Avec l’association AC-Le Feu, bien loin de Bastille


8 mai 2012

Zulika n’ira pas à la Bastille pour l’annonce des résultats de l’élection présidentielle. « Est-ce que les gens là-bas nous considèrent comme eux ? Non. Ils vous font ressentir qu’on n’est pas des leurs. Nous, on préfère rester ici. »

Ici, c’est deux tentes blanches à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), où l’association AC-Le Feu, créée après les émeutes de 2005, a organisé une soirée électorale. Farida, qui travaille comme consultante, explique que, « du temps de Mitterrand, oui, on voulait fêter ça tous ensemble. Maintenant, on s’est endurcis, on s’est habitués à rester entre nous ». La Bastille ? Omar, animateur de 23 ans, a beau réfléchir, le lieu ne lui évoque rien, ni histoire ni symbole. « Pour moi, la Bastille, c’est la FNAC », risque Maxime. « C’est loin, non ? continue Jo. Au moins une heure et demie ? » Il n’y est jamais allé.

Et puis d’un coup, la centaine d’invités se met à applaudir, à crier : « Vive la République, vive la France ! » La télévision vient d’annoncer la victoire de François Hollande. On ne pleure pas, mais ça secoue. Tout le monde se jette dans les bras de tout le monde.

Zouhair Ech-Chetouani ne pourrait pas dire s’il est content, mais soulagé, sûrement : « Sarkozy, c’était devenu l’angoisse, la division entre les gens. » Lui se range dans la catégorie des « mecs déçus ». Il se souvient de 1981, il était un tout petit garçon le jour de l’élection de François Mitterrand. Sa famille était si heureuse qu’il était persuadé de se réveiller le lendemain dans un monde absolument différent.

Plus tard, lui aussi avait voulu faire de la politique, à Asnières (Hauts-de-Seine), sa ville. Il raconte les élus locaux de gauche qui disaient : « Je te mettrais volontiers en bonne place sur ma liste mais, tu sais, les Français sont racistes. Il vaut mieux que je passe devant toi. Pour te protéger, évidemment. »

Puis, il y avait eu l’arrivée de la droite, d’autres promesses, d’autres désenchantements, dit Zouhair. Juré, c’était fini, on ne l’y reprendrait plus. Et, pourtant, à chaque fois, il y retourne, c’est plus fort que lui. Il a fait la campagne des cantonales, en 2011, en indépendant. Avec plusieurs associations, il a lancé voilà deux jours l’appel à se mobiliser dans les cités contre l’abstention au second tour. Et, là, il est en train d’embrasser Tarek sous la tente de l’association.

Plus bas, dans la rue, des jeunes gens bloquent le rond-point en chantant. Le temps de descendre, cinq voitures de police ont tout dégagé et aligné des garçons, mains en l’air, contre un mur. À la télévision, le discours de M. Hollande vient de commencer. Et Zouhair, pensif : « On est dans la merde. »