INTRODUCTION

Introduction

Ce livre est à la fois une anatomie et une mise en accusation de l'industrie de l'holocauste. Dans les pages qui suivent, je vais soutenir que « l'holocauste » est une représentation idéologique de l'holocauste nazi^ Comme beaucoup d'idéologies, elle a un rapport, si ténu fût-il, avec la réalité. « L'holocauste » est une construction non pas arbitraire mais dotée d'une cohésion interne. Ses dogmes principaux soutiennent des intérêts politiques et sociaux significatifs. En fait, « l'holocauste » s'est avéré une arme idéologique indispensable. Grâce à son déploiement, l'une des puissances militaires les plus formidables du monde, dont les manquements aux droits de l'homme sont considérables, s'est posé en état-« victime », et le groupe ethnique le plus florissant des États-Unis a, lui aussi, acquis le statut de victime. Des bénéfices considérables découlent de ce statut injustifié de victime, en particulier, une immunité face à la critique, même la plus justifiée. Ceux qui jouissent de cette immunité, ajouterai-je, n'ont pas échappé à la corruption morale qui va de pair avec elle. De ce point de vue, le rôle d'Elie Wiesel, interprète officiel de l'holocauste, n'est pas un hasard. Il est évident qu'il n'est pas parvenu à cette position par son action humanitaire ou ses talents littéraires ^ Il joue le premier rôle plutôt parce qu'il articule sans la moindre fausse note

1. Dans ce texte, « holocauste nazi » désigne l'événement historique réel et « Holocauste » sa représentation idéologique.

2. À propos du honteux travail apologétique de Wiesel en faveur d'Israël, cf. Norman G. Finkelstein et Ruth Bettina Birn, A Nation on Trial: The Goldhagen Thesis andHistorical Truth (New York : 1998), p. 91 note 83, p. 96 note 90. Ailleurs, son action ne vaut pas mieux. Dans un nouvel essai. And the Sea Is Never Full New York, 1999 (Et la mer n'est pas remplie. Mémoires, tome 2, Paris, Le Seuil), Wiesel explique de façon incroyable son silence à propos des souffrances des Palestiniens, « Malgré des pressions considérables, j'ai refusé de prendre position publiquement dans le conflit israélo-arabe » (p. 125). Dans son étude très détaillée de la littérature de l'Holocauste, le critique littéraire Irving Howe

les dogmes de l'holocauste, défendant par là même les intérêts qui le sous-tendent.

Le prétexte initial de ce livre a été l'étude fondamentale de Peter Novick, The Ho-locaust in American Life, dont j ' ai rendu compte pour une revue littéraire britannique ^. Dans les pages qui suivient, le dialogue critique que j'avais entamé avec Novick est élargi ; d'oîi le nombre abondant de références qui accompagnent cette étude. Plus un conglomérat d'aperçus provocants qu'une critique argumentée, The Holocaust in American Life s'inscrit dans la vénérable tradition américaine du brassage de boue. Comme tous les brasseurs de boue, Novick se concentre sur les abus les plus flagrants. Souvent virulent et rafraîchissant, The Holocaust in American Life n'est pas une critique systématique. Les affirmations fondamentales ne sont pas remises en question. Le livre, qui n'est ni banal ni hérétique, se situe dans le courant officiel, à la pointe extrême de la controverse. Comme on pouvait le prévoir, il a été largement commenté, diversement d'ailleurs, par la presse des États-Unis.

La principale catégorie analytique de Novick est la « mémoire ». Actuellement à la pointe de la mode dans les cercles académiques, la « mémoire » est certainement le concept le plus pauvre du monde universitaire depuis longtemps. Après la référence obligatoire à Maurice Halbwachs, Novick s'attache à démontrer comment des préoccupations actuelles donnent sa forme à la « mémoire de l'holocauste ». Autrefois, les intellectuels en rupture utilisaient des catégories politiques robustes comme « pouvoir », « intérêts » d'un côté, « idéologie », de l'autre. Aujourd'hui, il ne reste plus que le langage émoussé et dépolitisé des « préoccupations » et de la « mémoire ». Mais, cela ressort des sources mêmes que produit Novick, la « mémoire de l'holocauste » est une construction idéologique d'intérêts particularistes. Bien que choisie, la mémoire de l'holocauste, d'après Novick, est, « le plus souvent, arbitraire ». Le choix, affirme-t-il, n'a pas été dicté par « un calcul d'avantages et d'inconvénients » mais plutôt « sans

traite l'œuvre abondante de Wiesel dans un malheureux paragraphe qui contient cet éloge : « Le premier livre d'Elie Wiesel, La Nuit, est écrit simplement et sans indulgence rhétorique. » « Il n'y a rien eu de valable depuis La Nuit, pense aussi le critique littéraire Alfred Kazin. Elle n'est maintenant qu'un acteur. Il m'a dit qu'il était un "lecteur de l'angoisse" » (Irving Howe, « Writing and the Holocaust », New Republic [27 octobre 1986] ; Alfred Kazin, « A Lifetime Burning in Every Moment », New York, 1996, p. 179)

3. New York : 1999. Norman Finkelstein, "Uses of the Holocaust", London Review of Books, 6 January 2000

préoccupation des conséquences"^ ». Les sources suggèrent plutôt le contraire.

À l'origine, mon intérêt pour l'holocauste nazi était personnel. Mes deux parents étaient des survivants du ghetto de Varsovie et des camps de concentration nazis. À part mes parents, tous les membres de ma famille, des deux côtés, ont été exterminés par les nazis. Mon souvenir le plus ancien, pour ainsi dire, de l'holocauste nazi, c'est ma mère, collée à l'écran de télévision pour le procès d'Adolf Eichmann (1961), quand je rentrais de l'école. Bien qu'ils aient été libérés des camps seulement seize ans avant le procès, dans mon esprit un abîme infranchissable a toujours séparé les parents que je connaissais de cela. Il y avait des photos de ma famille maternelle au mur du salon (après la guerre, il ne restait aucune photo de la famille de mon père). Je n'ai jamais pu appréhender réellement quel était mon lien avec eux, sans parler de me représenter ce qui était arrivé. C'étaient le frère, les sœurs et les parents de ma mère et non mes tantes, mon oncle et mes grands-parents. Je me souviens d'avoir lu, étant enfant, The Wall de John Hersey et Mila 18 de Léon Uris, des récits romancés du ghetto de Varsovie. (Je me souviens encore de ma mère se plaignant d'avoir raté sa station de métro parce qu'elle était plongée dans The Wall). J'avais beau essayer, je ne pouvais pas un seul instant faire le saut en imagination qui m'aurait permis d'associer mes parents, des gens ordinaires, avec ce passé. Et franchement, aujourd'hui encore je ne peux pas. Le point le plus important, cependant, est ceci : à part cette présence fantomatique, je ne me souviens pas que l'holocauste nazi se soit jamais manifesté pendant mon enfance. La raison principale en était que personne, en dehors de ma famille, ne semblait se préoccuper de ce qui s'était passé. Mes amis d'enfance dévoraient des livres et discutaient passionnément de l'acutalité. Cependant, honnêtement, je n'ai pas le souvenir d'un seul ami (ou parent d'ami) posant la moindre question au sujet de ce que mon père et ma mère avaient subi. Il ne s'agissait pas là d'un silence déférent mais simplement d'indifférence. Dans cette optique, on ne peut être que sceptique devant les torrents d'angoisse des années suivantes, après l'établissement solide de l'industrie de l'holocauste.

Parfois, je pense que la « découverte » de l'holocauste nazi par les juifs américains est pire que son oubli. Il est vrai que mes parents souffraient en silence ; les souffrances qu'ils avaient subies n'étaient pas reconnues publiquement. Mais cela ne valait-il pas mieux que l'exploitation actuelle, éhontée, du martyre juif? Avant que l'holocauste

4. Novick, The Holocaust, p. 3 à 6

nazi ne devienne l'Holocauste, il n'y avait eu que quelques études universitaires et quelques volumes de mémoires publiés sur la question, par exemple La Destruction des juifs européens de Raul Hilberg et Prisonniers de la peur d'Ella Lingens-Reiner. Mais cette petite collection de joyaux était plus précieuse que les rayons entiers de baratin qui tapissent aujourd'hui les bibliothèques et les librairies.

À la fin de leur vie, mes parents, l'un comme l'autre, tout en revivant tous les jours le passé, et ce jusqu'à leur mort, avaient perdu tout intérêt pour le spectacle public de l'holocauste. Un des plus vieux amis de mon père était un de ses anciens camarades d'Auschwitz, un idéaliste de gauche, apparemment incorruptible, qui avait refusé le principe même des compensations allemandes après la guerre. Finalement, il devint directeur du musée israélien de l'holocauste, Yad Vashem. Malgré lui et avec une déception sincère, mon père en vint à admettre que même cet homme avait été convaincu par l'industrie de l'holocauste, qui avait façonné ses croyances sur le modèle du pouvoir et du profit. Au fur et à mesure que les représentations de l'holocauste devenaient plus absurdes, ma mère aimait à citer Henri Ford (avec une ironie volontaire) : « Foutaises que l'histoire ! » Les récits des « survivants de l'holocauste » - tous des détenus des camps de concentration, tous des héros de la résistance - étaient source d'un amusement désabusé à la maison. Il y a longtemps que John Stuart Mill a admis que les vérités qui ne sont pas sans cesse remises en question « cessent d'avoir l'effet de la vérité, et se transforment en mensonge à force d'exagération ».

Mes parents s'étonnaient souvent que je sois tellement indigné par la falsification et l'exploitation du génocide nazi. La réponse la plus simple est qu'on l'utilise pour justifier la politique criminelle de l'état d'Israël et le soutien des États-Unis à cette politique. Il y a aussi un motif personnel : je m'inquiète du souvenir de la persécution de ma famille. La campagne actuelle de l'industrie de l'holocauste visant à extorquer de l'argent de l'europe au bénéfice des « victimes nécessiteuses de l'holocauste » a ramené les dimensions morales de leur martyre au niveau d'un casino de Monaco. Même en dehors de ces préoccupations, cependant, je demeure convaincu qu'il est important de conserver - de lutter pour - l'intégrité du récit historique. A la fin de ce livre, je suggérerai qu'en étudiant l'holocauste nazi, nous pouvons apprendre beaucoup non seulement à propos des « Allemands » ou des « Gentils » mais à propos de chacun de nous. Cependant, je pense qu'à cette fin, pour tirer un enseignement réel de l'holocauste nazi, sa dimension physique doit être réduite et sa dimension morale élargie.

Trop de moyens publics et privés ont été investis dans la commémoration du génocide nazi. La majeure partie du résultat est dépourvue de valeur; c'est un tribut non aux souffrances juives mais à la glorification juive. Le temps est venu depuis longtemps d'ouvrir nos cœurs aux souffrances du reste de l'humanité. C'est la leçon essentielle que ma mère m'a léguée. Je ne l'ai jamais entendue dire : « Ne compare pas. » Ma mère comparait toujours. Il est incontestable que des distinctions doivent être faites en histoire. Mais établir des distinctions morales entre « nos » souffrances et « les leurs » est un travestissement moral. « On ne peut pas comparer deux peuples malheureux, disait Platon avec beaucoup d'humanité, et dire que l'un est plus heureux que l'autre. » Face aux souffrances des Noirs américains, des Vietnamiens et des Palestiniens, le credo de ma mère a toujours été : nous sommes tous des victimes de l'holocauste.

Norman Finkelstein Avril 2000 New York

LA CAPITALISATION DE L'HOLOCAUSTE

Chapitre 1 :

La capitalisation de l'holocauste

L Y A quelques années, au cours d'un échange célèbre, Gore Vidal accusa Norman X Podhoretz, qui était alors rédacteur en chef de la revue du Comité juif américain Commentary, d'être anti-américain ^ Les preuves en étaient que Podhoretz accordait moins d'importance à la guerre de Sécession - « le seul grand événement tragique qui ait encore un sens pour notre République » - qu'aux préoccupations juives. Podhoretz était cependant plus américain que son accusateur. Car, dès cette époque-là, « la guerre contre les juifs » était une figure plus centrale dans la vie culturelle américaine que « la guerre entre les états ». La plupart des professeurs de collège peuvent témoigner que comparé à la guerre de Sécession, beaucoup plus d'élèves situent l'holocauste nazi dans le bon siècle et, en général, ils citent le nombre de morts. En fait, l'holocauste nazi est à peu près la seule référence historique qui ait cours dans les amphis aujourd'hui. Les sondages montrent que beaucoup plus d'Américains connaissent l'Holocauste que Pearl Harbour ou la bombe atomique d'Hiroshima.

Jusqu'à une période très récente, cependant, l'holocauste nazi n'avait qu'une place minuscule dans la vie américaine. Entre la fin de la seconde guerre mondiale et la fin des années soixante, seule une poignée de livres et de films évoquait le sujet. Il n'y avait qu'une université aux États-Unis pour enseigner la matière^ Quand Hannah Arendt publia Eichmann à Jérusalem, en 1963, elle ne pouvait faire référence qu'à deux études universitaires en anglais, La Solution finale de Gerald Reitlinger et La

1. Gore Vidal, "The Empire Loyers Strike Back," Nation (22 March 1986).

Destruction des juifs européens de Raul Hilberg ^. L'œuvre maîtressse de Hilberg elle-même faillit ne pas voir le jour. Son patron de thèse à l'université de Columbia, le sociologue Franz Neumann, un juif allemand, le découragea vigoureusement de traiter le sujet (« C'est votre enterrement ») et aucune université et aucun éditeur important ne voulurent du manuscrit complet. Lorsque le livre fut enfin publié, il ne fit l'objet que de rares comptes rendus, critiques dans l'ensemble''.

L'indifférence envers l'holocauste nazi n'était pas le fait des Américains seulement, mais aussi celui des juifs américains. Dans une étude de référence, en 1957, le sociologue Nathan Glazer note que la solution finale nazie (ainsi qu'Israël) « avait remarquablement peu d'impact sur la vie interne des juifs américains ». Dans un congrès de la revue Commentary en 1961, portant sur « La judéité et les jeunes intellectuels », deux intervenants sur trente et un ont souligné son impact. De même, une table-ronde réunie en 1961 par la revue Judaism et réunissant vingt et un juifs américains pratiquants autour du thème « M'affirmer juif », ignorait presque complètement le sujet^. Il n'y avait ni monuments ni tribut à l'holocauste nazi aux États-Unis. Au contraire, les principales organisations juives s'opposaient à ces commémorations. Pourquoi donc?

L'explication traditionnelle est que les juifs avaient été traumatisés par l'holocauste nazi et, par conséquent, en réprimaient le souvenir. En fait, il n'y a rien qui permette d'affirmer cela. Il est incontestable que certains survivants ne voulaient pas ni au début

3. Hannah Arendt, Eichmann in Jérusalem : A Report on the Banality of Evil, édition révisée et augmentée, New York, 1965, p. 282. En Allemagne, la situation n'était pas très différente. Par exemple, Joachim Fest, auteur d'une biographie de Hitler, admirée ajuste titre et publiée en Allemagne en 1973, consacre seulement quatre pages sur sept cent cinquante à l'extermination des juifs et seulement un paragraphe à Auschwitz et aux autres camps de la mort. (Joachim C. Fest, Hitler, New York, 1975, p. 679-82.)

4. Raul Hilberg, The Politics of Memory, Chicago, 1996, p. 66, pp. 105-37. Comme les travaux érudits, les rares films portant sur l'holocauste nazi sont cependant d'une qualité remarquable. Il est très étonnant que Stanley Kramer dans Le jugement de Nuremberg, 1961, qualifie expressément la décision du juge de la cour suprême américaine Oliver Wendell Holmes, en 1927, qui admettait la stérilisation des « inadaptés mentaux » de précurseur de la politique eugénique nazie ; il mentionne que Churchill chantait les louanges de Hitler en 1938 encore, que les industriels américains profiteurs ont fourni des armes à Hitler et que les industriels allemands ont été acquittés opportunément par le tribunal militaire américain.

5. Nathan Glazer, American Judaism, Chicago, 1957, p. 114. Stephen J. Whitfield, « The Holocaust and the American Jewish Intellectual », Judaism, automne 1979.

ni plus tard, parler de ce qui était arrivé. Beaucoup d'autres, cependant, ne demandaient qu'à en parler et lorsque l'occasion s'en présentait, ils ne pouvaient plus s'arrêter^. Le problème, c'est que les Américains ne voulaient pas entendre.

La véritable cause du silence sur l'extermination nazie, c'est la politique opportuniste des dirigeants juifs américains et le climat politique de l'Amérique d'après-guerre. Dans les affaires intérieures comme dans les affaires extérieures, les élites juives' se conformaient étroitement à la politique officielle des États-Unis. Cette attitude facilitait en effet les buts traditionnels, l'assimilation et l'accession au pouvoir. Avec le début de la guerre froide, les associations juives dominantes se mirent au diapason. Les élites juives américaines « oublièrent » l'holocauste nazi parce que l'Allemagne - l'Allemagne de l'Ouest depuis 1949 - était devenue un allié crucial des États-Unis de l'après-guerre, dans leur confrontation avec l'Union soviétique. S'appesantir sur le passé n'avait pas la moindre utilité ; en fait, cela aurait compliqué les choses.

Avec quelques réserves (vite abandonnées), les principales associations juives américaines se sont rapidement alignées sur le soutien des États-Unis à une remilitarisation de l'Allemagne à peine dénazifiée. Le Comité juif américain (AJC), craignant qu'« une opposition organisée des juifs américains à la nouvelle politique étrangère et à la nouvelle approche stratégique les isole aux yeux de la majorité non juive et mette en danger leurs succès d'après-guerre sur la scène intérieure », fut le premier à prêcher les vertus du réalignement. Le Congrès juif mondial pro-sioniste et sa filiale américaine abandonnèrent leur opposition après la signature des accords avec l'Allemagne sur les compensations financières, au début des années 1950, tandis que la Ligue contre la diffamation, première des grandes associations juives, envoyait une délégation officielle en Allemagne en 1954. Toutes ensemble, ces associations collaborèrent avec le gouvernement de Bonn pour contenir la « vague anti-allemande » de l'opinion publique juive ^.

6. Pour un commentaire intelligent de ces deux types opposés de survivant, cf Primo Levi, The Reawakening, avec une nouvelle post-face, New York, 1986, p. 207.

7. Dans ce texte, « les élites juives » désignent les personnalités de premier plan des organisations et de la vie culturelle de la communauté juive dominante.

8. Shlomo Shafir, Ambiguous Relations: The American Jewish Community and Germany Since 1945 (Détroit: 1999), p. 88, 98, 100-101, 111, 113, 114, 177, 192, 215, 231, 251.

La solution finale était tabou pour les élites juives américaines pour une autre raison encore. Les juifs de gauche, qui étaient hostiles à l'alliance avec l'Allemagne contre l'Union soviétique, dans le cadre de la guerre froide, rabâchaient sans cesse leur désaccord. Les références à l'holocauste nazi étaient perçues comme une attitude communiste. Prisonniers du préjugé qui faisaient des juifs des hommes de gauche - de fait, les juifs représentent un tiers des voix qui se sont portées sur le candidat progressiste Henry Wallace aux élections présidentielles de 1948 - les élites juives américaines ne craignirent pas de sacrifier leurs coreligionnaires sur l'autel de l'anti-communisme. Le comité juif américain et l'ADL collaborèrent activement à la chasse aux sorcières de l'époque mac-carthyste en ouvrant leurs registres aux organes gouvernementaux. L'AJC approuva la condamnation à mort des Rosenberg et sa publication mensuelle, Commentary, affirma dans un éditorial qu'ils n'étaient pas vraiment iuiis.

Redoutant d'être perçues comme trop proches des mouvements de gauche aux États-Unis et à l'étranger, les associations juives dominantes s'opposèrent à la coopération avec les sociaux-démocrates allemands anti-nazis ainsi qu'au boycott des usines allemandes et des manifestations publiques contre les ex-nazis qui faisaient des tournées aux États-Unis. D'un autre côté, le pasteur protestant Martin NiemoUer, un opposant allemand de premier plan, qui avait passé huit ans dans les camps de concentration nazis et menait désormais une croisade anti-communiste, subit les insultes des dirigeants juifs américains. Désireux de promouvoir leurs lettres de créance anti-communistes, les élites américaines s'enrôlèrent dans les organisations d'extrême-droite et les soutinrent financièrement : ainsi, la Conférence de tous les Américains pour combattre le communisme. Mais elles ne protestaient pas quand d'anciens nazis s'installaient aux États-Unis^.

Toujours désireux de se ménager les bonnes grâces des élites gouvernementales américaines et de se dissocier de la gauche juive, les associations juives américaines n'évoquaient l'holocauste nazi que pour une seule raison : la dénonciation de l'Union

9. Ibid., 98, 106, 123-37, 205, 215-16, 249. Robert Warshaw, « The 'Idealism' of Julius and Ethel Rosenberg », Commentary, novembre 1953). Est-ce une coïncidence si, au même moment, les organisations juives dominantes crucifiaent Hannah Arendt qui avait mis en évidence la collaboration des élites juives en cours d'ascension sociale durant l'époque nazie? Rappelant le rôle perfide de la force de police du Conseil juif, Yitzhak Zuckerman, un meneur de l'insurrection du ghetto de Varsovie, remarquait: « Il n'y avait pas de « policiers corrects » parce les hommes corrects quittèrent l'uniforme et devinrent des juifs du rang. » (A Surplus of Memory, Oxford : 1993, p. 24)

soviétique. « La politique soviétique anti-juive offre des occasions de renforcer certains points de la politique américaine de l'AJC qui ne peuvent être ignorées », note un mémoire interne de l'AJC, cité par Novick avec jubilation. Dans la pratique, cela voulait dire rapprocher la solution finale nazie de l'antisémitisme russe, « Staline réussira là oîi Hitler a échoué », prédisait sombrement Commentary. « Il va finalement liquider les juifs d'Europe de l'Est et d'Europe centrale... Le parallèle avec la politique d'extermination nazie est presque complet. » Les principales associations juives américaines dénoncèrent même l'invasion de la Hongrie par les Soviétiques, en 1956, comme la

«

première étape sur la voie d'un Auschwitz russe

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Tout change avec la guerre israélo-arabe de juin 1967. Toutes les sources montrent que c'est seulement après cette guerre que l'Holocauste devint un trait de la vie juive américaine". L'explication classique de cette transformation est que l'extrême isolement d'Israël et sa vulnérabilité durant la guerre de 1967 ont ravivé les souvenir de l'extermination nazie. En fait, cette analyse déforme à la fois la nature des relations politiques au Moyen-Orient à l'époque et les relations changeantes entre les élites juives américaines et Israël.

De même que les associations juives américaines dominantes ont été très discrètes sur l'holocauste nazi après la seconde guerre mondiale pour se conformer aux priorités du gouvernement américain pendant la guerre froide, leur attitude envers Israël était alignée sur la politique américaine. Depuis longtemps, les élites juives américaines étaient sceptiques à l'égard de l'état juif. Par-dessus tout, elles craignaient que son existence donne naissance à une accusion de « double appartenance ». Avec l'intensification de la guerre froide, ces inquiétudes grandirent. Dès avant la fondation d'Israël les dirigeants juifs américains craignirent que les dirigeants israéliens, principalement originaires d'Europe de l'Est et politiquement de gauche, rejoignent le camp soviétique. Tout en s'associant en fin de compte à la campagne sioniste pour la fondation

10. Novick, The Holocaust, p. 98-100. Outre la guerre froide, d'autres facteurs jouèrent un rôle secondaire dans le silence des juifs américains sur l'holocauste nazi après la guerre : par exemple, la peur de l'antisémitisme et l'ambition optimiste d'assimilation dans la société américaine. Novick explore ces aspects aux chapitres 4 à 7 de l'Holocauste.

11. Apparemment, le seul à nier cette relation est Elle Wiesel qui prétend que l'émergence de l'Holocauste dans la vie américaine est essentiellement de son fait (Saidel, Never too late, p. 33-34)

d'un état, les associations juives américaines guettaient les moindres signaux en provenance de Washington et s'y conformaient. En vérité, l'AJC soutint la fondation d'Israël essentiellement par peur d'un retour de bâton aux États-Unis si les juifs ayant le statut de personnes déplacées n'étaient pas rapidement installés quelque part^^. Bien qu'Israël se soit rapidement allié au camp occidental après sa fondation, beaucoup d'israéliens, dans les sphères gouvernementales et ailleurs, conservaient une forte sympathie pour l'Union soviétique. Comme on pouvait le prévoir, les dirigeants juifs américains tinrent Israël à distance.

De sa fondation, en 1948, à la guerre de 1967, Israël n'a pas figuré au centre des plans stratégiques américains. Au moment où les dirigeants juifs de Palestine préparaient la proclamation de l'état juif, le président Truman hésitait, soupesant des considérations de politique intérieure (le vote juif) et l'inquiétude du ministère des affaires étrangères (le soutien à un état juif aliénerait le monde arabe). Pour affermir les intérêts américains au Proche Orient, le gouvernement d'Eisenhower répartissait son soutien entre les Arabes et Israël, favorisant d'ailleurs les Arabes.

Les heurts réguliers entre Israël et les États-Unis dans le domaine politique culminèrent avec la crise de Suez, en 1956, où Israël s'allia à la France et à la Grande-Bretagne contre le dirigeant nationaliste égyptien Nasser. Bien que la victoire fulgurante d'Israël et son invasion de la péninsule du Sinaï aient attiré l'attention générale sur son potentiel stratégique, les États-Unis considéraient encore le pays comme un appui stratégique parmi d'autres dans la région. Eisenhower força Israël à se retirer complètement, pratiquement sans conditions, du Sinaï. Pendant la crise, les dirigeants juifs américains soutinrent brièvement les efforts israéliens pour obtenir des concessions américaines mais finalement, comme Arthur Hertzberg le rappelle, «ils préférèrent conseiller à Israël de s'aligner sur Eisenhower plutôt que de s'opposer aux désirs du leader des États-Unis ' ^ »

Après sa fondation, Israël disparut pratiquement de la vie américaine, sinon comme objet occasionnel de charité. En fait, Israël n'était pas important pour les juifs améri-

12. Arthur Hertzberg, Jewish Polemics, New York : 1992, 33 ; en dépit de son ton apologétique erroné, cf. Isaac Altéras, « Eisenhower, American Jewry, and Israël », American Jewish Archives, novembre 1985, et Michael Reiner, « The Reaction of US Jewish Organizations to the Sinai Campaign and Its Aftermath », Forum, hiver 1980-1981.

13. Menahem Kaufman, An Ambiguous Partnership, Jérusalem, 1991, pp. 218, 216-211.

cains. Dans son étude de 1957, Nathan Glazer rapporte « que les conséquences de l'existence d'Israël sur la vie intérieure des juifs américains sont étonnamment discrètes ^'^.» Le nombre de membres de l'organisation sioniste américaine est tombé de plusieurs centaines de milliers en 1948 à quelques dizaines de milliers dans les années soixante. Un juif américain sur vingt seulement allait visiter Israël avant juin 1967. Lors de sa réélection, en 1956, qu'il obtient juste après avoir forcé Israël à quitter le Sinaï dans des conditions humiliantes, le président Eisenhower obtint un soutien accru dans la communauté juive. Au début des années soixante, après l'enlèvement d'Eich-mann, Israël reçut même des insultes de certains membres de l'élite juive comme Joseph Proskauer, ancien président de l'AJC, l'historien de Harvard Oscar Handlin et le journal Washington Post, qui appartient à des juifs. « L'enlèvement d'Eichamnn est un acte illégal en tout point semblable à ceux que commettaient les nazis eux-mêmes », déclara Eric Fromm ' ^.

Quelles qu'aient été leurs opinions politiques, les intellectuels juifs américains étaient particulièrement indifférents au destin d'Israël. Des études détaillées de la scène intellectuelle juive new-yorkaise de gauche mentionnent à peine Israël'^. Juste avant la guerre de 1967, l'AJC finança un congrès sur « L'identité juive ici et maintenant ». Trois seulement des « plus grands esprits de la communauté juive » mentionnèrent Israël, dont deux pour nier son importance ' '. Ironie parlante : les deux seuls juifs intellectuels à avoir formé des liens avec Israël avant juin 1967 étaient Hannah Arendt et Noam Chomsky ' ^.

14. Nathan Glazer, American Judaism, Chicago, 1957, p. 114. Glazer continue ainsi : « Israël n'avait à peu près aucun sens pour les juifs américains. [L'idée] qu'Israël pourrait influer d'une façon quelque peu sérieuse sur le judaïsme américain est reconnue comme illusoire. » (p. 115)

15. Shafir, Ambiguous Relations, p. 222.

16. Cf. par exemple Alexander Bloom, Prodigal Sons, New York, 1986.

17. Lucy Dawidowicz et Milton Himmelfarb (éds). Conférence on Jewish Identity Hère and Now, American Jewish Committee, 1967.

18. Après avoir émigré d'Allemagne en 1933, Arendt devint active au sein du mouvement sioniste français : pendant la seconde guerre mondiale et jusqu'à la fondation de l'état d'Israël, elle a abondamment écrit sur le sionisme. Fils d'un spécialiste américain de l'Hébreu, Chomsky a été élevé dans une famille sioniste et, peu après l'indépendance d'Israël fit un séjour dans un kibboutz. Les deux campagnes contre Arendt au début des années 1960 et contre Chomsky dans les années soixante-dix étaient orchestrées par l'ADL. (Elisabeth Young-Bruehl, Hannah Arendt, New Haven, 1982, p. 105 à 108, p. 138-139, p. 143-144, p. 182-184, p. 223-233, p. ; Robert F. Barsky, Noam Chomsky, Cambridge

Alors intervint la guerre de 1967. Impressionné par l'écrasante démonstration de force israélienne, les États-Unis en vinrent à l'incorporer comme point d'appui stratégique. (Déjà avant la guerre de 1967, les États-Unis s'étaient discrètement tournés vers Israël quand le régime égyptien et le régime syrien avaient affirmé de plus en plus leur indépendance, au milieu des années soixante.) Uassistance militaire et économique commença à se déverser sur Israël qui se transforma en représentant du pouvoir américain au Proche Orient.

Pour les élites juives américaines, la soumission d'Israël au pouvoir américain était un don du ciel. Le sionisme est né de l'idée que l'assimilation était une illusion et que les juifs seraient toujours perçus comme des étrangers potentiellement déloyaux. Pour résoudre ce dilemme, les sionistes ont voulu créer un foyer national pour les juifs. En fait, la fondation d'Israël a exacerbé le problème, au moins pour les juifs de la diaspora : son existence a donné une expression institutionnelle à l'accusation de double appartenance. Paradoxalement, après juin 1967, Israël se mit a. faciliter l'assimilation aux États-Unis : les juifs étaient désormais en première ligne de la défense de l'Amérique, c'est-à-dire de la « civilisation occidentale », contre les hordes arabes rétrogades. Alors que jusqu'en 1967, l'idée d'Israël évoquait le spectre de la double appartenance, il devint alors le symbole de la loyauté par excellence. Après tout, ce n'étaient pas des Américains mais des Israéliens qui se battaient et mouraient pour défendre les intérêts américains. Et contrairement aux soldats américains au Vietnam, les combattants israéliens n'étaient pas humiliés par des parvenus du Tiers-Monde ^^.

Du coup, les élites juives américaines découvrirent soudain Israël. Après la guerre de 1967, on pouvait faire l'éloge de l'élan militaire israélien puisque ses fusils étaient pointés dans la bonne direction, contre les ennemis de l'Amérique. Ses prouesses martiales permettraient peut-être même de pénétrer dans le saint des saints du pouvoir américain. Jusque-là, les élites juives ne pouvaient offrir que des listes de personnes subversives ; désormais, elles pouvaient se poser en interlocuteurs naturels représentant le nouveau point d'appui stratégique de l'Amérique. De figurantes, elles devenaient des acteurs de premier plan dans le drame de la guerre froide. Ainsi, pour les

(Massachussets) ; 1997, p. 9-93 ; David Barsamian (éd.), Chronicles of Dissent, Monroe, ME, 1992, p. 38.

19. Pour une préfiguration antérieure de cet argument, cf Hannah Arendt, « Zionism Reconsidered » (194-4), Ron Feldman, éd., The Jew as Pariah, New York, 1978, p. 159.

juifs américains, aussi bien que pour les États-Unis, Israël était devenu un avantage stratégique.

Dans un volume de mémoires publié juste avant la guerre de 1967, Norman Podho-retz évoque avec émotion sa présence à un dîner officiel à la Maison blanche, où « tous les convives sans exception ne se tenaient visiblement plus de joie d'être là^*'. » Bien qu'il fût déjà rédacteur en chef du principal périodique juif américain, Commentary, ses mémoires ne contiennent qu'une allusion rapide à Israël. Qu'avait à offrir Israël à un juif américain ambitieux ? Dans un volume ultérieur de mémoires, Podhoretz se souvient qu'après juin 1967, Israël devint « la religion des juifs américains^' ». Devenu un vif partisan d'Israël, Podhoretz pouvait désormais se vanter non seulement d'assister à des dîners à la Maison blanche mais encore de rencontrer le président en tête-à-tête pour discuter de l'Intérêt National.

Après la guerre des Six jours, les grandes associations juives américaines consacrèrent toutes leurs forces au renforcement de l'alliance américano-israélienne. Pour l'ADL, cela comprenait notamment une vaste opération d'espionnage sur le territoire américain, en association avec les services d'espionnage israélien et sud-africain^^. La part consacrée à Israël par le New York Times augmenta considérablement après juin 1967. Le nombre d'entrées pour « Israël » dans l'index du New York Times pour 1955 et pour 1965 représente à chaque fois une colonne de soixante pouces ; en 1975, la taille est de 260 pouces. « Quand je me sens mal, pour me consoler je vais voir les articles sur Israël du New York Times », dit Wiesel en 1973 ". Comme Podhoretz, beaucoup d'intellectuels juifs américains ont aussi découvert cette religion après la guerre de 1967. Novick raconte que Lucy Dawidowicz, la doyenne de la littérature de l'Holocauste, avait été « une critique féroce d'Israël ». Israël ne pouvait pas demander des réparations à l'Allemagne, disait-elle en 1953, s'il ne reconnaissait pas sa responsabilité dans le cas des Palestiniens déportés : « La morale ne peut pas être aussi flexible. » Cependant, tout de suite après la guerre de 1967, Dawidowicz devint un « fervent par-

20. Making It, New York, 1967, p. 336.

21. Breaking Ranks, New York, 1979, p. 335.

22. Robert I. Friedman, « The Anti-Defamation League Is Spying on You » , Village Voice, 11 May 1993. Abdeen Jabara, « The Anti-Defamation League: Civil Rights and Wrongs », Covert Action, Sum-mer 1993. Matt Isaacs, « Spy vs Spite », SF Weekly, 2-8 février 2000.

23. Elle Wiesel, Against Silence, choisis et publiés par Irving Abrahamson, New York, 1984, vol. I, 283.

tisan d'Israël », qu'elle célèbre comme « le modèle par excellence de l'image idéale du juif dans le monde moderne ^"^ ».

Une des attitudes favorites des sionistes revigorés par la guerre de 1967 était d'opposer tacitement leur soutien officiel à un état d'Israël prétendument assiégé à la lâcheté des juifs américains pendant l'Holocauste. En fait, ils faisaient exactement ce que les élites juives américaines avaient toujours fait: s'aligner totalement sur le gouvernement américain. Les classes instruites étaient particulièrement douées pour prendre des postures héroïques. Prenons, par exemple, le commentateur libéral de gauche, Ir-ving Howe. En 1956, la revue publiée par Howe, Dissent, condamnait « l'attaque alliée contre l'Egypte » comme « immorale ». Bien qu'Israël ait réellement été seul, à ce moment-là, on l'a accusé alors de « chauvinisme culturel », de « sens quasi-messianique de la destinée manifeste » et de « courant expansionniste souterrain" ». Après la guerre d'octobre 1973, au moment où le soutien des États-Unis à Israël était le plus fort, Howe publia un manifeste « empreint d'une anxiété intense » pour défendre l'état d'Israël isolé. Le monde non juif, se lamentait-il dans une parodie de Woody Allen, était submergé par l'antisémitisme. Même dans les quartiers chic de New York, se lamentait-il, « Israël n'était désormais plus chic » : à part lui, tout le monde se prosternait désormais devant Mao, Fanon et Che Guevara".

En tant qu'avantage stratégique américain, Israël faisait l'objet de critiques. Outre l'hostilité internationale grandissante provoquée par son refus de négocier avec les Arabes un accord conforme aux résolutions de l'ONU et par l'indécent soutien aux ambitions américaines mondiales dont il faisait preuve ", Israël devait aussi faire face à une opposition intérieure américaine. Dans les cercles dirigeants américains, les « ara-bistes » affirmaient que s'engager à fond pour Israël en ignorant les élites arabes, c'était saper les intérêts nationaux américains.

Certains affirmaient que la subordination d'Israël au gouvernement américain et l'occupation des états arabes voisins n'étaient pas seulement mal en soi mais égale-

24. Novick, The Holocaust, p. 147. Lucy S. Dawidowicz, The Jewish Présence, New York, 1977, p. 26.

25. « Eruption in the Middle East », Dissent, hiver 1957.

26. « Israël: Thinking the Unthinkable », New York magazine, 24 décembre 1973.

27. Norman G. Finkelstein, Image and Reality ofthe Israël-Palestine Conflict, New York, 1995, chapitres 5-6.

ment nocifs aux intérêts américains eux-mêmes. De plus en plus, Israël se militariserait et se séparerait du monde arabe. Pour les nouveaux « partisans » juifs américains d'Israël, cependant, ce discours relevait de l'hérésie : un Israël en paix avec ses voisins et indépendant ne présentait aucun intérêt ; un Israël aligné sur les courants du monde arabe en quête d'indépendance envers les États-Unis était un désastre. Une Sparte israélienne, dépendante du gouvernement américain, était seule envisageable, parce que c'est seulement dans ces conditions que les dirigeants juifs américains pouvaient servir de porte-parole aux ambitions impériales américaines. Noam Chomsky a suggéré qu'il serait plus juste d'appeler ces « partisans d'Israël » des « partisans de la dégénération morale et de la destruction ultime d'Israël^^ ».

Pour défendre leur avantage stratégique, les élites juives américaines « se sont souvenues » de l'Holocauste^'. La version officielle est qu'elles l'ont fait parce qu'au moment de la guerre de 1967, elles ont cru qu'Israël courait un danger mortel et ont été saisies par la peur « d'un second Holocauste ». Cette affirmation ne résiste pas à l'examen.

Considérons la première guerre arabo-israélienne. À la veille de l'indépendance, en 1948, la menace contre les juifs palestiniens semblait beaucoup plus sérieuse. David Ben-Gourion disait que « sept cent mille juifs » s'opposaient à « vingt-sept millions d'Arabes - un contre quarante ». Les États-Unis se sont associés à l'embargo de l'ONU sur le pays, ce qui a renforcé la supériorité en armes des armées arabes. Les craintes d'un autre solution finale nazie hantaient les juifs américains. Déplorant que les pays arabes « arment désormais le bourreau de Hitler, le Mufti, tandis que les États-Unis appliquaient l'embargo sur les armes » , l'AJC prévoyait un « suicide collectif et un holocauste complet en Palestine ». Même le ministre américain des affaires étrangères, Georges Marshall, et la CIA prédisaient ouvertement la défaite certaine des juifs en cas de guerre^". Bien que « le camp le plus fort ait en fait gagné » (dit l'historien Benny Morris), Israël n'eut pas la partie facile. Pendant les premiers mois de la guerre.

28. Noam Chomsky, The Fateful Triangle, Boston, 1983, p. 4.

29. La carrière d'Elie Wiesel illustre le lien entre l'Holocauste et la guerre de 1967. Bien qu'il ait déjà publié ses souvenirs d'Auschwitz, Wiesel n'est devenu un auteur à succès qu'après avoir écrit deux livres chantant la victoire d'Israël.

30. Kaufman, Ambiguous Partnership, p. 287, p. 306-307. Steven L. Spiegel, The Other Arab-Israeli Conflict, Chicago, 1985, pp. 17, 32.

au début de 1948, et surtout après la déclaration d'indépendance en mai de la même année, les chances de survie d'Israël étaient estimées à « cinquante-cinquante » par Yigael Yadin, le chef des opérations de la Haganah. Sans un trafic d'armes secrets avec la Tchécoslovaquie, Israël n'aurait sans doute pas survécu^'. Après un an de combats, il y avait six mille morts et blessés du côté israélien, soit un pour cent de la population. Pourquoi, alors, l'Holocauste n'est-il pas devenu un point central de la vie juive américaine après la guerre de 1948?

Israël prouva rapidement qu'il était moins vulnérable en 1967 qu'au moment de la lutte pour l'indépendance. Les dirigeants américains et israéliens savaient dès le départ qu'Israël l'emporterait facilement dans une guerre contre les pays arabes. Cette réalité devint une évidence lorsqu'Israël balaya les Arabes en quelques jours. Comme le rappelle Novick : « Il y avait étonnamment peu de références explicites à l'Holocauste dans la mobilisation juive américaine en faveur d'Israël avant la guerre ^^ ». L'industrie de l'Holocauste n'a fait un bond en avant qu'après la démonstration écrasante de la domination militaire d'Israël et a fleuri au milieu d'un triomphalisme israélien extrême". L'interprétation habituelle ne peut expliquer ces anomalies.

Les revers israéliens choquants et les nombreuses victimes de la guerre arabo-israélienne de 1973, ainsi que l'isolement international grandissant qui la suivit, si l'on en croit les interprétations habituelles, ont exacerbé la peur des juifs américains devant la vulnérabilité d'Israël. Alors, le souvenir de l'Holocauste s'est retrouvé au centre de la scène. Novick rapporte : « Parmi les juifs américains, la situation d'Israël, vulnérable et isolée, devint une copie terriblement conforme de ce que les juifs européens avaient connu trente ans auparavant. [...] Le discours sur l'Holocauste s'est non seulement « envolé » aux États-Unis mais il s'est de plus en plus institutionnalisé^'^ ». Cependant, Israël était beaucoup plus proche du précipice et, proportionnellement et en chiffres absolus, avait eu beaucoup plus de victimes pendant la guerre de 1967 que pendant celle de 1973.

Il est vrai qu'excepté son alliance avec les États-Unis, Israël avait perdu la fa-

31. Benny Morris, [948 And After, Oxîord, 1990, p. [4-[5. UviBialer, Between East and West, Cambridge, 1990, p. 180-181.

32. Novick, The Holocaust, p. 148.

33. Cf. par exemple, Amnon Kapeliouk, Israël: la fin des mythes, Paris, 1975.

34. Novick, The Holocaust, p. 152.

veur internationale après la guerre de 1973. Cependant, comparons avec la guerre du Sinaï en 1956. Les associations juives américaines prétendent qu'à la veille de l'invasion du Sinaï, l'Egypte menaçait l'existence même d'Israël et qu'un retrait complet d'Israël du Sinaï saperait fatalement « ses intérêts vitaux, sa survie même en tant qu'état ^^ ». Néanmoins, la communauté internationale tint bon. Rapportant sa brillante performance à l'Assemblée générale de l'ONU, Abba Eban se souvient cependant qu' « après avoir applaudi vigoureusement et longuement son discours, l'assemblée avait voté contre nous à une très large majorité ^^ ». Les États-Unis étaient au premier rang de ce refus unanime. Non seulement Eisenhower força Israël à se retirer, mais l'aide publique américaine à Israël tomba « en un déclin effrayant » (dixit l'historien Peter Grose"). En revanche, immédiatement après la guerre de 1973, les États-Unis fournirent à Israël une aide militaire massive, beaucoup plus importante que celle des quatre dernières années réunies, tandis que l'opinion américaine soutenait fermement Israël ^^ C'est ce qui provoqua « l'envolée du discours sur l'Holocauste en Amérique », alors qu'Israël était moins isolé qu'il l'avait jamais été en 1956.

En fait, ce n'est pas à cause des reculs inattendus d'Israël et de son statut ultérieur de paria que la guerre de 1973 a amené des évocations de la solution finale. C'est plutôt que la démonstration militaire de Sadat en 1973 convainquit les élites politiques américaines et israéliennes qqu'il n'était plus possible d'échapper à un accord diplomatique avec l'Egypte, portant sur la restitution des territoires égyptiens envahis en juin 1967. C'est pour augmenter le poids d'Israël dans les négociations que l'industrie de l'Holocauste augmenta ses quotas de production. Le point crucial, c'est qu'après la guerre de 1973, Israël n'était pas isolé des États-Unis : ces développements sont intervenus dans le cadre de l'alliance entre les États-Unis et Israël, qui était absolument intacte ^'. L'enchaînement historique suggère cependant que si Israël avait été tout seul après la guerre de 1973, les élites juives américaines ne se seraient pas plus souvenues de l'holocauste nazi qu'elles ne l'avaient fait après la guerre de 1948 ou celle de 1956.

35. Commentary, « Letter from Israël », février 1957. Tout au long de la crise de Suez, Commentary ne cessa d'avertir que « la survie même » d'Israël était en cause.

36. Abba Eban, Personal Witness, New York, 1992, p. 272.

37. Peter Grose, Israël in the Mind of America, New York, 1983, p. 304.

38. A.F.K. Organski, The $36 Billion Bargain, New York, 1990, p. 163 et 48.

39. Finkelstein, Image and Reality, chap. 6.

Novick propose d'autres explications complémentaires qui sont encore moins convaincantes. Citant des érudits religieux juifs, par exemple, il suggère que « la guerre de Six jours offrait une théologie populaire de l'Holocauste et de la Rédemption ». La « lumière » de la victoire de juin 1967 a racheté les « ténèbres » du génocide nazi: « Cela donna à Dieu une seconde chance. » L'Holocauste n'a pu émerger dans la vie américaine qu'en 1967 parce que « l'extermination des juifs d'Europe a atteint un accomplissement sinon heureux, du moins viable. » Pourtant, d'après les représentations juives habituelles, ce n'est pas la guerre de 1967 mais la fondation d'Israël qui a marqué la rédemption. Pourquoi l'Holocauste a-t-il dû attendre une seconde rédemption? Novick maintient que « l'image des juifs-héros militaires » dans la guerre de 1967 « a eu pour effet d'effacer le stéréotype de victimes faibles et passives qui empêchait jusqu'alors toute discussion juive de l'Holocauste'**' ». Cependant, pour ce qui est du courage proprement dit, la guerre de 1948 a été le sommet pour Israël. Et la campagne du Sinaï de Moshe Dayan en 1956, « brillante » et « audacieuse », annonce la victoire rapide de 1967. Pourquoi, alors, les juifs américains ont-ils eu besoin de la guerre de 1967 pour « effacer le stéréotype »?

La thèse de Novick expliquant comment les élites juives américaines en sont arrivées à instrumentaliser l'holocauste nazi n'est pas convaincante. Examinons quelques passages significatifs.

Tandis que les élites juives américains cherchaient à comprendre pourquoi Israël était vulnérable et isolé - et comment y remédier - l'explication la plus répandue était que l'effacement des souvenirs des crimes nazis contre les juifs et l'arrivée sur la scène d'une génération ignorant tout de l'holocauste avaient eu pour effet de priver Israël du soutien dont il jouissait autrefois.

Alors que les associations juives américaines ne pouvaient rien faire pour changer le passé récent au Proche Orient, et très peu pour son avenir, elles pouvaient s'employer à raviver les souvenirs de l'Holocauste. Ainsi, l'explication fondée « sur l'affaiblissement des souvenirs de l'holocauste » offrait un programme d'action '^.

40. Novick, The Holocaust, p. 149-50. Novick cite ici l'érudit juif respecté, Jacob Neusner. 41.1bid.,pp. 153 et 155.

Pourquoi l'explication fondée sur « l'effacement de s souvenirs » était-elle « la plus répandue »? Comme Novick le montre lui-même en s'appuyant sur des documents nombreux, le soutien qu'Israël s'était ménagé à l'origine ne devait pas grand chose aux « souvenirs des crimes du nazisme"^^ » et, de toute façon, ces souvenirs s'étaient fanés bien avant qu'Israël perde le soutien international. Pourquoi les élites juives ne pouvaient-elles faire que « très peu pour l'avenir » d'Israël? Pourtant, elles étaient à la tête d'un réseau formidable. Pourquoi « raviver les souvenirs de l'Holocauste » était-il le seul programme d'action? Pourquoi ne pas soutenir l'opinion internationale qui appelait unanimement au retrait d'Israël des territoires occupés pendant la guerre de 1967 en même temps qu'une « paix juste et durable » entre Israël et ses voisins arabes (Résolution 242 de l'ONU)?

Une explication plus logique, mais moins charitable, est que les élites juives américaines ne se souvenaient de l'holocauste nazi avant 1967 que lorsque c'était politiquement utile. Israël, leur nouveau patron, avait fait fonds sur l'holocauste nazi pendant le procès d'Eichmann". Après la guerre de 1967, partant de cette efficacité avérée, les associations juives américaines ont exploité l'holocauste nazi. L'Holocauste (avec une majuscule comme je l'ai déjà noté) une fois adapté idéologiquement s'avéra l'arme parfaite pour désamorcer les critiques d'Israël. Je vais montrer comment cela s'est fait exactement. Il faut néanmoins souligner dès à présent que pour les élites juives américaines l'Holocauste remplissait la même fonction qu'Israël : un pion parmi d'autres, d'une valeur inestimable, dans le jeu de la conquête du pouvoir. Le souci affiché du souvenir de l'holocauste était aussi artificiel que le souci affiché pour le destin d'Israël''^ Ainsi, les associations juives américaines pardonnèrent rapidement à Ronald Reagan et oublièrent sa déclaration délirante de 1985 au cimetière de Bitburg : les soldats allemands enterrés là (dont des Waffen SS) étaient « victimes des nazis au même titre que les victimes des camps de concentration ». En 1988, Reagan reçut le prix « Humanitaire de l'année » d'une des institutions de l'Holocauste les plus éminentes, le Centre Simon Wiesenthal, en raison de « son soutien loyal à Israël » et, en 1994, il

42. Ibid.,pp. 69à77.

43. Tom Segev, The Seventh Million, New York, 1993, 5^ partie.

44. Le souci des survivants de l'holocauste nazi était tout aussi artificiel : dangereux avant 1967, ils étaient réduits au silence ; devenu un atout après juin 1967, ils furent canonisés

reçut le prix « Flambeau de la liberté » de l'ADL, organisation pro-isrélienne"^^.

L'éclat du révérend [noir américain] Jesse Jackson « fatigué et écœuré d'entendre parler de l'Holocauste » un peu auparavant, en 1979, ne fut pas si rapidement oublié ni pardonné, néanmoins. En fait, les attaques des élites juives américaines contre Jackson n'ont jamais cessé, bien qu'elles ne soient pas dirigées contre « ses remarques antisémites » mais contre « son alignement sur la position palestienienne » (Seymour Martin Lipset et Earl Raab)''^ Dans le cas de Jackson, il y avait un facteur supplémentaire en jeu : il représentait des groupes avec lesquels les associations juives américaines se battaient depuis la fin des années 1960. Dans ces conflits également, l'Holocauste s'avéra une arme idéologique puissante.

Ce n'est pas la prétendue faiblesse, la prétendue isolation d'Israël, ni la peur d'un « second Holocauste » mais plutôt sa force désormais prouvée et son alliance stratégique avec les États-Unis qui amenèrent les élites juives à stimuler l'industrie de l'Holocauste après la guerre de 1967. Sans le vouloir, Novick fournit la meilleure preuve de cette thèse. Pour prouver que ce sont des considérations politiques et non la solution finale nazie, qui ont déterminé la politique américaine à l'égard d'Israël, il écrit : « C'est lorsque l'Holocauste était le plus présent dans l'esprit des dirigeants américains (pendant les vingt-cinq années d'après-guerre) que les États-Unis ont le moins soutenu Israël. [...] Ce n'est pas lorsqu'Israël était perçu comme faible et vulnérable, mais après qu'il a démontré sa force dans la guerre des Six Jours, que l'aide américaine à Israël, de ruisselet, est devenu un flot'" ». Cet argument s'applique avec la même force aux

45. Response, décembre 1988. Les plus en vue des marchands d'Holocauste et des partisans d'Israël, comme le directeur national de l'ADL, Abraham Foxman, l'ex-président de l'AJC Morris Abram et le président de la conférence des présidents des organisations juives américaines, Kenneth Bialkin, sans parler d'Henry Kissinger, tous prirent la défense de Reagan pendant la visite à Bitburg, tandis que, la même semaine, l'AJC recevait lors de son assemblée annuelle le loyal ministre des affaires étrangères du chancelier ouest-allemand Helmut Kohi. Dans le même esprit, Michel Berembaum du Musée mémorial de l'Holocauste de Washington attribuait, plus tard, le voyage de Reagan à Bitburg et ses déclarations au « sens américain naïf de l'optimisme » (Shafir, Ambiguous Relations, p. 302-304 ; Berenbaum, After Tragedy, p. 14).

46. Seymour Martin Lipset and Earl Raab, Jews and the New American Scène, Cambridge (Massa-chussets), 1995, p. 159.

47. Novick, The Holocaust, p. 166.

élites juives américaines .

Il y a aussi des causes américaines internes au développement de l'industrie de l'Holocauste. Les interprétations orthodoxes relèvent l'émergence récente des « politiques identitaires », d'une part, et de la « culture de victimisation », d'autre part. En fait, toute identité a ses racines dans une oppression particulière ; les juifs ont ainsi recherché leur identité raciale dans l'Holocauste.

Cependant, parmi les groupes qui se plaignent d'avoir été des victimes, à savoir les Noirs, les Amérindiens, les Américains d'origine espagnole, les femmes, les homosexuels, seuls les juifs ne sont pas désavantagés dans la société américaine. En fait, les politiques identitaires et l'Holocauste ont réussi parmi les juifs américains parce qu'ils ne sont pas des victimes.

Au fur et à mesure que les obstacles antisémites tombaient, après la seconde guerre mondiale, les juifs ont occupé la première place aux États-Unis. D'après Lipset et Raab, le revenu juif par tête est presque le double de celui des autres ; seize des quarante Américains les plus riches sont juifs ; 40% des Prix Nobel américains de science et d'économie sont juifs, de même que 20% des professeurs des grandes universités, de même que 40% des membres des cabinets d'avocats de New York et de Washington. Et la liste continue"*^. Loin d'être un obstacle au succès, l'identité juive est devenue le couronnement de ce succès. De même que beaucoup de juifs se tenaient soigneusement à l'écart d'Israël quand ce pays était mal vu et se sont convertis au sionisme lorsque c'est devenu un avantage, ils ont tenu leur identité raciale à l'écart lorsqu'elle était mal vue et se sont convertis à l'identité juive lorsque c'est devenu un avantage.

En fait, la réussite sociale des juifs américains a confirmé un élément central - peut-être le seul - de leur nouvelle identité de juifs. Qui pourrait encore douter que les juifs sont « le peuple élu » ? Dans le livre A Certain People : American Jews and Their Lives Today, Charles Silberman, lui-même un juif re-judaïsé, éructe de façon caracéristique : « Les juifs auraient été moins humains s'ils avaient éliminé toute idée de supériorité » et « il est extraordinairement difficile pour les juifs américains d'évacuer le sentiment de supériorité, quels que soient leurs efforts pour y parvenir ». Ce dont hérite un enfant

48. Lipset et Raab, Jews, p. 26 -27.

juif américain, d'après le romancier Philippe Roth, ce n'est pas « un code juridique, un ensemble de connaissance ni une langue et, finalement, pas un dieu., mais une sorte de psychologie : et la psychologie peut se résumer en quatre mots : les juifs sont supérieurs "^^ ». Comme on va le voir, l'Holocauste est le versant négatif de la réussite matérielle dont ils sont si fiers : il a servi à cautionner l'idée de l'élection des juifs.

Au tournant des années 1970, l'antisémitisme n'était plus un trait distinctif de la vie américaine. Néanmoins, les dirigeants juifs ont commencé à sonner l'alarme devant la menace pesant sur les juifs américains, d'un « nouvel antisémitisme virulent'" ». Les principales preuves d'une étude bien connue de l'ADJ (« à ceux qui sont morts parce qu'ils étaient juifs ») comprenaient le spectacle de Broadway, Jésus-Christ, superstar, et un journal à sensation contreculturel, qui « dépeignait Kissinger comme un flatteur obséquieux, un peureux, un tyran, un oppresseur, un parvenu, un manipulateur, un snob, avide de pouvoir et sans principes » - en l'occurrence, c'était une litote^'.

Pour les associations juives américaines, cette hystérie organisée autour d'un retour de l'antisémitisme avait plusieurs buts. Elle renforçait la cote d'Israël comme dernier recours lorsque les juifs américains en auraient besoin. De plus, les quêtes d'argent des associations juives qui s'occupent de la lutte contre l'antisémitisme rencontraient des oreilles plus attentives. « L'antisémite est dans la situation malheureuse, d'avoir besoin de l'ennemi même qu'il veut détruire », a dit Sartre". Pour ces organisation juives, le contraire est également vrai . Avec la décrue de l'antisémitisme, une rivalité au couteau s'est instaurée entre les principales associations juives de « défense » (en particulier, l'ADL et le Centre Simon Wiesenthal) au cours des dernières années". En matière de quêtes de fonds, les allégations de menace contre Israël ont un but identique. En rentrant d'un voyage aux États-Unis, le journaliste bien connu Danny Rubinstein rapportait : « D'après la plupart des membres de V establishmentiuif, l'essentiel est de rappeler toujours et sans cesse les dangers extérieurs qui se présentent à Israël. [...] V establishment juif américain n'a besoin d'Israël que comme victime d'une cruelle

49. Charles Silberman, A Certain People, New York, 1985, p. 78, p. 80 et p. 81.

50. Novick, The Holocaust, p. 170-172.

51. Arnold Forster et Benjamin R. Epstein, The New anti-Semitism, New York, 1974, p. 107.

52. Jean-Paul Sartre, Anti-Semite andJew, New York, 1965, p. 28.

53. Saidel, Never Too Late, p. 222. Seth Mnookin, « Will NYPD Look to Los Angeles For Latest 'Sensitivity' Training? », Forward, 1 janvier 2000. L'article racontre que l'ADL et le Centre Simon Wiesenthal se battent pour le monopole de l'enseignement de la « tolérance ».

attaque arabe. Pour cet Israël-là, on peut obtenir des appuis, des donateurs, de l'argent. [...] Tout le monde connaît le compte officiel des contributions collectées par l'Appel juif unifié en Amérique, où on se sert du nom d'Israël et où la moitié de la somme ne va pas à Israël mais aux associations juives d'Amérique. Y a-t-il plus grand cynisme? » Comme nous le verrons, l'exploitation par l'industrie de l'Holocauste des « victimes nécessiteuses de l'Holocauste » est la manifestation la plus récente et, on peut le dire, la plus répugnante de ce cynisme ^'^.

Le principal motif pour sonner le tocsin contre l'antisémitisme, en revanche, se trouve ailleurs. Au fur et à mesure que les juifs américains connaissait un succès grandissant dans la société, ils se sont politiquement déplacés vers le droite. Bien qu'ils soient toujours au centre-gauche pour les questions de mœurs comme la morale sexuelle et l'avortement, les juifs sont devenus de plus en plus conservateurs en politique et en économie". Un repli sur soi a accompagné ce virage vers la droite, car les juifs, qui n'ont plus besoin désormais des plus démunis qui étaient autrefois leurs alliés, réservent de plus en plus leurs ressources exclusivement aux questions juives. Cette réorientation des juifs américains" est clairement visible dans les tensions grandissantes entre les juifs et les Noirs. Traditionnellement alignés avec les Noirs contre la discrimination de caste aux États-Unis, beaucoup de juifs ont rompu avec l'alliance pour les droits civiques à la fin des années 1960, lorsque, comme l'explique Jonathan Kaufman, « les buts du mouvement des droits civiques se sont transformés de revendication d'égalité en droits et en politique en revendication d'égalité économique ». « Quand le mouvement des droits civiques s'est déplacé vers le Nord, dans les quar-

54. Noam Chomsky, Pirates andEmperors, New York, 1986, p. 29-30 (Rubinstein).

55. Pour une étude des sondages récents qui confirment cette tendance, cf. Murray Friedman, « Are American Jews Moving to thie Righit?» , Commentary, avril 2000. Pendant la campagne municipale de New York en 1997, opposant la démocrate orthodoxe Ruth Messinger à Rudolph Giuliani, un républicain partisan de l'ordre et de la loi, par exemple, 75% des voix des juifs sont allées à Giuliani. Il est significatif que pour voter pour Giuliani, les juifs aient dû franchir les frontières des partis aussi bien que des frontières raciales (Messinger est juive).

56. Il semble que le glissement est dû en partie également au remplacement d'un groupe dirigeant cosmopolite, originaire d'Europe centrale, par un groupe de juifs d'Europe de l'Est, arrivistes et d'un chauvinisme obtus, comme le maire de New York Edward Koch et le rédacteur en chef adjoint A. M. Rosenthal. A cet égard, il est notable que les historiens juifs en rupture avec le dogmatisme de l'Holocauste viennent d'Europe centrale : par exemple, Hannah Arendt, Henry Friedlander, Raul Hilberg, and Arno Mayer.

tiers où vivent ces juifs libéraux, la question de l'intégration prit une allure différente », dit Cherel Greenberg. « Comme leurs préoccupations étaient exprimées désormais en termes de classe plutôt qu'en termes raciaux, les juifs se sont enfuis vers les banlieues presque aussi vite que les chrétiens blancs pour éviter ce qu'ils considéraient comme une détérioration de leurs écoles et de leurs quartiers. » Le point culminant est la mémorable grève prolongée des instituteurs de New York, en 1968, qui dressa un syndicat essentiellement juif contre les activistes noirs qui se battaient pour le contrôle des écoles en péril. Les récits de la grève font souvent référence à un antisémitisme périphérique. L'éruption de racisme juif qui se faisait jour avant la grève est moins souvent mentionnée. Par la suite, des organisations et des publicistes juifs ont participé activement aux efforts de démantèlement des programmes de lutte contre la discrimination (affirmative action). Dans des causes jugées par la Cour suprême (De Punis, 1974, et Bakke, 1978), l'AJC, l'ADL et le Congrès juif américain, reflétant apparemment l'opinion juive dominante, s'associèrent plusieurs fois volontairement^'.

Dans ce mouvement agressif de défense de leurs intérêts de groupe et de classe, les élites juives qualifièrent toute opposition à leur nouvelle politique conservative d'antisémite. Ainsi, le chef de l'ADL, Nathan Perlmutter, a toujours prétendu que le « véritable antisémitisme » en Amérique consistait en initiatives politiques « contraires aux intérêts juifs », comme les mesures anti-discriminatoires, les réductions du budget de l'armée et le néo-isolationnisme, ainsi que l'opposition aux armes nucléaires et même la réforme du collège électoral ' ^.

Dans cette offensive idéologique, l'Holocauste en vint à jouer un rôle critique. À l'évidence, l'évocation de la persécution passée réduisait à néant les critiques du présent. Les juifs pouvaient même s'abriter derrière le « système des quotas » dont ils

57. Cf. par exemple, Jack Salzman et Cornel West, éd., Struggles in the Promised Land, New York, 1997, surtout les chapitres 6, 8, 9, 14 et 15. (Kaufman p. 111 ; Greenberg p. 166). Mais il y a eu bien sûr une minorité de juifs opposée à ce glissement à droite. NdT : Ces organisations participent au procès à titre à' amie us curiae. Il s'agit d'une particularité de procédure propre à la Cour suprême ; une partie, qui est normalement une administration, est associée à un procès sans y avoir d'intérêt direct; elle peut y plaider son point de vue comme une partie à la cause. En principe réservée aux administrations, cette formule peut être étendue à des individus si la Cour l'accepte ou si les deux parties sont d'accord.

58. Nathan Perlmutter et Ruth Ann Perlmutter, The Real anti-Semitism in America, New York, 1982. NdT : le collège électoral américain est un groupe d'électeurs chargés d'élire le président et le vice-président.

avaient souffert pour s'opposer aux mesures anti-discriminatoires. En outre, l'antisémitisme, dans la propagande de l'Holocauste, était une haine des juifs fondée sur une base exclusivement irrationnelle. Il était donc impossible qu'une opposition aux juifs soit fondée dans un réel conflit d'intérêts (comme nous le verrons plus tard). Invoquer l'Holocauste était donc un stratagème pour refuser toute légitimité aux critiques contre les juifs : ces critiques ne pouvaient qu'être le produit d'une haine pathologique.

De même que les associations juives se sont souvenues de l'Holocauste au moment de l'apogée de la puissance israélienne, elles se sont souvenues de l'Holocauste au moment de l'apogée de la puissance juive américaine. On prétendait néanmoins, dans les deux cas, que les juifs risquaient « un second Holocauste ». Ainsi, les élites juives américaines pouvaient adopter des postures héroïques tout en exerçant leur tyrannie au moindre risque. Norman Podhoretz, par exemple, a explicité le nouvelle position juive, adoptée après la guerre de 1967, de « résister à quinconque voudrait de quelque façon, dans quelque mesure et pour quelque raison que ce soit essayer de nous faire du mal... Exercer leur pouvoir sur ceux qui sont le moins capable de se défendre : telle est la véritable nature du célèbre courage des associations juives américaines... Désormais, nous défendrons notre territoire ^^ ». De même que les Israéliens, armés jusqu'aux dents par les États-Unis, remettaient courageusement en place les Palestiniens désobéissants, les juifs américains remettaient courageusement les Noirs désobéissants à leur place.

59. Novick, The Holocaust, p. 173 (Podhoretz).

Chapitre 2 :

Faussaires, mercantis et histoire

E RESPECTABLE écrivain israélien Boas Evron observe que « l'attention qu'on I j porte à l'Holocauste » est en fait « un endoctrinement officiel, de propagande, un ressassement de slogans et une vision fausse du monde, dont le véritable but n'est pas du tout de comprendre le passé mais de manipuler le présent. » En soi et de lui-même, l'holocauste nazi n'est au service d'aucun programme politique. Il peut servir de soutien à Israël aussi bien que d'arme contre sa politique. A travers un prisme idéologique, cependant « le souvenir de l'extermination nazie » est devenu (d'après Evron) « un outil puissant entre les mains des dirigeants israéliens et des juifs de l'étranger ^ » L'holocauste nazi est devenu l'Holocauste.

Deux dogmes principaux sous-tendent le scénario de l'Holocauste : l'Holocauste est un événement historique unique dans sa catégorie ; l'Holocauste est l'apogée d'une haine irrationnelle et éternelle des Gentils envers les juifs. Ni l'un ni l'autre de ces dogmes n'était mentionné dans le discours public avant la guerre de 1967 ; et, bien qu'ils soient devenus les traits centraux de la littérature de l'Holocauste, aucune ne figure dans les travaux érudits sur l'holocauste nazi^. D'un autre côté, les deux dogmes ont des échos importants dans le judaïsme et le sionisme.

Après la seconde guerre mondiale, l'holocauste nazi n'était pas un événement uniquement juif, et encore moins un événement historiquement unique. Les associations juives américaines, en particulier, s'efforçaient de le replacer dans un contexte uni-

1. Boas Evron, « Holocaust: The Uses of Disaster », Radical America, juillet-août 1983, p. 15.

2. Pour la distinction entre la littérature de l'Holocauste et les travaux d'érudition sur l'holocauste nazi, cf. Finkelstein et Birn, L'Allemagne en procès, l^^ partie, 3^ section.

versel. Après la guerre de 1967, cependant, la solution finale nazie a été entièrement reconstruite. « La première étape, la plus importante, qui vint après la guerre de 1967 et devint l'emblème du judaïsme américain, c'est que [...] l'Holocauste était unique, sans parallèle dans l'histoire humaine », rappelle Jacob Neusner^. Dans un essai lumineux, l'historien David Stannard tourne en ridicule la « petite industrie des hagiographes de l'Holocauste qui défendent la singularité de l'expérience juive avec toute l'énergie et l'ingénuité de fanatiques théologiques'' ». Le dogme de la singularité, au fond, n'a aucun sens.

Au niveau le plus élémentaire, tout événement historique est unique, ne serait-ce qu'en vertu de sa situation spatio-temporelle, et tout événement historique a des traits distinctifs aussi bien que des traits communs avec d'autres événements historiques. L'anomalie de l'Holocauste est que l'on fait de sa singularité un élément absolument décisif. Quel autre événement historique, pourrait-on demander, se caractérise essentiellement par sa singularité ? La démarche consiste à mettre les traits distinctifs de l'Holocauste en évidence de façon à placer l'événement dans une catégorie entièrement à part. On ne sait jamais très bien, néanmoins, pourquoi les nombreux points communs devraient être considérés comme sans importance dans la comparaison.

Tous les historiens de l'Holocauste considèrent qu'il s'agit d'un événement unique mais peu s'accordent sur ce qui en fait la singularité. Chaque fois qu'un argument en faveur de la singularité est réfuté empiriquement, un nouvel argument s'installe à sa place. Les résultats, d'après Jean-Michel Chaumont, sont de multiples arguments contradictoires qui s'annulent mutuellement: « La connaissance ne s'accumule pas. Pour améliorer l'ancien argument, le nouveau repart à zéro' ». Autrement dit, la singularité est un postulat dans le scénario de l'Holocauste, le prouver est la tâche par

3. Jacob Neusner, éd., Judaism in Cold War America, 1945-1990, vol. II :/« the Aftermath of the Holocaust, New York, 1993, VIII.

4. David Stannard, « Uniqueness as Déniai », Alan Rosenbaum, éd., Is the Holocaust Unique?, Boulder, 1996, p. 193.

5. Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes, Paris, 1997, pp. 148-149. La dissection par Chaumont de la « singularité de l'Holocauste » est un tour de force. Cependant, sa thèse centrale n'est pas convaincante, du moins pour le milieu américain. D'après Chaumont, le phénomène de l'holocauste tire son origine de la quête tardive de la reconnaissance publique des souffrances passées des survivants juifs. Cependant, les survivants figurent à peine dans l'élan initial qui a projeté l'holocauste au centre de la scène.

excellence et le nier revient à nier l'Holocauste. Même si l'Holocauste était unique, quelle différence cela ferait-il ? En quoi notre compréhension serait-elle modifiée si l'holocauste nazi n'était pas le premier mais le quatrième ou le cinquième dans une liste de catastrophes comparables ?

La contribution la plus récente au concours de la singularité de l'Holocauste est celle de Stephen Katz, avec son livre The Holocaust in Historical Context. Katz, qui cite près de cinq mille ouvrages dans le premier volume d'une étude qui doit en compter trois, étudie l'ensemble de l'histoire de l'humanité pour prouver que « l'Holocauste est phénoménologiquement unique en vertu du fait que jamais auparavant, un État n'avait entrepris, en tant que principe intentionnel et politique effectif, d'anéantir physiquement tout homme, femme et enfant appartenant à un peuple donné. » Pour éclairer sa thèse, Katz explique : « § est uniquement C. § partage peut-être A, B. D, ...X avec A mais pas C. Et § partage peut-être A, B, D, ...X avec tout A mais pas C. Tout repose entièrement, pour ainsi dire, sur § qui est seul C ... vr qui n'est pas C n'est pas § .... Par définition, aucune exception à la règle n'est admise. A partageant A, B, D.... X avec j est peut-être comme j sous cet aspect et sous d'autres ... mais en ce qui concerne notre définition de singularité, tout ou tous les A dépourvus de C ne sont pas § .... Bien sûr, dans sa totalité, § est plus que C, mais il n'est jamais sans C. » Traduction : un événement historique qui contient un trait distinctif est un événement historique distinct. Pour éviter toute confusion, Katz explique plus loin qu'il utilise le terme phénoménologiquement, « dans un sens non husserlien, non shutzien, non hei-deggerien, non merleau-pontien ». Traduction : l'entreprise de Katz est une absurdité phénoménale^. Même si les sources démontraient l'exactitude de la thèse centrale de Katz, ce qui n'est pas le cas, cela prouverait simplement que l'Holocauste contient un trait distinctif. Le contraire serait étonnant. Chaumont conclut que l'étude de Katz est en fait de « l'idéologie » déguisée en « science », ce qu'on va voir tout de suite'.

Il n'y a qu'un cheveu entre la thèse de la singularité de l'Holocauste et la thèse qu'il est impossible d'appréhender l'Holocauste rationnellement. Si l'Holocauste n'a pas de précédent dans l'histoire, il doit être au-dessus de l'histoire qui ne peut pas s'en emparer. En effet, l'Holocauste est unique parce qu'il est inexplicable, et il est inexplicable parce qu'il est unique.

6. Steven T. Katz, The Holocaust in Historical Context, Oxford, 1994, pp. 28, 58, 60.

7. Chaumont, La concurrence, p. 137.

Le pourvoyeur-en-chef de cette mystification, qualifiée par Novick de « sacralisation de l'Holocauste », est Elle Wiesel. Pour Wiesel, ainsi que Novick le fait remarquer ajuste titre, l'Holocauste est effectivement une religion à « mystère ». Ainsi, Wiesel déclame que l'Holocauste « mène aux ténèbres », « nie toutes les réponses », « est hors de l'Histoire, sinon au-delà », « défie à la fois la connaissance et la description », « ne peut être expliqué ou visualisé », ne peut « jamais être compris ou transmis », marque « la destruction de l'histoire » et « une mutation à l'échelle cosmique ». Seul le grand-prêtre-survivant (c'est-à-dire Wiesel) est qualifié pour deviner son mystère. Et cependant, le mystère de l'Holocauste, reconnaît Wiesel, est « incommunicable » ; Ainsi, pour des honoraires de base de 25 000 dollars (plus la voiture de maître), Wiesel enseigne que le « secret » de la vérité d'Auzschwitz « est dans le silence^ ».

Appréhender l'Holocauste rationnellement, dans cette optique, revient à le nier. Car la raison nie la singularité et le mystère de l'Holocauste. Et comparer l'Holocauste à d'autres souffrances constitue, pour Wiesel, « une trahison complète de toute l'histoire juive' ». Il y a quelques années, une parodie d'un journal à sensations de New York titrait : « Michael Jackson meurt dans un holocauste nucléaire avec soixante millions d'autres ». La rubrique du courrier publia une protestation irritée de Wiesel : « Comment ose-t-on parler de ce qui est arrivé hier comme d'un Holocauste? Il n'y a eu qu'un Holocauste... » Dans son dernier volume de mémoires, Wiesel, prouvant que la vie peut aussi imiter une parodie, reproche à Shimon Pérès d'avoir parlé « sans hésitation des deux holocaustes du XX^ siècle, Auschwitz et Hiroshima. Il n'aurait pas dû'" ». Une phrase favorite de Wiesel affirme que « l'universalité de l'Holocauste ré-

8. Novick, The Holocaust, pp. 200-201 et 211-212. Wiesel, Against Silence, tome I, pp. 158, 211, 239, 272, tome II, pp. 62, 81, 111, 278, 293, 347 et 371, tome III, pp. 153 et 243. Elle Wiesel, AU Rivers Run to the Sea, New York, 1995, p. 89. Le renseignement sur les honoraires réclamés par Wiesel pour une conférence provient de Ruth Wheat du Bureau des conférences du Bnai Brith. « Les mots, d'après Wiesel, sont une approche horizontale, tandis que le silence vous offre une approche verticale. Vous y plongez. » Wiesel va-t-il faire ses conférences en parachute?

9. Wiesel, Against Silence, tome III, p. 146.

10. Wiesel, And the Sea, p. 95. Comparez ces deux dépêches :

Ken Livingstone, ex-membre du parti travailliste et candidat indépendant à la mairie de Londres, a encouru la colère des juifs de Grande-Bretagne parce qu'il a dit que le système capitaliste dans son ensemble avait fait autant de victimes que la seconde guerre mondiale. « Tous les ans, le système financier international tue plus de monde que la seconde guerre mondiale, mais Hitler, au moins, était fou, lui. » « C'est une insulte à tous ceux qui ont

side dans sa singularité ^' ». Mais s'il est incomparablement et incompréhensiblement unique, comment l'Holocauste peut-il avoir une dimension universelle?

Le débat sur la singularité de l'Holocauste est stérile. En fait, les prétentions à la singularité de l'Holocauste sont devenues une forme de « terrorisme intellectuel » (Chaumont). Ceux qui appliquent les méthodes normales d'enquête scientifique et comparative doivent d'abord satisfaire à mille et une précautions pour écarter l'accusation de « banaliser l'Holocauste '^ ».

Le sens caché de la thèse de la singularité de l'Holocauste, c'est que l'Holocauste était le mal absolu. Pour terribles qu'elle soit, la souffrance des autres ne peut tout simplement pas s'y comparer. Les zélateurs de la singularité de l'Holocauste démentent cette affirmation mais ces démentis ne sont pas sincères ' ^.

été assassinés et torturés par Adolf Hitler », dit John Butterfill, un député conservateur ; M. Butterfill a dit aussi que les accusations portées par M. Livingstone contre le système financier avaient des relents d'antisémitisme affirmé. (« Livingstone's Words Anger Jews », International Herald Tribune, 13 avril 2000).

Fidel Castro... a accusé le système capitaliste de provoquer régulièrement autant de morts que la seconde guerre mondiale en ignorant les besoins des pauvres. « Les images que nous voyons de mères et d'enfants dans des régions entières d'Afrique ravagées par la sécheresse et d'autres catastrophes encore nous rappellent les camps de concentration de l'Allemagne nazie. » Le dirigeant cubain a dit, en faisant référence aux procès des criminels de guerre après la seconde guerre mondiale : « Il nous faudrait un Nuremberg pour juger l'ordre économique qu'on nous impose, où tous les trois ans plus d'hommes, de femmes et d'enfants meurent de faim et de maladies évitables que pendant la seconde guerre mondiale. » A New York, Abraham Foxman, directeur national de la Ligue contre la diffamation, a dit: « La pauvreté est grave, c'est douloureux et parfois mortel mais ce n'est pas l'Holocauste et ce ne sont pas les camps de concentration. » (John Rice, « Castro Viciously Attacks Capitalism, » Associated Press, 13 avril 2000 )

11. Wiesel, A^ami'f 5i7ence, tome III, pp. 156, 160, 163, 177.

12. Chaumont, La concurrence, p. 156. Chaumont montre aussi, avec beaucoup d'à-propos, qu'on ne peut pas affirmer à la fois, comme on le fait souvent, que l'Holocauste est un mal incompréhensible et que ses auteurs étaient parfaitement normaux (p. 310).

13. Katz, The Holocaust, p. 19, 22. « Affirmer que la revendication de la singularité de l'Holocauste n'est pas une comparaison injustifiée produit un double langage systématique, observe Novick. Croit-on vraiment [...] que la prétention à la singularité n'est pas une affirmation de prééminence? » Malheureusement, Novick lui-même se livre à ce genre de comparaison malhonnête. Ainsi, il maintient que bien que ce soit une échappatoire morale dans le contexte des États-Unis, « il est exact de dire que quoi que

Les prétentions à la singularité de l'Holocauste sont intellectuellement stériles et moralement condamnables et pourtant elles sont toujours là. On peut se demander pourquoi. Tout d'abord, parce qu'une souffrance unique donne des droits uniques. Le mal unique de l'Holocauste, pour Jacob Neusner, non seulement place les juifs à part mais encore leur confère « un droit sur les autres ». Pour Edward Alexander, la singularité de l'Holocauste est un « capital moral » ; les juifs doivent « revendiquer la souveraineté » sur « ce bien de grande valeur ^"^ ».

En réalité, la singularité de l'Holocauste, ce « droit » sur les autres, ce « capital moral » - est l'alibi principal d'Israël. « La singularité de la souffrance juive », suggère l'historien Peter Baldwin, « ajoute aux revendications morales et affectives dont Israël peut se prévaloir... face aux autres nations'^ ». Ainsi, d'après Nathan Glazer, l'Holocauste, qui montre la « particularité distinctive des juifs », a donné aux juifs « le droit de se considérer comme particulièrement menacés et particulièrement dignes des efforts, quels qu'ils soient, nécessaires à leur survie '^ ». Pour citer un exemple éloquent, toute mention de la décision d'Israël de fabriquer des armes nucléaires fait appel au spectre de l'Holocauste". On veut nous faire croire que sans cela, Israël n'aurait pas fabriqué d'armes nucléaires !

Un autre facteur entre enjeu. Affirmer la singularité de l'Holocauste, c'est affirmer la singularité juive. Non pas de la souffrance des juifs mais ce qui fait la singularité de l'Holocauste, c'est que ce soient les juifs qui aient souffert. Ou encore : l'Holocauste est spécial parce que les juifs le sont. Ainsi, Ismar Schorsch, chancelier du Séminaire théologique juif, se moque de la revendication de la singularité de l'Holocauste, qu'il qualifie de « version séculière détestable de l'idée de peuple élu'^ ». Très véhément à

les États-Unis aient fait aux Noirs, aux Amérindiens, aux Vietnamiens ou à d'autres encore, ce n'est rien à côté de l'Holocauste » {The Holocaust, pp. 197 et 15 )

14. Jacob Neusner, « A "Holocaust" Primer », p. 178. Edward Alexander, « Stealing the Holocaust», pp. 15-16, Neusner, Aftermath

15. Peter Baldwin, éd. , Reworking the Past, Boston, 1990, p. 21.

16. Nathan Glazer, American Judaism, deuxième édition Chicago, 1972, p. 171.

17. Seymour M. Hersh, The Samson Option, New York, 1991, p. 22. Avner Cohen, Israël and the Bomb, New York, 1998, pp. 10, 122, 342.

18. Ismar Schorsch, « The Holocaust and Jewish Survival », Midstream, iam/ier 1981, p. 39, Chau-mont prouve que la revendication de la singularité de l'Holocauste provient directement du dogme religieux de l'élection juive et n'a de sens que dans ce cadre.La concurrence, pp. 102-107 et 121.

propos de la singularité de l'Holocauste, Elle Wiesel ne l'est pas moins à propos de la singularité des juifs. « Tout, en nous, est différent ». Les juifs sont « ontologiquement » exceptionnels '^. Couronnement d'un millénaire de haine des juifs, l'Holocauste est la preuve non seulement de la souffrance unique des juifs mais aussi de la singularité des juifs eux-mêmes.

Pendant la seconde guerre mondiale et juste après, raconte Novick, presque personne au gouvernement [américain], et presque personne en dehors de lui, juif ou non, n'aurait compris la phrase « l'abandon des juifs ». Le renversement s'est fait après la guerre de 1967. « Le silence du monde », « l'indifférence du monde », « l'abandon des juifs », ces thèmes sont devenus des leitmotivs du « discours de l'Holocauste^" ».

Adoptant un thème sioniste, le cadre idéologique de l'Holocauste fait de la solution finale de Hitler l'apogée d'un millénaire de haine des juifs. Les juifs ont péri parce que tous les autres, aussi bien comme auteurs ou comme collaboateurs passifs, voulaient leur mort. «Le monde libre et "civilisé" », d'après Wiesel, « a livré les juifs au bourreau. Il y avait les tueurs, les assassins et il y avait ceux qui gardaient le silence^' ». Les preuves historiques de l'élan criminel des Gentils sont nulles. L'efffort pesant de Daniel Goldhagen pour prouver une des variantes de cette thèse dans Les bourreaux volontaires de Hitler n'obtient qu'un résultat comique ^^. Son utilité politique, en revanche, est considérable. On peut noter, en passant, que la théorie de « l'antisémitisme éternel » donne, de fait, des armes aux antisémites. Comme le dit Arendt dans Les Origines du totalitarisme, « l'adoption de cette doctrine par les antisémites coule de source, car elle constitue le meilleur alibi possible des pires horreurs. S'il est exact que l'humanité s'est obstinée à assassiner les juifs pendant plus de deux mille ans, alors l'assassinat des juifs est un acte normal et même humain et la haine des juifs est justifiée sans qu'il soit besoin d'avancer le moindre argument. L'aspect le plus surprenant de cette explication est que beaucoup d'historiens dépourvus de parti-pris et un nombre encore plus important de juifs l'ont adoptée ^^ ».

19.y^ies&l, Against Silence,v.\,Y>. 153. Wiesel, Aniif/îe Sea, p. 133.

20. Novick, The Holocaust, p. 59, pp. 158-159.

21. Wiesel, Andthe Sea, p. 68

22. Daniel Jonah Goldhagen, Hitler's Willing Executioners, New York, 1996. Pour une critique, cf Finkelstein et Birn, Nation.

23. Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism,New York, 1951, p. 7.

Le dogme de l'Holocauste sur la haine éternelle des Gentils a servi à la fois à justifier la nécessité d'un état juif et à expliquer l'hostilité envers Israël. L'état juif est le seul garde-fou contre le prochain accès inévitable d'antisémitisme ; inversement, l'antisémitisme meurtrier est le mobile de toute attaque ou même de toute manœuvre défensive contre l'état juif. Pour expliquer les critiques envers Israël, la romancière Cynthia Ozick a une réponse toute prête : « Le monde veut éliminer les juifs... le monde a toujours voulu éliminer les juifs ^"^ » Si tout le monde voulait la mort des juifs, alors il serait très étonnant qu'il en restât encore - et que, contrairement au reste de l'humanité, ils ne soient pas, et c'est le moins qu'on puisse dire, en train de mourir de faim.

Ce dogme, de plus, donne carte blanche à Israël : puisque les Gentils sont décidés à les assassiner, les juifs ont le droit absolu de se protéger comme ils le jugent bon. Les juifs débrouillards peuvent recourir à n'importe quels moyens, y compris la torture et l'agression, c'est de la légitime défense. Boas Evron regrette « l'enseignement de l'Holocauste » sur la haine éternelle des Gentils parce que, observe-t-il, « cela revient réellement à provoquer délibérément une paranoïa... Cette mentalité pardonne d'avance tout traitement inhumain des non-juifs, parce que la mythologie dominante déclare « que tous les peuples ont collaboré avec les nazis à la destruction des juifs », d'oîi il ressort que tout est permis aux juifs dans leurs relations avec les autres peuples" ».

Dans le scénario de l'Holocauste, l'antisémitisme n'est pas seulement indéracinable mais aussi toujours irrationnel. Goldhagen va beaucoup plus loin que les analyses sionistes classiques, pour ne pas parler des analyses érudites en présentant l'antisémitisme comme « sans rapport avec des juifs concrets », « ce n'est fondamentalement/^a^ une réaction à une quelconque analyse objective du comportement juif », et « indépendant de la nature et des comportements des juifs ». C'est une maladie mentale des Gentils, « son terrain d'action » est « l'esprit » (souligné dans l'original). Guidé par des « arguments irrationnels », l'antisémite, d'après Wiesel, « n'admet simplement pas l'existence des juifs" ». « Non seulement ce que font ou ne font pas les juifs n'explique en aucune façon logiquement l'antisémitisme, mais toute tentative [italiques dans l'original] d'explication de l'antisémitisme par les contributions des

24. Cynthia Ozick, « Ail the World Wants the Jews Dead », Esquire, novembre 1974.

25. Boas Evron, Jewish State or Israeli Nation, Bloomington, 1995, pp. 226-227.

26. Goldhagen, Hitler's Willing Executioners, pp. 34-35, 39 et 42. Wiesel, And the Sea, p. 48.

juifs à l'antisémitisme est en soi un exemple d'antisémitisme ! ^^ », observe le sociologue John Murray Cuddihy. La vérité n'est pas que l'antisémitisme est justifiable ou que les juifs sont responsables des crimes commis contre eux, mais que l'antisémitisme apparaît dans un contexte historique donné avec un réseau croisé d'intérêts. « Une minorité bien-organisée, douée et connaissant la réussite peut inspirer des conflits qui proviennent de tensions objectives entre les groupes », souligne Ismar Schorsch, bien que « ces conflits soient souvent enrobés de stéréotypes antisémites^^ ».

L'essence irrationnelle de l'antisémitisme des Gentils est déduite de l'essence irrationnelle de l'Holocauste. Pour preuve, la solution finale de Hitler était dépourvue de rationalité - « c'était le mal pour le mal », un massacre « sans but » ; la solution finale de Hitler a marqué l'apogée de l'antisémitisme ; donc l'antisémitisme est essentiellement irrationnel. Prises séparément ou à part, ces propositions ne résistent pas à l'analyse la plus superficielle^'. Politiquement, cependant, l'argument est extrêmement utile.

Par l'absolution totale qu'il accorde aux juifs, le dogme de l'Holocauste confère à Israël et aux juifs américains l'immunité contre une censure légitime. L'hostilité arabe ou celle des Noirs américains ? Elles « ne sont fondamentalement pas des réactions à une analyse objective du comportement des juifs. » (Goldhagen)^". Ou bien ce que dit

27. John Murray Cuddihy, « The Eléphant and the Angels: The Incivil Irritatingness of Jewish Theo-dicy », Robert N. Bellah et Frederick E. Greenspahn, éd., Uncivil Religion, New York, 1987, 24. Outre cet article, cf. son « The Holocaust: The Latent Issue in the Uniqueness Debate », P. F. Gallagher éd., Christians, Jews, and Other Worlds, Highland Lakes, New Jersey, 1987.

28. Schorsch, The Holocaust, p. 39. Incidemment, l'affirmation que les juifs sont une minoritée « douée » est aussi, à mes yeux, une « détestable version séculière de l'idée de peuple élu ».

29. Bien qu'un exposé complet de cette question dépasse les limites de cet essai, on peut en considérer simplement la première proposition. La guerre de Hitler contre juifs, même si elle est irrationnelle (et cela, en soi, est une question complexe) ne serait en aucune façon un hapax dans l'histoire. Qu'on se rappelle, par exemple, la thèse centrale du traité de Schumpeter sur l'impérialisme, pour laquelle « les penchants non-rationnels et irrationnels, purement instinctifs, pour la guerre et la conquête jouent un rôle immense dans l'histoire de l'humanité... D'innombrables guerres, peut-être la majorité des guerres, ont été menées sans le moindre intérêt raisonné et raisonnable. » (Joseph Schumpeter, « The Sociology of Imperialism », Paul Sweezy, éd., Imperialism and Social Classes, New York, 1951, p. 83.)

30. Tout en évitant de nommer explicitement le scénario de l'Holocauste, la récente étude d'Albert S. Lindemann sur l'antisémitisme commence par le postulat que « quelle que soit le puissance du mythe, l'hostilité envers les juifs, individuelle ou collective, n'est pas entièrement fondée sur des visions fantas-

Wiesel de la persécution des juifs : « Pendant deux mille ans... nous avons vécu sous la menace perpétuelle... Pourquoi? Sans la moindre raison. » À propos de l'hostilité arabe envers Israël : « À cause de ce que nous sommes et de ce que notre foyer Israël représente - le cœur de nos vies, le rêve de nos rêves - lorsque nos ennemis essaieront de nous détruire, ils essaieront de le faire en essayant de détruire Israël. » À propos de l'hostilité des Noirs américains envers les juifs américains : « Ce peuple, qui s'est inspiré de nous, ne nous remercie pas mais nous attaque. Nous sommes dans une situation très dangereuse. Nous sommes une fois de plus le bouc émissaire, de tous côtés... Nous avons aidé les Noirs ; nous les avons toujours aidés... Je suis désolé pour les Noirs : il y a une chose qu'ils devraient apprendre de nous et c'est la reconnaissance. Aucun peuple au monde ne connaît la reconnaissance comme nous ; nous sommes reconnaissants jusqu'à la fin des temps ^'. » Toujours punis, toujours innocents : tel est le fardeau des juifs ^^.

Le dogme constitutif de l'Holocauste proclamant la haine éternelle des Gentils garantit aussi le dogme corollaire de la singularité. Si l'Holocauste a marqué l'apogée de la haine millénaire des Gentils pour les juifs, la persécution des non-juifs pendant l'Holocauste est purement accidentelle et la persécution des non-juifs dans l'histoire est simplement fortuite. De quelque point de vue qu'on se place, la souffrance juive durant l'Holocauste était unique.

Finalement, la souffrance juive est unique parce que les juifs sont uniques. L'Holocauste était unique parce qu'il n'était pas rationnel. Au fond, il avait pour cause une passion tout à fait irrationnelle, bien que trop humaine. Le monde des Gentils haïssait les juifs par envie, jalousie, ressentiment. L'antisémitisme, d'après Nathan etRuth Ann Perlmutter, est né « de la jalousie des Gentils et de leur ressentiment parce que les juifs sont plus cotés que les chrétiens sur le marché... beaucoup de Gentils qui ne sont pas

tiques ou chimériques de ce qu'ils sont ou sur des projections sans rapport avec une quelconque réalité tangible. Comme êtres humains, les juifs ont pu, autant que n'importe quel autre groupe, provoquer l'hostilité dans le monde séculier quotidien. » (Esau's Tears, Cambridge, Massachussets,1997, XVII)

31. Wiesel, Against Silence, v. I, pp. 255 et 384.

32. Chaumont montre que le dogme de l'Holocauste rend effectivement tous les crimes plus acceptables. L'insistance sur l'innocence absolue des juifs, c'est-à-dire sur l'absence complète d'un motif rationnel expliquant les persécutions et les meurtres dans d'autres circonstances, « créant une division de fait entre des crimes inconditionnellement intolérables et des crimes avec lesquels on peut, et par conséquent on doit, s'arranger. » (La concurrence, p. 176 )

très parfaits en veulent à peu de juifs très parfaits ^^ ». L'Holocauste a confirmé négativement l'élection des juifs. Parce que les juifs sont meilleurs ou réussissent mieux, ils ont encouru la colère des Gentils qui les ont assassinés.

Dans une brève digression, Novick se demande « ce que le discours sur l'Holocauste serait en Amérique » si Elle Wiesel n'en était pas « le principal interprète ^'^ ». La réponse n'est pas difficile à trouver. Avant juin 1967, c'est le message universel du survivant des camps Bruno Bettelheim qui trouvait un écho chez les juifs américains. Après la guerre de 1967, Bettelheim a été écarté en faveur de Wiesel. La prééminence de Wiesel est la conséquence directe de son utilité idéologique. Singularité des souffrances juives et singularité des juifs. Gentils toujours coupables et juifs toujours innocents, défense inconditionnelle d'Israël et défense inconditionnelle des intérêts juifs : Elle Wiesel est l'Holocauste.

La plus grande partie de la littérature sur la solution finale de Hitler, qui tourne autour des dogmes essentiels de l'Holocauste, n'a aucune valeur scientifique. En fait, le domaine des études de l'Holocauste est truffé d'absurdités, pour ne pas dire de fraudes pures et simples. Ce qui est particulièrement révélateur, c'est le milieu culturel dans lequel s'enracine cette littérature de l'Holocauste.

Le premier faux d'envergure de l'Holocauste est The Painted Bird [NdT : publié en France sous le titre L'oiseau bariolé. J'ai Lu], de l'émigré polonais Jerzy Kosinski^^. Le livre est « écrit en anglais », expliquait Kosinski, pour que « je puisse écrire sans passion, libéré des connotations affectives que la langue maternelle recèle toujours. » En fait, les parties qu'il a réellement écrites - et on ne sait toujours pas lesquelles - sont en polonais. Le livre prétendait être le récit autobiographique de ses errances d'enfant solitaire dans la campagne polonaise pendant la seconde guerre mondiale. Les tortures sexuelles sadiques perpétrées parles paysans polonais constituent l'argument du livre. Les comptes rendus de lecture avant la publication ont tourné en ridicule sa

33. N. et R. Perlmutter, Anti-Semitism, pp. 36, 40.

34. Novick, The Holocaust, p. 351, note 19.

35. New York, 1965. J'emprunte la description du contexte au livre de James Park Sloan, Jerzy Kosinski, New York, 1996.

« violence pornographique » et « le produit d'un esprit obsédé par la violence sadomasochiste ». En fait, Kosinski a inventés presque tous les épisodes pathologiques qu'il raconte. Le livre dépeint les paysans polonais avec lesquels il vivait comme des antisémites virulents. « Frappez les juifs, frappez les salauds », encouragent-ils. En fait, les paysans polonais ont caché la famille Kosinski tout en sachant parfaitement qu'elle était juive et quelles conséquences funestes ils encourraient s'ils étaient pris ^^.

Dans le New York Times Book Review, Elle Wiesel a chanté les louanges de The Painted Bird qu'il qualifie de « l'une des meilleures » mises en cause de l'époque nazie, « écrite avec une sincérité et une sensibilité profonde ». Cynthia Ozick, par la suite, s'est écriée qu'elle avait « immédiatement » reconnu que Kosinski, était un authentique « survivant et témoin juif de l'Holocauste ». Bien après que Kosinski ait été convaincu de mystification littéraire, Wiesel continuait à faire l'éloge de « son œuvre remarquable ».

The Painted Bird devint un texte classique de l'Holocauste, best-seller, couronné de prix, traduit dans de nombreuses langues, lecture obligatoire dans les lycées américains. Kosinski fait la tournée de l'Holocauste, c'est un Elle Wiesel à petit prix (ceux qui n'ont pas moyens de se payer les honoraires de Wiesel - « le silence » n'est pas bon marché - font appel à lui). Bien qu'il ait été finalement démasqué par un hebdomadaire d'investigation, le New York Times a continué à défendre d'arraché-pied Kosinski, prétendant qu'il était victime d'un complot communiste".

36. Elle Wiesel, « Everybody's Victim », New York Times Book Review, 31 octobre 1965. Wiesel, AU Rivers, 335. La citation d'Ozick est tirée de Sloan, pp. 304-305. L'admiration de Wiesel pour Kosinski n'est pas étonnante. Kosinski voulait analyser « le nouveau langage », Wiesel « forger un nouveau langage » de l'Holocauste. Pour Kosinski, « ce qui se trouve entre les épisodes est à la fois un commentaire et quelque chose que l'épisode commente ». Pour Wiesel, « l'espace entre deux mots est plus vaste que la distance entre le Ciel et la Terre ». Il y a un proverbe polonais qui exprime cette profondeur : « Du vide à la vacuité. » Tous les deux aspergent littéralement leurs ruminations de citations d'Albert Camus, signe infaillible de charlatanisme. Se souvenant qu'un jour Camus lui a dit: « Je vous envie Auschwitz », Wiesel continue : « Camus ne pouvait se pardonner de ne pas connaître cet événement majestueux, ce mystère des mystères » (Wiesel, AU Rivers, p. 321 ; Wiesel, Against Silence, v. IL p. 133)

37. Geoffrey Stokes et Eliot Fremont-Smith, « Jerzy Kosinski's Tainted Words », ViUage Voice, 22 juin 1982. John Corry, « A Case History: 17 Years of Ideological Attack on a Cultural Target », New York Times, 7 novembre 1982. A sa décharge, Kosinski s'est livré à une sorte de repentir tardif. Pendant les quelques années qui séparent sa démystification de son suicide, Kosinski a déploré que l'industrie

Une mystification plus récente, les Fragments de Benjamin Wilkomirski ^^ [NdT : publié en France sous le titre Enfance brisée, fragments (Poche, 1999)] emprunte sans vergogne aux techniques kitsch de description de l'Holocauste propres à Painted Bird. Comme Kosinski, Wilkomirski se dépeint comme un enfant survivant solitaire qui devient muet, se retrouve dans un orphelinat et découvre très tard qu'il est juif. Comme pour The Painted Bird, l'artifice narratif principal des Fragments est la voix simple, étouffée, d'un enfant naïf ; là aussi, les lieux et les dates sont volontairement flous. Comme The Painted Bird, chaque chapitre de Fragments culmine dans une orgie de violence. Kosinski décrivait The Painted Bird comme « la lente décongélation de

de l'Holocauste exclue les victimes non-juives. « Beaucoup de juifs américains ont tendance à le percevoir comme une shoah, une catastrophe exclusivement juive... Mais au moins la moitié des Tsiganes (improprement appelés Gypsies), environ deux millions et demi de Polonais catholiques, des millions de citoyens soviétiques de nationalités diverses furent aussi victimes de ce génocide... » Il a également rendu hommage « à la bravoure des Polonais » qui l'ont « protégé » « durant l'Holocauste » malgré son aspect soi-disant « sémite ». (Jerzy Kosinski, Passing By, New York, 1992, pp. 165-166 et 178-179) Alors qu'on lui demandait, avec colère, ce que les Polonais avaient fait pour sauver les juifs, au cours d'une conférence sur l'holocauste, Kosinski a répliqué vertement: « Qu'ont fait les juifs pour sauver les Polonais ? »

38. New York, 1996. Pour le contexte de la mystification de Wilkomirski, cf. surtout Elena Lappin, « The Man With Two Heads », Granta, n° 66, et Philip Gourevitch, « Stealing the Holocaust », New Yorker, 14 juin 1999.

l'esprit », Wilkomirski décrit Fragments comme « la mémoire recouvrée ■'^ ».

Bien que ce soit une mystification pure et simple, Fragments est l'archétype des souvenirs de l'Holocauste. Le récit se déroule dans les camps de concentration, tous les gardes sont des monstres fous et sadiques qui défoncent le crâne de nourrissons juifs. Ainsi, ces souvenirs des camps de concentration nazis sont en contradiction avec ce que dit la survivante d'Auschwitz, le docteur Ella Lingens-Reiner : « Il y avait peu de sadiques, pas plus de cinq ou dix pour cent'"'. » Le sadisme allemand est au premier plan dans la littérature de l'Holocauste. Il a un double emploi, celui d'« illustrer » l'irrationalité unique de l'Holocauste en même temps que l'antisémitisme fanatique des criminels.

La particularité de Fragments réside dans le fait qu'il décrit la vie non ^às pendant

39. Wiesel a exercé aussi une grande influence « littéraire » sur Wilkomirski . Que l'on compare ces passages :

Wilkomirski: « J'ai vu ses yeux grand ouverts et tout d'un coup j'ai su que ces yeux-là savaient tout, qu'ils avaient vu tout ce que les miens avaient vu, qu'ils en savaient infiniment plus que n'importe qui dans ce pays. Je les connaissais, ces yeux-là, j'en avais vu des milliers de fois, au camp et après. C'étaient les yeux de Mila. Nous autres enfants, nous disions tout avec ces yeux-là. Elle le savait aussi : elle regardait droit dans mon cœur, par mes yeux. »

Wiesel : « Les yeux, je dois vous parler de leurs yeux. Je dois commencer par là car leurs yeux précèdent tout le reste et tout se comprend par eux. Le reste peut attendre, il ne fait que confirmer ce que vous savez déjà. Mais leurs yeux, leurs yeux brûlent d'une sorte de vérité irréductible qui brûle sans se consumer. Réduit au silence par la honte que vous éprouvez devant eux, vous ne pouvez que vous incliner et accepter le jugement. Votre seul souhait est de voir le monde comme ils le font. Vous, un adulte, un homme sage et d'expérience, vous êtes soudain impuissant et terriblement appauvri. Ces yeux vous rappellent votre enfance, votre état d'orphelin, vous font perdre toute foi en la puissance du langage. Ces yeux nient la valeur des mots ; ils absorbent votre besoin de parler. » {The Jews of Silence, New York, 1966, p. 3)

Wiesel chante encore pendant une page et demie « les yeux ». Sa prouesse littéraire n'a d'égale que sa maîtrise dialectique. Quelque part, il avoue : « Je crois à la culpabilité collective, contrairement à beaucoup de libéraux. » Ailleurs, il avoue : « Je souligne que je ne crois pas à la culpabilité collective. » (Wiesel, Against Silence, tome II, p. 134 ; Wiesel, And the Sea, pp. 152 et 235).

40. Bernd Naumann, Auschwitz, New York, 1966, p. 91. Cf. Finkelstein and Birn, Nation, p. 67-68, pour une documentation complète.

mais après l'Holocauste. Adopté par une famille suisse, le petit Benjamin subit encore de nouveaux tourments. Il est enfermé dans un monde de négateurs de l'Holocauste. « Oublie ça, c'est un cauchemar », lui hurle sa mère. « Ce n'était qu'un cauchemar... Tu ne dois plus y penser. » « Ici, dans ce pays », dit-il, irrité, « tout le monde passe son temps à dire que je dois oublier, que rien de tout cela n'est arrivé, que j'ai rêvé. Mais ils savent que c'est vrai ! »

Même à l'école, « les garçons me montrent du doigt, tendent le poing et hurlent: " Il délire, ce n'est pas vrai. Menteur ! Il est dingue, fou, c'est un imbécile." » (entre nous : ils avaient raison). Le bourrant de coups de poing, répétant des refrains antisémites, tous les enfants non juifs font front contre le pauvre Benjamin, pendant que les adultes répètent sans cesse : « Tu inventes tout ça ! ».

Alors que Benjamin est au fond du désespoir, l'Holocauste lui apparaît. « Le camp est toujours là - il est simplement caché et bien déguisé. Ils ont simplement enlevé leurs uniformes et revêtu de jolis vêtements pour qu'on ne les reconnaisse pas... Laisse-les imaginer un seul instant que tu pourrais être juif et tu le sauras : ce sont eux, j'en suis sûr. Ils sont toujours capables de tuer, même sans uniforme. » Plus qu'un hommage au dogme de l'Holocauste, Fragments est une révélation : même en Suisse, cette Suisse neutre, tous les Gentils veulent tuer les juifs.

Fragments a été proclamé classique de la littérature de l'Holocauste. Le livre a été traduit dans une dizaine de langues et il a obtenu le Prix national du livre juif, le Quar-terly Jewish Prize et le prix de la Mémoire de la Shoah. Vedette de documentaires, des conférences et des séminaires de l'Holocauste, des quêtes de fonds pour le musée mémorial de l'Holocauste des États-Unis, Wilkomirski est rapidement devenu l'emblème de l'Holocauste.

Daniel Goldhagen, qui a salué dans Fragments « un petit chef d'œuvre », était le champion de Wilkomirski dans le milieu universitaire. Des historiens sérieux comme Hilberg, cependant, ont rapidement traité Wilkomirski de faussaire. C'est Hilberg aussi qui a posé les questions qu'il fallait après la révélation de la fraude : « Comment a-t-on pu prendre ce livres pour des souvenirs dans des maisons d'édition? Comment a-t-il pu valoir à M. Wilkomirski des invitations au musée mémorial de l'Holocauste des États-Unis ou dans les universités en vue ? Comment se fait-il que nous ne contrôlions pas du tout la qualité quand il s'agit de juger les documents sur 1' Holocauste pour

décider de leur éventuelle publication?"^' »

Wilkomirski, qui est à la fois un fou et un charlatan, a, en fait, passé toute la guerre en Suisse. Il n'est même pas juif. Il faut lire, cependant, les nécrologies que l'industrie de l'Holocauste a consacrées à cette mystification après qu'elle fut dévoilée :

Arthur Samuelsonn (éditeur) : « Fragments est un livre très sympa... C'est une fraude seulement si on le considère comme un document. Alors, je le rééditerais dans la catégorie fiction. Peut-être que tout ça n'est pas vrai, et alors il n'en est que meilleur écrivain ! »

Carol Brown Janeway (traductrice et éditrice) : « Si les accusations... s'avèrent exactes, alors, ce qui est en cause ce ne sont pas des faits matériels qui peuvent être vérifiés mais des faits spirituels qui doivent être appréciés. Ce qu'il faudrait, c'est peser les âmes et c'est impossible. »

Ce n'est pas tout. Israël Gutman est directeur à Yad Vashem et maître assistant d'Holocauste à l'université hébraïque de Jérusalem. C'est aussi un ancien d'Ausch-witz. D'après Gutman : « il n'est pas très important » que Fragments soit une mystification. « Wilkomirski a écrit une histoire qu'il a vécue intensément ; c'est certain... Ce n'est pas un usurpateur. C'est quelqu'un qui vit cette histoire très profondément dans son âme. Sa peine est authentique. » Alors, il importe peu qu'il ait passé la guerre dans un camp de concentration ou dans un chalet suisse ; Wilkomirski n'est pas un usurpateur si « sa peine est authentique » : ainsi parle un survivant d'Auschwitz devenu expert de l'Holocauste. Les autres inspirent le mépris ; Gutman, simplement la pitié.

Le New Yorker intitulait son article dévoilant la fraude de Wilkomirski « Voleur d'Holocauste ». Hier, on faisait fête à Wilkomirski à cause de ses récits sur la méchanceté des Gentils ; aujourd'hui on le condamne parce qu'il n'est qu'un méchant Gentil de plus. C'est toujours la faute des Gentils. Bien sûr, Wilkomirski a inventé son passé d'Holocauste mais la vérité, c'est que l'industrie de l'Holocauste, fondée sur une appropriation frauduleuse de l'histoire à des fins idéologiques, ne pouvait que louer le faux de Wilkomirski, « un survivant de l'Holocauste » en attente d'être découvert.

En octobre 1999, l'éditeur allemand de Wilkomirski, en retirant Fragments des rayons, a finalement reconnu publiquement que ce n'était pas un orphelin juif mais

41. Lappin, p. 49. Hilberg a toujours posé les questions qu'il fallait. D'oii son statut de paria dans la communauté de l'Holocauste. Cf. Hilberg, The Politics of Memory, ibid.

un homme né suisse, nommé Brano Doessekker. Apprenant que les carottes étaient cuites, Wilkomirski a réagi en lançant un défi tonitruant « Je suis bien Benjamin Wil-komirski ». Il a fallu un mois à son éditeur américain, Schocken, pour ôter Fragments de son catalogue"*^.

Si l'on passe en revue maintenant les travaux sur l'Holocauste, la place qui y est donnée à la « connexion arabe » est révélatrice. Bien que le mufti de Jérusalem n'ait joué « aucun rôle significatif dans l'Holocauste », dit Novick, V Encyclopaedia ofthe Holocaust, publiée par Israël Gutman, lui donne « un rôle principal ». Le mufti est aussi à l'honneur à Yad Vashem : « On laisse entendre au visiteur, dit Tom Seguev, qu'il y a beaucoup de points communs entre le plan nazi pour la destruction des juifs et l'hostilité des Arabes envers Israël. » Lors d'une commémoration d'Auschwitz célébrée par le clergé de toutes les religions, Wiesel a protesté contre la présence d'un musulman : « Avons-nous oublié le mufti Hadji Amin ai-Hussein de Jérusalem, l'ami de Heinrich Himmler? » On se demande pourquoi, si le mufti a joué un rôle si important dans la solution finale de Hitler, Israël ne l'a pas traîné en justice comme Eichmann : après la guerre, il vivait juste à côté, au Liban".

Les apologistes ont désespérément cherché à impliquer les Arabes dans le nazisme, surtout après l'ignoble invasion du Liban en 1982 et alors que les « nouveaux historiens » israéliens contestaient les affirmations de la propagande officielle israélienne. Le célèbre historien Bernard Lewis a réussi à consacrer un chapitre entier de son abrégé d'histoire de l'antisémitisme et trois pages entières de sa « brève histoire des deux mille dernières années » au Proche-Orient, au nazisme arabe. À l'extrémité libérale du spectre de l'Holocauste, Michel Berenbaum, du musée de l'Holocauste de Washington, a généreusement reconnu que « les pierres jetées par les jeunes palestiniens furieux de la présence israélienne... ne sont pas l'équivalent de l'assaut nazi contre les civils juifs impuissants'*'* ».

L'extravagance la plus récente autour de l'Holocauste est le livre de Daniel Jonah Goldhagen, Hitler's Willing Executioners (Les bourreaux volontaires d'Hitler). Toutes

42. « Publisher Drops Holocaust Book », New York Times, 3 novembre 1999. Allan Hall et Laura Williams, « Holocaust Hoaxer? »New York Post, 4 novembre 1999

43. Novick, The Holocaust, p. 158. Segev, Seventh Million, p. 425. Wiesel, And the Sea, p. 198.

44. Bernard Lewis, Sémites and Anti-Semites, New York, 1986, chap. 6 ; Bernard Lewis, The Middle East, New York, 1995, pp. 348-350. Berenbaum, After Tragedy, p. 84.

les revues qui comptent ont publié un ou plusieurs comptes rendus dans les semaines qui ont suivi sa parution. Le New York Times a multiplié les recensions louangeuses du livre de Goldhagen, « une de ces rares nouveautés qui méritent d'être qualifiées d'ouvrages de référence » (Richard Bemstein). Le magazine Time a qualifié le livre, qui s'est vendu à plus de cinq cent mille exemplaires et a été traduit dans treize langues, de « deuxième livre de l'année, catégorie essais » et de « livre le plus commenté de 1 année ».

Soulignant « les recherches remarquables » et « l'abondance de preuves... reposant sur des documents et des faits incontestables », Elle Wiesel a salué en Hitler's Willing Executioners « une terrible contribution à la compréhension et à l'enseignement de l'Holocauste ». Israël Gutman l'a loué pour « la façon dont il soulève à nouveau des questions essentielles » que « les spécialistes officiels de l'Holocauste » avaient ignorées. Sélectionné pour la chaire d'Holocauste de l'université de Harvard, associé à Wiesel dans la presse nationale, Goldhagen est rapidement devenu inévitable dans les tournées de conférences sur l'Holocauste.

La thèse centrale du livre de Goldhagen est le dogme officiel de l'Holocauste : mû par une haine maladive, le peuple allemand a sauté sur l'occasion que leur a donnée Hitler d'assassiner les juifs. Même l'écrivain reconnu de l'Holocauste Yehuda Bauer, maître de conférence à l'université hébraïque et directeur à Yad Vashem, a, par moment, accepté ce dogme. S'interrogeant il y a quelques années sur l'état d'esprit des assassins, Bauer avait écrit : « Les juifs ont été assassinés par des gens qui, dans une large mesure, ne les haïssait pas... Les Allemands n'avaient pas besoin de haïr les juifs pour les tuer. » Cependant, dans un compte rendu récent du livre de Goldhagen, Bauer soutient exactement le contraire : « Le type le plus affirmé d'attitudes meurtrières a dominé à partir de la fin des années trente... Au commencement de la seconde guerre mondiale, la grande majorité des Allemands s'identifiait avec le régime et sa politique antisémite au point qu'il était facile de recruter les assassins. » Interrogé sur cette contradiction, Bauer a répondu : «Je ne vois aucune contradiction entre ces affirmations''^ »

45. New York Times, 27 mars, 2 avril, 3 avril 1996.Time, 23 décembre 1996.

46. Yehuda Bauer, « Reflections Concerning HolocaustHistory », Louis Greenspan et Graeme Nichol-son, éd., Fackenheim, Toronto, 1993, pp. 164 et 169. Yehuda Bauer, « On Perpetrators of the Holocaust and the Public Discourse », Jewish Quarterly Review, n° 87, 1997, pp. 348-350. Norman G. Finkel-

Bien que revêtu d'un apparat universitaire, Hitler's Willing Executioners n'est rien d'autre qu'une compilation inspirée par une violence sadique. Il n'est pas étonnant que Goldhagen ait vigoureusement fait la promotion de Wilkomirski : Hitler's Willing Executioners, c'est Fragments avec des notes. Bourré de grosses erreurs de présentation des sources et de contradictions internes, Hitler's Willing Executioners est dépourvu de valeur scientifique. Dans L'Allemagne en procès. La thèse de Goldhagen et la vérité historique, Ruth Bettina Birn et l'auteur de ces lignes ont montré l'indigence de l'entreprise de Goldhagen. La controverse qui a suivi a dévoilé de façon absolument éblouissante le fonctionnement interne de l'industrie de l'Holocauste.

Birn, spécialiste mondiale des archives consultées par Goldhagen, a d'abord publié ses critiques dans The Cambridge Historical Journal. Déclinant l'invitation de la revue à publier une réponse circonstanciée, Goldhagen a préféré engager une prestigieuse société d'avocats londonienne pour attaquer Birn et les éditions de l'université de Cambridge pour « des diffamations nombreuses et graves ». Exigeant une rétractation, des excuses et la promesse que Birn ne renouvellerait pas ses critiques, les avocats de Goldhagen ont alors menacé « d'une augmentation des dommages-intérêts si vous donniez une quelconque publicité à cette lettre "^^ ».

Peu après la publication par l'auteur de ces lignes d'une analyse tout aussi critique dans New Left Review, Metropolitan, un filiale d'Henry Holt, accepta de publier les deux essais en volume. A la une, [le magazine juif] Forward avertit que Metropolitan « préparait la sortie d'un livre de Norman Finkelstein, opposant notoire à l'état d'Israël ». Forward est le principal agent de « l'holocaustiquement correct » aux États-Unis.

Affirmant que « le parti-pris évident de Finkelstein et ses déclarations audacieuses... sont irréversiblement marqués du sceau de son antisionisme », le président de la Ligue contre la diffamation, Abraham Foxman, en appela à la maison Holt pour que la publication du livre soit abandonnée : « La question... n'est pas de savoir si la

stein et Yehuda Bauer, « Goldhagen's Hitler's Willing Executioners : An Exchange of Views », Jewish Quarterly Review, n° 1-2, 1998, p. 126.

47. Pour une vue générale de cette affaire et des paragraphes qui suivent, cf. Charles Glass, « Hitler's Unwilling executioners », New Statesman, 23 janvier 1998, Laura Shapiro, « A Battle Over the Holocaust », Newsweek, 23 mars et Tibor Krausz, « The Goldhagen Wars », Jérusalem Report, 3 août 1998. Pour tout ce thème, cf. www . NormanFinkel stein . com (qui comporte un lien vers le site de Goldhagen).

thèse de Goldhagen est juste ou fausse mais de définir ce qui constitue « une critique légitime » et ce qui dépasse les bornes. » « Que la thèse de Goldhagen soit juste ou fausse », répliqua Sara Bershtel, éditeur adjoint de Metropolitan, « c'est justement cela, la question. »

Léon Wieseltier, directeur littéraire de la revue pro-israélienne New Republic, est intervenu personnellement auprès du président de Holt, Michael Naumann. « Vous ne connaissez pas Finkelstein. C'est un poison, un répugnant juif qui se déteste lui-même, quelque chose qu'on trouve sous un caillou. » Qualifiant la décision de Holt de « scandaleuse », Elan Steinberg, directeur adjoint du congrès juif mondial, a déclaré « s'ils veulent faire les éboueurs, il faut qu'ils portent des vêtements spéciaux. »

« Je n'avais jamais vu des parties prenantes essayer de jeter publiquement un tel discrédit sur un ouvrage à paraître », a dit plus tard Naumann. L'historien et journaliste israélien bien connu, Tom Segev, remarqua dans Haaretz que la campagne confinait au « terrorisme culturel ».

Birn, en tant qu'historien en chef de la Section des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité du Ministère de la justice du Canada, fut la cible des attaques des associations juives canadiennes. Proclamant que j'étais « anathème pour la grande majorité des juifs du continent américain », le Congrès juif canadien dénonça la participation de Birn au livre. Pour faire pression sur son employeur, le Congrès juif canadien adressa une protestation au Ministère de la justice. Cette plainte, jointe à un rapport commandité par le Congrès juif canadien qui traite Birn de « membre de la race des assassins » (elle est née allemande) a provoqué une enquête officielle sur son cas.

Même après la sortie du livre, les attaques personnelles continuèrent. Goldhagen affirma que Birn était un vecteur d'antisémitisme, alors qu'elle a consacré toute sa vie à la poursuite des criminels de guerre nazis, et que je pensais que les victimes des nazis, y compris ma propre famille, méritaient de mourir ^^. Les collègues de Godlhagen au Centre d'études européennes de Harvard, Stanley Hoffmann et Charles Maier, prirent publiquement position pour lui'".

48. Daniel Jonah Goldhagen, « Daniel Jonah Goldhagen Comments on Birn », German Politics and Society, été 1998, pp. 88, 91 note 2. Daniel Jonah Goldhagen, « The New Discourse of Avoidance », note 25 (www . Goldhagen . com/nda2html)

49. Hoffmann était le conseiller de Goldhagen pour la thèse qui est devenue/fifter'5 Willing Execu-tioners. Cependant, contrairement à tous les usages universitaires, non seulement il a écrit un compte

Traitant les accusations de censure de « fable », The New Republic soutint « qu'il y avait une différence entre la censure et le respect des principes ». L'Allemagne en procès reçut l'approbation d'historiens chefs de file de [l'étude] de l'holocauste nazi, y compris Raul Hilberg, Christopher Browning and lan Kershaw. Ces érudits ont tous rejeté le livre de Goldhagen ; Hilberg l'a qualifié de « sans valeur ». Des principes, vraiment !

En fin de compte, voici ce qui en ressort : Wiesel et Gutman ont soutenu Goldhagen ; Wiesel a soutenu Kosinski ; Gutman et Goldhagen ont soutenu Wilkomirski. Tous ensemble, ils constituent la littérature sur l'Holocauste.

Malgré toute la publicité qu'on leur fait, on n'a aucune preuve que les négateurs de l'Holocauste excercent aux États-Unis une plus grande influence que les partisans de la terre plate. Vu les absurdités publiées tous les jours par l'industrie de l'Holocauste, l'étonnant est qu'il y ait si peu de sceptiques. Et ceux qui prétendent que la négation de l'Holocauste est en plein essort ont une raison bien simple. Dans une société saturée d'Holocauste, il faut bien justifier la production continue de nouveaux musées, livres, films et émissions ; le meilleur moyen est évidemment de brandir la menace de la négation de l'Holocauste. Par exemple, le livre célèbre de Déborah Lipsadt, Denying the Holocaust^^, est sorti juste avant l'ouverture du musée de l'Holocauste de Washington, en même temps que les résultats d'un sondage qui établissait l'importance de la négation de l'Holocauste''.

rendu très élogieux du livre de Goldhagen dansForeign Affairs mais encore il a dénoncéA Nation on trial comme « choquant » dans un autre compte rendu pour la même revue (Foreign Affairs, mai-juin 1996 et juillet-août 1998). Maier a envoyé une longue contribution au site internet H-German (www2 . h-net. msu . edu). En fin de compte, les seuls « aspects de cette situation » que Maier trouve « vraiment dégoûtants et répréhensibles » sont les critiques contre Goldhagen. Ainsi, il a soutenu Goldhagen dans son procès pour « malice » contre Birn et condamné mon argumentation en la qualifiant de « spéculation fantaisiste et furieuse » (23 novembre 1997).

50. New York, 1994. Lipstadt est titulaire de la chaire d'Holocauste à l'université Emory [NdT : à Atlanta; c'est l'université Coca-Cola] en Géorgie et a été nommée récemment au Conseil des États-Unis pour le mémorial de l'holocauste.

51. Le sondage du Comité juif américain, en construisant sa phrase autour d'une double négation, a rendu la confusion presque inévitable : « Vous semble-t-il possible ou vous semble-t-il impossible que l'extermination des juifs par les nazis n'a jamais eu lieu ? » Vingt-deux pour cent des personnes interrogées ont répondu « cela semble possible ». Dans les sondages ultérieurs, où la phrase était énoncée à la forme affirmative, la négation de l'Holocauste était proche de zéro. Une étude récente du Comité

Denying the Holocaust est une version adaptée au goût du jour des brochures sur « le nouvel antisémitisme ». Pour illustrer les progrès de la négation de l'Holocauste, Lipstadt cite une poignée de publications tortueuses. Sa pièce de résistance est Arthur Butz, un minable qui enseigne l'ingénierie électrique à l'université Northwestern et qui a publié son livre, The Hoax ofthe Twentieth Century, chez un éditeur obscur. Le chapitre de Lipstadt qui lui est consacré s'intitule « Pénétrer dans la grande presse ». S'il n'y avait pas eu Lipstadt et ses semblables, personne n'aurait jamais entendu parler d'Arthur Butz.

En fait, le seul négateur de l'Holocauste qui soit bien établi est Bernard Lewis. Un tribunal français l'a même condamné pour négation de génocide. Mais c'est le génocide des Arméniens par les Turcs pendant la seconde guerre mondiale qu'a nié Lewis et non le génocide des juifs, et Lewis est pro-israélien ^^. Cette négation de génocide ne dérange donc personne aux États-Unis. La Turquie est un allié d'Israël, ce qui simplifie encore les choses. La mention d'un génocide arménien est donc tabou. Elle Wiesel et le rabbin Arthur Hertzberg ainsi que le Comité juif américain et Yad Vashem se sont retirés d'une conférence internationale sur le génocide à Tel Aviv parce que les organisateurs universitaires avaient prévu des séances sur le cas arménien, contre l'avis du gouvernement israélien. Wiesel a cherché également, de son propre chef, à faire échouer la conférence et, d'après Yehuda Bauer, il est personnellement intervenu auprès des autres pour qu'ils n'y participent pas". À l'instigation d'Israël, Le Conseil de

juif américain dans onze pays a montré que, malgré les affirmations en sens contraire des groupes d'extrême droite, « peu de gens nient l'Holocauste », (Jennifer Golub et Renae Cohen, What Do Americans Know About the Holocaust ?, The American Jewish Committee, 1993 ; « Holocaust Deniers Unconvin-cing - Surveys », Jérusalem Post, 4 février 2000). Cependant, dans un témoignage devant le Congrès à propos de « l'antisémitisme en Europe », David Harris du Comité juif américain a mis en évidence la vigueur de la négation de l'holocauste au sein de la droite européenne sans mentionner une seule fois les conclusions mêmes du Comité juif américain, d'après lesquelles la négation ne trouve aucun écho dans le public. (Séance de la Commission des affaires étrangères. Sénat des États-Unis, 5 avril 2000).

52. Cf. « France Fines Historian Over Armenian Déniai », Boston Globe, 22 juin 1995, et « Bernard Lewis and the Armenians», Counterpunch, 16-31 décembre 1997.

53. Israël Charny, « The Conférence Crisis. The Turks, Armenians and the Jews », The Book ofthe International Conférence on the Holocaust and Génocide. Livre premier : The Conférence Program and Crisis, Tel Aviv, 1982. Israël Amrani, « A Little Help for Friends », Haaretz, 20 avril 1990 (Bauer). D'après son étrange récit, Wiesel a renoncé à siéger à la conférence « pour ne pas offenser nos invités arméniens ». C'est sans doute par courtoisie envers les Arméniens qu'il a essayé de saboter la conférence

l'Holocauste des États-Unis a pratiquement éliminé toute mention des Arméniens au Musée mémorial de l'Holocauste de Washington et des activistes juifs au Congrès ont empêché l'adoption d'un « jour du souvenir » pour le génocide arménien ^'^.

Douter du témoignage d'un survivant, dénoncer le rôle des collaborateurs juifs, suggérer que les Allemands ont souffert pendant le bombardement de Dresde ou que d'autres états que l'Allemagne ont commis des crimes pendant la seconde guerre mondiale, tout cela, d'après Lipstadt, est l'indice d'une négation de l'Holocauste". Et suggérer que Wiesel tire profit de l'industrie de l'Holocauste, ou même se poser des questions au sujet de ce personnage, revient à nier l'Holocauste".

Les formes les plus « insidieuses » de la négation de l'Holocauste, suggère Lipstadt, sont « les équivalences immorales » : c'est-à-dire la négation de la singularité de l'Holocauste". Cet argument a des implications surprenantes. Daniel Goldhagen prétend que le comportement des Serbes au Kosovo « ne diffère, dans son essence, du comportement de l'Allemagne nazie que dans les proportions " ». Cela ferait de Goldhagen, « en essence », un négateur de l'Holocauste. De fait, de la droite à la gauche, les commentateurs israéliens ont comparé le comportement des Serbes au Kosovo au comportement d'Israël envers les Palestiniens en 1948". De l'aveu même de Goldhagen, Israël aurait dès lors commis un Holocauste. Or même les Palestiniens ne le prétendent plus.

En dépit des positions politiques ou des motivations obscènes de ses auteurs, la littérature révisionniste n'est pas totalement dépourvue d'utilité. Lipstadt accuse David irving d'être « l'un des plus dangereux porte-parole de la négation de l'Holocauste » (il a récemment perdu, en Angleterre, un procès en diffamation intenté sur la base de cette accusation et de quelques autres). Mais Irving, admirateur notoire de Hitler

et de convaincre les autres de ne pas y participer... (Wiesel, And the Sea, p. 92 )

54. Edward T. Linenthal, Preserving Memory, New York, 1995, pp. 228ss, 263 et 312-313.

55. Lipstadt, Denying, pp. 6, 12, 22, 89-90.

56. Wiesel, AH Rivers, pp. 333, 336.

57. Lipstadt, Denying, chapitre 11.

58. « A New Serbia », New Republic, 17 mai 1999.

59. Cf., par exemple, Meron Benvenisti, « Seeking Tragedy », Haaretz, 16 avril 1999, Zeev Cha-fets, « What Undergraduate Clinton Has Forgotten », Jérusalem Report, 10 mai 1999, et Gideon Levi, « Kosovo : It is Hère », Haaretz, 4 avril 1999. (Benvenisti limite la comparaison avec les Serbes au comportement d'Israël après mai 1948.)

et sympathisant du national-socialisme allemand, a néanmoins apporté une contribution « indispensable », d'après les termes de Gordon Craig, à notre connaissance de la seconde guerre mondiale. Arno Mayer, dans son importante étude de l'holocauste nazi, aussi bien que Raul Hilberg, citent des ouvrages révisionnistes. « Si ces gens veulent parler, qu'on les laisse faire », observe Hilberg. « Cela conduit simplement ceux d'entre nous qui font des recherches à réexaminer ce que nous aurions pu considérer comme évident. Et c'est utile pour nous ^° »

Les journées annuelles du souvenir de l'Holocauste sont un événement national. Dans les cinquante états [américains], des commémorations sont financées, souvent par les parlements locaux. L'association des organisations de l'Holocauste recense plus de cent institutions de l'Holocauste aux États-Unis. Il y a sept grands musées de l'Holocauste aux États-Unis. Le centre de ce culte du souvenir est le musée américain du mémorial de l'Holocauste à Washington.

La première question qui se pose est celle de l'existence même d'un musée de l'Holocauste créé par décision fédérale et financé de la même façon dans la capitale nationale. Sa présence sur la principale avenue de Washington est particulièrement incongrue puisqu'il n'y a pas de musée commémorant les crimes commis par les États-Unis au cours de leur histoire. Imaginons un instant les accusations d'hypocrisie que l'on pousserait ici si l'Allemagne dédiait un musée non au génocide nazi mais à l'esclavage aux États-Unis ou à l'extermination des Amérindiens ^ '.

60. Arno Mayer, Why Did the Heavens Not Darken?, New York, 1988. Christopher Hitchens, « Hit-ler's Ghost », Vanity Fair, June 1996 (Hilberg). Pour une appréciation nuancée d'Irving, cf. Gordon A. Craig, « The Devil in the Détails », New York Review ofBooks, 19 septembre 1996. Tout en écartant à bon droit les affirmations d'Irving sur l'holocauste nazi comme « obtuses et vite discréditées », Craig continue néanmoins : « Il en sait davantage sur le national-socialisme que la plupart des spécialistes de son domaine et les personnes qui étudient la période 1933-1945 doivent plus qu'elles ne sont généralement prêtes à l'admettre à son énergie de chercheur et à l'envergure et à la vigueur de son œuvre... Son livre, Hitler's War... demeure la meilleure étude dont nous disposions du côté allemand dans la seconde guerre mondiale et, à ce titre, il est indispensable à tous ceux qui étudient ce conflit... Des gens comme Irving ont donc un rôle indispensable dans l'entreprise historienne et nous ne pouvons nous permettre d'ignorer leurs point de vue. »

61. Pour les tentatives avortées entre 1984 et 1994 de construction d'un musée national noir américain

Le musée « s'efforce soigneusement de réfréner toute tentative d'endoctrinement », écrit l'architecte d'intérieur du musée, « toute manipulation des impressions ou des sentiments. » Et pourtant, de la conception à la réalisation, le musée a baigné dans la politique^^. C'est Jimmy Carter qui a lancé le projet, avant une campagne de réélection, pour plaire aux contributeurs et aux électeurs juifs irrités qu'il ait reconnu « les droits légitimes » des Palestiniens. Le président de la Conférence des présidents des principales associations juives américaines, le rabbin Alexandre Schindler, a regretté que Carter ait admis que les Palestiniens étaient humains ; c'était une initiative « choquante ». Carter a annoncé son projet de musée pendant une visite à Washington du premier ministre [israélien], Menahem Begin, et ce, au milieu d'une farouche bataille parlementaire autour d'une vente d'armes à l'Arabie séoudite, envisagée par le gouvernement. D'autres enjeux politiques se sont aussi fait jour au musée. On a étouffé rarrière-plan chrétien de l'antisémitisme européen pour ne pas offenser un électorat puissant. On a dissimulé les quotas d'immigration discriminatoires adoptés par les États-Unis avant la guerre et exagéré le rôle des États-Unis dans la libération des camps, tout en omettant de parler du recrutement massif des criminels de guerre nazis par les États-Unis à la fin de la guerre. Le message entêtant du musée est que « nous » n'aurions pu même imaginer, sans parler de commettre, des actes aussi mauvais. L'Holocauste est « contraire à l'éthique américaine », observe Michel Berenbaum dans le livre-guide du musée. « Nous considérons son accomplissement comme une violation de toutes les valeurs américaines essentielles. » Le musée de l'Holocauste reflète la position sioniste d'après laquelle Israël est « la bonne réponse au nazisme » dans les scènes finales représentant des survivants juifs qui se battent pour entrer en Palestine".

La charge politique commence avant même l'entrée du musée qui est situé sur la

sur la principale avenue de Washington, cf. Fath Davis Ruffins, « Culture Wars Won and Lost, Part II : The National African-American Muséum Project », Radical History Review, hiver 1998. L'initiative du Congrès a été définitivement repoussée par le sénateur Jesse Helms de la Caroline du Nord. Le budget annuel du musée de l'holocauste de Washington est de cinquante millions de dollars, dont trente financés par le budget fédéral américain.

62. Pour une vue d'ensemble, cf. Linenthal, Preserving Memory, Saidel, Never Too Late, surtout, chapitres 7 et 15, et Tim Cole, Selling the Holocaust, New York, 1999, chap. 6.

63. Michael Berenbaum, The WorldMust Know, New York, 1993, pp. 2 et 214. Omer Bartov, Murder In OurMidst, Oxford, 1996, p. 180.

place Raoul Wallenberg. Wallenberg, diplomate suédois, est ainsi honoré parce qu'il a sauvé des milliers de juifs avant de finir dans une prison soviétique. Son concitoyen le comte Folke Bernadotte n'est pas honoré, car, bien qu'il ait lui aussi sauvé des milliers de juifs, l'ex-premier ministre [israélien] Yitzak Shamir avait ordonné qu'on l'assassine parce qu'il était trop « pro-arabe^"^ ».

La pierre de touche du projet politique du musée, néanmoins, est l'objet de la commémoration. Les juifs ont-ils été les seules victimes de l'Holocauste ou bien d'autres, qui ont aussi péri sous la persécution nazie, comptent-ils comme victimes ?^^ Pendant les séances d'organisation du musée. Elle Wiesel (ainsi que Yehuda Bauer de Yad Va-shem) a mené l'offensive pour que l'on ne commémore que les juifs. Considéré comme « l'expert indiscuté de la période de l'Holocauste », Wiesel a affirmé avec ténacité la prééminence des victimes juives. « Comme toujours, ils ont commencé par les juifs », a-t-il entonné, fidèle à lui-même. « Comme toujours, ils ne s'en sont pas tenus aux

64. Pour un exposé détaillé, cf. Kati Marton, A Death in Jérusalem, New York, 1994, chap. 9. Dans ses mémoires, Wiesel rappelle « le passé "terroriste" légendaire » de l'assassin de Bernadotte, Yehoshua Cohen. On notera les guillemets qui encadrent le mot terroriste. (Wiesel, And the Sea, p. 58) Le musée de l'Holocauste de New York, bien qu'il baigne tout autant dans la politique (le maire Ed Koch et le gouverneur Mario Cuomo étaient tous deux en quête des voix et de l'argent juif) est aussi, depuis le début, le jouet des promoteurs et des financiers juifs locaux. A un certain moment, les promoteurs ont voulu supprimer le mot « Holocauste » du nom du musée parce qu'ils craignaient une baisse de valeur immobilière du lotissement luxueux du quartier. Des esprits fins ont suggéré de baptiser le lotissement « Les tours de Treblinka » et les rues adjacentes « avenue d'Auschwitz » et « boulevard de Birkenau ». Le musée a demandé un don à J. Peter Grâce , malgré ses relations avec un criminel de guerre nazi condamné, et il a organisé un gala au Hot Rod - « La commission du musée de l'Holocauste de New York vous invite à danser le rock toute la nuit » (Saidel, Never Too Late, pp. 8, 121, 132, 145, 158, 161, 191,240.)

65. Novick appelle cela la controverse entre les « six millions » et les « onze millions ». Le nombre de cinq millions de morts civils non juifs a été mentionné pour la première fois par le « chasseur de nazis » Simon Wiesenthal. Arguant que « cela n'a aucun sens sur le plan historique », Novick écrit: « Cinq millions, c'est soit trop peu (pour les morts civils non juifs faits par le III^ Reich), soit trop (pour tous les groupes destinés à être assassinés, comme les juifs) ». Il se hâte d'ajouter, cependant, que « ce qui est en cause, ce ne sont pas, évidemment, les chiffres en tant que tels, mais ce que nous voulons dire, ce à quoi nous faisons référence lorsque nous parlons de l'Holocauste ». Bizarrement, après cette mise en garde, Novick affirme qu'il faut commémorer seulement les juifs parce que le nombre de six millions « correspond à quelque chose de déterminé et de spécifique », alors que le nombre de onze millions « est d'un flou inacceptable. » (Novick, The Holocaust, pp. 214-226 )

juifs ^^ » Pourtant, ce ne sont pas les juifs mais les communistes qui ont été les premières victimes politiques, non pas les juifs mais les infirmes qui ont été les premières victimes du génocide et du nazisme".

La principale difficulté rencontrée par le musée de l'Holocauste a été la justification de l'antériorité du génocide des Tsiganes. Les nazis ont systématiquement assassiné cinq cent mille Tsiganes, ce qui correspond, proportionnellement, à une perte à peu près égale à celle des juifs pendant le génocide^^ Des écrivains de l'Holocauste, comme Yehuda Bauer, soutiennent que les Tsiganes n'ont pas été victimes de la même fureur meurtrière que les juifs. D'honorables historiens de l'Holocauste, comme Henry Friedlander et Raul Hilberg, cependant, affirment le contraire^'.

De nombreuses raisons expliquent la faible place accordée au génocide des Tsiganes au musée. Tout d'abord, on ne peut pas comparer l'effet des persécutions nazies sur la vie tsigane et à celui qu'elles ont eues sur la vie des juifs. Traitant de « ridicule » la demande de représentation des Tsiganes au Conseil du mémorial de l'Holocauste des États-Unis, le sous-directeur, le rabbin Seymour Siegel, a même douté que les Tsiganes aient jamais « existé » comme peuple : « Il devrait y avoir une reconnaissance ou une prise en compte du peuple tsigane... si tant est que cela existe. » Il a admis.

66. Wiesel, Against Silence, v. III. pp. 162 et 166.

67. Pour les infirmes, premières victimes du génocide nazi, cf surtout Henry Friedlander, The Origins ofNazi Génocide, Chapel Hill, 1995. D'après Léon Wieseltier, les non-juifs qui sontmorts à Auschwitz « sontmorts d'une façon inventée pour les juifs... victimes d'une solution mise au point pour d'autres » (Léon Wieseltier, « At Auschwitz Decency Dies Again », New York Times, 3 septembre 1989). Et pourtant, de nombreuses études érudites le montrent, c'est la mort inventée pour les Allemands infirmes qui a été ensuite infligée aux juifs ; outre l'étude de Friedlander, cf., par exemple, Michael Burieigh, Death and Deliverance, Cambridge, Massachussets, 1994).

68. Cf. Guenter Lewy, The Nazi Persécution ofthe Gypsies, Oxford, 2000, pp. 221-222, qui donne plusieurs évaluations du nombre de Tsiganes tués.

69. Friedlander, Origins : « En même temps que les juifs, les nazis ont assassiné les Tsiganes d'Europe. Défini comme un groupe racial « à peau noire », les hommes, femmes et enfants tsiganes n'ont pu échapper à leur destin de victimes du génocide nazi... Le régime nazi n'a assassiné systématiquement que trois groupes d'êtres humaines : les infirmes, les juifs et les Tsiganes » (XII-XIII). Friedlander est non seulement un historien de valeur mais aussi un ancien d'Auschwitz]. Raul Hilberg, The Destruction ofthe European Jews, New York, 1985, 3 vol. vol. III, pp. 999-1000. Avec son souci habituel de la vérité, Wiesel se dit déçu, dans ses mémoires, que le Conseil du mémorial de l'holocauste, dont il était le président, ne comprenne pas de représentant tsigane, comme s'il n'avait pas eu le pouvoir d'en nommer un. (Wiesel, And the Sea, p. 211 )

cependant, « qu'il y avait un élément de souffrance sous les nazis. » Edward Linen-thal se souvient de l'attitude profondément soupçonneuse des représentants tsiganes envers le conseil, « de toute évidence, certains membres du conseil considéraient la participation des Roms au musée comme une famille traite des parents importuns, embarrassants™. »

En deuxième lieu, reconnaître le génocide des Tsiganes a pour conséquence la perte du monopole juif sur l'Holocauste, avec une incommensurable perte concomittante pour le « capital moral » juif. En troisième lieu : si les nazis ont persécuté de la même façon juifs et Tsiganes, le dogme que l'Holocauste est le point culminant d'une haine millénaire des Gentils envers les juifs est, d'évidence, impossible à soutenir. De la même façon, si la jalousie des Gentils est à l'origine du génocide des juifs, est-elle aussi la cause du génocide des Tsiganes? Dans l'exposition permanente du musée, les victimes non-juives du nazisme ne figurent que symboliquement".

Enfin, les buts politiques du musée ont été déterminés par le conflit israélo-palestinien. Avant de devenir directeur du musée, Walter Reich a chanté les louanges du livre de Joan Peter, From Time Immémorial, qui affirme que la Palestine était littéralement déserte avant la colonisation sioniste". Sous la pression du ministère des affaires étrangères, Reich dut démissionner après avoir refusé d'inviter Yasser Arafat, désormais allié complaisant des États-Unis, à visiter le musée. Le théologien de l'Holocauste, John Roth, à qui l'on avait proposé un poste de sous-directeur, dut démissionner parce qu'il avait autrefois critiqué Israël. Écartant finalement un livre (que le musée avait d'abord soutenu) sous prétexte qu'il contenait un chapitre dû à Benny Morris, un grand historien israélien qui critique Israël, Miles Lerman, président du musée, avoua : « Il est inconcevable que ce musée soit hostile à Israël".

70. Linenthal, Preserving Memory, pp. 241-246 et 315.

71. En dépit du « préjugé particulariste juif » (Saidel) particulièrement accentué du musée de l'holocauste de New York - les victimes non juives du nazisme ont été informées dès le début que le musée était « seulement pour les juifs » - , Yehuda Bauer piqua une rage lorsque la commission suggéra que l'Holocauste englobait d'autres victimes que les juifs. « Si vous ne changer pas cela immédiatement et complètement, je saisirai toutes les occasions d'attaquer ce projet honteux de toutes les plates-formes publiques à ma disposition », menaça-t-il dans une lettre aux membres de la commission. (Saidel, Never Too Late, pp. 125-126, 129, 212, 221, 224-225).

72. Pour le contexte, cf. Finkelstein, Image and Reality, chap. 2.

73. « ZOA Criticizes Holocaust Museum's Hiring of Professor Who Compared Israël to Nazis »,

A la suite des révoltantes attaques israéliennes contre le Liban en 1996, couronnées par le massacre de plus de cent civils à Qana, l'éditorialiste d'Haaretz, Ari Shavit, observa qu'Israël pouvait agir impunément parce que « nous avons la Ligue contre la diffamation... ainsi que Yad Vashem et le musée de l'Holocauste^"^ ».

Israël Wire, 5 juin 1998. Neal M. Sher, « Sweep the Holocaust Muséum Clean », Jewish WorldReview, 22 juin 1998. «Scoundrel Time », PS - The Intelligent Guide to Jewish Affairs, 21 août 1998. Daniel Kurtzman, « Holocaust Muséum Taps One of Its Own for Top Spot », Jewish Télégraphie Agency, 5 mars 1999) ». Ira StoU, « Holocaust Muséum Acknowledges a Mistake, »Forward, 13 août 1999. 74. Noam Chomsky, World Orders Old and New, New York, 1996, pp. 293-294 (Shavit).

Chapitre 3 :

La double extorsion

E TERME de « survivant de l'Holocauste » désignait à l'origine ceux qui ont souffert I j du traumatisme sans pareil de la vie dans les ghettos juifs, les camps de concentration et les camps de travail forcé, souvent subis les uns à la suite des autres. On fixe généralement le nombre de ces survivants de l'Holocauste aux alentours de cent mille ^ Le nombre de ceux qui sont encore vivants aujourd'hui ne peut guère dépasser le quart de ce chiffre. Comme le fait d'avoir survécu aux camps représente la palme du martyre, beaucoup de juifs qui ont passé la guerre ailleurs se présentent aujourd'hui comme des survivants des camps. Il y a eu d'autres raisons, surtout matérielles, pour justifier de telles inventions. Le gouvernement allemand de l'après-guerre octroyait des compensations financières aux juifs qui s'étaient trouvés dans des ghettos ou des camps. Beaucoup de juifs ont réécrit leur passé pour se présenter comme ayants-droite « Si tous ceux qui prétendent être des survivants en sont vraiment, qui Hitler a-t-il tué? » disait souvent ma mère.

Et en effet, beaucoup de spécialistes ont mis en doute la véracité des témoignages des survivants. « Une bonne partie des erreurs que j'ai découvertes dans mon propre travail peut être attribuée aux témoignages », rappelle Hilberg. Du sein même de l'industrie de l'Holocauste, Deborah Lipstadt, par exemple, observe froidement que les survivants de l'Holocauste prétendent souvent avoir été personnellement examinés par

1. Henry Friedlander, « Darkness and Dawn in 1945 : The Nazis, the Allies, and the Survivors 7945 - the Year of Liberation, Washington, 1995, US Holocaust Mémorial Muséum, pp. 11-35.

2. Cf., par exemple, Segev, Seventh Million, p. 248.

Josef Mengele à Auschwitz ^.

Tout en tenant compte des faiblesses de la mémoire, on peut suspecter les témoignages de survivants de l'Holocauste pour d'autres raisons. On n'ose pas les mettre en question parce qu'on les traite aujourd'hui comme des sortes de saints. Des déclarations absurdes ne sont suivies d'aucun commentaire. Dans ses mémoires, Elle Wiesel raconte qu'à sa sortie de Buchenwald, à l'âge de 18 ans, « j'ai lu la Critique de la raison pure, ne riez pas, en yiddish ». Wiesel a pourtant affirmé qu'à cette époque-là «j'ignorais tout de la grammaire yiddish ». Mais surtout, la Critique de la raison pure n'a jamais été traduite en yiddish. Wiesel se souvient aussi de la façon la plus détaillée d'un « mystérieux érudit talmudiste » qui « apprit le hongrois en quinze jours, juste pour m'étonner ». Il a raconté à un hebdomadaire juif qu'il avait souvent « la voix enrouée ou même aphone » à force de se lire ses propres livres « à haute voix en lui-même ». Il a raconté à un reporter du New York Times qu'il a été heurté par un taxi à Times Square : « J'ai parcouru la distance d'un bloc en vol plané. J'ai été heurté au coin de Broadway et de la 45^ rue, et l'ambulance m'a ramassé à la 44^. » « Je présente une vérité sans fard, dit Wiesel. Je ne peux pas faire autrement''. »

Il y a quelques années, le terme « survivant de l'Holocauste » a été redéfini et il désigne désormais non seulement ceux qui ont subi les nazis mais aussi ceux qui ont pu leur échapper. Cela inclut, par exemple, plus de cent mille juifs qui ont trouvé refuge en Union soviétique après l'invasion de la Pologne par les nazis. « Ceux qui ont vécu en Russie ont été traités exactement comme des citoyens du pays », observe cependant l'historien Léonard Dinnerstein, alors que « les survivants des camps de concentration étaient des morts-vivants' ». L'auteur d'une contribution sur un site internet de l'holocauste affirme que, bien qu'il ait passé la guerre à Tel Aviv, il est survivant de l'Holocauste parce que sa grand-mère est morte à Auschwitz. Si l'on en croit Israël Gutman, Wilkomirski est un survivant de l'Holocauste parce que « sa peine est authentique ». Les services du premier ministre d'Israël ont récemment estimé le nombre

3. Lappin, Man With Two Heads, p. 48. D.D. Guttenplan, « The Holocaust on Trial », Atlantic Monthly, février 2000, p. 62 (mais rappelons que dans le texte cité au chapitre précédent, Lipstadt traite la mise en doute d'un témoignage de survivant de négation de l'holocauste).

4. Wiesel, AU Rivers, pp. 121-130, 139, 163-164, 201-202 et 336.Jewish Week, 17 septembre 1999.New York Times, 5 mars 1997.

5. Léonard Dinnerstein, America andthe Survivors ofthe Holocaust, New York, 1982, p. 24.

de « survivants encore en vie de l'Holocauste » à près d'un million. Le principal motif de cette révision à la hausse n'est pas difficile à trouver non plus. Il est difficile de réclamer de nouvelles compensations financières importantes s'il n'y a plus que quelques survivants de l'Holocauste encore en vie. En fait, les principaux complices de Wilkomirski étaient, d'une façon ou d'une autre, engagés dans le réseau des compensations de l'Holocauste. Son amie d'enfance d'Auschwitz, « la petite Laura », a reçu de l'argent d'un fonds suisse de l'Holocauste bien qu'en réalité, ce soit une pratiquante de cultes sataniques née aux États-Unis. Les principaux parrains israéliens de Wilkomirski participaient aux activités d'associations impliquées dans la compensation de l'Holocauste ou bien ils étaient subventionnés par elles ^.

L'industrie de l'Holocauste Reflexion sur l'exploitation de la souffrance des juifs
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