à sec d’idées, comme nous sommes dans l’impasse, qu’avons-nous à perdre ?

Ils n’étaient toujours pas d’accord.

— Et puis, ajoutai-je, La Cane ne vivra pas éternellement, vous savez.

Ce fut l’argument massue.

Il fallut d’abord convaincre Washington. Quand nous eûmes le feu vert, je pris contact avec John Campbell, rédacteur en chef d’Astounding Science Fiction, qui me brancha sur Isaac Asimov.

Maintenant, l’article est écrit. Je l’ai lu, je l’ai approuvé et je vous conjure de ne pas en croire un mot. Pas un traître mot.

Toutefois…

Si jamais quelqu’un a une idée…

Histoires Mystérieuses
titlepage.xhtml
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_000.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_001.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_002.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_003.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_004.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_005.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_006.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_007.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_008.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_009.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_010.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_011.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_012.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_013.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_014.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_015.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_016.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_017.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_018.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_019.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_020.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_021.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_022.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_023.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_024.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_025.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_026.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_027.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_028.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_029.html
Asimov,Isaac-Histoires Mysterieuses(1968)_split_030.html