Situé sur les hauteurs, Victoria Peak dominait l’île de Hong Kong.
Un prolongement de la société et de ses inégalités. Les pauvres en bas et les riches en haut. Pour les pauvres, la chaleur, le vacarme, la pollution, la promiscuité. Pour les riches, l’air frais, le calme, les pentes verdoyantes, les vallées boisées, l’impression de toucher le ciel et les dieux. Cheng avait déjà eu l’occasion d’enquêter ici. Un taipan – un marchand européen – avait fracassé le crâne de sa maîtresse chinoise avec un bronze de l’époque Ming. L’homme croupissait dans une cellule, les bras et les jambes brisés.
Après avoir montré son autorisation à la « police d’en haut », en fait une milice privée qui assurait la surveillance et la sécurité du site, il reprit sa marche, passant devant les résidences néoclassiques de la haute société hongkongaise. Coupés de la réalité, les occupants de ces prisons dorées ne descendaient plus jamais en ville, dans le chaos. Apercevant la grille en fer forgé de la Villa Marcy – le héros de Bloody Sea s’appelait Alan Marcy –, le flic accéléra l’allure. Vue d’ici, la baie offrait un spectacle à nul autre pareil. Une beauté qu’aucune photo, qu’aucune peinture ne saurait restituer. La rancœur, sa vieille compagne, l’oppressa de nouveau. Sa place était ici, parmi les riches, à profiter de la vie. En bas, il s’étiolait au milieu des cloportes. Il inspira d’un air écœuré puis se dirigea vers le portail. À son approche, quatre dobermans surgirent de derrière un chêne liège du jardin et coururent à petites foulées vers lui. Ils stoppèrent près de la grille et le fixèrent. Mal à l’aise, Cheng hésitait à manifester sa présence quand une voix lança :
— Moog, Radja, Quintus, couchés !
Il reporta son regard sur la silhouette accoudée à la balustrade de la terrasse, au premier étage. L’écrivain portait des lunettes de soleil et une casquette sur le devant de laquelle était brodé le titre de son roman.
— Je suis l’inspecteur Cheng. J’aimerais vous parler. C’est important.
William marqua une hésitation, mal à l’aise. Qu’est-ce que l’inspecteur foutait ici ? Comment avait-il convaincu la police d’en haut de le laisser passer ? À moins d’avoir une autorisation officielle, il était impossible pour quelqu’un d’en bas de fouler le sol de Victoria Peak.
— Je vous ouvre, dit-il finalement avec un sourire.
Une minute plus tard, la grille se déverrouilla et s’effaça en grinçant. Le policier entra dans la propriété. Les molosses se redressèrent et le suivirent pas à pas. Écrasés par la chaleur, ils haletaient et bavaient. Ils l’escortèrent jusqu’au perron. Cheng eut l’impression d’apercevoir d’autres chiens, masqués en partie par la végétation. Une sculpture trônait dans le jardin. Elle représentait l’écrivain vêtu d’un imperméable et coiffé d’un feutre, comme les détectives privés des films noirs. Décidément, l’humilité n’était pas son fort. Sur le seuil de la porte d’entrée, le maître de céans l’attendait.
— Vous êtes vraiment tel que je vous imaginais, fit William.
Le policier le dévisagea, surpris.
— On se connaît ?
— On peut dire ça.
Intrigué par sa création, William s’écarta pour la laisser passer, la précéda dans le vestibule et la guida au séjour. Baignant dans la lumière du soleil, la pièce était décorée avec beaucoup de goût. L’Asie semblait avoir supplanté l’Occident dans le cœur de William Sa. À croire qu’il était né ici, qu’il était l’un des leurs. Suspendus au plafond, des lampions ornés de symboles porte-bonheur. Aux murs, des peintures sur soie et des tableaux à base de feuilles séchées figurant des scènes de la vie quotidienne dans les provinces chinoises. Sur des guéridons, des vases en porcelaine et des lampes laquées de bois bleu et jaune. Le romancier marcha vers les chaises et la table basse en bambou qui occupaient le centre du salon puis, avec le raffinement et la politesse propres aux Asiatiques, invita Cheng à s’asseoir.
Il s’était si bien coulé dans le moule que c’en était troublant.
— Je sais que vous souhaiteriez fumer.
Il désigna le cendrier d’ébène sur la table. Cheng fronça les sourcils.
— Vous semblez savoir beaucoup de choses, monsieur Sa.
L’autre se contenta de sourire. Les deux hommes s’installèrent l’un en face de l’autre. William remarqua que le Chinois le regardait avec insistance. La casquette et les lunettes noires ne cachaient qu’une partie des dégâts. Bien visibles, des couches d’épiderme se décollaient de ses joues et de son nez.
— La dernière fois que je suis allé à Yalong, j’ai oublié de mettre cette satanée crème solaire et voilà le résultat, se justifia-t-il. Ça me servira de leçon.
S’étendant sur sept kilomètres, la baie de Yalong jouissait de la plus belle plage de sable blanc du pays. William l’avait créée pour les gens riches, comme lui. Une brigade spéciale de la police d’en haut, composée de snipers, tirait à vue sur les intrus qui s’y aventuraient.
— Vous disiez que c’était important, enchaîna-t-il pour changer de sujet.
Cheng acquiesça.
— Hier soir, un homme a été assassiné à Chungking Mansions.
— Pas étonnant, ce quartier est un vrai coupe-gorge. En quoi ça me concerne ?
— Le suspect, ou plutôt la suspecte vous accuse d’avoir commis ce crime.
Il aurait aimé lui ôter ses lunettes pour voir l’expression de ses yeux à cet instant précis.
— Rien que ça ! s’exclama l’écrivain d’un ton amusé. Je crains que vous n’ayez affaire à une folle, inspecteur.
Le flic fit craquer ses doigts couturés. William sourit intérieurement. Le jour où il avait utilisé la machine pour inventer l’inspecteur Linus Cheng, il avait commencé par définir ses traits de caractère puis avait enchaîné par sa description. Ainsi, Cheng avait le physique et la cruauté de Sato, l’exécuteur du film Black Rain. Petite fantaisie de son créateur, il avait dix-sept cicatrices sur les jointures.
Chacune correspondait à l’une de ses victimes.
La dix-huitième serait Cassandra Malcombe.
— Ça vous arrive de descendre ? s’enquit le flic.
— Je tiens à ma vie. J’envoie le personnel quand il le faut. La ville est sale et dangereuse.
Il avait insisté sur la dernière phrase, sachant que cela agacerait Cheng. En effet, cet état des lieux renvoya l’inspecteur à sa triste condition et raviva son ressentiment. Sa frustration et sa colère devaient être à leur paroxysme lorsqu’il torturerait Cassandra.
Il fallait que cette salope en bave avant de passer de vie à trépas.
— Hier, vous êtes descendu ?
— Je viens de vous répondre.
Silence.
— La femme qui vous accuse est une de vos lectrices. On a trouvé un exemplaire dédicacé de Bloody Sea dans sa chambre.
William n’avait jamais indiqué la présence de son roman sur la scène de crime. La machine avait-elle eu un raté ? Il s’efforça de faire bonne contenance et lâcha :
— Ce n’est pas parce qu’elle m’accuse que je suis coupable, non ? Pour votre gouverne, je suis traduit en vingt-cinq langues. J’ai des millions de lecteurs à travers le monde. Parmi eux, il y a forcément des désaxés, des violeurs, des tueurs. Je ne suis pas responsable de leurs actes.
Le policier fixa les verres fumés des lunettes. Il n’avait pas besoin de voir les yeux de l’écrivain pour savoir qu’il était nerveux.
— Quoi qu’il en soit, vous lui avez dédicacé votre roman hier. Et le message était plutôt explicite.
Il lui tendit une photocopie. William se sentit pâlir. C’était son écriture.
— Ce cadeau tombé du ciel, monsieur Sa, vous pouvez préciser de quoi il s’agit ?
William ne voyait qu’une seule explication à tout ça. Quelqu’un avait eu accès aux feuilles dactylographiées qu’il gardait dans son coffre-fort. Quelqu’un qui savait pour Chungking Mansions.
Ça ne pouvait être que la momie.
Comment avait-elle pu survivre à l’hécatombe programmée par William ?
Il regarda le flic bien en face.
— Je vous le répète, je ne suis pas allé en ville hier. Et je n’ai pas dédicacé ce livre. N’importe qui a pu imiter mon écriture et ma signature.
Sans le vouloir, il venait d’ouvrir une porte. L’inspecteur la poussa et entra.
— Vous accepterez donc de vous soumettre à une expertise graphologique.
William déglutit. Le personnage qu’il avait créé de toutes pièces était capable de réfléchir et de prendre des initiatives. Il s’efforça de se calmer. Après tout, il n’avait rien à craindre. Il suffisait de taper une nouvelle version de l’histoire pour endormir les soupçons de Cheng. Pour l’heure, il ne devait surtout pas le contrarier.
Ce type était incontrôlable.
— Si ça vous chante. À condition que nous la fassions ici.
— Cassandra Malcombe, ce nom vous dit quelque chose ?
William fit semblant de fouiller dans sa mémoire.
— Jamais entendu parler. Qui c’est ? La suspecte ?
— Et Jack Malcombe ?
— Non plus.
L’écrivain jeta un coup d’œil ostensible sur sa montre.
— Je suis désolé, j’aimerais beaucoup vous aider mais j’ai du travail.
— Votre prochain livre ?
— Absolument. L’écriture est une maîtresse insatiable, elle n’attend pas.
L’inspecteur posa encore quelques questions, auxquelles il répondit avec brio. À la fin de l’entretien, il quitta sa chaise, rassuré. La présence du livre sur la scène de crime le perturbait, mais cela n’influerait pas sur la suite des événements. Après avoir été torturée par Cheng au commissariat – il avait même ajouté une petite scène de viol –, Cassandra serait jugée, condamnée pour le meurtre de Jack et écrouée à la prison de Tianjin, à deux cents kilomètres à l’est de Pékin, là où croupissaient les criminels les plus dangereux du pays.
C’était écrit.
Cheng se leva à son tour, frustré. Il refréna son envie de fracasser le crâne de William Sa à coups de crosse. Si en bas il faisait la loi, ici il était pieds et poings liés. Pour agir, il lui fallait des éléments plus probants.
— Je vous appelle demain. Nous conviendrons d’un rendez-vous pour l’analyse graphologique.
William le reconduisit, s’empressa de lui serrer la main et de refermer la porte. Grâce à Cheng, Cassandra irait en enfer. Mais si par malheur il revenait à la charge, le romancier se passerait de ses services et se servirait de la machine pour l’expédier sur une île déserte sans eau ni nourriture, le faire interner dans un asile ou le crucifier au dernier étage du plus haut building de la ville. Au choix. Rien ni personne ne pouvait contrecarrer ses plans.
Il avait en sa possession l’arme absolue.
Elle.
La machine.
Il l’avait utilisée deux heures plus tôt, pour des travaux domestiques, mais elle lui manquait déjà. Ces derniers jours, elle lui avait permis de se livrer aux expériences les plus excitantes de sa vie. Pour s’amuser, il avait mis Bruce Willis à la présidence des États-Unis et Alain Delon à celle de la France. Il avait rétabli la peine de mort dans tous les pays où des gouvernements laxistes l’avaient abolie, créé des milices chargées d’éliminer le crime et la délinquance, rayé de la carte les puissances belliqueuses qui menaçaient l’équilibre du monde occidental, comme l’Iran et la Corée du Nord. Pour son plaisir personnel, il avait éradiqué la laideur dans les rangs de la gent féminine. Partout où il se rendait pour dédicacer ses romans et donner des conférences sur les littératures de l’imaginaire, il ne croisait que des femmes sublimes, avec lesquelles il était susceptible de coucher. Le plus fun avait été de faire disparaître la tour Eiffel. Une simple phrase et puis s’en va ! Lorsqu’il avait voulu l’installer à Hong Kong, à la place de la Bank of China Tower, dans le district Central and Western, il avait échoué, et pour cause : maintenant qu’elle n’existait plus, la machine ignorait tout d’elle, de son apparence à son nom. La bonne méthode eût été de d’abord cloner la tour Eiffel ici, à Hong Kong, puis de faire disparaître l’originale.
Désormais, cette bonne vieille dame de fer n’était plus qu’un souvenir dans l’esprit de William.
Ce qui était fait, était fait, et irréversible.
Cette certitude l’angoissa. Si l’inspecteur Cheng s’obstinait à le harceler et s’il ne pouvait pas l’en empêcher, que se passerait-il ? Il essaya de ne pas s’inquiéter. Bientôt, comme il l’avait prévu, le flic se laisserait accaparer par le cas Cassandra Malcombe et il l’oublierait, lui.
Il grimpa à l’étage et se précipita dans son bureau. Il ouvrit le coffre-fort, sourit en constatant que les feuilles dactylographiées étaient toujours là. Personne n’y avait touché. Après avoir sorti la machine, il effleura le clavier avec un sourire. Un frisson délicieux le parcourut de la tête aux pieds.
— Si seulement tu pouvais parler, mon amie.
Il commença à taper. Augmenter le sadisme et la cruauté de Cheng, changer son physique pour le rendre encore plus répugnant. Donner le plein pouvoir à la police afin qu’il puisse expérimenter de nouvelles techniques de torture sur Cassandra. Tuer la vieille vendeuse, la seule personne qui était au courant pour la machine, en lui faisant avaler des pièces jusqu’à ce qu’elle en dégueule en cascade, à l’instar d’une machine à sous.
Il tira la feuille du chariot et en engagea une autre, prêt à continuer, mais une voix l’arracha à ses occupations.
— Chéri ?
Il sourit. Elle le réclamait. Même s’il avait écrit ce qui allait arriver maintenant, même si les dés étaient pipés, il ressentait une exaltation à nulle autre pareille. Contrôler les gens et les événements faisait de lui le maître du monde. Un jour, peut-être, il en aurait marre d’elle, mais pour l’instant…
Quand il entra dans la chambre à coucher, une vision de rêve le figea sur place. Allongée sur le lit, enveloppée dans les draps de soie, elle l’attendait. La lueur dans ses yeux l’enflamma tout entier et il se déshabilla. Nu, il croisa son reflet dans la glace. La desquamation s’était étendue sur tout le corps. Il pensa à un cobra royal en train de changer de peau. La comparaison lui plut. Cette métamorphose – car dans son esprit il s’agissait bien de ça, une métamorphose qui ferait de lui un homme plus beau et plus fort – aurait dû inspirer du dégoût à la jeune femme. Or, elle le considérait avec désir. Normal, il avait décidé qu’il en serait ainsi chaque fois qu’il la rejoindrait pour lui faire l’amour. Mei Lee, la petite Philippine qu’il avait aperçue dans ce couloir de Chungking Mansions, n’était plus. Elle était devenue une autre, celle dont il rêvait. Hier encore, technicienne de surface dans une banque de Central, elle était entourée de cols blancs qui lui mettaient la main au panier chaque fois qu’elle se baissait pour astiquer une plinthe ou brancher la prise de l’aspirateur. Aujourd’hui, elle vivait dans une villa de luxe, elle ne manquait de rien et passait ses journées à se faire belle pour son homme, dont la laideur s’accentuait de jour en jour. Une princesse s’offrant à un lézard. Cette image amusa William. Excité, il se glissa sous les draps et posa les mains sur son corps nu, éprouvant le satiné de sa peau. Elle lui susurra des mots doux à l’oreille, les mots qu’il voulait entendre, ceux qu’il avait écrits quelques heures auparavant.
— Viens, dit-elle.
Elle écarta les cuisses. Doté d’un sexe démesuré – un cadeau de la machine –, William la pénétra. Derrière, la fenêtre donnait sur un ciel gris, sombre. Pendant l’acte, il se dit qu’il l’éclaircirait la prochaine fois qu’ils feraient l’amour. Il avait entrepris la reconstruction de cette ville et du monde dans le seul et unique but de satisfaire tous ses désirs, des plus nobles aux plus vils. Le jour viendrait où tout serait parfait, comme dans un rêve.
Son rêve.
Il était trop concentré sur son plaisir pour entendre ce que Mei murmura :
— J’aimais bien quand tu avais ton bandage et tes lunettes, tout à l’heure.
Dans le jardin, Cheng grimaça en ôtant les bouts de peau sur sa paume.
Il regrettait d’avoir serré la main de William Sa. L’écrivain pelait à mort, c’était dégoûtant. Son portable sonna. Il s’interrompit à contrecœur et répondit. Un collègue lui apprit qu’il n’y avait aucune explication sur la manière dont Jack Malcombe avait été « fixé » au plafond de la chambre de Chungking Mansions. Pas de colle, pas de vis ni de clous. Mystère total. Quelque part, Cheng aimait les mystères car ils justifiaient l’emploi des grands moyens pour découvrir la vérité. Rien de tel qu’un passage à tabac pour obtenir des aveux. Il allait pouvoir torturer la femme comme il le souhaitait, à son rythme, sans être inquiété par la hiérarchie.
De quoi le motiver pour faire des heures supplémentaires.
Il se dirigeait vers la grille, étonné de ne pas tomber sur les dobermans, lorsque des bruits de succion lui parvinrent, en provenance du fond du jardin. Il revint sur ses pas, contourna la sculpture de l’écrivain et s’immobilisa. Face à lui, un troupeau de chiens formait un cercle. Ils se partageaient des ossements humains. Ils léchaient des fémurs, des côtes, des cubitus. Quand l’un d’eux leva la tête, les yeux fous et la gueule écumante, le Hongkongais rebroussa chemin avant que la meute ne le voie. Il avait eu raison de se fier à son instinct. Le romancier allait devoir expliquer la présence de ces restes dans son jardin.
Un excellent prétexte pour l’arrêter et l’emmener en bas.
Là où il n’aurait plus aucun pouvoir.
Avec des gestes exercés, l’inspecteur sortit le pistolet semi-automatique QSZ-92 de l’étui à sa ceinture, le tint fermement et fit le tour de la villa, à la recherche d’une entrée. Une porte-fenêtre donnait sur le séjour. D’un coup de coude, il cassa un carreau, glissa la main à l’intérieur et tira le verrou. L’arme pointée droit devant lui, il s’avança dans la pièce. Des bruits de vaisselle à sa droite. Il se planta sur le seuil de la cuisine. De dos, vêtue d’une robe de chambre en soie ornée de calligraphies, une femme remplissait une casserole d’eau en fredonnant une chanson de Barbie Hsu. Alors qu’elle se retournait pour la déposer sur une plaque électrique de la cuisinière, elle l’aperçut. Terrifiée, Mei lâcha la casserole qui tomba à ses pieds. À cet instant, William se redressa. Le policier ne l’avait pas vu car il se trouvait derrière le plan de travail. Il s’était baissé pour ramasser un couteau à pain.
L’amusement remplaça la stupeur sur le visage de William. Le policier était tel qu’il l’avait décrit lors de son dernier pianotage. Une profonde balafre sur chaque joue, l’œil gauche crevé, des tatouages interdits aux mineurs sur le cou, les avant-bras et les mains.
— Pose ce couteau. Sinon, je te troue le buffet.
Avec des gestes lents, l’écrivain s’exécuta.
— Maintenant, tu me suis, je t’emmène en bas.
William s’affola. Ce n’était pas prévu au programme.
— Mais…
L’autre le coupa avec un sourire pervers :
— Tu verras, c’est très différent d’ici, l’endroit où je travaille.
William connaissait suffisamment Cheng, sa création, pour savoir que sa folie était sans limites. S’il partait avec lui, il n’avait aucune chance d’en réchapper. Cédant à la nervosité, il se gratta le front jusqu’au sang, arrachant une pellicule de peau qui tomba sur le carrelage.
Il tenta le tout pour le tout.
— Je ne peux pas y aller comme ça. Il faut que je me change.
Sans attendre l’autorisation, il se dirigea vers l’escalier qui menait à l’étage. Le flic le rattrapa et le retint par le poignet.
— Ce n’est pas la peine, décréta Cheng en affrontant le regard du serpent.