CHAPITRE IX
CAL
J’ai mal partout. Tous mes muscles devaient être crispés, je suppose. En tout cas mes jambes me font soudain tellement mal que je me relève en m’aidant des mains.
Giuse se laisse tomber du plafond.
— Combien de temps avant ? je demande à Lou.
— Onze secondes quarante-huit centièmes, dit-il avec un petit sourire.
Bon sang ! je n’ai jamais connu une frousse pareille !
— Pas fait pour ça, je dis en allant m’asseoir dans un coin sur la console d’un sous-ensemble de commandes, encore intact.
— Giuse, tu crois que le système de mise à feu est complètement mort ou qu’il risque encore de nous péter à la figure ?
Lui aussi commence à marquer le coup. Ses traits se creusent.
— Sais foutre rien. Mais si tu as le moindre doute, on fiche le camp en vitesse ! Le dijar arrive. J’en ai mon voyage de la Terre, moi !
— Ton « voyage » ?
— Une expression canadienne pour dire que j’en ai carrément marre...
« Son voyage »... Il m’a pris au dépourvu et je pars d’un long rire nerveux que je ne peux plus arrêter.
Vingt dieux, ça détend ! Je commence à me reprendre, mais je sais que j’en ai pour des jours à faire passer tout ça au second plan. Il faut pourtant réagir, il y a encore du travail.
— Salvo, fais conduire Lou au dijar, qu’on le répare immédiatement. Je veux être tenu au courant... Ripou est par là ?
— Oui, je suis ici.
Je lève la tête pour apercevoir celle de mon gaillard par le trou du plafond.
— Trouve-moi la sonorisation générale. Il doit bien y avoir quelque chose par là.
Il se met à farfouiller pendant que je réfléchis.
— Voilà, tu peux y aller, dit enfin mon petit comique.
Etrange qu’ils soient aussi différents, Belem et lui. Belem triste à pleurer et Ripou toujours souriant. D’accord, j’avais demandé à HI, le grand ordinateur de la base, sur Vaha, de construire des androïdes dissemblables, mais là...
J’empoigne l’antique micro sans fil.
— Ecoutez-moi tous, je lance...
J’entends ma voix se répercuter dans la base.
— ... Nous tenons votre PC. Le système de destruction de la planète est annihilé. Autant vous y faire tout de suite, vous ne pouvez plus faire sauter la Terre. Vous devrez vivre ! Je l’ai déjà dit à certains d’entre vous, nous ne sommes pas des colons ! Maintenant vous pouvez me croire, je pense. Vous allez vous rassembler dans... la grande salle de sports des niveaux supérieurs. Je vais vous expliquer ce qui va vous arriver désormais. Vous n’avez rien à craindre, sauf si vous voulez encore continuer la bagarre. Dites-vous que je n’aurai aucune pitié. Je n’aime pas les héros inutiles.
Je rends le micro à Ripou. Il faudrait aussi...
— Salvo, fais envoyer deux hommes dans la salle en question. Je veux qu’on fouille les arrivants. Et envoie chercher Boost.
Giuse approche et s’assied à côté de moi.
— J’ai bien cru qu’ils t’avaient eu, tu sais ? Je continuais les recherches, mais...
*
Ils sont tous là, sous mes yeux, dans la salle. Trois à quatre mille, serrés comme des sardines. Tant mieux, ça leur... Ouais, enfin, que serais-je devenu, moi, si j’avais survécu à la catastrophe, sur Terre ?
Je sens les vagues de haine qui montent vers moi depuis le coin où sont maintenus les gardes. Jusqu’ici, il n’y a pas eu d’incident. Des gardes étaient armés, évidemment, mais c’était normal. On a fait le nécessaire !
Je prends une longue respiration et je commence :
— Depuis deux siècles que vos ancêtres vivaient confortablement dans cette base, en vous préparant à une guerre inutile, des êtres humains étaient en train de redevenir des bêtes, là-haut, dehors. Privés de tout, ils ne savent même plus lire...
Un murmure parcourt les rangs. Là je sais que je les ai touchés.
— ... Ils crèvent comme des animaux. Et vous laissez faire. C’est la race humaine qui est en train de disparaître sous vos yeux !... Je devrais vous anéantir tous... Vous êtes des bêtes, vous aussi, avec votre cruauté et votre bêtise ! Mais j’ai trouvé mieux...
Cette fois je lis la peur dans les regards. Ah ! ils ne sont plus farauds les grands survivants ! Je reconnais un ou deux visages, des jeunes que j’avais entrevus dans la salle où on m’avait montré, exposé. Je leur jette un regard au passage, sans m’y attarder.
— ... Vous allez passer le reste de votre vie à aider ces êtres humains à redevenir des hommes. Vous allez les instruire, vous allez reprendre l’exploitation de la Terre... en paix.
*
Quand je cesse de parler, j’ai la bouche sèche. Presque deux heures à exposer mon plan, à présenter Boost qui nous a rejoints.
Le point culminant a été la révélation que nous ne sommes que trois hommes et les autres des androïdes. Badix leur a montré les cavités de son dos. Ils avaient oublié leur peur, fascinés par ce qu’ils apprenaient.
Je vais en prendre une quinzaine et leur montrer les décombres de Mars. Qu’ils soient bien persuadés qu’il n’y aura plus de guerre. L’impression que beaucoup d’entre eux sont plutôt soulagés.
Malgré la propagande, la haine s’est émoussée au fil des années, sauf chez les gardes. En tout cas quand je leur ai dit qu’avec des robots ils pourraient vite remettre les cultures en activité, construire une industrie nécessaire, etc., ils ont été captivés.
Je vais les faire surveiller, en particulier les gardes et les anciens meneurs, mais ça marchera peut-être. Surtout avec Boost. Il leur a fait une peinture de la vie au camp de Cagib et ils ont marqué le coup.
*
— Alors, Boost, tu as confiance ?
Quatre jours que la bagarre est terminée. J’ai regagné le dijar qui est posé à 2000 kilomètres au sud du désert, au bord de la mer, laissant les dix près du petit copain Boost pour mettre en place le système.
C’est la première fois que je le vois depuis. Je voulais lui laisser les mains libres pour s’imposer seul, sur place.
Je m’étire, dans le fauteuil du carré où je viens de faire un petit somme. Toujours sommeil, malgré le traitement de récupération que j’ai subi à bord !
— Ça va marcher, dit-il en s’asseyant. Oui... j’ai confiance. Oh ! il y aura des bagarres, des révoltes... J’ai déjà exilé une centaine d’irréductibles dans plusieurs îles de l’océan Indien. Il n’y avait rien à en tirer. Les gardes et des violents. Et s’il le faut, j’en exilerai d’autres. Mais j’aurai la paix ! Pour le reste, l’organisation marche bien et je t’ai ramené les dix. Je fais déménager presque tout le monde demain. Les scientifiques viendront chaque jour à la base pour travailler, mais peu y vivront.
Une bonne idée, ça. Je me renverse dans mon fauteuil. Le coup de pot d’avoir découvert un gars comme Boost.
Tiens, voilà Giuse. En maillot de bain, il a encore du sable sur les jambes. Il rentre de la plage.
— Salut, Boost, dit-il en se dirigeant droit vers le bar. Ça va, p’tit gars ?
Je me marre en le voyant faire son numéro du gars super-désinvolte. Superman, quoi ! D’ailleurs Boost sourit lui aussi. Mais je crois que c’est de plaisir. Il aime bien mon pote Giuse.
— Salut, Giuse... Alors, tu es sûr que tu ne veux pas rester avec nous ? Pas la nostalgie de la Terre ?
Le père Giuse laisse tomber son verre au sol. Un de moins !
— Non mais, t’es pas fou de dire des trucs comme ça ! Rester ! Ce type est fondu... Quand on connaît Vaha, la Terre, hein... Là-bas, au moins, on peut vivre en paix. Boost, mon petit gars, tu ne peux pas imaginer une planète plus belle que Vaha. Il y a...
Mais c’est qu’il est sérieux ! Je croyais qu’il charriait, mais non, son éloge de notre planète est on ne peut plus véridique. Et il est salement exalté, mon copain ! Il a de ces envolées...
Quand il s’arrête pour respirer, je me lève.
— Tu as encore besoin de quelque chose, Boost ? Il se tourne de mon côté, sérieux.
— De temps, c’est tout.
Je prends une lettre que j’ai écrite tout à l’heure et la lui tends.
— Tu liras ça dans deux mois. D’ici là, je ne veux voir personne dans notre coin.
— Qu’est-ce que vous allez faire ? demande-t-il étonné.
— Du tourisme, solitaire.
Il incline la tête et vient me tendre la main. Je devine qu’il a compris. Il va ensuite à Giuse et lui pose la main sur l’épaule, sans rien dire. Puis il s’en va.
Une minute plus tard, Giuse prend la parole.
— Tu as vraiment envie de faire du tourisme ?
— Tu ne veux pas aller dans notre île ? Celle qu’on avait louée pour les vacances, quand la guerre contre Mars a éclaté ?
Il fait la moue.
— Surtout pas. J’ai tiré un grand trait sur le passé. Surtout celui-là... En fait je me sentirai mieux quand on aura quitté cette sacrée Terre. Je ne m’y sens plus chez moi, dis donc !
— Dans ce cas on peut y aller. Rien ne me retient plus, non ?
— Tout de suite ?
Il a les yeux brillants.
— Pourquoi pas ?
— Ouais ! dit-il en sautant sur ses pieds. Je vais me préparer.
— Salvo, hurle-t-il à tous les vents, on se taille, on rentre à la maison !
*
— Mise en tension...
— O.K. !
— Deuxième étage du convertisseur principal...
— Vérifié.
Bon, on a terminé les vérifications initiales. Pendant que JI contrôle tout ça une seconde fois, je me renverse dans le fauteuil. Une nouvelle habitude, ça !
— Tu as remarqué que cette fois on n’a pas rencontré une seule femme ? dit brusquement Giuse. Ah ! dis donc... je me suis senti en vacances !... Enfin faudrait pas que ça dure trop longtemps...
Je me marre franchement. Giuse misogyne, ça ne dure pas, effectivement. Pourtant, moi non plus ça ne m’a pas manqué ! Il est vrai que je suis toujours traumatisé par la disparition de Cassy. Il faudra que j’en parle à HI.
Lou débouche dans le poste. Il est à nouveau en service, depuis ce matin. On lui a fait une révision complète après avoir réparé. Il repart même avec une pile neuve. J’ai été vraiment content de le revoir. Il faudra aussi que je parle avec Giuse de mon histoire à propos de Lou...
Je reste un moment silencieux.
— Eh ! ça ne va pas ? demande mon copain. Tu fais la gueule ou quoi ?
— Non je pensais à la zone des Confins qu’il va falloir retraverser...
— Oh ! vacherie de vacherie, je l’avais oublié, ça... Du coup je ne suis plus tellement enthousiaste pour ce départ !
— Il faudra bien la repasser dans l’autre sens. C’est toi qui as dit que ton système de renforcement tiendrait.
— Ouais... ouais, je pense que ça tiendra. Enfin je préférerais que ce soit fait...
Tous les voyants viennent de passer au vert, devant mes yeux.
— On va le savoir dans pas longtemps... Prêt à décoller ?
— Tout est correct, fait la voix de JI.
— Mise en tension générale, j’annonce en pressant le bouton de décollage aux anti-grav.
Le dijar n’a pas l’air de bouger, pourtant le grand écran montre le sol qui fuit. On part en direction de la mer, à l’ouest.
— C’était quoi, ta lettre à Boost ? demande soudain Giuse.
— Nos adieux. Je ne voulais pas qu’il le sache, ça aurait pu lui enlever ses moyens. Il faut qu’il s’impose seul. Et, dans deux mois, les survivants auront pris un rythme de vie différent. Le changement sera irréversible. D’ici là ils ne feront pas les couillons parce qu’ils ignoreront notre départ.
Il hoche la tête.
— Ouais, c’est bien vu... Tu vois, je ne regretterai pas ces gars-là. Finalement, moi aussi j’ai adopté les Vahussis de chez nous. Je les trouve plus francs du collier.
Il avance les mains pour faire les réglages de distance des sondeurs. On a quitté l’atmosphère et on fonce en direction de la Lune.
— Lou, tu peux introduire les coordonnées du vol à l’automatique, je dis.
— Comment tu comptes faire ? interroge Giuse. Je hausse les épaules.
— J’en sais foutre rien. On verra sur place.
— Et si on tentait le coup de passer en subespace ?
— On ne sait absolument pas ce qui risque de se produire. On est peut-être dévié pendant le passage de cette barrière ? Tu imagines une réémersion dans un amas, ou dans une planète ?
D’après les Loys c’est arrivé une seule fois. Pendant les essais du vol en subespace, un engin a fait son retour en espace classique au beau milieu d’une petite planète. L’équipage s’est intégré au noyau...
Il frissonne longuement.
— Alors on va se payer encore une fois cette danse de Saint-Guy... Vite, alors. J’ai eu les nerfs trop ébranlés ces temps-ci.
Le plan de vol de Lou incluait une approche rapide des Confins. On y sera dans quelques heures.
*
— Pour tout le monde à bord, attachez-vous solidement. Vérification de l’arrimage des objets.
J’ai demandé aux dix de se répandre dans tout le dijar pour procéder aux vérifications. Je branche les sondes placées dans les longerons. Je veux savoir comment ils tiennent.
— JI, n’oublie pas qu’on a un autre dijar de l’autre côté de la barrière. S’il nous arrive quelque chose, envoie un microsatellite, devant, pour prévenir qu’on est peut-être en train de nager dans l’espace. Qu’il essaie de nous repêcher.
— Compris.
— Plus qu’à y aller, dit Giuse en fixant l’écran des yeux.
J’appuie sur la mise en route automatique des propulseurs. Jusque-là on marchait sur l’élan donné par les anti-grav au départ, renforcé par la gravité des planètes qu’on a frôlées.
Les indicateurs commencent à changer d’échelle. L’accélération est puissante. On ne la sent pas, avec les absorbeurs magnétiques, mais l’écran est révélateur. Et les chiffres qui défilent dans les fenêtres des indicateurs donnent une idée de ce qui se passe dehors.
— J’ai pris la vitesse de sortie, enregistrée au premier passage, dis-je.
Giuse ne répond pas, il regarde intensément l’écran géant. On n’y voit rien d’ailleurs. Tout est sombre. Pas la moindre étoile. C’est normal dans cette zone.
On navigue comme ça pendant deux heures quand je sens le dijar frissonner. Presque rien, mais tendu comme je le suis...
Mes yeux se baissent vers les cadrans des sondeurs quand Giuse lance :
— Tu as vu ? Ça commence !
Je hoche la tête en guise de réponse. Les sondes ont enregistré une secousse de la structure, très courte mais déjà violente : 22 ! J’aurais préféré ne pas savoir...
Le quart d’heure suivant se passe sans problème. Et, sans prévenir, ça commence. J’allongeais la main vers le tableau de commande quand on a eu l’impression d’être soulevés de nos sièges.
— JI prends la suite, je lance. Mais écoute mes ordres.
— Reç...
On tombe maintenant... Le dijar est animé de mouvements tellement brutaux que je n’arrive même pas à saisir les bras de mon fauteuil pour me retenir. Une masse pareille, être ballottée comme ça !
Les sondes sont folles ! L’aiguille du seul indicateur que je peux voir est dans le rouge. Bloquée au sommet. Ça veut dire que le dijar devrait craquer d’une seconde à l’autre...
Les autres indicateurs sont illisibles de ma place tellement tout bouge !
— JI !... je hurle ; les soooondeurs ?
— ... Maximum, dit la voix, difficilement audible. Mais... tient.
J’essaie de tourner la tête vers Lou mais je n’y arrive pas. Et je sens que si j’insiste et qu’il y a une secousse vers le haut pendant que je tourne la tête, mes vertèbres cervicales vont claquer !
La sirène d’alerte hurle et, au tableau, tout est au rouge.
— Coupe tout, j’ordonne à JI pendant un court répit. Plus de propulsion !
On dirait que des trains d’ondes nous frappent. Avec une brève interruption entre eux.
Un sifflement strident... C’est une fuite d’air ! Comment est-ce possible ?
Lou et Siz se sont détachés et s’approchent sans toucher le sol. Ils paraissent ne rien ressentir. Ils manœuvrent les purges d’urgence, au mur et le sifflement s’arrête. Apparemment la fuite est circuitée.
— Aaaaah !...
Giuse n’a pu retenir un cri de souffrance. Cette fois la secousse a été si forte que les sangles ont cisaillé nos cuisses.
Une nouvelle sonnerie... C’est l’avertisseur d’alerte de la structure.
Ça ne peut plus durer.
Un écran secondaire claque sèchement, contre le mur de gauche en voyant des éclats partout. Les parois ont des distorsions ! On les voit vibrer, maintenant. Et les fréquences sont si rapides que l’œil ne parvient pas à accommoder. Les murs deviennent indistincts. Comment le dijar peut-il tenir ?
— ... Capsules de survie... peuvent plus être éjectées, annonce Salvo, de l’arrière.
Je comprends ce qui s’est passé. La coque, en vibrant, a faussé les portes de sortie des capsules. Je me demande même si les désintégrants lourds sont encore en état de tirer ?
— Freinage ! je lance à JI.
— On l’a déjà essayé l’autre fois, intervient Giuse sans tourner la tête ; ça n’a rien donné.
Je le sais mais je voudrais vérifier quelque chose. Pas le temps de donner des explications. Je guette le grand écran. Toujours le noir profond.
Le dijar est animé de nouvelles secousses. Il paraît être victime de plusieurs forces contradictoires.
L’écran s’éclaire brusquement sur une superbe galaxie, bien ordonnée. J’attends cinq secondes et je crie :
— JI, accélération maximum !
Cette fois on sent le démarrage des propulseurs qui sont amenés à leur plus grande puissance en une seconde.
Le noir à nouveau... Et la sarabande reprend. Le dijar lutte comme il peut et il faut s’accrocher pour ne pas rebondir dans les fauteuils.
Encore un claquement. C’est l’ensemble des écrans répétiteurs, devant Lou, qui vole en morceaux.
Est-ce que ça va durer encore longtemps ? Les minutes passent sans que la violence des chocs ne faiblisse. Je ne peux plus compter les fracas qui ont résonnés.
Et puis l’écran s’éclaire a nouveau. Et, d’un seul coup, c’est le silence. Plus de secousses...
— JI, ça va ?
Il me répond immédiatement :
— Oui, rien de cassé.
— Dégâts ?
— Rien à la cellule. Les renforcements ont été efficaces. Des casses surtout à l’instrumentation. Réparable assez rapidement.
— Est-ce que le dijar est en vue ?
— Oui, à deux heures, en croisière.
— Dis donc, intervient Giuse en rogne, on pourrait savoir pourquoi tu nous as refoutu dans la mélasse, alors qu’on en était sorti ?
— Si je ne me suis pas trompé, on n’était pas sorti de l’auberge. JI, veux-tu nous passer l’enregistrement de l’émersion ?
L’image disparaît et revient. Pratiquement pareille. Pas tout à fait quand même !
— JI, marque l’endroit où doit se trouver le dijar. Un point rouge apparaît prés de la plus proche des planètes. On ne voit absolument rien de particulier.
— Maintenant, JI, revient à la vue directe, sur cet endroit précis.
L’image change et cette fois on distingue très bien le point lumineux du dijar en orbite !
— Recommence, JI, l’enregistrement...
Il apparaît avec la planète, seule. Sans le moindre satellite. Sans le dijar...
— ... Et maintenant notre galaxie.
La planète revient et le dijar apparaît de nouveau.
— Ça alors... qu’est-ce que ça veut dire ? demande Giuse ahuri.
— O.K. ! JI, on rejoint le dijar. Je me tourne vers mon copain.
— Ça veut dire qu’on n’était pas dans cette galaxie ! Je me suis douté de ce truc dès le premier passage, en allant vers la Terre... C’était un univers parallèle, je pense. Exactement identique... à ceci près que notre second dijar n’y était pas ! C’est la preuve que je cherchais.
— Un univers parallèle... Mais... bof... Il a un geste de dégoût de la main.
— ... Tu me traites vraiment comme le dernier des derniers. Chaque fois que je me dis que j’ai progressé, que je pourrais te remplacer, au besoin, hop ! tu me sors un truc ou un autre, pour me démoraliser ! Ce coup-ci, c’est un petit univers parallèle, et allez donc !... Même les Loys n’avaient pas découvert ça. Mais toi, comme ça en passant, tu mets la main dessus. Et pas même étonné, le gars ! Forcé... Du courant, hein ?
Je rigole un bon coup. Pourtant il a l’air sérieux, mon pote.
— Qu’est-ce que tu veux, je suis un petit génie... Ça le remet en selle. Je le vois à son regard. Je reprends :
— ... Malgré ça je pense que les Loys sont des petits gars bien secrets. À mon avis, au contraire, ils l’ont découvert, l’univers parallèle... ou ils les ont découverts, je ne sais pas s’il y en a un ou plusieurs. Ça expliquerait comment ils ont disparu, si soudainement. C’était peut-être la solution à leur sacré insecte qui les faisait mourir les uns après les autres. En désinfectant tout, à bord d’engins spatiaux, ils étaient sûrs d’arriver dans un univers sain.
— Alors tu penses qu’ils sont toujours quelque part... dans cet univers parallèle, celui-là ou un autre, je veux dire ?
Je hoche la tête.
— À mon avis, oui.
— Alors on risque de les voir débarquer un de ces jours pour nous demander, bien poliment, de quitter la base et la leur rendre ?
— Pense pas... enfin ça me paraît peu probable. Les insectes doivent toujours être dans notre galaxie, mais sont inefficaces sur nous.
*
Le second dijar. JI l’interroge. Il paraît qu’il y a cinquante-huit ans qu’on a disparu... J’envoie aussitôt un message à HI pour le prévenir qu’on va bien.
Le carré. Giuse est lancé dans un jeu pingon. Un truc qui faisait fureur chez les Loys. Ça se joue avec des figurines qu’on échange, dans un clavier particulier, en frappant les touches. Horriblement compliqué. Je n’ai jamais pu m’y mettre. Mais Giuse et Siz font des parties interminables que mon pote gagne parfois. Je le soupçonne de tricher ! Siz doit laisser faire...
— Alors, ça y est, on a pris le cap de retour ? demande-t-il sans lever la tête.
— Non, je n’ai laissé aucune instruction. Je voulais ton avis.
Cette fois il se tourne de mon côté.
— Tu ne veux pas rentrer, c’est pas vrai ?
— Moi si, j’en ai un peu marre de cette balade. Mais je ne savais pas ce que tu avais envie de faire. Il y a cette planète bleue qui a l’air d’être habitée... celle qu’on avait repérée...
Il lève les mains.
— Oh ! non merci, pas pour moi... je sors d’en prendre. Maintenant, relax, hein ? Le calme, la tranquillité, les petits oiseaux...
— On rentre à Vaha ? C’est ton dernier mot ?
— C’est pas vrai, tu veux encore te lancer dans un autre truc ?
— Non, je te l’ai dit. Je préfère rentrer. Et puis il faut faire réviser sérieusement le dijar. Le modifier même, et faire la même chose sur l’autre, pour en avoir deux en état de résister aussi bien à des torsions cellulaires. D’accord, on rentre !
— Je te propose des vacances dans l’Archipel. Une cure de leurs fruits de mer.
— Ouais ! Ça c’est une idée, mon vieux. La mer, le sable...
— Manquera plus qu’une petite nana, dit-il songeur. Dis donc, à quelle époque tu crois qu’ils en sont, les Vahussis ?
Je hausse les épaules. On verra bien.
FIN