M. Vandenbossche devait avoir une petite trentaine. Il avait un léger accent belge, un teint de brique. Il était très remonté : « Je suis certain d’avoir vu des cheveux blonds, bouclés, assez longs, derrière le volant. Et un homme à la place du passager avant. Mais ils sont passés si vite. Je suis sorti comme un fou pour m’occuper du petit. J’ai planté là tous les gens dans mon bus ! »
La police prenait son temps ? Mais c’était scandaleux. Honteux. Je lui ai dit que j’avais décidé de retrouver le chauffard. Toute seule. Je rien avais pas parlé, ni à mon mari, ni à mes parents. Seulement à ma sœur. Elle était comme moi, folle à l’idée que cette personne n’avait pas encore été arrêtée. C’était pour cela que j’étais venue le voir ce soir. Pour recueillir le maximum d’informations. Pour faire mon petit bonhomme de chemin. La police allait peut-être « s’y mettre », mais elle prenait trop de temps à mon goût. Je ne pouvais plus attendre. Je rien pouvais plus.
Le jeune conducteur a hoché la tête. Il m’a dit qu’il me comprenait. Qu’il ferait la même chose à ma place. Quand il s’agissait d’enfant, de son enfant, on n’était plus le même. Sa femme avait eu une petite fille, cet hiver. Il en était si fier. Sa fille, c’était le centre de sa vie. Toute sa vie. Il m’a dit : « La personne qui a renversé votre fils et qui a pris la fuite, c’est la pire des lâches. Attrapez-la, madame. Faites tout ce que vous pourrez pour l’attraper. Vous l’aurez. Je le vois dans vos yeux. »
Une femme. Je n’arrêtais pas d’y penser. Une femme ? Était-ce possible ? Je n’en avais pas parlé à Andrew. Je ne lui avais rien dit de ma rencontre avec le conducteur de bus, avec Laurent. Je gardais tout pour moi. J’en parlais seulement à Emma. Elle m’encourageait. Me poussait. Me disait qu’il fallait que je continue. Qu’il fallait que j’avance. Sur mon ordinateur, j’avais noté tout ce que je savais concernant la plaque. 86 ou 56, ensuite LYR puis 54, 64 ou 84. J’avais été sur Internet trouver des vieux modèles de Mercedes. Celle qui avait renversé Malcolm devait être un modèle 500 SE. Elle devait dater de la fin des années 80. Elle était marron. Chez Mercedes, on appelait ce coloris précis « moka ».
Coma en verlan. Moka. Coma. 54 : Meurthe-et-Moselle. 64 : Pyrénées-Atlantiques. 84 : Vaucluse.
Que faisait cette personne à Paris ce mercredi-là ? Vivait-elle ici, dans la capitale, avec une plaque d’un autre département ? Où allait-elle ce jour-là ? Pourquoi roulait-elle si vite ? Ces questions revenaient, inlassablement. Je voyais la voiture. Son parcours. Sa vitesse. Le feu grillé. Le choc. Malcolm étendu sur le macadam. La fuite. Je ne pouvais plus passer devant l’endroit de l’accident. Je faisais tous les détours possibles pour l’éviter. J’aurais voulu que cet endroit n’existe plus, qu’il soit rayé de la carte. À jamais.