De la République
ART. 1er. La République française est une et indivisible.
De la distribution du peuple
2. Le peuple français est distribué, pour l’exercice de sa souveraineté, en assemblées primaires de cantons.
3. Il est distribué, pour l’administration et pour la justice, en départements, districts, municipalités.
De l’état des citoyens
4. Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt-un ans accomplis ;
Tout étranger âgé de vingt-un ans accomplis qui, domicilié en France depuis une année,
Y vit de son travail ;
Ou acquiert une propriété ;
Ou épouse une Française ;
Ou adopte un enfant ;
Ou nourrit un vieillard ;
Tout étranger, enfin, qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité,
Est admis à l’exercice des droits de citoyen français.
5. L’exercice des droits de citoyen se perd :
Par la naturalisation en pays étranger ;
Par l’acceptation de fonctions ou faveurs émanées d’un gouvernement non populaire ;
Par la condamnation à des peines infamantes ou afflictives, jusqu’à réhabilitation.
6. L’exercice des droits de citoyen est suspendu :
Par l’état d’accusation ;
Par un jugement de contumace, tant que le jugement n’est pas anéanti.
De la souveraineté du peuple
7. Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français.
8. Il nomme immédiatement ses députés.
9. Il délègue à des électeurs le choix des administrateurs, des arbitres publics, des juges criminels et de cassation.
10. Il délibère sur les lois.
Des assemblées primaires
11. Les assemblées primaires se composent des citoyens domiciliés depuis six mois dans chaque canton.
12. Elles sont composées de 200 citoyens au moins, de 600 au plus, appelés à voter.
13. Elles sont constituées par la nomination d’un président, de secrétaires, de scrutateurs.
14. Leur police leur appartient.
15. Nul n’y peut paraître en armes.
16. Les élections se font au scrutin ou à haute voix, au choix de chaque votant.
17. Une assemblée primaire ne peut, en aucun cas, prescrire un mode uniforme de voter.
18. Les scrutateurs constatent le vote des citoyens qui, ne sachant point écrire, préfèrent de voter au scrutin.
19. Les suffrages sur les lois sont donnés par oui et par non.
20. Le vœu de l’assemblée primaire est proclamé ainsi : Les citoyens réunis en assemblée primaire de… au nombre de… votants, votent pour ou votent contre, à la majorité de…
De la représentation nationale
21. La population est la seule base de la représentation nationale.
22. Il y a un député en raison de 40 000 individus.
23. Chaque réunion d’assemblées primaires, résultant d’une population de 39 000 à 41 000 âmes, nomme immédiatement un député.
24. La nomination se fait à la majorité absolue des suffrages.
25. Chaque assemblée fait le dépouillement des suffrages, et envoie un commissaire pour le recensement général, au lieu désigné comme le plus central.
26. Si le premier recensement ne donne point de majorité absolue, il est procédé à un second appel, et on vote entre les deux citoyens qui ont réuni le plus de voix.
27. En cas d’égalité de voix, le plus âgé a la préférence, soit pour être ballotté, soit pour être élu. En cas d’égalité d’âge, le sort décide.
28. Tout Français exerçant les droits de citoyen est éligible dans l’étendue de la République.
29. Chaque député appartient à la nation entière.
30. En cas de non-acceptation, démission, déchéance, ou mort d’un député, il est pourvu à son remplacement par les assemblées primaires qui l’ont nommé.
31. Un député qui a donné sa démission ne peut quitter son poste qu’après l’admission de son successeur.
32. Le peuple français s’assemble tous les ans, le 1er mai, pour les élections.
33. Il y procède, quel que soit le nombre des citoyens ayant droit d’y voter.
34. Les assemblées primaires se forment extraordinairement, sur la demande du cinquième des citoyens qui ont droit d’y voter.
35. La convocation se fait, en ce cas, par la municipalité du lieu ordinaire du rassemblement.
36. Ces assemblées extraordinaires ne délibèrent qu’autant que la moitié plus un des citoyens qui ont droit d’y voter sont présents.
Des assemblées électorales
37. Les citoyens réunis en assemblées primaires nomment un électeur à raison de 200 citoyens, présents ou non ; deux depuis 201 jusqu’à 400 ; trois depuis 401 jusqu’à 600.
38. La tenue des assemblées électorales et le mode des élections sont les mêmes que dans les assemblées primaires.
Du Corps législatif
39. Le corps législatif est un, indivisible et permanent.
40. Sa session est d’un an.
41. Il se réunit le 1er juillet.
42. L’Assemblée nationale ne peut se constituer si elle n’est composée au moins de la moitié des députés, plus un.
43. Les députés ne peuvent être recherchés, accusés ni jugés en aucun temps, pour les opinions qu’ils ont énoncées dans le sein du corps législatif.
44. Ils peuvent, pour fait criminel, être saisis en flagrant délit ; mais le mandat d’arrêt ni le mandat d’amener ne peuvent être décernés contre eux qu’avec l’autorisation du corps législatif.
Tenue des séances du Corps législatif
45. Les séances de l’assemblée nationale sont publiques.
46. Les procès-verbaux de ses séances sont imprimés.
47. Elle ne peut délibérer si elle n’est composée de 200 membres, au moins.
48. Elle ne peut refuser la parole à ses membres, dans l’ordre où ils l’ont réclamée.
49. Elle délibère à la majorité des présents.
50. Cinquante membres ont le droit d’exiger l’appel nominal.
51. Elle a le droit de censure sur la conduite de ses membres dans son sein.
52. La police lui appartient dans le lieu de ses séances, et dans l’enceinte extérieure qu’elle a déterminée.
Des fonctions du Corps législatif
53. Le corps législatif propose des lois, et rend des décrets.
54. Sont compris sous le nom général de lois les actes du corps législatif concernant :
La législation civile et criminelle ;
L’administration générale des revenus et des dépenses ordinaires de la République ;
Les domaines nationaux ;
Le titre, le poids, l’empreinte et la dénomination des monnaies ;
La nature, le montant et la perception des contributions ;
La déclaration de guerre ;
Toute nouvelle distribution générale du territoire français ;
L’instruction publique ;
Les honneurs publics à la mémoire des grands hommes.
55. Sont désignés sous le nom particulier de décrets, les actes du corps législatif concernant :
L’établissement annuel des forces de terre et de mer ;
La permission ou la défense du passage des troupes étrangères sur le territoire français ;
L’introduction des forces navales étrangères dans les ports de la République ;
Les mesures de sûreté et de tranquillité générale ;
La distribution annuelle et momentanée des secours et travaux publics ;
Les ordres pour la fabrication des monnaies de toute espèce ;
Les dépenses imprévues et extraordinaires ;
Les mesures locales et particulières à une administration, à une commune, à un genre de travaux publics ;
La défense du territoire ;
La ratification des traités ;
La nomination et la destitution des commandants en chef des armées ;
La poursuite de la responsabilité des membres du conseil, des fonctionnaires publics ;
L’accusation des prévenus de complots contre la sûreté générale de la République ;
Tout changement dans la distribution partielle du territoire français ;
Les récompenses nationales.
De la formation de la loi
56. Les projets de loi sont précédés d’un rapport.
57. La discussion ne peut s’ouvrir, et la loi ne peut être provisoirement arrêtée que quinze jours après le rapport.
58. Le projet est imprimé et envoyé à toutes les communes de la République, sous ce titre :
Loi proposée
59. Quarante jours après l’envoi de la loi proposée, si dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi.
60. S’il y a réclamation, le corps législatif convoque les assemblées primaires.
De l’intitulé des lois et des décrets
61. Les lois, les décrets, les jugements et tous les actes publics sont intitulés : Au nom du peuple français, l’an… de la République française.
Du conseil exécutif
62. Il y a un conseil exécutif composé de vingt-quatre membres.
63. L’assemblée électorale de chaque département nomme un candidat. Le corps législatif choisit sur la liste générale les membres du conseil.
64. Il est renouvelé par moitié à chaque législature, dans les derniers mois de la session.
65. Le conseil est chargé de la direction et de la surveillance de l’administration générale. Il ne peut agir qu’en exécution des lois et des décrets du corps législatif.
66. Il nomme, hors de son sein, les agents en chef de l’administration générale de la République.
67. Le corps législatif détermine le nombre et les fonctions de ces agents.
68. Ces agents ne forment point un conseil. Ils sont séparés, sans rapports immédiats entre eux ; ils n’exercent aucune autorité personnelle.
69. Le conseil nomme, hors de son sein, les agents extérieurs de la République.
70. Il négocie les traités.
71. Les membres du conseil, en cas de prévarication, sont accusés par le corps législatif.
72. Le conseil est responsable de l’inexécution des lois et des décrets, et des abus qu’il ne dénonce pas.
73. Il révoque et remplace les agents à sa nomination.
74. Il est tenu de les dénoncer, s’il y a lieu, devant les autorités judiciaires.
Des relations du conseil exécutif avec le Corps législatif.
75. Le conseil exécutif réside auprès du corps législatif. Il a l’entrée et une place séparée dans le lieu de ses séances.
76. Il est entendu toutes les fois qu’il a un compte à rendre.
77. Le corps législatif l’appelle dans son sein, en tout ou en partie, lorsqu’il le juge convenable.
Des corps administratifs et municipaux
78. Il y a dans chaque commune de la République une administration municipale ;
Dans chaque district une administration intermédiaire ;
Dans chaque département une administration centrale.
79. Les officiers municipaux sont élus par les assemblées de Commune.
80. Les administrateurs sont nommés par les assemblées électorales de département et de district.
81. Les municipalités et les administrations sont renouvelées tous les ans par moitié.
82. Les administrateurs et officiers municipaux n’ont aucun caractère de représentation.
Ils ne peuvent, en aucun cas, modifier les actes du corps législatif, ni en suspendre l’exécution.
83. Le corps législatif détermine les fonctions des officiers municipaux et des administrateurs, les règles de leur subordination, et les peines qu’ils pourront encourir.
84. Les séances des municipalités et des administrations sont publiques.
De la justice civile
85. Le code des lois civiles et criminelles est uniforme pour toute la République.
86. Il ne peut être porté aucune atteinte au droit qu’ont les citoyens de faire prononcer sur leurs différends par des arbitres de leur choix.
87. La décision de ces arbitres est définitive, si les citoyens ne se sont pas réservé le droit de réclamer.
88. Il y a des juges de paix élus par les citoyens des arrondissements déterminés par la loi.
89. Ils concilient et jugent sans frais.
90. Leur nombre et leur compétence sont réglés par le corps législatif.
91. Il y a des arbitres publics élus par les assemblées électorales.
92. Leur nombre et leurs arrondissements sont fixés par le corps législatif.
93. Ils connaissent des contestations qui n’ont pas été terminées définitivement par les arbitres privés ou par les juges de paix.
94. Ils délibèrent en public. Ils opinent à haute voix.
Ils statuent en dernier ressort, sur défenses verbales, ou sur simple mémoire, sans procédures et sans frais. Ils motivent leurs décisions.
95. Les juges de paix et les arbitres publics sont élus tous les ans.
De la justice criminelle
96. En matière criminelle, nul citoyen ne peut être jugé que sur une accusation reçue par les jurés ou décrétée par le corps législatif.
Les accusés ont des conseils choisis par eux, ou nommés d’office. L’instruction est publique.
Le fait et l’intention sont déclarés par un juré de jugement. La peine est appliquée par un tribunal criminel.
97. Les juges criminels sont élus tous les ans par les assemblées électorales.
Du tribunal de cassation
98. Il y a pour toute la République un tribunal de cassation.
99. Ce tribunal ne connaît point du fond des affaires.
Il prononce sur la violation des formes, et sur les contraventions expresses à la loi.
100. Les membres de ce tribunal sont nommés tous les ans par les assemblées électorales.
Des contributions publiques
101. Nul citoyen n’est dispensé de l’honorable obligation de contribuer aux charges publiques.
De la trésorerie nationale
102. La trésorerie nationale est le point central des recettes et dépenses de la République.
103. Elle est administrée par des agents comptables nommés par le pouvoir exécutif.
104. Ces agents sont surveillés par des commissaires nommés par le corps législatif, pris hors de son sein, et responsables des abus qu’ils ne dénoncent pas.
De la Comptabilité
105. Les comptes des agents de la trésorerie nationale et des administrateurs des deniers publics sont rendus annuellement à des commissaires responsables nommés par le conseil exécutif.
106. Ces vérificateurs sont surveillés par des commissaires à la nomination du corps législatif, pris hors de son sein et responsables des abus et des erreurs qu’ils ne dénoncent pas.
Le corps législatif arrête les comptes.
Des forces de la République
107. La force générale de la République est composée du peuple entier.
108. La République entretient à sa solde, même en temps de paix, une force armée de terre et de mer.
109. Tous les Français sont soldats ; ils sont tous exercés au maniement des armes.
110. Il n’y a point de généralissime.
111. La différence des grades, leurs marques distinctives et la subordination ne subsistent que relativement au service et pendant sa durée.
112. La force publique employée pour maintenir l’ordre et la paix dans l’intérieur n’agit que sur la réquisition par écrit des autorités constituées.
113. La force publique employée contre les ennemis du dehors agit sous les ordres du conseil exécutif.
114. Nul corps armé ne peut délibérer.
Des conventions nationales
115. Si dans la moitié des départements plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, demande la révision de l’acte constitutionnel, ou le changement de quelques-uns de ses articles, le corps législatif est tenu de convoquer toutes les assemblées primaires de la République, pour savoir s’il y a lieu à une Convention nationale.
116. La Convention nationale est formée de la même manière que les législatures, et en réunit les pouvoirs.
117. Elle ne s’occupe, relativement à la Constitution, que des objets qui ont motivé sa convocation.
Des rapports de la République française avec les nations étrangères
118. Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres.
119. Il ne s’immisce point dans le gouvernement des autres nations. Il ne souffre pas que les autres nations s’immiscent dans le tien.
120. Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté.
Il le refuse aux tyrans.
121. Il ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire.
De la garantie des droits
122. La Constitution garantit à tous les Français l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété, la dette publique, le libre exercice des cultes, une instruction commune, des secours publics, la liberté indéfinie de la presse, le droit de pétition, le droit de se réunir en sociétés populaires, la jouissance de tous les droits de l’homme.
123. La République française honore la loyauté, le courage, la vieillesse, la piété filiale, le malheur. Elle remet le dépôt de la Constitution sous la garde de toutes les vertus.
124. La déclaration des droits et l’acte constitutionnel sont gravés sur des tables, au sein du corps législatif, et dans les places publiques.
Signé :
COLLOT-D’HERBOIS, président ; DURAND-MAILLANE, DUCOS, MÉAULLE, CH. DELACROIX, GOSSUIN, P. A… LALOY, secrétaires.