CHAPITRE XIV.

Hallick et le colonel étaient allés rejoindre les hommes qu’ils avaient laissés en surveillance dans le parc. Aucun d’eux n’avait vu la mystérieuse apparition, et aucune trace de Goodman ni de Marks n’avait été découverte.

« Marks doit être à Londres à l’heure qu’il est, dit Hallick, tandis qu’ils traversaient la pelouse trempée. Il ne sera pas difficile de le prendre.

– Pourquoi est-il venu ici ?

– Pour avoir sa part du butin que votre ami O’Shea cache dans cette vieille demeure, dit Hallick. Je vais prendre O’Shea ce soir, et je vous conseille de vous mettre à l’abri, car j’ai dans l’idée que tout le monde ne sortira pas indemne de la lutte. Mon idée serait que vous emmeniez votre fille à Londres tout de suite. Prenez une de mes voitures.

– Elle ne veut pas s’en aller. Comment puis-je lui expliquer qu’elle doit partir… commença le colonel.

– Pas besoin d’explications, dit l’autre brièvement. Vous pouvez lui dire la vérité ou attendre pour cela le procès. C’est O’Shea, je suppose, qui vous a donné de quoi acheter cette maison.

– Il l’avait déjà achetée avant le vol, dit le colonel. J’étais terriblement inquiet, m’attendant à être arrêté à chaque instant. Je ne sais pas comment il a été mis au courant de ma situation. Je ne l’avais jamais vu auparavant. Mais quand il m’a offert une avance, une rente fixe et une maison décente, j’ai sauté sur cette occasion unique. Vous comprenez, je suis médecin militaire, et quand il m’a expliqué ses troubles… de santé, j’ai naturellement pensé que ce serait facile de le soigner. Je n’ai su que c’était O’Shea que l’année dernière. »

Ils continuèrent en silence, puis Hallick dit :

« Avez-vous reçu d’autres hommes ici, d’autres… pensionnaires ? »

Il prononça deux noms.

« Oui, dit le colonel, ils sont venus un jour ou deux chacun, puis ils ont disparu sans payer leurs notes.

– Ils sont morts ici, dit Hallick rudement. O’Shea les a tués. S’ils avaient eu l’esprit de me dire à temps qu’ils avaient découvert O’Shea, je leur aurais sauvé la peau. Mais ils tenaient à être plus malins que nous, les pauvres diables !

– Tués… ici ! » bégaya le colonel.

Ils étaient parvenus à la maison. Hallick frappa doucement à la fenêtre plusieurs fois sans obtenir de réponse.

« Nous ferions mieux d’aller à la porte et de réveiller Cotton. »

Mais Cotton n’entendit pas tout de suite qu’on frappait et il fut encore plus long à venir ouvrir.

« Où est Miss Redmayne ? demanda Hallick.

– Je ne l’ai pas vue, monsieur. Il y a quelqu’un qui dort là, à côté, enveloppé dans une couverture. J’en ai été tout saisi en jetant un coup d’œil derrière le paravent.

– C’est Fane. Laissez-le. »

Hallick fit de la lumière, et tout à coup ce détective endurci eut comme une prescience du malheur.

« Allez chercher votre fille », dit-il au colonel.

Redmayne sortit ; le policier l’entendit marcher à l’étage au-dessus. Cinq minutes après, le colonel revenait, livide et tremblant.

« Elle n’est pas dans sa chambre et je crois qu’elle n’est pas dans la maison. J’ai cherché partout.

– L’avez-vous vue, Cotton ?

– Non, monsieur. Je n’ai pas vu Mademoiselle.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? » dit Hallick.

Il ramassa une ceinture. Les deux hommes se regardèrent.

« Il est venu… le moine ! » dit Redmayne, balbutiant d’épouvante.

Hallick avait repoussé le paravent et tiré le fauteuil avec son dormeur au milieu de la pièce.

« Réveillez-vous, Fane… Miss Redmayne a disparu. »

Il arracha violemment la couverture qui cachait le visage du dormeur et poussa un cri. L’homme qui était couché là n’était pas Fane. C’était le cadavre de Marks le Doucereux.